III. COMPTES-RENDUS SOMMAIRES DES DÉPLACEMENTS À STRASBOURG ET BRUXELLES

1. Déplacement à Strasbourg (21-22 novembre 2016)

Une délégation du Groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne s'est rendue à Strasbourg les 21 et 22 novembre 2016 pour y rencontrer des représentants du Parlement européen et le président de la Cour européenne des droits de l'Homme. Plusieurs sujets ont été abordés : les conditions de sortie du Royaume-Uni, la réforme des institutions de l'Union européenne, la politique de sécurité et de défense européenne, la compétitivité de l'économie européenne et le rôle du couple franco-allemand dans ces domaines.

a) Les conditions de sortie du Brexit

La plupart des entretiens ont souligné la volonté du Parlement européen d'être associé aux négociations sur le retrait du Royaume-Uni. La délégation a ainsi pu rencontrer M. Guy Verhofstadt (Belgique - ADLE), chargé de suivre ces discussions au nom du Parlement européen. Il convient de rappeler qu'aux termes de l'article 50 du traité sur l'Union européenne, si l'accord de retrait est approuvé par le Conseil à la majorité qualifiée, il doit avoir fait l'objet d'une approbation préalable du Parlement européen.

Au sein de celui-ci, M. Verhofstadt rendra compte des négociations en cours devant la conférence des présidents, qui réunit le président du Parlement européen et les présidents des groupes politiques. Ceux-ci devraient désigner un représentant par groupe pour les assister. Au final, 16 parlementaires européens devraient être associés à ces discussions.

Le Parlement européen entend également prendre position immédiatement après la notification par le Royaume-Uni de son souhait de mettre en oeuvre l'article 50. En s'appuyant sur les travaux de ses 23 commissions permanentes, il devrait adopter une résolution résumant ses priorités concernant l'accord de sortie en tant que tel, les mesures transitoires censées le mettre en oeuvre et la nouvelle relation entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

Les échanges avec les députés européens ont souligné une volonté quasi-unanime de ne pas transiger sur les quatre libertés (liberté de circulation des biens, des personnes, des capitaux et des services) dans le cadre du futur accord de partenariat avec le Royaume-Uni. Celles-ci sont indissociables et constituent tout à la fois une source de droits, un ordre de droit et une communauté de droits. Mme Sylvie Goulard (France - ADLE) a ainsi rappelé que l'activation de l'article 50 impliquait une sortie d'un État et non une prise en compte de ses revendications concernant le fonctionnement de l'Union européenne. Les négociations devraient dans tous les cas aboutir à un accord permettant de maintenir un lien avec le Royaume-Uni. Ce lien reposerait notamment sur une contribution de celui-ci au budget de l'Union européenne et impliquerait des obligations. Comme l'a souligné Mme Inge Graessle (Allemagne - PPE), il s'agit dans le même temps d'éviter de créer aux portes de l'Union européenne un nouveau paradis fiscal.

Le président de la Cour européenne des droits de l'Homme, M. Giulio Raimondi, a, quant à lui, rappelé que la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne ne signifiait pas un retrait concomitant de la Convention européenne des droits de l'Homme. M. Raimondi a noté, qu'en dépit des arguments agités lors de la campagne référendaire, la relation entre la Cour et le Royaume-Uni demeurait calme, le pays étant rarement condamné alors que le nombre d'affaires pendantes le concernant était assez faible : 150 dossiers en cours contre 450 pour la France ou 6 000 pour l'Italie. Le président de la Cour a insisté, par ailleurs, devant la délégation sur le pragmatisme dont faisait preuve la juridiction dans les affaires concernant la protection de l'ordre public et la sécurité.

b) Les conséquences du Brexit pour le projet européen

La plupart des interlocuteurs de la délégation ont souligné l'opportunité que représentait le Brexit pour relancer et renforcer le projet européen. Le Brexit s'intègre dans un environnement géopolitique marqué par la victoire de Donald Trump à l'élection présidentielle américaine, la réaffirmation de la puissance russe, les incertitudes au Proche et au Moyen-Orient et leurs conséquences en matière de migration et de sécurité mais aussi le raidissement du pouvoir turc.

L'ensemble de ces éléments doit conduire dans un premier temps à insister sur la politique de sécurité et de défense commune, qui peut être envisagé notamment comme une réponse aux velléités isolationnistes américaines et à un affaiblissement des structures atlantiques. La feuille de route définie par le Conseil européen le 16 septembre à Bratislava fixe à cet égard un cadre. Mme Pervenche Berès (France - S&D) a insisté pour qu'une suite lui soit rapidement donnée et sur le fait que les institutions devaient éviter de se polariser sur les négociations de sortie du Royaume-Uni. Elle a également relevé que la relance de l'Union européenne passait également par une réflexion sur la zone euro, envisagée comme le coeur de l'Union européenne. Ce souhait est partagé par M. Jean Arthuis (France -ADLE) qui a invité les institutions à doter l'Union économique et monétaire de structures de gouvernance dépassant le simple « règlement de copropriété » et d'un budget adapté. Un budget suppose néanmoins une réflexion sur les ressources propres de l'Union européenne. La taxe sur la transaction financière ne fait pas aujourd'hui l'unanimité et s'avère complexe à mettre en oeuvre. Des solutions alternatives pourrait être trouvées, à l'image d'une taxe carbone ou d'une taxe sociale introduite dans les accords commerciaux. Au-delà, il s'agit d'engager une vaste réflexion sur la fiscalité au sein de l'Union et tendre ainsi vers une harmonisation.

La question de la défense et de la sécurité doit être abordée sous l'angle des coopérations structurées renforcées, selon Mme Mercedes Bresso (Italie - S&D). Ces coopérations pourraient servir d'aiguillon pour mettre en place de telles politiques à l'échelle européenne. Il s'agit, à terme, de permettre à l'Union européenne de s'affirmer comme une puissance et non plus comme la simple addition de souverainetés nationales sans institutions adaptées pour les faire converger.

Cette convergence doit également permettre à l'Union de dépasser ses lacunes actuelles, en matière sociale et fiscale comme l'a souligné Mme Isabelle Thomas (France - S&D) ou en matière commerciale, l'Union devant se doter de véritables instruments de défense dans ce domaine selon M. Franck Proust (France - PPE). Le respect de la subsidiarité, envisagé comme un des enjeux du Brexit par M. Hans Olaf Henkel (Allemagne - ECR), doit de son côté être réaffirmé, les citoyens européens devant dans le même temps être mieux consultés sur l'avenir de l'Union européenne d'après Mme Julia Reda (Allemagne - Verts).

