Rapport d'information n° 571 (2016-2017) de M. Michel MAGRAS , fait au nom de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, déposé le 2 juin 2017

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N° 571

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 juin 2017

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer (1) sur les mutations et perspectives pour les économies des territoires français de l' océan Indien ,

Par M. Michel MAGRAS,

Sénateur

(1) Cette délégation est composée de : M. Michel Magras, président ; Mme Aline Archimbaud, M. Guillaume Arnell, Mmes Éliane Assassi, Karine Claireaux, MM. Éric Doligé, Michel Fontaine, Pierre Frogier, Joël Guerriau, Antoine Karam, Thani Mohamed Soilihi, vice-présidents ; M. Jérôme Bignon, Mme Odette Herviaux, MM. Robert Laufoaulu, Gilbert Roger, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jean Bizet, Mme Agnès Canayer, MM. Joseph Castelli, Jacques Cornano, Mathieu Darnaud, Félix Desplan, Jean-Paul Fournier, Jean-Marc Gabouty, Jacques Gillot, Daniel Gremillet, Mmes Gélita Hoarau, Gisèle Jourda, MM. Serge Larcher, Nuihau Laurey, Jean-François Longeot, Mme Vivette Lopez, MM. Jeanny Lorgeoux, Georges Patient, Mme Catherine Procaccia, MM. Stéphane Ravier, Charles Revet, Didier Robert, Abdourahamane Soilihi, Mme Lana Tetuanui, MM. Hilarion Vendegou et Michel Vergoz.

Ouverture

Gérard LARCHER, Président du Sénat

Monsieur le Président, cher Michel Magras,

Mes chers collègues Sénatrices et Sénateurs,

Monsieur l'Ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien,

Mesdames et messieurs les Présidents des organisations professionnelles et consulaires,

Mesdames et messieurs,

Chers amis,

Je suis très heureux de vous accueillir ce matin au Palais du Luxembourg, siège du Sénat, dont la mission constitutionnelle - je le rappelle à chaque fois mais ce n'est pas inutile - est de représenter l'ensemble des territoires de la République, à l'occasion de cette Conférence économique de bassin, la dernière d'un cycle triennal destiné à donner une meilleure visibilité aux économies de nos collectivités d'outre-mer, à mettre en avant leurs spécificités et leurs atouts notamment en matière d'innovation et de recherche.

Ce mot d'accueil me donne aussi l'occasion de réaffirmer mon attachement aux outre-mer, y compris dans mes choix d'agenda ce matin, et l'ambition que nourrit notre Sénat pour les collectivités et les territoires ultramarins.

Ces conférences ont, en particulier, permis dans une logique de bassin océanique - et ce n'est pas une logique qui est simplement géographique - de montrer l'importance qui s'attache à une meilleure insertion de nos territoires ultramarins dans leur environnement régional. La dimension régionale doit être au centre des stratégies de développement des outre-mer.

En outre, ces conférences témoignent de la proximité de notre assemblée avec le monde économique dont je salue les représentants présents à cette tribune mais aussi dans cette salle.

Nous avons pleinement conscience que ce sont vos entreprises qui créent des emplois et font vivre nos territoires.

Je tiens à saluer votre dynamisme. En effet, comme le rappelle le Président de la Fédération des entreprises des outre-mer (Fedom), Jean-Pierre Philibert : il se crée proportionnellement plus d'entreprises dans les territoires d'outre-mer qu'en France métropolitaine.

L'éloignement, l'étroitesse des marchés et l'ensemble des défis liés à l'ultrapériphéricité vous conduisent constamment à faire preuve de créativité, d'imagination et d'innovation pour créer de la richesse.

À nous, les responsables politiques, de donner à vos entreprises un cadre juridique, un cadre fiscal, un cadre social qui soit clair et adapté en fonction des évolutions statutaires ou institutionnelles de vos territoires, afin de faciliter leur développement.

Je me réjouis de l'actualité législative récente qui a vu, grâce au Sénat et à votre implication personnelle, cher Président Michel Magras, la création d'un Small Business Act ultramarin à titre expérimental, assorti de dispositions prévoyant de manière permanente un plan de sous-traitance pour garantir notamment la participation des petites et moyennes entreprises locales aux marchés de plus de 500 000 euros remportés par de plus grandes sociétés.

Cette innovation, très concrète, très pragmatique - et qui va bien au-delà des discours que l'on entend souvent, mais qui ne se traduisent jamais dans les faits - correspond parfaitement au tissu économique ultramarin et doit permettre de faire émerger de nouveaux opérateurs.

Une autre avancée de la loi relative à l'égalité réelle des outre-mer : la possibilité pour tous les contribuables français d'investir dans les futurs Fonds d'investissement de proximité ultramarins (FIP-DOM-COM). Cette nouvelle réduction d'impôt majorée devrait permettre de soutenir notamment le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) pour les petites et moyennes entreprises, le tourisme et l'agriculture, en contribuant à renforcer leurs fonds propres.

Nous devons cependant sans doute aller plus loin en faveur de nos entreprises en leur redonnant des marges de manoeuvre. Il faudra bien alléger l'impôt sur les sociétés, y compris pour avoir la convergence indispensable dans la zone euro par exemple, en réduisant et en maîtrisant le coût du travail grâce à des allègements de charges sociales, en libérant l'activité bloquée par ce qu'il faut bien qualifier de « matraquage réglementaire », en créant un dispositif spécifique à l'outre-mer d'incitation à l'embauche. En résumé, vous permettre de créer de la richesse pour développer nos outre-mer et, par là même, lutter contre le chômage, mais aussi, tout simplement, développer la France.

Je souhaiterais également, en ouvrant ces travaux, remercier et féliciter chaleureusement une nouvelle fois le Président Michel Magras et l'ensemble de la Délégation à l'outre-mer, qu'ils soient ultramarins, qu'ils soient au coeur de la France. C'est bien une préoccupation de l'ensemble des sénateurs qui est traduite au travers de cette délégation. Je souhaite également remercier l'équipe administrative qui vous entoure, cher Michel Magras, pour le sérieux et la pertinence des travaux menés dans le cadre de cette délégation, travaux qui concourent à la qualité du travail législatif et de contrôle de notre Haute assemblée.

L'adoption, lors du récent examen du projet de loi relatif à l'égalité réelle outre-mer, de préconisations formulées par notre délégation en matière de foncier à Mayotte et en Guyane, est là pour montrer des aspects très concrets.

Après le bassin Pacifique et ses trois collectivités, c'était en juin 2015, le bassin Atlantique et ses six territoires, c'était en mai 2016, nous abordons aujourd'hui le bassin océanique « Indien » avec deux départements (je leur dois une visite, c'est vrai) :

- Mayotte, aux surnoms évocateurs : île aux parfums pour les uns, île au lagon pour les autres, plus jeune département de France avec une population dont l'âge médian en 2012 était de 17,5 ans, contre 39 ans en moyenne en métropole. Territoire où il existe de nombreuses raisons d'espérer. Sa jeunesse en est une. En effet, si elle est bien formée, elle aura vocation à intégrer des secteurs porteurs de croissance. Mais il ne faut pas se voiler la face non plus, certains freins, que nous ne pouvons pas ignorer, existent, comme par exemple ceux liés à la complexité de la mise en place de la départementalisation, à la faiblesse des finances des collectivités locales ou à l'inquiétude face à la montée de l'insécurité ou à une immigration peu ou mal contrôlée.

- La Réunion, département le plus peuplé d'outre-mer avec plus de 840 000 de nos compatriotes, habituée à un taux de croissance soutenu par rapport à celui des autres territoires ultramarins, voire de métropole. L'enjeu réside donc pour les années à venir dans la capacité de son économie à poursuivre et à amplifier ce rythme de croissance. Elle possède, pour cela, de nombreux secteurs d'avenir, générateurs de développement : le tourisme, avec la montée en puissance de plusieurs hôtels haut de gamme ; le développement des croisières ; le numérique, avec l'ambition des acteurs économiques de faire de La Réunion une forme de Silicon Valley du numérique et de la e-santé, les économies vertes et bleues. De plus, la volonté des chefs d'entreprises de bâtir une Réunion forte et attractive, tout cela est une chance pour ce département.

Toutes deux ont la particularité d'être régies par l'article 73 de notre Constitution. Elles font parties intégrantes du territoire européen. L'acquis communautaire leur est donc pleinement applicable.

Sur le plan financier, l'Union européenne est un partenaire important des outre-mer, même s'il faut demeurer très vigilant face aux risques de remise en cause de la politique européenne de cohésion. C'est un point sur lequel je me suis entretenu avec Jean Bizet il y a peu, et avec le Président Juncker.

Les sommes mobilisées au titre du Fonds européen de développement économique et régional (FEDER) en faveur de l'ensemble des territoires ultramarins représentent près d'un quart de l'enveloppe totale allouée à la France. La dotation du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) représentent 8 à 10 % du total national.

Mais l'Europe est moins solidaire de ses outre-mer notamment dans le cadre des négociations commerciales en raison d'une politique qui paraît souvent déséquilibrée en faveur des pays tiers. Ce souci d'ouverture peut constituer une menace pour certaines grandes filières exportatrices dont la disparition aurait des conséquences dévastatrices pour des économies insulaires, par définition plus vulnérables et plus dépendantes. Cette situation est d'autant plus difficile à comprendre que ces filières de production portent les valeurs européennes d'exigences environnementale et sociale.

La France doit donc faire entendre sa voix devant les instances européennes. Le Sénat, tous groupes politiques confondus, est, me semble-t-il, particulièrement vigilant et prend sa part dans ce combat que nous ne pourrons gagner qu'ensemble.

L'adoption, par notre Haute assemblée, d'une résolution demandant à la Commission européenne d'empêcher ces pratiques pour préserver des pans vitaux de l'activité économique ultramarine, ainsi que l'action conjointe des socio-professionnels, du Gouvernement, des parlementaires nationaux et européens, et en particulier des sénateurs membres de notre délégation, commencent à porter leurs fruits. Là encore, avec le Président Michel Magras, le Président Jean Bizet qui préside notre commission européenne, je suis intervenu auprès du Président de la Commission européenne et de plusieurs commissaires européens, notamment Madame Corina Cretu en charge de la politique régionale et Madame Cécilia Malmström en charge du commerce.

Nous avons pu constater des résultats encourageants de nos démarches dans le cadre de l'accord avec le Vietnam où, grâce à notre appui sans faille, le gouvernement français a obtenu, in fine , l'inscription d'un contingent d'importation réduit de sucres spéciaux à droits nuls ou encore dans l'accord commercial avec l'Équateur, des dispositions favorables aux producteurs européens de banane ont finalement été acceptées. Mais il nous faut rester vigilant, il nous faut rester attentif, et ne pas intervenir au moment où il serait presque trop tard, pour faire porter l'intérêt de nos territoires ultramarins au plan européen.

Si la politique de l'Union européenne me paraît ainsi devoir être infléchie en matière d'échanges commerciaux, notamment agricoles, avec les pays tiers, il est nécessaire également que l'Europe adapte au climat de nos territoires ultramarins son processus d'élaboration des normes. C'est un sujet important. Là encore, notre délégation a fourni un travail remarquable en enquêtant dans le labyrinthe de la réglementation française et européenne, en repérant les défauts des procédures d'homologation et en montrant les lacunes du système de contrôle des importations qui au fond pénalisent nos outre-mer.

Le programme thématique de cette journée vous permettra d'aborder ces questions relatives aux liens européens si importants pour les économies ultramarines. Nul doute que ces échanges soient particulièrement enrichissants.

L'Europe, comme la France, oublie parfois qu'elle n'est pas que continentale. À nous de combattre cette propension et de promouvoir nos outre-mer, - y compris dans les débats que nous allons ouvrir notamment à Rome, la semaine prochaine, à l'occasion de l'anniversaire du Traité et que nous ouvrons dans le cadre du point que nous faisons sur le Brexit, parce que le Brexit est l'occasion d'une refondation de l'Union européenne.

Je vous souhaite donc une très bonne journée. Je suis très heureux d'avoir privilégié cette rencontre dans mon agenda de ce matin pour nous retrouver ainsi, un instant, dans l'océan Indien.

Très bonne journée.

Michel MAGRAS, Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Monsieur le Président du Sénat,

Mesdames et messieurs les Parlementaires et Élus,

Messieurs les Présidents de chambres de commerce et d'industrie qui avez accepté notre proposition de partenariat pour la mise en oeuvre de la conférence d'aujourd'hui,

Monsieur l'Ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien,

Monsieur le Directeur général des outre-mer,

Monsieur le Président de la Fédération des entreprises des outre-mer, cher Jean-Pierre Philibert, compagnon assidu de nos conférences océaniques,

Mesdames et messieurs les acteurs de notre journée consacrée aux enjeux économiques des départements de l'océan Indien,

Chers amis dont la présence nombreuse manifeste le vif intérêt suscité par nos outre-mer,

À la suite du Président du Sénat, Gérard Larcher, qui honore notre manifestation de sa présence et de son chaleureux message, je vous souhaite la bienvenue au Sénat, en mon nom propre et au nom de mes collègues de la Délégation aux outre-mer.

Nous parvenons aujourd'hui au terme de notre voyage autour du monde, commencé le 25 juin 2015 avec les territoires du Pacifique et poursuivi le 19 mai 2016 avec ceux des Amériques.

Le Président du Sénat, Gérard Larcher, nous a fidèlement accompagnés à chacune des étapes, marquant ainsi une nouvelle fois son attachement indéfectible à nos beaux territoires, et je tiens à lui dire ma reconnaissance. Pour ceux qui l'ignoreraient encore, il est à l'origine de la création de notre délégation, héritière d'une mission d'information sur la situation des départements d'outre-mer destinée à analyser les causes de la grave crise économique et sociale qui secouait en 2009 ces territoires. Depuis, l'Assemblée nationale nous a imités en créant une instance équivalente, et la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer (EROM), qui vient d'être définitivement adoptée, confère aux deux délégations un socle législatif.

Un des axes de travail de notre délégation sénatoriale est d'organiser des manifestations pour donner la parole aux acteurs locaux et, dès lors, oeuvrer pour une meilleure connaissance de nos territoires, trop souvent affublés de clichés, mais aussi contribuer à une prise en compte effective de leurs spécificités.

J'ai la faiblesse de penser que ces initiatives, de même que les études de fond que nous menons au sein de la délégation - en ce moment sur la thématique du foncier ou sur les normes applicables en matière agricole ou dans le secteur du bâtiment et des travaux publics - suscitent des avancées concrètes. Je ne citerai que deux exemples récents : les amendements adoptés lors de l'examen au Sénat du projet de loi EROM, créant une Commission de l'urgence foncière à Mayotte, ou l'initiative prise dernièrement à La Réunion par les acteurs du BTP d'organiser un groupe de travail pour faire le point sur les normes applicables en réponse à notre enquête. Ce travail en mode interactif est très enrichissant pour tous et je profite de la tribune d'aujourd'hui pour remercier de leur implication et de leur mobilisation les acteurs économiques locaux et les structures représentatives sectorielles et syndicales ou consulaires, les décideurs politiques locaux et les services de l'État, qui s'efforcent de répondre à nos interrogations. Des déplacements sur le terrain nous permettent de temps à autre de fortifier cette démarche coopérative : nous nous sommes ainsi rendus à Mayotte en octobre 2016 pour étudier la problématique foncière et nous nous rendrons à La Réunion la semaine prochaine pour toucher du doigt les difficultés liées aux normes en matière de construction.

Mais, pour l'heure, nous sommes fiers d'avoir fait venir au Sénat un grand nombre d'acteurs économiques mahorais et réunionnais pour dresser un panorama aussi complet que possible de deux départements aux singularités très marquées et aux personnalités fortes.

Après un portrait sectoriel de chacun dessiné par la première table ronde, nous aborderons dans la deuxième table ronde la question des moyens des entreprises et de leur environnement. Après un déjeuner convivial qui se déroulera salle René Coty auquel notre délégation a le plaisir de tous vous convier, nous reprendrons nos travaux avec une table ronde consacrée aux problématiques européennes. La quatrième et dernière table ronde s'articulera autour des thématiques de la solidarité et de l'innovation qui constituent deux axes majeurs pour le développement et l'épanouissement de nos territoires.

Avant de céder la parole à Jean-Pierre Philibert qui m'a fait l'amitié d'accepter d'assumer l'orchestration de notre matinée, je souhaite souligner que nos outre-mer sont les ambassadeurs de notre pays tout autour de la planète, dans chacun des océans, et qu'ils y sont porteurs de nos valeurs et d'un art de vivre qui en font des îlots de prospérité dans leur environnement régional. C'est évidemment le cas pour La Réunion et pour Mayotte, à la jonction des continents africain et asiatique et à proximité d'autres territoires insulaires tels que Madagascar, Maurice, les Seychelles ou les Comores : selon les chiffres de l'Insee de 2014, le produit intérieur brut (PIB) par habitant à La Réunion est ainsi près du double de celui des Seychelles et près du triple de celui de Maurice ; le coefficient multiplicateur avec celui de l'Afrique du Sud est de 4 et il s'accroît encore avec les Comores (33) et Madagascar (plus de 60). En 2012, le différentiel de PIB par habitant entre Mayotte et les Comores correspond à un rapport de 1 à plus de 13, et ce rapport est encore supérieur si l'on considère le Mozambique (18) ou Madagascar (23,5).

Ces quelques chiffres illustrent la chance d'être français mais confèrent également de lourdes responsabilités dans le maintien des équilibres régionaux. Qu'ils résultent de la mondialisation et des flux démographiques induits ou des évolutions climatiques, nos territoires sont aux avant-postes de tous les bouleversements ; terres d'expérimentation et d'innovation, ils sont à la fois intercesseurs, précurseurs et éveilleurs de conscience.

C'est cette richesse et ce caractère stratégique du rôle joué par nos outre-mer que devrait illustrer notre journée. Je nous souhaite à tous de fructueux travaux.

Je vous remercie.

Première table ronde - Les économies réunionnaise et mahoraise : des identités contrastées, aux fortes spécificités

Animateur de la table ronde

Jean-Pierre Philibert,

Président de la Fédération des entreprises des outre-mer (Fedom)

Première séquence - La Réunion

Propos introductif

Gélita HOARAU, Sénatrice de La Réunion

Monsieur le Président du Sénat,

Monsieur le Président de la Délégation aux outre-mer,

Mesdames et messieurs les Parlementaires et Élus,

Monsieur l'Ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien,

Monsieur le Directeur général des outre-mer,

Monsieur le Président de la Fédération des entreprises des outre-mer,

Mesdames, messieurs,

Chers amis,

Je salue l'initiative de la Délégation aux outre-mer et je souhaite aller droit au but car, selon une expression de l'Insee qui date déjà de 2013, La Réunion est un « département, socialement hors norme ».

Le taux de chômage demeure à un niveau extrêmement élevé, il est trois fois supérieur à la moyenne de la France hexagonale. Plus de la moitié des jeunes qui ont quitté l'école sont privés d'emploi. C'est une force de travail d'une richesse exceptionnelle qui ne peut s'exprimer. Cela génère donc d'importantes frustrations de la part d'une population qui se sent exclue de la société.

Conséquence de ce chômage, plus de 40 % des Réunionnais vivent en dessous du seuil de pauvreté de l'Hexagone.

Dernier indice alarmant : le taux d'illettrisme. Il reste plus de trois fois supérieur à celui de l'Hexagone. En ma qualité d'enseignante, vous comprendrez combien je déplore cette situation, car l'illettrisme est une des principales sources d'exclusion !

Le monde change. La Réunion se dirige vers le million d'habitants et se situe au coeur d'une région marquée par une démographie très dynamique. En 2050, Madagascar, située à 800 kilomètres de chez nous, comptera plus de 40 millions d'habitants. Pour d'autres pays dans le voisinage de La Réunion, l'Organisation des Nations Unies (ONU) prévoit pour la même échéance 65 millions d'habitants au Mozambique, 137 millions en Tanzanie.

Cette croissance démographique aura lieu alors que les effets du changement climatique continueront à s'amplifier. Cela se traduira notamment par la montée du niveau de la mer qui conduira des millions de personnes à chercher un autre lieu de vie. La sécheresse fait déjà des ravages, en particulier à Madagascar. À Mayotte, le manque d'eau perturbe considérablement la vie de ce département. Le changement climatique va donc peser sur le développement économique des décennies à venir. La Réunion sera elle aussi concernée.

En conséquence, nous devons avoir le courage de dire qu'il nous faut un nouveau cadre normatif pour traiter tous les problèmes globalement, en particulier ceux de l'économie.

71 ans après l'abolition du statut colonial et sa transformation en département français, La Réunion est à la croisée des chemins.

La suppression cette année des quotas sucriers suscite une grande inquiétude. Dans la compétition mondiale, La Réunion n'est pas de taille à résister à l'Europe ou l'Amérique latine. La survie de la filière canne-sucre et de ses 18 000 emplois dépend donc actuellement, d'une part, d'une aide d'État visant à réduire le déficit de compétitivité de ce secteur et, d'autre part, de l'exclusion des sucres spéciaux des accords commerciaux entre l'Union européenne et les pays tiers. Autant de protections bien fragiles face à la demande constante d'abattre les barrières tarifaires.

De plus, l'Union européenne négocie un accord de partenariat économique avec le groupe des pays d'Afrique australe et orientale, les voisins de La Réunion. Ce sont les produits d'un ensemble économique de plus de 600 millions d'habitants qui pourront entrer sans taxe dans le marché européen, donc à La Réunion. Nombre de ces marchandises concurrencent directement la production réunionnaise. L'histoire nous enseigne que les articles 299-2 puis 349 du Traité européen, et donc notre statut de région ultrapériphérique (RUP), n'ont pas empêché que l'abolition des quotas sucriers s'appliquent à notre île.

L'intégration économique de La Réunion dans son environnement régional va déterminer l'avenir de sa société. Si elle se faisait au détriment de nos intérêts, elle pourrait faire de notre île un département encore plus « socialement hors norme ».

C'est pourquoi je considère qu'il est important qu'un moyen soit trouvé pour que les Réunionnais puissent être directement associés à ces négociations. Mesdames, messieurs, chers collègues, regardons la réalité en face et n'hésitons pas à changer de logiciel. Les Réunionnais appellent à la responsabilité.

En son temps, le sénateur Paul Vergès avait déposé une proposition de résolution le 3 juin 2014 relative à une nouvelle politique énergétique et à un co-développement durable et solidaire dans l'océan Indien. Cela aurait permis de réaliser une initiative concrète et significative à la veille du Sommet de Paris en 2015. La France peut reprendre ce projet.

La Réunion dispose d'importants atouts pour relever les défis d'aujourd'hui et demain que sont la transition démographique, la fracture sociale, la révolution technologique, le changement climatique et la mondialisation des échanges économiques.

Ces défis ont été inlassablement mis en exergue par Paul Vergès, à qui j'ai le grand honneur de succéder au Sénat et dont le charisme visionnaire a longtemps présidé aux destinées de notre île. Je tiens, en cet instant, à honorer sa mémoire. Son analyse nous aurait été précieuse aujourd'hui.

Je vous remercie de votre attention.

Hervé BACHERÉ, Responsable de publication à la Direction des statistiques d'entreprise de la Direction générale de l'Insee

Poursuivre le développement de l'économie productive réunionnaise, une clé de la réduction des écarts de richesse créée par habitant

L'Insee est présent dans l'océan Indien à travers une direction régionale disposant de deux sites, l'un à La Réunion, l'autre à Mayotte. Celle-ci collecte et produit des informations statistiques d'une part, réalise des études visant à identifier les spécificités et les enjeux régionaux et locaux d'autre part. Ces travaux permettent notamment de décrire le tissu entrepreneurial de La Réunion, en dressant les constats suivants.

Un PIB par habitant plus faible qu'en France, mais élevé dans la zone

En 2013, le PIB par habitant s'établit à 19 300 euros à La Réunion, soit 1,5 fois moins que le niveau français 1 ( * ) . Un nombre d'emplois par habitant plus faible et une moindre productivité des emplois pénalisent la richesse dégagée par habitant. Par rapport à ses voisins de l'océan Indien, La Réunion se situe en revanche nettement au-dessus en termes de richesse créée par habitant.

Source : Insee - Comptes économiques

Des activités productives moins développées qu'en métropole

Comme dans les autres départements d'outre-mer, l'économie productive, qui regroupe les activités potentiellement exportatrices de biens et services (agriculture, industrie, commerce de gros et services aux entreprises), est moins développée à La Réunion qu'en moyenne nationale : 22 % des emplois relèvent de la sphère productive, contre 34 % au niveau national 2 ( * ) . Cela s'explique par un développement économique plus tardif et des handicaps naturels, notamment l'éloignement de la métropole et la taille du marché. La faible ouverture vers l'extérieur de l'économie réunionnaise, en particulier vers ses voisins de l'océan Indien, explique aussi sans doute en partie le poids limité de cette économie productive. Ainsi, si la part de l'emploi public dans l'emploi total est élevée (31 % contre 21 % en métropole), c'est surtout parce qu'il manque des emplois relevant du secteur privé.

Mais l'emploi est très dynamique dans cette sphère productive sur la période récente : il a progressé de 6,2 % à La Réunion entre 2008 et 2013, alors qu'il diminuait de 1,5 % en moyenne nationale. La croissance de l'emploi régional dans cette sphère est même plus forte que dans la sphère présentielle.

Répartition entre activités productives et présentielles

Source : Insee Clap

Des services aux particuliers très développés

La répartition de l'emploi selon les secteurs d'activité à La Réunion est sensiblement différente de celle de la France entière : outre le poids important de l'administration publique déjà évoqué, les services aux particuliers sont très développés : santé, activités artistiques et récréatives, associations... À l'inverse, l'industrie manufacturière est nettement moins présente qu'en moyenne nationale, de même que les activités financières et d'assurance. En dépit des atouts touristiques de la région, l'hébergement- restauration est également moins représenté.

Indice de spécificité sectorielle pour les 20 secteurs d'activité : La Réunion par rapport à la France entière

Source : Insee Clap 2014 - Nomenclature en 38 secteurs

48 000 entreprises, 6,6 milliards d'euros de valeur ajoutée

En 2014, La Réunion compte 48 000 entreprises marchandes, qui dégagent 6,6 milliards d'euros de valeur ajoutée. Les entreprises participent donc pour 40 % au PIB réunionnais ; en comparaison, au niveau national, les entreprises contribuent pour 50 % du PIB. Les entreprises réunionnaises réalisent 0,6 % de la valeur ajoutée produite par les entreprises en France. Du fait de son insularité, La Réunion importe beaucoup plus qu'elle n'exporte : en 2015, 4 672 millions d'euros d'importations pour 294 millions d'euros d'exportations. En 2014, le taux de marge des entreprises hors micro-entreprises s'élève à 31 %, contre 25,3 % en métropole.

Des entreprises relativement petites

En 2014, les trois quarts des entreprises réunionnaises n'emploient aucun salarié, tandis que seulement 17 entreprises en emploient plus de 250. Les entreprises sont moins concentrées à La Réunion qu'en métropole : en proportion, il y a moins de très grosses entreprises. Par exemple, 1 % des entreprises (hors micro-entreprises) réalisent 40 % de la valeur ajoutée contre 65 % en France. L'investissement est très concentré : les 5 % des entreprises qui investissent le plus représentent 95 % de l'investissement total.

Concentration dans le secteur marchand (en part cumulée)

Source : Insee Esane 2014 (données individuelles)

Champ : entreprises des secteurs principalement marchands non agricoles et financiers, hors micro-entrepreneurs et micro-entreprises au sens fiscal

Les créations d'entreprises en baisse

Entre 2010 et 2014, les créations d'entreprises ont baissé à La Réunion : la région avait un taux de création très élevé en 2010 et il est désormais inférieur à la moyenne métropolitaine 3 ( * ) . Le profil des entreprises créées a aussi évolué, avec beaucoup moins de créations dans le secteur du commerce. Si les chômeurs restent les premiers créateurs au premier semestre 2014, ils sont moins nombreux qu'en 2010. La part des femmes parmi les créateurs d'entreprises reste stable (29 %).

Comme la tendance nationale, les créateurs sont un peu plus âgés et diplômés qu'en 2010. Ils ont aussi plus d'expérience dans leur domaine. Mais les projets démarrent avec un investissement financier nettement plus faible qu'en 2010 et les créateurs sollicitent moins souvent les aides publiques. Au démarrage de leur activité, moins d'une nouvelle entreprise sur cinq emploie des salariés.

Les créations d'entreprises à La Réunion (secteurs marchands hors agriculture)

Source : Insee - Sirene - Répertoire des entreprises et des établissements

Des entreprises moins pérennes qu'en métropole

Trois ans après leur création, 64 % des entreprises créées en 2010 à La Réunion sont encore en activité. La pérennité à trois ans s'améliore comparativement à la génération 2006, qui s'élève à 61 %, du fait d'une conjoncture économique moins dégradée en 2013 qu'en 2009, mais aussi d'une amélioration du profil des créateurs. Toutefois, le taux de survie reste plus faible qu'au niveau national (71 %). À La Réunion, la catégorie juridique est le critère le plus important pour la pérennité des entreprises, bien plus qu'au niveau national. Ainsi, après trois ans d'existence, à peine plus de la moitié des entreprises individuelles réunionnaises sont toujours en activité ; a contrario , huit sociétés réunionnaises sur dix sont encore actives trois ans après leur création (83 %), soit 6 points de plus qu'au niveau national.

Taux de pérennité des entreprises créées en 2006 et 2010

Source : Insee, Sine 2006 et 2010

Champ : entreprises du champ Sine, hors régime de l'auto-entrepreneur

Daniel MOREAU, Président de l'Association pour le développement industriel de La Réunion (Adir)

Une industrie dynamique qui porte le développement économique

L'économie réunionnaise est dynamique : ce sont plus de 5 000 entreprises créées tous les ans. Cette dynamique se traduit par une augmentation de la création d'emplois de près de 3,3 % en 2016, représentant près de 4 750 emplois supplémentaires. Mais cette dynamique exceptionnelle ne parvient pas à contenir la croissance de la population active supérieure à 6 500 personnes en moyenne tous les ans. La structure de la population est également particulière puisque les moins de 20 ans représente 31 % de cette dernière contre 24 % en métropole.

La mobilisation du secteur privé en termes de création d'emplois ne peut donc seule apporter une réponse suffisante. L'ensemble des acteurs publics et privés du territoire doit travailler de concert pour proposer un modèle de société durable permettant de poursuivre le rattrapage engagé depuis la départementalisation.

L'industrie réunionnaise est un vecteur de croissance qu'il faut soutenir : en effet, les 4 700 entreprises industrielles réunionnaises génèrent plus de 3,37 milliards d'euros de chiffre d'affaires et occupe plus de 16 800 emplois. Cependant, sa part dans la valeur ajoutée locale est de 7,7 % contre 13,8 % au niveau national ; il faut donc soutenir l'industrie et la production réunionnaise pour que cette dernière continue à générer des emplois stables et non délocalisables.

Mais entreprendre une activité industrielle est une aventure complexe ! Il faut imaginer le produit, prendre le risque marché, investir lourdement dans l'appareil productif, intégrer la question logistique, recruter, mettre en marché, et surtout, vendre ! Cette aventure est d'autant plus singulière qu'on la réalise en outre-mer où le rapport entre les montants de capitaux engagés et la taille réduite des marchés rend les équilibres fragiles... Et pourtant, l'industrie réunionnaise investit tous les jours, et de nouveaux appareils productifs, modernes et performants complètent un outil industriel exceptionnel pour un territoire insulaire comme le nôtre.

L'industrie réunionnaise s'est diversifiée autour de l'agroalimentaire, des biens d'équipement, des biens de consommation et des biens intermédiaires. Cette force économique s'est construite en répondant aux défis qui sont les nôtres, le premier étant le temps. La logique industrielle est une logique du temps long, il faut pouvoir investir en sérénité et envisager finement les retours attendus. Notre territoire économique, de par ses handicaps structurels, est accompagné par des dispositifs régionaux, nationaux ou européens. Cela permet de rendre possible l'industrie et la création d'emplois industriels et il est impossible de conduire un projet industriel sans visibilité sur ces dispositifs. Nous travaillons donc, auprès des collectivités locales, de l'État et de la Commission européenne pour faire en sorte que les dispositifs en vigueur ne soient pas remis en cause de manière systématique, au gré des agendas politiques ou sociaux. Nous voulons une politique de développement économique stable, autorisant la compétitivité de nos entreprises sur le long terme, dans un contexte concurrentiel accru.

Une industrie qui marche, c'est une industrie qui vend ! Nous devons donc poursuivre les efforts engagés en matière d'innovation pour proposer des produits toujours plus performants et adaptés à nos marchés et aux attentes de consommateurs de plus en plus exigeants.

Des contraintes qui doivent amener des solutions adaptées

Notre environnement géographique doit être pris en compte dans les analyses conduites car il est particulier. Si, en effet, nous partageons avec nos proches voisins l'insularité, ce qui nous distingue est plus grand... Ainsi, Madagascar concentre près des neuf dixièmes de la population totale de l'espace régional alors que le tandem Réunion-Maurice est à l'origine de plus des deux tiers de la production économique. Quant au niveau de vie par habitant, il se distribue dans un rapport de 1 à 40 (450 dollars par habitant et par an à Madagascar pour 17 600 dollars par habitant et par an à La Réunion !).

L'analyse des données d'import-export montre que le niveau des échanges reste faible et la coopération régionale pour le secteur privé embryonnaire. Même si un pôle d'échanges intra-régional est identifiable, principalement entre Madagascar, La Réunion et Maurice, les échanges à l'intérieur de la région se maintiennent à un niveau qui reste limité, estimé entre 3 et 5 % des flux commerciaux de la zone.

Nos stratégies de développement doivent donc tenir compte de cet environnement, car si le marché intérieur reste à conquérir, nos réflexions ne peuvent faire l'économie de l'ouverture internationale.

Au niveau européen, la tendance est clairement à la réindustrialisation du tissu économique, les services, délocalisables, « uberisables », et très volatils sont certes essentiels au développement économique mais ne permettent pas de bâtir un socle économique suffisamment solide. Cette prise de conscience est également réelle au niveau national, elle se traduit par la mise en oeuvre de stratégies ambitieuses comme le plan « Industrie du futur » ou la version initiale du « Pacte de responsabilité » qui devait être ciblé sur la seule industrie. Ces stratégies ne peuvent oublier nos territoires ; elles doivent donc trouver des déclinaisons opérationnelles, adaptées et tenant compte des réalités auxquelles nous faisons face :

- notre économie subit des handicaps permanents qui grèvent sa compétitivité. Leurs effets ne peuvent que tendre à s'aggraver tant la morphologie du tissu économique réunionnais diffère de celle du marché continental européen et mondial qui, en restructuration constante, est guidée par la recherche systématique d'économies d'échelle auxquelles notre industrie ne peut prétendre ; c'est là le pivot du raisonnement ;

- l'éloignement des sources d'approvisionnement ne permet pas la gestion en flux tendu telle qu'elle est pratiquée en Europe. Les approvisionnements constituent pour l'essentiel des entreprises un souci majeur et les délais d'approvisionnement impliquent un volume et des surfaces de stockage importants, ce qui renchérit les coûts de la matière première. L'étroitesse du marché local freine le développement d'une connectivité maritime et aérienne performante, même si de grands opérateurs mondiaux, comme la CMA CGM, ont choisi de faire de La Réunion un hub d'éclatement dans l'océan Indien depuis cette année ;

- l'outil de production est souvent surdimensionné pour le marché local mais sous-dimensionné par rapport à des unités semblables en Europe. Les lignes de production ne sont en moyenne utilisées qu'à 63 % de leur capacité. Cette sous-utilisation des capacités de production fait baisser la rentabilité des investissements et la compétitivité sur les coûts des produits face aux importations. Par ailleurs, compte tenu de l'étroitesse des marchés locaux, l'ensemble des frais fixes est amorti sur des volumes bien inférieurs à ceux auxquels peuvent prétendre leurs concurrentes continentales, ce qui accroît fortement leurs handicaps de compétitivité. Les efforts déployés par les entreprises locales pour différencier leur offre sur des critères de compétitivité hors coûts, qualité et services notamment, ne peuvent suffire à combler ces handicaps.

- citoyennes et européennes, les industries réunionnaises appliquent à la lettre toutes les réglementations, notamment sur le plan social et environnemental, ce qui les place dans une situation de compétitivité défavorable par rapport aux entreprises des pays de la zone, non astreintes aux mêmes obligations.

Des opportunités réelles qu'il faut saisir

L'industrie réunionnaise affronte ces handicaps en proposant des produits toujours plus adaptés au marché réunionnais. Il apparaît indispensable d'explorer toutes les possibilités que peut encore offrir l'import-substitution et elles sont nombreuses lorsque l'on considère le poids des importations de l'île. Il reste également des niches à développer. L'ensemble de ces opportunités peut permettre de créer des unités de production qui peuvent générer des centaines d'emplois.

Toutes les économies s'appuient sur la dynamique de leur marché intérieur pour envisager des développements à l'export ensuite. Le marché intérieur réunionnais, du fait de la démographie et du rattrapage continu des niveaux de vie, est particulièrement dynamique. L'industrie réunionnaise a une volonté forte : être leader sur son marché intérieur. Ce leadership est nécessaire car il renforce la crédibilité du produit et génère du volume d'activité. Il impose des contraintes d'agilité, de performance. C'est en développant encore plus ce socle de compétences que la production locale pourra s'envisager un futur à l'export.

La puissance publique doit être un partenaire de cette ambition, avec les marchés publics, mais également grâce à des dispositifs performants de développement économique (différentiel d'octroi de mer, Fonds européen de développement économique régional (FEDER), défiscalisation, soutien à la recherche et développement...).

Dans tous les secteurs de l'industrie, l'innovation est un enjeu et une nécessité. L'objectif est double : se différencier pour faire face à un contexte très concurrentiel et répondre aux besoins des consommateurs de demain. Si l'effort d'investissement en matière de recherche et développement doit encore s'accentuer, les savoir-faire industriels réunionnais sont parfaitement adaptés à un environnement complexe. Il a fallu adapter les outils productifs et les produits aux attentes d'un marché étroit mais dynamique, et surtout aux attentes de consommateurs ouverts sur le monde et demandeurs de produits de qualité. De fait, l'industrie est devenue agile, adaptée à de petites productions, et elle sait respecter toutes les normes européennes ou françaises que ce soit en matière de qualité ou d'environnement.

Les secteurs ciblés dans les projets stratégiques du territoire, comme l'environnement, la construction durable ou l'agro-industrie ont bénéficié d'un soutien qui permet aujourd'hui de parler d'offre réunionnaise.

Nous voulons collectivement, avec le recul qui est le nôtre sur le secteur de la production locale, poursuivre le développement d'une industrie dynamique, inclusive et rayonnante.

Des leviers à mettre en oeuvre immédiatement pour restaurer la confiance

Les leviers pour la consolidation et le développement d'une industrie réunionnaise sont connus : il s'agit tout d'abord de réduire le coût du travail car c'est un élément de compétitivité majeur de l'industrie. Nous devons bénéficier d'une projection des mesures nationales permettant de ne pas réduire l'écart de compétitivité inhérent à notre territoire. Pour exemple, la loi de finances pour 2017 propose une majoration de 1 % du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) au niveau national, sans que cela ait été décliné dans les DOM. C'est une erreur qui représente un déficit de compétitivité de près de 60 millions d'euros pour nos entreprises. De même, le coup de rabot qui a été appliqué sur les exonérations de charges sociales dont nous bénéficions coûte aux entreprises des DOM depuis 2013 près de 195 millions d'euros par an (rapport de la commission des finances de l'Assemblée nationale sur le projet de loi de finances pour 2017, annexe n° 33 dont le rapporteur spécial est le député Marc Laffineur). Si on y ajoute les autres mesures défavorables, appliquées en 2012, notamment fiscales, le montant atteint près de 300 millions d'euros par an ! Nos principaux concurrents sont des acteurs économiques métropolitains : attaquer de cette manière nos économies est l'exact inverse du soutien, légitime, que nous pouvons attendre...

Pour produire, il faut investir et donc trouver des dispositifs permettant de relever, à des niveaux acceptables, la rentabilité des investissements réalisés.

Entre 2009 et 2016, le coût des dépenses fiscales relatives à la défiscalisation des investissements productifs (art. 199 undecies B) est passé de 770 millions d'euros à 285 millions d'euros, soit une baisse de 63 % représentant 485 millions d'euros.

Il faut donc :

- autoriser à nouveau l'aide fiscale aux investissements de renouvellement ;

- revenir sur la limitation de l'aide fiscale aux seuls investissements autonomes ;

- limiter le recours obligatoire au mécanisme du crédit d'impôt aux entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 20 millions d'euros ;

- déconcentrer au niveau local les demandes d'agrément inférieures à 5 millions d'euros ;

- pérenniser le régime de défiscalisation jusqu'en 2027 (au lieu de 2020) ;

- attirer des investisseurs et drainer l'épargne extérieure vers les DOM (l'exemple de l'ouverture des souscripteurs possibles des FIP DOM à l'ensemble des contribuables nationaux par la loi EROM est une bonne chose).

Par ailleurs, et afin d'être compétitifs, nous nous devons d'être innovants, en adaptant nos productions aux exigences toujours plus fortes du marché local et en proposant des produits cohérents pour nos cibles à l'export (aujourd'hui majoritairement la métropole, mais demain, pourquoi pas les pays de la zone).

Il faut donc pouvoir amplifier l'effort des DOM en matière de recherche et développement (R&D).

L'effort de R&D en outre-mer est parmi les plus faibles de France. Ramené en pourcentage du PIB, il est 4 fois moins élevé qu'au niveau national, et il ne représente qu'un cinquième de l'objectif de 3 % fixé par l'Union européenne.

La R&D est un point clé qui permettra à la fois de consolider les entreprises existantes, notamment celles qui sont le plus fortement confrontées à la concurrence extérieure, et de favoriser l'émergence de nouvelles activités.

Nous proposons ainsi de porter le taux du crédit impôt recherche dans les DOM, de 50 % actuellement, à 75 % pour les entreprises des secteurs prioritaires ou fortement exposés à la concurrence extérieure, et à 60 % pour les autres entreprises (art. 244 quater B)

Pour les dépenses de R&D réalisées dans les DOM, il faut retenir la totalité des dépenses éligibles exposées dans l'année même si les dépenses totales de R&D de l'entreprise concernée dépassent le plafond de 100 millions d'euros stipulé dans l'art. 244 quater B.

L'objectif est d'encourager de grandes entreprises nationales ou étrangères à localiser dans les DOM une partie de leurs activités de R&D.

Il faut par ailleurs porter le taux du crédit impôt innovation dans les DOM, de 40 % actuellement, à 65 % pour les entreprises des secteurs prioritaires ou fortement exposés à la concurrence extérieure, et à 50 % pour les autres entreprises.

Le soutien à l'exportation est enfin un levier essentiel pour le développement de notre industrie. Dans cette optique, des mesures de bonification des mesures de réduction du coût du travail, de soutien logistique, d'accompagnement et de financement pour les entreprises exportatrices s'avèrent nécessaires.

