C. AFFERMIR LE POSITIONNEMENT DE LA FRANCE DANS CETTE RÉGION

1. Définir une politique indo-pacifique française

Les recommandations suivantes sont autant de pistes pour définir une politique indo-pacifique française.

À titre liminaire il convient d'insister sur deux orientations : la nécessité d'une réflexion sur l'utilisation du concept indo-pacifique dans la diplomatie française, et l'importance des territoires français dans cette zone pour le rayonnement de la France.

Ces territoires constituent en effet « une garantie du rayonnement de la puissance française, et par voie de conséquence, européenne, dans une région particulièrement importante tant pour les ressources qui s'y trouvent que pour son aspect stratégique » 90 ( * ) .

Il semble souhaitable à votre groupe de travail de retenir ce concept d'analyse « indo-pacifique » qui permet de mettre en relation l'océan Indien et l'océan Pacifique et de donner à la question sécuritaire des détroits toute son importance. L'essor de la zone de l'Asie du sud-est repose sur le commerce maritime. Le Contre-Amiral (2S) Bertrand Lepeu rappelle l'importance du fait maritime et ses conséquences : « Depuis quelques décennies, et tout particulièrement en ce début de XXIe siècle, le rôle majeur du fait maritime est à nouveau incontestable, incontesté. À l'heure de la mondialisation économique, la croissance du commerce maritime est plus forte que celle de l'économie mondiale qu'elle accompagne. De plus des menaces en mer, ou venues de la mer, pourraient si leur développement n'était contré, bouleverser nos sociétés de liberté, voire mettre en péril la vie de la mer et donc celle des terriens ».

Or avec près de 50 % du fret maritime mondial y transitant, le détroit de Malacca est aujourd'hui le centre névralgique des échanges commerciaux, et le lien entre les deux océans. Par cette unique voie, 80 % des importations en hydrocarbures japonais transitent, de même les deux tiers du trafic français transporté par conteneurs passent par ce détroit coincé entre l'île de Sumatra, la Malaisie et dont la cité île de Singapour est le pivot central. 94 000 navires passent chaque année dans ces eaux.

La direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) a publié en janvier 2016 un document 91 ( * ) étudiant les possibles effets que pourrait avoir une fermeture partielle ou totale d'un ou plusieurs détroits maritimes majeurs. Trois scénarios de crise sont imaginés : la réactivation majeure de la piraterie, l'augmentation de la menace terroriste et les tensions régionales entre les pays riverains du détroit, éventuellement avivés par l'expansionnisme chinois au sein des archipels insulindiens ou par la contagion de crise majeure des États fragiles de l'Océanie.

La multiplication et la diffusion des menaces révèlent les difficultés d'une région soumise à de multiples influences : compétition militaire et intégration régionale semblent incompatibles ; malgré l'augmentation des menaces terroristes, la situation sécuritaire n'est pas envisagée de manière coordonnée, enfin le commerce international, vecteur de développement commun de la région est le lieu de concurrences accrues.

Dans cette perspective, une coopération stratégique entre la France et l'Australie est essentielle et ne peut donner toute sa mesure que dans un cadre indo-pacifique. Les sous-marins que l'Australie achète à DCNS serviront au moins autant dans l'océan Indien que dans l'océan Pacifique et plus encore dans cette zone des détroits que surplombe la mer méridionale de Chine.

2. Mettre en oeuvre des partenariats stratégiques
a) La définition d'un partenariat de long terme avec l'Australie

Le 14 décembre 2016 a été signé à Paris l'accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de l'Australie concernant la coopération en matière de défense et le statut des forces. Il était accompagné d'une déclaration conjointe de partenariat stratégique entre la France et l'Australie.

La signature de l'accord intergouvernemental entre la France et l'Australie portant accord-cadre relatif à la coopération sur le programme des futurs sous-marins australiens le 19 décembre 2016 constitue un autre jalon important dans l'approfondissement de la relation bilatérale entre nos deux pays, notamment dans le domaine de la coopération opérationnelle entre les deux marines nationales et dans celui des investissements dans l'innovation et la technologie.

La France et l'Australie s'engagent ainsi dans une relation de long terme, d'au moins 25 ans. Les transferts de technologie de très haut niveau consentis donnent une perspective encore plus longue à cette relation basée sur le partage de valeurs communes et sur une volonté à faire primer le droit international comme mode de résolution pacifique des conflits internationaux.