Le sujet des instruments de défense commerciale induit une réflexion sur la compétitivité de l'économie européenne. Une table ronde sur ce sujet a d'ailleurs été organisée par la délégation. Elle réunissait plusieurs membres de la commission des affaires économiques et monétaires (ECON) du Parlement européen. Deux angles ont été utilisés pour aborder cette question. Le premier a trait à la politique budgétaire. Comme l'a remarqué Alfred Sant (Malte - S&D) il s'agit aujourd'hui de compléter la politique d'assouplissement quantitatif menée par la Banque centrale européenne par une action en faveur de l'investissement public. Celle-ci ne peut être menée par les États, compte tenu de leurs contraintes budgétaires. Le deuxième angle concerne le cadre dans lequel évoluent les entreprises européennes. M. Markus Ferber (Allemagne - PPE) a insisté sur la nécessité de réviser les règles européennes de concurrence afin de permettre à l'industrie européenne de bénéficier de véritables économies d'échelle et rivaliser ainsi avec ses concurrents internationaux. La taille des marchés pertinents doit notamment être revue, pour permettre à certaines entreprises de s'affirmer à l'échelle continentale.

La plupart de ces enjeux induisent une réflexion commune franco-allemande, sans pour autant que celle-ci ne soit exclusive comme l'ont rappelé Mme Godelieve Quisthoudt-Rowohl (Allemagne - PPE) et M. Michael Galher (Allemagne - PPE). Les échéances électorales de 2017 devraient cependant ralentir la progression des échanges en la matière, selon M. Jakob von Weizsäcker (Allemagne - S&D). Il s'agit pourtant de parvenir à conférer à l'Union européenne une certaine efficacité qu'elle semble avoir perdu face à la crise, dans un contexte marqué au niveau national par la montée des populismes et le rejet des gouvernements sortants.

c) L'avenir des institutions européennes

Le Parlement européen devrait examiner dans les prochaines semaines trois projets de rapport sur l'avenir de l'Union européenne :

- le rapport de Mme Mercedes Bresso (Italie - S&D) et de M. Elmar Brok (Allemagne - PPE) sur l'amélioration du fonctionnement de l'Union européenne en mettant à profit le potentiel du traité de Lisbonne, au nom de la commission des affaires constitutionnelles ;

- le rapport de M. Guy Verhofstadt (Belgique - ADLE) sur les évolutions et les adaptations possibles de la structure institutionnelle actuelle de l'Union européenne, au nom de la commission des affaires constitutionnelles ;

- le rapport de Mme Pervenche Berès (France - S&D) et de M. Reimer Böge (Allemagne - PPE) sur la capacité budgétaire de la zone euro, au nom de la commission des affaires économiques et monétaires.

Ces trois rapports devraient être utilisés pour affirmer la position du Parlement européen à la veille du soixantième anniversaire du Traité de Rome. Celui-ci est envisagé comme un moment clé pour ouvrir un débat sur l'avenir des institutions.

Comme l'a relevé Mme Danita Hübner (Pologne - PPE), présidente de la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen, la réforme institutionnelle doit être progressive. La première étape consiste à utiliser les ressources du traité de Lisbonne. Mme Bresso a d'ailleurs insisté au cours de ses échanges avec la délégation sur le potentiel inexploité du traité. Celui-ci doit notamment permettre une fusion des postes de président de la Commission européenne et de président du Conseil européen. Elle doit être accompagnée à terme d'une mutation du Conseil en une véritable chambre législative, un Sénat de l'Union européenne. Les traités ne permettent pas actuellement une telle évolution. La solution pourrait passer dans un premier temps par une réorganisation du travail du Conseil. Seul le Conseil affaires générales - réunissant les ministres des affaires étrangères - prendrait les décisions, les formations sectorielles travaillant comme des commissions. Ce changement de méthode est censé garantir plus de transparence et de publicité aux travaux du Conseil. À terme et après révision du traité, il pourrait être envisagé que le Conseil soit composé de représentants des parlements nationaux et non plus des membres de gouvernements. Le système institutionnel serait, de la sorte, proche d'un modèle fédéral ou confédéral.

Cette réforme du Conseil va de pair avec un approfondissement des pouvoirs du Parlement européen, qui devrait être doté d'un pouvoir d'initiative. Avant la mise en place du Sénat européen, il apparaît souhaitable que la coopération entre les parlements nationaux et le Parlement européen soit renforcée. Mme Bresso insiste sur l'importance des coopérations dans certains domaines précis qu'elle juge plus efficaces que la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), par essence plus généraliste. Elle a accueilli favorablement la proposition de la délégation de mettre en place un travail de colégislation, associant sur un texte en cours d'examen le rapporteur du Parlement européen et des représentants des parlements nationaux travaillant sur ce sujet. Ce travail en commun se traduirait par des réunions régulières entre le rapporteur et les représentants des parlements nationaux destinées à préciser les contours du texte. Mme Bresso s'est montrée cependant plus réservée sur un droit d'initiative des parlements nationaux ou carton vert, jugeant que celui ne pouvait se traduire par la présentation d'une proposition de texte mais par une invitation adressé à la Commission pour qu'elle légifère. Il s'agit, selon elle, d'éviter un conflit à venir sur la recevabilité des propositions des parlements nationaux par les institutions européennes. Mme Bresso milite cependant pour que les parlements nationaux puissent transmettre, à l'instar du Parlement européen, des rapports d'initiative sur un sujet relevant de la compétence de l'Union européenne.

L'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'Homme, prévue par le traité de Lisbonne, demeure quant à elle à l'arrêt, suite à l'avis négatif émis en 2013 par la Cour de justice de l'Union européenne. La coopération entre celle-ci et la Cour européenne des droits de l'Homme est cependant satisfaisante, des rencontres régulières entre les présidents des deux institutions étant organisées. La Cour de Strasbourg relève en outre que la Cour de Luxembourg respecte sa jurisprudence dans les arrêts qu'elle rend.

2. Déplacement à Bruxelles (5 et 6 décembre 2016)

Une délégation du Groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne s'est rendue à Bruxelles les 5 et 6 décembre 2016 pour y rencontrer des représentants de la Commission européenne.

a) L'avenir des grandes politiques européennes et le financement de l'ambition de l'Union
(1) Entretien avec avec Mme Elisabetta Siracusa cheffe-adjointe du cabinet de M. Phil Hogan, commissaire chargé de l'agriculture et du développement rural

- Discussion générale sur l'avenir de la PAC en 2017

Madame Siracusa a rappelé l'importance de l'année 2017 au cours de laquelle la Commission lance une consultation publique sur la révision et l'avenir de la PAC. Les États membres auront pour leur part la possibilité d'adresser directement leurs contributions à la Commission parallèlement aux discussions qu'ils mèneront sur ce sujet au sein de conseil.

