ANNEXE 6 : RÉPONSES ÉCRITES AUX RAPPORTEURS

I. RÉPONSES D'AXELLE LEMAIRE, SECRÉTAIRE D'ÉTAT CHARGÉE DU NUMÉRIQUE ET DE L'INNOVATION, ET DE THIERRY MANDON, SECRÉTAIRE D'ÉTAT CHARGÉ DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE, AU QUESTIONNAIRE DE VOS RAPPORTEURS

I. Questions communes

1. Y a-t-il une stratégie nationale en matière d'intelligence artificielle ? Le cas échéant, comment le Gouvernement compte-t-il mettre en oeuvre cette stratégie ?

• L'intelligence artificielle est considérée comme un sujet de première importance en raison de ses impacts potentiels importants : opportunités économiques offertes par un nouveau marché (émergence de nouveaux acteurs, de nouvelles offres et de nouveaux usages, gains de productivité), transformations des modèles économiques d'entreprises, nouveaux besoins de formations initiales et continues, créations et disparitions de certains types d'emplois, apparition de nouveaux sujets d'ordre éthique (degrés d'autonomie possibles en fonction des usages, niveau de responsabilité des systèmes autonomes...), etc.

• Avec l'accélération des performances des technologies qui sont au coeur du développement de l'intelligence artificielle (puissances de calculs de plus en plus importantes à des coûts toujours plus bas, technologies du big data de plus en plus matures, augmentation des capacités de stockage, développement de nouvelles méthodes comme l'apprentissage profond), l'élaboration et la mise en oeuvre d'une stratégie nationale en matière d'intelligence artificielle est devenue une nécessité (sous l'effet aussi de la compétition internationale).

• Cela est d'autant plus vrai que nous observons une compétition internationale déjà très vive, avec en leaders les pays en pointe que sont la Chine et les États-Unis. La stratégie nationale que nous sommes en train de construire doit aussi répondre à cet enjeu en nous donnant les moyens collectifs d'imposer une certaine vision sociale, économique, politique de l'intelligence artificielle, sans doute différente de celles proposées par ces pays.

• Une première étape a été de s'approprier ce sujet très vaste, en particulier au moyen d'entretiens avec des experts de différents secteurs et de différentes disciplines, afin d'en discerner les enjeux et d'évaluer leur importance. Cette première étape a confirmé la nécessité d'agir sans tarder afin que l'avènement des technologies d'intelligence artificielle ne cristallise pas des craintes qui vont freiner l'innovation et les créations d'emplois et d'entreprises de demain, mais soit, au contraire, porteur d'une volonté de progrès technologique et social.

• La seconde étape, en cours aujourd'hui, consiste à approfondir la réflexion sur les enjeux éthiques, juridiques, technologiques, scientifiques, et socio-économiques de l'intelligence artificielle, puis à proposer et à prioriser, au regard de ces enjeux, des recommandations qui doivent permettre de maximiser les effets positifs du développement et de la diffusion de l'intelligence artificielle en France, tout en amortissant autant que possible les impacts négatifs. À cette fin, en octobre 2016, la ministre chargée du Numérique et de l'Innovation a souhaité la mobilisation de toutes les parties prenantes dans l'établissement d'une feuille de route pour l'intelligence artificielle qui devra être finalisée fin mars 2017. L'écosystème de l'enseignement supérieur et de la recherche est bien sûr autant concerné que celui des entreprises et de l'innovation. Axelle Lemaire et Thierry Mandon, secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche ont ainsi procédé au lancement officiel du projet # France intelligence artificielle le 20 janvier 2017 . La méthode retenue consiste en un travail coopératif entre acteurs de l'intelligence artificielle (chercheurs, entreprises, économistes, etc.) et de l'administration (DGE, DGRI, DGESIP, CGI, DG Trésor), au sein de groupes de travail rassemblés en trois grandes thématiques clés. Une première étape de restitution des travaux à mi-parcours a eu lieu le 21 février 2017. L'ensemble des livrables attendus des groupes de travail seront remis le 14 mars 2017. La présentation de la feuille de route issue de ces travaux est programmée le 21 mars 2017.