Un cadre européen en lien avec les enjeux de notre développement industriel

Il s'agit d'obtenir de l'Union européenne une meilleure prise en compte des intérêts des RUP, et c'est tout l'enjeu du mémorandum des régions ultrapériphérique en cours de réalisation et qui sera présenté fin mars à Bruxelles.

L'Europe doit permettre de sécuriser les mesures de compensation des handicaps des DOM existantes et un renforcement des politiques communautaires et nationales en leur faveur.

Les sujets clés visés par cette démarche sont notamment :

- l'outil du développement industriel est l'octroi de mer. Cet outil, indispensable, doit voir sa gestion simplifiée afin qu'elle puisse être plus dynamique et plus en phase avec les réalités industrielles. Il faut assumer le rôle essentiel que joue l'octroi de mer dans le développement économique industriel et dans la sécurisation des emplois qui sont liés.

Nous souhaitons une gestion dynamique et simplifiée du dispositif de l'octroi de mer, qui doit être considéré comme étant l'outil majeur du développement industriel ;

- les plafonds encadrant les taux d'intervention de la puissance publique dans le secteur économique doivent être envisagés au regard du climat des affaires dans lequel évoluent les RUP. Ces plafonds doivent être aménagés pour être en phase avec ces réalités, et leur utilisation doit être optimisée dans les financements publics.

Les taux d'intervention tant pour les investissements que pour les coûts d'exploitation des entreprises industrielles doivent pouvoir être fixés au niveau approprié aux contraintes de compétitivité de notre industrie ;

- il est indispensable que les produits importés en Europe, concurrents de nos productions, soient soumis, de leur conception à leur livraison, aux mêmes normes que celles qui encadrent nos métiers.

Nous souhaitons une parfaite égalité de traitement concernant le respect des normes européennes dans la phase de production des produits importés (problème de l'imprimerie, directive REACH, produits phytosanitaires pour agriculture tropicale). D'un autre côté, l'adaptation de certaines réglementations à notre contexte doit être possible (exportation de déchets vers l'Afrique du Sud).

Pour exemple, le secteur de l'imprimerie réunionnais importe du papier, notamment chinois, pour des raisons logistiques évidentes. Ce dernier est taxé à près de 35 % à l'entrée sur notre territoire alors qu'il entre librement chez nos voisins, qui peuvent ainsi réexporter des imprimés vers La Réunion sans que le papier ait été soumis à cette taxe !

- par ailleurs, La Réunion doit être considérée comme un territoire avancé de l'Europe dans la zone, et que nous soyons au coeur de l'influence économique européenne. Les accords internationaux conclus par l'Europe avec les pays de la zone ne devraient pas pouvoir se négocier sans participation de La Réunion.

Nous souhaitons que La Réunion soit impliquée dans les négociations internationales conduites par l'Europe, et ce dès que ses intérêts sont concernés.

L'industrie agroalimentaire : un succès construit de longue date

L'agroalimentaire réunionnais est le premier secteur industriel de l'île, avec 38 % du chiffre d'affaires et 32 % des emplois. Elle est à l'origine des deux premiers postes à l'export de l'île : le sucre (n° 1) avec 70 millions d'euros en 2011 (en moyenne 75,7 millions d'euros sur 3 ans) et les produits de la pêche (n° 2) avec 66 millions d'euros. En 2010, le chiffre d'affaires de l'activité agro-industrielle hors artisanat commercial s'élève à 1 028 millions d'euros et l'activité dégage une valeur ajoutée globale de 228 millions d'euros, représentant plus de 90 % des exportations réunionnaises avec plus de 200 millions d'euros exportés annuellement. L'industrie agroalimentaire repose sur un tissu de 305 entreprises qui emploient 3 800 salariés dans une grande variété de secteurs : industrie des viandes, du poisson, du sucre et du lait, des plats cuisinés, de la boulangerie industrielle, des rizeries...

Un fait marquant est la grande proximité de l'industrie avec le tissu social et économique local marquée par un ancrage profond au territoire. Les liens étroits entre la production locale agricole en amont et la transformation, qu'illustre la part importante du secteur coopératif, contribuent à garantir un débouché et à stabiliser le marché. Des filières organisées se sont très tôt constituées en interprofessions, dès 1979 pour la filière viande (à l'exception du secteur caprin) avec l'Association réunionnaise interprofessionnelle pour le bétail et les viandes (Aribev) et l'Association réunionnaise interprofessionnelle de la volaille et du lapin (Ariv), et en 2007 pour la filière canne-sucre avec la convention canne 2006-2015 issue de la dernière Organisation commune des marchés (OCM). Le secteur des fruits et légumes dispose lui aussi d'une interprofession, l'Association réunionnaise interprofessionnelle fruits et légumes (Arifel), créée en 2012.

Plus de précisions seront données ultérieurement dans cette conférence économique sur les filières agricoles (Monsieur Maurice Cérisola sur les filières animales au cours de la première table ronde, Monsieur Philippe Labro sur la filière canne-sucre, et moi-même sur la filière fruits et légumes au cours de la troisième table ronde).

L'agro-industrie réunionnaise est à la pointe des logiques d'économie circulaire. En effet, les contraintes de production sont telles qu'il a fallu envisager toutes les solutions permettant de limiter, d'une part, la dépendance aux importations et, d'autre part, la génération de déchets. Des exemples précis permettent d'illustrer ce savoir-faire :

- Valavie (groupe Aviferme) : unité de production d'engrais sous forme de granulats à partir de déjections de volailles, 1 500 tonnes par an, 2 millions d'euros d'investissements achevés en 2013 ; localisation : Le Tampon ;

- Petfood Run (groupe Urcoopa) : unité de production d'aliments en granulés pour animaux domestiques, recyclage de 3 200 tonnes de carcasse de volailles, 8,5 millions d'euros d'investissements achevés en 2013 ; localisation : Saint-Paul.

- Rivière du Mat (groupe la Martiniquaise) : accroissement de capacité de méthanisation d'effluents de distillerie (vinasses) avec production de vapeur pour autoconsommation et, en projet, d'électricité pour réinjection dans le réseau EDF ; en aval, production d'alcool alimentaire et de biocarburant, à partir de mélasses issues des sucreries, le biocarburant étant destiné à une turbine à combustion pour la production d'électricité pour la région Sud de l'île. Montant des investissements : 28 millions d'euros (de 2011 à 2015 ; y compris pour l'accroissement de capacité de production en alcool). L'épandage des boues issues de la méthanisation pour fertiliser des champs de canne est également prévu ; localisation : Saint-Benoit.

Maurice CÉRISOLA, Ancien dirigeant d'un complexe agroalimentaire

Je m'exprimerai au nom du Président Paul Martinel qui n'a pas pu se déplacer.

La filière laitière est historiquement la première à avoir été fondée à La Réunion. Dans les Hauts de cette île montagneuse, la culture du géranium occupait une place très importante. Elle permettait de produire des huiles essentielles utilisées par les parfumeurs du monde entier. À la suite de l'effondrement du cours de cette plante, dans les années 1960, les fleuristes se sont progressivement reconvertis en producteurs de lait.

La Société d'aide technique et de coopération (Satec) fit alors venir d'Australie 160 vaches. Actuellement, La Réunion compte environ 80 élevages. La SICA Lait produit 20 millions de litres de lait. L'industrie de transformation est principalement constituée par la Compagnie laitière des Mascareignes (Cilam). Elle fournit aux Réunionnais des yaourts, des fromages et toutes sortes de produits. L'aménagement du territoire s'est poursuivi avec l'ensemble des filières animales.

La population de La Réunion est de plus en plus jeune. Chaque année, nous comptons 8 000 à 9 000 personnes de plus. Nous avons l'impérieuse nécessité de créer des activités et de l'emploi. Dans les années 1980, à l'initiative de personnalités fortes issues du monde coopératif, nous avons eu l'idée d'installer dans les Hauts des producteurs et des éleveurs selon un modèle à taille humaine. Parallèlement, l'Europe dérivait vers des exploitations importantes et quelquefois monstrueuses. Progressivement, une industrie de transformation s'est également constituée.

Nous devions aussi sécuriser la commercialisation avec des prix de reprise garantis. Il est impossible sinon qu'un éleveur souscrive un prêt. Cette réalité nous renvoie à la notion de vivre ensemble. Entre l'éleveur-producteur et le consommateur, nous trouvons les outils de transformation, la réglementation sanitaire et les lieux de vente. Ils consistent de plus en plus dans des grandes surfaces. Elles font partie de notre quotidien.

Les Réunionnais sont sans cesse confrontés à un dilemme. D'une part, les consommateurs veulent bénéficier de produits peu onéreux. D'autre part, ils sont soucieux de l'emploi et donc de la consommation d'articles locaux. Nous sommes en permanence placés devant ce paradoxe. Nous devons procéder à l'ajustement entre le prix de revient, le prix de vente et le prix accessible aux éleveurs. Les acteurs de l'époque ont eu l'intuition de réunir tous les partenaires.

C'est ainsi que des interprofessions se sont créées dans chacune des filières animales. Elles reposent sur un système de cotisation volontaire obligatoire. Leur budget est accompagné à 50 % par le Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI). Il représentait 22 millions d'euros en 2015. En dépit de la « guerre des enseignes », les grandes et moyennes surfaces (GMS) ont néanmoins porté une attention particulière aux productions locales. Nous avons ainsi réussi à faire fonctionner un système à la quasi-satisfaction générale.

L'objectif de l'autosuffisance a semblé accessible malgré nos handicaps : l'absence de matière première pour l'alimentation du bétail, les difficultés d'une logistique de montagne et la crise économique. Les produits de pays coûtent plus cher mais, selon la célèbre formule, « nos achats sont nos emplois ». Nous devons néanmoins produire plus pour vendre plus, car les outils sont souvent surdimensionnés. La part relative à l'alimentation diminue dans le budget familial. Il convient d'imposer aux collectivités l'achat local. Sur ce point, nous aimerions bénéficier d'une détermination encore plus forte de nos gestionnaires.

Notre principal concurrent demeure la France métropolitaine. Comme indiqué précédemment, les filières animales ont profité d'environ 22 millions d'euros en 2015. Les interprofessions, l'Association réunionnaise interprofessionnelle de la volaille et du lapin (Ariv), l'Association réunionnaise interprofessionnelle pour le bétail et les viandes (Aribev) et l'Association réunionnaise de la pêche et de l'aquaculture (Aripa) disposent d'un ratio de financement de 50 %. Nous pouvons néanmoins nous interroger sur la cohérence des politiques publiques.

Les marchés de dégagement consistent dans des produits venant d'Europe continentale et de France métropolitaine. Le POSEI est un outil visant à compenser les handicaps structurels de nos filières. Toutefois, la concurrence de ces denrées sur notre économie locale amoindrit très fortement son efficacité. Elles sont envoyées à La Réunion pour ne pas déstabiliser le marché continental. Nous voulons exister légitimement et vigoureusement.

Gaston BIGEY, Directeur général délégué de l'Agence régional de développement, d'investissement et d'innovation de La Réunion (Nexa)

Je tiens à remercier les organisateurs de m'accorder la parole lors de cette journée qui jette un regard neuf sur les réalités et les potentialités ultramarines.

Pour ce qui nous concerne, il y a eu d'abord la départementalisation qui a clairement signifié une période d'explosion des transferts publics en faveur de notre territoire et qui d'un point de vue macro-économique a provoqué une explosion de la demande, le développement du commerce et de son corollaire l'augmentation des importations, mais aussi l'émergence et le développement d'un secteur d'import-substitution.

Tous ces éléments ont permis un rattrapage économique et humain exceptionnel sur une période de 70 ans.

Comment concilier l'inconciliable ? Répondre aux besoins et aux aspirations d'une population croissante et créer des activités et des emplois, dans un contexte contraint, sans mettre à mal les milieux naturels fragiles qui constituent notre principale richesse. Tel est le défi central auquel sont confrontés les petits territoires insulaires.

Le modèle économique actuel des départements d'outre-mer, hérité de la départementalisation, peine pourtant aujourd'hui à y répondre. Il repose en effet sur la production de masse dans un processus linéaire hérité des modèles de production des première et deuxième révolutions industrielles, transposition d'un modèle occidental de grands pays : extraction de ressources, transformation, consommation, rejet. Cette approche pose un triple problème pour de petites îles :

- un déficit de compétitivité, en raison des difficultés à atteindre ou obtenir les économies d'échelles nécessaires ;

- une dépendance croissante aux importations : à eux seuls, les produits pétroliers coûtent plus de 600 millions par an, soit un quart des importations ;

- une explosion des prélèvements et des rejets vers les écosystèmes qui menacent directement leur fonctionnement et la qualité des sols et des cours d'eau.

Ces problématiques soulignent un peu plus encore la fragilité de notre modèle de développement, confronté à une crise économique, écologique et sociale. En dépit d'un taux de croissance remarquable, plus de 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et le taux de chômage des 18-25 ans atteint 52 %. La crise financière de 2008 et les restrictions budgétaires qui en découlent mettent en lumière la dépendance de notre économie aux transferts financiers et notre vulnérabilité face à des chocs exogènes.

Pourtant, face aux enjeux, la résignation n'est pas une option. De nouveaux paradigmes offrent des perspectives remarquables pour les outre-mer : révolution numérique, troisième révolution industrielle, production additive ou impression 3D ou encore économie écologique. Cette dernière réinvente des modèles de production, de distribution et de consommation respectueux des rythmes et des capacités des milieux naturels.

Pour La Réunion, l'économie écologique est un formidable outil pour transformer une contrainte en opportunité ; résoudre la crise écologique tout en développant des gisements d'activités et d'emplois. Le levier opérationnel de cette transformation porte un nom : c'est l'économie circulaire.

Ce paradigme alternatif s'inspire du fonctionnement de la nature, dans laquelle les cycles et les chaînes alimentaires transforment continuellement les résidus, les déchets en ressources. L'économie circulaire, c'est du bio-mimétisme ; elle mise pour cela sur trois outils :

- la réduction maximale de l'utilisation des matières premières et des énergies non renouvelables dans les processus productifs, grâce à l'écoconception et aux alternatives biosourcées ;

- la réutilisation des biens grâce à de nouveaux modèles économiques (telles que l'économie de la fonctionnalité, ou économie de la location), les activités de réparation, de réemploi ;

- le recyclage des biens et des résidus, au sein des filières et dans de nouveaux gisements d'activité.

Pour nos territoires, l'économie circulaire présente une triple opportunité :

- elle offre d'abord un levier de compétitivité pour les entreprises, grâce aux économies de matières premières et aux innovations induites par la mise en oeuvre de nouveaux modèles de production, de distribution et de consommation ;

- elle soutient également le développement de la production locale et des activités d'import-substitution. L'économie circulaire participe ainsi à l'ancrage territorial et à la revitalisation des secteurs « traditionnels », en développant des « chaînes alimentaires industrielles » et l'émergence de nouvelles activités productives ;

- l'économie circulaire n'est pas pour autant synonyme de repli sur soi. Elle soutient la capacité de projection et d'export de nos économies, en développant des solutions à des problématiques qui frappent ou frapperont demain tous les territoires de la planète. En anticipant ces défis, les économies ultramarines peuvent donc prendre un temps d'avance et s'affirmer comme des leaders dans le champ de la transition écologique et énergétique en milieu tropical.

Aujourd'hui, La Réunion est pleinement engagée dans cette transformation. La collectivité encourage et soutient les démarches exemplaires et les initiatives innovantes développées au sein des entreprises et des filières pour réduire la consommation de ressources et réutiliser les résidus d'activités. Les filières agroalimentaires et du bâtiment jouent ici un rôle moteur dans ces dynamiques d'écologie industrielle.

La collectivité et Nexa accompagnent également le développement de projets pilotes, novateurs, telles que des solutions d'autoconsommation, des fermes photovoltaïques ou encore de captation de CO 2 .

Rien ne vaut mieux pour illustrer cette démarche que des exemples.

Vous aurez l'occasion aujourd'hui de découvrir l'expertise de Bioalgostral, dont Nexa est aujourd'hui l'un des principaux investisseurs.

Ce projet s'inscrit pleinement dans l'économie circulaire, puisqu'il utilisera au stade industriel le CO 2 capté au niveau des cheminées des usines, les phosphates et nitrates des eaux grises des stations d'épuration, pour cultiver des algues dans des photobioréacteurs, avec de nombreux débouchés à haute valeur ajoutée (biocarburants de 3 e génération, produits pour la cosmétique, etc ..)

Vous découvrirez aussi dans le domaine du numérique et de l'e-santé la société Oscadi, qui a obtenu l'agrément d'Apple industrie médicale dans laquelle Nexa a fait aussi le choix d'investir, et qui développe une solution d'écho-doppler sur iPad permettant le diagnostic et l'interprétation à distance constituant une innovation disruptive au niveau mondial.

Ces projets qui ont pour ambition le marché mondial dès leur conception démontrent, si besoin, que La Réunion n'est pas condamnée par une quelconque fatalité de l'insularité, mais est bien une terre d'excellence capable de rayonner et de s'imposer dans le monde.

Je vous remercie de votre attention.

Seconde séquence - Mayotte

Propos introductif

Thani MOHAMED SOILIHI, Sénateur de Mayotte

Monsieur le Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer,

Chers collègues,

Monsieur le Président de la Fédération des entreprises des outre-mer,

Monsieur l'Ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien,

Mesdames et messieurs, en vos diverses qualités,

L'océan Indien tient aujourd'hui sa conférence économique de bassin, malgré un calendrier législatif contraint. Cette semaine, nous suspendons nos travaux en vue des échéances électorales à venir. Je remercie Michel Magras et son équipe pour la qualité de ces travaux essentiels. D'ici à l'été, nous remettrons deux rapports, l'un sur les normes du BTP et l'autre sur le foncier.

Le développement de l'économie des deux départements français de l'océan Indien est marqué par le contraste existant entre Mayotte, qui s'apprête à fêter le sixième anniversaire de sa départementalisation et le troisième de sa « rupéisation », et La Réunion vient de commémorer ses 71 ans comme département et célébrera ses 25 ans comme RUP.

Les défis de Mayotte sont semblables à ceux de n'importe quel autre territoire : développer une économie à même d'assurer l'épanouissement de ses citoyens. En revanche, les modalités pour y parvenir ne peuvent assurément qu'être différentes. Malgré des secteurs d'activité en pointe, le développement économique de Mayotte connaît encore ses balbutiements.

En ces temps de crise, les actions prioritaires sont très nombreuses. L'île est frappée par une sécheresse et par une explosion démographique sans précédent, due à une immigration agressive, devenue insupportable. Le 101 e département voit subitement l'ordre de ses priorités bouleversé. La construction d'une troisième retenue collinaire devient essentielle. Elle doit permettre d'approvisionner le territoire en eau dans les décennies à venir.

La préservation du lagon, certainement notre première richesse, constitue également une impérieuse nécessité. Elle se pose comme un préalable, notamment à tout développement touristique. Cette préservation passe par l'accélération des travaux d'assainissement et par la lutte contre toutes les agressions de notre écosystème. Parallèlement, le rythme des constructions des hôtels, des écoles, des entreprises et de l'habitat doit plus que jamais être soutenu et intensifié.

Pour assurer son développement économique, Mayotte dispose d'atouts appréciables qui doivent être exploités :

- sa population dynamique qui est la plus jeune de France. La moitié des Mahorais ont moins de 17,5 ans ;

- sa capacité d'adaptation et d'innovation qui se manifeste y compris dans la création d'entreprise. Elle conduira bientôt le Gouvernement, à titre expérimental, à rehausser de 25 % le plafond du microcrédit et à porter sa durée maximale de cinq à dix ans. Les femmes mahoraises ont spécialement fait leurs preuves en termes de fondation et de pérennisation d'entreprises ;

- son positionnement géographique car située dans le canal du Mozambique, Mayotte se trouve dans un bassin. Elle est entourée de plusieurs pays et de dizaines de millions d'âmes. En raison de son port et de son aéroport, l'île est de mieux en mieux désenclavée.

Ces atouts pourraient bénéficier de vecteurs économiques majeurs : l'économie sociale et solidaire (ESS) est particulièrement adaptée à la société mahoraise et à son état d'esprit. Les forces vives de l'île, à commencer par les élus, doivent plus que jamais prendre en main le destin du Département. Elles ne pourront néanmoins agir sérieusement sans le fort soutien de la France.

Notre pays, deuxième puissance maritime du monde, avec une zone économique exclusive de 11 millions de km 2 , doit renouer avec sa vocation maritime. Il doit agir sans tarder. À l'heure de la mondialisation, de nouveaux géants, tels la Chine, accordent la priorité à l'extension de leur zone économique exclusive (ZEE). Pour le moment, le contraste est total entre ce gisement d'activités, d'emplois, d'influence et l'absence de toute stratégie pour le valoriser.

Gageons que cette réalité sera rapidement contredite après les prochaines échéances électorales. L'accomplissement de cette nouvelle ambition devrait être facilité par deux textes récents, adoptés à l'unanimité au Sénat : la loi Letchimy sur le développement des outre-mer dans leur environnement géographique et la loi Bareigts sur l'égalité réelle outre-mer. Marahaba .

Hervé BACHERÉ, Responsable de publication à la Direction des statistiques d'entreprise de la Direction générale de l'Insee

Le tissu entrepreneurial mahorais

L'Insee est présent dans l'océan Indien à travers une direction régionale disposant de deux sites, l'un à La Réunion, l'autre à Mayotte. Celle-ci collecte et produit des informations statistiques d'une part, réalise des études visant à identifier les spécificités et les enjeux régionaux et locaux d'autre part. Ces travaux permettent notamment de décrire le tissu entrepreneurial de Mayotte, en dressant les constats suivants.

Un PIB par habitant quatre fois plus faible qu'en France

En 2013, le PIB par habitant s'établit à 8 350 euros à Mayotte, soit 4 fois moins que le niveau français 4 ( * ) . Mayotte est cependant nettement moins pauvre que ses voisins immédiats, puisque son PIB par habitant est 14 fois supérieur à celui des Comores et 24 fois supérieur à celui de Madagascar.

Source : Insee - Comptes économiques

Une croissance de rattrapage, qui ralentit

De 2000 à 2008, la croissance moyenne du PIB de Mayotte dépasse les 9 % par an contre seulement 1,7 % en France. La crise de 2008 freine fortement le rattrapage jusqu'en 2013 : la croissance est alors de 4,2 % par an. Cette croissance reste néanmoins très supérieure à celle des autres régions françaises. La faiblesse de la richesse par habitant s'explique à la fois par une faible productivité apparente du travail et par un taux d'emploi très inférieur à la France (18 emplois pour 100 habitants contre 41 en France).

Croissance annuelle moyenne du PIB

Entre 2000 et 2008

Entre 2008 et 2013

Source : Insee, comptes régionaux, base 2010

En 2013 : 450 millions d'euros de valeur ajoutée par les entreprises mahoraises

Les entreprises déposant une liasse fiscale ont généré 450 millions de valeur ajoutée en 2013 5 ( * ) . Ceci représente le quart du PIB mahorais alors que, pour la métropole, c'est la moitié du PIB qui est généré par les entreprises. Les entreprises mahoraises représentent 0,04 % de la valeur ajoutée produite par les entreprises en France.

Une économie largement portée par la construction et le commerce

Les entreprises mahoraises sont proportionnellement plus présentes qu'en France dans les secteurs du commerce, de la construction et des transports. Ceci s'explique par le besoin important en infrastructures et par le caractère insulaire de Mayotte. En revanche, l'industrie, peu développée, est beaucoup moins représentée qu'en France, ainsi que les services aux particuliers. Enfin, de même qu'à La Réunion, les secteurs liés au tourisme comme l'hébergement-restauration sont relativement peu développés, en dépit des atouts naturels du département.

Répartition sectorielle de la valeur ajoutée

Champ : entreprises marchandes déclarantes fiscales de 1 à 500 salariés

Source : Insee, enquête structurelle sur les entreprises de Mayotte et Esane (données individuelles)

Un taux de marge des entreprises important

Le taux de marge correspond à la part de la valeur ajoutée disponible pour une entreprise, une fois payés ses frais de personnel. Elle se sert de cette part pour financer des investissements, rembourser les dettes et rétribuer les apporteurs de capitaux. À Mayotte, ce taux est élevé : 43 % contre 21 % en France. Cela permet un investissement plus dynamique, puisque le taux d'investissement est de 25 %, contre 15 % dans les autres départements. Ce taux global masque par ailleurs des disparités importantes : la marge est concentrée sur les entreprises de taille importante.

Le département au taux de chômage le plus élevé

Avec 46 000 emplois en 2016, le taux d'emploi est très faible à Mayotte : 35 % des personnes en âge de travailler ont un emploi 6 ( * ) , contre 41 % à La Réunion en 2015.

Au deuxième trimestre 2016, le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) s'établit à 27,1 % à Mayotte. Il augmente encore nettement (+ 3,5 points) par rapport à 2015, après la forte hausse (+ 3,9 points) de l'année précédente. La hausse du taux de chômage est d'abord liée à la structuration du marché de l'emploi, qui se formalise depuis la départementalisation (mise en place de Pôle emploi et de l'assurance chômage...). Chaque année, les Mahorais sont donc de plus en plus nombreux sur le marché du travail. Le taux d'activité progresse ainsi sensiblement (de 42,6 % en 2014 à 48,3 % en 2016), celui des femmes deux fois plus que celui des hommes. Les créations d'emplois ne pouvant suivre le rythme de croissance de la population active, il en résulte une hausse soutenue et continue du chômage depuis la départementalisation.

Les jeunes (15-29 ans) sont particulièrement concernés par le chômage en 2016 : 47,2 % des actifs sont concernés.

Ersi VOLONAKI, Présidente-directrice générale du groupe de distribution Sodifram

Malgré sa proximité avec Anjouan et avec les Comores, Mayotte possède une identité propre. La comparaison avec La Réunion ne mérite pas qu'on s'y attarde. La spécificité mahoraise doit être prise en compte sans essayer d'adapter des schémas extérieurs. Les Mahorais s'engageront d'autant plus dans le changement que celui-ci s'accomplira en partenariat avec eux.

La Société de distribution franco-mahoraise (Sodifram) existe depuis vingt-six ans. Notre entreprise familiale et indépendante se distingue des groupes classiques tels Casino ou Carrefour. Notre équipe est constituée de 600 salariés. 6 000 personnes vivent grâce à leurs revenus.

Les habitudes alimentaires mahoraises sont typiques. La mutation vers les produits de consommation basique, comme la volaille, le boeuf ou le riz, s'opère très lentement. Pour répondre aux besoins de la clientèle, nous maintenons un sourcing constant de nos achats, maîtrisant un rapport qualité-prix adapté à notre zone de chalandise. Le panier moyen mahorais est en évolution permanente.

Prenons l'exemple d'un produit alimentaire parmi les plus vendus : les ailes de poulet. Mayotte en importe environ 6 000 tonnes par an. Ce choix de consommation répond à une culture. Ce volume appréciable incite des investisseurs à créer une production de volaille locale.

Or, Mayotte ne dispose pas localement d'alimentation animale. Un tel projet impose donc de l'importer en masse. Par ailleurs, Mayotte n'est pas équipée de déchetteries pour traiter les résidus de l'abattage comme les plumes.

Une carcasse de poulet pèse environ 1,2 kilogramme. Les besoins de Mayotte s'élèvent à 6 000 tonnes d'ailes de poulet. Ceci correspond à 37 000 tonnes de carcasses de poulet. Que fera l'exploitant du reste de la carcasse, soit 31 000 tonnes ? Le marché mahorais consomme seulement 750 tonnes de carcasses de poulet.

Aucune étude n'a été conduite sur le sujet. Si le marché était porteur, des professionnels de métropole s'y seraient déjà intéressés. En réalité, les enquêtes diligentées par les services de l'État prouvent que ces projets entraîneraient un doublement, voire un triplement du prix des produits. Ils ne feraient que renforcer l'insatisfaction des consommateurs.

Dans le secteur agricole, le niveau de production de fruits et légumes est très saisonnier et caractérisé par des volumes très faibles par rapport à la demande. La Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF) a engagé, depuis quelques années, un travail de financement et d'accompagnement de jeunes agriculteurs. L'effort doit se poursuivre et s'amplifier. Ce secteur présente un important effet de levier pour l'emploi.

Depuis la départementalisation, de nombreux agents de marques alimentaires et non alimentaires s'intéressent à Mayotte. Ces produits sont directement importés par des sociétés comme la Sodifram depuis vingt-cinq ans. Le résultat de cette implantation se manifeste dans l'inflation, car ces agents de marques prélèvent une marge additionnelle.

La Réunion, la Martinique et la Guadeloupe ont déjà subi ces pratiques. Notre entreprise s'y est opposée jusqu'à la rupture des relations commerciales avec ces sociétés. Si nous laissons les agents de marques développer cette méthode, le mécontentement des consommateurs, indignés par la différence de prix avec la métropole, s'amplifiera légitimement. En tant qu'entreprise mahoraise, nous voulons rester à l'écoute de la population.

Deux priorités doivent s'ajouter à cette volonté de maîtrise du coût de la vie :

- éducation et formation

Afin de couvrir les besoins éducatifs, 10 000 naissances par an requièrent la création de 400 salles de classe. Il est indispensable de prendre en considération cette priorité, que des formations diplômantes courtes soient créées pour répondre aux besoins des entreprises locales ;

- insécurité

Les forces de l'ordre éprouvent beaucoup de difficultés à assurer la sécurité de Mayotte. Leur effectif est trop faible par rapport à la population et à l'accroissement de la délinquance. Cette situation a conduit à des départs massifs en 2016. La communication médiatique sur ce sujet nuit à notre attractivité touristique et professionnelle. Les entreprises sont contraintes d'accroître considérablement leur budget dédié à cette problématique. Par exemple, la Sodifram emploie 120 agents de sécurité. Le surcoût sur la masse salariale atteint +20 % en deux ans.

Néanmoins, nous envisageons positivement l'avenir de Mayotte et continuons à investir sur le territoire. Au quatrième trimestre 2017, un nouveau centre commercial « Le baobab » verra le jour, avec plus de 150 emplois directs et indirects à la clé.

Jean-François OZBOLT, Président du groupe NDA Invest

La Réunion et Mayotte sont deux territoires français avec des spécificités très différentes et fortement contrastées. L'intitulé de la table ronde résume la situation.

En effet, il faut comparer l'île de La Réunion, devenue département français en 1946, soit depuis 71 années, avec Mayotte qui a été une collectivité territoriale puis départementale, avant de devenir le 101 e département de la France en 2011.

Autre point important, nous comparons deux îles françaises dont la culture est totalement différente. Ces deux îles ne se ressemblent pas du tout. La Réunion est un mélange de cultures où des Indiens (hindous ou arabes), des Chinois, des Créoles et des Métropolitains se côtoient tous les jours. Plusieurs religions sont présentes à La Réunion dans un esprit de tolérance avec, mentionnons-le, la plus vieille mosquée de France à Saint-Denis.

À Mayotte, nous sommes dans le département français le plus ancré dans la religion musulmane (97 % de la population), mais avec un regard exempt de tout sectarisme.

Notre groupe travaillant sur les deux îles et dans les métiers de la construction, nous pouvons constater ces identités différentes.

Je ne suis pas le plus vieux M'Zougous de Mayotte ici présent ( M'Zougous étant le terme mahorais pour définir les étrangers) mais je pense avoir assez de recul pour pouvoir parler de ces deux îles.

Je suis arrivé à Mayotte il y a 19 ans en provenance des Antilles pour le groupe Vinci et on m'avait dit lors d'un entretien que Mayotte s'apparentait à un territoire à mi-chemin entre un DOM et l'Afrique tout en ressemblant à La Guyane.

Force a été de constater que Mayotte n'avait rien à voir avec nos DOM, car la culture y était complètement différente de même que les infrastructures - routes, écoles, administrations, etc.

Sans vouloir créer de polémique, il me semble important d'évoquer certains sujets pour bien comprendre les problématiques de Mayotte.

Tout d'abord, la gestion administrative de l'État Français.

On constate que celui-ci, ne sachant pas réellement où situer Mayotte depuis le référendum de 1975 (Mayotte étant la seule île de l'archipel des Comores à s'être prononcée pour rester française à la différence des trois autres îles qui ont pris leur indépendance), n'a pas apporté les moyens adéquats pour faire évoluer cette île.

À 9 500 kilomètres de l'Hexagone, il n'est pas aisé de travailler sur des directives métropolitaines et sur des normes NF et CE qui sont difficiles à appliquer alors que rien n'est produit localement.

L'administration française en place pendant de nombreuses années s'est efforcée de faire avancer ce territoire français mais le personnel administratif des services de l'État se renouvelle tous les deux à quatre ans, chacun pensant déterminer la solution innovante et miraculeuse et remettant en cause le travail effectué par ses prédécesseurs.

Mais la départementalisation semble avoir restauré une certaine continuité dans les actions menées ici et là dans tous les domaines. J'en profite pour saluer madame le Vice-recteur de Mayotte, ici présente qui, avec les moyens alloués, essaie de faire de son mieux avec ses équipes pour améliorer la situation en matière de constructions scolaires du second degré.

Le second sujet concerne les élus de Mayotte.

Depuis le décès ou le retrait des figures politiques locales de Mayotte telles que Messieurs Younoussa Bamana, Marcel Henry, ou Madame Zéna M'Déré, il n'y a pas de continuité dans les programmes mis en oeuvre. En effet, qu'il soit conseiller départemental, maire, député ou sénateur, l'élu n'a quasiment jamais eu le temps nécessaire à la mise en oeuvre d'un programme : les délais sont trop courts et l'élu n'est bien souvent jugé par ses concitoyens que par les faveurs octroyées à leur village, famille et amis alors que le travail effectué pour l'avenir de Mayotte, localement ou à Paris, n'a jamais été récompensé.

On reste, comme pour les Comores et Madagascar, dans un système de gestion à l'africaine. J'espère, en regardant les élus actuels, que cela va changer car Mayotte en a cruellement besoin.

D'importantes différences dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, notamment de la construction, séparent La Réunion et Mayotte.

Il est à noter, et ceci est très important pour le développement de Mayotte, que deux grosses sociétés métropolitaines ont régenté la construction localement pendant longtemps et qu'il était très difficile pour d'autres sociétés de l'extérieur de venir les concurrencer sur le marché mahorais car il n'y avait pas de société de location de matériel, ni de société d'intérim.

À La Réunion, même si ces deux sociétés sont les majors sur le marché local, d'autres peuvent facilement exercer.

Il fallait donc pour les nouveaux entrants à Mayotte acheminer de l'extérieur tout le matériel et former les ouvriers pour les futures constructions. C'est un investissement considérable à mettre en oeuvre avant même d'amorcer une véritable implantation.

Mais il faut aussi reconnaître que ces sociétés ont investi à Mayotte depuis 1975 sans réelle perspective d'évolution et que, grâce à elles, certains travaux d'amélioration ont pu être effectués.

La concurrence actuellement à Mayotte reste difficile, surtout dans certains secteurs d'activité comme les gros travaux d'équipement ; les règlements ne sont pas du tout respectés et la contrainte normative met cependant à mal les sociétés locales, la résilience des multinationales étant supérieure.

Nous sommes donc très loin de La Réunion qui, avec ses 71 ans de départementalisation, a su apprendre à gérer toutes ces problématiques.

Nous avons tout de même actuellement entre les deux îles un sujet commun dans le monde du BTP : le manque de logements sociaux.

La Réunion a divisé par deux la production de logements en cinq ans, ce qui a entraîné une perte importante de salariés dans le secteur du BTP, alors que Mayotte n'a rien produit pendant presque trois ans à cause des difficultés de la seule société immobilière de Mayotte, la SIM.

Cette société, qui commence seulement à émerger des difficultés, se heurte toujours à la mise au point de ses dossiers de financement. Pour votre information, des appels d'offres lancés en juillet-août 2016 pour un démarrage fin 2016, ne vont peut-être effectivement être mis en oeuvre qu'en juin 2017. Il en va de même à La Réunion.

Comment gérer dans ces conditions une société et maintenir l'emploi de son personnel ?

Sur Mayotte, la problématique des logements va devenir encore plus compliquée car, actuellement, la mise en chantier est régie par les mêmes contraintes d'un prix plafond finançable au mètre carré.

Comment Mayotte pourra-t-elle construire des logements subventionnés dans 5 à 10 ans, quand le salaire horaire sera le même qu'à La Réunion ou en métropole ? Actuellement le salaire horaire à Mayotte est de l'ordre de 13 à 14 euros selon les sociétés de construction et leur taille, alors qu'à La Réunion il oscille entre 22 et 25 euros.

Sachant que la masse salariale dans la construction pèse pour un tiers du coût de la construction, je vous laisse le soin de faire le calcul. Ce sera impossible, car actuellement c'est justement l'écart de salaire horaire qui permet à la SIM de construire des logements, et cela compense toutes les autres fournitures bien plus onéreuses qu'à La Réunion.

En effet, à titre indicatif, le prix du mètre cube de béton en zone 1 à La Réunion s'élève à 120 euros, rendu chantier, alors qu'à Mayotte il est au plus bas à 200 euros. Il en est de même pour les aciers : 1,40 euro le kilo à La Réunion alors qu'à Mayotte ceux-ci sont à 1,80 euro le kilo, et ainsi de suite pour les autres fournitures importées.

On peut nous rétorquer qu'il n'y a pas de TVA à Mayotte mais nous avons un octroi de mer bien plus important qu'à La Réunion et qui augmente, à l'initiative du conseil départemental, depuis deux ans de 5 % l'an sur les marchandises de construction...

En l'absence d'évolution du mode de financement, il n'y aura plus de construction de logement social à Mayotte d'ici peu.

Un autre point à souligner est le retard dans les constructions scolaires. Le vice-rectorat fait un gros effort depuis 5 ans sur la construction de collèges et de lycées mais a de gros soucis de foncier pour les constructions à venir. Malgré cela, c'est le seul organisme qui tient ses objectifs de manière relativement saine et il faut le souligner. C'est aussi le meilleur payeur de l'île et, globalement, le seul maître d'ouvrage qui respecte les clauses du marché.

N'allez pas croire que je flatte ici le vice-rectorat avec qui nous ne sommes pas nécessairement d'accord sur tous les points, mais il faut le reconnaître.

En revanche, les écoles, qui relèvent de la compétence des communes, sont en piteux état faute d'entretien et le SMIAM, syndicat mixte qui gérait la construction des écoles, a été fermé en 2015. Celles-ci sont très délabrées et surtout insuffisantes. Sans un réel effort de l'État, et ce n'est pas 10 à 12 millions d'euros par an qui suffiront, les communes ne pourront jamais remettre ces écoles en conformité et en nombre suffisant pour répondre à l'accroissement démographique de Mayotte.

Un point de plus en plus crucial à Mayotte depuis les derniers événements du premier semestre 2016 est l'extrême difficulté à faire appel à des cadres qualifiés provenant de métropole, faute d'avoir les ressources à Mayotte actuellement, car, même avec un salaire et des conditions d'expatriation plus que convenables, ils ne veulent plus venir à cause de l'insécurité croissante et de la délinquance non sanctionnée, souvent d'origine étrangère.

Voilà en quelques mots les différences notoires entre La Réunion et Mayotte.

Elhad-Dine HAROUNA, Président des Jeunes agriculteurs de Mayotte

Nous, jeunes agriculteurs, avons également la chance de travailler avec le groupe Sodifram. Actuellement, le lycée professionnel agricole de Coconi dispose d'un atelier relais d'une capacité de 300 volailles par jour. Cet outil permet d'offrir aux Mahorais 60 tonnes de volailles par an avec le groupe Agri Évolution Maore (AEM). Les groupes Sodifram et Bourbon Distribution Mayotte (BDM) ne prennent que 10 % de cette production sur 120 000 tonnes de volaille congelée importée par la grande distribution par an.

Notre production n'est pas encore très importante. Des changements devraient néanmoins intervenir début 2018. Par exemple, la Sodifram commande 180 poulets alors que nous sommes capables d'en abattre 300 par jour. La grande distribution doit accomplir des efforts pour absorber la production et développer l'agriculture.

La régénération des actifs agricoles et la professionnalisation de l'agriculture constituent une priorité pour Mayotte. Après la séparation d'avec les Comores en 1975, notre agriculture s'est effondrée. Les productions agricoles dominantes ont disparu : le riz, le coprah, la canne à sucre, le café et la kitani . Le développement des importations est venu achever notre métier. Les Mahorais qui vivaient de la terre et de la pêche ont alors recherché des métiers plus sécurisants et plus nobles.

Des années 2000 à aujourd'hui, une succession de techniciens et d'ingénieurs agricoles sont venus de l'extérieur pour relancer l'agriculture. Ils ont laissé leur empreinte sur notre territoire en ignorant complètement notre identité agricole. Des productions jusqu'à présent inexistantes sont devenues dominantes : la volaille, les ruminants, les fruits et légumes.

La professionnalisation de l'agriculture mahoraise ne s'opérera qu'au moyen d'une formation de qualité. Le lycée agricole de Coconi est un acteur incontournable de ce développement. Nous devons rehausser le niveau de la formation à l'installation. Il s'élève à 600 heures pour une capacité professionnelle agricole. Il convient de mettre en oeuvre un brevet professionnel de responsable d'exploitation, niveau de diplôme minimum exigé pour pouvoir s'installer au plan national.

Nous devons valoriser le cursus agricole mahorais en proposant des formations continues d'excellence telles qu'un brevet de technicien supérieur agricole (BTSA) ou une licence professionnelle. Ces parcours sont plus attractifs pour des jeunes qui possèdent un bon niveau depuis la classe de troisième. La formation constitue un maillon important de la chaîne, mais la maîtrise et la gestion du foncier restent la clé de l'installation et du développement de l'agriculture.

Les propriétés foncières agricoles doivent être mises au service des agriculteurs. Elles constituent le premier outil de travail du paysan. En l'absence de titres et de baux écrits, la complexité du foncier freine les projets agricoles. Pourtant, le département et l'État détiennent 90 % des terres. Ni l'Agence de services et de paiement (ASP), ni le Conseil départemental ne sont parvenus à résoudre ce problème.

Pour atteindre l'objectif fixé par le programme de développement rural (PDR) de quarante jeunes installés d'ici à 2020, nous devons rapidement engager une politique d'installation. Le Conseil départemental détient des terres inexploitées. Il suffirait de les mettre à disposition.

Il convient d'adopter des mesures de court et de long termes :

- à court terme, les fonciers acquis par l'ASP entre 1998 et 2006 doivent être employés à la création de villages agricoles. Les taxes foncières doivent être augmentées sur les terres agricoles non exploitées et diminuées sur les terres agricoles exploitées pour rendre le foncier accessible ;

- à long terme, la création d'une société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) doit être envisagée. Sa mission première est l'installation des jeunes. Elle est plus adaptée à cette tâche qu'un établissement public foncier et d'aménagement (EPFA).

Aujourd'hui, l'installation d'un jeune agriculteur est semée d'embûches. Seuls les jeunes les plus solides sur ce long parcours à l'installation aboutissent à leur projet au bout de 2 à 3 longues années de montage et d'instruction de leur dossier.

Les filières agricoles mahoraises se développent pourtant.

La filière de la ponte s'est rapidement installée avec la création de la coopérative mahoraise d'aviculture (Comavi) et de la Société civile agricole de Mayotte (SCAM). L'oeuf est facile à produire et à commercialiser. Il est difficilement importable, même si quelques quantités nous parviennent de La Réunion.

