D. LA DÉCLARATION AUTOMATIQUE DES REVENUS : LE PAS DÉCISIF ?

Si l'information fiscale des utilisateurs constitue une première étape importante, la déclaration de leurs revenus constitue l'étape supplémentaire

Un pas décisif a été franchi à la fin de l'année 2016, avec le vote de deux régimes de déclaration automatique des revenus , à la sécurité sociale d'une part, et à l'administration fiscale d'autre part, permettant à la France de rejoindre les pays ayant déjà mis en oeuvre des dispositions similaires - par exemple les États-Unis, le Royaume-Uni ou encore l'Estonie, d'ailleurs selon des modalités extrêmement variées (cf. infra ). Les propositions du groupe de travail de la commission des finances du Sénat ont eu un rôle important dans cette avancée .

1. La déclaration automatique à la sécurité sociale dès 2018 : un système volontaire mais dépourvu d'incitation forte

L'article 18 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 50 ( * ) , qui a institué les deux seuils d'affiliation obligatoire de 7 846 euros et 23 000 euros (cf. supra ), comportait un second volet : la création d'un régime d'affiliation automatique au RSI par l'intermédiaire des plateformes, et le cas échéant de déclaration et de recouvrement automatique des cotisations sociales. Plus précisément, ce système, entièrement volontaire, comporte deux volets :

- l'affiliation automatique est ouverte à l'ensemble des travailleurs indépendants exerçant une activité par l'intermédiaire d'une plateforme en ligne en vue de la vente de bien ou de la fourniture d'un service. Ceux-ci peuvent autoriser par mandat la plateforme à réaliser pour leur compte les démarches déclaratives de début d'activité auprès du centre de formalités des entreprises compétent, c'est-à-dire concrètement l'affiliation au RSI ;

- la déclaration automatique à l'URSSAF et le prélèvement à la source des cotisations sociales sont réservés aux seuls micro-entrepreneurs , ainsi qu'aux utilisateurs concernés par les seuils de 7 846 euros et 23 000 euros, c'est-à-dire les loueurs de biens meubles et de logements meublés. Ceux-ci peuvent autoriser la plateforme à « procéder à la déclaration du chiffre d'affaires ou de recettes réalisés au titre de cette activité par son intermédiaire ainsi qu'au paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale (...), auprès des organismes de recouvrement concernés », c'est-à-dire les URSSAF.

La limitation aux micro-entrepreneurs de ce second volet s'explique par le fait que le régime micro-social, caractérisé par un taux de cotisations proportionnel au chiffre d'affaires brut (soit 13,1 %, 22,5 % ou 22,7 % selon les activités 51 ( * ) , cf. supra ), se prête bien plus facilement à un prélèvement à la source qu'un régime au réel, et ceci d'autant que la plateforme ne dispose d'aucune information concernant les charges supportées par le travailleur indépendant. De même, en application du même article 18 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 (cf. supra ), les cotisations dues par les loueurs de biens meubles et de logements meublés sont assises sur le montant brut de leur chiffre d'affaires, diminué d'un abattement proportionnel de 60 % ou 87 %.

Ces dispositions entreront en vigueur le 1 er janvier 2018.

Elles constituent une avancée notable, et même ambitieuse dans la mesure où, au-delà de la seule déclaration, ces dispositions ouvrent la voie à une collecte à la source des prélèvements obligatoires pour lesquels cela est pertinent . L'autre cas le plus significatif est celui de la collecte de la taxe de séjour par Airbnb dans 51 villes de France (cf. infra ), et dans plusieurs autres villes dans le monde.

L'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) est chargée de la mise en oeuvre opérationnelle de ce dispositif, sous le contrôle de la direction de la sécurité sociale (DSS). Dans la perspective de son entrée en vigueur au 1 er janvier 2018, l'ACOSS travaille actuellement à la mise en place d' une offre de services « tout compris », où toutes les démarches d'affiliation et de déclaration pourraient être effectuées directement via la plateforme, sur le modèle du chèque emploi-service universel (CESU) - ou au moins par un renvoi simplifié aux portails lautoentrepreneur.fr (micro-entrepreneurs) ou net-entreprises.fr (autres travailleurs indépendants). Une application pour smartphone est également envisagée .

Compte tenu de l'importance cruciale qui s'attache à la simplicité des démarches et à la qualité de l'« expérience utilisateur » dans le monde des plateformes collaboratives, cette vision de la mise en oeuvre de la loi doit non seulement être saluée, mais aussi recevoir un soutien appuyé des pouvoirs publics .