Votre commission souhaite participer à la définition et à la mise en oeuvre de cette relation stratégique de longue haleine en cosntruction. Elle envisagera les modalités adéquates pour donner la dimension parlementaire, caractéristique de nos pays démocratiques, à cette relation bilatérale essentielle, qui participe au rayonnement de la France dans cette région du monde.

b) La question de la relation stratégique avec l'Inde

En 2009, l'Inde et l'Australie ont signé une déclaration conjointe de sécurité et développent depuis leur relation stratégique. Il est évident que la principale préoccupation géostratégique de l'Australie concerne la Chine, et dans ce contexte, l'alliance de l'Inde et de l'Australie, principales puissances maritimes des États territoriaux de l'océan Indien, pourrait constituer une réponse à la préoccupation partagée à l'égard de l'impact que la Chine pourrait avoir sur l'équilibre stratégique régional.

Selon Frédéric Grare 92 ( * ) : « L'enjeu majeur de la relation entre l'Inde et l'Australie en matière de sécurité régionale réside ainsi moins dans le développement de leur coopération militaire future stricto sensu que dans son rôle dans la création, par les États concernés de la zone indo-pacifique, d'un ordre régional non-hégémonique, incluant la Chine sans être dominé par elles.

« L'essor de la relation stratégique indo-australienne est, de fait, une entreprise de longue haleine, et par définition incertaine. Il passera, le cas échéant, par l'accroissement des capacités économiques, politiques et militaires des deux pays, mais également par leur aptitude à définir conjointement une démarche à la fois opérationnelle et réaliste.

« La France, État littoral de l'océan Indien et reconnu comme tel par les deux parties, pourrait dans ce cadre contribuer à faire évoluer positivement la relation. Ce faisant, elle pourrait élargir ses intérêts économiques, politiques et stratégiques dans la région. ».

Une coopération stratégique trilatérale entre l'Inde, l'Australie et la France semble conditionnée par le renforcement des capacités indiennes et l'approfondissement de la relation stratégique entre la France et l'Australie qui est désormais en cours. La France qui contribue largement à la fourniture et au développement des équipements de défense indiens et australiens semble bien placée pour accompagner le développement de la relation entre les deux pays.

Votre commission estime qu'un dialogue trilatéral entre l'Inde, l'Australie et la France devrait être envisagé afin d'aborder les thématiques allant de la lutte contre le terrorisme à la sécurité dans l'océan Indien et aux questions stratégiques liées à la montée en puissance de la Chine.

c) Quelle instance de dialogue avec la Chine ?

Comme l'Australie, la France entretient une relation soutenue dans le domaine économique avec la Chine, souhaitant mettre en oeuvre une relation équilibrée permettant l'accueil d'investissements chinois durables et bénéfiques à nos territoires d'une part et l'implantation de nos entreprises sur le territoire chinois et l'ouverture de ce marché à nos produits d'autre part. La dimension maritime du développement du commerce international a déjà été soulignée. Dans cette perspective, les conditions d'accès aux eaux internationales et la garantie de la sécurité de la navigation sont primordiales. Les marines françaises et australiennes souhaitent faire respecter les règles d'accès prévues par les conventions maritimes internationales.

Sur ces questions, il serait souhaitable de parvenir à instaurer un dialogue apaisé. La France comme l'Australie mettent en oeuvre une diplomatie de la paix qui leur permet de dialoguer avec toutes les forces en présence.

3. Prendre toute la place dans l'architecture régionale

Comme le remarquait l'ambassadeur Christian Lechervy 93 ( * ) , auditionné par vos rapporteurs, notre politique dans la zone indo-pacifique ne se fonde sur aucun partenariat exclusif. En conséquence, les moyens sont très sollicités pour participer à toutes les instances de consultation et de coopération à l'échelle du bassin et pour contribuer très concrètement, à la sécurité de tout le théâtre.

L'association étroite de la France aux fora de sécurité du Pacifique s'explique par sa propre appartenance à cet espace mais également parce qu'elle est le seul pays européen à maintenir un niveau permanent significatif de forces dans le Pacifique. Ceci se traduit par une relation particulièrement resserrée entre la France et les États-Unis d'un côté, la France, l'Australie et la Nouvelle-Zélande de l'autre.