La filière de la volaille de chair est apparue en 2015 avec l'arrivée du groupement d'agriculteurs AEM. La production de chair est stimulée par l'augmentation de la capacité de l'usine d'aliments de bétail Ekwali nutrition animale et par la mise en place d'un couvoir créé par AEM, Ekwali nutrition animale et la Comavi.

Le lancement en 2016 du projet européen de structuration de la filière commence à porter ses fruits avec la naissance d'un projet d'abattoir d'une capacité de 1 000 volailles par jour. La partie production de chair est aujourd'hui portée par AEM, avec une production de 60 tonnes par an de volailles fermières élevées en plein air. Elles sont commercialisées dans les grandes et moyennes surfaces (GMS), dans la restauration collective et en vente directe. Ces outils de production seront conçus pour couvrir 10 % de notre consommation de volaille à Mayotte.

La filière des fruits et légumes s'est également organisée dans un projet européen. Quatre organisations agricoles participent à ce projet, avec AEM, la coopérative des agriculteurs du centre (Coopac), l'association saveurs et senteurs de Mayotte (ASSM) et le groupement de vulgarisation d'Acoua (GVA). La Coopac et AEM collaborent avec les GMS et avec la restauration collective. Malheureusement, la majorité de la production transite encore par le marché informel, ce qui constitue un frein important pour le développement de la filière.

Les jeunes qui s'installent s'intéressent beaucoup à la filière de la volaille, car cette production est moins gourmande en surface. Ils pratiquent souvent la polyculture-élevage pour se diversifier et pour parer les difficultés liées à l'approvisionnement en matières premières, un problème fréquent à Mayotte.

Les filières de l'ylang-ylang et de la vanille sont encore insuffisamment organisées de l'amont vers l'aval. Les coûts de production sont plus élevés que chez nos voisins de Madagascar et des îles Comores. Cette économie est principalement détenue par des agriculteurs âgés. Peu de jeunes s'installent dans ces productions en raison de la concurrence et de notre manque de compétitivité.

Malgré l'existence d'un grand groupement de producteurs, la coopérative des éleveurs de Mayotte (Coopadem), la filière des ruminants est quasiment inexistante en raison du manque d'outils industriels agroalimentaires. Elle est principalement assurée comme double activité, notamment par des fonctionnaires.

Cette désorganisation des filières explique le refus des banques d'accompagner les projets agricoles. Nous proposons la mise en oeuvre des solutions suivantes :

- le POSEI doit avoir pour objectif d'intégrer les jeunes agriculteurs dans l'organisation des filières ;

- les projets européens de structuration des filières doivent tenir compte de la production et non de la seule administration ;

- les avances sur projets européens et nationaux doivent être relevées de 30 % à 70 % afin de diminuer la pression du préfinancement et pallier le non-accompagnement des banques ;

- le montant global de l'aide à la modernisation, qui s'élève à 150 000 euros, doit être déplafonné pour toute personne intégrant une filière.

Sans ces mesures, nous ne parviendrons pas à rattraper notre retard d'emploi des fonds européens liés à l'installation. Durant les deux dernières années, aucun jeune agriculteur ne s'est installé à Mayotte alors que nous devions atteindre le chiffre de quarante d'ici à 2020.

Deuxième table ronde - Contraintes et spécificités de deux territoires au confluent de deux continents et d'un voisinage insulaire

Animateur de la table ronde

Jean-Pierre Philibert,

Président de la Fédération des entreprises des outre-mer (Fedom)

Propos introductif

Jérôme BIGNON, Sénateur de la Somme

Monsieur le Président du Sénat,

Monsieur le Président de la Délégation aux outre-mer,

Mesdames et messieurs les Parlementaires et Élus,

Monsieur l'Ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien,

Monsieur le Directeur général des outre-mer,

Monsieur le Président de la Fédération des entreprises des outre-mer,

Mesdames, messieurs,

Chers amis,

C'est une fierté pour moi d'apporter mon éclairage à cette journée consacrée aux territoires français de l'océan Indien, puisqu'il m'est donné de mettre en perspective notre seconde table ronde de la matinée.

Mon profond attachement aux outre-mer, fortement lié à l'intérêt que je porte aux problématiques environnementales, à la préservation de la biodiversité et aux milieux marins, remonte désormais à de nombreuses années : à l'Assemblée nationale, le président de la Commission des lois Pierre Mazeaud m'a fait découvrir ces territoires et j'ai contribué à plusieurs réformes statutaires. J'ai ainsi eu l'occasion de me rendre dans chacun des outre-mer, à l'exception de Wallis-et-Futuna, et j'estime que la différenciation institutionnelle permet de tenir compte de la diversité des histoires et des parcours sans affecter en aucune manière l'unité de notre République. Originaire de la Baie de Somme, il m'a été donné de présider le Conservatoire du littoral puis de participer à la création, en 2006, de l'Agence des aires marines protégées devenue le 1 er janvier dernier l'Agence française pour la biodiversité.

Je constate que rares sont nos compatriotes de l'Hexagone qui, ayant un jour approché ces territoires, échappent à la fascination qu'ils exercent quand on prend la peine de mieux les connaître.

Notre pays doit s'enorgueillir de sa diversité et du positionnement géostratégique tout à fait unique que les outre-mer lui confèrent : au-delà des discours, il doit se donner les moyens de valoriser cette diversité et les potentiels qui s'y attachent, de la faire fructifier. Et cette valorisation n'est possible qu'avec les acteurs du terrain, au premier rang desquels les entreprises. Je rappelle que la loi pour la reconquête de la biodiversité a permis de ratifier le Protocole de Nagoya pour la mise en oeuvre du mécanisme d'accès et de partage des avantages (APA).

Les vulnérabilités et les contraintes liées au contexte insulaire forgent de solides individualités et des tempéraments audacieux ; nous avons déjà pu le constater à l'occasion de la première table ronde et pourrons le vérifier tout au long de la journée, les acteurs locaux ayant répondu en nombre à notre sollicitation.

La création d'entreprise et l'activité entrepreneuriale en outre-mer nécessitent en effet d'emprunter un chemin semés d'écueils, encore plus nombreux que ceux hérissant un parcours semblable dans l'Hexagone. Par mon expérience d'avocat et grâce à mes trois fils qui sont chefs d'entreprise, je connais un peu les méandres de ces parcours !

Pour revenir à notre programmation, les contraintes et difficultés consubstantielles aux petites économies insulaires seront examinées dans le cadre de la première séquence qui abordera l'environnement entrepreneurial sous l'angle des moyens : il y sera question du cadre fiscal et financier, de l'accès au crédit, du recrutement et de la formation, ou encore de l'accompagnement des entreprises au plan juridique et pour la définition de stratégies de développement. Une attention particulière sera accordée aux besoins des petites et très petites entreprises qui constituent la plus grande partie du tissu économique à La Réunion comme dans l'ensemble des outre-mer, et encore davantage à Mayotte. Mais au-delà de cette caractéristique commune, qui vaut d'ailleurs pour l'ensemble des outre-mer, la situation dans les deux îles est tout à fait différente et illustre parfaitement la diversité de nos territoires :

- La Réunion, département depuis 1946, fait la course en tête des outre-mer en termes de structuration et de maturité du développement économique. Les dynamiques économiques y sont vigoureuses avec une forte conscience environnementale. Une illustration significative : La Réunion a été le 30 septembre dernier le territoire hôte du premier forum international de l'économie circulaire ;

- Mayotte, l'île au lagon, est quant à elle devenue département de fraîche date, le 31 mars 2011. Les promesses que faisait miroiter cette mutation institutionnelle et juridique sont encore loin d'avoir pris forme et les conséquences, aux plans fiscal et normatif notamment, n'avaient pas été correctement anticipées, si bien que pour de nombreux acteurs économiques les difficultés s'accumulent. Des initiatives sont cependant prises en direction des entreprises, qui unissent parfois dans un même élan autorités publiques et représentants des milieux économiques : je pense par exemple au guide à l'attention des entreprises élaboré par le Secrétariat général pour les affaires régionales, en lien avec le Conseil départemental et les partenaires que sont la Chambre de commerce et d'industrie (CCI), le Medef et la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), apportant des informations sur la création, la gestion, les obligations légales, le processus d'embauche et ses formalités, les dispositifs d'exonération de charges ou encore les aides que peuvent solliciter les entreprises.

La seconde séquence de notre table ronde entend marquer l'importance d'une meilleure insertion régionale pour la bonne santé économique de nos territoires ultramarins. Sous les effets conjugués de différentiels de compétitivité liés à des niveaux de vie très supérieurs dans nos territoires, d'une part - ceux-ci font souvent figure de véritables terres de prospérité dans leur environnement régional -, mais aussi de pesanteurs historiques faisant de l'Hexagone un interlocuteur quasi-exclusif et de l'appartenance au territoire européen, nos économies ultramarines éprouvent des difficultés à « regarder ailleurs ». Les outre-mer doivent s'ouvrir sur leur environnement ; une prise de conscience des acteurs publics et privés en faveur de l'ouverture, l'apparition de services d'accompagnement des entreprises à l'export, ou encore la définition de politiques territoriales offensives et de stratégies commerciales de niche misant sur l'excellence permettent de progresser.

Faisons confiance à la détermination et à l'audace des tempéraments insulaires ! Et en écho à cette confiance, permettez-moi pour conclure d'inviter Charles Baudelaire qui affirmait que sa « puissance d'espérance » constituait son seul capital, mais aussi Jules Verne, avec une citation que j'affectionne tirée de son roman Vingt mille lieues sous les mers rédigé en Baie de Somme : Rien ne s'est fait de grand qui ne soit une espérance exagérée . Nos compatriotes ultramarins, avec notre complicité, sauront forcer le destin !

Je vous remercie.

Première séquence - Le nécessaire soutien à l'investissement productif et l'indispensable accompagnement des entreprises

Didier FAUCHARD, Président du Medef Réunion

En 2013, le CEROM (Comptes économiques rapides pour l'outre-mer) de La Réunion a publié une étude intitulée Une crise conjoncturelle ou les limites d'un modèle de croissance . Nous pouvons retenir de cette étude que, durant la décennie de 2000 à 2010, la croissance de La Réunion, deux fois plus importante que celle de la métropole, portée de manière quasi identique par la consommation des ménages et des investissements publics et privés conséquents, a permis à La Réunion de créer plus d'emplois que l'augmentation de la population active, même si le chômage est resté très élevé durant cette période. Depuis la crise de 2009, nous constatons un effondrement des investissements à la fois par une baisse tendancielle de l'investissement public, une perte de confiance des investisseurs et des entrepreneurs due à des rabots successifs des outils de financement, notamment les rabots successifs de la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM), et un accès plus restreint au crédit bancaire. Seule la consommation des ménages, liée à une démographie toujours positive, continue à porter la croissance de La Réunion.

Je rappellerai que la stratégie de rattrapage, incluant au niveau économique la mise en oeuvre de l'import-substitution qui a permis la création des filières industrielles, nous a effectivement permis de générer de la valeur et de l'emploi, mais que nous avons toujours à ce jour un PIB de 30 % inférieur à celui de la moyenne métropolitaine, et que nous ne parvenons plus à combler notre retard avec les seuls outils existants.

De plus, une étude récente conduite par Nexa sur la compétitivité de notre territoire et de nos entreprises montre que, malgré le dynamisme de notre tissu économique, nos entreprises souffrent d'un déficit de compétitivité lié à nos handicaps structurels, par rapport à celles de la métropole et de nos territoires voisins. Or, nous ne pourrons exporter, que si nos entreprises sont solides, notamment en termes de capitaux propres, d'organisation humaine et de stratégie. Nous avons besoin, plus que toute entreprise basée sur le territoire national, de financements adaptés pour conquérir les marchés extérieurs et trouver de nouveaux relais de croissance.

Il ne fait plus aucun doute que les futures lois de développement économique devront impérativement permettre une relance de l'investissement dans un cadre lisible, stable et pérenne, faute de quoi la croissance restera faible au regard du nombre d'emplois à créer pour résorber le chômage 2,5 fois plus élevé qu'en métropole.

Pour continuer à se développer, La Réunion devra s'appuyer sur une stratégie comportant deux axes majeurs :

- une différenciation positive, adaptée aux contraintes des territoires tropicaux insulaires. Elle repose sur la valorisation des ressources du territoire (humaines, naturelles, technologiques) et sur la mise en oeuvre d'outils favorisant son attractivité ;

- une internationalisation de nos entreprises et de nos femmes et hommes. La Réunion doit être visible sur la carte du monde. Je veux citer le tourisme dont le potentiel reste encore à développer, le numérique, la santé, l'énergie, la mer et sa zone économique exclusive. Grâce à nos entreprises locales reconnues pour leur savoir-faire et en constante recherche d'innovation, et grâce à des critères d'attractivité propices à susciter l'installation, l'investissement et les secteurs tournés vers les marchés internationaux de biens, de services et d'ingénierie se développent.

En effet, pour réaliser pleinement cette ambition, il est crucial d'attirer de nouveaux investisseurs, de capter des richesses externes en complément des richesses existantes et de disposer de ressources humaines formées et compétentes. Nous ne manquons pas sur notre territoire de bonnes idées, innovantes et exportables, mais nous rencontrons systématiquement des difficultés à passer au stade industriel, pour des raisons à la fois de financement et d'accompagnement du processus industriel. Il faut donc se donner les moyens de pouvoir attirer des partenaires, susceptibles de transformer les brevets en activité industrielle et commerciale, exportable dans le monde. Il va de soi que le but de ces démarches est bien de créer de l'emploi et de la valeur localement, tout en s'ouvrant sur le monde et en joignant des expertises et des énergies pour mettre en oeuvre ce que nous avons déjà su inventer.

La visibilité, l'attractivité et la compétitivité des entreprises réunionnaises sont les conditions sine qua non de leur pérennité, de leur développement et de leur capacité à créer les emplois pour La Réunion de demain.

Pour ce qui concerne le financement de nos entreprises, les dispositifs existants : exonérations de charges sociales, défiscalisation et crédit d'impôt industriel, crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ou son remplaçant, LODEOM renforcée, fonds européens et les montants qui leur sont affectés devront continuer à croître sous peine de briser l'élan du projet de développement économique décrit ci-dessus. Nous avons fait un certain nombre de propositions, en vue des présidentielles, au sein du Medef Réunion pour améliorer et compléter les outils en place.

Au-delà de ces indispensables outils, il est nécessaire de mettre en oeuvre des dispositifs complémentaires qui doivent permettre une désintermédiation de l'accès aux financements.

Pour attirer les capitaux nécessaires au développement de nos entreprises de toutes tailles et de tous secteurs d'activité, l'on devra à travers des dispositifs incitatifs, adaptés et innovants permettre à chacun, du particulier, de la TPE en passant par les PME, les ETI et les grands groupes, de financer directement le développement des entreprises de notre territoire. Il s'agit ici de développer une culture d'actionnariat à l'instar des modèles anglo-saxons pour accélérer et fluidifier la circulation des capitaux orientés vers l'investissement des entreprises, seules capables de compléter les investissements publics.

Aujourd'hui le système d'investissement dans une entreprise est complexe, coûteux et rigide. Il faut faciliter et simplifier le fonctionnement des fonds de type financement participatif, fonds d'investissement et de proximité, de façon à pouvoir stimuler la création d'entreprises et par conséquent l'emploi.

Il faut également impérativement prévoir que les financements permettent l'émergence de structures dédiées à l'accompagnement et à la professionnalisation du chef d'entreprise, tout spécialement pour les TPE.

Assurer le financement des projets est une condition évidente de leur démarrage, mais leur réussite s'appuiera nécessairement sur une organisation pensée et adaptée des ressources humaines.

Il faut intensifier l'effort de formation des individus qui participeront à ce projet. En dépit des efforts fournis pour rattraper le niveau d'éducation de la métropole, 37 % des jeunes de La Réunion contre 21 % en métropole sortent du système scolaire sans aucun diplôme. Afin de permettre une meilleure intégration à l'entreprise, l'on devra rendre perméable les frontières existantes entre enseignement initial, enseignement professionnel et présence des étudiants en entreprise. Il s'agit ici de former les hommes et les femmes de notre territoire en adéquation avec les besoins de l'entreprise et de les préparer à la transformation des métiers, à l'émergence de nouveaux métiers induite par le développement accéléré du numérique. L'entreprise doit être au coeur de l'apprentissage dès le plus jeune âge, et les valeurs telles que l'esprit d'entreprendre, la ténacité, l'audace et l'envie doivent être véhiculées tout au long de la scolarité.

Il est d'une impérieuse nécessité de favoriser l'implantation à La Réunion des écoles de renom pour former des individus de haut niveau qui seront demain le fer de lance de la recherche & développement, de l'adaptation d'innovations en milieu tropical et du développement du numérique pour faire de La Réunion la Silicon Valley de l'océan Indien.

Enfin, il nous faut favoriser la mobilité internationale pour la formation initiale et professionnelle afin que notre territoire mette en valeur la francophonie et fasse rayonner la France dans l'océan Indien et ainsi valoriser nos compétences en matière de formation et d'éducation. Il faut favoriser l'appétence des pays de la zone océan Indien à former leurs jeunes sur nos territoires.

Les entrepreneurs de La Réunion se mobilisent aujourd'hui pour promouvoir notre projet de développement économique, « Formidable Réunion », afin de relever les défis sociaux, environnementaux et économiques et de faire de notre île le porte-avion de la France dans l'océan Indien.

Rien de tout ce projet ne se fera sans la mobilisation active de ceux qui sont impliqués dans le développement de notre territoire, dans une logique de partenariat étroit avec des acteurs soucieux de préserver les valeurs fondamentales de La Réunion : un bien vivre ensemble, une île où chacun peut entreprendre avec succès.

Matthieu BARRIER, Directeur adjoint du réseau de l'Adie

L'Association pour le droit à l'initiative économique (Adie) dans l'océan Indien a la même mission que partout ailleurs en France et en outre-mer : financer et accompagner ceux qui veulent créer ou développer leur activité pour créer leur emploi.

Elle a pour cela deux outils à disposition : le microcrédit et l'accompagnement, avant et après la création d'activité.

Les personnes soutenues sont celles qui n'ont pas accès au crédit bancaire ce qui, à La Réunion ou à Mayotte, peut être le cas de nombreuses personnes.

En 2016, 2 247 personnes ont été financées (997 à Mayotte, 1 250 à La Réunion). La portée de l'action de l'Adie est donc tout à fait significative au regard de la population et le microcrédit est une solution concrète et efficace de retour à l'emploi pour ces personnes.

Les activités financées sont principalement dans le petit commerce ( Doukas ), la vente sur les marchés à Mayotte. À La Réunion, les activités sont plus diversifiées entre le commerce, les prestations de services (31 %), l'hôtellerie-restauration, l'artisanat...

Répartition des financements Adie selon les secteurs d'activité

Source : Adie

Source : Adie

64 % des personnes financées à Mayotte n'ont pas de diplôme et les créatrices d'entreprise représentent plus de 60 % des personnes financées (contre 29 % de la création d'entreprise française).

À La Réunion, 40 % des clients de l'Adie sont bénéficiaires d'un minimum social au moment du démarrage de l'activité.

Pour tous, la création de leur activité représente une réelle solution d'emploi puisqu'ils sont 84 % à être toujours en emploi 3 ans après la création de leur activité.

Les pistes de développement de l'Adie dans l'océan Indien sont :

- développer la présence géographique de l'Adie pour faciliter l'accès au microcrédit accompagné par les personnes qui souhaitent créer leur entreprise et, dès lors, leur emploi ;

- à La Réunion, l'ouverture d'une nouvelle agence au Tampon pourrait permettre de mieux servir cette partie du territoire réunionnais ;

- à Mayotte, si le réseau de l'Adie s'est bien développé ces dernières années, l'opportunité de l'ouverture d'une agence à Petite-Terre est à étudier.

En parallèle, pour favoriser le développement des entreprises financées et accompagnées par l'Adie, des fonds de prêts d'honneur gérés par l'Adie à Mayotte comme à La Réunion permettraient de :

- soutenir le développement des entreprises financées pour leur permettre soit de conquérir de nouveaux marchés, soit de créer de l'emploi ;

- prévoir un parcours d'accompagnement spécifique visant à l'accélération du développement d'entreprises créées, pour certaines, depuis plusieurs années.

L'activité de l'Adie se développe chaque année de 10 à 15 % dans l'océan Indien. Ce développement est rendu possible par les nombreuses demandes émanant de personnes qui souhaitent créer leur propre emploi, mais aussi par le soutien de nombreux partenaires que l'Adie souhaite ici remercier.

Farda MARI, Directrice de Crea Pépites

J'ai 28 ans. J'ai suivi mes études en métropole. J'ai commencé à travailler en 2011 et créé ma structure fin 2014. Étant étudiante, j'ai toujours porté un regard curieux sur le développement du territoire de Mayotte et sur l'intégration des jeunes Mahorais en métropole.

Notre tissu économique est composé à plus de 80 % de TPE. Crea Pépites est née pour accompagner et pour conseiller ces jeunes qui reviennent sur le territoire pour entreprendre. Ils ont envie de contribuer à l'essor de notre île.

La Réunion célèbre cette année ses 71 ans en tant que département contre sa sixième année pour Mayotte. Il nous reste beaucoup de travail à accomplir. L'un des premiers obstacles au développement de projets innovants réside dans la maîtrise du foncier et dans les aléas sociaux.

Au départ, les entreprises mobilisent des aides de l'État, de l'Adie ou de banques. Nous devons leur apprendre à rendre des comptes, à communiquer sur leur action. Trop peu de TPE deviennent des PME. Nous souffrons d'un manque d'aides en termes de management. Nous veillons également à faire intervenir les banques pour remédier au « désert bancaire » de Mayotte.

Notre public est très hétérogène. Certains possèdent un savoir-faire, mais parlent très mal le français. Nous devons les assister dans toutes les tâches administratives. D'autres connaissent leur métier, par exemple un ingénieur géomètre, mais ne disposent pas des technologies pour entreprendre. Le suivi sera alors moins intense.

Maymounati AHAMADI, Directrice de BGE Mayotte

S'il est vrai que la création d'entreprise est reconnue comme une solution durable pour remédier en partie à la lutte contre le chômage et l'exclusion, elle représente un enjeu économique et social important pour le développement local .

Traiter d'un tel sujet ne peut se concevoir sans rappeler les fondamentaux socio-économiques du département.

Bien qu'elle fasse partie de la France depuis 170 ans, Mayotte reste bien méconnue des autres territoires. En 2011, Mayotte a souhaité devenir département d'outre-mer quoiqu'elle soit le territoire le plus pauvre de l'Europe. Le 101 e département de France rencontre la grande problématique nationale qui assombrit et détériore l'économie locale : il connaît un taux de chômage trois fois supérieur à celui de la métropole. En effet, beaucoup de difficultés sévissent dans ce département, tant économiques, sociales que financières.

Mais comment éradiquer un chômage de masse lorsque dans les moeurs locales, seuls l'État, le Département et les collectivités peuvent embaucher et ainsi garantir un emploi à durée indéterminée ? Pourtant ces derniers n'ont pas la capacité d'employer tout le monde et obligent la population à se tourner vers le secteur privé.

La première solution préconisée par les diverses autorités face à cette pénurie d'emplois et le défaut de structuration du secteur privé est d'encourager la création d'entreprise.

Or, Mayotte possède un tissu économique composé de 95 % de TPE. Mayotte se situe au 25 e rang des régions françaises avec des entreprises en majorité individuelles au détriment des sociétés anonymes (SA) ou sociétés à responsabilité limitée (SARL). En effet, les entreprises individuelles y représentent près de huit créations sur dix, contre sept sur dix au niveau national. Fait notable dans ce département, près de la moitié des entrepreneurs sont des femmes.

Depuis sa création à Mayotte en 1999, BGE a vécu toutes les évolutions mahoraises et notamment celles liées à la création d'activité. BGE Mayotte, association loi 1901, fait partie d'un réseau national : « BGE Réseau », pionnier de l'accompagnement de la création d'entreprise depuis plus de 35 ans.

C'est un outil de développement local dont la mission consiste principalement dans l'accompagnement de projets économiques et l'offre de conseils et d'ingénierie aux jeunes entreprises en matière de création, de fonctionnement et de développement. Elle s'adresse pour l'essentiel à des créateurs d'entreprise demandeurs d'emplois, éloignés ou non de la culture entrepreneuriale et souhaitant maîtriser leur devenir économique par la création de leur propre emploi.

Pour accompagner au mieux les futurs créateurs d'entreprise, une mise en relation de proximité et une connaissance fine?des territoires est nécessaire. C'est la raison pour laquelle BGE dispose de plus de 550 lieux d'accueil au coeur des territoires métropolitains et ultramarins.

En plus de se positionner comme un acteur incontournable de la création d'entreprise à Mayotte, il est important que BGE Mayotte puisse continuer son intervention sur le développement et le suivi des entreprises afin d'améliorer leur pérennité. En effet, le travail de l'association ne peut pas se restreindre à l'accompagnement des futurs créateurs d'entreprise mais doit s'étendre au suivi et au développement afin de favoriser la création d'emplois. Ainsi, les premiers exercices de leur activité nécessitent un accompagnement de chaque instant.

Parce qu'un suivi régulier augmente de manière significative le taux de réussite des entreprises nouvelles, BGE Mayotte étend à 2 ans le suivi personnalisé de ses porteurs de projet, afin de les aider à pérenniser et développer leurs entreprises. Ces jeunes pousses ont pour vocation d'être le moteur de croissance de l'économie mahoraise et l'État les encourage à devenir le facteur principal de l'inversion de la courbe du chômage.

Les outils financiers sont les suivants :

Avant création

Post-création

DIECCTE

Conseil départemental

La défiscalisation

Prêt d'honneur

Union européenne

ACCRE : 4 200 €

Aide à l'initiative des femmes (AIF) : 3 200 €

Taux de défiscalisation dépendant du secteur d'activité

Adie et plateforme d'initiative locale

FSE - FEDER
- FEADER

PIJ : 7 319 €

Aide à l'investissement (AI) : subvention de 40 % des investissements de matériel neuf

Malgré un accès difficile à l'emploi, une envie d'entreprendre se développe à Mayotte. Toutefois, cette envie d'entreprendre ne peut être dissociée des contraintes légales non mesurées et non appréhendées avant le démarrage du processus de la départementalisation. Comment développer l'entreprenariat avec des problématiques liées au foncier ? En effet, les locaux commerciaux sont rares et les zones d'activité industrielle quasi inexistantes à travers l'île, ce qui freine automatiquement le développement de ces TPE vers des PME.

Le développement économique et social actuel de Mayotte fait fréquemment évoluer les réglementations et donc les démarches des porteurs de projets (application du droit commun sur les aptitudes professionnelles requises, sur les normes de sécurité, les réglementations métiers, etc...). Il s'avère donc primordial qu'un opérateur d'accompagnement à la création d'entreprise tel que BGE Mayotte puisse faciliter les parcours de création et de développement des dirigeants qu'elle accompagne. La recherche d'informations, notamment, peut en effet se révéler compliquée pour un public demandeur d'emploi parfois éloigné de la culture entrepreneuriale et peu habitué à devoir chercher parmi une somme d'informations. Les retours des dirigeants de TPE font état de difficultés au démarrage de l'activité car ils sont majoritairement éloignés de la culture entrepreneuriale. De ce fait, des ingénieries juridiques, stratégiques et de gestion globale des entreprises doivent bénéficier aux TPE.

Selon nos données internes, nous constatons que 80 % des personnes accompagnées sont demandeurs d'emploi au moment de la création d'entreprise, 1 sur 4 est salarié, 1 sur 10 est bénéficiaire d'un minimum social, 1 sur 3 a un niveau de formation inférieur au baccalauréat. Le taux de pérennité à trois ans des entrepreneurs qui ont bénéficié d'un parcours complet est de 72 % (accompagnement, aide au financement et suivi post-création). Les entreprises créées comptent en moyenne 2,6 emplois trois ans plus tard, soit un emploi net créé en moyenne par entreprise pérenne.

Ces statistiques démontrent le besoin immédiat de montée en compétences à la fois des futurs dirigeants mais également de leurs salariés ou bien des futures embauches. Ces formations pour devenir un dirigeant restent indispensables afin de favoriser la prise de risque et le goût d'entreprendre et de voir grand car, sans un essor du secteur privé, l'emploi ne saurait se développer à Mayotte et, sans une augmentation des PME, un boom de la croissance économique locale sera impossible.

Pôle Emploi et l'Insee compte plus de 30 000 personnes sans emploi, sans comptabiliser ceux qui sont sur le marché parallèle et ceux issus de l'immigration clandestine qui accentuent cette donne.

Des dispositifs tels que « l'embauche d'un premier salarié » lancés par le ministère des outre-mer ne suffisent pas à favoriser l'emploi dans certains secteurs d'activité car le recours à la main d'oeuvre illégale et bon marché y est préférable.

Nous constatons à BGE Mayotte un réel manque de franchise dans notre territoire. Les grandes chaînes industrielles employeuses au niveau national ne s'y installent pas, souvent faute de foncier ou bien en raison du taux d'octroi de mer trop élevé, mais également, pour un créateur d'entreprise lambda , faute de financement bancaire. Nous sommes un territoire où la monnaie circule deux fois plus que dans d'autres départements. Toutefois les données bancaires des futurs créateurs sont rares et, de ce fait, le facteur risque étant engagé, la banque ne prête pas.

En matière de solutions à apporter, il faut, en premier lieu, continuer à soutenir les opérateurs d'accompagnement à la création d'entreprise car les évolutions économiques de Mayotte, avec un tissu composé à 95 % de TPE, ne peuvent se déployer sans cet accompagnement.

Il nous faut encore poursuivre dans le combat pour la régularisation du foncier, afin d'améliorer la mise en place de zones d'activité économique à Mayotte. Encourager l'embauche d'un premier salarié à travers le dispositif mis en place par le ministère des outre-mer demeure indispensable pour continuer à valoriser le tissu économique existant et à encourager l'emploi. Certains dispositifs sont inexistants à Mayotte ou arrivent trop tardivement par rapport aux autres territoires. Je rappelle, par exemple, que l'économie sociale et solidaire n'a été mise en place à Mayotte qu'en 2016.

Un renforcement du système financier envers les entrepreneurs reste primordial pour augmenter les projets porteurs d'emplois car, jusqu'à présent, les franchises sont porteuses d'emplois et de développement de zones économiques. Or, ces projets sont de grande envergure et nécessitent des financements assez importants.

Nathalie COSTANTINI, Vice-recteur de Mayotte

Deux termes s'imposent à l'esprit lorsque l'on songe à Mayotte : lagon et démographie. Ces deux éléments pourraient constituer les clés des voies de développement économiques du territoire et nous exhorter, par exemple, à mettre en oeuvre des formations permettant une meilleure insertion dans les domaines du tourisme et des services.

Tout acteur public ou privé participant à la construction de ce territoire peut a priori acquiescer à de telles propositions. Toutefois, et eu égard à une croissance considérablement impactée par l'histoire proche et lointaine de Mayotte, on se heurte très vite à deux données difficilement compatibles et dont il faut tenir compte dans la réflexion :

- l'exiguïté du territoire (gestion des ressources, du foncier, de l'eau, de l'accueil, de la répartition de la population) ;

- l'explosion démographique, laquelle se répercute sur tous les secteurs de la vie (famille, école, économie, travail...).

Mayotte est un territoire en construction qui se débat entre deux tendances contradictoires : devoir rattraper le temps pour participer au rayonnement de la France et se donner le temps d'une construction nécessaire mais s'inscrivant nécessairement dans la durée.

Il s'agit dès lors de montrer que, dépassées ces premières impressions, la mise en place du Comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (Crefop) et l'élaboration d'une carte des formations peuvent donner le cap d'une construction bien différente. Celle-ci ne se fonde plus sur une vision centripète tournée vers les besoins primaires et qui, finalement, exclut le plus grand nombre, mais au contraire sur une vision centrifuge en lien avec, au plus restreint, la zone océan Indien. Il nous semble que c'est ainsi que nous pourrons donner l'image d'un territoire qui s'organise pour former ses élites mais également pour former des citoyens libres et autonomes dans leur parcours professionnel.

Former pour ici et pour ailleurs, pour maintenant et pour demain, perspective qui s'inscrit dans l'idée développée par Jean-Jacques Vlody dans son rapport d'octobre 2016 en faveur de l'insertion régionale des DOM. En effet, le député y recommande que les outre-mer investissent davantage leur territoire régional, favorisent et adaptent la formation des jeunes dans les zones océan Indien et Antilles-Guyane.

Puisqu'il est maintenant acquis que la diplomation aide à l'insertion, il convient que les acteurs décideurs du système éducatif puissent, en lien avec les acteurs économiques et en préfiguration du Crefop, anticiper une réflexion sur les besoins du territoire pour que ce système produise les personnes formées dont le territoire a besoin. Mais comment intégrer les 2 800 jeunes qui arrivent à la fin du cursus du second degré ainsi que ceux qui poursuivent en BTS ou licence et qui font le choix plus ou moins consenti de rester sur le territoire pour s'insérer professionnellement ?

Quelques questions ou remarques président à cette réflexion :

- des précisions sur les termes s'imposent car former pour maintenant ne produit pas les mêmes effets que former pour demain , de même que former pour ici ne relève pas de la même logique que former pour ici, mais aussi ailleurs ;

- qu'est-ce que le territoire ? Quel format, quel périmètre ? Mayotte bien sûr et ses 375 km 2 mais il ne serait pas concevable de ne pas l'inscrire dans un environnement proche, la sous-région de l'océan Indien, de même que de tenir compte des deux continents qui l'entourent, l'Afrique et l'Asie, et plus encore de l'Europe au sein de laquelle elle est inscrite comme RUP ;

- par ailleurs, comment concilier ce dont on a besoin aujourd'hui, à savoir l'augmentation nécessaire du niveau de qualification des personnes pour assurer le besoin immédiat et la nécessaire ouverture pour donner une place - la bonne place - à chacun ? En d'autres termes, comment garantir sur ce territoire comme ailleurs que chacun puisse avoir le droit de sa liberté de lieu de vie, de se construire une vision à plus long terme pour ne pas être en décalage avec l'évolution des métiers qui laisserait ainsi toutes ces personnes formées sur la touche ? Cette réflexion, qui conduit à repenser les équilibres entre niveaux de formations, CAP, BAC et BTS, doit dans le même temps concilier projet individuel et développement collectif.

Si l'objectif est bel et bien défini, un cadre doit diriger cette réflexion pour qu'elle se concrétise. Les propositions doivent répondre à trois principes : la faisabilité matérielle et éthique, l'efficience mais aussi une certaine progressivité.

Un tel engagement sur un territoire en construction mérite, pour se donner une chance de réussite, de mettre en perspective la réflexion théorique avec les contingences locales.

Quelques contraintes majeures sont à prendre en compte pour mener une analyse globale du territoire et adopter les décisions pertinentes :

- l'économie locale est en structuration et, pour l'heure, sous perfusion de l'argent public (transferts sociaux et investissements d'État) ; le PIB par habitant à Mayotte est de 8 350 euros en 2013 quand il est autour de 20 000 euros dans les DOM ; les transports collectifs n'existent pas ; de nombreuses problématiques sociales placent les enjeux vitaux devant les besoins d'insertion professionnelle ; une économie parallèle florissante existe et détourne l'attention d'un grand nombre du besoin de construction à long terme du territoire. Enfin, le secteur public est bien trop développé par rapport au secteur privé ;

- la culture et l'histoire sociale du territoire : formée à partir du peuplement des îles des Comores, l'île de Mayotte présente avec les trois autres îles des similitudes du point de vue des traditions et de son organisation sociétale collective. Néanmoins, des différences sont visibles dans la relation au travail et au besoin de créer de la richesse (cf. annexe 1 : essai sur les îles des Comores de A. Gevrey, 12 janvier 1870) ;

- l'histoire et le positionnement géographique : sans revenir loin en arrière, quelques dates s'imposent. En 1841, Mayotte devient protectorat français puis, en 1886, l'ensemble de l'archipel ; en 1975, référendum pour le rattachement à la France et en 2011, départementalisation. Le 31 mars 2011, Mayotte devient le 101 e département, mais très éloigné de la métropole et dans un environnement qui ne reconnaît pas toujours son appartenance à la France (Comores, Maurice, l'ONU) ;

- le système éducatif très récent : en 1982, un seul collège ; en 1994, première école maternelle ; en 2004, encore un concours d'entrée en 6 e . Dans les vingt dernières années en revanche, la population scolaire a doublé. Ce système présentait une sur-représentation des formations de niveau 5 et propose aujourd'hui des formations de niveau 3 avec les BTS et la licence. À la rentrée 2017, le premier Master du territoire dans le domaine de l'enseignement et de la formation (Master MEEF) est proposé aux étudiants ;

- l'insécurité, corollaire de la très grande pauvreté, qui confronte le territoire à des records sur les chiffres de la violence (1 554 faits d'atteinte volontaire à l'intégrité physique (AVIP) en 2014, 2 820 en 2016 ; 4 693 faits d'atteinte aux biens (AAB) en 2014, 5102 en 2016). Par ailleurs, l'insécurité économique ou financière conduit à des désengagements, et donc à de cuisants échecs qui ont également une incidence sur le développement économique ;

- l'insularité, qui incite au départ sans a priori se poser la question du retour.

En rester là reviendrait à se poser la question de l'intérêt d'une construction. Il est dès lors à souligner que Mayotte ne manque pas d'atouts :

- des apports financiers ou en ressources humaines importants, même si l'attractivité est toujours relative au regard des éléments présentés plus haut. La convergence de moyens nationaux et européens participe à un impact positif ;

- la jeunesse : peut-être plus qu'ailleurs la priorité à la jeunesse a un sens à Mayotte. En effet, c'est 60 % de la population qui a moins de 20 ans. On constate toutefois une migration significative des 20-35 ans, souvent les plus formés, vers La Réunion ou la métropole, dans l'espoir d'une insertion professionnelle et de meilleures conditions de vie (scolarisation, santé, sécurité) ;

- l'environnement peut devenir un véritable atout et un enjeu de développement majeur, à condition d'en assurer la préservation. C'est, selon nous, un enjeu d'avenir autant qu'une priorité ;

- sa position géostratégique qui la situe dans un espace prisé renfermant des ressources naturelles importantes convoitées. Les TAAF contribuent largement à donner à la France la deuxième place mondiale en termes de surfaces maritimes.

Aussi, construire le territoire en prenant le secteur de la formation comme axe majeur de développement suppose-t-il de procéder par étapes successives. Un rapide panorama de l'histoire de la formation jusqu'à nos jours est à ce titre très instructif et nous donne les clés de la démarche.

Quatre étapes nécessaires dans le temps nous renseignent sur les relations plus ou moins directes entre formation et construction du territoire.

Étape 1 : années 1980-1990. La formation reste l'apanage d'un petit nombre et les élites créées sont pour la plupart des personnes qui partent faire leurs études en métropole. À Mayotte, le système de formation est partiel, l'école élémentaire est fréquentée par quelques élèves qui ne poursuivent au collège que pour quelques-uns d'entre eux. La voie professionnelle est identifiée comme la seule possible pour qualifier et répondre aux besoins immédiats du territoire. Dans la réflexion formation/construction, ces deux notions sont traitées plutôt de manière indépendante, disjointe voire contradictoire. Ainsi, ce sont prioritairement des CAP qui ont été mis en oeuvre, CAP liés aux secteurs du commerce et des services (secrétariat, agents d'entretien...) et ce, sans tenir compte des capacités réelles des élèves. Le besoin de cadres n'était alors pas une question qui se posait et les entreprises qui sont arrivées ou ont été créées se sont développées avec de la main d'oeuvre sous-qualifiée pour tenir tous les rôles et assumer toutes les fonctions de l'entreprise.

Étape 2 : dans les années 95, Mayotte a connu une massification de sa population scolaire, ce qui a nécessité de faire face en s'appuyant presque uniquement sur les ressources humaines du territoire. Un institut de formation a été créé et les jeunes à niveau Bac, voire moins diplômés, ont reçu une formation pour satisfaire le système éducatif et sa croissance vertigineuse.

Cette période d'expansion démographique a eu très rapidement un autre effet : Mayotte est apparue comme un territoire d'avenir qui permettait des rêves économiques, des créations d'entreprises, de l'entreprenariat. C'est à cette époque que l'on a pu voir un lien commencer à se tisser entre la nature des formations proposées et la volonté de construction du territoire. Le panel des formations s'est alors diversifié et le niveau de qualification s'est accru. Par ailleurs, des secteurs économiques sont progressivement apparus, comme le BTP qui accompagnait les infrastructures nécessaires au développement social et économique. Mais, là encore, l'immédiateté et le projet individuel ont prévalu sur le besoin collectif. Le sentiment d'appartenance au territoire n'a pas retenu les jeunes réussissant le mieux qui, massivement, se sont tournés vers la métropole. Sont restés, en majorité, les jeunes contraints ou dont les performances ne correspondaient pas aux ressources attendues par le tissu économique local.

Étape 3 : actuellement, si tous les niveaux et modalités de formation existent (voie scolaire, par apprentissage, formation continue ou mixité des parcours), un défi reste à relever et invite à réfléchir à des formations d'avenir pour le territoire à partir de l'évolution des secteurs concernés.

Ainsi trois exemples :

- le BTP, qui pourrait se développer en intégrant de nouvelles technologies ;

- la restauration scolaire, domaine qui est apparu à la suite de la mise en oeuvre de la réforme des rythmes scolaires puisqu'elle a conduit à une nouvelle organisation du temps qui pouvait englober un temps de pause prandiale. De l'apparition de ce service sont nés de nombreux métiers justifiant des formations en amont ou donnant enfin à des formations existantes un pouvoir d'attractivité non encore reconnu. Par ailleurs, ce projet que nous avons déposé permet d'aborder des domaines comme les liaisons courtes, le transport, les unités de production, de transformation, l'agriculture, le service. En d'autres termes, un territoire en construction peut trouver des sources d'inspiration dans la mise en place progressive du droit commun ;

- on parle beaucoup du tourisme qui, en effet, pourrait être une voie de développement extraordinaire et presque évident. Mais pour cela, il faut d'abord avoir travaillé, en amont, sur l'assainissement, la préservation de l'environnement, le traitement des déchets, le développement des infrastructures routières, les ressources en eau... Outre la garantie de prestations de qualité pour les touristes, cela pourrait tout autant satisfaire les besoins premiers de la population.

Étape 4 : on peut poursuivre encore le raisonnement et considérer que, plus le territoire va augmenter l'étendue de ses filières de formation, moins il sera à même de satisfaire seul les besoins de sa population (concept d'assimilation). Je rappelle que Mayotte est un territoire très exigu qui, faute de foncier, ne pourra à loisir se développer. Alors une seule voie possible : la capacité des personnes à penser que le territoire peut former pour l'ailleurs et garder une belle image qui donnera envie à la jeunesse de revenir, ou encore intégrer d'autres espaces à son territoire et créer un nouveau sentiment d'appartenance en lien avec des voisins de la sous-région avec qui il peut former une communauté de vie.