La France a déjà engagé sa réflexion et devrait avoir défini sa position avant l'été. Le Président Bizet a indiqué que le Sénat contribuerait à cette réflexion et convenu avec le cabinet Hogan d'un rendez-vous au cours de l'année 2017 pour faire part des réflexions de notre Assemblée.

Entre les États membres le principal clivage n'est pas aujourd'hui celui qui séparerait États libéraux et États plus régulateurs. Selon Mme Siracusa, le débat porte en fait sur la place accordée à la PAC par rapport à d'autres politiques dans un contexte budgétaire qui s'annonce tendu.

Elle a néanmoins tenu à rappeler que l'agriculture figurait bien parmi les dix priorités affichées par le président Juncker dans son dernier discours sur l'état de l'Union et que la PAC servait d'autres priorités que la seule agriculture, notamment en matière économique et environnementale.

- Les grands objectifs de la Commission en matière agricole

Madame Siracusa a reçu le groupe de suivi la veille de la Conférence annuelle sur les perspectives de l'agriculture européenne. Elle a indiqué quels seraient les trois grands objectifs que le commissaire annoncerait à cette occasion :

ü Objectif renforcer la résilience du secteur agricole face à la volatilité des coûts

Madame Siracusa a rappelé que les mécanismes de soutien aux revenus avaient été fortement mobilisés pour faire face aux crises sectorielles (lait, porc, fruits et légumes) en particulier à compter de 2014 lorsque l'embargo russe a aggravé la situation. En plus de l'intervention et du stockage privé, la Commission a même assoupli les règles d'emploi des programmes des stabilisations du revenu (activés dès que le revenu diminuait de 20 % contre 30 % prévus par l'OM).

A la question du président Bizet sur la nécessité de se doter d'outils plus efficaces et plus réactifs face aux crises, Mme Siracusa a considéré que le soutien direct (aujourd'hui 47 % des revenus des agriculteurs) devait demeurer la base de la politique européenne et que les mécanismes assurantiels existant aux États-Unis n'étaient pas adaptés à notre situation (notamment parce que les États-Unis disposent d'une réaction financière qui n'existe pas en Europe). Cela dit, elle a considéré que la discussion était ouverte sur la création de nouveaux outils face à l'instabilité des cours.

ü La durabilité

Comme indiqué plus haut à propos des priorités de l'UE, l'agriculture présente l'avantage de contribuer à l'objectif de développement durable. Cette contribution constitue un argument supplémentaire au soutien au secteur agricole. L'entretien a toutefois été l'occasion de rappeler que les exigences environnementales sont parfois perçues comme trop lourdes par les agriculteurs au point de décourager leurs activités.

ü Le renouvellement des générations

Face aux constats d'une agriculture européenne vieillissante, la Commission européenne pourrait annoncer en 2017 la mobilisation de nouveaux outils en faveur de l'installation des jeunes dans le prolongement des mesures déjà existantes en particulier en France.

Sans attendre ces réflexions, Mme Siracusa a, d'une part, rappelé que cette année, la Commission avait pour la première fois développé des actions spécifiquement dédiées aux jeunes agriculteurs et que d'autres part, les pistes aujourd'hui envisagées portaient sur la création d'instruments financiers (pour permettre aux jeunes d'accéder au financement), le développement d'outils d'assurance et l'utilisation des nouvelles technologies dans l'agriculture.

- Questions relatives à la task force sur la PAC

Le Président Bizet a estimé qu'en France, la politique de la concurrence contrairement à l'esprit originel du traité de Rome, était devenu trop favorable au consommateur au détriment des producteurs. Pour sa part, Mme Siracusa s'est contenté de dire que la Task Force avait pour mission d'apporter « certaines clarifications » en matière de concurrence et que la contractualisation était un des moyens de lutter contre les pratiques commerciales déloyales.

(2) Audition de Mme Kristalina Georgieva, vice-présidente de la Commission européenne en charge du budget et des ressources humaines

Mme Kristalina Georgieva a souligné le besoin de réinventer l'Europe en la changeant. C'est pour cela qu'elle a indiqué apprécier particulièrement la démarche du groupe de suivi.

Quels sont les principaux paramètres du changement et comment les actionner ?

Il faut répondre au Brexit avec calme et sans permettre que cette question soit à l'origine de division entre les États membres sur des questions budgétaires. La sortie du Royaume-Uni va entraîner une perte de recettes nette mais comme la contribution du Royaume-Uni est inférieure à ce qu'elle devrait être grâce à Mme Thatcher... On parle de 5 à 7 milliards par an donc d'un montant certes conséquent mais pas suffisant pour briser l'Union européenne. Si le Royaume-Uni sortait effectivement en 2019 cela aurait lieu deux ans avant la fin du cadre financier pluriannuel actuel. Deux options se présentent : soit réduire les actions prévues, soit augmenter les contributions budgétaires nationales. Une troisième possibilité serait de mettre fin au cadre financier actuel et d'en lancer un nouveau plus tôt. L'avantage de cette option serait de s'extraire de la discussion entre les 27 États membres pour savoir qui doit payer plus ou moins. Cela accélèrerait la mutation vers une nouvelle forme de budget. Le défaut est qu'il faudrait commencer la discussion plus tôt. Il est toutefois possible d'y parvenir.

De toute façon nous ignorons encore si le Royaume-Uni va vraiment sortir et si oui à quelle date. Les évènements politiques au Royaume-Uni montrent que ceux qui ont plaidé pour le Brexit en payent déjà le prix. Au delà de ce qui est officiel, un mouvement de fond s'enclenche mais on ignore en tout cas la date de sortie effective. De toute façon les négociations sur le budget seront très difficiles.

Quel budget faut il prévoir pour l'avenir ? Sans parler du montant et de la taille globale, il faut d'abord décider où doivent se situer le prochain cadre financier pluriannuel pour lutter contre l'euroscepticisme.

Trois caractéristiques fondamentales doivent être retenues. Tout d'abord être plus près des citoyens à la fois en recettes et en dépenses. Le rapport Monti devrait bientôt conclure sur une simplification des recettes et proposer de privilégier de véritables ressources propres. Pour cela il faut réformer en même temps les recettes et les dépenses.