• Une troisième étape consistera à déployer les actions retenues dans la feuille de route, avec l'appui des financements annoncés par le Président de la République le 21 février dernier.

2. Quelles initiatives le Gouvernement compte-t-il prendre pour relever les défis de l'intelligence artificielle ? Pouvez-vous nous les décrire ?

• D'ores et déjà, comme mentionné précédemment, différentes initiatives ont été prises pour relever les défis de l'intelligence artificielle : entretiens avec des acteurs clés du domaine, définition d'objectifs prioritaires (placer la France sur la carte du monde de l'intelligence artificielle, mobiliser la communauté de l'intelligence artificielle en France et la cartographier, mobiliser des financements et construire un soutien complet à l'intelligence artificielle de la recherche amont aux start-up, porter la question de l'intelligence artificielle dans le débat politique et clarifier le discours auprès des citoyens notamment, en prenant en compte les dimensions éthiques, juridiques, technologiques, scientifiques, et d'impact socio-économique), et lancement de l'élaboration d'une feuille de route pour l'intelligence artificielle.

• Depuis plusieurs années, le développement de technologies et d'usages de l'intelligence artificielle fait, d'autre part, l'objet d'un soutien au travers d'appels à projets de R&D qui permettent des coopérations entre laboratoires de recherche, entreprises fournisseurs de technologies et entreprises utilisatrices. Des projets ont ainsi été soutenus dans le cadre du concours d'innovation numérique du programme d'investissements d'avenir.

• Les groupes de travail constitués pour l'élaboration de la feuille de route de l'intelligence artificielle vont proposer des actions et recommandations sur différents sujets, notamment la maîtrise de thèmes de recherche amont, les formations à créer ou à faire évoluer, la question du transfert des résultats de la recherche aux entreprises, le développement de l'écosystème des fournisseurs de technologies de l'intelligence artificielle, ou encore l'accompagnement des transformations sociales induites par l'intelligence artificielle. Ces propositions étant attendues mi-mars 2017, il est aujourd'hui trop tôt pour en donner le contenu précis

3. Comment le Gouvernement se positionne-t-il à la suite de la remise des rapports récents de la présidence des États-Unis et de la Chambre des Communes sur l'intelligence artificielle (octobre 2016) ?

• Les potentiels, enjeux et risques de l'intelligence artificielle présentés dans les rapports récents de la présidence des États-Unis et de la Chambre des Communes correspondent à ceux communément mentionnés par les experts. Il est intéressant de souligner la place importante des enjeux d'ordre moral et social.

• Par exemple :

- concernant les enjeux d'ordre moral : influence de l'intelligence artificielle sur la liberté de choix des êtres humains, bases éthiques sur lesquelles asseoir les décisions d'une intelligence artificielle, prise en compte des valeurs citoyennes de la société dans laquelle l'intelligence artificielle se développe ;

- concernant les enjeux d'ordre social : concentration des richesses et creusement des inégalités par un déséquilibre accru entre la rémunération du capital (technologique) et celle du travail, concentration du pouvoir, de la connaissance et des choix sociétaux dans les mains des possesseurs d'une technologie devenue incontournable ;

• Concernant les pistes de réflexion et propositions d'actions de l'administration Obama, on peut noter le souhait louable de ne pas laisser les technologies d'intelligence artificielle entre les seules mains d'intérêts privés, qui pourraient confisquer le potentiel économique de l'intelligence artificielle et biaiser le comportement des technologies en fonction de leurs intérêts financiers. L'administration Obama suggère pour cela un effort public massif et une diffusion ouverte des résultats de recherche sur l'intelligence artificielle. Il convient cependant de souligner que les six grands acteurs du numérique nord-américains que sont Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft et IBM, investissent déjà annuellement en R&D plus de 45 Md$. L'intégralité de ce montant n'est pas consacrée aux technologies d'intelligence artificielle, mais il illustre la puissance de ces groupes et le fait que les intérêts privés de grands groupes internationaux vont nécessairement influencer le développement de l'intelligence artificielle et, sans doute, rendre difficile l'ouverture des résultats de recherche. Aussi, au-delà de l'effort public massif suggéré par l'administration Obama, un encadrement, sur le long terme, concernant la transparence des processus de décisions et l'usage des technologies d'intelligence artificielle sera nécessaire.

