IV. UNE POLITIQUE EN QUÊTE D'EXPERTS ? LA SITUATION PARFOIS TRÈS PRÉOCCUPANTE DES INFRASTRUCTURES D'ANALYSES ET DE RECHERCHE

Le système de maîtrise des risques sanitaires de l'alimentation suppose un haut niveau de capacité d'expertise scientifique qui doit pouvoir remplir au moins deux missions fondamentales : l'analyse de conformité des produits aux normes en vigueur ; la recherche sur les conditions d'innocuité des productions alimentaires dans une démarche d'approfondissement des connaissances.

L'appareil de maîtrise des risques sanitaires comporte des entités chargées d'assurer l'exécution de ces missions. De ce point de vue, les laboratoires d'analyse, par leur dimension particulièrement capitalistique incorporant des technologies destinées à identifier la présence de dangers sanitaires et à évaluer les risques liés à ceux-ci, sont des pièces maîtresses d'une infrastructure qui comporte également des institutions dédiées, les agences.

Ces pièces stratégiques du système exercent des fonctions diversifiées, de prolongement des contrôles de routine pour les unes, mais aussi, pour les autres, de recherche et d'anticipation.

L'offre d'analyses se trouve assurée par des entités privées ou publiques qui, aux termes de la législation sont astreintes à des règles supposées garantir leur expertise mais aussi leur indépendance et une forme de transparence.

Vos rapporteurs spéciaux relèvent que la composante publique de l'offre d'analyses se trouve confrontée à des difficultés dont différents rapports d'audit 28 ( * ) ont pu présenter les termes sur un mode très préoccupant.

Parmi ceux-ci se dégagent des problématiques différentes : la capacité analytique de certaines entités, les effets de leur exposition à des concurrences dont la loyauté est parfois mise en cause, certaines surcapacités résultant de la superposition de structures publiques aux plans de charge trop étroits pour amortir des coûts fixes élevés...

Dans ce contexte, de réelles inquiétudes doivent être formulées devant des perspectives de rationalisation de l'infrastructure publique d'analyses qui, aux yeux de vos rapporteurs spéciaux, ne doivent pas affaiblir sa contribution au système de surveillance sanitaire des aliments.

Il tout à fait indispensable de maintenir les capacités correspondantes, voire de les développer, pour promouvoir une connaissance approfondie des problématiques complexes de la sécurité sanitaire des aliments.

A. L'AGENCE NATIONALE DE SÉCURITÉ SANITAIRE DE L'ALIMENTATION, DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TRAVAIL, QUELLES CAPACITÉS ANALYTIQUES POUR QUELLE VOCATION ?

L'Anses est un acteur majeur de la politique de sécurité sanitaire, tant en France que dans un contexte d'emblée international, son rôle étant reconnu en Europe et au niveau mondial.

Pourtant, sa vocation appelle quelques clarifications, dont des évolutions récentes n'ont pas contribué à ouvrir la perspective, dans un écosystème français de la recherche publique sur la sécurité sanitaire des aliments qui apparaît extrêmement fragmenté.

1. Les missions de l'Anses, une extension discutable

L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a été créée le 1 er juillet 2010 après la fusion de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) et de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSSET).

Elle exerce des compétences dans différents domaines qui ne se réduisent pas à la sécurité sanitaire des aliments.

Par ailleurs, dans ce dernier champ, elle tend à connaître un élargissement de ses attributions, discutable au plan des principes, et doit partager les attributions qui sont les siennes avec d'autres organismes.

a) Une agence sanitaire multicartes, aux attributions en extension discutable et devant partager ses attributions dans le champ de la sécurité sanitaire des aliments avec d'autres organismes

L'Anses est chargée de missions diversifiées, reflets des compétences exercées par les organismes fusionnés du fait de sa création.

(1) Plusieurs domaines de compétence, dont la sécurité sanitaire des aliments

L'Anses est active dans cinq domaines de compétences :

- l'environnement et la santé (évaluation des risques chimiques - les perturbateurs endocriniens, par exemple-, enjeux sanitaires des technologies en fort développement comme les nanotechnologies, avec toutefois des contours de compétence sur les biotechnologies qui doivent tenir compte de l'existence du Haut Conseil des biotechnologies, évaluations des risques des milieux avec un accent sur l'eau (mais aussi sur les sols) ;

- le travail et la santé avec un champ analogue à celui décrit pour l'environnement mais adapté aux conditions d'exercice des professions (par exemple, pour les agriculteurs, un focus est consacré à l'utilisation des produits phytosanitaires) ;

- la santé et l'alimentation ;

- la santé et le bien-être animal pour lesquels l'Anses a pour objectifs de progresser dans la connaissance des maladies animales mais aussi des risques que ceux-ci encourent du fait de différents substances ou de leur usage (exemples : les néonicotinoïdes ; l'antibiorésistance).