Il est important dans ce contexte de mettre l'accent sur quelques orientations ci-dessous proposées qui semblent pouvoir démultiplier la capacité de rayonnement de la France dans cette zone.

a) Veiller à la pleine autonomie des collectivités territoriales au sein des instances régionales

Lors de notre déplacement en Nouvelle-Calédonie, nous avons souhaité rencontrer les services du gouvernement néo-calédonien responsables de la mise en place de délégués dans les représentations diplomatiques françaises du Pacifique. Nous avons constaté que la difficulté à fixer des règles de recrutement des délégués néo-calédoniens était surmontée. Un projet de statuts fixant le mode de recrutement et la formation des délégués a été adopté le 6 septembre 2016 par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, juste avant notre arrivée à Nouméa. Ceci constitue un premier pas prometteur.

Nous recommandons de soutenir la Nouvelle-Calédonie dans la mise en place d'une stratégie concertée de relations extérieures, ce qui, outre le recrutement des délégués capables de rayonner dans la zone Pacifique, suppose d'instaurer un dialogue avec l'État avant les réunions des grandes instances régionales. Ceci vaut pour tous les PTOM, qui doivent pouvoir mener une politique conforme à leurs intérêts dans le cadre de la compétence partagée déjà évoquée, tout en disposant des capacités d'information et d'analyse des services de l'État.

Il est souhaitable notamment que l'État continue d'associer la Nouvelle-Calédonie et les provinces et veille à les faire participer au sein de la délégation française aux conférences, conventions et organisations internationales lorsque le sujet relève de leurs compétences. En septembre 2015, par exemple, le gouvernement français avait donné son accord pour que la Nouvelle-Calédonie siège de façon autonome, sans voix délibérative, aux réunions du comité régional pour le Pacifique occidental de l'OMS. De même, l'État avait associé la Nouvelle-Calédonie au titre de la sécurité civile à l'intervention au Vanuatu en 2015 suite au passage du cyclone Pam, puis à l'intervention aux Fidji en 2016 suite au passage du cyclone Winston. Cette voie de collaboration doit être poursuivie.

b) Veiller à la représentation de haut niveau de la France dans les instances régionales

Il est extrêmement important que la mobilisation des plus hautes autorités de l'État se maintienne, et que les ministres de la République prennent soin d'assister aux réunions de haut niveau des instances régionales. Le rang protocolaire des représentants d'un pays détermine le moment de leur prise de parole et par là le retentissement de leur discours.

Nous avons pu constater que nous disposons dans cette zone de représentants diplomatiques de très haute qualité dont la compétence et l'engagement sont reconnus et doivent être salués. Toutefois, s'ils ne sont pas accompagnés des ministres, leur tour de parole arrive très tard dans ces instances régionales, parfois trop tard. La France ne peut pas s'affirmer pays riverain, partenaire à part entière et fiable si sa voix n'est pas portée au juste niveau dans les instances régionales.

c) Porter une politique européenne de la France dans les domaines environnementaux et en faveur du développement économique

Lorsque Philippe Germain, président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, a prononcé son discours devant les États membres du FIP, il a utilisé un argument fort en indiquant : « Notre intégration en Océanie représente une opportunité puisqu'elle permettra, à travers la France, de sensibiliser les plus hautes instances européennes et internationales aux défis environnementaux et économiques des îles du Pacifique. »

Dès 2004, la France a pris des initiatives pour préserver les ressources des zones maritimes en lançant un projet pour la protection et la gestion durable des récifs coralliens dans le Pacifique. L'état de la mer de corail aujourd'hui montre à quel point ce type d'action est indispensable. Il est important de mieux faire entendre la voix de la France dans les instances communautaires sur ces sujets. Forte de son expérience et de son appartenance à la zone, elle apporte une expertise incomparable et possède une capacité inégalée de fédérer les États riverains.

Son action dans ce domaine sera d'autant plus efficace et portera d'autant mieux ses fruits qu'elle associera les territoires français du Pacifique aux négociations avec les instances communautaires.

d) Mieux associer les territoires français du Pacifique aux négociations avec Bruxelles

Il est indispensable à la fois d'accompagner nos territoires dans leurs discussions avec Bruxelles, et d'aider Bruxelles à instaurer un dialogue politique au plus haut niveau en s'appuyant sur la politique globale océanienne de la France réaffirmée par les sommets des chefs d'État et de gouvernement France-Océanie qui se sont tenus à Papeete en 2003, à Paris en 2006, à Nouméa en 2009, et à Paris en 2015.

