C. L'OBLIGATION D'INFORMATION DES UTILISATEURS : UN PREMIER PAS VERS LA CONFORMITÉ FISCALE

1. L'article 242 bis du code général des impôts

L'article 87 de la loi n° 2015-1758 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 a institué une obligation d'information de leurs utilisateurs en matière fiscale et sociale par les plateformes de mise en relation par voie électronique , codifiée à l'article 242 bis du code général des impôts.

Il convient à titre préliminaire de souligner que cet article, dans sa version initiale, avait été introduit par le Sénat, à l'initiative d'Albéric de Montgolfier , rapporteur général de la commission des finances, sous la forme d'un système de déclaration automatique sécurisée par les plateformes des revenus de leurs utilisateurs (cf. infra ), tel que proposé par le groupe de travail dans son rapport de septembre 2015. Adopté à une très large majorité par le Sénat, cet article avait ensuite été modifié par l'Assemblée nationale, à la demande du Gouvernement, pour devenir une « simple » obligation d'information.

Si le dispositif adopté est en recul par rapport à l'ambition initiale, l'article 242 bis du code général des impôts constitue néanmoins un premier pas important vers la conformité fiscale, et est à l'origine d'une prise de conscience des pouvoirs publics de la nécessité d'agir, et d'une prise de conscience des plateformes de leur responsabilité dans ce domaine.

Cet article contient deux obligations qui s'imposent aux opérateurs de plateforme en ligne :

- d'une part, au I, une obligation de « fournir, à l'occasion de chaque transaction, une information loyale, claire et transparente sur les obligations fiscales et sociales qui incombent » à leurs utilisateurs ;

- d'autre part, au II, une obligation d'adresser à leurs utilisateurs un récapitulatif annuel du montant brut des transactions qu'ils ont perçues par leur intermédiaire, ce qui correspond peu ou prou à un récapitulatif de ses recettes brutes.

Ces dispositions sont applicables aux transactions réalisées à compter du 1 er juillet 2016.

L'article 242 bis du code général des impôts

I. - Les entreprises, quel que soit leur lieu d'établissement, qui mettent en relation à distance, par voie électronique, des personnes en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un bien ou d'un service sont tenues de fournir, à l'occasion de chaque transaction, une information loyale, claire et transparente sur les obligations fiscales et sociales qui incombent aux personnes qui réalisent des transactions commerciales par leur intermédiaire . Elles peuvent utiliser, dans ce but, les éléments d'information mis à leur disposition par les autorités compétentes de l'État. Elles sont également tenues de mettre à disposition un lien électronique vers les sites des administrations permettant de se conformer, le cas échéant, à ces obligations.

II. - Les entreprises mentionnées au I adressent, en outre, à leurs utilisateurs, en janvier de chaque année, un document récapitulant le montant brut des transactions dont elles ont connaissance et qu'ils ont perçu, par leur intermédiaire, au cours de l'année précédente .

III. - Les obligations définies aux I et II s'appliquent à l'égard des utilisateurs résidant en France ou qui réalisent des ventes ou des prestations de services en France.

IV. - Les entreprises mentionnées au I font certifier chaque année, avant le 15 mars, par un tiers indépendant , le respect, au titre de l'année précédente, des obligations définies aux I et II.

V. - Un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application du présent article.

Les conditions d'application de cet article ont été précisées par le décret n° 2017-126 du 2 février 2017 , qui détaille notamment la liste des obligations fiscales et sociales dont l'utilisateur doit être informé, c'est-à-dire « les informations relatives aux régimes fiscaux et à la réglementation sociale applicables à ces sommes, aux obligations déclaratives et de paiement qui en résultent auprès de l'administration fiscale et des organismes de recouvrement des cotisations sociales ainsi qu'aux sanctions encourues en cas de manquement à ces obligations ». La plateforme doit mettre à disposition de ses utilisateurs des liens permettant d'accéder à ces informations : concrètement, ceux-ci mènent vers les cinq « fiches explicatives » publiées le même jour (cf. supra ).

Quant au récapitulatif annuel adressé à l'utilisateur , celui-ci doit mentionner « le nombre des transactions réalisées » et « le montant total des sommes perçues à l'occasion des transactions réalisées sur une plate-forme, dont les entreprises de mise en relation ont connaissance, hors commissions perçues par l'entreprise ». Les éléments d'identification sont relativement détaillés : le décret mentionne ainsi « le nom complet et l'adresse électronique et, le cas échéant, postale de l'utilisateur, ainsi que, si ce dernier est une entreprise, son numéro de TVA » ou, si elle en est dépourvue, son numéro d'inscription au registre du commerce et des sociétés (RCS) ou, pour les entreprises non résidentes, leur numéro fiscal délivré dans leur pays d'origine. Les plateformes elles-mêmes doivent fournir les mêmes informations.