• La démarche conduite par l'administration américaine est, d'autre part, intéressante dans sa nature même : l'État doit s'interroger sur son rôle pour permettre un développement de l'intelligence artificielle profitable à l'ensemble de la société. Différents scénarios sont, en effet, possibles et il appartient à l'État de savoir lequel il veut promouvoir pour prendre les initiatives qui sont adaptées. C'est également dans cette optique que la feuille de route pour l'intelligence artificielle a été lancée.

4. Y a-t-il des opportunités que la France pourra selon vous saisir grâce à l'intelligence artificielle ? Quelles sont-elles ?

• Les opportunités semblent aujourd'hui grandes ouvertes dans beaucoup de secteurs (droit, éducation, finances, agriculture, transports, etc.). La France se distingue d'ores et déjà particulièrement sur l'innovation dans les domaines de l'énergie et de la santé, portée par la robotique et les objets connectés. Il convient à ce titre de rappeler que les opportunités en matière d'intelligence artificielle sont autant économiques que sociales et sociétales.

• La France dispose également de plusieurs atouts qui peuvent lui permettre de tirer profit du développement de l'intelligence artificielle.

• L'excellence de la recherche française dans des domaines scientifiques et technologiques clés pour l'intelligence artificielle (mathématiques, informatique, sciences des données) est reconnue internationalement. Cette excellence attire les grands groupes internationaux qui implantent sur le territoire national des centres de R&D spécialisées. L'installation de centres de R&D du groupe nord-américain Facebook et du groupe japonais Rakuten en sont des illustrations.

• Au-delà de la dimension scientifique et technique, de nombreux chercheurs français en Sciences Humaines et Sociales s'intéressent également aux impacts socio-économiques, juridiques et éthiques de l'usage des technologies en général, de l'intelligence artificielle en particulier. C'est à la fois un facteur essentiel à la construction et au développement d'une stratégie d'intelligence artificielle conforme aux valeurs de la société que nous défendons, et sans doute un vecteur du rayonnement et de la différenciation de la France en matière d'intelligence artificielle.

• Un environnement favorable à l'émergence et au développement des start-up a été progressivement développé et constitue une réussite indéniable. Il est notamment le résultat de l'existence de laboratoires d'excellence, d'universités et d'école d'ingénieurs de très haut niveau, ainsi que de la volonté de l'État d'encourager l'entreprenariat et la création d'entreprises, en particulier dans le domaine du numérique avec la French Tech. Le fonds d'investissement ISAI a ainsi recensé plus de 180 start-up en intelligence artificielle en France. Ces start-up contribuent au rayonnement de la France dans le domaine de l'intelligence artificielle, créent des emplois et vont faire naitre des leaders et permettre à des entreprises de trouver des relais de croissance.

• La France compte, par ailleurs, de grandes entreprises de services du numérique, de dimension nationale ou mondiale (Capgemini, Atos, Sopra-Steria, etc.) qui investissent dans les technologies d'intelligence artificielle. Ces entreprises pourront notamment profiter de la croissance prévue du marché de l'intelligence artificielle pour les applications en entreprise (marché qui devrait passer de 200 M$ en 2015 à plus de 11 Md$ en 2024 selon le cabinet d'analyse Tractica) et contribueront à l'appropriation de ces technologies par leurs clients, en particulier français.

