III. LA DÉMOCRATIE REPRÉSENTATIVE DEMEURE INDISPENSABLE POUR DÉCIDER DANS L'INTÉRÊT GÉNÉRAL, TOUT EN INTÉGRANT LES POSITIONS ET LES INITIATIVES DES PARTIES PRENANTES

A. SOCLE DE NOTRE RÉGIME POLITIQUE, LA DÉMOCRATIE REPRÉSENTATIVE DOIT PERMETTRE UN ÉCHANGE CONTINU AVEC LA SOCIÉTÉ

1. Les représentants élus conservent la légitimité de décider : l'élection reste un moment clef de la démocratie

À l'exclusion de la procédure particulière du référendum, qui renvoie à la démocratie directe, la représentation par des personnes élues au suffrage universel, reste le moyen permettant de disposer de la légitimité la plus forte pour décider dans l'intérêt général .

D'un point de vue symbolique tout d'abord, au-delà de ses résultats concrets, l'élection joue un rôle crucial dans la pérennité de la société : de façon pacifique, elle permet de trancher les questions posées aux citoyens et de répartir le pouvoir entre les différentes opinions politiques qui s'opposent. En outre, lors du scrutin, la Nation refonde symboliquement son unité et transcende les clivages qui la divisent d'ordinaire pour exprimer sa volonté, qui s'impose ensuite à tous.

Après plus d'un siècle et demi de pratique du suffrage universel, l'élection est profondément ancrée dans l'esprit des Français . D'après le « baromètre de la confiance politique » du CEVIPOF, 80 % des personnes interrogées considèrent qu'il est « important » de participer aux scrutins et 60 % que « voter aux élections est un bon moyen d'exercer une influence sur les décisions prises en France », même si ce pourcentage peut, à certains égards, paraître assez faible.

Malgré l'abstention, l'émergence du « PRAF-isme » 82 ( * ) et l'expression de votes contestataires, les Français continuent d'ailleurs de s'intéresser aux élections ; il suffit pour cela de constater que la campagne présidentielle de 2017 a été très suivie et que les débats organisés à cette occasion dans les médias ont réalisé de très bons scores d'audience.

Au reste, même les plus fervents partisans de la démocratie participative ne remettent pas en cause l'importance de l'élection : « l'élection et les corps intermédiaires restent des acteurs centraux » note ainsi le professeur Loïc Blondiaux 83 ( * ) , de même que toutes les personnes entendues en audition par la mission d'information.

M. Jean-Marie Denquin, professeur émérite de droit public, a affirmé pour sa part que « la démocratie participative ne doit pas remettre en cause le principe qu'une voix vaut voix » 84 ( * ) , tandis que M. Martial Foucault, directeur du CEVIPOF, rappelait que « même si la démocratie participative prend de l'importance en amont des décisions, l'élection est le seul outil permettant au citoyen de marquer son approbation, ou son rejet, de l'action politique menée. Dans une démocratie de proximité, le moment du vote est essentiel . » 85 ( * )

Dès lors, forts de leur élection au suffrage universel, les représentants élus apparaissent toujours comme les plus légitimes pour prendre des décisions dans le respect de l'intérêt général, distinct des aspirations individuelles de chacun . D'ailleurs, même des défenseurs de l'introduction « d'une dose de tirage au sort » dans notre démocratie la conçoivent généralement comme un complément à la représentation fondée sur l'élection.

Les dispositifs participatifs ne peuvent non plus justifier d'une légitimité suffisamment forte pour concurrencer celle issue de l'élection, compte tenu de leurs propres limites présentées supra , notamment en termes de taux de participation et de représentativité.

Par ailleurs, en démocratie, les élus endossent la responsabilité des décisions qu'ils ont prises , sur le plan politique, bien sûr, mais aussi juridique et financier.

Dans Principes du gouvernement représentatif , paru en 1995, le philosophe Bernard Manin rappelle ainsi que la possibilité pour tous les citoyens de demander des comptes aux représentants à la fin de leur mandat et de les congédier si leur action au pouvoir n'est pas jugée satisfaisante constitue la dimension la plus essentielle du principe de la représentation : « c'est la reddition des comptes qui, depuis l'origine, constitue l'élément fondamental du lien représentatif. Aujourd'hui comme hier, la représentation comporte ce moment souverain où le peuple rend son verdict sur les actions passées des gouvernants . » À ce titre, le gouvernement représentatif se révèle pleinement démocratique.