Aujourd'hui, la mise en oeuvre des dispositions de l'article 242 bis du code général des impôts est en cours - il faut s'en féliciter, car cela n'allait pas de soi il y a quelques mois.

Plusieurs plateformes respectaient déjà tout ou partie de ces dispositions, avant même d'en avoir l'obligation égale, puisqu'elles adressent à leurs utilisateurs un récapitulatif périodique de leurs recettes brutes, et les informent le cas échéant de leurs obligations fiscales. Une plateforme comme Airbnb est à cet égard un bon exemple : la plateforme envoie à ses hôtes un récapitulatif de leurs revenus bruts au début de chaque année, ces données pouvant être consultées à tout moment sur leur compte utilisateur. Ponctuellement, la plateforme adresse également des courriers électroniques à ses utilisateurs pour les informer des évolutions législatives et réglementaires récentes 47 ( * ) , qui sont aussi disponibles dans les rubriques d'aide du site. Les rubriques d'aide d' Amazon sont également très fournies en matière fiscale - mais davantage en matière de TVA que d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les sociétés. Il en va naturellement de l'intérêt bien compris des plateformes , l'envoi d'un récapitulatif périodique des sommes perçues étant tout simplement un service attendu de la part des utilisateurs.

De nombreuses autres plateformes sont en train de se mettre en conformité , le léger retard constaté dans plusieurs cas bénéficiant d'une tolérance administrative 48 ( * ) , du fait de la publication tardive du décret d'application. Les auditions conduites par le groupe de travail ont toutefois permis de mettre en lumière un certain nombre d'interrogations et de préoccupations , auxquelles il serait bon que l'administration fiscale, ou le législateur, puisse apporter quelques réponses. Parmi celles-ci, on peut citer :

- s'agissant de l'obligation d'information, la question de l'appréciation du critère « à l'occasion de chaque transaction » : s'il semble adapté à la majorité des modèles économiques, il est en revanche difficile, voire impossible à appliquer dans le cas de modèles fondés sur la « rémunération au clic » ou « à la vue » , par exemple en matière de publicité en ligne ou de vidéos en ligne - par exemple, un « Youtuber » reçoit environ 1 euro toutes les 1 000 vues 49 ( * ) ;

- s'agissant du récapitulatif annuel, la question de son application aux plateformes qui ne proposent que des activités exonérées en raison de leur nature , soit principalement les ventes d'occasion et le covoiturage (et autres activités de partage de frais). D'un côté, l'envoi du récapitulatif, outre qu'il requiert des développements spécifiques, pourrait créer une certaine confusion chez les utilisateurs . D'un autre côté, permettre à ces plateformes de se dispenser d'une telle obligation sur la base de leur propre appréciation de la nature de leur activité reviendrait à créer une incitation à présumer du caractère non imposable des activités, ouvrant la voie à de multiples effets d'aubaine . En tout état de cause, la rédaction actuelle de la loi mentionne le montant brut des transactions, ce qui ne permet pas aux plateformes de partage de frais ou de ventes d'occasion de s'exonérer de l'obligation.

Le groupe de travail propose d'ajuster ces dispositions afin de tenir compte de la diversité des modèles des plateformes en ligne (cf. infra ).

2. L'enjeu de la certification des plateformes

Compte tenu de ces incertitudes et de la nouveauté que constitue cette obligation, les principaux enjeux se sont portés, semble-t-il, sur les conditions de certification des plateformes .

L'article 242 bis du code général des impôts prévoit en effet que les plateformes en ligne « font certifier chaque année, avant le 15 mars, par un tiers indépendant , le respect, au titre de l'année précédente, des obligations définies aux I et II », c'est-à-dire de l'obligation d'information à l'occasion de chaque transaction et de l'envoi du récapitulatif annuel. Ce certificat doit être adressé par la plateforme à l'administration fiscale. Sa non-présentation est sanctionnée par une amende forfaitaire de 10 000 euros , prévue à l'article 1731 du code général des impôts.