Nous recommandons vivement au gouvernement de ne pas laisser s'installer un tel délai entre les différents sommets France-Océanie.

e) Approfondir le dialogue Océanie+1

Le 25 novembre 2015 s'est tenu à Paris un nouveau sommet France-Océanie, le quatrième du genre, auquel participaient les présidents des institutions néo-calédoniennes.

Ce sommet a été l'occasion de faire le point tant sur les menaces de terrorisme que connaissent nos pays, la COP 21, les enjeux du développement durable, etc. Ce sommet a fait l'objet d'une déclaration finale dont il nous semble important de souligner le dernier paragraphe :

« Nous reconnaissons qu'il est important de continuer à resserrer les liens entre l'Océanie et la France et les territoires français d'Océanie grâce à un dialogue et des réunions périodiques, et notamment par l'organisation du 5 e Sommet France-Océanie. Nous prenons note à cet égard de l'engagement pris de tenir des dialogues biennaux de haut niveau entre la France et la présidence du Forum des îles du Pacifique. »

Nous recommandons l'organisation prochaine d'un nouveau sommet Océanie+1, ainsi que l'organisation du dialogue prévu entre la France et le forum des îles du Pacifique, d'autant plus nécessaire que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française en sont devenus membres à part entière en septembre 2016.

De même, il nous semble souhaitable de profiter de la tenue du Sommet de l'ASEM, instance de dialogue entre l'Europe et l'Asie à Bruxelles en 2018, pour développer les positions françaises et proposer que le prochain sommet de l'ASEM se tienne à Paris en 2020.

f) Agir pour simplifier les règles d'attribution des aides européennes

Un des défis d'avenir est d'agréger à la programmation entre l'Union européenne et les pays ACP, les pays et territoires d'outre-mer associés à l'Union européenne. L'accord de Cotonou viendra, après 20 ans d'existence, à échéance en 2020, il est donc stratégique de repenser dès à présent la synergie entre les territoires, de rechercher des réponses efficaces à l'échelon régional dans le domaine de la lutte contre les catastrophes naturelles ou la protection de la biodiversité. Cette dynamique doit être poursuivie et renforcée. Les PTOM, surtout français, campent sur une position ancienne, souhaitant obtenir à terme un statut plus privilégié que les ACP au regard des aides de Bruxelles.

Les procédures administratives européennes ne sont pas adaptées à la réalité du Pacifique et à l'étroitesse de la base administrative des petits pays insulaires. Cela induit des lourdeurs, des retards, des redressements incompréhensibles pour les acteurs de bonne foi qui découvrent des évolutions de règles en cours de vie du projet. La mise en place du 11 e FED est ainsi retardée, pénalisant les projets et réduisant la possibilité de consommer l'intégralité de l'enveloppe allouée dans le temps de programmation restant. Selon les informations qui nous ont été communiquées, le 10 e FED est fini depuis plus d'un an et le 11 e FED n'est toujours pas mis en place.

L'étude de juin 2014 de la direction générale des politiques externes de l'Union, sur la stratégie de développement de l'Union européenne dans le Pacifique, témoigne d'une prise de conscience puisqu'elle indique que l'Union « devrait en particulier accroître et approfondir ses connaissances des institutions de la région et mobiliser les compétences existantes s'agissant d'approcher le concept régional de « Pacific ways », à savoir comment cette vaste région entend s'y prendre pour entrer dans la modernité et la globalisation, tout en préservant sa culture, son héritage et ses traditions. »

Il nous paraît souhaitable de rappeler qu'il est indispensable :

- de veiller à ce que soit maintenue dans les prochaines perspectives budgétaires européennes l'existence du FED ;

- de réexaminer la possibilité d'instaurer un chef de file des fonds par grands thèmes afin de responsabiliser les gestionnaires et de fluidifier l'activation des fonds ;

- de veiller à la stabilité des règles applicables à la gestion des fonds afin de ne pas rendre des dépenses inéligibles a posteriori mettant ainsi les acteurs essentiels du développement de cette région fragile dans une situation potentiellement dangereuse. La rigueur est souhaitable afin d'éviter les gaspillages, mais la lisibilité des règles applicables, non volatiles, est tout aussi essentielle pour garantir la confiance de tous les acteurs et leur adhésion à ces règles ;

- de veiller à réduire les intermédiaires afin que les frais de gestion ne grèvent pas les fonds destinés au développement de cette zone. Il ne paraît pas optimal que ces fonds transitent par un forum ou une organisation qui perçoit des frais de gestion avant de les reverser à l'organisme ou association qui les met réellement en oeuvre. Ce n'est ni rationnel économiquement ni une garantie de bonne utilisation des fonds. Le fait que le FIP soit le partenaire régional de l'Union européenne ne doit pas faire de lui le réceptacle systématique d'aides qu'il se contenterait de déléguer.