Elle doit par ailleurs maintenir des compétences de référence pour les zoonoses et les épizooties et renforcer ses activités d'épidémiosurveillance et d'évaluation des médicaments vétérinaires.

- la santé et la protection des végétaux. Dans ce dernier domaine, l'Anses a reçu pour missions prioritaires d'évaluer les installations de confinement, les méthodes d'identification des OGM et des organismes réglementés et les organismes nuisibles aux végétaux.

Dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments, les activités confiées à l'Anses, qui s'intègrent dans le cadre du plan national nutrition santé, au plan obésité et au programme national pour l'alimentation, recouvrent les réponses aux saisines qui lui sont adressées et les différentes activités des laboratoires en matière de recherche et de surveillance.

Il s'agit plus précisément :

- de réunir et d'exploiter des données sur les comportements alimentaires et leurs effets sur la santé ;

- de perfectionner les méthodes d'analyse des contaminants chimiques et biologiques dans l'eau et les matrices alimentaires afin, notamment, d'abaisser les limites analytiques et d'affiner et diversifier les méthodes d'évaluation des risques ;

- d'accomplir une mission de veille et d'exploration des nouvelles données scientifiques sur le rôle de l'alimentation dans certaines grandes pathologies (diabète en premier lieu) tout en progressant dans la connaissance des risques (en particulier, ceux de l'accumulation de micro-doses et ceux liés aux perturbateurs endocriniens) ;

- de procéder à des évaluations de risques liés à des situations alimentaires concrètes et à des innovations comportementales ou de produits.

Cette dimension multicarte de l'agence avait fait l'objet d'observations dans le cadre du rapport Babusiaux-Guillou.

« L'étendue du périmètre de compétence de l'Anses, qui s'étend non seulement à l'alimentation mais aussi à l'environnement et aux risques du travail entraîne une multiplicité de tutelles qui ne favorise pas la définition des objectifs de l'Agence. Les premières lettres de mission ne comportent aucun objectif spécifique à la sécurité sanitaire des aliments. La nouvelle lettre de mission adressée le 30 avril 2014 demande au directeur général de « maintenir l'engagement de l'Agence dans les différents observatoires auxquels elle participe, notamment la section sanitaire de l'observatoire de l'alimentation et l'observatoire des résidus de pesticides » - il s'agit cependant des seules missions directement citées pour ce qui concerne la sécurité des aliments. »

Ces observations méritent d'être nuancées dans la mesure où le COP de l'agence mentionne plusieurs points d'intérêt majeurs pour la contribution d'une agence sanitaire à la politique de sécurité sanitaire des aliments. Il est vrai qu'elles sont également tributaires d'une conception donnée de cette politique, qui, compte tenu des principes qui l'ordonnent (une surveillance « du champ à l'assiette ») inclut ou non certaines activités dans le périmètre de la politique de sécurité sanitaire des aliments.

Il n'en reste pas moins que la diversité des missions de l'Anses peut conduire à des arbitrages, dont la comptabilité analytique de l'agence invite, malgré ses imprécisions, à constater la réalité (voir infra ), conduisant à observer que la création de l'Anses n'a pas doté la France d'une agence sanitaire spécifiquement, voire même principalement, dédiée à la sécurité sanitaire des aliments.

Tout comme pour les autres intervenants de cette politique, la diversité des compétences exercées et les effets de bord entre objectifs d'innocuité des aliments et objectifs de santé des matières premières entretiennent une certaine ambiguïté dans les missions exercées par l'agence, dans un contexte où, par ailleurs, celle-ci est loin d'avoir un monopole sur les préoccupations naturellement liées à la sécurité sanitaire des aliments (voir infra ).

Observation : la création de l'Anses n'a pas conduit la France à se doter d'une agence de sécurité sanitaire des aliments, sur le modèle de l'agence européenne.

(2) Des modes d'intervention allant se diversifiant dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments moyennant des choix discutables
(a) Des compétences en voie d'extension

L'encadré ci-dessous récapitule les principales activités de l'agence dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments (SSA) en 2015 telles qu'elles ont été exposées à vos rapporteurs spéciaux.