2. La démocratie représentative est un régime souple et adaptable, ouvert à une intervention continue des citoyens
a) Au-delà du seul principe de l'élection, la démocratie représentative laisse déjà aux citoyens la possibilité de s'exprimer et d'agir par eux-mêmes

Selon un discours répandu, lointainement inspiré de la pensée de Jean-Jacques Rousseau, les citoyens seraient censés élire leurs gouvernants, puis se tenir silencieux et passifs jusqu'à la prochaine consultation électorale. La pertinence historique et philosophique de cette idée semble toutefois contestable. Comme le souligne encore le philosophe Bernard Manin, « nous avons trop souvent tendance à identifier la démocratie représentative à l'élection » 86 ( * ) .

En effet, grâce aux autres droits offerts par la démocratie, en particulier la liberté d'expression et la liberté d'association, les citoyens ont toujours pu, à tout moment, s'organiser, manifester et intervenir, pour communiquer leurs souhaits et leurs griefs aux gouvernants, voire pour faire pression sur eux. De même, l'indépendance du pouvoir judiciaire et la liberté d'expression, qui n'ont jamais relevé directement de l'élection, jouent un rôle décisif dans notre régime politique.

Ainsi, la démocratie représentative ne s'est jamais confondue avec ce que M. Bernard Manin appelle « la représentation absolue », au sens où elle n'a jamais été un régime dans lequel les élus se substitueraient totalement aux citoyens pendant l'exercice de leur mandat. Elle apparaît bien plutôt comme un système souple et « composite », susceptible d'admettre des éléments issus d'autres principes ou traditions politiques.

Enfin, la démocratie représentative a déjà beaucoup évolué par le passé, en passant par exemple de régimes centrés sur le Parlement à des systèmes institutionnels laissant davantage de place au pouvoir exécutif. Elle peut continuer à le faire, en s'ouvrant cette fois à des dispositifs permettant une plus grande implication des citoyens.

b) La démocratie participative apparaît non pas comme un substitut, mais comme un complément utile à la démocratie représentative

Sans doute convient-il aujourd'hui de penser l'évolution de notre régime vers une « démocratie continue » , telle que la propose par exemple le constitutionnaliste Dominique Rousseau 87 ( * ) , c'est-à-dire de travailler à l'avènement d'une démocratie permettant une plus grande et une meilleure expression des citoyens entre les élections , tout au long du mandat électoral mais sans jamais remettre en cause le principe représentatif .

D'autres auteurs, comme l'historien Pierre Rosanvallon, défendent l'idée d'une démocratie « permanente » .

Dans son analyse, M. Dominique Rousseau propose de distinguer deux types de représentations : d'une part, la « représentation-fusion » , dans laquelle le corps des représentés fusionne avec le corps des représentants et se substitue complètement à lui ; d'autre part, la « représentation-écart » , fondée sur la distinction entre le peuple souverain et la société des individus politiquement actifs en tant que tels. Cette seconde conception conduit à consacrer, à côté du gouvernement représentatif, les initiatives politiques des citoyens.

M. Dominique Rousseau propose ainsi « l'institutionnalisation d'un droit de réclamer pour les citoyens, d'un droit d'intervenir, de parler entre deux moments électoraux à côté, voire contre, leurs représentants . » Ce droit pourrait résoudre la crise contemporaine de la démocratie représentative, non pas en remettant en cause cette dernière, mais en la complétant. Car, comme le note encore le constitutionnaliste, « la crise de la représentation ne signifie pas qu'il n'y ait plus de représentants, mais que les représentés puissent continuer à pouvoir intervenir » 88 ( * ) , de façon souple, entre deux scrutins.

Dans cette perspective, différents outils participatifs existants ou à venir doivent permettre de garantir la permanence des échanges entre les représentants et les représentés.

Dès lors, la démocratie participative peut être conçue comme un complément utile à la démocratie représentative, à laquelle elle ne pourrait toutefois se substituer .


* 82 Soit le sentiment du « plus rien à faire » ( Cf. supra pour plus de précisions).

* 83 Audition du 1 er février 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170130/mi_democratie.html .

* 84 Audition du 20 décembre 2016. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20161219/mi_democratie.html .

* 85 Audition du 7 février 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170206/mi_democratie.html#toc2 .

* 86 Audition du 9 février 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170206/mi_democratie.html#toc4 .

* 87 Radicaliser la démocratie. Propositions pour une refondation , Seuil, 2015.

* 88 Entretien avec le journal Le Monde , 25 avril 2015.

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