• Enfin, l'existence de très grands groupes français utilisateurs de technologies, qui sont des références dans leur secteur, constitue également un atout. En intégrant au plus tôt des technologies d'intelligence artificielle, ces très grands groupes, comme Renault, PSA, Airbus, BNP Paribas, vont développer de nouvelles offres innovantes qui dynamisera leur croissance et stimulera le marché français de l'intelligence artificielle.

5. Quels sont les principaux risques des technologies d'intelligence artificielle selon vous ?

• Les technologies d'intelligence artificielle sont communément associées à l'idée de systèmes autonomes, c'est-à-dire capables de prendre leurs propres décisions. En fonction des technologies d'intelligence artificielle, la manière dont la machine va prendre une décision n'est pas toujours formellement comprise et maîtrisée. Deux systèmes d'intelligence artificielle pourraient donc prendre des décisions différentes dans un contexte identique, ce qui présente des risques dans de nombreux cas d'utilisation. La poursuite de travaux de recherche sur les sujets liés à la maîtrise des processus de décision par les technologies d'intelligence artificielle est donc indispensable.

• Un autre facteur important de risques serait une intelligence artificielle n'intégrant pas de paramètres d'ordre éthique dans son processus de prise de décision. La définition de bases d'éthique faisant consensus et les modalités de leur alimentation au fil des évolutions de l'intelligence artificielle, est un sujet à traiter en amont et qui devra faire l'objet d'une attention permanente. La prise en compte des sujets d'éthique nécessitera également de développer des outils permettant de démontrer que ces bases ont bien été intégrées dans les technologies d'intelligence artificielle utilisées. Ces outils devront s'intégrer dans des processus de contrôle qu'il convient également de définir dès à présent, et de faire évoluer en permanence.

• Le développement des technologies d'intelligence artificielle qui va s'accompagner d'une facilitation de leurusage peut, d'autre part, faire peser des risques sur la sécurité des États, des organisations et des citoyens. Mises entre les mains d'acteurs malveillants, ces technologies peuvent représenter une capacité importante de nuisance. Une maîtrise française des technologies d'intelligence artificielle (et pas uniquement de leur utilisation) répond donc à un enjeu de souveraineté et de sécurité nationale.

• Enfin, on ne peut s'abstenir d'évoquer les risques d'accroissement des inégalités sociales associés à l'avènement de l'intelligence artificielle - bien que cela n'y soit pas spécifique - entre les citoyens capables d'y accéder et d'en tirer tout le bénéfice, et ceux qui en resteront exclus. La question de l'inclusion numérique doit à plus forte raison rester une priorité.

6. En matière de régulation de l'intelligence artificielle, quelles sont les priorités ? Faut-il aller jusqu'à légiférer ? Si oui, cela doit-il se faire au niveau national, européen ou international ?

• Les priorités doivent se porter sur les utilisations de l'intelligence artificielle qui posent directement des risques sur la sécurité, la santé et le bien-être des citoyens. La régulation pourrait notamment s'attacher à prévoir les situations dans lesquelles les réactions d'une intelligence artificielle doivent être préalablement connues ainsi qu'à définir les responsabilités liées à l'utilisation d'une intelligence artificielle et aux conséquences de ses réactions.

• Une éventuelle réglementation ou une régulation de l'intelligence artificielle bénéficierait, du fait de la nature et de l'impact de la technologie, d'une échelle la plus large possible : européenne a minima pour les questions éthiques et sociales, pour éviter les pratiques de forum shopping des entreprises, internationale pour les questions d'armements (robots tueurs). Le Parlement européen s'est d'ailleurs saisi du sujet, par l'intermédiaire de sa commission des affaires juridiques, qui a adopté, sur la base d'un rapport, une résolution appelant la Commission à proposer une directive dédiée aux questions de robotiques et d'intelligence artificielle. Les recommandations du rapport (taxe sur le travail des robots, agence européenne de l'intelligence artificielle) mériteraient néanmoins d'être instruites en profondeur, en raison de leur impact social et économique potentiel important.