Les principales activités de l'Anses en matière de SSA en 2015

L'activité des laboratoires a été marquée par :

- les réflexions stratégiques, avec l'appui du Conseil scientifique, sur les toxines dans les aliments et l'eau destinées à la consommation humaine et les eaux de baignade ;

- l'élaboration d'une stratégie et d'un plan d'action (en collaboration avec le service commun des laboratoires) sur les contaminants chimiques dans les abeilles, le miel, etc. ;

- la mobilisation pour les analyses de produits de la pêche en Méditerranée (potentielle contamination chimique) ;

- la participation aux travaux sur la rénovation du dispositif de surveillance et de vigilance des phycotoxines ;

- le développement de travaux méthodologiques sur la qualité des données des plans de contrôle et de surveillance officiels (débuté par les résidus de pesticides mais qui sera poursuivi en 2016 en SSA) ;

- la consolidation des modalités de collecte, de traitement et de transmission à l'Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) des données de surveillance de l'antibiorésistance et des zoonoses alimentaires.

Les principaux travaux de l'Anses en matière de risques chimiques :

- la poursuite et la finalisation des travaux de l'étude de l'alimentation totale infantile (EATi) ;

- la publication de l'avis et du rapport sur les PCB dans les poissons d'eau douce ;

- des avis variés témoignant de la diversité des préoccupations sanitaires liées aux substances chimiques : phéthoxyéthanol dans les oeufs de poissons, risques liés à certains champignons de cueillette, saisines réglementaires sur les améliorants alimentaires ; phycotoxines des coquillages ;

- la contribution, avec l'Ifremer, au programme en Méditerranée sur l'estimation de la contamination des poissons et coquillages par divers polluants liée aux rejets de boues et éléments- traces (site Alteo) ;

- la tenue d'un séminaire international à Maisons-Alfort sur la méthodologie des études de l'alimentation totale dans le cadre du programme européen « TDS exposure » ;

- la mise en place en partenariat d'une étude-pilote d'investigation des conséquences sanitaires potentielles de la contamination des ressources marines par des microplastiques ;

- les travaux avec l'Institut national de la consommation, sur emballages et chauffage (création de contaminants néoformés) et sur les lignes directrices pour l'évaluation des matériaux au contact des denrées alimentaires, en lien avec la réflexion sur une stratégie de priorisation des substances néoformées indésirables.

Les principaux travaux de l'Anses en matière de risques microbiologiques :

- un rapport relatif à l'information du consommateur, qui associe l'expertise des sciences humaines et sociales et permet, à partir d'une question d'étiquetage-information (botulisme et nourrissons, syndrome hémolytique et urémique et Escherichia coli productrices de shiga toxines...), de caractériser l'importance des déterminants comportementaux et de leurs connaissances en termes d'impact de la communication, avec des perspectives de comparaison basées sur la démarche ACE (analyse coût efficacité) et les indicateurs DALY (années de vie ajustées sur l'incapacité) ;

- la publication d'un avis et d'un rapport d'expertise sur les risques inhérents à la consommation d'insectes. Cet avis, s'inscrit dans un contexte de questionnements (FAO) sur une possible montée en puissance de cette consommation comme alternative protéique ;

- la publication d'un avis sur la notion de denrée périssable, dans le contexte de la stratégie gouvernementale de réduction du gaspillage et l'influence des marquages de DLC (date limite de consommation) ou DLUO (date limite d'utilisation optimale) ;

- des avis relatifs à l'évaluation de protocoles d'échantillonnage (contexte E. coli ) et d'analyse : graines germées et steaks hachés ;

- un avis sur l'amélioration de l'évaluation sanitaire des OGM empilés et sur l'évaluation des OGM développés pour des pays tiers et non destinés au marché européen mais présents à l'état de traces ;

- un avis relatif au trématode parasite Alaria alata (viandes de sanglier sauvage) ;

- une publication de lignes directrices sur les guides de bonnes pratiques d'hygiène, qui ont vocation à s'adresser aux administrations de contrôle (analyse des dangers) comme aux rédacteurs (professionnels des filières concernées).

Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Les données exposées méritent d'être mises en perspective, et complétées par la prise en compte d'autres activités nouvellement dévolues à l'agence.

À cet égard, on peut s'appuyer sur le contrat d'objectifs et de performances (COP) de l'agence, qui distingue des activités opérationnelles, des activités de recherche et des activités d'animation et de formation.

D'un point de vue opérationnel , l'Anses est d'abord chargée de contribuer à la résolution des crises et de participer à leur prévention. Dans ce cadre, elle doit aussi s'attacher à la préparation opérationnelle des réseaux qui contribuent à la surveillance du territoire.

Elle exerce également des missions de police sanitaire spécifiques à travers l'exercice d'une une compétence particulière dans le domaine des médicaments vétérinaires qui la voir gérer les demandes d'autorisation de mise sur le marché.

Il en va désormais (depuis 2015) de même pour les produits phytopharmaceutiques et les matières fertilisantes et supports de culture (MFSC).