Le tourisme et l'hôtellerie-restauration peuvent à nouveau être cités, comme des domaines de développement ouverts qui peuvent former à haut niveau sur le territoire mais pour un développement de l'ensemble de la zone proche océan Indien. Ainsi, tout comme Maurice ou les Seychelles, Mayotte pourrait faire valoir ses atouts naturels et ne pas se satisfaire du seul tourisme affinitaire.

Le hub maritime : actuellement, le port est confronté à de lourdes et paralysantes problématiques de gestion, mais ce port en eau profonde, du fait de sa position stratégique, pourrait tout à fait devenir un véritable hub de transport de marchandises pour tout l'océan Indien.

En conclusion, Mayotte a des atouts et une grande partie de ses contraintes peut être dépassée pour le développement économique de cette terre de France. À l'instar de La Réunion, Mayotte peut aussi contribuer au rayonnement de la France.

Une seule question essentielle reste posée : quel modèle de développement faut-il créer ?

Si le cap est clair, construire Mayotte dans une démarche plus centrifuge que centripète, il ne faut pas nous contenter de reproduire des dispositifs qui ont, en leur temps, rendu les services escomptés, mais qui, mis en oeuvre maintenant et de manière exclusive, condamneraient Mayotte à un retard inexorable et ne donneraient peut-être plus les réussites connues dans les territoires où ils ont été développés. Il faut là encore s'adapter au temps.

La jeune génération ne peut être formée exclusivement pour un ici. Elle doit pouvoir s'adapter à un ailleurs, et surtout se sentir aussi citoyenne du monde avec le choix et la capacité de mobilité qui offrent la liberté de s'installer où elle le souhaite.

Il nous revient donc de résoudre une équation bien difficile qui, d'un côté, nécessite de donner du temps tout en rattrapant le temps et, concomitamment, impose de penser les espaces au-delà des frontières géographiques. Deux intentions très compréhensibles mais dont il ne faut pas minimiser les risques - ces derniers étant liés à cette véritable transformation sociétale - et dont les conséquences non anticipées peuvent, du fait des pertes de repères que la transformation impose, générer des déséquilibres et des tensions. Une stratégie explicite doit être envisagée avec l'ensemble des acteurs pour que nos jeunes puissent réellement construire leurs choix d'insertion en tenant compte de leurs aspirations et de leurs compétences.

Mayotte n'a pas encore fixé ses structures. Le secteur public est démesurément développé par rapport au secteur privé ce qui conduit à des choix qui ne peuvent être directement ceux de la métropole, voire de La Réunion avec laquelle elle se compare souvent. L'enquête de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) présentée en février 2016 aux différents recteurs d'académie est à ce titre une bonne illustration. Cette enquête montre que les emplois dont a aussi besoin Mayotte sont ceux qui vont s'éteindre en 2022 en France métropolitaine. Si ce constat montre qu'il faut être progressif dans les évolutions à accompagner en termes d'offre de formation, il convient également d'accepter que dans la dialectique formation/construction, cette dernière soit l'entrée de la réflexion et qu'elle conduise le Crefop, instance essentielle à un développement harmonieux et concerté, à proposer de réfléchir à des formations sur de nouveaux secteurs économiques ou dans un concept d'ingénierie frugale corrélée à l'idée d'économie sociale et solidaire.

Mayotte comme beaucoup d'autres territoires de France, et notamment les différentes îles, ne peut insérer tous ses jeunes. Par ailleurs, le territoire ne se développera pas en contraignant les jeunes à rester sur l'île de manière artificielle. L'appel de l'ailleurs est un sentiment de tous les insulaires et seul un développement raisonné et pensé dans l'avenir pourra leur permettre de partir et revenir comme le font actuellement de nombreux métropolitains.

Nous devons être à la fois lucides quant à l'impossibilité de s'affranchir de toutes les contraintes du territoire, mais aussi convaincus de la possibilité de l'oeuvre à bâtir. La coopération transfrontalière doit être pensée comme le moyen le plus efficient pour augmenter le niveau de compétence et ainsi favoriser l'expertise mahoraise sur le marché de l'emploi dans les catégories élevées de qualification.

Reste à s'assurer que ce travail s'inscrive dans le temps long qui nécessite, pour réussir, une stabilité des engagements mais aussi une nécessaire prise en charge de tout cela de l'intérieur.

Annexe 1 : Essai sur les îles Comores par A.Gevrey

Jean L'HOMME, Avocat au Barreau de Paris et directeur associé du cabinet Fidal

Le cabinet Fidal, dont je représente le pôle « financement par la dette », compte 80 000 entreprises clientes en France, principalement des PME. Par ailleurs, nous sommes présents en Martinique et procédons actuellement à l'intégration d'un cabinet réunionnais. Le financement des entreprises, et notamment celui des entreprises ultramarines de l'océan Indien, est un sujet qui nous tient donc à coeur !

Nous disposons de très peu de temps pour présenter une problématique complexe. Nous irons donc à l'essentiel.

La question du financement des entreprises ultramarines nous confronte d'emblée à deux caractéristiques, certes présentes aussi dans l'Hexagone, mais nettement accentuées outre-mer : la très forte prépondérance des PME-TPE, ainsi que celle du crédit bancaire. Or, au regard de la question examinée, ceci constitue aujourd'hui un handicap, car le crédit bancaire est désormais contraint, en particulier pour les PME-TPE qui présentent des risques structurellement plus élevés que les ETI ou les grandes entreprises. En effet, la mise en oeuvre, consécutive à la crise financière, des dispositions de Bâle III, notamment des ratios de solvabilité, de liquidité ou encore de levier, et le renforcement des conditions règlementaires d'exercice des activités bancaires se traduisent inexorablement par une politique plus sélective - certains diront restrictive du crédit bancaire.

Dans ce contexte, mais au-delà des facteurs conjoncturels, c'est à un véritable « changement de paradigme » que nous assistons ! Ce n'est pas nous, mais la Fédération bancaire française (FBF) et l'ancien gouverneur de la Banque de France qui le disent : « il est urgent de sensibiliser les entreprises à l'avènement des financements de marché ». Il s'agit, tout en sécurisant le système bancaire européen, de maintenir et développer le financement des entreprises ; et ce en diminuant leur dépendance au crédit bancaire et en favorisant de nouvelles sources de financement et des circuits alternatifs de distribution du crédit. L'Europe évolue ainsi du modèle classique de la « transformation bancaire » vers le modèle nord-américain dans lequel le marché, c'est-à-dire les financeurs non bancaires, assure plus de 80 % du financement des entreprises.

Qui sont donc ces financeurs alternatifs ? Non pas les crowdfunders ou financeurs participatifs, particuliers dont les volumes de crédit restent globalement et règlementairement faibles, mais des investisseurs institutionnels ou professionnels, tels que les assureurs, mutuelles et autres caisses de retraite ou institutions de prévoyance dont il existe une vingtaine de statuts différents en France ; ou encore : des fonds d'investissement, nouveaux fonds de dette, family office ou banques privées , pension funds ou fonds de pension anglo-saxons , fonds souverains etc.

La rémunération des obligations souveraines étant souvent négative, ces investisseurs recherchent du rendement. Ils s'intéressent ainsi fortement aux autres classes d'actifs de dette, et notamment au financement des entreprises non cotées.

Du point de vue réglementaire, les législateurs et les régulateurs, tant français qu'européens, accompagnent et favorisent cette évolution. Le monopole bancaire français est l'un des plus étendus d'Europe. Il constitue aujourd'hui un frein 7 ( * ) . Un certain nombre de dispositions récentes en réduisent le périmètre ; pour n'en citer que quelques-unes :

- institution du label FPE pour les « fonds de prêts à l'économie » (décret du 2 août 2013 modifié par le décret du 17 décembre 2014) ;

- règlement UE 2015/760 du Parlement européen et du Conseil en date du 29 avril 2015 relatif aux fonds européens d'investissement à long terme ( European long-term investment funds ) qui permet à certains fonds d'investisssement alternatifs (FIA) labellisés ELTIF de pouvoir octroyer des prêts en direct dans tous les États de l'Union européenne ;

- modification récente des réglementations allemandes ( German Banking Act modifié le 18 mars 2016) et italienne (décret-loi du 14 février 2016) permettant aux FIA de droit allemand et italien de pouvoir octroyer des prêts en direct ;

- possibilité pour les entreprises « ayant des liens économiques le justifiant » de s'octroyer des prêts de trésorerie à échéance de 2 ans maximum (issue de la « loi Macron » n° 2015-990 du 6 août 2015) 8 ( * ) ;

- réforme du cadre juridique des plateformes de crowdfunding en France (décret du 28 octobre 2016) qui peuvent prêter à des entreprises ou souscrire des titres de créance à hauteur de 2,5 millions d'euros, en utilisant notamment le nouveau support juridique que constituent les « minibons » ;

- ordonnances prévues par la loi « Sapin II », notamment concernant la cession de créances non échues à des investisseurs financiers non bancaires.

L'apparition de financeurs alternatifs constitue une opportunité pour les entreprises. Les fonds disposent aujourd'hui d'abondantes liquidités et se positionnent sur un large spectre de risques - certains y étant plus ouverts. Encouragés par les gouvernements, ils souhaitent investir l'espace de la dette privée mais peinent, en l'absence de réseaux, à identifier des opportunités de placement. De même, du côté des entreprises, et en particulier des PME ultramarines qui souffrent de leur éloignement des grands centres européens du crédit, il est difficile d'entrer en relation avec ces nouveaux financeurs.

Le développement accéléré des FinTechs, et notamment des plateformes digitales de mises en relation, devrait substantiellement faciliter l'accès des entreprises aux nouveaux financements de marché.

Cette transformation, ce « changement de paradigme » implique pour les investisseurs-financeurs l'apprentissage des métiers du crédit, à commencer par la sélection et le pricing des risques, ainsi que la structuration et la sécurisation des crédits. Les banques s'organisent d'ores et déjà en partenariat avec des sociétés d'assurance et autres investisseurs pour proposer des co-financements, réduisant ainsi leurs engagements et leur charge en fonds propres, et des services d'arrangement - rémunérés par des commissions.

Les entreprises, elles aussi, doivent s'adapter et maîtriser les pratiques, les formats et les contraintes - mais aussi saisir l'opportunité - de ces nouveaux financements. Les banques, partenaires traditionnels des entreprises, disposent d'informations régulières sur leurs clients, dont elles assurent la mise à jour et le suivi. Ce n'est pas le cas des prêteurs non bancaires. Il est donc nécessaire que les entreprises se préparent à se présenter à ces investisseurs, à communiquer avec eux et à mettre à leur disposition des informations pertinentes, régulièrement mises à jour, concernant leurs activités, leur performance et leurs projets de développement 9 ( * ) .

L'accès à ces nouveaux marchés du crédit a un coût, notamment opérationnel, et sans surprise les taux y sont élevés pour les crédits risqués. Mais les conditions et modalités du financement y sont souvent assouplies (crédits in fine , maturités allongées, financement des incorporels, covenants allégés etc.) et ils constituent indéniablement un recours nécessaire, peut-être même salutaire, pour nos entreprises.

Katherine CHATEL, Responsable de la commission Tourisme au Medef Réunion

Je souhaite que la question du tourisme à La Réunion ne soit pas simplement saisie par le prisme du « lynchage médiatique » que nous subissons actuellement en raison de la crise du requin. La dernière victime s'était baignée dans une zone interdite, signalée comme dangereuse. Ce surfeur a malheureusement perdu la vie. Ce genre de drame est la source de grandes difficultés sur le plan local.

L'économie réunionnaise du tourisme est constituée de 95 % de très très petites entreprises (TTPE), souvent des structures familiales. Elle génère toutefois 1,2 milliard d'euros à l'export, à la fois en local et en intrant. Elle représente ainsi davantage que l'industrie de la canne à sucre et que le BTP. Cette activité non délocalisable crée 7 000 emplois directs et 12 000 emplois indirects. Elle constitue 3 % du PIB contre 8 % en métropole. Elle présente donc un potentiel de développement important.

Depuis 2016, sa courbe de croissance s'est inversée. Elle s'accroît actuellement de + 10 % par an. Cette progression est notamment due à l'essor du tourisme d'agrément en plus des déplacements affinitaires. Notre secteur constitue également une économie transversale. Chacune de ses crises engendre un marasme économique, car l'artisanat, le BTP, l'agriculture et les autres filières sont aussi impactés.

Il y a cinq ans, nous avons fondé le Club du Tourisme. Je le présidais jusqu'à l'année dernière. Nous avons lancé le cluster e-tourisme pour la digitalisation et la modernisation de notre secteur. Nous agissons pour réduire le coût du travail car notre environnement régional, constitué de l'île Maurice et de Madagascar, est très agressif. Nous demandons que le tourisme soit mieux considéré au plan économique et politique. Ces actions doivent être beaucoup plus rapides.

Nous réclamons que la saisonnalité soit prise en compte, que les formations s'adaptent à des métiers en évolution constante, que le tourisme soit une voie professionnelle portée par le désir et non plus par défaut. Nous avons également besoin d'aides à l'investissement pour attirer les acteurs majeurs de l'hôtellerie et du transport. La filière du tourisme ne se réduit pas à l'hôtellerie et à la restauration mais s'étend également à la distribution, aux loisirs...

Nous requérons l'ouverture du ciel. Pour éviter de fragiliser les compagnies locales, des code share doivent bénéficier d'autorisations et des compagnies transversales doivent nous ouvrir sur de nouveaux marchés. Il est aussi nécessaire d'augmenter le panier moyen qui favorisera l'artisanat, les loisirs, les activités culturelles et gastronomiques. La Réunion n'a pas besoin de tourisme de masse, mais d'un tourisme de qualité. Pendant la durée de son séjour, un touriste crée 1,5 emploi. Dans une île caractérisée par sa jeunesse et frappée par le chômage, ce point est extrêmement important.

Nous ambitionnons d'accueillir des touristes respectueux des valeurs de La Réunion, recherchant une expérience, souhaitant partager notre culture et notre patrimoine. Nous voulons prouver que le tourisme est une économie à part entière dynamique et entrepreneuriale.

Seconde séquence - À la confluence de deux continents et d'un voisinage insulaire, des opportunités de développement à l'export

Marc SCHWEITZER, Responsable de l'Observatoire économique et monétaire des Instituts d'émission IEDOM-IEOM

C'est avec grand plaisir que je réponds au nom des Instituts à cette invitation faite à son directeur général - actuellement dans le Pacifique à l'occasion du 50 e anniversaire de l'IEOM - à intervenir à une des tables rondes de cette journée. Comme vous le savez, l'IEDOM, devenu filiale à 100 % de la Banque de France au 1 er janvier 2017, a dans ses missions de service public une mission d'observation économique des territoires ultramarins. Mon propos sera donc de brièvement caractériser les échanges extérieurs des départements français de l'océan indien (DFOI) et d'en tirer quelques enseignements sur les dynamiques économiques à l'oeuvre, notamment du point de vue de l'insertion dans l'environnement régional.

Une remarque préalable : si le rattrapage par rapport à la métropole n'est pas achevé, puisque les produits intérieurs bruts (PIB) par habitant de La Réunion et Mayotte représentent respectivement deux tiers et un quart du niveau national, ils ressortent toutefois comme les plus élevés de la zone.

Données 2013 pour les DOM, 2015 pour les autres.
Sources: FMI; INSEE

Produit intérieur brut par habitant par rapport à l'Hexagone

30 988

52 700

Source : Insee 2013

En comparaison, la région Hauts de France, région hexagonale dont le PIB par habitant est le plus faible, atteint 79 % de la moyenne nationale en 2014.

Je commencerai par le constat statistique que l'on peut effectuer en matière d'échanges extérieurs. Comme la plupart des économies ultramarines, les échanges extérieurs sont déficitaires. Le tableau ci-dessous donne les chiffres 2015 :

En milliards d'euros

Importations

Exportations

Solde commercial

La Réunion

4,7

0,3

-4,4

Mayotte

0,5

0,008

-0,5

Île Maurice

4,2

2,1

-2,1

Union des Comores

0,3

0,03

-0,2

Mais il convient évidemment de dépasser cette simple observation, qui, en soi, n'emporte pas de conséquence macro-économique particulière, puisqu'on parle ici de départements français qui n'ont pas de balance des paiements à financer. Et le constat est triple.

1 er constat : La Réunion et Mayotte sont peu ouvertes aux échanges

Dans le graphique ci-dessous, qui porte sur une moyenne sur la période 2010-2015, le taux d'ouverture est défini comme le rapport de la somme des importations et exportations sur deux fois le PIB.

Le taux d'ouverture est ainsi moins élevé que celui de l'Hexagone ou celui des départements français des Amériques.

Taux d'ouverture (2010-2015) Exportations+importations/2*PIB

Sources : Douanes, IEDOM

Ils le sont également moins que les pays voisins de la zone, comme le montre le graphique suivant, qui a le mérite de fournir une comparaison par rapport à l'ensemble de la zone sur l'année 2015.

Ainsi, Mayotte et La Réunion présentent des taux d'ouverture moyens respectifs de 13 % et 14 %, soit les plus faibles parmi les pays de la zone. Pour comparaison, le taux d'ouverture des Seychelles avoisine les 49 %.

Taux d'ouverture (2015) des pays d'Afrique australe et dans les DOM de l'océan Indien

Sources : OMC, IEDOM

2 e constat : le degré d'ouverture est notamment limité par la faiblesse des exportations

Cette faible ouverture sur l'extérieur s'explique notamment par le niveau limité des exportations des deux îles : la propension à exporter s'élève à 1,7 % à La Réunion alors qu'elle n'est que de 0,3 % à Mayotte (4,9 % en Martinique et en Guyane). Elle trouve également son origine dans une propension à importer en retrait par rapport aux Antilles-Guyane. Toutefois, au total, le taux de couverture est plus faible qu'aux Antilles-Guyane.

Propension à exporter des biens (Exportations de biens/PIB*100)

Sources : Douanes, IEDOM

Taux de couverture (moyenne 2010-2015)

Sources : Douanes, IEDOM

Une explication : la relative faiblesse de ce que les économistes appellent la « base échangeable »

Comme le montrent les graphiques que nous avons extraits des données collectées par les douanes, les échanges de La Réunion et de Mayotte sont essentiellement composés de produits agricoles ou issus de l'industrie agroalimentaire (près de deux tiers des exportations et plus de 20 % des importations). Les matériels de transport tiennent également une place importante dans les échanges de La Réunion et de Mayotte (la part importante des matériels de transport dans les exportations de Mayotte correspondant quasi exclusivement à des réexportations).

La base échangeable de La Réunion est relativement limitée et concerne essentiellement des produits issus de l'industrie agroalimentaire (sucre, produits de la pêche, rhum...) tandis que celle de Mayotte est quasiment nulle. Les faibles niveaux d'exportation s'expliquent par la faiblesse des investissements productifs et la limite des ressources naturelles de l'île. Cette forte concentration des exportations rend le commerce extérieur des deux DOM vulnérables aux chocs (de demande, d'offre, volatilité des prix mondiaux) pouvant intervenir sur ces secteurs spécifiques.

Ainsi, pour me focaliser sur les exportations, on constate dans ces graphiques que les principaux postes d'exportations de biens sont :

- pour La Réunion, les produits des industries alimentaires est majoritaire (40 %). À l'intérieur de ce bloc, on trouve notamment le sucre (70 %) et le rhum (20 %), mais aussi les animaux vivants et produits du règne animal : il s'agit en fait des exportations de poisson. Rappelons que le poisson, pêché dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), est très apprécié sur les marchés asiatiques pour sa chair (source Insee) ;

- pour Mayotte, le premier poste concerne les exportations de machines et appareils, principalement dans l'océan Indien (il s'agit de ré-exportations).

S'agissant de la ventilation géographique des exportations, on voit dans le graphique ci-après la part significative de l'Hexagone, mais aussi de l'Asie et du reste de l'UE pour La Réunion. Pour Mayotte, la part de l'Hexagone dans les exportations est d'environ 40 %.

Caractéristiques des exportations

Par types de produits

Par clients

Sources : Douanes, IEDOM

S'agissant des importations, le niveau de diversification par produits est bien plus élevé :

Caractéristiques des importations

Par types de produits

Part de l'Hexagone

Sources : Douanes, IEDOM

Taux d'importation (2015) des pays d'Afrique australe et dans les DOM de l'océan Indien

Sources : Douanes, IEDOM

3 e constat : la France reste le premier partenaire commercial des DFOI

Importations de La Réunion - ventilation par pays

Sources : Douanes, IEDOM

Importations de Mayotte - ventilation par pays

Sources : Douanes, IEDOM

Comme le montrent ces graphiques, la France est le premier partenaire commercial des DOM de l'océan Indien. La Réunion et Mayotte se fournissent en métropole à hauteurs respectives de 57 % et de 47 % de leurs importations sur la période. L'Asie est le second fournisseur des DOM de l'océan Indien avec 16 % du total des importations de Mayotte et 17% pour La Réunion. On observe d'ailleurs le retour de ce que d'aucuns appellent la prime « métropole » : la part de l'Asie dans les importations des DOM, notamment de La Réunion, est en baisse depuis 2011 alors que celle de la métropole regagne du terrain.

Mon deuxième point concerne le processus d'intégration régionale : il est moins avancé que dans la Caraïbe.

Un mot sur l'environnement régional : La Réunion et Mayotte se situent au sein d'une région hétérogène où l'intégration économique régionale est encore peu développée. Les deux départements français partagent la caractéristique de l'insularité avec Maurice, les Comores, les Seychelles et Madagascar. Les trois premiers ont des marchés étroits du fait de leur petite taille tandis que Madagascar et les Comores présentent, comme les pays voisins du continent africain, un faible niveau de PIB par habitant. L'accord commercial le plus avancé, dont sont exclus les deux départements français de par leur rattachement à une métropole, est formé autour de l'Afrique du Sud (SADC). Cette dernière fait d'ailleurs figure d'exception dans la zone puisque dotée d'une taille de marché plus importante et d'un niveau de développement supérieur à ses partenaires.

Bien que des organisations régionales existent et continuent de se développer, l'intégration économique régionale reste limitée dans l'océan Indien et l'Afrique australe. On distingue trois principaux accords régionaux impliquant des pays du pourtour de l'océan Indien. À l'exception de la participation de La Réunion à la Commission de l'océan Indien (COI), Mayotte et La Réunion, de par leur rattachement à la métropole, ne sont pas intégrées à ces accords régionaux.

Pour mémoire, ces accords régionaux s'incarnent par les trois organisations que sont :

- la Commission de l'océan Indien (COI), créée en 1984, qui regroupe les quatre États insulaires de l'océan Indien (Seychelles, Madagascar, Maurice et les Comores) ainsi que La Réunion au titre de la France. Son but est de favoriser les échanges intra-régionaux et de défendre les intérêts insulaires de ses membres qui ont en commun l'isolement, l'étroitesse de leur marché intérieur, la fragilité environnementale et l'exposition aux catastrophes naturelles. Cependant, les difficultés liées à l'insularité, aux différences de niveau de développement et aux crises politiques - notamment à Madagascar et aux Comores - compliquent le fonctionnement de cette organisation ;

- le marché commun d'Afrique orientale et australe (COMESA), créé en 1993, regroupe 20 États d'Afrique orientale et australe (dont les quatre états insulaires de l'océan Indien et hors Afrique du Sud). Établie en 2000, il s'agit à ce jour de la plus large zone de libre-échange sur le continent africain ;

- la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC), créée en 1979, regroupe 15 États (dont l'Afrique du Sud) et vise la constitution d'une zone économique intégrée. La SADC est devenue une zone de libre-échange depuis 2008. Parmi les organisations africaines, la SADC affiche le niveau le plus important de flux d'échanges intra-régionaux (20 % pour les exportations ; 33 % pour les importations), même si ces échanges sont essentiellement orientés vers l'Afrique du Sud.

Mon troisième point concerne les déterminants des échanges régionaux des DOM de l'océan Indien et des autres îles de la zone.

Les échanges des deux géographies avec la zone sont très limités, peu diversifiés et se concentrent sur les économies insulaires proches. Les Instituts ont, il y a quelques années, effectué une recherche sur le thème des échanges intra-zone en modélisant à l'aide d'un modèle dit de « gravité » les facteurs de soutien et de frein aux échanges régionaux dans l'océan Indien. Que constate-t-on ?

- il y a ce que l'on appelle un « paradoxe » de la distance : la distance impacte en effet doublement les échanges des DOM avec leurs voisins. Elle pèse sur les échanges de cette zone dans la mesure où tous les grands centres économiques mondiaux en sont éloignés, mais parallèlement, l'isolement qui découle de cet éloignement devrait être un facteur de soutien important aux échanges intra-régionaux ;

- le faible niveau de développement des pays voisins combiné à l'étroitesse de leur marché constituent un frein aux échanges intra-régionaux des DOM de l'océan Indien. Un potentiel d'échanges importants pourrait toutefois exister avec l'Afrique du Sud ;

- l'illustration d'une « prime métropole », qui traduit comme pour les autres DCOM la forte intégration de La Réunion et Mayotte à l'ensemble national. L'histoire explique aussi bien sûr par exemple l'existence d'un circuit privilégié d'échanges entre Maurice et les Seychelles avec l'ancienne métropole anglaise ;

- l'effet positif pour les pays concernés de la participation à des accords régionaux tels que le COMESA ou la SADC, voire l'Association des pays riverains de l'océan Indien pour la coopération régionale (ARC), a pu être mis en évidence. En revanche, la Commission de l'océan Indien (COI) regroupant les quatre pays insulaires de l'océan Indien (les Seychelles, Madagascar, Maurice et les Comores) ainsi que La Réunion au titre de la France n'apporterait pas à ses membres de bénéfices en matière d'échanges régionaux.

En conclusion, je me limiterai à trois brèves considérations :

- je rappellerai que, faute de statistiques, nous n'avons parlé que d'échanges commerciaux et pas de services ; or, s'agissant de ceux-ci, il n'est pas exclu que les potentiels à l'exportation puissent être significatifs. Et je ne parle pas seulement des services touristiques, mais aussi des services d'ingénierie, par exemple. Pour avoir une mesure de ces échanges de services, il faudrait mener des enquêtes lourdes, comme c'est le cas lorsqu'on établit une balance des paiements complète ;

- certaines filières comme la filière canne-sucre sont confrontées à une problématique particulière liée à l'échéance de la libéralisation du marché. L'IEDOM de La Réunion a ainsi publié en novembre 2016 une note intitulée La filière canne-sucre face à la libéralisation du marché européen du sucre en 2017 . Cette filière, qui se place au coeur du paysage agricole réunionnais et de son modèle économique, est le premier secteur exportateur de La Réunion, à travers le sucre et le rhum. Elle évolue dans un marché réglementé par l'Union européenne - l'OCM Sucre - qui prévoit sa libéralisation au 1 er octobre 2017, c'est-à-dire la fin des quotas et des prix de référence. L'adaptation de cette filière se heurte dans les DOM à des contraintes locales de productivité qui induisent un besoin de soutien additionnel. Nécessaires, ces soutiens accroissent la dépendance de la filière et ne lèvent pas toutes les incertitudes auxquelles elle fait face à moyen long terme.

- tout ce qui touche à l'innovation impactera aussi les échanges extérieurs.... Et le programme de cette journée montre l'étendue du potentiel en la matière.

Luc HALLADE, Ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien

Les ambassadeurs, fussent-ils thématiques, ont depuis plusieurs années le développement économique et le soutien à l'export parmi leurs priorités d'action. Aussi est-il naturel que la Délégation sénatoriale à l'outre-mer en ait trouvé et invité un pour participer à cette table ronde sur la confluence des continents... Je ne suis pas géographe, ni spécialiste de la tectonique des plaques. Néanmoins, parce que d'autres que moi sont ou seront plus à même de vous parler chiffres, de vous abreuver de statistiques ou de vous vanter les opportunités que représentent leurs produits ou leurs secteurs d'activité, je voudrais faire devant vous une intervention axée principalement sur la géographie et sur la stratégie, ou si vous préférez sur la géostratégie.

En effet, qu'il s'agisse de La Réunion ou de Mayotte, c'est avant tout la géographie - et aussi l'histoire - qui déterminent leurs stratégies de développement à l'export.

Vous l'aurez certainement remarqué, il s'agit de deux territoires insulaires qui subissent donc de fortes contraintes logistiques, mais aussi en termes de coûts et d'étroitesse de leur marché intérieur.

Aussi, nos DOM ne sont-ils guère armés pour être compétitifs sur des productions agricoles ou industrielles de masse, entourés qu'ils sont d'eau, mais aussi de pays à bas coûts de production.

Il leur faut donc se déployer, soit sur des marchés de niche comme l'ananas Victoria ou le café Bourbon pointu, voire la légine à La Réunion, soit sur des produits à haute valeur ajoutée, notamment technologiques, soit sur des services.

Et ils sont à l'inverse, avec les spécificités propres à chaque territoire déjà évoquées (et il faudrait aussi parler des TAAF), bien armés pour se positionner à l'export sur de tels créneaux. D'autres que moi vous en parleront plus en détail.

En ce qui concerne les marchés potentiels, il me semble qu'on peut raisonner en trois cercles, partant du plus proche au plus lointain.

Le cercle rapproché est représenté par les États membres de la Commission de l'océan Indien (COI).

La France est membre de la COI depuis 1986, 30 ans donc, au titre de son département de La Réunion.

Même si Mayotte est jusqu'à présent « en marge » de la COI d'un point de vue institutionnel, elle n'en reste pas moins géographiquement incluse dans ce premier cercle.

Les autres États-membres en sont Maurice, les Seychelles, les Comores et Madagascar, deux pays à revenu intermédiaire (PRI) et deux pays les moins avancés (PMA), donc aux économies et aux marchés fort différents.

Depuis sa création, la COI s'est fixée comme objectif de promouvoir les échanges inter-îles, de tous ordres - y compris économiques et commerciaux, avec cependant un succès tout relatif car, encore aujourd'hui, les échanges inter-régionaux ne représentent, selon les pays, que 2 à 5 % maximum du commerce extérieur.

Il y a de nombreuses raisons à cela : historiques, institutionnelles, économiques, logistiques...

Pour autant, la connectivité inter-îles s'améliore petit à petit et leur relative proximité, les multiples liens, politiques, historiques et culturels entre elles font que ces échanges devraient croître à l'avenir. La Réunion et Mayotte doivent saisir les opportunités qui se présenteront dans ce cadre, en cherchant, pour chaque marché concerné les créneaux, produits ou services sur lesquels elles peuvent bâtir une stratégie à l'export. L'État, les pouvoirs publics sont prêts à les accompagner dans la recherche de débouchés.

Le deuxième cercle, ce sont les pays d'Afrique orientale et australe, du Kenya à la République d'Afrique du Sud en passant par le Mozambique.

On parle là de marchés beaucoup plus vastes, certes plus éloignés aussi, et n'ayant pas le français mais plutôt l'anglais ou le portugais comme langue de travail ou d'échange, comme langue commerciale.

Néanmoins, une prospection commerciale intelligente et ciblée devrait permettre d'y trouver des opportunités d'affaires.

Le troisième cercle me paraît concerner prioritairement La Réunion, compte tenu de son développement économique plus avancé, mais aussi de l'histoire de son peuplement.

Ce troisième cercle s'étend beaucoup plus loin, vers l'Inde et la Chine, deux puissances émergentes majeures du XXI e siècle.

Qu'il s'agisse d'échanges commerciaux, mais aussi et surtout de services - je pense notamment au tourisme, avec son corollaire les liaisons aériennes -, ces deux sous-continents asiatiques me paraissent représenter des cibles et des gisements potentiels importants à l'export ou en apport de devises pour l'île Bourbon. Ils justifient un effort particulier de prospection. Là encore, l'État est prêt à accompagner les opérateurs économiques et les organisations professionnelles pour les aider à entrer sur ces marchés, certes complexes, mais appelés à un grand développement.

Un exemple parmi d'autres : La France et l'Inde ont été, à l'occasion de la COP21, à l'origine de la création de l'Alliance solaire internationale. Il me semble que plusieurs entreprises implantées à La Réunion ont, dans ce cadre et sur ce créneau, une belle carte à jouer.

Nos deux, voire trois, territoires de l'océan Indien, malgré leurs handicaps structurels, ont des cartes intéressantes à jouer à l'export, notamment dans le secteur des services.

Les structures d'appui pour cela existent - il faut les mobiliser - mais il faut surtout :

- définir une stratégie collective qui mobilise tous les acteurs concernés ;

- chasser en meute, car l'union fait la force et la taille de nos économies insulaires et de nos opérateurs rend indispensable de regrouper les efforts et les forces et de mutualiser les risques ;

- faire confiance et appuyer les opérateurs économiques qui sont les mieux placés pour définir leurs forces et leurs faiblesses, leurs cibles et leurs besoins en termes d'accompagnement.

Une chose est sûre : le cordon ombilical, pour ne pas dire le lien colonial qui unissait la métropole et nos DOM, voire l'Europe et les RUP, n'est plus suffisant pour assurer leur développement économique.

Il leur faut donc, dans leurs géographies et en fonction de leurs caractéristiques propres, s'ouvrir davantage sur leur environnement régional.

Jean-Fabrice VANDOMEL, Président de Be Green Group

Le débat sur l'avenir de La Réunion et sur son développement « géoéconomique » intervient à un moment important du fait de la gravité de notre situation économique. Les caractéristiques spécifiques de cette crise semblent minorées, voire méconnues. Il m'importe d'attirer votre attention sur les redoutables défis auxquels nous sommes confrontés, alors que des interrogations surgissent sur l'avenir de la France et sur sa place dans le monde.

Il est important de souligner que les conséquences de la crise mondiale actuelle, et toutes les mutations, viennent aggraver notre crise structurelle.

Je citerai 2 chiffres : 40 % de la population réunionnaise vit au-dessous du seuil national de pauvreté et 30 % de la population active est au chômage.

L'économie mondiale connaît des changements profonds. L'Europe, qui a contribué à la civilisation dans de multiples domaines, est confrontée à un monde en pleine mutation, marqué par le développement de l'Asie. Le continent africain exprime également sa volonté de participer activement à ce renouveau et à la mondialisation. Entre ces deux blocs économiques, La Réunion et Mayotte ont du mal à trouver leur place et ne parviennent pas à s'intégrer dans cette dynamique alors que les défis auxquels nous sommes confrontés sont énormes.

Le bouleversement de l'ordre mondial offre à La Réunion et à Mayotte l'opportunité de développer des relations économiques, culturelles, scientifiques et diplomatiques avec la Chine et avec l'Inde, mais également avec l'Afrique et avec les îles du premier cercle de collaboration : Maurice, Madagascar, Mayotte, les Seychelles, les Comores. Face à cette situation, je formule trois constats :

- historiquement, La Réunion est principalement tournée vers son ancienne métropole coloniale, qui s'est ensuite intégrée à l'Union européenne. Cette intégration normative, à 10 000 kilomètres, participe à l'isolement de notre territoire sur la scène économique mondiale ;

- en comparaison des pays de la zone, notamment Maurice et Madagascar, le développement de la Chine, de l'Inde et de l'Afrique n'a pas bénéficié à l'économie réunionnaise ;

- nous souffrons d'un déficit d'image à combler ;

- nous devons aujourd'hui construire notre propre stratégie et notre propre identité à l'export. Nous devons convenir des règles nous permettant d'assurer une politique économique et diplomatique régionale.

La Réunion et Mayotte sont emprisonnées dans des logiques de court terme, alimentaires et individuelles, sans représentation forte à l'échelle régionale.

Au terme des cinquante dernières années, La Réunion reste confrontée à une dépendance de son ancienne métropole mais également des fonds européens, à la fois un vrai levier et un soutien au développement, mais qui génèrent une forme d'assistanat.

Ce type de relation a entraîné l'aliénation de tout modèle de développement propre à La Réunion et à sa culture, qui devrait pouvoir intégrer modernité et tradition. L'avenir passe par la prise de conscience et l'implication des acteurs politiques et économiques, dans le développement et le positionnement régional : la question est donc politique et la réponse réunionnaise. La culture n'est ni un frein, ni une composante secondaire du développement ; elle est son essence même. Le développement n'est pas seulement la croissance, mais également l'accès à une existence intellectuelle et spirituelle satisfaisante ; ce n'est pas seulement avoir plus mais aussi être mieux.

Il faut une vraie dynamique économique. Les programmes de développement économique doivent être confiés par l'État aux compétences locales ; l'État doit accompagner ce processus mais il revient aux acteurs du territoire de définir la stratégie, les moyens, et de définir les accords avec les pays tiers.

Pour cela, il faut que les projets, dès leur conception, intègrent la gouvernance et la réforme de l'État afin d'accompagner l'émancipation et le développement du territoire.

Il faut construire sur du long terme un partenariat multiple entre l'État, la société civile et les instances locales, en se concentrant sur les administrations décentralisées et en prenant en compte prioritairement les besoins de base des populations : soins, emploi, éducation, autonomie énergétique, autonomie alimentaire, stratégie de développement à l'international, développement économique et la formation.

L'Inde et la Chine ont su allier la tradition à la modernité, développer l'école et l'enseignement en s'appuyant sur leur propre langue, créer des États-nations et ils se sont appropriés la science et la technologie.

Il est temps de poser les fondements de la construction de notre territoire avec davantage de lucidité, de courage et d'ambition, ainsi qu'une implication de l'État visant à étayer le développement et le rayonnement régional, notamment par une meilleure représentation de La Réunion et la mise en place d'une vraie diplomatie économique.

L'ouverture sur notre environnement ne doit pas renier notre attachement à la France et à l'Europe. Les sociétés réunionnaise et mahoraise vont devoir faire face à de nombreux défis, écologique, de changement climatique, d'évolution démographique et de la mondialisation. Il faut bâtir ensemble un nouveau modèle de développement.

Pour La Réunion, l'enjeu consiste à passer d'un modèle basé sur une économie de transfert passif à une dynamique économique s'appuyant notamment sur le secteur privé, dont les compétences sont nécessaires aux besoins de développement d'un marché francophone qui approchera les 700 millions de personnes en 2050. 85 % de ces francophones résideront en Afrique en 2050.

Quelles stratégies pour La Réunion et Mayotte ?

Il faut la mise en place d'une diplomatie économique, investir dans le domaine de l'environnement, de l'écologie et de la valorisation des ressources humaines. Les projets dans le domaine économique visent à construire un espace commercial sécurisé et compétitif. Il est nécessaire d'intégrer rapidement les blocs régionaux tels le Marché commun de l'Afrique orientale et australe (COMESA), la Communauté de l'Afrique de l'Est (EAC) et la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC).

L'autre pilier de l'axe économique est le développement de la pêche, de l'aquaculture et de l'agriculture dans le but d'assurer la sécurité alimentaire.

Nous sommes une région isolée, éloignée des grands centres, avec des marchés locaux restreints. L'éloignement et l'étroitesse des marchés ne sont pas les seules difficultés auxquelles sont confrontés nos départements car la région souffre également de l'insuffisance de la communication entre les pays qui la constituent et du défaut d'une réelle volonté de construire ensemble.

La connectivité, qu'elle soit maritime, aérienne ou numérique, n'est pas à la hauteur des enjeux.

Agir rapidement et aller au-delà des intentions

« Malgré les volontés exprimées de collaboration et de développement économique, moins de 5 % des échanges globaux de La Réunion sont réalisés avec les pays voisins, contre 70 % avec la France et l'Europe. »

Trois décennies après sa création, la Commission de l'océan Indien (COI) qui regroupe cinq États membres - Comores, France, Madagascar, Maurice, Seychelles - demeure encore pour le grand public un concept flou. Comme beaucoup d'organisations internationales à vocation régionale, elle engendre l'indifférence, quand ce n'est pas le scepticisme.

Cette institution du bassin sud-ouest de l'océan Indien - l'Indianocéanie - est loin d'avoir comblé tous les espoirs que ses créateurs avaient placés en elle en signant à Victoria, le 10 janvier 1984, l'Accord général de coopération.

Créée pour contribuer à la prospérité des États membres, la COI reste empêtrée dans des difficultés qui sont davantage d'ordre politique, diplomatique et juridique qu'économique, technique et culturel. Elle manque souvent de visibilité au niveau de ses programmes qui sont trop dispersés et, pour la plupart, éphémères.

Ses résultats sont encore rares et modestes. Les échanges commerciaux intra COI restent faibles. Faut-il alors douter de l'avenir de la solidarité régionale dans l'Indianocéanie ? Existe-t-il une réelle volonté d'agir en commun chez les dirigeants des États membres ? La COI est-elle, par ailleurs, un cadre de référence approprié ? Mais sur un autre versant, peut-on vraiment faire le bilan de la COI alors même que d'importants travaux de soubassement sont en cours depuis 2012 ? Une réponse négative est donnée par la plupart des experts qui insistent sur la nécessité d'un développement de la coopération régionale dans la zone sud-ouest de l'océan Indien.

Les responsables des pays de cette région sont condamnés à poursuivre leur coopération au service d'une Indianocéanie toujours plus intégrée, solidaire et prospère.

Dès lors, ne serait-il pas judicieux d'envisager, avec Reynolds Michel, « la création d'une citoyenneté indianocéanique, une citoyenneté commune aux ressortissants de nos États insulaires, comme premier pas dans ce processus d'intégration communautaire ? ».

Faut-il enfin souligner que la disparition de la COI irait à contre-courant d'un phénomène caractérisé par l'ouverture des frontières et la mondialisation des échanges ? Cette disparition serait préjudiciable à l'ensemble des pays membres de l'institution régionale et d'abord à La Réunion, région monodépartementale française des Mascareignes et région ultrapériphérique de l'Union européenne.

Source : André Oraison, Radioscopie critique de la Commission de l'océan Indien. La spécificité de la France au sein d'une organisation régionale de proximité , RJOI, n° 22, 2016, p. 95-145.

Les freins à l'intégration régionale

Ces freins sont multiples :

- le coût du travail et l'alignement normatif européen ;

- les disparités fiscales et douanières avec le voisinage ;

- des TPE et PME accablées de charges ;

- l'absence de fonds propres des PME ;

- un marché étroit et concurrentiel déjà absorbé par les grands groupes métropolitains ;

- un déficit d'image sur le plan international ;

- l'instabilité politique et l'insécurité juridique de certains pays voisins ;

- les accords de libre-échange établis entre l'Union européenne et les pays de la zone ;

- l'absence de La Réunion des organisations régionales à vocation économique.

Malgré ces difficultés, nombreux sont les entrepreneurs réunionnais à vouloir tracer des perspectives d'intégration régionale.

Or, cette ouverture ne sera possible qu'à condition de déployer une stratégie de développement spécifique avec les pays du premier cercle. Elle suppose la mise en place d'une stratégie de co-développement et de complémentarité avec les pays du premier cercle, pour valoriser nos atouts et nos compétences.

Il existe un maillage géographique francophone à exploiter avec Maurice, Madagascar, les Seychelles et les Comores

Dans le deuxième cercle, nous devrons adopter une position stratégique différente sur le continent africain. La Réunion doit se positionner en tant que pôle d'excellence régional.

À titre d'exemple, le groupe Be Green que je représente, fondé il y a six ans, réalise 20 % de son chiffre d'affaires à l'export. Nous opérons sur l'ensemble de l'océan Indien, en Chine et en Afrique du Sud.