• Enfin, compte tenu du manque de recul que nous avons aujourd'hui en réalité, la régulation encadrant l'intelligence artificielle devra certainement prévoir des éléments de souplesse qui permettront à la fois des ajustements en fonction des usages et données réelles, et de ne pas décourager les investisseurs par une régulation a priori.

7. Est-il suffisant de fixer un cadre éthique sans légiférer ? Si oui, à quelles conditions ? Quel contenu envisagez-vous pour ce cadre éthique ?

• La réflexion autour du cadre législatif permet de porter les questions d'éthique dans le débat public. Des règles d'éthiques admises universellement n'existant pas, il est important que certains sujets, particulièrement sensibles, fassent l'objet d'un débat public permettant une sensibilisation des citoyens aux questions en jeu, le recueil le plus large possible des avis, leur discussion et une prise de décision démocratique garantissant une certaine solidité des résultats obtenus.La question même de ce qui relève de l'éthique en matière d'intelligence artificielle fait aujourd'hui débat. C'est pourquoi l'éclairage de la recherche - notamment en SHS - en la matière est également fondamental. En tout état de cause et comme indiqué précédemment, des processus et outils de contrôle validant la conformité aux bases d'éthique définies collectivement, est une piste opérationnelle.

II. Questions spécifiques pour Madame Axelle Lemaire, Secrétaire d'État chargée du Numérique et de l'Innovation

1. Comment est assuré le suivi des principaux défis que représente l'intelligence artificielle ?

• Au niveau du cabinet, un conseiller est spécifiquement en charge du suivi de ce sujet et de la cohérence des actions qui sont décidées et mises en oeuvre. (Peut-être, si opportun, mettre en avant des contacts réguliers avec certains acteurs ?)

• Au sein de la DGE, administration rattachée au ministère de l'Économie et des Finances, l'intelligence artificielle est une thématique à part entière prise en charge par le Service de l'Économie Numérique et à laquelle des agents sont affectés.

• Comme mentionné précédemment, les travaux sur l'élaboration d'une feuille de route sur l'intelligence artificielle ont étéofficiellement lancés le 20 janvier. En fonction des résultats de ces travaux, un suivi systématisé de certains sujets sera mis en oeuvre par le cabinet en lien avec les administrations concernées.

2. Pouvez-vous présenter la French Tech et préciser la place qu'occupent en son sein les entreprises mettant en oeuvre des technologies d'intelligence artificielle ?

• La French Tech est un terme générique pour désigner tous ceux qui travaillent dans ou pour les start-up françaises en France ou à l'étranger. Les entrepreneurs en premier lieu, mais aussi les investisseurs, ingénieurs, designers, développeurs, grands groupes, associations, medias, opérateurs publics, organismes de recherche et universités... qui s'engagent pour la croissance des start-up d'une part et leur rayonnement international d'autre part. Le nombre de start-up en France est estimé entre 7 000 et 10 000.

• La French Tech désigne également une action publique innovante pour soutenir et promouvoir cet écosystème des start-up françaises dans l'objectif de favoriser leur croissance et l'émergence de nouveaux grands leaders de l'économie française, créateurs de valeur et d'emplois.

• Des acteurs de la French Tech, investisseurs et entrepreneurs français, sous la houlette du fonds d'investissement ISAI, se sont fédérés en 2016 au sein de l'initiative « FranceisAI » pour recenser et promouvoir à l'international les startups françaises utilisatrices de technologies IA : près de 200 start-up ont ainsi été identifiées ( franceisai.com ). « FranceisAI » participe activement à l'initiative « #FranceIA »

3. Quelles sont les principales opportunités qui vont s'ouvrir pour nos entreprises grâce aux innovations en intelligence artificielle ?