(b) Une difficulté de principe

Les responsabilités conférées à l'Anses dans le domaine des autorisations de mise sur le marché des différents intrants mentionnés posent problème au regard d'une acception stricte d'un des grands principes de la maîtrise des risques, celui qui prévoit une distinction nette des responsabilités en matière d'évaluation et de gestion.

Au demeurant, selon les informations recueillies par vos rapporteurs spéciaux, cette extension aurait fait l'objet d'une opposition de certaines associations représentées au conseil d'administration de l'Anses.

L'une des difficultés souvent évoquées rencontrées par l'Anses tient dans le devenir incertain de ses avis de sorte que l'extension des compétences de l'Anses peut être vue comme de nature à résorber les situations où ceux-ci demeurent lettre morte.

Cependant, outre que cette extension semble ne pas devoir offrir de garantie totale sous cet angle (voir infra ), le choix d'étendre les attributions de l'Anses à la gestion des autorisations de mise sur le marché n'est pas anodin.

Il est évident que les compétences de l'Anses doivent comprendre l'évaluation des produits correspondants ne serait-ce que parce que, au stade opérationnel de l'évaluation des risques, l'agence est appelée à prendre en compte la présence de ces produits dans l'alimentation et les conditions de leur innocuité.

Pourtant, cette compétence d'évaluation peut être distinguée de celle conférée à l'agence d'autoriser la mise sur le marché des produits en cause.

Ainsi, on doit s'interroger sur la compatibilité entre le choix de ne pas distinguer ces missions et l'énoncé du principal général de séparation des compétences d'évaluation et de gestion, tout en remarquant que cette confusion n'est pas un cas isolé en Europe (voir supra ).

En pratique, cette responsabilité peut conduire l'agence à quelque embarras dans l'hypothèse où l'évaluation des risques exercée dans le cadre de sa mission générale de veille sanitaire pourrait devoir se confronter avec des produits autorisés par l'agence.

Une solution intermédiaire consisterait à séparer très fermement les organisations administratives vouées à ces différentes missions.

Recommandation : reconsidérer l'attribution à l'Anses de responsabilités de gestion des produits réglementés dans le cadre d'une consécration par les principes européens de la séparation de l'évaluation des risques et de la gestion et éviter que la structure de financement de l'agence ne recèle des incitations à négliger les missions les plus coûteuses.

(c) Consolider l'Anses comme référent européen pour les substances réglementées

Compte tenu des dispositions qui encadrent la mise sur le marché des substances réglementées, il faut s'interroger sur la portée de la police sanitaire ainsi exercée par l'agence.

Par exemple, s'agissant des produits phytopharmaceutiques (PPP), on rappelle que l'organisation européenne distingue l'autorisation des substances , confiée à l'agence européenne selon une procédure qui fait intervenir un pays rapporteur et un comité d'experts de l'autorisation des produits.

Dans cette organisation à deux étages, l'attribution de la fonction de rapporteur pour la substance présente un enjeu important qu'illustre, par exemple, le cas du diméthoate dont la diffusion s'est poursuivie un certain temps malgré les réticences de l'Anses dans un contexte où la substance impliquée faisait l'objet d'une attribution de compétence à un pays référent du sud de l'Europe plutôt enclin à en autoriser l'emploi.

Il convient donc de recommander que l'Anses développe ses positions d'agence de référence pour peser effectivement sur les conditions de diffusion de substances présentant un danger sanitaire. La mise en oeuvre de la clause de sauvegarde par un pays pour être utile ne représente pas une réponse entièrement adaptée dans un espace de libre circulation des marchandises.

Par ailleurs, s'agissant des produits, le système européen d'autorisation de mise sur le marché en confie la responsabilité aux autorités nationales selon une organisation en zonage.

Elle permet à un demandeur de déposer son dossier dans un des pays de la zone pour obtenir une autorisation dans tous les pays de la zone, selon un mécanisme de reconnaissance mutuelle qui n'empêche pas un État de la zone considérée de s'opposer à la mise sur le marché d'un produit autorisé quand certaines circonstances sont réunies. Il reste important que l'Anses puisse exercer une influence déterminante au sein de la zone sud à laquelle appartient la France et qui réunit la Bulgarie, Chypre, la Grèce, l'Italie, Malte, l'Espagne et le Portugal.

De ce point de vue, les performances de l'Anses apparaissent globalement satisfaisantes puisqu'elle concentre la très grande majorité des dossiers de la zone.

Recommandation : développer l'influence scientifique de l'Anses en Europe.

(3) Un opérateur de recherche important, mais parmi d'autres

Comme organisme de recherche , l'Anses a les missions d'un opérateur de recherche conduisant des recherches en propre ou servant de référent pour des recherches réalisées dans les domaines de sa compétence.