4. Se doter des moyens adaptés de puissance
a) Permettre aux forces armées militaires sur les zones d'exercer toutes leurs missions sans trou capacitaire

Les conclusions du Livre blanc de 2008 préconisaient de réduire de moitié les capacités militaires françaises dans l'océan Pacifique, « y laissant des forces à peine suffisantes pour exprimer la souveraineté de notre pays sur ces territoires. On considérait en 2008 que des îles du Pacifique étaient suffisamment protégées par les étendues océaniques qui les entouraient, à une nuance près pour la Nouvelle-Calédonie. Celle-ci, qui appartient à « l'arc mélanésien des crises », devait conserver un reliquat de forces militaires plus significatif en Polynésie ». 94 ( * )

Le Livre blanc de 2013 indique que la France est : « puissance souveraine et acteur de sécurité dans l'océan Indien et dans le Pacifique (...) et sa prospérité est désormais inséparable de celle de l'Asie-Pacifique ». Au sujet du partenariat stratégique noué entre l'Australie et la France en 2012, le Livre blanc précisait qu'il « confirme également l'intérêt renouvelé des pays de la zone pour la présence française qui apparaît comme un facteur de stabilité, susceptible en outre d'apporter une aide immédiate, notamment en cas de catastrophe naturelle, grâce aux moyens de l'État prépositionnés dans les outre-mer. »

Or ces moyens prépositionnés arrivent à bout de souffle. C'est particulièrement le cas des patrouilleurs de souveraineté dit P400 dont 3 sur 10 sont encore en activité. Cette quasi-disparition de la flotte de patrouilleurs a entraîné une surveillance moindre de pans entiers du territoire maritime français. En outre, le fort taux d'emploi accélère le vieillissement des P400 et leur indisponibilité en mer. Le trou capacitaire initialement prévu risque de s'accroître Ainsi, un déficit capacitaire est prévisible entre 2020 et 2024, date de la livraison des nouveaux BATSIMAR aux termes de la loi de programmation militaire, qui doivent « remplacer » les deux patrouilleurs P400 du Pacifique : La Moqueuse et La Glorieuse. Ceux-ci doivent cesser de fonctionner en 2020, mais dès cette année, le taux d'indisponibilité de La Moqueuse a été de 80 %, selon les informations recueillies par vos rapporteurs. Votre commission considère que cette situation n'est pas tenable, l'effort budgétaire à réaliser n'étant pas si conséquent au regard des enjeux !

Ce trou capacitaire est double en raison de l'essoufflement des bâtiments de transport léger (acronyme BATRAL) Classe Champlain déployés dans les PTOM, où leurs missions principales sont le soutien amphibie aux troupes pré-positionnées et le transport logistique.

Le recours à deux B2M permettra de combler un trou capacitaire en remplaçant les BATRAL, toutefois ces nouveaux bâtiments n'ont pas de capacité amphibie, ce qui limitera considérablement les opérations d'urgence aux domaines humanitaires ou de maintien de l'ordre dans les zones concernées autour de la Nouvelle Calédonie, et de la Polynésie dans le Pacifique. Le D'Entrecasteaux a été livré à Nouméa, et le Bougainville à Papeete en 2016.

Le chef d'État-major de la marine, l'amiral Christophe Prazuck, a insisté sur la nécessité d'accélérer la mise en oeuvre du programme BATSIMAR, lors de sa première audition devant les députés de la commission de la défense le 12 octobre 2016. Il a souhaité que le format d'une frégate, un B2M et deux patrouilleurs par département ou territoire d'outre-mer soit atteint, rappelant que « si la surveillance du domaine maritime peut être assurée par de nouveaux outils, comme le système satellitaire Trimaran, il n'en reste pas moins qu'il faut en effet des moyens d'intervention . » Vos rapporteurs ont constaté que ce format était effectivement nécessaire au plein accomplissement du contrat opérationnel des FANC.