Reste que le « succès » de ce système, auprès des utilisateurs comme des plateformes, reste à ce jour incertain. Adopté dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 sans concertation préalable avec les acteurs concernés ni étude d'impact détaillée, il soulève en effet plusieurs difficultés d'ordre technique et juridique , que les auditions menées par le groupe de travail n'ont pas, à ce jour, permis de lever.

Ainsi, les caractéristiques techniques du système, la nature et le degré d'harmonisation des informations transmises, les modalités d'exercice de l'option pour le régime général, ou encore les modalités d'interconnexion entre les systèmes d'information des plateformes et ceux des organismes de sécurité sociale, ne sont pas pour l'instant connues. Obstacle plus sérieux, il apparaît que les plateformes ne sont pas, en l'état actuel des choses, en mesure de déterminer par elles-mêmes :

- le moment de franchissement du seuil d'affiliation au RSI, ou du seuil de sortie du régime micro-social (82 800 euros ou 33 100 euros selon les activités), compte-tenu de la possibilité pour un particulier d'exercer une activité sur plusieurs plateformes, et de la possibilité d'exercer des activités soumises à des seuils d'affiliation différents (ventes, services, locations de meubles et d'immeubles) ;

- le taux de cotisations sociales à appliquer , du fait de la question du franchissement du seuil, de la différence de taux applicables aux catégories de revenus, mais aussi en raison de cas particuliers prévus par le régime du micro-entrepreneur. Le cas le plus significatif est celui des bénéficiaires de l'aide au chômeur créant ou reprenant une entreprise (Accre) , qui bénéficient d'un taux réduit de cotisations sociales 52 ( * ) .

Les plateformes ne disposant pas des éléments en question, et sauf à prévoir qu'elles collectent davantage de données - de surcroît soumises au secret fiscal et/ou au secret professionnel -, le prélèvement automatique des cotisations sociales pourrait donc s'avérer difficile. L'une des solutions serait de prévoir le passage en temps réel par un tiers agrégateur disposant des informations nécessaires , mais l'article L. 133-6-7-3 du code de la sécurité sociale ne prévoit pas expressément cette possibilité 53 ( * ) , par ailleurs elle aussi complexe.

C'est d'ailleurs pour cela que le dispositif adopté en matière fiscale (cf. infra ) se limite à une simple déclaration , qui n'implique pas que les plateformes disposent d'informations quant à l'assiette imposable ou au taux à appliquer.

Dès lors, compte tenu du caractère volontaire du dispositif proposé, de sa complexité opérationnelle, et en l'absence d'incitation financière, sa mise en oeuvre pourrait dans un premier temps être assez limitée . Pour les plateformes, offrir ce service à court terme pourrait s'avérer contraignant. Pour les utilisateurs, le bénéfice de la simplification proposée pourrait être limité, et demeurerait en tout état de cause, pour ceux d'entre eux qui seraient indélicats, inférieur au « gain » d'une non-déclaration, les contrôles étant peu probables. Le faible niveau de recettes attendu de la mesure, soit 10 millions d'euros par an d'après l'étude d'impact, constitue peut-être un aveu de ces difficultés, ou à tout le moins une marque de prudence.

Pour le groupe de travail, la « bonne » réponse serait la suivante : une offre de déclaration automatique couvrant à la fois la sphère sociale et la sphère fiscale , associée à un avantage fiscal produisant ses effets au niveau des revenus accessoires et occasionnels.

2. La déclaration automatique à l'administration fiscale en 2019 : un système obligatoire dont l'application est encore incertaine

L'article 24 de la loi de finances rectificative pour 2016 54 ( * ) a institué une obligation de déclaration automatique à l'administration fiscale des revenus des utilisateurs des plateformes en ligne . Les données, transmises une fois par an sous un format standardisé, seraient reportées sur la déclaration pré-remplie des contribuables pour l'impôt sur le revenu, et il incomberait ensuite à l'administration de calculer l'impôt dû en fonction des règles applicables à chaque catégorie de revenu.

Ce dispositif, directement issu des travaux du groupe de travail de la commission des finances du Sénat (cf. encadré), est codifié au nouvel article 1649 quater A bis du code général des impôts. Il entrera en vigueur au 1 er janvier 2019.

