B. UNE RÉGLEMENTATION EUROPÉENNE QUI N'EST PAS À LA HAUTEUR DES ENJEUX

1. Une réglementation transversale qui ne prend pas suffisamment en compte la notion de perturbateurs endocriniens
a) Le règlement REACH

Le règlement (CE) n° 1907/2006 dit « règlement REACH » tend à définir les exigences applicables aux différentes substances chimiques au sein de l'ensemble de l'Union européenne. Il fixe les devoirs et obligations des fabricants et importateurs de ces substances et crée l'ECHA, agence européenne des produits chimiques, dont la mission est de répertorier ces substances et d'en assurer l'évaluation pour préserver la santé humaine et l'environnement. Le financement est assuré, en partie, par les redevances que paient les industriels.

Chaque substance doit faire l'objet d'un enregistrement avant sa mise sur le marché. Il appartient au fabricant ou à l'importateur de procéder à cette opération auprès de l'ECHA dès lors que la quantité utilisée de cette substance est supérieure à 1 tonne par an. Les substances présentes dans les produits phytopharmaceutiques et les biocides qui ont déjà fait l'objet de contrôles suite à une réglementation antérieure sont considérées comme enregistrées (articles 15 et 16 du règlement REACH). Le dossier déposé lors de l'enregistrement prévoit une évaluation de l'impact de la substance sur la santé humaine et l'environnement faite par le déposant, généralement une entreprise. Les exigences précises en matière d'information diffèrent pour chaque enregistrement, en fonction des quantités, de l'utilisation et de l'exposition.

Cette démarche permet la mise sur le marché de la substance enregistrée. À ce stade, l'ECHA contrôle que l'ensemble des informations demandées ont été fournies mais n'évalue pas la qualité de celles-ci. Seuls 5 % des dossiers déposés font l'objet d'un contrôle relatif à la fiabilité des données.

L'Union européenne contrôle ainsi la mise sur le marché des différentes substances chimiques. Toutefois, les États membres peuvent demander l'inscription d'une substance sur une liste en vue de son évaluation. Ils peuvent aussi demander à la Commission d'inscrire les substances les plus préoccupantes à l'annexe XIV du règlement REACH qui recense les substances pour lesquelles une autorisation de mise sur le marché est nécessaire, ou à l'annexe XVII qui recense les substances pour lesquelles l'utilisation est soumise à des restrictions en raison du risque qu'elles présentent. Les perturbateurs endocriniens font partie de ces substances préoccupantes mais à ce jour, selon l'ANSES, Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail française, aucun perturbateur endocrinien ne figure dans ces annexes en tant que tel.

b) Le règlement CLP

Le règlement (CE) n° 1272/2008 du 16 décembre 2008 tend à réglementer la classification, l'étiquetage et l'emballage des substances et des mélanges. Il permet d'informer les citoyens de l'Union européenne, employés dans des entreprises de production de substances chimiques ou consommateurs, des dangers que présentent de ces substances.

Trois types de substances dangereuses font l'objet d'une attention particulière : les substances cancérogènes, les substances toxiques pour la reproduction, et les substances mutagènes. Elles sont classées dans trois catégories selon la nature du danger pour l'homme :

- catégorie 1A : danger avéré ;

- catégorie 1B : danger présumé ;

- catégorie 2 : danger suspecté.

Dans ce règlement, les perturbateurs endocriniens sont considérés comme des substances toxiques pour la reproduction et sont pris en compte à travers ce seul prisme.

2. Des réglementations sectorielles incomplètes ayant entraîné la condamnation de la Commission

Les perturbateurs endocriniens peuvent se retrouver dans différents produits faisant l'objet de réglementations sectorielles particulières : il s'agit notamment des produits phytopharmaceutiques, des biocides, des produits cosmétiques et des médicaments.

Aucun texte réglementant ces produits ne définit des critères scientifiques pour déterminer ce que sont les perturbateurs endocriniens dans le cadre de la législation de l'Union européenne, ce qui rend difficile leur identification et retarde de fait la mise en place d'une législation contraignante.

Pourtant, pour les produits phytopharmaceutiques et les biocides, les textes encadrant leur mise sur le marché fixaient à la Commission une date limite pour définir les critères scientifiques permettant d'identifier un perturbateur endocrinien.

La présence de perturbateurs endocriniens dans les produits phytopharmaceutiques est aujourd'hui régie par le règlement (CE) n° 1107/2009 du 21 octobre 2009. Il prévoyait qu'au plus tard le 14 décembre 2013, la Commission devait présenter au Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale des propositions de mesures concernant les critères scientifiques spécifiques pour la détermination des propriétés de perturbation endocrinienne.