À ce titre, l'Anses a une vocation d'animatrice et de formatrice au service des structures qui agissent dans ses secteurs d'intervention.

Dans ce cadre, elle est supposée développer une influence dans la communauté des acteurs de la santé publique et des chercheurs dans le cadre, naturellement international, des compétences qui sont les siennes.

Ainsi, l'Anses est désignée dans le secteur de la sécurité sanitaire des aliments comme l'autorité nationale de référence correspondant de, et avec, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (l'EFSA).

À titre d'illustration, l'Anses participe au réexamen des substances phytopharmaceutiques actives conduit à l'échelle européenne.

On relève que l'Anses est également chargée de mandats internationaux en tant que laboratoire de référence garant de la fiabilité des analyses effectuées par l'ensemble des laboratoires agréés pour chaque pathogène ou contaminant réglementé.

À ce titre, elle détient neuf mandats européens et dix-neuf mandats internationaux à comparer aux soixante-six mandats de référence nationaux qui lui sont attribués.

Les mandats européens de l'Anses

Les mandats européens de l'Anses concernent :

- les résidus d'antibiotique et colorants ;

- les maladies équines hors peste équine (2 mandats) ;

- la brucellose ;

- la rage ; la sérologie rage ;

- la santé des abeilles ;

- le lait et produits laitiers ;

- les listeria monocytogènes ;

- les staphylocoques à coagulase positive.

Les mandats internationaux de l'Anses

Ils lui ont été confiés par l'OIE, l'organisation mondiale de la santé animale (dix-sept), par la FAO, l'Organisation des Nations-Unies pour l'alimentation et l'agriculture (un) ou par l'organisation mondiale de la Santé (l'OMS) (un).

Ils couvrent :

- les médicaments vétérinaires ;

- l'arthrite encéphalite caprine virale ;

- le maëdi visna (virus qui touche surtout les ovins) ;

- la paratuberculose ;

- la péripneumonie contagieuse bovine ;

- la maladie de Gumboro (maladie virale aviaire) ;

- la maladie d'Aujeszky (herpèsvirus qui touche particulièrement les porcins) ;

- la rhinotrachéite de la dinde ;

- la rage ;

- la fièvre Q ;

- la maladie des abeilles ;

- tous mandats confiés par l'OIE ;

- les zoonoses de la part de l'OMS et,

- de la part de la FAO, la brucellose.

Sous cet angle, les performances de l'agence pourraient s'améliorer.

On relèvera que les mandats confiés à l'Anses par l'Union européenne sont moins nombreux que ceux qu'elle a reçus de la part de l'OIE.

Par ailleurs, les mandats de l'Union européenne ne recouvrent que partiellement les mandats des autres organismes internationaux. Seules les maladies rabiques, celles touchant les abeilles et la brucellose ressortent comme communes.

On doit relever que l'Anses ne dispose pas de mandats internationaux dans des champs aussi cruciaux que la recherche des salmonelles ou encore de la FCO. Il en va de même pour l'influenza aviaire.

Par ailleurs, la santé des végétaux demeure une compétence exercée dans un cadre strictement national.

Enfin, le ratio des mandats internationaux détenus par l'Anses rapportés aux mandats nationaux s'établit à 0,42 (0,14 au seul niveau européen) et pourrait probablement s'élever étant donné l'importance de l'agriculture française.

Recommandation : mettre à niveau l'influence de l'Anses comme centre de laboratoires de référence en Europe.

Concurrencée en Europe, l'Anses évolue en outre dans un écosystème français de la recherche sur les problématiques de sécurité alimentaire où elle n'est pas le seul acteur. Outre les centres de recherche privés qui impulsent à l'alimentation un rythme d'innovation réputé soutenu, alimenté en outre par les grands groupes internationaux du secteur, diverses structures publiques, ou bénéficiant d'un financement public significatif, interviennent. En dehors du cas particulier du Haut Conseil des biotechnologies, il convient de mentionner les entités évoluant dans l'orbite de la santé (INSERM, France santé publique, Institut Pasteur) et, dans un registre plus agronomique mais non exclusif d'évaluations d'intérêt pour le champ de la sécurité sanitaire des aliments, les différents centres de recherche actifs autour du ministère en charge de l'agriculture (INRA, CIRAD...).

En bref, l'Anses, tout en couvrant d'autres domaines que la sécurité sanitaire, est loin d'avoir le monopole des activités d'analyses et de recherche des entités publiques en ce domaine.

Dans ces conditions, des regroupements de moyens pourraient être préconisés, en particulier pour ceux, trop modestes mais utiles, mis en oeuvre par France santé publique 29 ( * ) , tandis que l'Anses et les autres organismes publics de recherche doivent être encouragés à constituer un réseau de recherche spécifiquement consacré à la sécurité sanitaire des aliments.