• Le fonds ISAI recense, en France, plus de 180 start-up dans le domaine de l'intelligence artificielle. Ce chiffre illustre les opportunités de développement de nouvelles activités qu'offre l'intelligence artificielle en France, en particulier du fait d'un potentiel technique et scientifique important dans le domaine (excellence de la recherche et des formations) et des initiatives prises pour favoriser l'entreprenariat.

• Le dynamisme de l'entreprenariat français dans le domaine de l'intelligence artificielle attire l'attention des investisseurs. Plusieurs levées de fonds significatives ont ainsi eu lieu en 2016, notamment celle de 8,9 M€ de Shift Technology et de 5,6 M€ de Snips. Cette semaine, le fonds d'investissement français Serena Capital a annoncé la création d'une structure dotée de 80 M€ pour prendre des participations dans des start-up de l'intelligence artificielle et du big data . Grâce à ces différentes annonces, c'est finalement tout l'écosystème des start-up français qui est mis en visibilité et qui bénéficie d'un renforcement de son accès aux financements.

• L'intelligence artificielle offre aux entreprises plus matures l'opportunité de profiter de relais de croissance en développant des offres innovantes de produits ou de services, en particulier dans des secteurs où la France dispose d'une solide notoriété comme l'ingénierie informatique (nouvelles offres liées à l'automatisation de processus, à l'intégration de machine learning ), les services collectifs ou « utilities » (nouvelles offres liées à la « Ville Intelligente »), ou encore la sécurité (nouvelles offres liées aux applications de reconnaissance d'images).

• L'intelligence artificielle va également permettre à nos entreprises de renforcer leur productivité et leurs performances (automatisation des processus, analyses prédictives sur le comportement des consommateurs, maintenances prédictives, etc.).

4. Quelles initiatives spécifiques votre secrétariat d'État entend-il prendre dans les prochaines semaines en matière d'intelligence artificielle ?

• La secrétaire d'État chargé du Numérique et de l'Innovation et le secrétaire d'État chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche ont officialisévendredi 20 janvier le lancement des travaux sur l'établissement d'une feuille de route sur l'intelligence artificielle. Un point d'étape à mi-parcours a été effectué le 21 février dernier. Les groupes de travail rendront leurs premiers livrables concernant l'analyse et les enjeux des thèmes qui leur auront été attribués. La fin de travaux est programmée le 14 mars, date à laquelle les groupes de travail remettront leurs propositions d'actions. Un événement de restitution des résultats des travaux est programmé le 28 mars.

5. Quelles incitations peut-on envisager à plus long terme en faveur des entreprises pour y favoriser la recherche et l'innovation en intelligence artificielle ?

• Dans un premier temps, une prise de conscience du potentiel de l'AI et des changements importants qu'elle peut induire est nécessaire. Les travaux de la feuille de route et la communication qui sera faite sur celle-ci vont y contribuer, notamment en portant le sujet de l'intelligence artificielle dans le débat public.

• Concernant plus spécifiquement le fait de favoriser la recherche et l'innovation en intelligence artificielle en entreprise, plusieurs types de mesures peuvent être envisagés comme la création de formations continues sur les technologies d'intelligence artificielle, la création de centres de ressources partagées en intelligence artificielle pour les entreprises, le lancement d'appels à projets de R&D dédiés, etc. Un groupe de travail constitué dans le cadre de la feuille de route sur l'intelligence artificielle est plus particulièrement chargé d'établir des recommandations sur ce sujet et celui de l'appropriation des résultats de la recherche par les entreprises. Ses conclusions permettront de répondre plus précisément à cette question.

III. - Questions spécifiques pour Thierry Mandon, Secrétaire d'État chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

1. En quoi l'intelligence artificielle peut-elle permettre de révolutionner et de moderniser l'éducation et l'enseignement supérieur ?