L'histoire législative de la déclaration automatique en matière fiscale

Adoptée dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2016 à l'initiative notamment du député Pascal Cherki, la déclaration automatique sécurisée a reçu un large soutien de députés de différentes sensibilités politiques . Trois amendements identiques ont été déposés et adoptés en séance publique 55 ( * ) .

Lors des débats en commission des finances, Gilles Garrez, président, a estimé qu'il devenait « urgent de rendre cette déclaration obligatoire », rejoint en cela par son collègue Charles de Courson. En séance publique, Pascal Cherki a déclaré : « je considère en effet qu'il est important d'avoir ces débats. Et quelle n'a pas été ma surprise de constater en commission que d'autres avaient déposé le même amendement et qu'il y a eu finalement unanimité pour le voter ! [...] Je tiens à porter à la connaissance du ministre la volonté très forte des membres de la commission des finances, qui estiment que cette mesure est juste et nécessaire ».

Initialement opposé à ce dispositif, le Gouvernement a finalement émis un avis favorable, après adoption d'un sous-amendement reportant son entrée en vigueur au 1 er janvier 2019 .

En réalité, le dispositif adopté est celui qu'avait proposé le groupe de travail de la commission des finances du Sénat dans son rapport de septembre 2015 , à cela près qu'il prévoyait une déclaration obligatoire, et sans avantage fiscal associé.

Plus précisément, l'amendement reprenait, presque mot pour mot, dans son objet comme dans le dispositif, l'amendement présenté par Philippe Dallier, membre du groupe de travail, en sa qualité de rapporteur pour avis du projet de loi pour une République numérique 56 ( * ) . Cet amendement avait été adopté à une très large majorité du Sénat, et finalement supprimé du texte lors de la commission mixte paritaire. Il reprenait lui-même l'amendement présenté au nom de la commission des finances par Albéric de Montgolfier, rapporteur général, également membre du groupe de travail, lors du projet de loi de finances pour 2016, et également adopté par le Sénat à une très large majorité.

Ces initiatives avaient reçu un avis défavorable du Gouvernement , qui avait uniquement justifié son opposition par ses réserves portant sur l'autre amendement issu du groupe de travail, c'est-à-dire l'abattement forfaitaire de 5 000 euros, mais pas sur la déclaration automatique en elle-même. À nouveau opposé à ce dispositif lors des débats du projet de loi de finances rectificative pour 2016, le Gouvernement proposait, dans le même temps, d'instituer son équivalent en matière sociale.

Source : commission des finances du Sénat

La déclaration automatique à l'administration fiscale des revenus des utilisateurs de plateformes en ligne, qui revient à créer un nouveau régime de tiers déclarant en complément des régimes existants (entreprises, établissements financiers, notaires, etc.), constitue la seule réponse possible, à terme, au défi posé par la révolution numérique - à la fois en ce qui concerne la nécessité de préserver les recettes fiscales et donc la qualité du service public, et l'impératif de concurrence loyale entre les différents acteurs d'un même secteur économique.

Si le groupe de travail ne peut que soutenir cette mesure dans son principe, il souligne toutefois qu'elle pourrait, paradoxalement, se trouver affaiblie par son caractère obligatoire , voulu par les députés en lieu et place du système volontaire et incitatif proposé par le groupe de travail. En effet, dépourvue de toute sanction et de toute incitation, et applicable en droit à des plateformes internationales qui ne s'estiment déjà pas soumises au simple droit de communication au cas par cas (cf. supra ), elle s'apparente sous cette forme à un voeu pieu, ou du moins à une position de principe plus qu'à une obligation effective.

Le report à 2019 de l'entrée en vigueur du dispositif , alors même que la déclaration automatique en matière fiscale est prévue pour 2018, est d'ailleurs révélateur de cette incertitude.

Bien sûr, certaines plateformes pourraient in fine mettre en oeuvre la déclaration automatique, comme c'est le cas pour l'obligation d'information prévue à l'article 242 bis du code général des impôts, dans un souci de conformité et de réputation , et compte tenu du risque juridique existant en cas de requalification de certaines activités sous la forme d'un établissement stable. Reste qu'il s'agit là d'une obligation nettement plus lourde, et d'un sujet bien plus sensible pour les plateformes comme pour leurs utilisateurs.