Le groupe thématique de l'alliance nationale de recherche pour l'environnement (AllEnvi) consacré aux aliments et à l'alimentation peut être considéré comme une préfiguration d'un tel réseau, sous la condition de le recentrer sur des recherches plus spécifiquement consacrées à la maîtrise d'un système alimentaire sûr du point de vue sanitaire.

Recommandation : structurer une plateforme de recherche publique forte et dédiée en matière de sécurité sanitaire des aliments.

2. Les moyens de l'Anses doivent permettre de financer les missions traditionnelles de l'établissement
a) Préserver les moyens de recherche et de veille sanitaire

D'un point de vue opérationnel, il a pu être observé que la majorité des moyens de l'Anses se trouvaient positionnés dans son réseau de laboratoires (de l'ordre de 700 emplois pour un total proche de 1 400).

De fait, l'agence participe à l'existence d'une infrastructure publique d'analyse foisonnante (voir infra ) même s'il faut d'emblée remarquer que les centres d'analyse de l'Anses possèdent une expertise particulièrement reconnue qui les distinguent de nombre de leurs homologues.

L'agence dispose de onze laboratoires dont cinq comprennent des activités liées à la SSA.

Ils détiennent tous des mandats de laboratoire national de référence (LNR) confiés par la DGAL.

Les LNR ont pour mission :

- de développer et de valider des méthodes d'analyse et de participer à leur normalisation ;

- d'animer techniquement le réseau des laboratoires agréés ;

- le cas échéant, de réaliser des analyses officielles et notamment de confirmer des résultats d'analyses réalisées par des laboratoires agréés ou reconnus ;

- d'assurer une veille scientifique et technique ;

- de répondre à toute demande d'expertise scientifique ou technique du ministère chargé de l'agriculture et des autres ministères intéressés.

Les LNR participent également à la mission de surveillance, inscrite dans le code rural et de la pêche maritime (CRPM) depuis l'ordonnance n° 2015-1242 du 07/10/15 relative à l'organisation de la surveillance en matière de santé animale, de santé végétale et d'alimentation.

Ils apportent un appui scientifique et technique pour la collecte, le traitement, l'accessibilité, la transmission et la diffusion des données d'épidémiosurveillance.

L'Anses s'organise actuellement pour mettre en place cette surveillance par les LNR, en lien avec son équipe d'épidémiologistes.

Ces laboratoires ont activité mixte, d'analyses et de recherche appliquée si bien que la place qu'ils occupent dans la structuration de l'agence ne peut être assimilée à un délaissement par l'Anses de ses activités de recherche.

En revanche, il est justifié de souligner les problèmes financiers que l'Anses peut connaître du fait des difficultés qu'elle rencontre dans la valorisation des activités des laboratoires.

Celles-ci apparaissent particulièrement lourdes dans le chef des activités de référent des laboratoires qu'il est difficile de considérer comme étrangères aux activités de recherche, celles-ci faisant elles aussi apparaître un besoin de financement élevé.

La recherche et l'activité des laboratoires de référence engendrent, la première, un coût de 20,9 millions d'euros, la seconde, un coût de 54 millions d'euros, soit, au total, 57,9 % des coûts de l'agence tels qu'estimés pour 2015.

A ces activités sont associées des recettes « fléchées » de 15,3 millions d'euros si bien qu'elles créent un besoin de financement de 59,6 millions d'euros.

A l'inverse, les activités portant sur les produits réglementés, auxquelles ont dû être affectés des personnels prélevés sur d'autres missions, dégagent des marges plus confortables financièrement dans la mesure où la comptabilité analytique leur rattache des produits fiscaux ou de redevances qui permettent de leur associer un meilleur équilibre financier.

Recommandation : assurer une meilleure valorisation des activités de référent de l'Anses, en particulier auprès de l'Union européenne et des laboratoires nationaux.

Ce constat pourrait constituer une incitation à restructurer les missions de l'Anses vers celles d'entre elles qui permettent de dégager des ressources propres, en particulier dans un climat de contrainte budgétaire sur les subventions pour charges de service public versées par les ministères.

Il convient de prévenir toute évolution en ce sens alors même que déjà des arbitrages de moyens ont altéré le potentiel de l'Anses dans ses missions traditionnelles.

Recommandation : prévenir toute tentation d'orienter les activités de l'Anses vers les missions les plus valorisables au détriment des activités de recherche.

b) Conserver des équilibres financiers propices au maintien d'une forte activité de veille et d'expertise sanitaire dans le domaine alimentaire

L'évolution récente de la structure financière de l'agence ne permet pas d'écarter tout à fait le renforcement du risque évoqué ci-dessus. Elle ne présente pas non plus toute les garanties d'une priorisation de l'Anses sur des missions de sécurité sanitaire des aliments.