Comme pour tous les autres domaines d'action de l'État (finances, justice, santé, etc.), l'éducation et l'enseignement supérieur produisent leur lot de données dans l'exercice même de leur action. Ces données, lorsqu'elles sont assemblées, peuvent faire l'objet de traitements déductifs ou prédictifs. Elles doivent alors être mises à la disposition des acteurs, avec les outils appropriés, pour moderniser plus que révolutionner les modes d'apprentissage. Cela concerne par exemple le suivi du travail de l'élève ou de l'étudiant, d'anticiper le décrochement scolaire ou de pointer les parties de cours nécessitant un accompagnement supplémentaire. L'approche de l'intelligence artificielle permettra ici de mettre en place une personnalisation de l'apprentissage, de tenir compte de profils d'apprenant de plus en plus diversifiés et contribuer ainsi à l'amélioration de la réussite.

2. Comment s'articulent la recherche publique et la recherche privée en intelligence artificielle aujourd'hui ?

La recherche privée s'oriente essentiellement vers les traitements statistiques des données et vers les modalités de reconnaissances des images, de la voix, etc. Cela concerne autant les grands acteurs d'Internet et des réseaux sociaux cherchant ainsi à valoriser les données acquises sur leurs plates-formes, que les jeunes entreprises innovantes désireuses de mettre au point des applications logicielles exploitant données et nouveaux objets connectés. Il s'agit là d'une forme de maturation des concepts développés dans les laboratoires académiques durant les années passées.

En revanche tout le reste des aspects pourtant essentiels de l'intelligence artificielle (notamment le traitement des langues, les différentes formes de logique, la représentation des connaissances, etc.), en interaction avec les SHS, constituent bel et bien le socle de recherche fondamentale nécessaire à l'avancée de la discipline et du domaine. La recherche académique continue donc de travailler sur des objets amont, sur les ruptures et sur l'interdisciplinarité.

En France, la coopération public/privé en matière de recherche s'effectue sur le terrain. Il existe ainsi des partenariats vertueux entre acteurs académiques et privés autour de la fabrication de nouveaux produits, de la création de start-up, de l'embauche de jeunes diplômés issus de Master, d'écoles d'ingénieurs ou d'écoles doctorales.

3. Pensez-vous que cette place respective de la recherche publique et de la recherche privée doit évoluer ?

L'un des enjeux majeurs de l'intelligence artificielle est de pouvoir concilier autour de mêmes réalisations, plusieurs approches issues des sous-domaines de l'intelligence artificielle. Il y a donc là une véritable place pour une collaboration efficiente entre recherche publique (socle fondamental) et recherche privée (exploitation de données massives).

Ces complémentarités devront faire l'objet d'une coordination stratégique, résultant de l'analyse en cours menée dans le programme #FranceIA.

Deux remarques toutefois. Les temporalités d'action de ces deux acteurs ne sont pas les mêmes ; la recherche privée aura toujours besoin d'un calendrier de résultats, d'annonces, de mises à jour. Le secteur public peut lui aussi s'emparer d'un volet lié à l'exploitation massive de données, notamment dans les secteurs qui lui sont légitimes comme l'éducation, la santé, le développement régional, sans pour autant abandonner ces terrains à la recherche privée.

4. Quelle place la France occupe-t-elle dans la recherche internationale en intelligence artificielle ? Comment cette place va-t-elle et peut-elle évoluer ?

La France occupe une place très enviée dans la recherche internationale en intelligence artificielle. D'une part, notre dispositif d'enseignement supérieur dans le domaine, notamment au niveau doctoral, est très performant et bon nombre de jeunes chercheurs trouvent des propositions de travail, tant dans le secteur des entreprises que dans le secteur universitaire au niveau international. D'autre part, les laboratoires de recherche français occupent tout le spectre des recherches du domaine de l'intelligence artificielle, peu de pays disposent d'acteurs performants sur l'ensemble des sous-domaines de l'intelligence artificielle (cela est visible dans les comités scientifiques des grandes conférences académiques internationales pour chaque sous-domaine). Enfin, les jeunes entrepreneurs français font preuve de vivacité et d'imagination dans les solutions qu'ils proposent à la mise sur le marché.