La présence de perturbateurs endocriniens dans les biocides est régie par un autre texte, le règlement (UE) n° 528/2012 du 22 mai 2012. L'article 5 de ce règlement prévoyait qu'au plus tard le 13 décembre 2013, la Commission devait adopter des actes délégués pour spécifier des critères scientifiques pour la détermination des propriétés de perturbation endocrinienne.

Aucune proposition de définition n'ayant été présentée, une action en carence a été intentée, le 4 juillet 2014, contre la Commission européenne par la Suède, rejointe par la France, les Pays-Bas, la Finlande et le Danemark, mais aussi le Conseil et le Parlement européen. Le Tribunal de l'Union européenne a alors condamné, le 16 décembre 2015, la Commission pour ne pas avoir proposé dans le délai imparti une définition au niveau européen des critères d'identification des perturbateurs endocriniens (affaire T-521/14 Suède contre Commission).

3. Une compétence de l'Union européenne rendant difficile l'action réglementaire individuelle des États membres : le cas de la France
a) L'approbation des substances : une compétence de l'Union européenne

Aujourd'hui, pour les produits phytopharmaceutiques et les biocides, la demande d'autorisation de mise sur le marché d'une substance chimique est évaluée et accordée par une institution européenne.

Pour les produits phytopharmaceutiques, les demandes d'approbation d'une substance chimique sont déposées auprès d'un point de contact national (ANSES : Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail pour la France) qui prépare un premier rapport. Celui-ci sera soumis à l'EFSA ( European Food Safety Authority ). Celle-ci va préparer un second rapport et c'est en tenant compte des conclusions rendues par l'EFSA que la Commission européenne décide d'inscrire, ou non, une substance active sur la liste des substances actives approuvées. Elle présente alors un projet de règlement dans ce sens.

Pour les biocides, les substances actives sont tout d'abord évaluées par une autorité compétente de l'État membre responsable de l'évaluation (ANSES pour la France), et les résultats de ces évaluations sont transmis au comité des produits biocides de l'ECHA ( European chemicals agency ), qui prépare un rapport. Les conclusions de celui-ci permettront à la Commission européenne de décider si la substance doit être approuvée ou non. Elle présente alors un projet de règlement dans ce sens.

En revanche, les autorisations de mise sur le marché des produits, que ce soient des produits phytopharmaceutiques ou des biocides, sont délivrées par l'ANSES au niveau des États membres.

b) La volonté française d'une législation plus restrictive

La France a souhaité mettre en place une législation plus restrictive sur le bisphénol A, perturbateur endocrinien contenu dans les boîtes de conserve, les tickets de caisse ou les jouets notamment.

La loi du 30 juin 2010 interdit le bisphénol A dans les biberons. Cette mesure a ensuite été étendue à toute l'Union européenne en janvier 2011 par une directive européenne.

En revanche, la loi du 24 décembre 2012 interdisant le bisphénol A dans les matériaux en contact direct avec des denrées alimentaires expose la France à un risque de contentieux avec la Commission européenne, qui a choisi de ne pas proposer cette disposition au législateur européen. Ceci montre la difficulté d'une action réglementaire au niveau national, même si elle apparaît justifiée.

c) La stratégie nationale française sur les perturbateurs endocriniens

La prise de conscience de l'importance de ce sujet a conduit le Gouvernement français à s'engager, lors de la Conférence environnementale de septembre 2012, à définir une stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens.

Cette stratégie a été élaborée par un groupe de travail réunissant l'ensemble des parties prenantes et adoptée par le Gouvernement en avril 2014, après avis du Conseil national sur la transition écologique et suite à une mise en consultation publique.

Sa mise en oeuvre constitue l'une des actions phares du 3 e Plan national santé environnement (PNSE 3).

Cette stratégie comprend quatre axes principaux :

- la recherche, la valorisation des travaux et la surveillance des effets des perturbateurs endocriniens ;

- l'expertise sur les substances ;

- l'influence sur la réglementation européenne : une volonté d'aboutir à une classification des perturbateurs endocriniens selon les preuves dont on dispose de leur dangerosité (perturbateurs endocriniens avérés, présumés et suspectés), et la demande de réexamen de l'approbation de 21 substances actives phytopharmaceutiques, tout en proposant des mesures d'accompagnement des industriels dans la recherche de substances alternatives ;

- la formation et l'information des professionnels et du grand public.

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