Le budget de l'agence s'est élevé en 2015 à 143,2 millions d'euros en dépenses pour des recettes attendues de 135,9 millions d'euros. L'année a été marquée par un changement important de périmètre avec l'inclusion de la gestion des mises sur le marché des MFSC mais aussi l'affectation d'une nouvelle taxe sur les ventes de produits pharmaceutiques et un changement de méthodes comptables (avec le passage à la comptabilité d'encaissement au lieu de la comptabilité d'engagement). Les comparaisons entre l'exécution 2014 et celle de 2015 en sont rendues particulièrement ardues.

Mais, au-delà de ces difficultés passagères, il est possible de relever certains faits significatifs.

(1) Des subventions pour charges de service public contraintes et une déformation de la structure de financement de l'agence qui ne doit pas modifier sa vocation

Les produits courants de l'Anses ont connu un certain dynamisme ces dernières années, mais moyennant une évolution notable résultant de l'érosion du volume des subventions publiques en provenance du budget de l'État.

Les recettes de l'Anses demeurent principalement abondées par des subventions pour charges de service public mais celles-ci sont affectées par l'effort d'économies de dépenses publiques si bien que l'agence tend à être de plus en plus attentive à la collecte d'autres recettes.

L'Anses bénéficie de cinq subventions pour charges de service public en provenance de ses cinq ministères de tutelle mais ces subventions sont d'un niveau très variable.

Les financements accordés à l'Anses par l'État s'élevaient à 98 millions d'euros en 2011 , somme correspondant aux crédits de paiement ouverts pour financer les différentes subventions pour charges de service public versées par les différents ministères.

S'agissant des subventions pour charges de service public (SCSP) présentées dans le compte de résultat pour 2011, c'est-à-dire hors subventions fléchées sur l'investissement, 92,1 millions d'euros , elles se décomposaient comme suit :

- 61,2 millions d'euros au titre du programme 206 en provenance du ministère chargé de l 'agriculture ;

- 12,6 millions d'euros au titre du programme 204 en provenance du ministère chargé de la santé ;

- 9,1 millions d'euros au titre des programmes 181 et 190 en provenance du ministère chargé de l'environnement ;

- 9,2 millions d'euros au titre du programme 111 en provenance du ministère chargé du travail .

Dans le projet de loi de finances pour 2017 , les subventions ministérielles versées à l'Anses atteignent 92,7 millions d'euros si bien qu'en cinq ans les subventions accordées par l'État devraient avoir connu une progression de 0,6 %, largement inférieure à l'inflation .

Dans ces conditions, les moyens de l'Anses en provenance des différentes subventions pour charges de service public ont régressé en valeur réelle, constat qui s'impose d'autant plus que les chiffres mentionnés pour 2017 au titre des subventions ministérielles intègrent les subventions pour investissement encore distinguées en 2011.

Les produits de la « fiscalité » affectée ont nettement progressé, de près de 40 %.

Avec la catégorie des « autres produits », ces ressources regroupent des produits liés, plus ou moins directement, aux activités opérationnelles de l'agence.

Ils proviennent, en premier lieu, d'un certain nombre de taxes affectées à l'opérateur :

- la taxe additionnelle à l'imposition forfaitaire des entreprises de réseaux des stations radio pour 2 millions d'euros ;

- la taxe annuelle portant sur les autorisations de médicaments vétérinaire s et les autorisations d'établissements pharmaceutiques vétérinaires pour 5 millions d'euros ;

- la taxe annuelle relative à l'évaluation et au contrôle de la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et à leurs adjuvants pour 15 millions d'euros ;

- la taxe liée aux dossiers de demande concernant les médicaments vétérinaires ou les établissements pharmaceutiques vétérinaires , pour 4 millions d'euros ;

- la taxe sur la vente de produits phytopharmaceutiques disposant d'une autorisation de mise sur le marché, pour 4 millions d'euros ;

- et, pour 3 millions d'euros , la taxe sur les déclarations et notifications de produit du tabac.

Ces produits recouvrent une part de plus en plus élevée du financement des charges de l'agence.

Il faut être attentif à ce que cette évolution qui conduit à lier le financement de l'agence à des assiettes de taxation sur lesquelles elle exerce une activité de police n'induise pas une forme de conflit d'intérêt et ne constitue pas une invitation à affecter les moyens limités de l'agence à des « productions » comparativement rentables, au détriment des missions sanitaires moins valorisées.