Les atouts de la France tiennent dans la capacité des acteurs à tirer profit à la fois de l'approche française en termes de mathématiques et de modélisation, et de l'approche française en terme d'ingénierie et de gestion de projet.

Un autre atout français réside dans la pluralité et la grande qualité de la recherche en sciences humaines et sociales. Sociologues, juristes, psychologues, économistes, ethnologues, linguistes, philosophes, etc. sont nombreux, travaillent dans des laboratoires de premier plan et pour beaucoup d'entre eux sont technophiles. Il y a là un gisement pour stimuler et alimenter des programmes de recherche interdisciplinaires aptes à orienter le monde anthropotechnique qui se dessine.

L'évolution de cette position de la France dans la recherche internationale en intelligence artificielle doit tenir compte de risques réels comme la fuite de cerveaux à l'étranger, le contrôle des entreprises naissantes par des acteurs extérieurs, etc. Le plan ambitieux #FranceIA doit aussi réfléchir aux conditions qui permettront d'améliorer la visibilité et l'attractivité de la France pour les chercheurs en intelligence artificielle.

5. Quels sont les domaines de recherche prioritaires selon vous ?

D'une part, il est nécessaire que la France conserve et poursuive le travail des recherches menées sur chaque sous-domaine de l'intelligence artificielle. Il est actuellement impossible de prédire si les créations de valeur viendront demain du web sémantique et de ses ontologies, ou de l'analyse de la voix et des émotions, etc. Sur tous ces points et sur l'ensemble des sous-domaines de l'intelligence artificielle, la France a une position en pointe et doit la garder.

D'autre part, l'intelligence artificielle n'est plus l'affaire des seuls informaticiens, et il faut aussi solliciter des travaux interdisciplinaires d'envergure, notamment pour relier les SHS et les STIC. L'intelligence artificielle développe des solutions prédictives ou de recommandation soit sur la base de scénarios déterminés, soit à partir de calculs basés sur des exemples déjà rencontrés. En revanche rien ne couvre les domaines imprévus, les changements de tendances, les indécisions humaines, les retournements d'opinion. Là où il y a rupture technologique, il y a aussi rupture de mentalité. En même temps que les recherche sur les technologies, il faut produire des recherches sur les intentions, les détournements, les envies. Plutôt que de parler d'acceptation des technologies, il faut envisager d'emblée l'appropriation de ces technologies.

Dans la cadre du plan intelligence artificielle, un groupe de travail est précisément consacré à la cartographie des activités de recherche en lien avec l'intelligence artificielle et l'identification des enjeux de la recherche fondamentale. C'est sur cette base que nous pourrons aussi mieux orienter les efforts.

6. Pensez-vous que des progrès majeurs puissent être attendus de l'hybridation entre technologies d'intelligence artificielle ?

Indiscutablement, oui. À court terme il va s'agir de travailler sur des associations à partir de sous domaines actuels de l'intelligence artificielle : vision et audition, robots et décisions, perception et action, représentation des connaissances et traitement de la langue naturelle, etc. Ces associations vont produire des solutions beaucoup plus performantes, rendues possibles par les capacités d'acquisition et de traitements de données. Elles vont aussi pointer de nouveaux verrous qui alimenteront les questions de recherche.

7. Pensez-vous que les principaux progrès seront réalisés par la conjugaison entre l'intelligence artificielle et l'intelligence humaine ?

Des progrès seront probablement accomplis par la conjugaison entre l'intelligence artificielle et l'intelligence humaine. Un humain avec des outils adaptés sera toujours plus performant qu'un humain seul ou qu'une machine seule. C'est par exemple le cas en industrie avec le développement de la cobotique. C'est aussi le cas pour tous les métiers du « care » (de la santé, de l'assistance aux personnes) où un diagnostic rendu plus rapidement, plus précisément, devra toujours être accompagné d'une décision, d'une action qui prend en compte l'humain de façon empathique.

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