Il faut, ensuite, un budget plus flexible afin de faire face à des évolutions et des demandes soudaines. Enfin, le budget doit plus s'orienter vers des actions apportant véritablement une valeur ajoutée européenne. Il faudrait démontrer que chaque euro dépensé au niveau de l'Europe est mieux dépensé qu'au niveau national. Ce sera difficile mais c'est nécessaire. Aujourd'hui le budget autorise une paix financière à travers un équilibre entre les intérêts parfois divergents des États membres. Mais les défenseurs du rabais vont être moins forts avec le départ du Royaume-Uni. Ce qui sera déterminant sera notre audace. Peut être parviendrons nous finalement à un budget faible mais il faut être ambitieux au départ.

La taille du budget est en effet modeste à 1 % du PIB de l'Union. Mais cela fait quand même 150 milliards par an qui, bien investis, peuvent faire la différence. Faut il augmenter ce montant ? Cela dépend des paramètres qui définissent la valeur ajoutée européenne. Si on finance des pièces détachées dans un Land riche en Allemagne, les Allemands sont contents mais ne pourrait on faire d'autre chose avec le budget européen ?

Le problème des variations de change semble un sujet annexe car les montants en jeu sont faibles. Le problème est plutôt l'absence de flexibilité pour gérer le cadre financier pluriannuel car il faut à chaque fois passer par un budget modificatif. Certains États membres doivent aussi à chaque fois saisir leur Parlement national ce qui alimente parfois des sentiments anti-européens.

En termes de gestion, nous souhaitons mettre l'accent sur la performance, sur le rapport coût/bénéfice, plus que sur le respect strict des règles. On a instillé une culture de l'économie et de qualité et cela est nécessaire pour lutter contre le sentiment anti-européen.

Une réforme du budget est donc en cours en augmentant la flexibilité. Par exemple, nous avons multiplié par trois l'aide aux réfugiés, nous avons créé le fonds européen des investissements stratégiques en prenant une petite tranche du budget et en la transformant en garantie...

Le budget de l'Union est au coeur de la cohésion européenne. C'est pourquoi il faut avoir un bon budget et une dépense de qualité. Il faut d'ailleurs passer à l'étape suivante et investir la sécurité et la défense.

A été créée l'année dernière une application « EURESULTS » pour mobile qui permet de savoir quelles dépenses sont faites par pays, détaillées par projet. L'objectif est d'apporter de la transparence pour les citoyens, pour ceux qui s'y intéressent. Pour l'instant le projet est encore en phase pilote et la base sera augmentée au fur et à mesure.

Le FEIS constitue un choix rationnel car on sait que les liquidités sont très abondantes dans le système bancaire. L'idée est de réduire la perception du risque en offrant une garantie. En un an on a pu faciliter 140 milliards d'investissement du secteur privé. Les premiers projets sont pour l'instant plutôt localisés dans les pays les plus développés et certains d'entre eux auraient pu fonctionner sans la garantie européenne mais, malgré cela, on a constaté un impact positif sur la relance de l'investissement dans l'économie européenne.

Sur la question des ressources propres, le rapport Monti va recommander d'avoir recours à une fiscalité qui s'approche de la valeur ajoutée européenne. La préférence irait vers des taxes liées à l'existence de l'Union européenne. Un exemple : les droits de douanes sont associés à l'Union et alimentent le budget. Une piste pourrait être la création d'une taxe uniforme sur une assiette fiscale consolidée pour l'impôt sur les sociétés. Une autre solution pourrait aussi être une taxe carbone qui serait une source de revenus pour l'Union.

Le montant du budget dépend de ce qu'on veut en faire. Si on y inclut une politique commune de défense, de contrôle de nos frontières, de sécurité, de recherche... Dans ce cas, les pays membres vont pouvoir économiser sur leur propre budget. Mais tout cela n'est possible que si la qualité de l'action européenne est crédible.

Les jeunes croient toujours en l'Europe mais il faut leur en apporter une déclinaison politique. Mon optimisme vient de la comparaison avec l'histoire des États-Unis. Je suis franche, nous sommes une Union jeune composée de seniors. Qui a voté au Royaume-Uni ? Ceux qui voulaient rester sont les plus jeunes, les plus formés. La question est donc de conduire les jeunes à voter et à se mobiliser. En France, la démographie est plus favorable, en tout cas bien meilleure qu'en Bulgarie où la population est de moins en moins nombreuse à l'exception des minorités. Cela contribue potentiellement à des tensions.

Le président Bizet a souligné que le Sénat suit avec beaucoup d'attention le plan Juncker. Il appelle de ses voeux un troisième volet pour accompagner les « start up » et les faire rester en Europe.

Mme Kristalina Georgieva a exprimé son accord. C'est nécessaire si on veut une Europe compétitive. On y travaille déjà dans le cadre de la deuxième étape du plan Juncker.

(3) Audition de Mme Corina Cretu, commissaire européenne à la politique régionale

Mme Corina Cretu, commissaire à la politique régionale, a mis l'accent sur les points suivants :

- Le Royaume-Uni a adopté le cadre financier pluriannuel 2014-2020, dont les montants sont déjà alloués. S'il était amené à se retirer en 2019, les équilibres financiers seraient bouleversés. La nécessité de mener le CFP à son terme sera l'un des enjeux de la négociation à venir avec le Royaume-Uni. Après le retrait de ce dernier, le budget de la politique régionale diminuera ; tous les programmes sont susceptibles d'en subir l'impact.

- La décentralisation régionale française est un modèle pour d'autres pays de l'Union européenne. Néanmoins, la proposition, émise par les bénéficiaires français de la politique régionale, de regrouper l'ensemble des fonds structurels en un fonds unique, suscite des oppositions au sein de la Commission. Plutôt qu'un fonds unique, ce sont des règles uniques qui pourraient être envisagées.

- Un groupe de haut niveau sur la simplification de la politique de cohésion a avancé des propositions : différencier en fonction de la structure des États, établir des règles uniques, accroître les synergies avec le FEIS afin de dégager un effet de levier maximal. Un nouveau règlement doit être adopté en 2018. Un forum aura lieu en juin 2017 (cohesion policy forum) : la commissaire propose de venir avant au Sénat, dans le but de collecter des idées. Le président Jean Bizet lui suggère de transmettre préalablement au groupe de suivi une liste de questions, afin d'alimenter la réflexion, si possible avant mars 2017.

- Les principaux enjeux de la réforme de la politique de cohésion sont :

ü La flexibilité : trouver un équilibre entre stabilité des investissements et gestion des imprévus. Les programmes opérationnels ont par exemple été adaptés en Italie et en Grèce, pour répondre à la crise des réfugiés.

ü Les résultats : des indicateurs de performance sont nécessaires. La conditionnalité ex ante doit faire l'objet d'une réflexion (lien entre programmes et réformes structurelles). Un équilibre doit être trouvé entre simplification et contrôle.