(2) Des moyens opérationnels « maîtrisés » dans un contexte de diversification des activités qui oblige à considérer l'existence d'arbitrages au détriment des activités traditionnelles de l'agence

Dotée d'un budget de 130,3 millions d'euros en charges de fonctionnement courant et de 9,1 millions d'euros en dépenses d'investissement en 2011, l'Anses a vu ses charges augmenter depuis.

En 2016, les dépenses de fonctionnement courant s'élèvent à 136,7 millions d'euros tandis que les investissements absorbent 9,5 millions d'euros (auxquels il faut ajouter 0,9 million d'euros de charges financières).

En 2016, les dépenses de l'Anses sont ainsi supérieures de 4,6 % par rapport aux dépenses courantes de 2011, tandis que, pour les dépenses d'investissement, l'effort est supérieur de 4,4 %.

Compte tenu des variations de prix, les dépenses de l'Anses ont ainsi été à peu près stabilisées en valeur réelle.

Or, ces évolutions ont pris place dans un contexte marqué par une extension du portefeuille d'activités.

Si le volume des emplois a connu une légère augmentation au cours de la période, les emplois rémunérés par l'Anses passant de 1 343 en ETP en 2011 (plus 5 emplois rémunérés par d'autres organismes) à 1 354 en ETPT (plus 9 emplois rémunérés par d'autres organismes) en 2017, celle-ci n'a pas couvert, semble-t-il, les besoins engendrées par le développement de l'instruction des demandes portant sur des produits réglementés.

Le rapport d'activité 2015 de l'agence en témoigne en indiquant que ces nouvelles missions ont « mobilisé d'importants moyens humains » et laissent des stocks de demandes non traités importants et en augmentation.

Ces constats précisent le risque d'arbitrages défavorables aux missions traditionnelles de l'agence dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments alors même que les risques s'accentuent et que de nouvelles thématiques doivent être prises en charge.

(3) Un effort consacré à la sécurité sanitaire des aliments difficile à déterminer mais prépondérant

Si le principal contributeur au financement des charges de service public de l'Anses est, de loin, le ministère de l'agriculture, cette situation n'équivaut pas nécessairement à un effort de même ampleur en matière de sécurité sanitaire de l'alimentation.

La structure du subventionnement ministériel a quelque peu évolué depuis 2011.

Outre la subvention versée par le ministère de l'agriculture de 61,5 millions d'euros , quasiment stable, il faut compter avec les versements de :

- 14,264 millions d'euros du ministère de la santé (+ 1,7 million d'euros) en hausse de 13,2 % ;

- 8,551 millions d'euros du ministère de l'écologie (- 0,549 million d'euros) en baisse de 6 % ;

- et de 8,375 millions d'euros du ministère du travail (- 0,825 million d'euros), en baisse de près de 9 %.

On relève que la composition du conseil d'administration de l'agence, dans sa composante de représentation des ministères, diffère de celle de ses financeurs. La DGCCRF qui est à l'origine d'un assez grand nombre de saisines de l'Anses 30 ( * ) siège au conseil mais ne verse pas de subventions pour charges de service public à l'agence.

La part du ministère de l'agriculture (de l'ordre de 66 % des subventions pour charges de service public) ayant été stabilisée, celle du ministère de la santé a augmenté de 1,7 point tandis que les subventions des deux autres ministères financeurs ont vu leur contribution diminuer de 1,6 point.

Dans ce contexte, la comptabilité analytique de l'agence précise que le montant des coûts complets du domaine sécurité sanitaire des aliments (SSA) s'est élevé à 34,9 millions d'euros en 2014.

Cette évaluation ne rend pas compte des investissements de l'Anses dans la maîtrise du risque sanitaire de l'alimentation.

D'autres domaines isolés dans la comptabilité analytique de l'établissement au titre d'activités de veille sanitaire diverses relèvent de la sécurité sanitaire alimentaires entendue au sens large.

On retrouve ici l'une des difficultés de l'exercice d'estimation du périmètre précis des interventions publiques au service de la sécurité sanitaire des aliments.

Il reste dans ce contexte difficile à appréhender que l'Anses apparaît réserver une place prépondérante de ses activités à la politique de sécurité sanitaire des aliments lato sensu .


* 28 Parmi lesquels il convient de mentionner particulièrement le rapport de la mission interministérielle de différents corps d'inspection et de contrôle (Inspection générale des finances, Inspection générale de l'administration, Contrôle général économique et financier et Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux) publié en juin 2012 et portant sur « l'optimisation du recours par l'État aux réseaux de laboratoires publics ».

* 29 De ce point de vue, la récente « loi santé » a d'ores et déjà opéré un transfert du pilotage de la toxicovigilance de l'InVS, désormais fusionné dans France santé publique vers l'Anses.

* 30 Quand bien même elle dispose de son propre réseau de laboratoires.

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