Nous avons gagné des marchés avec les pays de l'Union africaine (UA) alors que nous ne faisons partie ni du marché commun de l'Afrique orientale et australe (COMESA) ni de la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC). Néanmoins, les accords passés avec d'autres acteurs économiques régionaux nous ont permis d'accéder à ces marchés.

Cela constitue la preuve que l'expertise réunionnaise et son savoir-faire est exportable.

Cela nous renforce également dans la stratégie commune de développement puisque ces marchés ont été obtenus avec des partenaires régionaux intégrés aux marchés régionaux et internationaux.

Les expertises réunionnaises sont nombreuses et diverses et sont autant d'atouts du territoire que nous pouvons faire valoir.

Les domaines dans lesquels La Réunion a toutes chances de remporter des succès sont nombreux :

- l'adaptation au changement climatique ;

- la construction en milieu tropical ;

- la santé ;

- l'aménagement et la préservation de l'environnement ;

- la production d'énergie, la gestion de l'eau et des ressources naturelles ;

- la formation ;

- les filières du numérique ;

- l'industrie ;

- le traitement des déchets ;

- l'agriculture.

En vue de la prochaine Conférence internationale sur le climat, nous venons de remettre au Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD) une étude consacrée à l'impact du changement climatique pour sept pays côtiers d'Afrique de l'Ouest.

Ce travail prouve que La Réunion dispose de fortes capacités d'expertise et quelle peut jouer un rôle important dans le développement de la région.

Nous avons bénéficié du soutien de Bpifrance, de la région, du fonds d'investissement régional ACG Management et du FEDER. L'accompagnement de la BFCOI (société générale) est la preuve de la volonté du secteur bancaire d'accompagner les entreprises innovantes dans leur développement à l'international. Ces initiatives sont importantes et méritent d'être ici soulignées, tout comme l'accompagnement de Business France à l'international.

Des efforts sont encore souhaitables afin de relever les nombreux défis auxquels nous sommes confrontés. Notre expertise à l'export nous permet aujourd'hui d'identifier les réformes nécessaires pour offrir à La Réunion toutes les chances de réussir.

Mes propositions et réflexions

Ces préconisations sont les suivantes :

- conclure des accords de partenariat économique entre La Réunion et les pays voisins et permettre aux deux assemblées du département et de la région de pouvoir engager des accords en concertation avec l'État ;

- adopter une stratégie et un programme de co-développement régional et affirmer la volonté d'échanges entre La Réunion et les pays qui composent le COMESA et la SADC ;

- renforcer la présence et la position de La Réunion au sein de la COI ;

- développer des collaborations techniques dans le domaine environnemental ;

- restructurer les dispositifs de soutien à l'innovation et à l'export ;

- développer des outils d'ingénierie financière et juridique ;

- renforcer l'accompagnement financier des entreprises ;

- créer une zone d'activités d'intérêt régional (ZIR) ;

- améliorer le trafic aérien et maritime ;

- faciliter l'accueil des partenaires commerciaux ;

- valoriser les pôles d'excellence ;

- créer une université de l'océan Indien ;

- créer un ministère de l'océan Indien

Il est temps que la France et l'Europe reconsidèrent la présence et le rôle de La Réunion et de Mayotte, territoires situés aux portes de marchés émergents. Il faut permettre à nos territoires de s'émanciper, de construire et de conduire une stratégie de développement économique local, tout en conciliant notre appartenance à la France et à l'Europe.

Sources : Parc national de La Réunion ; Schéma d'aménagement régional (Conseil régional) ; Comité de bassin de La Réunion ; Office de l'eau de la Réunion ; Insee ; Comité de pilotage de la canne ; Ile de la Réunion tourisme (IRT) ; organisations régionales ; Unosat ; Le Monde diplomatique - Mars 2010

Nassir GOULAMALY, Directeur général du groupe Océinde

Je partage assez l'opinion de Jean-Fabrice Vandomel. Il n'existe pas d'export sans bases solides. La Réunion est riche de sa nature, de son dynamisme et de sa place dans l'océan Indien. Elle permet à la France de rayonner de l'Afrique australe à l'Asie. Notre île est marquée par une forte vitalité économique. Nous possédons le quatorzième PIB des départements français. La Réunion regorge de compétences et d'ambitions.

Lors d'une conférence devant l'Agence française de développement (AFD), je rappelais qu'elle a bénéficié d'un soutien indéfectible de l'État depuis plus de soixante-dix ans. Il a permis des investissements structurants, créateurs de richesse et d'emplois. Elle possède une jeunesse formée, dynamique et ambitieuse. Dans la zone, elle dispose d'une stabilité économique et politique unique, en comparaison de Madagascar, par exemple.

Nous devons cependant continuer de nous mobiliser en faveur du désenclavement aérien, maritime et numérique de l'île ; de la lutte contre la vie chère et du renforcement de l'attractivité du territoire. Concernant le numérique, le groupe Océinde - un groupe familial réunionnais créé il y a plus de 40 ans, présent dans les nouvelles technologies et les médias, la chimie du bâtiment et l'agroalimentaire - a investi un peu plus de 120 millions d'euros sur fonds propres pour déployer la fibre optique. En 2011, personne ne croyait à ce déploiement, même à Paris.

Cet investissement a transformé La Réunion. Aujourd'hui, 50 % de l'île est couverte. Dans peu de temps, elle sera connectée en totalité, avant Paris. Ceci est historique ! La fibre optique permet ainsi à ce petit département perdu au milieu de l'océan Indien de se raccorder au monde. Et c'est un groupe privé qui a mené ces investissements et s'est battu pour les réaliser. Il ne faut pas simplement compter sur l'État.

L'aérien est structurant mais je laisse la parole à Air Austral et Corsair ici présents. Il est également nécessaire de développer le maritime afin de favoriser les échanges commerciaux entrants et sortants, de renforcer notre compétitivité économique, notamment dans le secteur de la pêche dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). La France possède le deuxième espace maritime mondial. Elle doit s'appuyer sur cette richesse d'avenir. Elle doit considérer les départements et régions d'outre-mer (DROM) comme des atouts et non comme des surcoûts.

Autrefois, la France investissait dans les DOM et les grands groupes français tiraient bénéfice de ces investissements. Désormais, ce sont les grands groupes étrangers qui investissent dans les DOM en employant une main d'oeuvre extérieure bon marché, présentant un manque à gagner pour la France et limitant la création d'emplois localement.

Par exemple, je me suis ainsi mobilisé contre la vente de la Société industrielle de Bourbon (SIB), délocalisée à Maurice par Colgate-Palmolive. Dans le secteur des télécoms, le jour où un opérateur mobile a été vendu à un groupe malgache, 300 emplois qualifiés ont quitté La Réunion pour s'établir à Madagascar. Pour exporter, nous devons disposer d'entreprises industrielles solides, être accompagnés par une économie forte et protégée par le Gouvernement.

Depuis plus de 45 ans, Océinde investit à La Réunion. Dans toutes les activités du groupe, nous avons fait le choix de nous concentrer sur la performance. Au sein de nos équipes, nous avons développé une stratégie dénommée « axe 3I » :

- l'innovation : nous sommes engagés dans le domaine de la recherche. Sur ses 2 800 kilomètres carrés, La Réunion rassemble douze microclimats. Cette réalité a conduit au développement d'une chimie du bâtiment performante et plus respectueuse de l'environnement ;

- l'industrialisation : nous investissons dans les projets industriels et surtout nos usines ;

- l'internationalisation : le premier marché d'exportation de La Réunion reste la France métropolitaine. Nous avons lancé un opérateur de fibre optique dans l'Hexagone en décembre 2016. Nos équipes ont conçu l'ingénierie SI. Notre centre d'appels est également situé à La Réunion.

Cette valeur ajoutée et cette performance sont bien présentes dans les entreprises réunionnaises. La Réunion monte en gamme. Elle doit maintenant accompagner les pays qui l'entourent, pour ne pas être concurrencée par ces mêmes pays. À cette fin, elle a besoin d'une politique de protection pour créer des groupes locaux puissants. Et je conclurai par ces mots de Maurice Cérisola : « Nou lé capable ! »

Philippe JOUANEN, Membre du Forum francophone des affaires (FFA)

Pour reprendre une formule employée précédemment par Marc Schweitzer, je dirai que le Forum francophone des affaires (FFA) constitue un moyen supplémentaire de la « diplomatie économique », une occasion de « chasser en meute » avec une plus grande meute. Créé en 1987, lors du second sommet de la francophonie, le FFA a pour objectifs :

- de mobiliser les entreprises dans l'espace francophone ;

- d'encourager la coopération entre acteurs économiques ;

- de développer les échanges en renforçant les synergies et en servant les valeurs de la francophonie.

Entre Mayotte, les Seychelles, Maurice et Madagascar, La Réunion est évidemment située dans un espace fortement francophone.

Le FFA regroupe des entreprises et des réseaux d'entreprises : groupements patronaux, organisations professionnelles, professions libérales, professionnels de tous secteurs. Il est structuré verticalement, depuis les organisations professionnelles jusqu'aux entreprises de terrain, et horizontalement, en intégrant les secteurs d'activité suscitant des transactions économiques. Il facilite les échanges entre professionnels, quel que soit le niveau de développement de leur pays. Il couvre les cinq continents et 114 pays.

Le FFA accomplit son action au travers de structures spécialisées : la Fondation internationale francophone finance, assurance, banque (FIFFAB), la Fédération des chambres de commerce francophones, le Groupement du patronat francophone, l'Observatoire de l'économie francophone, l'Institut de formation francophone, ainsi que différents accords de coopération et partenariats.

Le FFA est présent à l'occasion des sommets de la francophonie dont il assure la partie économique. Il réalise le volet économique des Jeux de la francophonie. En 2016, lors du sommet de Madagascar, il a créé, en partenariat avec le gouvernement malgache, l'Agence malagasy de développement économique et de promotion des entreprises (AMDP). De sa propre initiative, il organise les Assises annuelles de la francophonie économique, le prix de la francophonie économique et le prix du livre économique francophone.

L'AMDP est un outil de mobilisation de l'espace économique francophone au service du développement de Madagascar. Elle fait appel aux mécanismes d'appui et aux facilités de financement des bailleurs privés ou des agences de développement en priorisant l'espace économique francophone. Elle permet à des entreprises francophones de s'approvisionner à Madagascar.

Elle accompagne les entreprises malgaches dans leurs partenariats commerciaux avec des entreprises francophones. Elle favorise les partenariats stratégiques et les rapprochements capitalistiques entre entreprises malgaches et francophones.

Le FFA intervient également dans les sous-continents indiens et asiatiques. Il ne faut pas hésiter à solliciter ces possibilités supplémentaires d'appui à l'export.

Ayub INGAR, Directeur général délégué d'EWA Air

On ne peut pas parler de EWA Air sans rappeler ce qu'est Mayotte et ses enjeux de développement.

Mayotte est le plus jeune des départements d'outre-mer français. L'île est située dans l'océan Indien, entre l'Équateur et le tropique du Capricorne, à l'entrée Nord du canal du Mozambique, à mi-chemin entre Madagascar et l'Afrique.

Le 101 e département français est constitué de deux îles principales (Grande-Terre et Petite-Terre) et d'une trentaine de petits îlots parsemés dans un lagon de plus de 1 100 km². Mayotte est distante d'environ 70 km de l'île d'Anjouan.

D'une superficie totale de 375 km², c'est l'un des plus petits départements français avec Paris (105 km 2 ), loin derrière l'île de La Réunion (2 512 km 2 ), dont elle est distante de 1 400 km. Elle représente 0,4 % de la Guyane. 8 000 km la séparent de la métropole.

Son PIB par habitant (moins de 8 000 euros en 2015) n'atteint pas le quart de celui de la métropole. Pour autant, il est dix fois plus élevé que celui des pays qui l'environnent et il a été multiplié par deux en moins de 15 ans.

Son taux de croissance annuel dépasse les 6 %, pour une population qui augmente de près de 3 % chaque année depuis presqu'une décennie.

Les efforts conjugués des collectivités locales, de l'État et de l'Union européenne en faveur du rattrapage de son retard de développement ouvrent de réelles perspectives de consolidation économique.

En corollaire de ces perspectives de développement, se trouve une obligation collective d'améliorer les liaisons maritimes, mais surtout aériennes entre Mayotte, l'Europe et son environnement géographique direct.

EWA Air répond à cette attente.

EWA Air est née le 31 octobre 2013 de la volonté conjointe d'acteurs économiques mahorais (Ylang Invest et la Chambre de commerce et d'industrie de Mayotte) et de la compagnie Air Austral d'offrir au 101 e département d'outre-mer sa compagnie aérienne et des perspectives durables de désenclavement de ce territoire stratégiquement placé au coeur du canal de Mozambique.

Le désenclavement de Mayotte est en effet une des priorités des autorités et collectivités locales, car un moteur du développement économique du territoire et des échanges. Compte tenu du positionnement particulier du département, dans le canal du Mozambique et des ambitions de l'île, région ultrapériphérique européenne, dans la zone, la création de structures de transport aérien adaptées, basées sur le sol mahorais et aux standards les plus aboutis sur le plan de la sécurité et de la qualité de service est une évidence.

C'est dans ce cadre que s'inscrit la philosophie de développement d'EWA Air :

- elle favorise les relations entre habitants de 5 pays dans cette sous-région de l'Afrique australe ;

- elle contribue au développement des relations économiques entre la France d'outre-mer et ses partenaires du canal du Mozambique ;

- elle permet la création d'emplois qualifiés à haute valeur ajoutée locale et participe du développement économique de Mayotte (31 emplois directs créés en 3 ans, dont 75 % de natifs de l'île).

Ewa signifie « oui » en shimaoré. Oui pour exprimer que les plus grandes ambitions sont accessibles à ce petit territoire de 212 000 habitants, et ce en dépit des handicaps stratégiques qui pénalisent structurellement - aujourd'hui tout au moins - son développement endogène.

La compagnie mahoraise est basée à Dzaoudzi. Elle opère sous un certificat de transport aérien (CTA) commun avec Air Austral, ce qui lui a permis de démarrer son activité rapidement et de bénéficier des référentiels de formation, de qualité et d'exploitation de la compagnie réunionnaise. À terme, elle a naturellement vocation à disposer de son propre CTA.

En 3 ans d'existence, notre compagnie mahoraise s'est imposée comme l'acteur de référence du développement du hub de Pamandzi et de la desserte du canal de Mozambique, en couvrant pas moins de 8 destinations au départ de et vers Mayotte.

Elle couvre aujourd'hui 4 points de desserte : Madagascar, les Comores, l'Afrique de l'Est au Mozambique et la Tanzanie. Son réseau est dense et élargi : Tananarive, Nosy Be, Majunga, Diégo Suarez, Moroni, Anjouan, Pemba, Dar Es Salaam.

Elle transporte plus de 72 000 personnes chaque année vers ces pays riverains du canal du Mozambique, grâce à une flotte de deux ATR 72-500 de 64 places.

Avec la mise en ligne d'un vol direct entre Dzaoudzi et Paris-Charles de Gaulle, deux fois par semaine - bientôt trois - par Air Austral, EWA Air s'ouvre à des opportunités de partenariat qui lui permettent d'offrir à sa clientèle les meilleures liaisons avec correspondance entre l'Europe et le canal de Mozambique, en renforçant par la même occasion la connectivité de la plateforme aéroportuaire de Mayotte.

Il est aujourd'hui plus facile de relier Moroni, Anjouan, Majunga ou Nosy Be depuis Paris, avec une seule escale, pour des temps de vol réduits de plus d'un tiers, en voyageant dans des conditions de confort et de sécurité sans égal. À l'avenir, EWA Air devra consolider son implantation dans le paysage aérien de la zone. Elle devra également développer la formation aux métiers de l'aéronautique, en partenariat avec les organismes agréés.

Antoine HUET, Directeur général adjoint Affaires commerciales de Corsair International

Comme vous le savez Corsair appartient au groupe TUI, leader mondial du tourisme qui réalise un chiffre d'affaires de 21 milliards par an. Sur l'exercice écoulé, les résultats de Corsair ont été significativement positifs. Corsair est dans une dynamique très favorable et continue de se développer au travers d'un réseau diversifié à l'international.

Nous sommes présents depuis près de 30 ans sur l'axe Caraïbes, nous développons un pilier africain, avec Dakar et Abidjan. Nous desservons le Canada en vols saisonniers durant la période estivale.

Nous bénéficions d'un fort ancrage historique dans l'océan Indien qui représente 40 % de notre activité. Nous y opérons des vols depuis plus de 25 ans. Nous desservons l'île Maurice depuis 10 ans, Madagascar depuis 20 ans, l'île de La Réunion depuis plus 25 ans et enfin, Mayotte, depuis 10 ans.

Le transport aérien est un vecteur de développement économique et touristique que nous soutenons au quotidien en facilitant les échanges de personnes et de fret.

Pour développer le trafic touristique et affaires sur les quatre îles que nous desservons dans l'océan Indien, il est indispensable d'offrir une alternative aérienne régionale.

En effet, autant l'offre de sièges s'est développée de manière forte ces dernières années entre la métropole et les îles de l'océan Indien, autant l'offre sur le réseau régional a peu progressé, voire stagné ! De plus, le prix moyen des billets d'avion sur les dessertes régionales est resté élevé alors que le prix sur l'axe Nord-Sud a fortement baissé en valeur réelle !

Nous sommes convaincus qu'il existe un potentiel important qui n'est pas encore suffisamment exploité et que cette situation est un frein au développement économique de La Réunion. C'est le cas notamment de la desserte aérienne entre Mayotte et La Réunion mais également entre La Réunion et l'île Maurice et entre La Réunion et Madagascar.

Le potentiel de développement est multiple :

- économique : pour les entreprises de la région pour explorer les marchés des îles avoisinantes. Un prix de billet d'avion trop élevé est un frein évident ;

- touristique : les touristes de métropole et d'Europe veulent désormais optimiser leurs séjours dans l'océan Indien en visitant plusieurs îles durant le même séjour. Le prix des vols inter-îles peut être dissuasif et les détourner de ces destinations. En effet, la concurrence dans le domaine touristique est désormais mondiale et les personnes arbitrent en fonction du prix final du package ;

- affinitaire : les familles dispersées entre les différentes îles souffrent du prix trop élevé des billets d'avion inter-îles.

C'est pourquoi Corsair a décidé de se positionner sur ces axes.

Afin de répondre à la volonté de développer les connexions, nous contribuons ainsi à renforcer les échanges inter-îles et avons signé en septembre 2016 une convention de partenariat avec les îles Vanille. Ce concept des îles Vanille est très intéressant pour développer ces échanges inter-îles mais il reste encore trop virtuel. C'est pourquoi nous avons demandé les droits de trafic entre les différentes îles que nous desservons dans l'océan Indien.

Nous avons obtenu l'autorisation de desservir Mayotte au départ de l'île de La Réunion. J'ai d'ailleurs inauguré personnellement le premier vol le 24 janvier dernier avec une importante délégation de journalistes conviés pour l'occasion, ainsi que des chefs d'entreprise réunionnais qui nous ont fait part de leur grande satisfaction de voir ainsi tomber un monopole.

Au travers de son offre, Corsair apporte ainsi plus de vols, plus de flexibilité, des tarifs attractifs et un produit de qualité plébiscité par nos clients. Notre arrivée se traduit par une forte réduction des prix, qui va nécessairement générer une progression du trafic sur l'ensemble des segments - tourisme, affaires et affinitaire.

De même, avec nos partenaires tour-opérateurs, nous allons pouvoir proposer des combinés entre l'île de La Réunion, Mayotte et Madagascar. Et nous espérons pouvoir très vite offrir le même type d'offre à destination de l'île Maurice.

Nous sommes convaincus du bien-fondé de la libéralisation du transport aérien sur le réseau inter-régional et soutenons l'idée d'un « Open Sky » pour ces routes. L'effet économique sera très fort et permettra à cette région d'être un exemple pour d'autres (je pense par exemple à la zone Caraïbes).

Le déploiement de notre réseau sur le trafic régional va favoriser l'essor des échanges de personnes et de fret, qui auront un impact direct et concret sur le développement de l'économie sur l'axe océan Indien.

Nous avons la ferme intention de développer notre présence dans l'océan Indien et de participer ainsi à offrir le meilleur rapport qualité-prix du marché pour accompagner le développement de la région.

Troisième table ronde - L'Europe : quel bilan pour les régions ultrapériphériques de l'océan Indien ?

Animateur de la table ronde

Luc HALLADE,

Ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien

Propos introductif

Jean BIZET, Président de la Commission des affaires européennes, Sénateur de la Manche

Monsieur l'Ambassadeur,

Monsieur le Président de la Délégation,

Mesdames, messieurs,

Chers amis,

Permettez-moi, venant de Normandie, de me pencher sur l'outre-mer. Cet intérêt ne date pas d'aujourd'hui. Avec Michel Magras, nous examinons quotidiennement ces problématiques. Les difficultés auxquelles l'Union européenne est actuellement confrontée, qu'il s'agisse du Brexit, des migrations ou de la sécurité et de la défense, occultent les acquis majeurs de la construction européenne.

Les atouts et les défis des régions ultrapériphériques (RUP) pour l'Union européenne en font partie. Les efforts que consent l'Europe pour réduire les différences entre nos territoires ultramarins et l'Europe continentale doivent être encouragés et poursuivis. Soyons sans cesse attentifs à la prise en compte de cette spécificité. Tel est le rôle du Sénat qui représente l'ensemble des collectivités territoriales.

Le débat d'aujourd'hui permettra d'établir le juste bilan des actions de l'Union européenne en faveur de Mayotte et de La Réunion. L'osmose qui doit unir le continent européen aux territoires ultramarins ne possède pas seulement une légitimité politique incontestable. Elle répond aussi à une obligation juridique. L'article 349 du traité de Lisbonne fonde la possibilité d'adapter le droit européen aux RUP.

La politique de cohésion territoriale représente le premier poste d'investissement dans le budget de l'Union européenne. Elle constitue un instrument essentiel. Il lui revient l'ambition d'ouvrir des opportunités économiques et sociales équitables à tous nos territoires.

Les différents fonds structurels européens incarnent cette solidarité territoriale dans chacun de leurs secteurs respectifs : le Fonds européen de développement régional (FEDER), le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) et le Fonds social européen (FSE). Nous examinerons si la mise en oeuvre de la programmation 2016-2020, qui accuse un certain retard en métropole, s'est correctement déroulée à Mayotte et à La Réunion. Ce retour d'expérience est essentiel.

Pour le secteur agricole, il est également intéressant d'évaluer l'impact du règlement Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI). Pour mémoire, ses trois missions consistent à :

- garantir l'approvisionnement des RUP en produits essentiels pour la consommation ou la transformation ;

- pérenniser et développer durablement les filières de diversification animales et végétales ;

- renforcer la compétitivité des filières agricoles traditionnelles.

Ce dernier point me permet d'évoquer la prise en compte des productions traditionnelles des RUP et leur défense dans le cadre des accords commerciaux conclus par l'Union européenne. Le Sénat s'est particulièrement impliqué dans ce dossier au travers de sa Délégation à l'outre-mer et de la Commission des affaires européennes que j'ai l'honneur de présider. Tel fut le cas à la veille de la conclusion de l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Vietnam sur les sucres spéciaux. Ce texte prévoyait d'importants contingents d'export pour ce pays. Il était urgent d'intervenir en faveur de nos producteurs nationaux.

Le Sénat a voté une résolution demandant au Gouvernement d'intervenir auprès de la Commission européenne pour obtenir un contingentement plus raisonnable. Nous avons obtenu satisfaction in fine . De même, nous avons agi pour faire clarifier les mécanismes de stabilisation du marché de la banane, prévus dans les accords avec les producteurs d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud. Grâce à la détermination de tous, nous avons obtenu des avancées substantielles.

En début de semaine, nous tenions une réunion sur l'application des lois. Nous avons dressé un bilan avec le représentant du Gouvernement, Monsieur André Vallini. Or, les résolutions européennes conduisent le Gouvernement à considérer les réflexions du Parlement. Dans 75 % des cas, ces trois dernières années, les résolutions du Sénat sont intégralement prises en compte. Dans 25 % des cas, elles sont partiellement intégrées. Je rappelle fréquemment ces chiffres à mes collègues afin de leur montrer que leur engagement n'est pas vain.

Cela étant, la vigilance doit être permanente, aussi bien dans les territoires ultramarins, à Bruxelles qu'à Paris. Avec Madrid et Lisbonne, nous portons souvent des ambitions communes. Il est essentiel, pour faire évoluer les dossiers au Parlement européen et à la Commission européenne, de créer des alliances. Tel fut le cas pour le Règlement général d'exemption par catégorie (RGEC) et pour les lignes directrices des Aides à finalité régionale (AFR) dans les régions ultramarines.

Le Sénat est très attentif à l'adaptation de ce texte. Sa prochaine version est attendue pour mars ou avril. Elle devra répondre à nos préoccupations sur les secteurs exclus, sur les seuils ou sur le contrôle par bénéficiaire. Après celle de 2012, une nouvelle communication de la Commission européenne sur les RUP devrait être publiée à l'automne. Pour la préparer, le quatrième forum consacré aux RUP se tiendra à Bruxelles dans un mois. Il permettra d'aborder les questions stratégiques de l'économie bleue, de l'économie verte, de l'économie circulaire, du numérique et de l'agriculture.

Le Sénat, qui possède une culture d'avenir, n'a évidemment pas occulté la question du numérique. Elle est au coeur de l'économie du XXI e siècle. En la matière, nous avons développé des partenariats avec le Bundesrat . Au-delà des normes, nous sommes en train de construire une approche européenne afin de faire contrepoids à nos amis d'outre-Atlantique.

Il est essentiel que la question des RUP figure à l'agenda de l'Union européenne, de la Commission européenne comme du Parlement européen. Je fais partie de ceux, nombreux au Sénat, qui comptent y associer notre Parlement national. Si j'oubliais quelques-unes de vos préoccupations, Michel Magras est là pour les rappeler au sénateur de Normandie que je suis. Je le remercie d'avoir donné vie à cette Délégation à l'outre-mer et de relayer l'attention du Président Larcher pour nos territoires ultramarins.

Première séquence - Le double écueil du corset normatif et d'une politique commerciale européenne défavorable aux RUP

Younous OMARJEE, Député européen

(Diffusion d'une vidéo)

Mesdames, messieurs,

J'aurais aimé être parmi vous. Malheureusement, je participe au quinzième forum européen de l'Association des pays et territoires d'outre-mer à l'Union européenne (OCTA) à Aruba. Je voulais néanmoins ouvrir des perspectives et dresser le bilan de la politique de l'Union européenne à l'égard des RUP. Le résultat de cette action est contrasté, comme la situation de l'Union européenne aujourd'hui.

Une première grande période consista dans le rattrapage des retards. L'UE était alors en croissance et conduisait au développement de l'intégration. À cette époque, nous avons accompli des avancées significatives. Puis nous avons obtenu l'inscription, au moment de la négociation constitutionnelle, de l'article 349 dans le traité de Lisbonne. Il permet la reconnaissance de nos régions ultrapériphériques au plus haut de la hiérarchie des normes.

Tout notre combat a porté sur la mise en oeuvre de cet article. Nous attendions qu'une jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) détermine son champ d'application et tranche les débats de doctrine. Cet arrêt est intervenu. Nous savons aujourd'hui ce qu'il est possible de faire dans le cadre de l'article 349. La Cour précise, dans ses conclusions, les limites de son application.

Je travaille actuellement pour le Parlement européen à la rédaction d'un rapport sur la mise en oeuvre de cet article 349. Il sera probablement mis au vote en avril ou mai. J'attends la plus grande participation des parlementaires nationaux, de votre délégation sénatoriale, des acteurs économiques et des élus ultramarins à l'élaboration de ce rapport. Il dressera un constat de cette mise en oeuvre, mais tentera aussi d'ouvrir un certain nombre de possibilités pour l'avenir.

Il m'a été demandé d'intervenir sur la question de la politique commerciale à l'égard des RUP. Cette problématique n'est pas séparable de l'orientation des politiques générales de l'Union européenne. Nous en subissons les conséquences malgré nos particularités et malgré l'article 349. Nous ne devons pas livrer le combat dans un champ rétréci. Nous devons contester cette politique plus largement.

L'Union européenne est sûrement aujourd'hui la puissance la plus naïve du monde. Elle démantèle toutes les barrières douanières et tarifaires. Elle poursuit, envers et contre tout, cet objectif d'un grand marché mondial. Elle a placé au coeur de son action un certain nombre de dogmes, en particulier celui du libre-échangisme. Cette posture est très dommageable.

Néanmoins, depuis le Brexit, depuis l'arrivée de Donald Trump au pouvoir, depuis la contestation du traité de libre-échange transatlantique (TAFTA) et de l'accord économique et commercial global avec le Canada (CETA), avec notamment le rejet de ce dernier par la Wallonie, un débat sur la future politique commerciale de l'Union européenne a vu le jour. J'espère que l'Europe veillera enfin à protéger ses productions et ses emplois.

Pour la politique actuelle, il nous est très difficile de faire comprendre nos particularités et la nécessité de dérogations aux commissaires européens, notamment Madame Malmström qui possède des compétences exorbitantes en termes de négociations. Cela étant, les batailles ne sont assurément perdues que lorsque les combats ne sont pas menés.

Néanmoins, lorsque nous sommes capables de nous unir, lorsque nous savons agir avec méthode auprès de la Commission européenne, nous pouvons enregistrer des avancées. La Commission européenne multiplie les accords de libre-échange. Nombre d'entre eux concernent nos productions. Le dernier en date est le traité avec la Colombie, le Pérou et l'Équateur concernant notamment la banane.

Avec mon collègue Gabriel Mato, j'ai réussi à organiser des forces au Parlement européen pour que cet accord comprenne de véritables clauses de sauvegarde opérationnelles. Elles permettront de protéger davantage la banane communautaire. Jusqu'à présent, le déclenchement des clauses de sauvegarde était laissé à la discrétion de la Commission européenne. De fait, elles n'étaient jamais mises en oeuvre.

Lorsque nous avons introduit cette proposition dans le débat, tout le monde considérait comme impossible d'obtenir satisfaction. Cet accord politique avait une très grande importance pour l'Union européenne et pour l'Équateur. Personne ne voulait qu'il soit modifié. Nous avons quand même livré cette bataille. À une voix près, nous avons obtenu un vote en Commission du commerce international (INTA) et son examen par la Commission européenne, puis par le Conseil de l'Europe.

Ce résultat concret montre que, lorsque les RUP sont unies et que tous les groupes politiques du Parlement européen nous soutiennent, il est possible de se faire entendre auprès de ces instances. J'ai mené cette bataille pour la banane, mais aussi pour le sucre. Les dispositions introduites par le Parlement européen serviront de référence pour les futurs accords de libre-échange qui concerneront la canne à sucre.

Avec Philippe Labro, nous avons également mené un combat désespéré contre l'accord avec le Vietnam. Il fragilisait les sucres de La Réunion. Au dernier moment, nous avons pu introduire un certain nombre de dispositions qui ont finalement permis d'éviter le pire. Néanmoins, ces avancées ne répondent pas à nos demandes d'un changement de doctrine de la Commission européenne. Nous réclamons la prise en compte de nos intérêts et la mise en oeuvre de l'article 349.

Tel est le combat qu'il nous reste à mener. Nos discussions avec la Commission européenne portent sur ce sujet. Cette question sera au coeur de mon rapport sur l'article 349. Je demande à l'ensemble des acteurs d'inscrire cette question des accords commerciaux à l'ordre du jour du forum des RUP qui se tiendra à Bruxelles en mars. Au travers de ces accords se joue la survie de nos quelques productions ultramarines. Ce combat, nous sommes condamnés à le gagner.

Camille WEHRLI, Consultante d'Eurodom

Ces dernières années, l'actualité européenne a été marquée par une série de négociations d'accords de libre-échange avec des pays leaders sur nos productions : le Brésil, le Mexique, l'Indonésie ou le Vietnam. Ces économies ont en commun des coûts productifs, sociaux et environnementaux nettement inférieurs aux nôtres. Tous bénéficient d'une forte capacité d'exportation.

Si ces traités présentent un intérêt offensif pour l'Union européenne, les productions agricoles ultramarines sont en concurrence directe avec les denrées issues de ces pays fréquemment situés en zone tropicale. C'est pourquoi, contrairement à l'industrie européenne, les DOM adoptent plutôt une position défensive.

Des progrès ont été récemment constatés. Le mandat de négociation de l'accord avec le Mexique prévoit, pour la première fois, une prise en compte particulière des RUP. Néanmoins, face aux dangers encourus, nos productions sont insuffisamment considérées et protégées. Prenons l'exemple du rhum et des sucres spéciaux.

Les rhums des pays tiers arrivent par vagues sur les marchés européens. Ils rentrent en concurrence directe avec les producteurs des DOM. En métropole, leur croissance atteint 20 % par an. En Europe, les États-Unis dominent désormais le marché. Ils ont multiplié leur volume de vente par vingt-quatre en dix ans, notamment grâce à l'accord cover-over .

L'ouverture des frontières présente déjà des impacts. Ces dix dernières années, les exportations de rhum léger de La Réunion vers le marché allemand ont connu une chute catastrophique au profit des rhums des pays tiers. Autrement dit, le rhum des DOM doit faire face à une concurrence massive, agressive et parfois déloyale.

Les sucres spéciaux soulèvent une problématique bien connue. Avec 90 000 tonnes produites et exportées annuellement sur le marché européen, La Réunion est leader sur ce marché haut de gamme. Elle est toutefois suivie de près par l'île Maurice. Ce marché est déjà ouvert aux pays de l'ACP-PMA (pays les moins avancés d'Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique) et passablement saturé.

Avec la suppression des droits de douane, les producteurs de canne des pays tiers convoiteront ce marché de niche très valorisable de manière très agressive. La pérennité des débouchés des sucres spéciaux est sérieusement menacée. Il est indispensable que l'Union européenne protège nos productions sensibles en les excluant des négociations. Un contingent réduit, même très limité, suffirait à compromettre nos filières.

Les autorités françaises sont particulièrement vigilantes. Elles ont pris conscience de ces enjeux et de la nécessité d'une mobilisation en amont des négociations. L'attention est plus timide au sein de la Commission européenne. Bien qu'elle s'y soit engagée le 20 juin 2012, elle n'a commandé aucune étude d'impact pour nos productions. Pire encore, elle mesure les conséquences sur l'agriculture européenne, mais pas sur celle des RUP. Il en va ainsi des analyses concernant le Mercosur ou le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP).

La Commission européenne semble minimiser les alertes des producteurs en leur demandant de la convaincre. Depuis l'accord avec le Vietnam, nous assistons ainsi à un renversement de la charge de la preuve. Il revient aux producteurs d'assurer une veille continue, de fournir une documentation exhaustive permettant d'objectiver la menace et de caractériser le préjudice.

Une fois l'accord entré en vigueur, la Commission européenne doit continuer de prendre en compte nos productions afin d'amortir les effets négatifs des concessions commerciales. Tel n'est pas encore le cas. Pour les sucres spéciaux, compte tenu de la porosité des codes douaniers, un producteur de pays tiers peut ainsi contourner les droits de douane en faisant entrer sur le marché européen un produit identique, mais sous un code douanier libéralisé. De même, pour la banane, les clauses de sauvegarde n'ont pas été déclenchées malgré le dépassement des quotas. Le Parlement européen et le Sénat se sont récemment penchés sur cette problématique.

Si les négociations en cours commencent à prendre en compte les productions de nos territoires, notamment grâce à la mobilisation des professionnels et de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer, cette démarche reste insuffisante compte tenu des enjeux. Comme l'article 349 l'y invite, la Commission européenne doit spontanément assurer la protection des productions communautaires et ne plus s'en servir comme « monnaie d'échange ».

Dominique VIENNE, Président de la Confédération des petites et moyennes entreprises réunionnaises (CPME Réunion)

Ce matin, une présentation a montré que l'économie productive réunionnaise est encore susceptible d'augmenter. Effectivement, le PIB par habitant à La Réunion est inférieur à celui de la métropole. Or, cet accroissement n'est possible qu'en développant l'emploi, en augmentant le pouvoir d'achat de la population. On nous a aussi présenté l'économie de proximité qui m'est chère. Il est nécessaire de changer le regard sur l'outre-mer. Nous sommes la France océanique, vaste de 11 millions de kilomètres carrés, contre 420 000 kilomètres carrés pour l'Hexagone.

Pour opérer ce développement, nous pourrions prendre modèle sur le small business act . Sa version européenne comprend dix mesures pour renforcer et accompagner le parcours entrepreneurial. Nous pourrions ainsi ne plus définir l'outre-mer par des lois, qui ne sont jamais assez ambitieuses, mais par ce small business act vu par l'Europe comme sa politique phare en faveur des TPE-PME. Nous emploierions ainsi plus efficacement les zones économiques exclusives (ZEE). Nous ne comprenons pas pourquoi le droit européen nous empêche de profiter de nos zones de pêche au profit d'autres pays comme l'Espagne.

Avec un small business act , nous pourrions nommer un ambassadeur auprès de la Commission européenne. Il rendrait compte des impacts sur nos économies ultramarines. Nous luttons souvent contre certaines législations injustes. Il existe depuis 2014 un panel test pour les PME. Pourquoi promulguer de nouvelles lois lorsque les dispositions existantes conviennent à nos structures ? Le small business act européen constituerait un cadre ambitieux pour créer les conditions normatives et fiscales propices à nos entreprises. Cette démarche répondrait au nécessaire changement de paradigme du financement invoqué par Maître L'Homme.

Ce matin, un intervenant a indiqué que La Réunion engendrait 6,6 milliards d'euros de valeur ajoutée. Je me suis renseigné auprès de l'Insee. Ce chiffre correspond uniquement aux entreprises dont le siège social se situe dans l'île, qui paient leurs taxes d'apprentissage et règlent leur fiscalité sur place. La valeur ajoutée des simples établissements n'a donc pas été projetée. Je rêve de voir émerger cette France océanique, que je porte dans mon coeur. Peut-être est-ce parce que nous ne sommes pas dans l'histoire de France que notre place est difficile à occuper ? Changeons de paradigme. Devenons l'avenir de la France : la France océanique.

Daniel MOREAU, Président de l'Interprofession fruits et légumes de La Réunion (Arifel) et de la société Royal Bourbon Industries

La diversification végétale, un pilier de l'économie réunionnaise

Les cultures fruitières et légumières couvrent 13 % de la surface agricole utile, produisent 36 % de la valeur de la production agricole de l'île et représentent environ 3 000 emplois directs (2 000 exploitations agricoles et 5 000 hectares).

La production totale est évaluée à 90 000 tonnes, à parts égales entre les fruits et les légumes. Ces chiffres font de la filière fruits et légumes la plus importante filière agricole à La Réunion et un secteur d'activité particulièrement important pour la structuration du milieu rural.

Les données actuelles établissent que la production locale répond à 70 % des besoins du marché local de fruits et légumes « frais », les 30 % restants étant satisfaits par l'importation. Ce chiffre est à rapprocher des 51 % de couverture des besoins en fruits et légumes frais par la production locale au niveau de la France hexagonale.

Apprécié globalement, ce chiffre peut être évidemment considéré comme particulièrement satisfaisant ; il cache pourtant de réelles problématiques :

- une forte progression des importations de certains légumes très consommés à La Réunion aux dépens de notre production locale (exemple : 90 % des oignons consommés à La Réunion sont importés) ;

- une part de marché des fruits et légumes transformés importés hégémonique (85 à 90 %) par rapport aux produits locaux équivalents et, par voie de conséquence, un vrai gisement en termes de développement d'activité locale ;

- une part de marché faible pour la production locale de fruits et légumes frais et transformés dans la restauration collective publique (environ un tiers seulement).

Face à la nécessité de relever ces défis, mais également de faire face à l'évolution des besoins liés à la croissance démographique et de saisir les opportunités à l'export pour des productions comme l'ananas Victoria ou le letchi, la filière « fruits et légumes » a créé, il y a 5 ans, une interprofession (l'Arifel).

On y retrouve des producteurs, des grossistes, des distributeurs, des transformateurs et des exportateurs.

L'enjeu est important tant du point de vue qualitatif que quantitatif. En chiffres, cela représente 40 000 tonnes de fruits et légumes de plus d'ici à 10 ans. Et de fait, les besoins de coordination et d'une stratégie collective entre les différents acteurs sont déterminants.

Parmi les marchés visés par ce plan stratégique, je vous propose de faire un focus particulier sur l'exportation des fruits, particulièrement visée par l'écueil normatif européen.

Si les différentiels de compétitivité trouvent essentiellement leur origine dans le coût du travail, le cadre normatif européen contribue substantiellement à les creuser.

L'exemple le plus parlant concerne la réglementation sanitaire et phytosanitaire.

Des productions pénalisées par une dépendance normative phytosanitaire qui creuse les différentiels de compétitivité.

En l'espace de 5 ans, la filière export a presque doublé ses volumes exportés vers le marché européen (cf. tableau ci-dessous), malgré les aléas climatiques (cyclones et sécheresses). Ce développement s'appuie sur une production emblématique du territoire : l'ananas Victoria.

La culture de l'ananas est une production fruitière majeure dans le contexte agricole réunionnais. Elle est mise en oeuvre pratiquement sur tout le territoire à différentes altitudes et représente environ 350 hectares. Chaque année, l'île de La Réunion exporte près de 2 500 tonnes d'ananas Victoria sur les marchés français et européen, soit 70 % des exportations totales. Reconnu par les consommateurs comme un fruit d'excellence, l'ananas Victoria constitue aussi une vitrine pour la promotion de notre île.

Évolution des exportations réunionnaises vers le marché européen

2011

2012

2013

2014

2015

2016

1 861

2 434

2 429

2 718

3 019

3 700

31 %

0 %

12 %

11 %

22 %

Toutefois, la filière se trouve aujourd'hui à un tournant de son développement et est confrontée à :

- des usages orphelins qui pourraient entraîner son effondrement. Depuis quelques années, les producteurs constatent une dégradation de leur matériel végétal, entraînant une perte de rendement au champ pouvant aller jusqu'à 50 %. Aujourd'hui, 60 % des surfaces de l'île sont touchés chaque année par la maladie du Wilt ;

Plusieurs bio-agresseurs ont été identifiés. En premier lieu, la maladie du Wilt est associée à un complexe de virus PMWaV-1 et PMWaV-2 (Petty, G.J. et al. 2002). Ces virus sont transmis par les cochenilles farineuses ( Dysmicoccus brevipes ) qui, elles-mêmes, ne sont pas mobiles et vivent en association avec les fourmis qui transportent leurs larves sur la plante. Les fourmis se nourrissent alors du miellat qui est sécrété et les protègent de leurs ennemis naturels tels que les coccinelles (Martin, J. P. 1970). À ce jour, nos producteurs ne disposent d'aucune solution pour cantonner à un niveau acceptable la population de fourmis. Des usages phytosanitaires non couverts amplifient désormais les distorsions de concurrence avec les producteurs d'ananas de pays concurrents tels que Maurice, qui eux peuvent avoir accès à des traitements chimiques non disponibles pour les agriculteurs réunionnais ;

- un cadre réglementaire rigide et inadapté aux enjeux du développement de l'agriculture biologique dans nos régions.