- En réponse à une question sur les moyens de « recoudre » le tissu territorial français, la commissaire a indiqué qu'elle travaillait, avec le commissaire à l'agriculture, sur une approche intégrée entre politique régionale et PAC (lutte contre la fracture numérique, avenir des jeunes en milieu rural...). Une réunion pourrait être organisée en Normandie à ce sujet.

S'agissant des régions ultrapériphériques, une communication spécifique leur sera consacrée en 2017. Une réunion entre le président de la Commission européenne et les présidents des RUP est prévue en mars. La prochaine conférence annuelle des présidents des RUP aura lieu en Guyane française.

(4) Audition de Mme Del Breanna, chef-adjoint du cabinet de M. Carlos Moedas, commissaire européen chargé de la recherche de la science et de l'innovation

Trois priorités sont identifiées dans le prochain programme cadre :

- la sélection de projets sur la base de l'excellence,

- l'impact des projets en termes de valeur ajoutée mais aussi de conséquences sur la croissance et l'emploi,

- l'ouverture à l'international.

Le développement de ces trois axes doit permettre de contribuer à la perception positive de l'action de l'Union européenne car la recherche et l'innovation devraient plus contribuer à cet effort d'image auprès des citoyens. On sait encore trop peu en effet que les trois prix Nobel de chimie cette année sont trois Européens dont les travaux ont été financés par des fonds européens.

Au delà de ces orientations, le cabinet du commissaire a souligné les points suivants :

- Les enjeux budgétaires

La recherche et l'innovation ne sont pas encore perçues par les ministres de finances européens comme un enjeu fondamental au niveau européen. Le commissaire tente en conséquence de sortir les négociations du cadre strict du Conseil « compétitivité » en les incluant dans la réflexion les ministres des finances.

- Les enjeux de communication

Il convient de développer la conscience du grand public sur les actions concrètes et positives de l'Union européenne dans le domaine de la recherche. Dans ce secteur, la plus-value européenne peut de plus être aisément perçue dès lors que les standards de qualité retenus sont très élevés. Le projet du commissaire est l'intensification de la communication sur les réalisations concrètes des projets européens afin d'accompagner le courant politique qui reconnaît de plus en plus la place croissante de l'innovation au centre des projets de société.

- Les synergies avec les fonds structurels et le Plan Juncker

HORIZON 2020 a un budget de 80 milliards mais c'est un programme d'excellence très sélectif avec un taux de rejet très élevé. Ce budget est insuffisant pour accepter toutes les demandes et ce d'autant plus qu'il faut aussi penser à inclure les pays les moins performants en terme de recherche et d'innovation. Il est dès lors nécessaire de renforcer la synergie avec le budget des fonds structurels. Il faut veiller à orienter les fonds structurels de plus en plus vers l'innovation en diminuant la part relative au financement de l'infrastructure. Cette mutation a déjà commencé en France mais cette tendance reste encore trop limitée au sein de l'Union.

On peut relever d'ailleurs qu'actuellement 20 à 25 % des projets du plan Juncker sont labellisés comme des projets relevant de la recherche et l'innovation. M. Bizet rappelle qu'en France, on assiste à l'émergence de nombreuses start-up du secteur digital dont le développement se fait souvent dans d'autres pays. La question se pose dès lors d'une nouvelle orientation du Plan Juncker.

Pour répondre à cette problématique, le commissaire Moedas envisage d'ouvrir le périmètre du financement en y intégrant plus largement le numérique qui est considéré comme stratégique au même titre que le secteur de l'énergie. Concrètement, un fonds de fonds a été lancé récemment au niveau européen sur proposition du commissaire. Il s'agit d'une structure qui vient chapeauter des fonds de capitaux risque qui investissent dans l'espace européen en y apportant un complément de financement. Un appel d'offres a été lancé pour trouver un gestionnaire privé de ce fonds qui sera financé par un effet de levier de l'ordre de 4 ou 5 sur le budget européen.

b) L'avenir du fonctionnement de l'Union
(1) Audition de M. Herman Van Rompuy, ancien président du Conseil européen

M. Van Rompuy a souligné qu'il ne pouvait avoir l'ambition d'apporter une réponse complète à la question très ambitieuse de la refondation de l'Union européenne. Il a souhaité souligner plusieurs constats qui doivent permettre de façon préalable l'analyse de la situation actuelle.

L'Union européenne est l'addition des États membres et plus précisément de la situation de chaque État membre. La crise de l'Union européenne est donc aussi et surtout une crise de nos démocraties nationales. Il ne faut pas faire trop vite le procès de l'Union européenne sans faire l'analyse des racines profondes du malaise au sein des États membres. D'ailleurs les thèmes de préoccupation - la mondialisation, la migration, le terrorisme, la prétendue opposition aux élites - sont identiques aux États-Unis mais, en Europe, depuis 2008, une association négative s'est opérée entre la crise financière et l'Union.

Quand on parle refondation de l'Union européenne, on évoque fréquemment un volet institutionnel, voire un nouveau traité. En Europe, on a tendance à répondre à une crise par la création de nouvelles institutions et de nouveaux postes. Les réponses purement institutionnelles ne sont pourtant pas de nature à apporter une solution à la crise de l'Europe. Elles présentent de plus le désavantage d'une mise en oeuvre très longue.

M. Van Rompuy n'est pas favorable au projet de fusionner président du Conseil européen et président de la Commission. Quels sont en effet les impacts réels de cette disposition ? Elle présente le risque de l'introduction de la méthode intergouvernementale dans la méthode communautaire. En tout état de cause, le rôle des États membres reste et restera central.

Il existe d'autres priorités que les révisions institutionnelles et ce n'est pas le bon agenda. Il faut au contraire être plus ambitieux notamment dans l'approfondissement de l'Union économique et monétaire et avancer sur les chemins que l'on connaît déjà, comme l'Union bancaire par exemple.

Au sein de l'Union, il y a toujours des difficultés liées au transfert de souveraineté et à la mise en place d'une solidarité accrue. Or, depuis les années 2013-2014, rien n'a été réalisé en ce sens. Le résultat en est, par exemple, que nous ne sommes actuellement pas suffisamment armés pour gérer une crise de la zone euro. Schengen et l'euro ne sont pas équipés pour affronter les crises, la crise grecque n'avait pas été anticipée. Mettre en place ces outils de gestion des crises n'est jamais très populaire politiquement. Même constat en ce qui concerne la défense, la politique sur l'union de l'énergie et celle du numérique.