Le décret n° 2017-126 du 2 février 2017 précise que ce certificat « est délivré par un commissaire aux comptes, un cabinet d'audit ou toute autre entité , personne physique ou morale, ayant son siège sur le territoire de l'Union européenne et respectant une méthode d'audit assurant un examen impartial et exhaustif . L'entité délivrant l'attestation doit présenter des garanties d'indépendance, d'intégrité et d'honorabilité et accomplir sa mission en évitant tout conflit d'intérêts. Elle ne doit pas être soumise à l'entreprise à laquelle elle délivre l'attestation ».

Les auditions menées par le groupe de travail ont montré qu'une offre de certification était en train de se structurer , l'article 242 bis ayant créé un marché à part entière pour les tiers certificateurs.

Ce certificat revêt en effet une grande importance, sans doute supérieure à ce qui était anticipé au moment du vote de la loi. Compte tenu de l'incapacité matérielle de la direction générale des finances publiques (DGFiP) à contrôler elle-même, faute de moyens techniques et humains, le respect des obligations, la qualité de la certification est déterminante pour garantir la conformité fiscale des utilisateurs des plateformes, et par conséquent la réputation de ces dernières . Si le certificat devait jouer un rôle dans la déclaration automatique, comme le propose le groupe de travail (cf. infra ), son importance en serait encore accrue.

Or, à ce jour, en l'absence de précisions de la part de l'administration et de marché véritablement structuré, le champ exact de la « certification » demeure extrêmement flou, suscitant l'inquiétude de nombreux acteurs entendus par le groupe de travail . Trois questions se posent principalement :

- premièrement, le contenu et les modalités de la certification . L'audit devrait, a priori , porter non seulement sur l'existence de l'information fournie à l'utilisateur (conditions générales d'utilisation, rubriques d'aide, contenu du récapitulatif annuel, etc.), mais aussi sur les procédures concrètes mises en oeuvre pour assurer l'application effective des règles, ce qui pourrait impliquer un examen minutieux des algorithmes et mécanismes internes (seuils et critères de détection des vendeurs professionnels, prise en compte des recommandations, notations et signalements des autres utilisateurs, systèmes de plafonnement automatique des prix proposés ou des revenus perçus comme sur Heetch et Blablacar, etc.). Ces éléments, qui devraient impliquer des échantillonnages, requièrent une expertise non seulement juridique mais aussi technique relativement poussée ;

- deuxièmement, et par conséquent, la nature des certificateurs . Si de grands cabinets d'audit développent une offre à l'attention des plateformes, fondée sur leur expertise générale et reconnue dans d'autres domaines, d'autres acteurs plus modestes adoptent une stratégie de niche, faisant valoir une expertise spécifique sur le sujet, à l'instar de WeCertify , qui met en avant « une connaissance intime des modèles économiques des plateformes numériques de mise en relation et de leurs problématiques juridiques ». À ce jour, la loi permet à tout « tiers indépendant » de procéder à cette certification ;

- troisièmement, et par conséquent, le prix de la certification . Lors des auditions du groupe de travail, certaines grandes plateformes, dont l'offre d'activités est diverse, ont évoqué un montant de plusieurs dizaines de milliers d'euros par an (le certificat doit être renouvelé chaque année). À cet égard, un montant bien plus modeste de quelques milliers d'euros par an représenterait tout de même, pour une jeune start-up , un coût significatif .

L'enjeu, pour les plateformes, est de taille : si la certification n'était pas délivrée, ou si elle s'avérait insuffisante ou complaisante , les conséquences juridiques, financières et en termes de réputation pourraient être importantes.

Le groupe de travail formule donc une série de propositions au sujet de la certification des opérateurs de plateforme en ligne (cf. infra ).


* 47 Par exemple, en février 2017, les hôtes Airbnb ont reçu un courrier électronique présentant les mesures récentes : enregistrement obligatoire en mairie (loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique), seuil d'affiliation obligatoire à la sécurité sociale (loi de financement de la sécurité sociale pour 2017), déclaration automatique sécurisée en matière fiscale (loi de finances rectificative pour 2016). Dans certaines villes en France - Paris, Marseille, Nice, Strasbourg et Lyon - les utilisateurs reçoivent tous les trimestres un rappel de la législation en vigueur.

* 48 Jusqu'au 31 mars 2017 pour le récapitulatif annuel, et jusqu'au 15 mai pour la certification 2017.

* 49 Source : http://tempsreel.nouvelobs.com/rue89/rue89-internet/20150505.RUE8943
/un-dollar-les-1-000-vues-le-detail-des-remunerations-sur-youtube.html