En outre, les analyses menées par le groupe de travail ces derniers mois ont montré que la liste des informations devant être transmises par les plateformes en application du nouvel article 1649 quater A bis du code général des impôts, tel qu'adopté par l'Assemblée nationale, devait être légèrement modifiée 57 ( * ) . Ces informations sont les suivantes :

« 1° Pour une personne physique, le nom, le prénom et la date de naissance de l'utilisateur ;

« 2° Pour une personne morale, la dénomination, l'adresse et le numéro SIREN de l'utilisateur ;

« 3° L'adresse électronique de l'utilisateur ;

« 4° Le statut de particulier ou de professionnel caractérisant l'utilisateur sur la plateforme ;

« 5° Le montant total des revenus bruts perçus par l'utilisateur au cours de l'année civile au titre de ses activités sur la plateforme en ligne, ou versés par l'intermédiaire de celle-ci ;

« 6° La catégorie à laquelle se rattachent les revenus bruts perçus. »

Cette liste contient des informations dont les plateformes en ligne ne disposent pas forcément , comme par exemple la date de naissance de l'utilisateur ou le numéro SIREN d'une entreprise (si elle en dispose), et dont l'administration fiscale n'a pas besoin pour assurer la fiabilité complète des déclarations (sous réserve qu'elle dispose d'un numéro unique, ou du numéro fiscal, pour effectuer tous les recoupements nécessaires). Quant aux autres données, les plateformes sont d'ores et déjà tenues de les collecter au titre de l'article 242 bis du code général des impôts.

Le groupe de travail propose donc d'améliorer le dispositif de déclaration automatique sécurisée, afin de le rendre pleinement applicable - ce qui n'est pas envisageable sans une réforme, en parallèle, des règles d'assiette qui n'ont jamais été vraiment appliquées dans le monde physique (cf. supra ), et qui ne sont pas adaptées à la réalité des échanges entre particuliers à l'heure de l'économie numérique.

Le groupe de travail propose également d'avancer l'entrée en vigueur de la déclaration automatique à 2018 : dès lors que celle-ci est opérationnelle en matière sociale, alors même qu'il s'agit d'un dispositif plus complexe qui inclut une possibilité de paiement à la source et suppose une interconnexion avec plusieurs systèmes d'information, il n'y a aucune raison qu'elle ne puisse pas être mise en oeuvre en matière fiscale, sous la forme d'un simple envoi de document standardisé une fois par an.

Ces propositions sont exposées dans la troisième partie du présent rapport.

II


* 50 Article 18 de la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017. Ces dispositions sont codifiées au nouvel article L. 133-6-7-3 du code de la sécurité sociale.

* 51 Hors versement libératoire de l'impôt sur le revenu, pour lequel les micro-entrepreneurs peuvent opter. Celui-ci n'est pas visé par l'article L. 133-6-7-3 du code de la sécurité sociale.

* 52 Ce taux est progressif et correspond à une fraction du taux « normal » du régime micro-social : 25 % jusqu'à la fin du 3 e trimestre civil qui suit celui au cours duquel intervient l'inscription ; 50 % pour les 4 trimestres suivants ; 75 % pour les 4 trimestres suivants ; 100 % ensuite.

* 53 La procédure de « mandat » mentionnée dans l'article renvoie aux dispositions très générales de l'article 1984 du code civil, inchangé depuis la loi du 20 mars 1804, « le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom. Le contrat ne se forme que par l'acceptation du mandataire ». En outre, le recours à un tiers agrégateur soulève des questions supplémentaires au regard des traitements de données à caractère personnel, soumis aux dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

* 54 Article 24 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016.

* 55 Ceux-ci étaient présentés respectivement par Valérie Rabault, rapporteure générale au nom de la commission des finances, laquelle avait adopté l'amendement de Pascal Cherki (groupe socialiste, écologique et républicain), par Charles de Courson (groupe union des démocrates et indépendants) et par Jeanine Dubié (groupe radical, républicain, démocrate et progressiste).

* 56 Avis n° 524 (2015-2016) de Philippe Dallier, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, sur le projet de loi pour une République numérique, 5 avril 2016.

* 57 En outre, le champ d'application de l'article devrait être précisé. Celui-ci vise en effet l'ensemble des plateformes en ligne au sens l'article L. 111-7 du code de la consommation, alors que seul le 2° du I vise les plateformes de mise en relation (cf. supra ). Pour mémoire, le 1° du I vise les services reposant sur « le classement ou le référencement, au moyen d'algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers », c'est-à-dire notamment les moteurs de recherche et autres comparateurs.