La question de la redynamisation de l'Union européenne, préférée à celle de la refondation, est fortement liée à celle de savoir comment garder une société ouverte tout en protégeant nos concitoyens. L'Union a déjà beaucoup oeuvré pour lutter contre les menaces comme l'instabilité financière, mais il reste le terrorisme, les migrations... Comment protéger nos frontières et avoir une politique commune d'asile et d'immigration ? Il faut parvenir à concilier ouverture et protection. Cette dimension devrait être l'élément clé des agendas nationaux et européens. Les citoyens européens veulent être plus protégés que par le passé. C'est possible de le faire sans changer les institutions.

Les citoyens ont conscience que les solutions aux problèmes actuels ne se trouvent qu'au niveau européen. D'ailleurs, ce n'est pas parce qu'une compétence est nationale qu'il faut s'empêcher d'y travailler au niveau européen. Tout le monde sait que, souvent seule l'Europe peut résoudre les difficultés actuelles mais personne ne le dit et défend la cause européenne. Dans ce contexte, le couple franco allemand est indispensable pour redynamiser le projet européen. Mais, au delà du déficit démocratique, il y a surtout un déficit de leadership.

La création d'une identité européenne est un enjeu mais les outils mis en place ont été jusque là peu opérants. Ce n'est peut-être plus une priorité car, en réalité, il s'agit maintenant de montrer que l'Europe est pertinente pour résoudre les problèmes.

(2) Audition de M. Jeppe Tranholm-Mikkelsen, secrétaire général du Conseil de l'Union européenne

M. Jeppe Tranholm-Mikkelsen a tout d'abord présenté un diagnostic de la situation :

- Les élites et vérités établies sont sous pression dans tout le monde occidental. Ce phénomène résulte d'une mondialisation qui n'a pas profité à tous, et d'un sentiment de perte de contrôle.

- La confiance dans l'UE a subi successivement l'impact des crises financière et migratoire.

- Les sujets les plus importants pour les citoyens de l'UE sont : les migrations, la sécurité et les questions économiques et sociales ; soit les sujets discutés lors du sommet des 27 à Bratislava.

- La crise migratoire de 2014-2015 est sans précédent. Au moment de la crise yougoslave, il y a eu 600 000 migrants/an. En 2015, ce chiffre était doublé (+ d'1,2 millions). L'UE s'est d'abord focalisée sur la question de la relocalisation, alors que le nombre de migrants continuait d'augmenter. À partir de septembre 2015 toutefois, l'accent a été mis sur le contrôle des flux. On est passé de 7 000 migrants/jour en octobre 2015 à 100 migrants/jour aujourd'hui. Cette question dépend beaucoup de l'attitude de la Turquie, pays qui sera évoqué lors du Conseil de décembre prochain. Par ailleurs, 173 000 migrants, non-syriens, sont passés par la Méditerranée centrale en 2016 (chiffre arrêté au 1/12/2016).

- Les questions relatives à la sécurité interne et externe font l'objet de divergences entre les États membres et le Parlement européen (par exemple sur la question de la protection des données). De nouvelles lignes directrices vont être adoptées sur la coopération dans le domaine de la défense (augmentation des capacités et de l'efficacité des moyens disponibles).

- Dans le domaine de la coopération économique et sociale, et de la jeunesse, le plan Juncker doit être prolongé. Les fonds à destination de la jeunesse seront augmentés. Les autres enjeux majeurs sont : la finalisation de l'union bancaire, l'union des marchés de capitaux, la convergence dans la zone Euro et le suivi du rapport des cinq présidents. Le sentiment général est toutefois qu'il sera difficile de donner une impulsion supplémentaire sur ces sujets avant les élections qui doivent avoir lieu en 2017 en France et en Allemagne.

- Sur le Brexit, dès le 29 juin 2016, les 27 ont indiqué qu'il n'y aurait aucune négociation avant notification du retrait britannique (attendue pour fin mars 2017). C'était la seule manière de faire pression sur le Royaume-Uni pour que soit lancée la procédure (art. 50). Le Royaume-Uni demeurera un partenaire proche mais l'accord qui sera trouvé devra respecter un principe d'équilibre entre droits et obligations. L'accès au marché unique passe par l'acceptation des quatre libertés à tous les stades, c'est-à-dire y compris lors d'une éventuelle phase de transition. C'est au Royaume-Uni de dire à quel niveau il souhaite que cet équilibre entre droits et obligations soit établi.

- Sur le fonctionnement institutionnel de l'UE : la Commission doit être à l'écoute du Parlement européen et des États membres. Le discours du président Juncker sur l'état de l'Union s'est fait l'écho de cette nécessité. C'est aussi l'esprit du sommet de Bratislava. Sans les États membres, aucune décision ne peut être mise en oeuvre. La méthode communautaire demeure essentielle mais la famille doit progresser ensemble.

- Sur le rôle des parlements nationaux, c'est l'un des éléments de la nouvelle approche incluant davantage les États membres ; toutefois, il ne paraît pas souhaitable de modifier les traités.

- Le Conseil doit être l'organe politique de contrôle des négociations avec le Royaume-Uni, ce qui devrait être prochainement confirmé. La Commission sera en charge des négociations ; son expertise est nécessaire, étant donné la complexité du sujet. Mais elle sera suivie de près par le Conseil et par un groupe de travail dont le président devrait constituer un référent fixe, aux côtés du président du Conseil qui change, lui, tous les six mois. Le prochain Conseil européen doit clarifier les rôles de chacun.

- Le président Jean Bizet a indiqué que le Sénat avait réalisé des travaux sur le numérique (rapport de Mme Catherine Morin-Desailly) et pouvait donc contribuer à la réflexion sur l'Europe du numérique. Il paraissait nécessaire de faire d'abord converger la France et l'Allemagne.

(3) Entretien avec M. Anthony Agotha, conseiller de M. Frans Timmermans, Premier Vice-président de la Commission européenne

- Le contexte

De façon encore plus marquée que chez nos autres interlocuteurs, M. Agotha a dressé un tableau très préoccupant de la situation actuelle.

• Au plan externe

Selon des propos prêtés à M. Timmermans l'UE doit aujourd'hui faire face à un monde dans lequel « plus rien n'est inimaginable, y compris la guerre ».

De façon encore plus marquée que chez nos autres interlocuteurs, M. Agotha a dressé un tableau très préoccupant de la situation actuelle.

Par exemple, avec Donald Trump et Vladimir Poutime, rien ne garantit qu'une crise comparable à celle des fusées de Cuba trouverait aujourd'hui un cadre permettant d'éviter l'escalade.

• Au plan interne

L'UE voit déjà se dessiner des risques de fractures notamment entre l'Europe de l'ouest et les pays Visegrad. Les négociations sur le Brexit pourraient les aggraver, le Royaume-Uni risquant de négocier sur certains points directement avec ces pays.