Face à des consommateurs de plus en plus exigeants tant sur la qualité des produits qu'ils consomment que sur les impacts des conditions de production, nos producteurs sont à la recherche de modes de production innovants, respectueux de l'environnement et susceptibles d'être mieux valorisés d'un point de vue économique. La perspective de marché offerte par cette prise de conscience du consommateur conforte la démarche entamée par la filière locale de production à travers son projet stratégique de développement qui vise à produire un ananas réunionnais respectant le cahier des charges de l'agriculture biologique. La maîtrise de l'induction florale est une étape-clé de l'itinéraire technique de production.

En effet, si des températures fraîches et des jours courts sont des facteurs induisant la floraison, la production naturelle des fruits est trop étalée dans le temps et aléatoire pour être commercialement viable. D'où la nécessité d'utiliser un procédé à base de charbon actif enrichi en éthylène, mis au point par le Cirad dans le cadre des réseaux d'innovation et de transfert agricole (Rita), pour l'induction florale des plants d'ananas. Ce procédé, bien qu'éprouvé, ne peut être utilisé aujourd'hui en raison de conditions d'usage de l'éthylène inadaptées à nos productions.

L'éthylène est inscrit sur la liste des substances actives approuvées par la Commission européenne selon le règlement CE n° 1107-2009 depuis septembre 2009. La substance est inscrite à l'annexe IV du règlement CE n° 396-2005 et n'est donc pas soumise à limite maximale de résidus (LMR). Le règlement CE n° 1318-2005 autorise l'utilisation de l'éthylène pour l'induction florale de l'ananas en agriculture biologique. Malheureusement, le règlement d'exécution CE n° 187-2013 limite les autorisations aux utilisations en intérieur (milieu clos) de l'éthylène pour les usages en Europe alors que l'induction florale de l'ananas se déroule systématiquement en extérieur. Dès lors, cette méthode est largement utilisée dans les pays tiers producteurs d'ananas, mais pas accessibles actuellement à nos producteurs ;

- un nouveau cadre réglementaire qui pénalise notre compétitivité.

C'est le cas du règlement européen 2016/2031 relatif aux mesures de protection contre les organismes nuisibles aux végétaux, en date du 26 octobre 2016. Ce règlement définit les nouvelles règles liées aux introductions de végétaux sur le territoire de l'Union européenne. La Réunion, comme d'autres territoires visés à l'article 355, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union, est désormais désignée, dans le cadre de ce règlement, comme « pays tiers ». Les mesures définies par ce règlement imposeront dès 2019 que nos produits soient soumis à certification phytosanitaire, comme ceux provenant de pays concurrents tels que l'île Maurice, par exemple. La mise en place de ces nouveaux dispositifs conduira de toute évidence à la fois à alourdir nos procédures d'exportation, voire à les freiner considérablement, et à augmenter nos coûts d'expédition.

De plus, dès lors que les règles de délivrance de ces certificats seront propres à chacun des pays exportateurs, il est très vraisemblable qu'elles seront beaucoup plus contraignantes pour notre territoire que pour certains de nos concurrents.

En résumé, il s'agit d'une nouvelle source de déséquilibre de compétitivité pour nos activités qu'il nous faudra, avec le soutien des autorités françaises, tenter de réduire le plus possible.

Pour conclure, je me permettrai de rappeler les préconisations du rapport d'information sur les normes sanitaires et phytosanitaires applicables à l'agriculture des outre-mer fait par la Délégation sénatoriale à l'outre-mer, présidée par Michel Magras. Il ressort de ce rapport, trois mesures prioritaires qui, mises en oeuvre rapidement, auront un impact majeur sur la compétitivité de nos productions vis-à-vis des pays tiers :

- supprimer les tolérances à l'importation pour les denrées traitées par une substance active interdite dans l'Union européenne ;

« Cette mesure contribuera à restreindre l'avantage comparatif indu dont bénéficient des pays tiers et à les forcer à s'aligner sur les normes européennes de production s'ils souhaitent pénétrer nos marchés . »

- faire obligation aux firmes pétitionnaires de joindre à tout dossier d'autorisation de mise sur le marché (AMM) d'un produit phytopharmaceutique des analyses portant sur son utilisation sur des cultures tropicales. Dès lors, fusionner sur cette base les deux procédures d'octroi d'AMM et d'extension d'autorisation pour usage mineur sur cultures tropicales.

Cette mesure permettra de s'affranchir des difficultés liées au manque d'engagement de la part des firmes phytosanitaires dans les démarches d'extension pour usages mineurs, malgré le peu d'attractivité du marché des DOM ;

- prendre en compte systématiquement les outre-mer dans les travaux du Comité des normes agricoles installé en mars 2016, à la fois pour l'analyse des normes existantes et pour la préparation de nouvelles normes.

Nous recommandons qu'un ou plusieurs représentants des professionnels des DOM soient membres du comité. Ils auront la mission de faire remonter et de suivre les propositions de modifications issues des DOM.

Philippe LABRO, Président du Syndicat du sucre de La Réunion et Président du directoire de Tereos Sucre océan Indien

Je ne suis nullement un pourfendeur de la Commission européenne. Un pan entier de la politique européenne, notamment le POSEI, est très favorable à l'outre-mer. Néanmoins, il existe un problème de cohérence entre la politique interne et la politique externe. Nous avons parfois le sentiment d'être confrontés à un dogmatisme ultralibéral très dangereux pour nos économies ultramarines.

Mon propos portera sur le sucre. Il vaudrait autant pour le rhum, pour la banane ou pour le sucre de la Guadeloupe et de la Martinique. À La Réunion, la filière de la canne à sucre représente 18 300 emplois directs, indirects et induits, soit 13,3 % de la population active du secteur privé. En métropole, cette proportion équivaudrait à 2,3 millions d'emplois, à 3,5 millions d'emplois en ajoutant la Guadeloupe et la Martinique.

La consommation totale de sucre en Europe s'élève à 18 millions de tonnes, dont 17,7 millions de tonnes de sucre blanc et 300 000 tonnes de sucre roux. Dans le cadre des DOM, seule cette seconde variété nous intéresse. Elle correspond à un marché de niche de 1,5 %. La Réunion est leader en Europe, suivie de près par l'île Maurice. Toutefois, ce marché évolue très rapidement.

Depuis 2009, grâce à l'accord ACP-PMA, les productions de l'île Maurice et celles de l'Afrique australe et de l'Afrique de l'Est peuvent entrer sur le continent européen sans quota ni taxe. Pour la période 2009-2015, ces importations représentent 5 milliards d'euros, soit 750 millions d'euros par an en moyenne. Le coût moyen de l'heure de travail dans l'industrie sucrière de ces pays est entre 17 et 20 fois plus faible qu'à La Réunion.

Les accords avec les pays du Pacte andin ont accordé des quotas de 120 000 tonnes de sucre en 2013. Ils se sont ensuite étendus à l'Amérique centrale pour 150 000 tonnes. Le cumulé, environ 300 000 tonnes, correspond à la taille du marché européen des sucres spéciaux. Quand l'Union européenne conclut des accords globaux sur le sucre, elle ne précise pas la part relative aux sucres spéciaux. Si ces pays exportent vers l'Europe 300 000 tonnes de sucre blanc, cette quantité n'est pas significative pour un marché de 17,7 millions de tonnes. En revanche, s'ils choisissent d'y exporter des sucres spéciaux, ils pourraient représenter la totalité du marché.

En 2014, nous avons conclu des accords avec l'Afrique du Sud. Nous avons réussi à exclure totalement les sucres spéciaux de ces négociations. En 2015, pour le Vietnam, la Commission européenne a refusé d'exclure totalement les sucres spéciaux, mais a accepté de limiter à 400 tonnes les sucres spéciaux sur 20 000 tonnes de quotas accordés.

Ce chiffre équivaut au prorata de la production et de la consommation européenne de sucres spéciaux. Cette disposition est satisfaisante. Néanmoins, comme le soulignait Camille Wehrli, plusieurs codes douaniers permettent d'importer des sucres spéciaux. Or, seul l'un d'entre eux a été protégé.

L'Union européenne a engagé des négociations avec le Brésil et avec la Thaïlande, respectivement le premier et le deuxième exportateur mondial, avec l'Inde, deuxième producteur mondial, avec les Philippines, etc. La Commission européenne refuse toute exclusion de principe.

Nous formulons cinq demandes :

- réaliser des études d'impact préalables à la signature des mandats de négociation ;

- obtenir si possible l'exclusion totale des sucres spéciaux des accords ;

- négocier un prorata de 1,5 % lorsque l'exclusion est impossible ;

- régler le problème des codes douaniers ;

- étudier les conséquences des accords, notamment en termes de clauses de sauvegarde.

La Délégation sénatoriale à l'outre-mer et la Commission des affaires européennes ont produit d'excellents rapports à ce sujet. Je les en remercie. Désormais, plus personne ne peut dire à Bruxelles qu'il ignore la problématique des sucres spéciaux. Nous ne comptons pas d'adversaire en Europe, puisque seule la France produit du sucre de canne. Toutefois, il est difficile de mobiliser nos partenaires. C'est pourquoi nous devons poursuivre cette démarche.

Source : Syndicat du sucre de La Réunion

Seconde séquence - La politique européenne de financement et de compensation des surcoûts : un soutien déterminant mais jusqu'à quand ?

Fabrice MINATCHY, Président de l'Association réunionnaise interprofessionnelle de la pêche et de l'aquaculture (Aripa)

La pêche réunionnaise s'étend jusqu'aux zones économiques exclusives (ZEE) des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Elle constitue un secteur d'activité stratégique à l'échelle de l'océan Indien. Longtemps maintenues dans un modèle artisanal et vivrier, parce que tardivement intégrées à la politique commune de la pêche (PCP), à la fin des années 1990, les pêcheries réunionnaises n'ont cherché que sur le tard à concrétiser des potentialités reconnues de tous.

À partir des années 1990, les aides publiques ont activement participé à l'essor de la pêche réunionnaise, conformément aux enjeux communautaires de préservation durable de la ressource halieutique. Malgré un appui financier important, le secteur a néanmoins connu des fortunes très diverses.

La filière était forte de son hétérogénéité, entre bons et mauvais pêcheurs, entre bons et mauvais gestionnaires, entre professionnels et opportunistes. Les effets d'aubaine suscités par les dispositifs fiscaux ont trop souvent renvoyé au second plan les stratégies d'entreprise, de valorisation et de marketing. Les aides publiques, déconnectées des réalités du marché, ont dénaturé les initiatives.

Certes, les opérateurs les mieux structurés, de la grande pêche australe essentiellement, en ont tiré profit pour mener des investissements ambitieux et maîtrisés. Ils se sont notamment diversifiés sur la pêche thonière à la senne. Pour les autres, non regroupés, peu compétitifs, vulnérables aux fluctuations des changes et du prix du baril, les tentatives de structuration, en 2000 puis en 2007, ont abouti à des liquidations judiciaires.

Parallèlement, l'instabilité de l'encadrement de l'Union européenne sur les flottes et sur les aides, ainsi que le desserrement sans anticipation des contraintes communautaires n'ont pas permis aux opérateurs de définir des stratégies de moyen et de long termes. C'est pourquoi les dérogations accordées aux RUP pour l'octroi d'aides publiques à la construction de navires de pêche n'ont pas produit les effets escomptés.

La crise de la pêche de 2008 a provoqué un déclic. Les opérateurs se sont laissé convaincre de la nécessité de coaliser leurs actions. Les clivages entre entreprises se sont estompés avec la disparition des acteurs contre-productifs. Tous ont reconnu que conforter la pêche réunionnaise supposait une professionnalisation des pratiques et une structuration de la filière au travers d'une organisation interprofessionnelle.

Les navires et les entreprises de pêche réunionnais se sont engagés dans le cadre législatif et réglementaire. Les navires réunionnais ont répondu aux normes techniques, les équipages aux standards de formation professionnelle, les entreprises aux régularités sociales et fiscales. La conditionnalité des aides publiques à la formalisation des opérateurs a joué un rôle prédominant.

Une dynamique de structuration en interprofession s'est ainsi initiée, à l'instar du modèle d'organisation prévalant depuis plus de vingt ans dans l'élevage et dans l'agriculture. L'Aripa a ainsi créé les fondations d'une filière délibérément engagée dans le développement économique et la structuration de ses opérateurs.

Les contraintes structurelles propres à l'ultrapériphéricité, les distorsions de concurrence vis-à-vis des pays tiers ont nécessité l'apport d'aides publiques pour compenser nos surcoûts. Cet apport était d'autant plus nécessaire que la pêche est une activité cyclique dans laquelle l'investissement s'amortit sur le long terme.

Les effets positifs ne se sont pas fait attendre : stabilisation puis revalorisation du prix d'achat du poisson aux producteurs, structuration et régulation des apports en poisson du marché intérieur, meilleure pénétration du poisson réunionnais dans le panier de la ménagère, reprise d'exploitation de navires laissés à l'abandon dans la darse de pêche hauturière, création d'activités de valorisation dans la transformation. Ces aides doivent pouvoir durablement être ancrées dans le secteur. Elles doivent inciter le plus grand nombre à participer à la démarche de structuration interprofessionnelle.

Les prochains défis amèneront la pêche réunionnaise à se garantir dans son bassin maritime une ressource halieutique préservée et non surexploitée, à renouveler ses outils de production pour aller en quête des espèces pélagiques migratrices encore disponibles en océan Indien, à mieux différencier ses captures. La pêche réunionnaise doit bénéficier d'une adaptation des politiques européennes afin de renouveler ses outils de production et assurer son émancipation.

Thierry GALARME, Président du Medef Mayotte

Est venu le temps de vous parler de la difficile captation des fonds européens sur notre territoire. Cinq minutes seulement m'étant imparties pour ce sujet ô combien complexe, je tâcherai d'être concis.

Mon propos se développera en deux parties : un premier pan sera consacré au constat de la triste situation actuelle tandis qu'un second se consacrera aux quelques perspectives positives entrevues et à nos propositions.

Je tiens à remercier les adhérents de mon organisation - le Medef - et les services de l'État et des collectivités qui nous ont aidés par leurs connaissances et le temps qu'ils nous ont consacré, à étoffer ce propos.

Un constat somme toute négatif

Je débuterai par un constat simple : les taux de captation des fonds européens sur notre territoire sont aujourd'hui médiocres. Qu'ils nous semblent lointains ces temps où Thierry Repentin, alors ministre délégué aux affaires européennes, affirmait que nous pouvions espérer bénéficier de plus de 340 millions d'euros. Aujourd'hui, les chiffres sont clairs : sur 148 millions de fonds FEDER, seuls 40 ont été programmés et aucun n'a connu de paiement. La durée moyenne entre l'enregistrement du dossier et sa sélection est par ailleurs de 379 jours ! Plus d'un an pour faire valider un dossier, sans aucune visibilité sur les fonds qui seront finalement, ou non, obtenus : c'est absolument inimaginable !

Et que dire quand aucun dossier n'est monté dans l'Objectif Spécifique (OS) 1.2 du premier axe du FEDER, pourtant primordial : celui de donner l'accès à l'eau potable à une population la plus large possible ? N'est-ce pas d'une tristesse infinie que ces 14 millions se perdent, alors que les restrictions d'eau touchent actuellement la moitié de notre territoire et toutes nos entreprises ? Et que dire de ce chiffre tout aussi ridicule de 544 000 euros programmés alors que 18 millions sont disponibles dans l'axe consacré à l'innovation et à la compétitivité de nos entreprises ? Il semblerait que face à nos voisins réunionnais, qui sont dotés de plus d'un milliard et qui assurent déjà 54 opérations programmées, des appels de fonds et même déjà des paiements, nos résultats fassent pâle figure.

Les causes de ce triste bilan sont tout d'abord à chercher du côté de ce que la Cour des comptes appelait dans son dernier rapport sur la question « une départementalisation mal préparée » : alors que l'autorité de gestion devrait être une compétence du Département, sa direction des affaires européennes aux effectifs réduits s'est trouvée incapable d'assurer la gestion des fonds européens et le Conseil départemental a donc demandé à l'État le 25 mars 2013 de garder, à titre transitoire, le rôle d'autorité de gestion jusqu'en 2017.

Mais le Département n'est pas l'unique responsable : comme je vous le disais, les délais de l'administration gestionnaire sont bien trop longs pour que les acteurs économiques engagent la nécessaire trésorerie au fonctionnement de ce système. Les contrôles qui suivent les demandes de paiement peinant, elles aussi, à se mettre en place, les financements ne sont aujourd'hui toujours pas visibles à l'horizon.

Il me faut enfin conclure ce bilan en soulignant que les porteurs de projets doivent eux aussi se remettre en question : trop souvent, en effet, la compétence dans le montage de dossiers a manqué sur notre territoire et la faiblesse de la quantité comme de la qualité des dossiers rendus doit nous pousser à réfléchir ensemble aux améliorations possibles.

Des perspectives néanmoins encourageantes

Si nous avons souligné des problèmes, il nous faut aussi souligner les perspectives positives, car elles existent : si les taux de programmation des crédits sont en effet bien faibles (26 % pour le FEDER, 8 % pour le FSE), il faut se rappeler que nous partions de zéro et que Mayotte, devenue région ultrapériphérique en 2014, ne fait ici que son premier bilan des dispositifs de politique de cohésion. Si le taux de programmation du FSE est aujourd'hui très modeste, il semblerait néanmoins que plusieurs dossiers soient en cours de finalisation et que l'on pourrait atteindre les 20 % dès la fin de cette année. Il faudra persévérer dans cet effort.

Il nous faut aussi souligner que, malgré le tableau au moins gris que nous avons dessiné en termes d'organisation administrative , le secrétaire général aux affaires régionales (SGAR) Jean Almazan - qui vient de quitter notre territoire après 9 mois de service, et dont je salue le travail - a organisé une véritable restructuration des services, qui a permis de faire passer le Pôle Europe de la Préfecture de 4 à plus de 15 personnes, ce qui crée au total une équipe de plus de 35 fonctionnaires étatiques chargés de faire aboutir ces dossiers.

Nos propositions

Je vais désormais vous proposer quelques axes d'amélioration qui me sont apparus comme prioritaires :

- le premier axe à suivre sera de conclure la réorganisation qu'a commencé le SGAR, notamment en élargissant la redistribution des compétences pour définir au mieux les soutiens nécessaires au montage d'un dossier, dépendant souvent de plusieurs administrations : SGAR, conseil départemental, DIECCTE mais aussi parfois DEAL. Il faut que les entreprises et les porteurs de projets aient en face d'eux un guichet unique qui permettra de réduire efficacement les délais de traitement aujourd'hui tout à fait excessifs ;

- ma seconde proposition est de prolonger l'autorité de gestion des fonds accordée au SGAR et donc à l'État jusqu'à la fin du programme. Les compétences n'étant pour l'instant toujours pas présentes au sein du Conseil départemental, il serait dangereux de tenter une marche vers le droit commun alors même que le montage des dossiers commence tout juste à monter en puissance. Néanmoins, afin de permettre une nécessaire transition en douceur, le Pôle Europe du Conseil départemental doit être étoffé en personnel qualifié et doté d'un budget propre destiné à un cofinancement qui manque aujourd'hui cruellement à de nombreux porteurs de projets assumant seuls la lourde charge financière induite par les délais de traitement ;

- enfin, au vu de la situation économique de Mayotte, territoire le plus pauvre de France, ne l'oublions pas, même les filiales des grands groupes sont en réalité des PME : l'ouverture des fonds européens aux filiales de ces groupes est donc une vraie nécessité pour qu'enfin les entreprises se saisissent d'un trésor aujourd'hui médiocrement exploité.

En conclusion, je voudrais élargir quelque peu l'horizon : en effet, si la difficulté dans la réalisation de montages européens à Mayotte est bien causée par les nombreuses variables dont je vous ai parlé, il me faut aussi souligner que j'ai eu vent de plusieurs projets d'investissements et de montage de dossiers européens qui n'ont pas abouti au vu de problèmes plus larges qui touchent aujourd'hui Mayotte, notamment l'insécurité et l'impossibilité de se projeter dans l'avenir.

Depuis le début de mon mandat, je n'ai cessé de lutter pour que Mayotte redevienne un territoire attractif, malgré sa violence, malgré ses faiblesses, malgré ses imperfections. Et pour cela, Mesdames, Messieurs, les entrepreneurs parlent d'une seule voix pour dire que seule une zone franche nous rendra demain l'attractivité que nous avons perdue auprès des investisseurs et des jeunes diplômés. C'est, je le crois vraiment, la seule voie qui nous permettra d'éviter le double marasme économique et social vers lequel nous tendons aujourd'hui.

Merci à tous pour votre écoute.

Martin WITTENBERG, Directeur du bureau de Bruxelles et associé d'Euros/Agency

Je ne traiterai pas des fonds européens structurels, mais des fonds européens sectoriels. Notre agence accompagne des porteurs de projets dans le montage, le dépôt et la mise en oeuvre de leurs dossiers de financement. Nous accomplissons cette mission en métropole et à Mayotte depuis deux ans. Comme Thierry Galarme, le bilan mahorais est assez mitigé. Les fonds européens sont disponibles, mais les contraintes administratives nuisent à l'efficacité du système.

Nous avons accompagné la commune de Sada dans le montage d'un dossier FSE pour la réinsertion d'adultes isolés. L'instruction a duré dix mois. Quand nous avons reçu la convention, elle comportait tellement d'erreurs que nous avons dû la renvoyer pour demander des modifications. Entre le moment où nous avons été sollicités et la mise en oeuvre du projet, il s'est ainsi passé plus d'un an. Par ailleurs, nous sommes confrontés au problème du cofinancement. Les collectivités locales mahoraises disposent de peu de ressources pour apporter la contrepartie aux fonds européens. Nous pourrions donc gagner en efficacité.

Les fonds sectoriels sont moins connus que les fonds structurels. Ils sont pourtant ouverts aux porteurs de projets en métropole et dans les DOM. Ils sont le plus souvent gérés depuis Bruxelles, avec des enveloppes financières plus importantes. Ils couvrent différents domaines. Citons les programmes Erasmus, Europe créative, Cosme pour la compétitivité des PME, Horizon 2020 pour la recherche et l'innovation, Life pour la préservation de la nature et de l'environnement, Best , etc.

La Réunion a davantage l'habitude d'utiliser ces fonds que Mayotte qui n'est une région européenne que depuis trois ans. Ces outils représentent une véritable opportunité, un réel relais de croissance et de financement. Nous parlions de l'importance de l'investissement à Mayotte. Il est nécessaire de le financer. L'Europe ne pourra pas répondre à tous les besoins du territoire, mais il est possible, au-delà de la préfecture, de financer des projets plus conséquents.

Pour entreprendre cette démarche, il convient de se renseigner. Malheureusement, il n'existe pas de site qui agrège l'ensemble de ces aides. L'Europe devrait veiller à amener plus de lisibilité pour le porteur de projet. Cette documentation est parfois en anglais, mais souvent traduite. Le montage de ces dossiers est compliqué. À Mayotte, il peut être intéressant, pour les porteurs de projets, de s'insérer dans les consortiums existants.

Il en existe sur de nombreux sujets tels que l'économie circulaire, l'économie de la mer, la recherche, etc. Des porteurs de projets mahorais pourraient être les partenaires français de ces consortiums. Très souvent, le projet doit présenter une « valeur ajoutée européenne ». Il me semble que Mayotte peut être un territoire test pour des projets pilotes. Ne possédant pas d'antériorité dans la mise en oeuvre de politiques publiques, il est possible d'imaginer des dispositifs différents.

Par exemple, avec l'un de mes clients, nous avons monté un projet de communication et de sensibilisation innovant sur le tri et le recyclage à Mayotte. Pourquoi sommes-nous intervenus sur place ? Parce que la collecte sélective n'est intervenue que très récemment et que les habitudes de tri sont très récentes. Ce faisant, nous pourrons tester des méthodes innovantes. Nous avons obtenu l'appui du sénateur Thani Mohamed Soilihi, des députés européens Younous Omarjee et Joseph Manscour.

Si, au printemps, nous obtenons une réponse favorable, nous investirons plus de 2 millions d'euros à Mayotte dans les prochaines années. Cet argent bénéficiera à des prestataires locaux. Par ailleurs, les partenaires européens du projet, qu'ils soient allemands, belges ou néerlandais, viendront à Mayotte pour apprendre ces nouvelles pratiques. Il me semble intéressant que Mayotte ne soit pas simplement considérée comme devant effectuer un rattrapage, mais comme un territoire test.

Benoît LOMBRIÈRE, Délégué général adjoint d'Eurodom

Le thème de cette table ronde est un peu anxiogène. Il demande « jusqu'à quand » les RUP bénéficieront des financements européens. Depuis trente ou quarante ans, nous ne cessons de nourrir des inquiétudes. Pourtant, l'Europe reste tant bien que mal un soutien. Des milliards d'euros sont investis dans nos territoires. Ils suivent même des processus dérogatoires à l'orthodoxie communautaire pour s'adapter aux différentes situations. En menant le combat, nous sommes jusqu'à présent parvenus à obtenir gain de cause. Il n'existe pas de raison qu'il en aille autrement à l'avenir.

Cela étant, nous devrons nous adapter à une Europe qui est en train de changer. Elle évolue d'abord à cause du Brexit. En pratique, la décision du Royaume-Uni se traduit par une baisse de 10 milliards d'euros d'un budget total de 140 milliards d'euros, soit environ 7 %. L'Europe évolue ensuite parce que ses priorités changent. Elle privilégie la lutte contre le terrorisme, la gestion des migrations, le contrôle des frontières.

Le Brexit fait également peser un risque sur la construction européenne elle-même. À la radio allemande, il y a quelques jours, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, déclarait : « les Britanniques peuvent diviser sans trop d'efforts les vingt-sept autres États membres. [...] L'Union européenne évolue dans des directions différentes selon les pays, des directions difficilement compatibles entre elles . » Cette déclaration peut susciter des inquiétudes sur la cohésion de la structure même de l'Europe. Les RUP pourraient éprouver encore plus de craintes.

L'Union européenne poursuit en effet son mouvement d'élargissement. Elle intègre des régions dites « en retard de développement », qui présentent parfois des difficultés supérieures à nos RUP. Nos argumentaires doivent s'adapter à ce nouveau contexte. Ils doivent devenir plus techniques, plus économétriques, plus juridiques. Chaque demande de dérogation doit être davantage justifiée. Le combat est ainsi encore plus intense que par le passé.

En dépit de ce constat, il subsiste des éléments d'optimisme. Les fonds de la politique régionale ont ainsi été maintenus. Le Président de la République lui-même a dû s'engager, au sein du Conseil européen, pour que l'intégralité de ces fonds soit maintenue. De même, si les fonds de la politique agricole commune (PAC) ont baissé de 15 %, l'enveloppe du POSEI a été maintenue. Au final, dans une Europe qui revoit ses priorités, les RUP sont relativement épargnées. Ce maintien des aides est dû à l'unité des acteurs concernés.

« Jusqu'à quand ? ». La politique européenne de financement perdurera tant que nous aurons l'énergie de nous défendre, tant que nous développerons des arguments pour expliquer nos particularismes. Il importe également que nous fassions preuve d'unité : entre la droite et la gauche, entre acteurs socio-professionnels au plan local et national (CCI, Adir, MPI, Medef, CPME, Fedom), entre parlementaires français et parlementaires européens. À Bruxelles, ces derniers exercent une influence considérable, supérieure à ce que vous imaginez. Vous devez rendre visite à l'ensemble de vos parlementaires, nationaux comme européens.

D'un point de vue gouvernemental, nous avons également de plus en plus besoin d'agir dans l'unité, en formant des alliances, par exemple avec les Portugais et les Espagnols. La Commission européenne ne nous est pas hostile a priori . Il lui arrive de commettre des maladresses, de ne pas vouloir écouter, mais elle s'obstine moins que d'autres pouvoirs. Quand on lui apporte des arguments, elle fait preuve de moins d'orgueil. Son manque de passion, sa moindre humanité peut déstabiliser. Elle présente toutefois la qualité de savoir changer d'avis en présence d'arguments convaincants.

En conclusion, tant que nous serons unis et convaincus, il n'existe aucune raison que la politique communautaire cesse. Elle évoluera, mais ne s'arrêtera jamais tant que nous saurons nous défendre.

Alain ROUSSEAU, Préfet, Directeur général des outre-mer

Ces rencontres régulières dédiées aux économies ultramarines sont très importantes. La question posée dans cette table ronde est effectivement anxiogène. Il convient toutefois de dissiper les inquiétudes en livrant un constat objectif. Chaque fois que nous avons dû renégocier une génération de contrat ou discuter des termes du règlement général d'exemption par catégorie (RGEC), l'angoisse a monté et a finalement été démentie par le résultat de la discussion.

Non seulement le soutien de l'Union ne nous a jamais fait défaut, mais il s'est sans cesse accru. L'aide par habitant ultramarin est aujourd'hui huit fois supérieure à celle reçue en métropole. Les RUP perçoivent 22 % des fonds pour une population qui représente environ 3,3 % du total des Français. La spécificité de l'outre-mer est donc bien prise en compte à Bruxelles.

Cette situation perdurera-t-elle ? Nos premiers contacts à propos de la future génération de contrats ne donnent pas à penser qu'il existerait la moindre volonté de réduire ces fonds après 2020. Certes, nous devrons négocier et objectiver nos besoins, mais le Brexit ne semble pas devoir conduire à une réduction des aides. Il pourrait même donner lieu à une plus grande concentration des fonds sur les territoires en difficulté, les RUP notamment.

Qu'en est-il du point de vue de l'État ? La question du RGEC sera traitée dans les deux mois à venir. Son nouvel équilibre est satisfaisant, même s'il ne correspond pas à nos demandes initiales. Là aussi, la discussion n'a pas laissé apparaître une quelconque volonté de remise en cause du dispositif spécifique aux économies ultramarines. Nos surcoûts sont reconnus. Nous les avons objectivés dans une étude afin d'écarter tout risque ou toute suspicion de surcompensation. La logique actuelle conduit plutôt à une sécurisation du dispositif. Il sera maintenu à court et à moyen termes, fournissant aux différents acteurs une certaine visibilité. Je ne crois nullement à l'indifférence de Bruxelles. Nous devons simplement être crédibles.

La question de l'accès aux fonds est néanmoins posée. Je reconnais que les démarches administratives sont problématiques, notamment pour les TPE qui ne disposent pas de l'ingénierie nécessaire. Nous devons améliorer les procédures. Toutefois, cette évolution n'est pas simple à engager. L'administration éprouve naturellement des difficultés à simplifier. Parallèlement, les autorités de gestion et les collectivités régionales doivent développer des stratégies d'appui en ingénierie pour que les dossiers soient plus rapidement instruits. Il conviendrait également d'évoquer le sujet du préfinancement des aides pour les TPE qui rencontrent des problèmes de trésorerie.

Cela étant, le débat sur les aides européennes ne doit pas occulter la réflexion sur le développement de ces économies. Nous devons non seulement entretenir les secteurs existants, c'est essentiel, mais il faut aller au-delà en portant des projets économiques de territoire. Je ne suis pas certain que nos outre-mer soient doués pour bâtir des programmes élaborés ensemble et consensuels. J'ai pu observer cette insuffisance au cours de ces deux dernières années. Là réside un handicap contre lequel l'Union ne peut rien. Il faut apprendre à bâtir des projets de développement économique dans nos outre-mer, partie intégrante de projets de territoires.

Ainsi, les conditions de la réussite sont les suivantes : être animé d'une franche volonté d'aboutir, rechercher le consensus, faire le choix de priorités et concentrer les demandes sur quelques secteurs stratégiques pour l'avenir. Le discours ne doit pas se limiter à l'évocation de nos difficultés, mais mettre également en avant nos potentiels : l'économie verte, l'économie bleue, la numérisation, la maritimisation du monde. Toutes ces évolutions donnent aux RUP les moyens de devenir compétitives dans leur environnement régional.

Outre un certain nombre de mesures importantes, la loi EROM nous fournit un cadre conceptuel. Les outre-mer doivent aujourd'hui construire leurs propres modèles de développement. Il est intéressant que cette ambition figure dans la loi. Chaque collectivité doit trouver dans son environnement les propres conditions de son essor. Cette loi offre également un cadre d'élaboration, le plan de convergence dont nous attendons beaucoup.

Ce texte constitue un creuset pour établir un diagnostic partagé des handicaps et des opportunités de chaque territoire, pour construire ensuite une stratégie de développement avec l'aide de l'Union européenne et de l'État. Dès lors que cette démarche aura été adoptée, les inquiétudes concernant le devenir des fonds européens seront, je le crois, au moins en partie dissipées.

Quatrième table ronde - Innovation et solidarité, des clés pour l'avenir

Animateur de la table ronde

Luc HALLADE,

Ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien

Propos introductif

Odette HERVIAUX, Sénatrice du Morbihan

Monsieur le Président de la Délégation aux outre-mer,

Mesdames et messieurs les Parlementaires et Élus,

Monsieur l'Ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien,

Monsieur le Directeur général des outre-mer,

Monsieur le Président de la Fedom,

Mesdames et messieurs,

Chers amis,

Les Bretons ont toujours des cousins installés outre-mer. C'est pourquoi nous sommes particulièrement attentifs à ces territoires.

Il me revient d'introduire la quatrième et dernière table ronde de notre conférence, une table ronde ne réunissant pas moins de quinze intervenants, ce qui d'emblée en illustre l'attractivité !

Les thèmes retenus, qui portent notre regard vers l'avenir des territoires, sont en effet particulièrement séduisants et vont permettre de montrer combien nos départements de l'océan Indien sont en pointe !

La première séquence retient le principe de solidarité comme un gage de développement économique équilibré, moyen de lutte contre la fracture sociale à l'intérieur des territoires ou gage de stabilité et de régulation des flux démographiques dans le cadre régional.

À La Réunion comme à Mayotte, l'économie sociale et solidaire, l'ESS, a ainsi rapidement pris son essor :

- à La Réunion, le mois de novembre est depuis 2014 proclamé « mois de l'ESS » et a pour objectif de mettre en lumière les acteurs, les initiatives et les bonnes pratiques. Dans de nombreux secteurs, traditionnels ou émergents, associations, coopératives, mutuelles ou fondations représentent quelque 24 000 emplois et 2 000 établissements : c'est colossal !

- à Mayotte, où la situation économique et sociale est très préoccupante, l'économie sociale et solidaire a le vent en poupe et peut représenter une planche de salut : la Chambre régionale de l'économie sociale et solidaire (Cress) s'est d'ailleurs vu conférer fin 2016 le statut d'association d'utilité publique... et je veux à ce stade saluer l'action menée par notre collègue sénateur Thani Mohamed Soilihi qui met son énergie, que l'on sait grande, au service de cette cause ! Ce secteur à Mayotte mobilise déjà près de 350 structures.

Avec la reconduction pour 2017 par le Gouvernement de l'appel à projets ESS à hauteur de 2,5 millions d'euros a été ajouté un secteur d'éligibilité, celui de l'intégration des outre-mer dans leur environnement régional. Cela permettra par exemple d'encourager la promotion et l'exportation des savoir-faire locaux, l'intégration dans des projets locaux de partenaires des bassins régionaux ou encore la mutualisation de démarches... les lauréats seront connus très prochainement, courant mars.

La solidarité doit en effet également se déployer au plan régional, à travers la coopération économique notamment, pour éviter la déstabilisation provoquée par les flux migratoires et le déferlement de la misère humaine. Or, il ne faut pas oublier que nos départements font figure d'eldorado dans leur environnement régional, de par leurs niveaux de vie et la sécurité, sanitaire notamment, qui y prévaut. Notre président de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer, Michel Magras, a rappelé des chiffres éloquents en ouverture de nos travaux !

L'attractivité qui résulte de cette situation enviable menace gravement et à court terme la pérennité de l'épanouissement de nos territoires : l'impératif d'une coopération économique régionale plus dynamique, impliquant tous les acteurs publics et privés, constitue donc une urgence et nous verrons que la mobilisation est en cours !

La seconde séquence de notre dernière table ronde est très excitante car elle illustre la créativité de nos territoires ultramarins de l'océan Indien. Autant vous dire que nous avons dû endiguer l'afflux des candidatures pour y présenter des réalisations... mais n'ayons pas trop de regrets car nous pourrons ainsi organiser d'autres événements et avoir le plaisir de vous inviter à nouveau !

Nous commencerons par les territoires de l'océan Austral et les îles Éparses et les enjeux de la recherche face aux défis environnementaux, en particulier le dérèglement climatique. Rappelons que notre pays, deuxième puissance maritime mondiale par la superficie de sa zone économique exclusive, vient de multiplier par 30 l'étendue de sa réserve naturelle des terres australes.

Nous verrons également comment l'innovation peut dessiner l'avenir dans des secteurs clés comme l'économie bleue, l'énergie, le numérique ou encore le domaine médical. Avec sa technopole d'entreprises, son pôle de compétitivité Qualitropic ou encore son cluster maritime, entre autres, La Réunion constitue une terre d'innovation qui montre la voie !

Notons qu'une Agence de développement et de l'innovation vient de naître à Mayotte sous la forme d'un groupement d'intérêt public dont le but est de promouvoir, valoriser et participer au développement économique de Mayotte en se consacrant notamment à l'accompagnement des entreprises pour le montage des dossiers de demande de subvention pour les fonds européens.

Après ce très rapide tour d'horizon, alors que le temps nous est compté et les présentations à venir nombreuses composant un programme très alléchant, je cède sans plus tarder la parole aux intervenants.

Je vous remercie.

Première séquence - Privilégier la solidarité pour un développement économique équilibré, interne comme externe

Ben Amar ZEGHADI, Directeur de la Chambre régionale de l'économie sociale et solidaire de Mayotte

Je félicite La Réunion pour sa capacité à porter son économie, ses enjeux et ses problématiques, à capter et mobiliser les fonds européens pour leur développement. Mayotte n'y parvient pas aussi bien. Toutefois, la réalité réunionnaise ne doit pas servir d'étalon pour l'ensemble des territoires. Ainsi que le mentionnait la sénatrice Odette Herviaux, La Réunion accueille 24 000 emplois et 2 000 établissements de l'économie sociale et solidaire. À Mayotte, nous ne comptons qu'un millier d'emplois pour 348 entreprises 10 ( * ) .

La Chambre régionale de l'économie sociale et solidaire (Cress) a vu le jour récemment, le 26 juin 2014, à l'initiative du sénateur Thani Mohamed Soilihi. Il présidait alors l'association mahoraise de lutte contre toutes les formes d'exclusion (Tama). Une telle chambre est l'écho de son territoire. Elle réunit aujourd'hui 509 emplois et ses membres disposent de 20 millions d'euros de budget. Leurs actions touchent 14 % de la population mahoraise, notamment par l'intermédiaire de mutuelles et d'associations. Nous espérons bientôt agir auprès d'entreprises plus classiques dans leurs formes, lorsque nous auront la possibilité d'instruire l'agrément « Entreprise solidaire d'utilité sociale » (Esus) qui n'est toujours pas applicable à Mayotte.

La Cress n'a pu se déployer qu'à partir de l'ordonnance du 7 avril 2016. Notre développement s'est ensuite accéléré. Je me rappelle madame la ministre des outre-mer arrivant à Mayotte, le 29 septembre, pour inaugurer la Cress. Dès le 13 décembre, elle était agréée d'utilité publique, grâce à une convention tripartite. À ce titre, je salue l'engagement du Conseil départemental et de l'État à nos côtés. Comme l'indiquait le sénateur Mohamed Soilihi, l'économie sociale et solidaire constitue l'ADN de notre île et l'identité de sa zone.

Nous allons nous trouver confrontés à des difficultés, en raison notamment de la configuration de l'économie à Mayotte. Une économie articulée autour d'un secteur formalisable et d'un autre qui ne le sera pas en l'état. Nous pouvons bien sûr aider les acteurs locaux mahorais à se structurer. Toutefois, la pression démographique est telle qu'une entreprise sur deux n'est pas dans la légalité. Comment devons-nous procéder face à cette économie informelle qui a un effet de dumping sur l'existant ? Elle pourrait trouver une solution dans le cadre d'une coopération régionale inédite à condition de tenir compte de la géopolitique locale.

Traditionnellement, les échanges financiers sont structurés en chicoa , un modèle de financement à forte utilité sociale qui ressemble beaucoup au mode de financement collaboratif. Nous avons l'obligation d'être innovants en répondant au besoin de transposer ce modèle dans son format pour qu'il finance l'activité économique de proximité.

Il convient de ne pas réduire l'économie sociale et solidaire à des associations s'occupant de personnes handicapées grâce à des contrats aidés. 85 % des banques françaises relèvent de l'économie sociale et solidaire. J'entendais Maître L'Homme se réjouir de la fin du monopole des banques françaises. Elles ont pourtant accompagné jusqu'à présent le développement économique de notre nation. L'économie sociale et solidaire représente 10 % de l'emploi français et 13 % de l'emploi privé.

Le potentiel de développement de l'ESS sur Mayotte est exponentiel. Pourquoi dispose-t-elle de ces atouts ? Parce que l'économie y est basée sur deux leviers : la consommation finale et la commande publique. Ce second aspect recouvre la construction de routes, de foyers pour l'enfance, d'écoles, d'instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP), etc. Dans les prochaines années, à court terme, on estime à 500 le nombre d'emplois résultant des différents appels à projets portés par exemple par l'Agence régionale de santé (ARS) ou par la Direction de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DJSCS).

Mayotte dispose de ressources considérables pour l'économie sociale et solidaire, parce que, outre la structuration de son économie, sa population aborde la réalité de façon pragmatique. Par exemple, la Cress, au-delà de ses missions régaliennes définies par l'article 6 de la loi du 31 juillet 2014, a créé un dispositif d'achat socialement responsable. Il permet l'inclusion des clauses sociales et environnementales dans les marchés publics. L'objectif étant ici de permettre à tous, notamment aux structures d'insertion par l'activité économique (SIAE), de bénéficier pour leurs publics des effets d'une commande publique.

Depuis le 30 septembre, la Cress est membre du Conseil national des chambres régionales de l'économie sociale (CNCRES). Nous créerons prochainement une caravane de l'économie sociale et solidaire. Nous nourrissons beaucoup d'espoir et d'optimisme. Nous devons simplement être attentifs à l'équilibre régional, à notre capacité à déployer l'économie sociale et solidaire, à partir de Mayotte vers l'ensemble du canal du Mozambique. C'est pourquoi à la fois les politiques publiques et des moyens idoines doivent être revus (contrat de plan État-région (CPER), fonds européens,...) pour permettre un développement économique équilibré dans la zone. Nous y veillerons dans le cadre de la prochaine conférence régionale.

Gérard RANGAMA, Président-directeur général de Soleil Réunion

Issu d'une famille monoparentale, mon expérience dans l'économie sociale et solidaire s'est dessinée au moment où j'ai intégré le régiment du service militaire adapté de La Réunion, il y a quelques années. J'ai dû m'efforcer pendant ces quelques mois de respecter à la lettre la discipline militaire, l'apprentissage des prérequis professionnels qui représentent pour moi le socle de mon évolution future.