L'amiral indiquait encore que « le radar d'un bateau couvre un département français : il permet de voir 20 nautiques sur bâbord et 20 sur tribord, ce qui correspond à un cercle de 100 kilomètres de diamètre environ. Or la zone économique exclusive française s'étend sur 11 millions de kilomètres carrés : nous ne pourrons jamais déployer assez de bateaux pour la couvrir. Nous avons donc besoin de moyens mobiles. Voilà pourquoi nos patrouilleurs doivent être suffisamment rapides ; voilà aussi pourquoi il nous faut réfléchir à l'emploi de drones et songer au renouvellement des avions de surveillance maritime ».

Une accélération du futur programme de renouvellement des patrouilleurs de haute mer de la Marine nationale paraît donc hautement souhaitable , pour combler le trou capacitaire lié au non remplacement des P400 et pallier l'absence de capacité amphibie des B2M. Or le comité interministériel de la mer de novembre 2016 a bien prévu le remplacement des P400 de Guyane, mais en revanche, aucune succession immédiate n'est prévue lors du retrait des deux derniers P400, La Gracieuse et La Moqueuse, basées en Nouvelle-Calédonie, programmé en 2020.

Le coût unitaire d'un BATSIMAR oscille entre 40 et 50 millions d'euros selon le tonnage retenu, pour un navire ayant une durée de vie prévisionnelle comprise entre 25 à 30 ans qui pourrait, produit en nombre suffisant, en l'espace de trois ans, restaurer notre souveraineté sur notre ZEE. Il paraît nécessaire de porter cet effort budgétaire raisonnable au regard de l'utilité opérationnelle attendue et des répercussions sur l'image de la France dans cette zone. Le format demandé par le Chef d'État-major de la marine semble être un minimum ; un effort supplémentaire, pour un faible coût, accroîtrait de façon exponentielle le rayonnement de la France.

b) Saisir les opportunités d'équipement militaire des forces de Nouvelle-Zélande

La Nouvelle-Zélande dispose depuis juin 2016 d'un « plan stratégique de la défense » qui fixe un montant de crédits dédié aux investissements de la défense qui doivent être remplacés d'ici 10 à 15 ans. L'analyse des menaces par zone que contient ce plan stratégique ne fait en aucun cas mention de la France. Le consul général de Nouvelle-Zélande à Nouméa, interrogé sur ce point, l'a regretté.

La Nouvelle-Zélande est engagée aux côtés des forces alliées, notamment en Irak sous l'égide de l'OTAN ; les barrières linguistiques réduisent les possibilités de coopération directe au sein d'opérations de maintien de la paix entre la Nouvelle-Zélande et la France. La coopération militaire entre la Nouvelle-Zélande et la France s'exerce donc essentiellement dans le cadre de l'accord France et du Quadrilateral Defence Coordination Group (QUAD) associant la France avec les États-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. L'objectif du QUAD est de coordonner l'effort de sécurité dans le Pacifique, notamment dans le domaine maritime, en soutenant les efforts des États insulaires en faveur d'une gestion saine et durable de leurs ressources naturelles, entre autres halieutiques.

Le Defence White Paper 2016 prévoit un plan de modernisation d'un montant d'environ 20 milliards de dollars néo-zélandais soient 12,5 milliards d'euros sur les 15 années à venir afin de renforcer les capacités des forces armées de son pays.

Sont ainsi prévus :

- la modernisation de la marine avec le remplacement des frégates de classe ANZAC et du pétrolier-ravitailleur Endeavour, et la commande d'un troisième patrouilleur hauturier ;

- le remplacement et le renforcement de l'armement à disposition des troupes terrestres, et le renforcement de la protection offerte par le parc de blindés légers ;

- le renforcement de la capacité « forces spéciales » ;

- le remplacement des avions de transport stratégique (Boeing 757) et tactique (Hercules C-130), et de surveillance maritime (P-3K2 Orion) ;

- le développement des capacités « cyber », des capacités de renseignement et des moyens de communication.

Il est certain que la Nouvelle-Zélande prête une forte attention à l'évolution des relations entre la France et l'Australie suite à la signature du contrat de fourniture de 12 sous-marins français. Une réelle opportunité semble se dessiner, selon les échanges que nous avons eus lors de notre déplacement.