Au sein même du coeur historique de l'Union européenne, certains soutiens au projet européen pourraient aussi se fragiliser. Face à ce dernier risque, il a tenu à rappeler l'importance essentielle du maintien de la France dans le camp des promoteurs de l'Europe. Il a aussi indiqué que son pays d'origine (les Pays-Bas) était, contrairement à sa tradition, de plus en plus en plus sensible à l'idée d'une avant-garde européenne de quelques États.

- Quelles réponses ?

M Anthony Agotha ne croit pas qu'une modification des institutions européennes par une révision des traités soit utile et encore moins réaliste. Plus fondamentalement, il considère que l'Union européenne est aujourd'hui confrontée à un problème d'équilibre entre deux impératifs contradictoires : sa légitimité et son efficacité.

Face à l'ampleur des crises, la Commission devrait en principe sortir d'un rôle de simple régulateur pour devenir un véritable acteur et ce pour des raisons d'efficacité de l'action européenne.

Néanmoins, même lorsque les citoyens en appellent à ce type d'actions communes au niveau de l'Europe, ils dénient dans le même temps à la Commission, la légitimité pour les conduire. M. Agotha estime même que ce paradoxe s'applique par exemple aux négociations commerciales internationales comme l'a démontré le procès en légitimité dont la Commission européenne a été l'objet à propos du CETA et du TITIP.

Dans le tableau sombre dressé par M. Agotha, une perspective intéressante est néanmoins apparue. Il s'agirait de proposer à quelques-uns des avancées aboutissant à placer les pays les moins pro-européens sur la défensive et non plus dans une posture bien commode de critique perpétuelle.

Il ainsi rappelé que l'évocation par le Parlement néerlandais (sous la présidence de ce pays en 2015) de la possible création d'un « mini Schengen » (à l'ouest de l'UE) avait suscité des inquiétudes de la part des pays de Visegrad qui s'étaient jusque-là tenu à une critique permanente de l'espace Schengen.

Cet entretien a aussi été l'occasion pour les membres du groupe de suivi de faire passer un certain nombre de messages concernant la nécessité d'avancées dans des domaines-clefs tels que la défense et le numérique.

c) Entretien avec M. Philippe Mahoux, président du comité d'avis pour les affaires européennes du Sénat de Belgique

- À propos de la Belgique

À propos des récents événements relatifs à la ratification du CETA, Le président Mahoux a rappelé à la délégation le fonctionnement complexe des institutions belges, aboutissant notamment à ce que les compétences touchant à l'Union européenne soient partagées entre le parlement fédéral et les 8 parlements fédérés. Tout en confirmant que, du fait de sa culture politique nationale, la Belgique demeurait traditionnellement favorable au fédéralisme européen, il a toutefois précisé que ce point de vue était désormais à nuancer s'agissant de la majorité au pouvoir en Flandre (qui intègre un parti nationaliste).

- Sur les questions européennes

Fervent partisan de nouvelles avancées dans l'intégration européenne, Philippe Mahoux a regretté que ne soient pas utilisés les outils prévus par le Traité de Lisbonne pour permettre à quelques États membres d'aller plus avant (coopération renforcée). Il a également estimé que le domaine de la défense était propice à ce type d'initiative. Il a aussi considéré comme bienvenue la proposition du Président Bizet de renforcer notre coopération sur la question du numérique.

- Concernant le Brexit

M. Mahoux s'est déclaré partisan d'une ligne ferme. Il a aussi estimé que des risques de dissensions au sein des 27 pourraient exister lors des négociations.

M. Jean-Pierre Masseret l'a ensuite interrogé sur le risque de voir les États-Unis de Donald Trump soutenir le Royaume-Uni dans les négociations en procédant à un chantage quant aux perspectives de retrait des forces américaines d'Europe. En effet, on sait que ces sujets demeurent extrêmement sensibles pour les pays de l'est de l'Union européenne. Le président Mahoux a considéré que ce risque n'était pas évident notamment parce que le Royaume-Uni demeurera un élément essentiel de l'Alliance atlantique et que sous une forme ou une autre, nos intérêts communs et nos coopérations en matière de défense demeurent essentielles pour chacune des parties.

d) Entretien avec M. Pierre Sellal, ambassadeur de France, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne

- Sur la Turquie, l'ambassadeur a relativisé le levier dont dispose le président Erdogan vis-à-vis de l'Union européenne.

ü En premier lieu, les Syriens ne partiront de Turquie vers l'Europe que si celle-ci a la volonté de les accueillir. La fermeture de la route des Balkans a eu un effet au moins aussi décisif que l'accord Union européenne -Turquie.

ü En deuxième lieu, la Turquie a besoin de l'aide financière de l'Union européenne (3 milliards d'euros).

ü En troisième lieu, le président Erdogan n'a pas réellement d'alternative compte tenu de l'état de ses relations avec ses voisins.

- Jusque-là, chaque partie trouvait un intérêt au processus d'adhésion à l'Union européenne. Mais rester sur ce chemin implique qu'on ne sait pas quel en sera l'aboutissement. Est-ce encore tenable ? Notre intérêt est en tout cas d'éviter de casser une relation stratégique.

- Le Royaume-Uni pourrait utiliser son pouvoir de blocage au sein de l'Union européenne, notamment sur les dispositions à l'égard des « pays tiers », qui deviennent beaucoup plus stratégiques qu'auparavant. Le coût du divorce s'élève pour le Royaume-Uni à 50 milliards d'euros. Le Royaume-Uni pourrait demander à ce que soit pris en compte dans la négociation son apport passé aux actifs de l'Union européenne; mais si l'on se place dans une logique de « sortie de copropriété », cette demande ne devrait pas aboutir.

- Sur le calendrier, la Cour Suprême devrait confirmer en janvier la décision de la Haute Cour de Londres. Toutefois, si la Cour Suprême saisit la CJUE, la décision sera alors reportée (d'environ six mois). La Première ministre Theresa May devrait ensuite déposer devant la Chambre des Communes un texte lui donnant le pouvoir de négociation. Son objectif est que ces négociations aboutissent avant les élections générales de 2020 au Royaume-Uni. Une solution transitoire pourrait si nécessaire être trouvée, s'agissant des députés britanniques au Parlement européen (par exemple, prolongation de leur mandat jusqu'au retrait effectif du Royaume-Uni).

- L'idée que les six pays fondateurs pourraient aller ensemble plus loin dans l'intégration est moins prégnante qu'il y a quelques mois.

ü L'objectif est plutôt de maintenir l'unité des 27 afin d'éviter que l'exemple britannique ne fasse des émules.