À la suite de ce parcours, je me suis investi avec les jeunes de mon quartier, au Chaudron, en créant plusieurs associations pour l'insertion des jeunes en difficulté, dispositif qui m'a permis d'apprendre les bases de la création d'entreprise avec la collaboration de divers partenaires, dont les services de l'État, les chambres consulaires, etc.

Après les événements de 1991 à La Réunion, j'ai décidé de poursuivre mon initiative en créant une passerelle économique entre les petits producteurs de fruits et légumes des Hauts de La Réunion et les jeunes de ma cité, mettant à leur disposition des formations composées de techniques de vente des produits du terroir. Mon objectif était de former une synergie afin de créer une structure d'expérimentation économique où des jeunes en difficulté seraient formés sur un parcours d'insertion pour valoriser les produits du terroir de La Réunion, en partenariat avec les petits agriculteurs.

En 2008, Soleil Réunion est agréée entreprise d'insertion, elle est spécialisée dans la transformation et la commercialisation de produits du terroir innovants tels que condiments, confitures pays, épices, plats cuisinés et lentilles de Cilaos en conserve, une gamme de plus de 150 références.

Depuis le début de cette belle initiative, ce sont plus de 500 jeunes qui ont pu bénéficier de notre solidarité grâce à un volet social innovant, avec la création d'un parcours d'insertion composé d'un accompagnement professionnel incluant un service d'écoute, d'accueil, une période d'immersion dans l'activité de production, la réalisation d'une évaluation axée sur le savoir-faire et savoir-être et surtout l'application au quotidien d'une rigueur militaire. À la suite de cela, les jeunes bénéficient de débouchés professionnels solides à La Réunion et en métropole.

La mobilité est également une composante essentielle de notre objectif : nous exportons nos produits à Maurice. Les produits Soleil Réunion sont vendus dans 170 points de vente en métropole et nous participons également au Salon de l'agriculture depuis plusieurs années.

J'ai su relever le défi et démontrer qu'à travers une expérimentation d'économie sociale et solidaire et grâce à plusieurs années de formations intenses, j'ai pu créer mon emploi tout en étant solidaire avec mes compatriotes. Ma passion pour l'insertion des jeunes, l'innovation, le tourisme, l'export et surtout mon engagement pour le développement de mon île, m'a permis d'être élu entrepreneur de l'année de La Réunion en 2013 Tecoma Award . Grâce à mon sérieux et ma très grande rigueur, j'ai pu convaincre l'ensemble de mes partenaires de cofinancer un investissement de 2 millions d'euros pour la construction d'une usine agroalimentaire. Mon objectif est de transformer et d'exporter à moyen terme plus de 250 tonnes de fruits et légumes transformés. Nous sommes actuellement 20 salariés encadrants et nous souhaitons accompagner chaque année à travers notre concept un maximum de jeunes en situation de difficulté sociale, SDF, etc.

Au travers de cette belle expérience, je peux vous dire en toute objectivité que l'île de La Réunion est bien un territoire d'expérimentation pour l'économie sociale et solidaire, avec comme socle essentiel des porteurs de projets investis par l'envie, l'engagement, la passion, portant des valeurs de solidarité et de travail, cruciales pour réussir ce beau challenge. Nous transmettons au quotidien de l'énergie, du temps, de l'attention, afin de créer chez nos jeunes de la confiance, du stimulus, qui sont les leviers et moteurs importants de la réussite de soi.

Nous voyons également que, pour gagner le combat sur l'exclusion et l'indifférence, il est important de miser sur nos atouts composés de notre jeunesse, des agriculteurs, des centres de formation, du régiment du service militaire adapté. Les services de l'État doivent accompagner avec une démarche pédagogique, et non une démarche répressive, et surtout éviter le principe de précaution exagérée.

En conclusion, je dirai que nous sommes tous dans une démarche de recherche de solutions et surtout de vérité. Avec du recul et par rapport à mon expérience, je peux affirmer ici que la vérité est un miroir brisé. L'île de La Réunion est une communauté de destin, une terre d'innovations où chacun de nous détient une partie de cette vérité.

Soifaoui LOUTFI, Président de l'association iD En Or

Diffusion d'une vidéo sur l'association iD EN OR.

À Mayotte, l'économie sociale et solidaire est très importante et constitue une nouveauté. Comme le disait Ben Amar Zeghadi, elle fait partie de notre identité. Pourquoi en sommes-nous aux balbutiements de cette activité ? Parce que l'économie sociale et solidaire souffre d'un défaut de promotion. Lorsque nous avons créé l'association iD EN OR, elle s'appelait d'abord association pour la promotion de l'économie sociale et solidaire à Mayotte.

Nous nous définissons comme une fabrique à idées. Notre équipe compte trois personnes. Nous sommes de jeunes mahorais ayant quitté l'île et y étant revenus. Nous n'avons pas besoin d'être nombreux, mais d'être structurés pour porter des projets. Nous essayons d'identifier les manques du territoire. Ensuite, nous rédigeons, portons des projets et nous efforçons de trouver des acteurs sur le territoire.

Ce matin, j'entendais certains souligner l'absence de projets à Mayotte. Certes, beaucoup de foyers n'ont pas accès à l'eau, sauf dans la capitale. Certes, le Nord souffre de problèmes d'insécurité, mais ce sentiment est renforcé par les réseaux sociaux. Toutefois, ne nous satisfaisons pas de cette représentation négative. Il existe de nombreuses initiatives positives, de jeunes créateurs d'entreprises.

Dans la vidéo que j'ai diffusée, beaucoup de Mahorais semblaient ne pas connaître l'économie sociale et solidaire. Pourtant, nombre d'entre eux la pratiquent au quotidien. Nous devons donc procéder à un travail de vulgarisation. Les Mahorais ont coutume de dire qu'ils ne croient que ce qu'ils voient. Grâce à une aide de la Direction des affaires culturelles de la préfecture de Mayotte, nous avons réalisé des vidéos et un site Internet pour promouvoir les activités existant déjà.

Dans un second temps, nous avons veillé à identifier des projets sortant de l'ordinaire. Les Mahorais ne manquent pas d'idées, mais ils rencontrent des difficultés pour leur donner un contenu opérationnel. Par exemple, nous travaillons actuellement sur les mamas shingos ou le sel de Bandrélé, qui aurait des vertus médicinales. Les touristes viennent visiter l'écomusée du sel, mais cette activité n'est pas encore porteuse d'emplois. Nous allons développer le marketing du produit pour le rendre vendable et exportable.

Nous agissons aussi pour le maintien de la guitare mahoraise, pour la création d'une auto-école solidaire destinée à favoriser l'employabilité des habitants, notamment des personnes à mobilité réduite, pour la création d'une marque de vêtements solidaire pour les enfants. Nous ne souhaitons pas simplement développer l'activité, mais réussir à former la population. Nous agissons ainsi pour gagner en crédibilité et porter l'avenir de Mayotte.

Éric JEUFFRAULT, Directeur régional Réunion-Mayotte-océan Indien du Cirad

Au coeur de l'océan Indien, le Cirad participe aux réflexions de la recherche internationale sur la sécurité alimentaire, le développement durable et l'adaptation de l'agriculture au changement climatique. À La Réunion, les travaux sont menés dans le cadre d'un accord-cadre signé avec l'État, le conseil régional et le conseil départemental de La Réunion pour la période 2015-2020 et bénéficient à ce titre des fonds européens du FEDER et du FEADER. À Mayotte, les projets sont conduits dans le cadre d'une convention avec l'État. L'ensemble des recherches rayonne dans la zone océan Indien à travers des projets de coopération régionale, coordonnés au sein d'une plateforme régionale de recherche en agronomie pour le développement (PRERAD) sous l'égide de la Commission de l'océan Indien.

Les objectifs de l'intervention du Cirad à La Réunion sont en phase avec la stratégie bioéconomique de l'UE, adoptée le 13 février 2012, et la Stratégie de spécialisation intelligente (S3) Réunion sur « La Réunion productrice de solutions en bio-économie tropicale au service de l'économie du vivant ». Ils prennent en compte, par ailleurs, les grandes orientations stratégiques de soutien au développement de l'agriculture et des filières portées par le Programme réunionnais de l'agriculture et de l'agroalimentaire durables (ou PRAAD) 2014-2020, qui a été adopté le 25 juin 2014. Cette nouvelle structuration des programmes de recherche et d'expérimentation permet au Cirad d'intervenir au niveau local en réponse aux priorités du territoire, mais aussi au niveau régional dans le cadre de la Commission de l'océan Indien, et contribue plus largement au rayonnement international de son activité et de celle de La Réunion. À Mayotte, les projets du Cirad sont en phase avec les priorités locales portées par le réseau d'innovation et de transfert agricole (Rita).

À La Réunion, les recherches sont menées au sein de quatre grands dispositifs thématiques :

- biodiversité et santé végétale ;

- réseau de santé animale et humaine, notamment à travers le concept One Health ;

- co-construction de systèmes agroalimentaires de qualité ;

- services et impacts des activités agricoles en milieu tropical.

À Mayotte, les actions sont portées au travers de trois grands projets sur l'amélioration des filières végétales et animales, l'exploitation meilleure des biomasses issues de l'agriculture ; en réponse à un appel à projets porté par les fonds européens du FEADER et avec le soutien du conseil départemental de Mayotte et de l'État (DAAF).

Les résultats des recherches sont diffusés aux professionnels de l'agriculture à travers les réseaux Rita. L'objectif est de renforcer l'articulation entre sciences et pratiques au service du développement de la production agricole et agroalimentaire. Ce renforcement est permis par le développement du transfert de connaissances, de pratiques et de technologies, le renforcement du lien entre centres de recherche, enseignement supérieur et entreprises.

Dans l'océan Indien, les projets de coopération sont coordonnés au sein de la plateforme régionale de recherche en agronomie pour le développement (PRERAD).

À La Réunion, cela concerne 170 agents permanents (70 chercheurs, 100 techniciens), plus de 20 doctorants et près de 100 stagiaires par an ; 14 000 m² de laboratoires, serres, bureaux sur deux sites principaux à Saint-Denis et Saint-Pierre (pôle de protection des plantes) ; 35 hectares de terrain d'expérimentation sur quatre stations (Bassin Plat, La Mare, Ligne-Paradis, Colimaçons).

À Mayotte, cela concerne 5 agents, dont 3 permanents et 3 stagiaires en moyenne par an.

À l'horizon 2050, l'augmentation prévisible de la population, les nouveaux échanges en matière économique, mais aussi le changement climatique et son impact sur les sociétés, les territoires et leurs ressources nous obligent à anticiper pour relever les défis alimentaires et environnementaux sans précédent. Pour les pays membres de la Commission de l'océan Indien (COI), Il s'agit ainsi de parvenir à :

- assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations ;

- adapter l'agriculture aux changements globaux, dont le changement climatique ;

- préserver l'environnement et la biodiversité ;

- protéger la santé humaine, animale et végétale et prévenir les risques pour mieux les anticiper ;

- maintenir indirectement l'emploi agricole et consolider les revenus, pour un développement économique durable.

Pour relever ces défis communs, les pays de la Commission de l'océan Indien misent sur la recherche, l'innovation, le développement, la formation et le travail en réseau public-privé pour mieux coordonner leurs actions.

Aussi, une PRERAD a été mise en place pour fédérer les compétences du grand océan Indien afin de relever les défis d'un développement agricole durable. Cette plateforme regroupe les forces de recherche des pays membres de la COI, à savoir les Comores, Maurice, Madagascar, les Seychelles et la France, notamment celles basées à La Réunion (celles du Cirad mais aussi toutes les autres concernées dans les domaines de l'expérimentation, de la formation et du développement agricole).

Ainsi, PRERAD mobilise actuellement 150 institutions de recherche, d'enseignement supérieur, de formation et de transfert des pays de la Commission de l'océan Indien.

La PRERAD constitue un atout et un pari unique pour répondre plus efficacement et dans des délais restreints aux défis posés, notamment en cas de crise. C'est sous la houlette du Cirad, de la Commission de l'océan Indien et soutenu par la région Réunion, l'État français (Préfecture de La Réunion) et l'Europe à travers les fonds du FEDER Intereg V, qu'a été signé en juin 2014 un accord instituant les modalités de création de la plateforme PRERAD.

La plateforme constitue plus globalement un réseau de compétences immédiatement fonctionnelles, d'acteurs (déjà reconnus), qui se connaissent et travaillent depuis de longues années au service de projets communs. Elle représente aussi un catalyseur pour accélérer la concrétisation des résultats de la recherche, voire pour faire émerger de nouveaux projets et d'autres réseaux.

PRERAD s'est dotée d'une gouvernance à haut niveau au travers d'un comité de pilotage (Copil) de rang ministériel, et d'un comité régional d'orientation scientifique et technique (Crost), organe opérationnel de programmation et de mise en oeuvre. À ce stade, deux Crost, en juin 2015 et en octobre 2016, ont permis de jeter plus concrètement les bases de la plateforme. Les résultats des travaux du Crost ont été traduits dans une première feuille de route validée par le premier Copil fondateur, en septembre 2015 à Ebène (Maurice), siège de la COI. Ce Copil a pu réunir à cette occasion l'ensemble des ministres de l'agriculture des pays concernés (Comores, Maurice, Madagascar, Seychelles et des représentants du préfet de La Réunion et du président de la région Réunion pour la France), en présence du secrétaire général de la COI. L'animation de la gouvernance a été confiée au Cirad dans le cadre d'un accord de financement porté par le FEDER Intereg V et la région Réunion.

Les objectifs poursuivis par la plateforme sont les suivants :

- favoriser l'excellence en recherche-innovation-formation ;

- faciliter la mise en réseau des acteurs locaux, régionaux et internationaux face aux grands défis alimentaires et environnementaux ;

- encourager le partenariat public-privé pour le développement de la zone océan Indien ;

- partager l'innovation scientifique, technique et sociale au profit des agricultures d'aujourd'hui et de demain ;

- mobiliser les expertises pour la gestion de crises (alimentaire, sanitaire et environnementale) ;

- favoriser l'émergence d'une stratégie régionale de recherche agronomique et environnementale.

La PRERAD a convenu des principes d'action suivants :

- accueils et échanges de scientifiques, de techniciens et plus globalement des acteurs des agro-sciences ;

- montage de projets régionaux et d'actions conjointes en coopération ;

- développement de partenariats régionaux et internationaux ;

- apprentissage mutuel, formation et enseignement supérieur en privilégiant l'accès à tous ( e-learning - à cet effet un projet est en cours de définition avec l'appui d'Agreenium France) ;

- mise à disposition, facilitation et mutualisation de moyens (infrastructures, expertise, etc.) ;

- renforcement des infrastructures de recherche et des capacités ;

- transfert d'innovations et des savoir-faire, mise en commun des expériences et des résultats.

PRERAD soutient déjà cinq grands réseaux d'expérience implantés dans des domaines clés des agricultures actuelles et de demain :

- l'élevage et l'adaptation au changement climatique (réseau Arche_net) ;

- la santé animale, la veille et la gestion des crises (réseau One Health ) ;

- la santé végétale et la biodiversité (réseau PRPV) ;

- les ressources génétiques (réseau Germination) ;

- la qualité des aliments (réseau Qualireg).

Ces réseaux fonctionnent pour la plupart depuis plus de 5 ans.

Sur la base des thématiques des réseaux existants dans l'océan Indien et de leurs résultats, cinq grands projets structurants ont été identifiés et validés lors du premier comité de pilotage de PRERAD, en septembre 2015 à l'île Maurice. Il s'agit des projets Eclipse, Epibio, Germination, Qual'innov et Troi. Ces projets s'appuient sur les cinq grands réseaux existants.

Les cinq projets répondent à des besoins forts exprimés par les acteurs des filières agricoles et des acteurs de l'environnement dans l'océan Indien. Ils sont soutenus financièrement, notamment par le programme Interreg V de l'Union européenne géré par la région Réunion, mais aussi pour partie par le Fonds de coopération régionale de l'État français. Le Cirad apporte aussi sa contribution financière, en plus du rôle d'animation qui lui a été délégué.

Le réseau Arche Net est un réseau pour l'adaptation des systèmes de ruminants aux changements globaux. Depuis 2012, il développe et partage des outils pour caractériser et valoriser les ressources (sol, biomasse, animaux), évalue et met en oeuvre des stratégies d'adaptation aux changements des systèmes d'élevage de ruminants. Les professionnels de l'élevage sont en effet confrontés à la nécessité d'adapter leurs systèmes de production aux contraintes et aux changements environnementaux et socio-économiques (aléas climatiques, volatilité du prix des intrants, couverture d'une demande alimentaire croissante...).

En s'appuyant sur le réseau Arche Net, le projet Eclipse porte l'accent sur l'accroissement des échanges agriculture-élevage et le transfert des résultats aux professionnels de l'élevage à La Réunion et dans les pays partenaires. Dans cette optique, et à la demande des différents acteurs du réseau, il tente d'améliorer la production et la conservation des fourrages, d'adapter les systèmes d'élevage à différentes échelles, de l'animal au troupeau, et d'évaluer les résiliences écologique et économique des territoires d'élevage.

Actuellement, le réseau est constitué d'une trentaine de partenaires répartis dans sept pays (Afrique du Sud, Australie, Inde, Madagascar, Mozambique, France-Réunion, Union des Comores).

Depuis 2010, le réseau scientifique et technique QualiREG oeuvre en partenariat pour la valorisation des produits agroalimentaires de l'océan Indien et la protection des consommateurs. Ce réseau de recherche appliquée, très opérationnel, se consacre à l'innovation, au transfert de technologies et à la formation. QualiREG se positionne ainsi comme une référence régionale en matière de caractérisation et d'amélioration des produits et des procédés, mais aussi de gestion des dangers sanitaires alimentaires.

Il accompagne l'émergence de produits animaux et végétaux innovants de qualité et de filières agroalimentaires durables. Il rassemble des acteurs très diversifiés, des secteurs publics et privés, qui s'organisent en clusters , ou grappes d'entreprises, véritables incubateurs d'innovation. Les travaux de QualiREG visent ainsi à faciliter les échanges commerciaux dans le Sud-ouest de l'océan Indien et contribuent ainsi à relever les grands défis de sécurité alimentaire et nutritionnelle.

Le réseau QualiREG porte le nouveau projet Qual'innov qui permet de poursuive plus globalement les actions déjà initiées précédemment au sein du réseau.

Le réseau est actuellement constitué de 60 partenaires répartis dans six pays : France-Réunion, Maurice-Rodrigues, Madagascar, Union des Comores, Seychelles, Afrique du Sud.

Le réseau One Health -OI, depuis une dizaine d'années, étudie les risques zoo-sanitaires du Sud-ouest de l'océan Indien, zone fortement exposée à la menace épidémique. Pour protéger les différentes filières d'élevage et les populations locales des maladies infectieuses et zoonotiques, One Health -OI a développé des outils de veille et de diagnostic innovants tout en proposant des formations spécifiques à ses membres et partenaires. Réseau de recherche et d'actions sanitaires, il se compose de personnalités appartenant à différentes institutions des pays de la Commission de l'océan Indien. Dans le cadre du projet Troi (Traquer les Risques sanitaires dans l'Océan Indien), le dispositif travaille en lien étroit avec le réseau SEGA- One Health , en charge de la surveillance. Parce que 60 % des maladies émergentes chez l'homme sont d'origine animale, les deux réseaux mènent de front une stratégie de lutte et de prévention contre ces pathologies et leurs impacts économiques.

Le réseau One Health est actuellement constitué de 24 partenaires répartis dans cinq pays : Afrique du Sud, Madagascar, Mozambique, France-Réunion, Maurice, Union des Comores, Seychelles.

Les réseaux PRPV pour Programme régional de protection des végétaux et germination ont développé des outils et une politique régionale pour la protection des plantes, de l'environnement et la durabilité de l'agriculture dans la zone océan Indien.

Du côté du PRPV, réseau constitué en 2001, l'accent est porté sur la santé végétale, l'épidémiosurveillance régionale des maladies et ravageurs des agrosystèmes et sur les solutions de biocontrôle respectueuses de l'environnement. Le réseau permet la veille, diffuse l'actualité et l'alerte sur les macroorganismes invasifs et les maladies végétales émergentes dans les îles de l'océan Indien. Depuis 2015, le projet Epibio poursuit les objectifs et les actions déjà portées par le réseau.

Le réseau PRPV est constitué de 25 partenaires répartis principalement dans cinq pays : Madagascar, Maurice, France-Réunion, Union des Comores, Seychelles.

L'objectif du réseau Germination est de préserver et valoriser l'agro-biodiversité dans l'océan Indien pour répondre aux défis de la sécurité alimentaire et du changement climatique. Comment ? En collectant, en répertoriant, en assainissant les ressources végétales et en diffusant les informations sur les ressources génétiques végétales agricoles, en développant un réseau régional de partenaires actifs dans la protection de ces ressources et en renforçant leurs compétences par des formations et des accompagnements.

Un volet sensibilisation et information est aussi présent, comme dans celui du réseau PRPV. Le réseau Germination est constitué actuellement de 30 partenaires répartis dans six pays : La Réunion, Madagascar, Maurice (Rodrigues), Union des Comores, Seychelles, Tanzanie (Zanzibar).

La PRERAD constitue donc une organisation originale, solidaire et très innovante en matière de mobilisation d'équipes de recherche agronomique, d'expérimentation et de développement agricole et de formation pour relever les grands défis de la sécurité alimentaire et des changements globaux en océan Indien. Il s'agit indéniablement d'une force de coopération régionale sans précédent.

Cette plateforme, dotée d'un niveau de gouvernance de rang ministériel, doit conduire les projets prioritaires pour appuyer plus efficacement les agricultures de demain et les politiques publiques dans ce domaine. Il s'agit d'un pari unique, certes complexe en matière de mise en oeuvre, car il n'est jamais simple de conduire des projets scientifiques et techniques concrets de coopération régionale à l'échelle de plusieurs pays. Mais c'est bien là que réside le savoir-faire de la plateforme et la plus-value attendue de son existence.

Pascal PLANTE, Premier Vice-président de la Chambre de commerce et d'industrie de La Réunion

Comment pourrions-nous envisager d'être solidaires si nous ne sommes pas amis ? La Réunion et Mayotte doivent favoriser leur rapprochement. Mon île est certes plus développée, mais, avec 850 000 habitants, elle ne constitue pas un marché autonome. Ce fait s'impose encore plus pour Mayotte. À ce titre, nous ne devons pas seulement envisager la solidarité comme une vertu, mais comme un enjeu stratégique pour le développement de nos territoires.

Deux des piliers de la mandature actuelle de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de La Réunion coïncident avec la problématique de cette table ronde. Premièrement, nous encourageons la solidarité pour mettre en oeuvre un accompagnement de proximité de nos entreprises. Deuxièmement, nous insistons sur l'importance du développement de notre économie à l'international. Le poids de cette seconde mission, quoique régalienne, varie suivant les mandatures. Pour notre part, nous lui accordons la priorité.

La Réunion et Mayotte disposent d'une dynamique sectorielle remarquable et de nombreux potentiels. Comment pouvons-nous parvenir à assembler ces forces ? Nous devons apprendre à nous unir pour conquérir des marchés. Les territoires doivent bénéficier d'un accompagnement pour mettre en oeuvre cette solidarité et agir de concert. La France a la chance de compter deux départements dans l'océan Indien. Ils doivent se donner la main.

Vous évoquiez la fondation de l'Union des chambres de commerce et d'industrie de l'océan Indien (UCCIOI). Je me rappelle le premier forum économique des îles de l'océan Indien. Un intervenant m'avait demandé : « Pourquoi La Réunion est-elle partie prenante de cette union ? En a-t-elle besoin ? » La Réunion ne connaît plus une croissance de 5 ou 6 %. La présence de Madagascar dans son voisinage peut par exemple lui permettre de poursuivre son développement. Pour que ces liens deviennent une réalité institutionnelle, l'entreprise doit disposer d'un accompagnement efficace. Grâce à cette solidarité, nous pourrons mener des actions en commun et gagner en efficacité.

Les activités économiques réunionnaises souffrent d'un manque de compétitivité lié à l'absence d'économie d'échelle. Cette faiblesse est commune à tous les territoires insulaires. De plus, la région présente des niveaux économiques très différents qui induisent une distorsion de concurrence. Cela étant, les échanges entre les îles de l'océan Indien sont très faibles puisqu'ils n'atteignent que 3,5 %. Le calcul de ce chiffre est probablement sujet à caution. À Madagascar, toute l'activité relevant des services est ainsi difficile à mesurer. Il n'en reste pas moins vrai que cette faiblesse des échanges est d'autant plus anormale que nous partageons une culture et une langue identiques.

Nous devons moins nous tourner vers Paris et envisager par nous-mêmes l'accroissement de notre espace d'activité dans l'océan Indien. Les plus importants partenaires commerciaux de La Réunion sont dans l'ordre l'île Maurice, Madagascar et les Comores. Le travail à réaliser dans ce domaine est considérable. Les produits qui s'échangent entre Maurice et nous sont surtout caractérisés par leur très fort degré d'innovation. Nous disposons de compétences et les opérateurs économiques n'ont pas attendu après les institutions pour développer leurs échanges. Nous devons ainsi faire du codéveloppement une réalité.

Je ne dirai pas que la CCI n'est pas en action. Je souhaite simplement insister sur l'importance de ses missions à l'international. Il nous appartient d'enclencher une dynamique, de porter une ambition, de travailler avec nos partenaires. Il est temps de poser les armes et de cesser les « combats de chapelles ». L'entrepreneur a besoin d'un accompagnement efficace. Business France lui assure l'établissement de contacts partout dans le monde. Il ne suffit pas d'affirmer que nous travaillons en réseaux, mais de leur fournir un véritable contenu et d'en retirer des bénéfices. Nous devons donner de la profondeur à la démarche d'accompagnement.

Je commençais mon propos en vous appelant des amis. Imaginez qu'une relation vous invite à manger et que jamais vous ne lui rendiez la pareille. Resterait-elle longtemps votre amie ? Aujourd'hui, il est extrêmement difficile pour les Malgaches et les Comoriens de venir à La Réunion. Comment pourrions-nous commercer avec nos voisins si nous leur refusons la possibilité de se rendre chez nous ? De surcroît, lorsqu'ils parviennent à nous visiter, ils sont souvent très mal accueillis par la police de l'air et des frontières (PAF). Le règlement de la problématique des visas et des déplacements constitue donc un préalable. Cet isolement ne répond pas à la tradition d'accueil réunionnaise.

Isabelle CHEVREUIL, Présidente de l'Union des chambres de commerce et d'industrie de l'océan Indien (UCCIOI)

L'Union des chambres de commerce et d'industrie de l'océan Indien (UCCIOI) est une association qui a pour objectif de renforcer la coopération entre les acteurs économiques des territoires qu'elle recouvre et notamment de :

- soutenir le développement des échanges économiques et commerciaux intra-régionaux ;

- valoriser les expertises et savoir-faire régionaux à l'international.

Elle regroupe sept chambres de commerce et d'industrie (CCI) ou fédérations de CCI, représentant ainsi 31 CCI et près de 100 000 entreprises sur les 6 territoires qu'elle regroupe (les Comores, Madagascar, Maurice, Mayotte, La Réunion et les Seychelles).

Population

Population

(% du total)

PIB

(% du total)

PIB total
en US dollar

PIB par habitant
en US dollar

Comores

784 474

3 %

1 %

565 689 764

717

Madagascar

24 235 390

88 %

20 %

9 738 652 322

402

Maurice

1 262 605

5 %

24 %

11 681 761 261

9 252

Mayotte

235 132

1 %

5 %

2 563 220 000

10 248

Réunion

850 996

3 %

46 %

21 869 720 000

23 424

Seychelles

92 900

0 %

3 %

1 437 722 206

15 476

Total

27 461 497

100 %

100 %

47 856 765 554

Sources : Banque mondiale et Insee (données 2015)

Bien que partageant un espace géographique, une histoire et des particularités insulaires, les territoires regroupés au sein de l'UCCIOI présentent des caractéristiques socio-économiques hétérogènes. Il apparaît ainsi que Madagascar concentre près des neuf dixièmes de la population totale de l'espace régional alors que le tandem Réunion-Maurice est à l'origine de plus des deux tiers de la production économique. Quant au niveau de vie par habitant, il se distribue dans un rapport de 1 à près de 60.

Cette hétérogénéité en matière de développement socio-économique peut toutefois présenter de nombreuses opportunités, particulièrement pour les acteurs économiques des territoires français de l'océan Indien.

Les territoires ultramarins de l'océan Indien ont développé des expertises dans certains secteurs d'activité, conciliant ainsi standards européens et adaptation à un environnement insulaire. Ces secteurs d'activité sont notamment : la gestion et la valorisation des déchets, l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables, l'innovation notamment dans le secteur du numérique ou encore de la santé.

Coopération régionale et opportunités économiques

Il s'agit de secteurs centraux pour le développement des îles voisines sur lesquels les acteurs ultramarins peuvent faire valoir leur expertise à travers des partenariats régionaux, leur permettant ainsi de :

- mettre à profit les compétences complémentaires existantes dans la région ;

- être plus compétitif à l'international du fait du coup du travail dans les territoires voisins ;

- gagner en masse critique pour mieux se positionner sur des marchés plus importants et ainsi dépasser l'étroitesse des marchés insulaires ;

- bénéficier, de manière interposée, des nombreuses relations commerciales préférentielles dont disposent nos îles voisines, notamment avec nos voisins de l'Afrique australe et orientale qui ont récemment créé le marché tripartite : un marché commun rassemblant 26 pays, 625 millions d'habitants et 1 200 milliards de dollars de produit intérieur brut.

Même si des précurseurs se sont déjà inscrits dans des partenariats régionaux, ce type de démarche reste rare, expliquant notamment le faible taux d'échanges commerciaux entre les îles de l'océan Indien (de l'ordre de 3 à 5 % des échanges commerciaux de l'ensemble des territoires de la région).

Il relève du mandat de l'UCCIOI de contribuer à encourager de tels partenariats. C'est dans cette perspective que s'inscrivent les projets mis en oeuvre par l'organisation.

Compte tenu du mandat de l'UCCIOI et de sa couverture géographique et sectorielle, l'Agence française de développement (AFD) lui a attribué la maîtrise d'ouvrage du Programme de renforcement des capacités commerciales dans l'océan Indien (PRCC-OI). Il s'agit d'un projet régional d'une durée de 3 années et bénéficiant d'une subvention de 2,4 millions d'euros dont les objectifs sont doubles :

- mettre en place des outils et services pour faciliter le repérage d'opportunités de partenariats régionaux et leur mise en oeuvre, particulièrement à travers une plateforme numérique dédiée aux affaires dans l'océan Indien, de nouveaux services offerts par les CCI dans l'objectif d'un meilleur accompagnement des opérateurs économiques dans leurs projets à dimension régionale ou encore la diffusion de bonnes pratiques en matière de « démarches cluster » ;

- structurer la coopération entre les acteurs de filières stratégiques régionales : l'écotourisme, les métiers maritimes, le numérique ainsi que la gestion et la valorisation des déchets.

En plus du PRCC-OI, l'UCCIOI mène d'autres projets dans le but de renforcer les relations économiques au niveau régional :

- le développement d'une plateforme régionale d'arbitrage et de médiation, dans le but de sécuriser les relations d'affaires dans la région par l'instauration de modes alternatifs de règlement des litiges ;

- la mise en place progressive d'une offre de formations régionales afin de favoriser une distribution optimale des formations dispensées dans la région et contribuer à une appropriation d'une identité régionale des étudiants à travers la mobilité au long de leur parcours d'étude ;

- une étude sur la faisabilité d'un dispositif de mentorat envers les jeunes entrepreneurs et porteurs de projet dans la perspective de concilier l'immersion dans les mondes entrepreneuriaux et économiques des îles voisines ;

- l'organisation de forums économiques régionaux, dont l'édition 2017 est consacrée à la coopération océan Indien-Afrique continentale, afin de favoriser la rencontre des acteurs économiques de la région et de leur donner l'opportunité de contribuer à la définition des actions prioritaires pour améliorer l'environnement régional des affaires ;

- le développement d'un plan d'actions avec l'Organisation internationale de la Francophonie sur le déploiement de la stratégie économique et numérique francophone dans l'océan Indien, afin de favoriser la complémentarité des actions pouvant être mises en oeuvre de manière conjointe ;

- l'échange d'expériences et d'expertises avec la chambre de commerce de Djibouti permettant ainsi de favoriser l'insertion de nos économies insulaires dans celles du continent africain.

L'UCCIOI contribue donc à accompagner la volonté affichée des opérateurs de l'ensemble des territoires qu'elle regroupe de travailler ensemble pour être plus pérennes et pour se lancer ensemble vers l'international.

En revanche, l'impact de son action dépend de certains facteurs qu'il est nécessaire d'améliorer pour une coopération économique facilitée :

- la lisibilité des économies de la région (expertises existantes, opportunités de marchés). La mise en place d'une plateforme numérique dédiée aux affaires dans l'océan Indien, de services de veille et de cartographie économiques dans le cadre du PRCC-OI, devrait contribuer à améliorer ce point. En revanche, un effort conséquent doit être fait pour accroître la visibilité et centraliser les offres et besoins en compétences dans la région afin de mettre à profit l'ensemble des expertises régionales au service d'un développement endogène ;

- la rencontre des opérateurs économiques :


• en soutenant des événements permettant aux opérateurs de se rencontrer, tel que le Forum économique des îles de l'océan Indien que nous organisons depuis dix années. En 2017, nous avons décidé d'ouvrir les perspectives en organisant un Forum économique de l'océan Indien sur le thème de la coopération océan Indien-Afrique, contribuant ainsi au développement des relations d'affaires avec les opérateurs de l'Afrique continentale ;


• en améliorant la mobilité des acteurs économiques dans la région, notamment avec des procédures facilitées pour l'obtention de visas de court séjour, particulièrement pour affaires ;

- la construction d'une réelle identité régionale :


• en favorisant dès le plus jeune âge la découverte des îles voisines et des points communs entre l'ensemble des territoires ;


• en travaillant sur une réelle stratégie économique de la France de l'océan Indien.

Seconde séquence - Des îles pour la recherche et l'innovation

Franck RIVAS-MANZO, Président de Corexsolar International

Corexsolar International, entreprise totalement réunionnaise, existe depuis 2005. Elle est impliquée à La Réunion et Mayotte. Nous sommes un acteur majeur du développement renouvelable. Nous sommes engagés dans les énergies renouvelables depuis plus de dix ans. Nous avons construit plus de 30 % du parc privé de La Réunion.

Entreprise certifiée, nous jouissons d'une expertise reconnue dans la conception de projets, dans le design et l'ingénierie, dans la construction de centrales photovoltaïques, dans l'exploitation et la maintenance, ainsi que comme investisseur et producteur d'énergie.

Notre domaine de compétence nous a permis de réaliser tous types de projets en lien avec la production d'électricité solaire : connectés au réseau, en injection directe, avec stockage d'énergie, off-grid , hybrides, au sol ou en toiture.

Depuis 2012, nous avons décidé d'exporter nos compétences comme développeur et opérateur photovoltaïque. Nous sommes aujourd'hui présents à La Réunion, Maurice, Madagascar et Mayotte. Nous assurons également une présence en Afrique.

Quelles sont nos perspectives à l'international ? Notre pipe de projets pour l'océan Indien représente environ 30 mégawatts en cours de développement. Il s'établit à 100 mégawatts pour l'Afrique. Nous venons de remporter l'appel d'offres de 5 mégawatts lancé par Central Electricity Board Mauritius .

Depuis quatre ans, Mayotte constitue un marché prioritaire. En 2013, 100 mégawatts de production électrique étaient principalement assurés par des centrales thermiques.

Les contraintes économiques et démographiques imposeront une augmentation de la consommation. Le solaire, l'une des principales énergies renouvelables mahoraises, représentait 13 mégawatts en 2012 pour environ 70 installations.

Entre 2012 et 2016, seuls 2 mégawatts supplémentaires ont été intégrés dans le réseau au travers de la centrale de Dzoumogné, que nous avons construite. Malheureusement, lors de la dernière campagne de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) pour les zones non interconnectées (ZNI), aucun projet n'a été retenu pour Mayotte.

Nos engagements et nos objectifs pour Mayotte sont les suivants :

- répondre aux besoins énergétiques du territoire ;

- consolider le système de production locale ;

- produire de l'électricité propre pour assurer l'autosuffisance ;

- participer à l'amélioration de la qualité de vie ;

- proposer des solutions innovantes, économes et génératrices d'emplois ;

- partager et transférer notre savoir-faire.

La centrale de Dzoumogné, construite en 2016, est maintenant raccordée au réseau électrique. Avec 2 mégawatts de puissance et 2 mégawattheures de stockage, elle est la plus importante de Mayotte. Elle représente un investissement de 7 millions d'euros, financé par Corexsolar et par une banque locale.

Nous avons également investi dans un projet de recherche et développement s'inscrivant pleinement dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Associés à Électricité de Mayotte, au vice-rectorat et à l'Ademe, nous bénéficions du soutien de la préfecture et du sénateur Mohamed Soilihi.

Nous souhaitons pallier les contraintes d'un réseau fragile, mieux utiliser les ressources énergétiques classiques et répondre à un accroissement futur de la demande, associé à une forte pénétration des énergies aléatoires.

Le projet consiste à construire une multitude de centrales photovoltaïques en îlotage pilotées virtuellement au travers d'un unique monitoring . Le dispositif s'accompagnerait de zones de stockage réparties sur le territoire.

Énergie Contrôlée doit contribuer à l'équilibre du réseau, à l'effacement des contraintes aléatoires et à l'intégration des besoins énergétiques dans une solution innovante et pérenne.

Ce projet est susceptible d'amplifier la dynamique économique locale. Il créerait les conditions nécessaires à l'émergence de start-up et à l'évolution des entreprises existantes. Nous souhaitons ensuite le dupliquer depuis Mayotte vue comme une terre d'innovation.

Steve ARCELIN, Directeur d'AKUO Energy - océan Indien

AKUO Energy se résume à quelques chiffres : 14 bureaux dans le monde, répartis dans 30 pays, 300 collaborateurs, 2 milliards d'euros d'investissement, 500 millions d'euros de fonds propres, 900 mégawatts en exploitation, 2 000 mégawatts en financement et en construction.

Quand nous avons créé notre maison-mère, Agrinergie, nous ambitionnions de faire cohabiter une production d'électricité et une production agricole. Nous ne voulions pas choisir entre une énergie et une alimentation propres.

Nous avons développé successivement plusieurs projets. La première génération consistait dans une centrale au sol construite par Corexsolar. Entre les panneaux, nous avons fait pousser de la citronnelle. Dans d'autres installations, on trouve du géranium, des fruits de la passion bio.

L'idée consistait donc à insérer un projet agricole « en intercalaire » et à structurer des filières. Au départ, nous avons été confrontés à beaucoup d'obstacles, notamment institutionnels. Aujourd'hui, AKUO dispose de 35 mégawatts en service et de 18 mégawatts de stockage. Nous sommes le premier acteur du photovoltaïque à La Réunion.

La deuxième génération de projet nous permet d'utiliser la totalité de la surface agricole. Il consiste dans des serres photovoltaïques établies chez Jean-Bernard Gonthier, président de la chambre d'agriculture. La production est biologique. 30 % sont destinés aux cantines scolaires du sud de l'île.

La troisième génération de projet est établie à Bardzour. Cette centrale photovoltaïque est établie autour de la prison du Port. Il s'agit de la première centrale de 9 mégawatts adossée à 9 mégawattheures de stockage. Cette installation relève de l'économie sociale et solidaire, car nous formons douze détenus par an à l'agriculture biologique de demain, sous serre, inspirée de la permaculture.

Nous disposons d'outils de travail performants et anticycloniques. Sur les douze détenus formés depuis un an et demi, dix ont été réinsérés, deux comme autoentrepreneurs et huit comme salariés d'Agriterra. La société compte maintenant vingt salariés.

Nous insistons sur la valorisation de cultures oubliées telles que les plantes aromatiques à parfum et médicinales (PAPAM), mais aussi les fruits de la passion, la citronnelle et le géranium. Nous avons signé des contrats avec LVMH, Guerlain, Dior, etc.

Le projet de Bardzour a été lauréat de la Fondation Nicolas Hulot devant cinquante autres concurrents. Le film Demain , de Cyril Dion et Mélanie Laurent, se fonde sur cette expérience vertueuse.

Nous avons ensuite décliné l'Agrinergie en Aquanergie, avec des ombrières aquacoles de 12 000 m 2 . Cette installation permet de protéger les ouvriers de la chaleur, de limiter le bloom algal et de protéger les alevins de leurs prédateurs.

Nous avons donc structuré une filière aquacole comme la filière horticole du projet Agrinergie 1 au Tampon. Nous importions environ un million de tiges d'anthurium de l'île Maurice. Nous en produisons maintenant 750 000. Citons également notre projet aquacole à l'Étang-Salé.

Nous bénéficions d'une véritable reconnaissance. Beaucoup d'hommes politiques nous ont rendu visite. Peu ont tenu leurs promesses. Heureusement, notre président de région est très engagé sur ces questions énergétiques.

Nicolas Hulot considère que des projets exceptionnels tels que le nôtre doivent devenir la norme. Pour le groupe, l'action locale présente un impact mondial, car La Réunion nous a servi de vitrine pour tous nos projets à l'international : Fidji, Indonésie, île Maurice, Madagascar, Mali, République dominicaine, Mongolie, etc.

Le siège social du groupe, conçu par un jeune architecte réunionnais, a été construit par la société Be Green de Jean-Fabrice Vandomel. Ce bâtiment bioclimatique a lui-même été doublement primé par l'Ordre des architectes et par les Réunionnais.

Source : Akuo Energy - (c) : Adrien Diss, Éric Legrand

Dominique VIENNE, Président de la Confédération des petites et moyennes entreprises réunionnaises (CPME Réunion)

L'article 19 de loi relative à l'égalité réelle outre-mer (EROM) constitue une innovation, car il crée les conditions pour procurer du travail aux entreprises locales.

Il est beaucoup question de transition énergétique et écologique. J'opère dans le secteur des micro-réseaux électriques intelligents, microgrids . Lorsque j'ai lancé mon activité, il n'existait pas de demande à La Réunion. J'ai dû me rendre à Bordeaux et à Lyon pour trouver des clients.

En effet, l'innovation ne consiste pas seulement à développer un démonstrateur. L'entreprise doit dépasser le stade de la start-up pour conquérir un marché et se développer à partir de son territoire.

À La Réunion, nous bénéficions de différentes stratégies : le schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie (SRCAE), la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), le plan de déplacement urbain (PDU), le Schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII), les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

À chaque fois, il convient de vérifier que les documents programmatiques associés à ces dispositifs incorporent de l'innovation, c'est-à-dire des clauses d'achat permettant aux entreprises locales de bénéficier d'un marché.

La Réunion a fait appel à une société métropolitaine pour mettre en oeuvre une solution de covoiturage. Ce projet constitue une innovation à La Réunion, mais pas une innovation de La Réunion. Elle ne fait appel à aucun savoir-faire local.

Pour que l'innovation concerne vraiment un territoire, la chaîne de valeur doit y être localisée : l'ingénierie, la recherche, le financement, la mise en oeuvre, le service après-vente, la déconstruction, etc.