Il est essentiel que la France mette en place une stratégie semblable à celle qui a été menée en Australie afin de renforcer le positionnement stratégique de la France dans cette zone. L'industrie de défense française est en mesure de proposer un vaste éventail de produits et de solutions techniques dans ces différents domaines et milieux, la coopération entre la France et la Nouvelle-Zélande pourrait dès lors s'approfondir à la faveur de ces opérations de renouvellement et de renforcement capacitaires 95 ( * ) .

Il pourrait être profitable à nos forces positionnées dans la zone indo-pacifique de disposer d'équipements similaires à ceux de l'armée néo-zélandaise. L'efficacité de nos interventions dans le cadre de l'accord FRANZ pourrait en être accrue. De même la gestion des pièces et de lots de rechange pour nos équipements militaires pourrait être simplifiée par une coopération avec la Nouvelle-Zélande dans ce domaine.

c) Pour une politique globale d'influence
(1) Défendre la sécurité maritime et le droit international de la mer

Nous recommandons que l'envoi de bâtiments de premier rang dans la zone indo-pacifique soit élevé au rang de priorité afin de montrer l'engagement de la France à défendre les règles applicables dans les eaux internationales. La lutte contre le « déni d'accès » est indispensable pour réduire les tensions entre les pays de cette zone. La France en a la capacité. C'est une responsabilité qu'elle doit assumer. Les entretiens menés à Nouméa et en Australie ont montré qu'il y avait dans ce domaine également des attentes vis-à-vis de notre pays.

(2) Agir pour nos ZEE

Il paraît important de réfléchir à une action ciblée dans nos ZEE. Les études menées sur les ressources des fonds marins des aides ne semblent pas suffisantes. Les entretiens menés lors de notre déplacement ne mettent pas en évidence une connaissance suffisamment précise de ces fonds. La surpêche et le pillage des fonds marins sont, on l'a vu, monnaie courante.

Mal connus, les fonds sous-marins ne peuvent être une priorité d'action de forces militaires aux moyens limités. Il convient de remédier aux deux aspects de cette question en favorisant l'exploration des fonds marins et en veillant à les protéger si la décision est prise de ne pas les exploiter.

(3) Maintenir le niveau ministériel au « Shangri-La »

Notre pays s'y emploie. Le discours du ministre de la défense lors du dialogue de Shangri-La de 2016 l'a clairement indiqué, il convient de maintenir cette dynamique. La France ne peut être audible en la matière que si elle est constante et si elle est présente lors de ces grands rendez-vous, comme il sied à un pays riverain, engagé dans des relations stratégiques bilatérales fortes et agissant au niveau des organisations régionales en faveur de la stabilité de la zone.

(4) Réformer la gouvernance de la zone militaire Pacifique Océanie

Comme cela a déjà été dit, il convient de simplifier l'organisation militaire de cette zone. Comme on l'a vu, les zones de commandement d'ALPACI, ALINDIEN et des FANC s'imbriquent, ce qui est peu lisible pour nos partenaires.

Une évaluation de cette organisation doit être réalisée. S'il était décidé de la conserver, il convient a minima de tenter de simplifier les jonctions entre les différentes zones de commandement et de responsabilité. Il pourra être envisagé, lors d'opérations jugées prioritaires, de mettre en place une coordination plus étroite entre les zones afin que nos partenaires étrangers n'aient à faire qu'à un seul interlocuteur.

(5) Développer les compétences linguistiques des militaires et soutenir la francophonie dans la zone indo-pacifique

Le soutien de la francophonie est une des priorités de notre commission. Dans la zone indo-pacifique, elle trouve sa pleine justification. Il est essentiel que les locuteurs francophones, notamment en Micronésie et en Mélanésie, puissent être encouragés. Le rayonnement des établissements scolaires et universitaires de Nouvelle-Calédonie doit être renforcé. Les échanges scolaires semblent d'ailleurs dynamiques.

Le soutien de la francophonie ne dispense pas, bien au contraire, les militaires français en poste dans la zone de renforcer leurs compétences linguistiques, notamment en anglais, afin de faire vivre les coopérations avec les pays riverains dans les meilleures conditions possibles, ainsi que les forces s'y emploient déjà.