ü En matière fiscale, des progrès ont été réalisés depuis trois ans, sous la pression des États-Unis (qui craignent le départ vers l'Europe d'entreprises américaines). Les 6 n'ont pas intérêt à avancer seuls sur ces sujets.

ü Enfin, la plupart des lignes de fracture de l'Union européenne traversent aussi les États fondateurs.

- Des coopérations renforcées sont néanmoins envisageables sur : la taxe sur les transactions financières, le Parquet européen (protection des intérêts financiers de l'Union).

- Sur la question de la juridiction unifiée du brevet, et des conséquences du Brexit, une note doit être fournie au groupe de suivi.

- Sur les instruments de défense commerciale, le Conseil est divisé (14/14). Pour les États du nord et de l'est de l'Union européenne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, l'intérêt des consommateurs, transformateurs et traders prime. 10 % seulement des Européens travaillent dans le secteur de l'industrie. Le Danemark commercialise beaucoup de produits chinois. Les Allemands sont ambivalents selon les secteurs. De façon plus surprenante, l'Italie s'est également opposée au renforcement de la défense commerciale de l'Union. Renverser la position italienne pourrait permettre d'aboutir. La position de nos partenaires pourrait évoluer sous l'effet des surcapacités chinoises, combinées à un durcissement des conditions d'accès au marché américain, qui détournerait les produits chinois vers le marché européen.

- S'agissant des effets extraterritoriaux de certaines lois américaines, et de l'ouverture des marchés publics, le minimum serait d'exiger des États-Unis la réciprocité. En cas de nouvelles mesures protectionnistes américaines, la réactivité de l' l'Union européenne risque d'être faible. Une saisine de l'OMC pourrait prendre de six à dix-huit mois. D'éventuelles contre-mesures européennes seraient probablement freinées par la crainte d'une spirale protectionniste (que certains compareraient probablement à celle des années 1930).

e) Entretien avec M. Alain Lamassoure, députe européen

- La question du fédéralisme

M. Alain Lamassoure a observé que la controverse autour du « fédéralisme européen » était désormais dépassée et que le mot était lui-même sorti du débat politique.

Il s'est félicité de cette évolution dans la mesure où :

ü ce terme n'avait jamais été compris en France où il était synonyme de centralisation au niveau d'un super-État alors que partout ailleurs le fédéralisme est synonyme de décentralisation ;

ü la comparaison avec les États-Unis d'Amérique n'est pas pertinente puisque depuis la Déclaration d'indépendance (1776) il existe bien une nation américaine alors que telle ne sera jamais le cas en Europe.

Pourquoi prendre un modèle outre atlantique alors que l'Union européenne apparaît au contraire comme une forme d'organisation totalement nouvelle capable d'inspirer le monde de demain ?

- La place de la France

M. Lamassoure a regretté que la France ne soit plus promotrice de l'idée européenne alors même qu'elle en a été l'inspiratrice principale. Il déplore de voir de débat français se poser dans des termes comparables à celui qui existe au Royaume-Uni, se complaisant à dénoncer la prédiction normative de l'UE alors que celle-ci demeure négligeable par rapport à ce qui existe au niveau national.

Tout en appelant à ce que la France assume de nouveau sa paternité du projet européen, il a par ailleurs constaté sur plusieurs sujets l'existence d'une prééminence de l'Allemagne.

- Sur le populisme

M. Lamassoure a fait part de ses inquiétudes portant, au-delà du seul Brexit, sur la montée du populisme sous différentes formes. Il a noté qu'il s'agissait d'un phénomène profond qui ne s'explique pas seulement par la crise économique et sociale ni par la crise migratoire, comme en témoigne le cas des pays d'Europe du nord. En effet, la prospérité de ces derniers ainsi que la grande tradition d'ouverture de leurs sociétés ne les épargne pourtant pas du phénomène populiste.

M. Lamassoure a indiqué que son inquiétude était aujourd'hui renforcée par le fait que, contrairement aux années 30, le monde n'avait pas aujourd'hui la chance de disposer de l'équivalent d'un Churchill ou d'un Roosevelt pour contrer la dérive populiste et ses dangers.

Dans le débat complexe sur les causes du phénomène, M. Lamassoure s'est demandé si le populisme n'était pas paradoxalement la conséquence de société en paix. L'absence de guerre, n'aboutit- elle pas à rechercher des ennemis proches de soi, qu'il s'agisse des immigrés ou de l'Europe.

- Sur le désamour vis-à-vis de l'Europe

M. Lamassoure a regretté que l'on ait manqué deux occasions, qui auraient pourtant pu permettre de rapprocher l'Europe des citoyens :

ü La première fut l'élection du Parlement européen au suffrage universel, qui n'a sans doute pas eu l'impact espéré dans la mesure où le Parlement disposait alors de peu de pouvoir ;

ü La seconde occasion, fut l'élection de 2014 qui permettait de faire de la Commission européenne une forme d'exécutif désignée par les citoyens. Sur ce point, il a regretté que Jean Claude Juncker n'en tire pas complètement les conséquences en venant par exemple s'exprimer au journal télévisé dans les États-membres.

Au plan institutionnel, M. Lamassoure ne croit pas à la solution d'une révision des traités. Sur le projet de fusion des fonctions de Président du Conseil européen et de Président de la Commission, il se demande si elle ne pourrait pas avoir un effet contraire au but recherché. Ne pourrait-on pas assister à une intergouvernementalisation de la méthode communautaire alors que l'on recherchait une communautarisation du travail intergouvernemental ?

- Sur les grands enjeux actuels de l'Union européenne

Le débat a permis de d'aborder en particulier deux grands enjeux :

ü Tout d'abord s'agissant de la politique étrangère et de sécurité, Alain Lamassoure a estimé indispensable que l'Union européenne entretienne des relations dignes de leur importance avec ses deux grands voisins orientaux que sont la Russie et la Turquie. Dans le premier cas, il a rappelé que, plutôt que d'une extension de l'OTAN, il avait toujours été partisan d'une forme de partenariat élargi entre l'Europe et la Russie.

ü S'agissant de la Turquie il s'est déclaré partisan d'une grande fermeté avec R. Erdogan, dans la mesure où ce dernier a lui aussi largement besoin d'une coopération avec l'Europe compte tenu des menaces et du risque sécuritaire auquel son pays est soumis.

À propos des enjeux du numérique, Alain Lamassoure, s'inscrivant dans le prolongement de ses travaux sur l'évasion fiscale, a fait part des réflexions qu'il mène actuellement avec des économistes sur la valeur ajoutée créée par les plateformes numériques. L'objectif est de parvenir à une taxation équitable de ces activités et plus généralement de permettre à l'Europe de faire valoir ses droits aux GAFA américains.

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