5. Faire fructifier le succès de l'Équipe France
a) Renforcer « l'australianisation » des entreprises françaises ?

Les entreprises franco-australiennes ont été un rouage essentiel du succès français qui a permis de remporter le contrat du siècle. Il est souhaitable de soutenir « l'australianisation » des entreprises françaises. Cela signifie qu'il nous faut accepter que certains succès ne se réalisent pas seulement au profit de nos territoires, mais aussi sur le territoire australien en l'occurrence. Cela signifie également qu'il convient d'affirmer cette volonté auprès des autorités australiennes locales afin qu'elles favorisent l'installation de nos entreprises, en leur permettant par exemple d'acquérir du terrain ou des entreprises, mais aussi en accueillant les Français venant travailler en Australie.

L'implantation de DCNS en Australie méridionale permettra de répondre au mieux aux exigences du contrat avec l'Australie, et sera peut-être demain la clé de nouveaux succès dans cette région en favorisant l'implantation des PME françaises. Il semble souhaitable de soutenir les PME françaises à saisir les nombreuses opportunités de développement que représente le marché australien, notamment à Adélaïde où seront construits les sous-marins et où les écoles bilingues doivent voir le jour, mais aussi en Nouvelle-Galles du Sud où les investissements dans les infrastructures publiques représentent autant d'opportunités pour nos entreprises.

De plus, le développement des chantiers navals à Adélaïde, sous l'impulsion de DCNS, va bénéficier aux 550 000 Français de la région dont le nombre va certainement croître.

b) Tirer les leçons du succès de « l'équipe France »

Notre succès australien n'est transposable que dans des pays où le jeu de la concurrence est respecté.

Nos équipes ont appris à marcher en marchant, mais elles ont aussi formalisé leur apprentissage, le rendant transposable dans d'autres pays. Il nous paraît donc indispensable de tirer toutes les leçons des modalités de constitution, d'animation et d'action de la « Team France en Australie » :

- en les présentant lors de la prochaine semaine des ambassadeurs à Paris,

- en diffusant largement au sein du réseau diplomatique les conventions de coopération entre les membres de l'équipe France et entre cette équipe et les autorités locales afin qu'il puisse servir d'exemple, sous réserve d'adaptation aux conditions locales, aux équipes chargées de la diplomatie économique.

La stratégie mise en oeuvre en Australie reposant sur le triptyque : analyse - définition d'une stratégie - adaptation, menée par un chef d'orchestre qui selon le niveau de priorité peut-être l'ambassadeur et/ou un ministre ou une personnalité nommée à cet effet paraît parfaitement transposable.

Si certaines leçons peuvent être tirées, il faut ainsi savoir être inventif ! La nomination d'un représentant spécial pour l'Australie, en la personne de Ross McInnes, Président du Conseil d'administration de Safran, né australien, naturalisé français et dont le père est un patron de premier plan à Canberra a eu un effet remarquable : il a pu dire aux Australiens ce que ni le ministre, ni son ambassadeur, ni les patrons français ne pouvaient dire, ce lien a été important et a contribué au succès français. Ceci illustre la nécessité de mettre en oeuvre la partie « adaptation » du triptyque qui doit inspirer l'action de la diplomatie économique française.


* 90 La France, puissance inattendue au XXIe siècle dans le Pacifique Sud : Éléments pour une approche géopolitique de l'Océanie de Clémence Mallatrait en collaboration avec Thomas Meszaros, Aux Éditions L'Harmattan, 2009.

* 91 Cité dans l'article « Questions sécuritaires dans le détroit de Malacca » de Pierre Emmery.

* 92 Article Océan Indien : le rapprochement stratégique indo-australien, dans Politique étrangère Automne 2016. M. Frédéric Grare a été entendu en audition, voir en annexe la liste des personnes auditionnées.

* 93 La France : une politique extérieure en phase avec une « Pacificité » polymorphe, dans la revue juridique politique et économique de la Nouvelle-Calédonie, n° 25.

* 94 Intervention du Vice-Amiral (2S) Jean-Louis Vichot, Ancienne Autorité de coordination pour les questions internationales, État-major de la marine, ministère de la défense, Rapport d'information fait au nom de la délégation sénatoriale à l'outre-mer sur les actes du colloque « la France dans le Pacifique : quelle vision pour le XXI e siècle ? » Organisé le 17 janvier 2013, par Monsieur Serge Larcher.

* 95 Comme le note Philippe Vittel dans son avis n° 3839 du 14 juin 2016, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Nouvelle-Zélande concernant le statut des forces en visite et la coopération en matière de défense.

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