Dans mon secteur d'activité, j'éprouve des difficultés à recruter des salariés. L'innovation ne se déploie pas sur le territoire parce que la formation initiale et continue n'a pas veillé à assurer la montée en compétences de nos populations.

La société Reuniwatt, qui opère dans le domaine du prédictif solaire, ne parvient pas à embaucher un spécialiste du data analytics . Il est malheureux que les acteurs locaux n'aient pas l'obligation de lui passer commande pour assurer son développement.

Pour créer de nouvelles filières à La Réunion, j'ai eu la chance de pouvoir m'appuyer sur mon activité de constructeur de centrales photovoltaïques. J'ai ainsi créé la société Teeo, spécialisée dans le management énergétique. Sans les achats de mes partenaires, je n'aurais pu développer cette activité innovante.

Il est nécessaire de financer l'innovation localement et de vérifier que l'investissement profite à des sociétés implantées sur le territoire.

Anne TAGAND, Sous-préfète, Secrétaire générale des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF)

Créées par la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 abrogeant le décret de 1924 qui rattachait alors ces terres au gouvernement général de Madagascar, les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) sont une collectivité territoriale mentionnée à l'article 72-3 de la Constitution et régie par une clause de compétence générale : les principes de spécialité législative et d'autonomie administrative et financière s'appliquent. La version actuelle de son statut résulte de la loi n° 2007-224 du 21 février 2007, qui lui rattache son cinquième district et fixe ses missions.

Les Terres australes et antarctiques françaises sont formées par l'archipel de Crozet, l'archipel des Kerguelen, les îles Saint-Paul et Amsterdam, la Terre Adélie et les îles Éparses. Ces dernières rassemblent les îles tropicales de l'archipel des Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India dans le canal du Mozambique et Tromelin au Nord de La Réunion. L'ensemble de ces terres procure à la France une zone économique exclusive (ZEE) de plus de 2 300 000 km² riches en ressources marines, qui contribue à donner à la France la deuxième emprise maritime au monde après les États-Unis.

Sans élus, sans habitants permanents, la principale caractéristique de ces îles est leur hostilité naturelle, leur isolement. La présence humaine y est assurée, au sein des bases installées sur chaque île, au prix d'une logistique complexe.

La collectivité dispose d'un budget d'environ 27 millions d'euros, alimenté par des ressources propres à hauteur de 80 % (impôts, taxes de mouillage, droits de pêche, philatélie, tourisme...) et par des subventions ou dotations des ministères des outre-mer, de l'écologie et de l'intérieur ainsi que des apports en personnel du ministère de la défense. Une grande partie de ce budget est consacrée aux charges d'affrètement des deux navires (Marion Dufresne et Astrolabe) qui assurent la desserte maritime des districts. La collectivité des TAAF est associée à l'Union européenne, en tant que pays et territoires d'outre-mer (PTOM) et bénéficie à ce titre d'un régime spécial, en particulier des financements du Fonds européens de développement (FED).

Le siège est installé depuis 2000 à Saint-Pierre de La Réunion où se situent les services centraux de la collectivité (directions de l'environnement, des pêches et des questions maritimes, des services techniques, des affaires administratives et financières, services juridique, médical...) ainsi que le préfet, administrateur supérieur à la tête de la collectivité.

Les principaux enjeux de la collectivité sont :

-  renforcer la protection du patrimoine naturel et culturel en général, par le développement direct ou indirect de la recherche, par les possibilités offertes par la réserve naturelle nationale des terres australes et par la défense des aires marines protégées en particulier ;

- améliorer la gestion durable et prudente de la ressource halieutique ainsi que les démarches de pêche raisonnée et labellisée ;

- oeuvrer pour maintenir une surveillance dissuasive dans les ZEE et assurer la souveraineté française en liaison avec le délégué du gouvernement pour l'action de l'État en mer (DDGAEM), préfet de La Réunion ;

- maintenir les moyens de desserte logistique ;

- mieux intégrer la collectivité des TAAF dans la zone Sud océan Indien ;

- explorer d'autres pistes de valorisation durable du patrimoine de ces territoires, notamment au travers d'activités éco-touristiques ;

- explorer les enjeux que représentent les ressources du sous-sol maritime.

Depuis la deuxième guerre mondiale et la création des TAAF en 1955, c'est bien la connaissance qui s'impose comme la formulation la plus crédible de la raison d'être de ces îles françaises du bout du monde. Cette vocation est particulièrement prononcée pour certaines disciplines : océanographie, sciences de l'univers, ornithologie, étude de la biodiversité...

L'activité de recherche dans les TAAF n'est pas pilotée directement par l'institution : si la compétence de la collectivité est pleine et entière pour le district des îles Éparses, l'Institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEV) est l'acteur incontournable du déploiement scientifique dans les terres australes et en Terre Adélie. L'IPEV pilote actuellement plus de 90 programmes de recherche dans ces territoires.

L'innovation dans ces territoires réside principalement dans l'articulation recherchée entre connaissance scientifique et restauration, protection et gestion du patrimoine naturel.

La notion de solidarité est incontestable dans la mesure où ces territoires constituent des observatoires privilégiés du changement climatique et du fonctionnement des écosystèmes, marins en particulier.

Le point commun de l'ensemble de ces enjeux est la connaissance.

La mise en oeuvre des activités de recherche est adaptée pour correspondre à des territoires d'exception. À l'image des territoires qui s'étendent du pôle Sud à 12° de latitude Sud, la recherche dans les TAAF présente une forte diversité qui ne doit pas être appréhendée comme un seul bloc : elle recouvre en réalité trois mondes séparés, où diffèrent les acteurs, le potentiel et les résultats obtenus :

- la zone antarctique est la plus compétitive pour la recherche au niveau international. La France se place au 5 e rang en matière de publications scientifiques antarctiques. En Antarctique, la recherche est également un enjeu politique : par un étonnant retournement de situation, la recherche y apparaît de plus en plus fréquemment comme un instrument de souveraineté pour les États-parties du traité de l'Antarctique. On constate ainsi une dynamique de multiplication des implantations scientifiques. La Terre Adélie est une zone d'observation clé pour les sciences de la Terre et la compréhension des changements globaux. Par exemple, l'étude des glaces antarctiques constitue la principale source pour reconstituer l'histoire climatique de la planète ;

Année 2015

Terre-Adélie

Dont IPEV-France

Dont autres nationalités (Concordia)

Tous personnels IPEV
(nombre de personnes)

253

15

Hors logistique scientifique (nombre de personnes)

142

15

Nombre de jours de mission

20 815

2 247

Source : IPEV, bilan d'activités 2015

- la zone subantarctique, qui réunit les trois districts austraux, est la plus méconnue pour la recherche. Peu d'États continuent, comme le fait la France, de mettre à profit ces territoires qui relèvent pourtant d'écorégions riches d'intérêt pour comprendre l'adaptation des espèces, le comportement des espèces marines migratoires, et observer les conséquences dramatiques des changements climatiques. Notre pays est la première source de publications dans cette région du monde ;

- la zone Sud océan Indien, comprenant les îles Éparses du canal du Mozambique et l'île de Tromelin, qui sont des écosystèmes coralliens très diversifiés, et précieux car globalement intacts dans une région fortement anthropisée. L'accumulation de connaissances à propos de ces milieux est très récente et a été fortement dynamisée à partir de 2010 en lien avec des dizaines de partenaires (universités mahoraises et réunionnaises, IRD, IFREMER, mécènes privés).

Auparavant éclatée entre les différents instituts de recherche et la mission de recherche des TAAF, la politique de recherche a fait l'objet d'une première unification en 1992 avec la création de l'IFRTP, devenu « Institut polaire Paul-Émile Victor (IPEV) ».

Groupement d'intérêt public (GIP) réunissant la totalité des acteurs, l'IPEV sélectionne, finance et soutient sur le terrain les programmes de recherche. Aujourd'hui, l'IPEV est, de très loin, le principal opérateur : avec 93 programmes en 2015, l'IPEV a effectué environ 34 000 jours de mission à terre dans les districts austraux et de Terre Adélie, soit 293 personnels scientifiques et un total de 416 personnels en y incluant les missions de logistique scientifique. Sur ces deux territoires, l'IPEV détient un quasi-monopole, incluant les activités du CEA, de Météo France, du CNES et de l'Ifremer, qui siègent tous à son conseil d'administration.

La première caractéristique est la prédominance de la recherche dite « fondamentale » par opposition aux applications industrielles. On notera deux aspects spécifiques :

- la mise en place de suivis d'observation, dans toutes les disciplines : géophysique, météorologie, populations aviaires, astronomie et astrophysique, adaptation des espèces. Grâce à ces territoires, la France dispose pour de nombreux paramètres des plus longues séries de données disponibles en Antarctique et Subantarctique ;

- la priorité particulière accordée au milieu marin, l'une des principales richesses des territoires des TAAF et qui est aujourd'hui de mieux en mieux reconnue comme un objectif d'avenir. Celle-ci est tirée à la fois par la qualité de l'infrastructure océanographique (Marion Dufresne après sa jouvence, et autres navires de la flotte océanographique française), et par la recherche appliquée mise en oeuvre afin d'appuyer la réglementation et la gestion durable de la pêche (contrôleur de pêche, campagnes halieutiques). 10 programmes océanographiques ont été réalisés par l'IPEV en 2016 à bord du Marion Dufresne, aux contenus variés.

La seconde caractéristique forte est la logistique. Pour les opérateurs de la recherche dans les TAAF c'est un souci constant car la dépendance est complète : un dysfonctionnement de la chaîne logistique conduit souvent à des interruptions de programmes. Ce paramètre rend acrobatique d'inscrire la présence scientifique dans la durée et d'organiser des suivis dans chaque discipline. C'est tout l'intérêt d'une institution historique telle que l'IPEV. La Terre Adélie est par exemple caractérisée par le fait que la logistique y est quasi intégralement gérée par l'IPEV, qui y consacre 41 % de son budget.

Cette politique a connu de profondes évolutions depuis le milieu des années 2000. Deux principaux changements ont affecté la politique de recherche :

- d'une part, le rattachement des îles Éparses aux TAAF en 2005, officialisé en 2007, a posé aux TAAF le défi de développer, sans cadre existant, une nouvelle politique de recherche adaptée à ces îles très éloignées de leur coeur de métier habituel ;

- d'autre part, nombre d'instruments de protection et de gestion du patrimoine naturel ont été formalisés, mettant en oeuvre la dynamique nationale et internationale en la matière. On peut citer la réserve naturelle nationale (RNN) des terres australes françaises, créée en 2006, gérée par les TAAF et étendue en 2016. Elle est désormais non seulement la plus grande réserve terrestre de France mais aussi la 4 e aire marine protégée du monde, et le parc naturel marin (PNM) des Glorieuses. Outre ces espaces protégés, il s'agit aussi de plans transversaux de protection des espèces : albatros, tortues marines, application de la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage (CITES).

Ces changements affectent les opérateurs :

- dans les îles Éparses, toute une galaxie d'opérateurs scientifiques est en train de se constituer autour de la politique de recherche mise en oeuvre par les TAAF ;

ILES ÉPARSES

Période

Opérateurs mobilisés

Rattachement au préfet de La Réunion

Pré-2007

CBNM Mascarin (Réunion), Université de la Réunion (laboratoire ECOMAR)

Consortium de recherche

2011-2013

Membres : CNRS-INEE, CNRS-INSU, IRD, Ifremer, MNHN, IPEV, AAMP ; FRB, Université La Rochelle, Institut de Physique du Globe (Paris), Chizé, Montpellier SupAgro, Kélonia (Réunion), Université de La Réunion (ECOMAR), UCSC (California Santa Cruz).

Financements privés : exemple de la fondation Total (programme PAMELA pour l'étude des marges passives)

18 programmes de recherche ; installation de stations de suivi : 80 pour les écosystèmes marins et coralliens, 240 pour la biodiversité terrestre, 10 en sciences de l'univers.

122 missions ont été réalisées entre 2011 et 2014 dont 114 dans le cadre du consortium chapeauté par le CNRS-INEE (2011-2013), ce qui représente plus de 1 800 jours-hommes sur 4 ans.

X e FED régional

« Gestion Durable du Patrimoine Naturel de Mayotte et des îles Éparses »

2014-2017

Mené en lien avec le Conseil départemental de Mayotte.

Opérateurs : CUFR Mayotte, IRD, IFREMER, CNRS-INEE, MNHN, AAMP.

BEST 2.0 Hub océan Indien

2011-...

Projets liés à la lutte contre les espèces exotiques envahissantes.

Consortium de recherche

2017-2020

En cours de construction

Membres : membres du précédent consortium, ancrage ultramarin via la participation de l'Université de La Réunion et du Centre universitaire de formation et de recherche (CUFR) de Mayotte.

Volonté de formaliser davantage la gouvernance (véritable conseil scientifique).

XI e FED régional « IConserv »

2018-2020

En cours de finalisation avec Mayotte et les Seychelles avec pour objectif les premières actions en 2018.

Axes : réseaux d'observatoires espèces et écosystèmes (échange des données), restauration écologique (transferts d'expertise), gestion halieutique (espèces migratoires, transferts d'expertise).

- dans les districts austraux, la réserve naturelle nécessite des programmes spécifiques. Ils affectent aussi le contenu des programmes de recherche, en les mobilisant pour comprendre et valoriser la richesse des territoires, mais également mesurer et comprendre les effets du changement climatique.

La recherche dans les TAAF doit venir incarner la valeur universelle de ces territoires. Depuis plus de dix ans, les TAAF portent le projet d'une articulation entre recherche traditionnelle et conservation des territoires dans le cadre de « laboratoires de la conservation ».

Articuler la recherche et la protection de l'environnement pour constituer des « laboratoires de la conservation » revient à protéger des espaces naturels entiers par une réglementation stricte et les scruter intensément pour comprendre les interactions entre l'homme et la nature, qu'il s'agisse des introductions d'espèces ou des effets des changements globaux.

Les actions de conservation sont impensables sans médiation scientifique. C'est pourquoi une convention TAAF-IPEV de 2009 prévoit la contribution de la recherche aux opérations de gestion environnementale. Elle prévoit le transfert de données et le recours à l'expertise des laboratoires de l'IPEV, l'information mutuelle en matière de besoins et de programmation de la recherche scientifique et une obligation de concertation régulière. L'applicabilité de cette convention est liée à celle des plans de gestion de la RNN : chaque nouveau plan de gestion offre l'opportunité d'en renégocier les modalités, dont l'objectif est de :

- mettre en valeur les écosystèmes de référence que représentent ces territoires : écosystèmes coralliens, écosystèmes subantarctiques, interactions terre-mer. À titre d'exemple, l'île de Kerguelen est, du point de vue géologique, un site unique au monde. C'est la seule île formée par un volcanisme de point chaud (donc hors dorsale océanique) où affleurent des roches granitiques, habituellement caractéristiques de la croûte terrestre. On ignore encore comment ces roches s'y forment. La cartographie géologique de Kerguelen a été à peine finalisée et ouvre d'impressionnantes perspectives pour les géologues français ;

- systématiser la logique d'observatoires afin d'identifier les risques et les vulnérabilités par des inventaires approfondis et suivre en temps réel l'évolution des milieux. Cette orientation découle de la stratégie nationale pour la biodiversité, issue de la convention de Nagoya. La grande masse de données offre ensuite un matériau de poids aisément utilisable pour la recherche ;

- développer un modèle similaire dans les Éparses, avec une présence environnementale civile en continu ;

- démontrer par l'exemple la durabilité de modèles rationnels d'exploitation des ressources naturelles. La modélisation fine des ressources halieutiques permise par la collaboration entre les TAAF et le Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) trouve sa source dans des campagnes halieutiques régulières, permettant de conforter la gestion et d'assurer sa valorisation économique comme dans le cas de la légine, d'assurer la reconnaissance du modèle de gestion (obtention de certifications de durabilité) ou de favoriser l'émergence d'une nouvelle pêcherie. Dans les Éparses, de même, la cartographie des zones marines apporte des connaissances précieuses pour de futures exploitations et pour la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, dite INN.

Il faut également mettre le territoire au service de la lutte contre les changements globaux, c'est-à-dire exploiter à plein la position privilégiée d'observatoire du changement climatique.

Cette position privilégiée est manifeste pour certains types de données : détection des cyclogenèses dans l'océan Indien, pureté de l'air et mesures du carbone, histoire glaciaire (y compris en zone subantarctique), retenue océanique du carbone et acidification, rôle de l'océan Austral pour la régulation thermique des océans mondiaux, rôle des convergences, fonctionnement planctonique et productivité primaire, etc.

Elle se manifeste par la grande vulnérabilité de ces territoires. Il suffit de relever la fonte record de la calotte Cook (la plus rapide du monde), la mortalité record en 2015 et 2016 des manchots en Terre Adélie ou l'acidification des océans fortement ressentie dans des eaux originellement très basiques.

Elle se traduit par des contributions directes appuyant le rôle de la France dans les schémas internationaux de lutte contre le changement climatique : le Grand observatoire de l'océan Indien (GOPS) créé par l'IRD, les stations GIEC telles que celle de Pointe-Bénédicte à Amsterdam ou les contributions à la plateforme inter-gouvernementale pour la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES).

Une partie du défi consiste à exploiter intelligemment l'exceptionnel gradient latitudinal des TAAF : les territoires offrent le potentiel pour déployer un réseau d'observatoires sur soixante-quinze degrés de latitude, soit 80 % de l'hémisphère Sud.

Il faut également internationaliser la recherche. Si la recherche antarctique de l'IPEV est fortement internationalisée 11 ( * ) , ce n'est pas le cas des autres territoires. La conservation ouvre aussi des perspectives de coopération nouvelles, qui s'ébauchent actuellement :

- 2 e Symposium franco-australien sur le plateau continental de Kerguelen en 2017 ;

- programmes plurinationaux, tels que IConserv et les fonds européens dans la zone Sud océan Indien ;

- aires marines protégées (AMP) plurinationales : projet d'AMP Est-Antarctique avec l'Australie, d'AMP « Del Cano » avec l'Afrique du Sud.

En conclusion, les TAAF offrent un environnement à la fois solidaire et concurrentiel pour le monde de la recherche : mise en contact des disciplines, équipes mixtes et émulation entre laboratoires, logique d'appels à projets...

Le « modèle TAAF » est celui de l'harmonie et du lien entre la connaissance et la gestion des territoires. Il nécessite des structures pérennes et du volontarisme pour mobiliser des financements, y compris en provenance du monde privé.

En 2009, c'est lors d'un colloque au Sénat que la ministre des Outre-mer, Marie-Luce Penchard avait annoncé un appel à manifestation d'intérêt sur le potentiel de recherche des îles Éparses. C'est cette initiative qui a démontré l'intérêt de la communauté scientifique pour ces îles (106 laboratoires français et étrangers) et a permis d'aboutir au consortium de recherche. Cela n'appelle qu'une conclusion : il y a plus que jamais de la recherche à mener dans les TAAF.

Maurice CÉRISOLA, Président du cluster maritime de La Réunion

Au mois de novembre, le Président de la République, se rendant à La Rochelle, a confié au nouveau Secrétaire général de la mer, Vincent Bouvier, et au cluster maritime français le soin de constituer une « équipe de France du maritime ». Ce challenge est excitant. Il constitue une étape importante dans la mise en oeuvre de l'économie bleue.

L'innovation concerne également la gouvernance. Avez-vous déjà songé au nombre de ministères et de services qui s'occupent de la mer ? Le ministère de l'écologie, le ministère de l'industrie, le ministère de l'agriculture, le ministère du commerce extérieur, le ministère de la défense, le ministère des affaires étrangères, les affaires maritimes, etc.

Nous comptons trop de services déconcentrés. Nous devons mettre en oeuvre une unité de commandement et développer une culture de l'évaluation qui nous fait cruellement défaut.

La Réunion abrite un grand port maritime, concurrencé par de nombreux autres. Un port est un outil majeur du développement économique. La région de La Réunion et Monsieur Jean-Paul Virapoullé portent la création d'un pôle industriel à Bois Rouge. Ce projet devrait créer plusieurs milliers d'emplois.

Dans le cadre de ce développement, La Réunion devrait également s'intéresser à l'énergie thermique des mers, au SWAC ( Sea-water air conditioning ), à la valorisation des eaux océaniques et au ravitaillement en gaz naturel liquéfié (GNL).

Je porte un grand rêve : que La Réunion, qui ne possède pas de matière première, devienne le lieu d'implantation de grands laboratoires, d'universités et de firmes internationales étudiant la mer et la biodiversité.

Laurent BLÉRIOT, Président de Bioalgostral

L'infiniment petit au service de l'infiniment grand.

Quand vous vous baignez dans un océan ou dans une rivière, vous êtes entourés de microalgues et de cyanobactéries de l'ordre du micron qui constituent ce qu'on appelle le phytoplancton. C'est notamment grâce à ces organismes photosynthétiques que nous respirons puisqu'ils fournissent plus de la moitié de l'oxygène présent dans l'atmosphère et consomme la moitié du dioxyde de carbone.

Il existe des millions d'espèces de microalgues présentes dans les écosystèmes tels que les océans, les rivières ou les lacs. Seules 30 000 sont répertoriées et décrites par la littérature scientifique, tandis qu'une dizaine seulement est actuellement produite à l'échelle industrielle pour être consommée dans l'alimentation humaine. Le potentiel est donc particulièrement important.

Encore faut-il se donner les moyens de développer localement ce type de filière prometteuse, créatrice de valeur ajoutée et d'emplois nouveaux sur nos territoires.

Il y a huit ans, nous avons eu l'idée de développer une telle filière dédiée aux microalgues. Il est erroné de considérer que La Réunion ne dispose pas de matières premières. Notre île est entourée par une ZEE de 2 millions de kilomètres carrés, en intégrant la ZEE des Terres australes et antarctiques françaises. Elle ne recèle donc pas seulement des nodules polymétalliques à découvrir, mais aussi une biodiversité exceptionnelle telle que les microalgues, valorisées depuis une trentaine d'années à travers le monde.

Ces microalgues s'apparentent à de véritables petites usines chimiques qui synthétisent le dioxyde de carbone et le transforment en oxygène. Certaines sont riches en protéines, en oligoéléments ou en huiles utilisables, par exemple pour produire du carburant.

Les microalgues ont l'avantage, quand on les produit à terre dans des photobioréacteurs, de ne pas entrer en concurrence avec les terres arables nécessaires à l'agriculture traditionnelle.

Il n'y a pas de risque d'épuisement de la ressource puisque nous n'opérons qu'une seule collecte en milieu naturel avant de cultiver ces organismes d'abord en laboratoire avant d'opérer un « scale up » industriel.

Bioalgostral a vécu une première phase de développement de type « start-up » dédiée à une recherche et développement (R&D) classique. L'entreprise a installé son prototype pré-industriel chez Ercane pour étudier les conditions de production de ces algues et envisager son passage en phase industrielle.

Nous avons notamment participé à des projets de recherche collaboratifs tels que le projet Biopaintrop, soutenu par l'Agence nationale de la recherche (ANR). Il s'agit d'un projet qui vise à la production de revêtements antifouling écologiques d'origine tropicale.

Une nouvelle stratégie plus respectueuse de l'environnement se développe en Europe, consistant à mettre au point des revêtements libérant de façon maîtrisée des molécules actives d'origine naturelle, biodégradables et non toxiques pour l'environnement. Cette stratégie s'inscrit en cohérence avec le principe de précaution et le règlement REACH 12 ( * ) , lequel vise à mettre sur le marché des produits efficaces et respectueux de la santé humaine et de l'environnement.

Plusieurs formulations de peinture, intégrant les principes actifs issus de nos cultures de biomasse microalgales ont été préparées afin de comparer leur efficacité en phase aqueuse ou en phase solvant.

Les tests des peintures formulées dans le cadre de projet ont montré des résultats très prometteurs dans les différents sites d'immersion (La Réunion, Lorient et Toulon) en termes d'activités antifouling .

Nous avons mené cette expérience avec l'Agence pour la recherche et la valorisation marines (ARVAM), devenue Hydrô Réunion, et avec un industriel leader dans le domaine des peintures pour bateaux en métropole.

La société a négocié sa transition de modèle afin de désormais concrétiser son passage au stade de production industrielle.

Son plan de développement industriel vise à permettre la mise sur le marché de biomasse et de molécules d'intérêt sur des marchés déjà existants dans les secteurs de l'agro-nutrition animale et humaine, de la cosmétique et de la chimie fine, tout en implémentant progressivement les produits issus de sa R&D dans son développement industriel sur les niches de marchés constitués.

Il est à noter que les débouchés marchés sont principalement à l'export, avec également des débouchés marchés locaux dans des niches marchés pré-identifiés.

Nous avons ainsi mis en oeuvre un programme quinquennal d'industrialisation de notre process en trois étapes :

- en phase 1, nous installerons 5 000 mètres carrés de culture sur le site du technopôle de Saint-Denis ; Cette étape permettra la maîtrise de la production industrielle sur le territoire réunionnais et la mise sur le marché de nos produits en volume conséquent ;

- en phase 2, une extension est programmée sur la commune de Saint-André. Nous récupérerons le dioxyde de carbone issu des chaudières de l'usine thermique d'Albioma pour produire ces algues.

Le CO 2 est l'un des principaux intrants nécessaires à la production de microalgues, la société a ainsi choisi de s'affranchir progressivement du sourcing traditionnel en matière de CO 2 à partir de cette étape et dans la perspective d'une production de microalgues à grande échelle (et notamment dans la perspective de la production de biocarburant).

La société a fait le choix de valoriser le CO 2 directement issu des cheminées industrielles.

Il ressort des études préalables réalisées sur les gaz rejetés par l'usine de Bois rouge à Saint-André (partenariat avec Albioma) que ces derniers pourraient être directement utilisés dans nos process de fabrication des algues après une phase de refroidissement, de traitement et de purification dudit gaz ;

- en phase 3, un partenariat a été noué avec Veolia, toujours dans le cadre de l'économie circulaire, pour utiliser les phosphates issus des eaux grises des stations d'épuration des eaux usées (STEP) afin de produire des algues.

Le phosphate est une ressource fossile au même titre que le pétrole. La société a fait le choix de s'affranchir du phosphate agricole et de contribuer à l'adoption d'une gestion raisonnée de la ressource, qui passe par le recyclage du phosphore consommé. En l'espèce, le phosphate est récupéré après traitement dans la STEP.

La première phase a déjà démarré. Nous avons acquis le terrain et obtenu notre permis de construire. L'entreprise est donc prête à entrer de plain-pied dans sa phase chantier.

En termes de commercialisation, tout ce qui peut être obtenu avec des plantes sur terre peut être produit avec des microalgues : des produits alimentaires pour l'homme et les animaux, des cosmétiques, de la chimie verte, de l'énergie, etc. Pour le moment, nous avons noué des contrats à l'international en Business-to-Business (B2B).

Le projet qui a permis de faire connaître Biolagostral portait sur l'incorporation de microalgues dans les biocarburants. Cet axe de R&D n'est certes pas rentable seul à ce stade sans valorisation des co-produits associés, mais il nous a permis de procéder à une démonstration industrielle.

Nous pourrons néanmoins envisager ultérieurement l'installation d'une filière complète dédiée aux biocarburants sur le territoire. L'objectif à court terme sur cet axe est de permettre l'alimentation d'une turbine à combustion (TAC) avec un additif biocarburant pour la future BIOTAC de la société Albioma qui sera fonctionnelle en fin d'année 2017 dans le Sud de l'île.

En guise de conclusion, le développement d'une telle filière a un avenir certain dans les RUP françaises qui disposent des conditions climatiques particulièrement favorables au développement de ce type de filière, et pourquoi pas à Mayotte.

Le potentiel lié à l'économie bleue doit être exploré et valorisé : transformer nos handicaps en atouts et faire de la France océanique le fer de lance de l'innovation et de la recherche européenne, tel est notre objectif. La filière microalgues actuellement développée sur l'île de La Réunion pourrait en être une illustration. Encore faut-il que notre territoire prenne véritablement conscience de son potentiel et relève sans versatilité le défi de l'économie bleue.

Ne l'oublions pas : La mer est l'avenir de l'homme.

Source : ARVAM

Feyçoil MOUHOUSSOUNE, Président et membre fondateur du Groupement des entreprises mahoraises des technologies de l'information et de la communication (GEMTIC)

Nous contribuons à la mise en oeuvre de la filière numérique. Il n'était pas possible d'évoquer cette activité à Mayotte avant 2012, date à laquelle l'Internet à haut débit est arrivé sur place. Jusque-là, la qualité de la connexion était insuffisante pour un usage professionnel. Il existait certes des solutions satellitaires mais elles étaient extrêmement coûteuses. Ce déploiement rapide a permis de démocratiser ces technologies.

Pour cette raison, la situation mahoraise n'est pas comparable à celle de La Réunion, qui est équipée depuis bien plus longtemps. Le niveau de service à Mayotte est aujourd'hui satisfaisant pour répondre aux besoins usuels. L'objectif actuel est de lutter contre la fracture numérique, d'éviter que cette île soit encore plus enclavée.

Mayotte est un jeune département. Ce territoire a besoin de se développer dans de nombreux domaines. Le numérique sert aujourd'hui à accompagner cet essor. Il peut permettre de répondre à des enjeux d'éducation ou de santé. Il permet surtout à l'île d'être plus ouverte sur toute sa région.

La conjoncture est plutôt favorable à notre secteur. Le développement du numérique à Mayotte est soutenu. Il bénéficie de fonds européens qui financent l'amélioration de l'infrastructure, de la collecte et la mise en oeuvre du très haut débit sur le territoire. Le schéma d'aménagement du numérique, piloté par le conseil départemental, est un document de cadrage du développement du numérique qui s'étend jusqu'en 2025.

En revanche, ce développement ne doit pas intervenir sans porter attention aux usagers. Plus de la moitié des Mahorais ont moins de vingt ans. Ils doivent s'approprier ces nouvelles opportunités, acquérir les compétences pour les maîtriser. Ils doivent apprendre à gérer les menaces liées à la cybersécurité ou à des contenus dangereux.

Le développement numérique peut être un facteur de création d'emplois. Il constitue un levier de croissance en lui-même. Cette population très jeune est susceptible de développer des projets innovants. L'Internet comme le téléphone mobile sont arrivés très vite à Mayotte. La population s'est approprié ces technologies très rapidement.

Pour conclure, je souhaite signaler deux initiatives :

- la Web@cadémie : à l'initiative de l'association ZupdeCo, elle offre une formation de deux ans à un jeune public en situation de décrochage scolaire. Elle lui permet d'apprendre à programmer des applications pour smartphones . Des Mahorais ont participé à ce dispositif et travaillent maintenant pour des start-up parisiennes ;

- la WebCup : créée à La Réunion, cette compétition permet à des jeunes de s'affronter pour créer un site sur un thème donné en moins de vingt-quatre heures. Cette initiative a réussi à mobiliser une quarantaine de jeunes. En 2015, l'équipe de Mayotte a remporté la finale régionale.

En termes d'innovation, Mayotte ne se trouve pas au même stade que La Réunion. Le numérique peut constituer un bon support de l'essor de nouveaux modèles économiques. Nous manquons encore d'incubateurs pour ce faire. Je rêve d'une démarche technopolitaine qui permettrait de croiser différents éléments caractéristiques de Mayotte : l'océan, l'islam, le swahili, etc.

Olivier SAUTRON, Président-directeur général d'Oscadi

Oscadi a créé un produit dénommé Oscult. Il permet de faire de l'imagerie médicale de matière autonome. Actuellement, tout médecin est équipé d'un stéthoscope. Il lui permet d'ausculter le coeur et les poumons. Pour tout autre examen, il est contraint de faire appel à un spécialiste.

Habitant sur les hauteurs de La Réunion, dans la plus petite commune de l'île, il ne m'est pas facile de consulter un praticien. J'ai donc eu l'idée de créer Oscult, un appareil d'échographie ultraportable connecté. Utilisé par un généraliste, une sage-femme ou un pompier, il permet à un spécialiste de réaliser une échographie à distance.

Par exemple, Mayotte connaît actuellement une explosion démographique. En conséquence, nous ne disposons pas du nombre de gynécologues ou d'obstétriciens nécessaires. Il serait envisageable de mener une expérience de télémédecine permettant à un spécialiste du centre hospitalier universitaire de La Réunion de procéder à un examen à distance.

Ce genre de situation n'est pas propre à l'outre-mer. La métropole connaît également des problèmes de déserts médicaux. Nous avons créé ce produit pour établir un diagnostic le plus rapidement possible sur le terrain. Nous avons démarré des essais cliniques en Malaisie.

Mon entreprise est installée sur la côte Est de La Réunion, la région la moins développée. Nous avons néanmoins signé un accord-cadre avec Apple. Oscadi est la seule société au monde habilitée iOS sur du matériel médical. Jusqu'à présent, nous avons participé aux plus importants salons dédiés à l'imagerie.

Oscadi est une start-up . Nous avons remporté des prix. Nous avons dépensé 2 millions d'euros. Nous comptons dix salariés et avons vendu six produits. J'ai décidé de relever le défi de l'industrialisation sur l'île de La Réunion.

Nous bénéficions évidemment du crédit d'impôt recherche (CIR) qui nous apporte un quart de notre financement. Pour l'industrialisation, nous sommes accompagnés par Nexa. Notre plus gros souci consiste à trouver des fonds.

Nous sommes également confrontés à une concurrence importante, avec des entreprises telles que General Electric, Siemens ou Philips. Cela étant, nous avons montré depuis trois ans qu'il était possible d'accomplir une initiative d'excellence à La Réunion. Nous avons vendu nos premiers produits sur place et nous développerons à l'export dans l'avenir.

Françoise DE PALMAS, Directrice générale de la Technopole de La Réunion

Accompagner l'innovation sur le territoire de La Réunion : du paradoxe à l'excellence

La Réunion est un territoire paradoxal dont les atouts sont aussi les handicaps : une singularité déterminante en termes d'innovation et donc pour la Technopole ;

Son originalité avérée est :

- géographique : éloignement, insularité, taille réduite, climatologie, biodiversité, environnement de pays ACP ;

- démographique : une population très jeune, une transition imminente, une augmentation de la population de seniors et une société multiculturelle et multi-cultuelle, où la cohabitation pacifique est la règle, atout plus que jamais majeur !

- économique : une majorité de TPE oeuvrant dans tous les secteurs d'activité ;

- académique : un outil de formation performant et des laboratoires universitaires reconnus sur un nombre assez large de disciplines.

La Réunion peut se prévaloir d'incomparables atouts en matière d'innovation :

- valorisation et expérimentation de solutions liées aux ressources issues de la biodiversité, aux problématiques climatiques (en matière touristique, agroalimentaire, sanitaire et d'habitat) ; c'est un axe majeur en termes d'exportation, dans la perspective notamment et malheureusement du réchauffement climatique ;

- réactivité d'une jeunesse qui s'approprie à toute vitesse les nouvelles technologies sur le plan numérique, l'éloignement ayant en ce sens un rôle d'accélération ;

- l'émergence d'une population de seniors pour qui tout doit être inventé, sur la base d'un modèle social différent de celui de la métropole ou de l'Europe ;

- la forte densité de TPE est gage de réactivité, d'agilité.

Mais La Réunion souffre en parallèle de handicaps structurels : taille du marché et masse critique, qualité des infrastructures et insuffisante connectivité, manque de capitaux locaux et de mobilisation du secteur industriel local, attractivité pour des fonds d'investissement dédiés confrontés à une insuffisance de ressources humaines qualifiées que la taille des projets ne permet pas de drainer.

La Technopole est un outil performant au service du paradoxe, qui est définie comme l'ADN de l'entreprise innovante.

Bénéficiant du label Retis, dont elle est membre et administrateur, elle constitue le support de la politique de développement d'un territoire qui favorise la fertilisation croisée, elle anime et met en réseau des compétences, accompagne la création d'entreprises innovantes et assure la promotion du territoire :

- en effet, la Technopole de La Réunion, née en 2001 de la volonté commune des acteurs institutionnels (État, Région, Cinor, Ville de Saint-Denis), de la formation (Académie de La Réunion), et du secteur privé, est un outil transversal au service de l'innovation ;

- partenaire privilégié du CRI, vecteur de la S3, elle soutient et accompagne les acteurs de l'innovation à La Réunion ( Start-up week-end, 24 heures de l'innovation, Fête de la Science, Girls in tech , etc...) et notamment dans le domaine digital avec Digital Réunion (nXse, French Tech), avec ARS/GSC Tesis et avec Orange (Innov'santé, membre, Agence Film Réunion).

Forte de 108 adhérents, elle assume en propre les missions suivantes :

- stimulation et détection de projets innovants ;

- accompagnement personnalisé à la création et au développement d'entreprises innovantes, en particulier grâce à l'incubateur Allegre qu'elle anime depuis 2003, avec des résultats probants :


• 76 projets incubés dont 23 dans le domaine des TIC, 22 dans celui de l'environnement, 16 dans l'agroalimentaire (dont Soleil Réunion) et 11 en matière de santé et biotechnologies ;


• dont 60 ont finalisé leur incubation et généré : 43 créations d'entreprise & 160 emplois, c'est-à-dire 71 % de taux de transformation et 88 % de taux de pérennité ;


• il faut noter une accélération au cours des deux dernières années : 2015 et 2016 représentent à elles seules 19 des 43 entreprises créées.

- optimisation d'écosystèmes dédiés à l'innovation : animation des parcs Technor, Techsud et préparation de Technoest ;

- hébergement et mise à disposition d'un lieu de rencontre dédié aux start-up innovantes, location de salles de réunions et de bureaux, espace de co-working .

Évolution majeure : le déménagement fin mars dans le Village by CA sur Technor, dont la Technopole va assurer l'animation et la participation à la dynamique Ocean Tech initiée par la Cinor en partenariat avec le pays Basque et sa nouvelle configuration de communauté d'agglomération.

- guichet instructeur pour :


• l'aide au premier projet innovant (APPI) de BPIFrance d'un montant maximal de 10 000 euros. Depuis 2013, 22 projets innovants ont été ainsi financés ;


• le fonds social de l'innovation du Crédit Agricole : un prêt à taux zéro et/ou une subvention d'un montant maximal de 50 000 euros. Depuis juillet 2016, le dossier de candidature peut être téléchargé sur www.technopole-reunion.com .

- ateliers - formations gratuits sur la création et le développement d'entreprise ;

- coopération régionale : une assistance technique à la création de Technopoles dans la zone (ex : Rodrigues).

En termes de moyens d'action, la Technopole bénéficie aujourd'hui d'une majorité de financements publics (FEDER + contreparties État et Régions, collectivités (intercommunalités et villes).

Elle travaille activement à la mobilisation de fonds privés (bénéficiaires et entreprises locales dans une logique d'open-innovation), sachant que la spécificité territoriale, en termes de masse critique, est la même que dans le secteur industriel. Un traitement particulier des aides RDI est donc indispensable à la montée en compétences et en maturité du secteur auquel un alignement sur le droit commun sera fatal à très court terme. Merci de vous faire notre allié à Bruxelles pour qu'il en soit ainsi.

Je vous remercie.

Clôture

Éricka BAREIGTS, Ministre des Outre-mer

(Diffusion d'une vidéo)

Mesdames, messieurs,

Je regrette de ne pouvoir être présente parmi vous pour cette conférence économique consacrée à Mayotte et à La Réunion. Ce sujet me préoccupe. Il a mobilisé mon énergie ces cinq dernières années. Je remercie les auteurs de cette initiative. Je me trouve aujourd'hui en Polynésie française. À la suite des événements difficiles qu'a traversés ce territoire, la Ministre des Outre-mer se devait de se tenir auprès de nos concitoyens. En dépit de mon absence, je tenais à vous faire part de l'action du ministère des Outre-mer pour La Réunion et pour Mayotte. Nous accordons la priorité à l'ancrage de ces deux territoires ultramarins dans le bassin de l'océan Indien. Ces deux îles se trouvent à la confluence des mondes. Nous devons en tirer profit. Le projet de loi EROM porte cette ambition.

Premièrement, nous souhaitons bâtir une nouvelle génération d'ultramarins. Grâce au fonds d'échanges à but éducatif, culturel et sportif (FEBECS), nous avons élargi la possibilité, pour les collégiens et les lycéens, de voyager vers les autres pays de la zone. Les Mahorais et les Réunionnais doivent pouvoir se déplacer dans leur région, dès le plus jeune âge. Ils pourront ainsi suivre des formations, effectuer des stages et construire leur avenir professionnel. J'ai également signé une convention avec Pôle emploi, l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) et notre ambassadeur dans l'océan Indien. Elle doit permettre à nos jeunes de partir travailler dans des entreprises aux confins de l'océan Indien : en Afrique, en Asie, en Australie et en Afrique du Sud.

Deuxièmement, nous désirons stimuler les échanges économiques entre les outre-mer et leurs voisins en mettant en oeuvre une aide au fret. Elle vise à permettre à nos entreprises domiennes d'échanger entre elles, mais aussi de commercer avec les pays de la zone. Il importe également de consolider nos relations politiques avec nos voisins. Tel est le sens de la loi présentée par Serge Letchimy et votée à l'unanimité au Sénat comme à l'Assemblée nationale. Dans cette perspective, nous voulons développer des contacts diplomatiques et stratégiques pluriannuels avec les États environnants de l'océan Indien.

Troisièmement, nous voulons soutenir notre tissu économique composé à 95 % de TPE et de PME. Ces territoires affichent un grand dynamisme. Malheureusement, beaucoup d'entreprises cessent leur activité trop rapidement. La loi EROM prévoit la mise en oeuvre de bons d'achat. À la suite d'un amendement présenté par le sénateur Magras, elle veille également à ce que la commande publique profite à nos petites entreprises. Pour les marchés supérieurs à 500 000 euros, la sous-traitance deviendra obligatoire pour favoriser le positionnement et le développement des sociétés locales. Cette mesure constitue une avancée considérable.

Je tiens à souligner la place occupée par l'innovation et par l'économie sociale et solidaire dans ces deux îles. La Réunion vient d'être labellisée French Tech pour son écosystème de santé. Elle constitue une vitrine d'excellence. Le potentiel de nos deux départements est considérable. Pour le mettre en valeur, nous avons adopté deux mesures. D'une part, le taux du crédit d'impôt recherche a été augmenté. Il s'élève dorénavant à 50 % dans les territoires ultramarins contre 30 % dans l'Hexagone. D'autre part, nous avons accéléré l'installation de la 4G. Elle constitue une réalité depuis le 1 er décembre. Cet outil est nécessaire au développement de la nouvelle économie.

L'économie sociale et solidaire constitue une véritable valeur ajoutée pour nos territoires. De nombreux porteurs de projets attendent d'être aidés pour passer du rêve à la réalité. L'année dernière, nous avions lancé un appel à projets de 2 millions d'euros. Cette année, son montant atteindra 2,5 millions d'euros. Nous souhaitons que l'ensemble du tissu de l'économie sociale et solidaire acquière une autre dimension. L'économie bleue, les échanges circulaires et l'énergie verte amplifient le développement de La Réunion et de Mayotte. Nous veillons également à mettre en oeuvre les formations dédiées à cette nouvelle économie.

Nos territoires sont riches d'atouts et de potentiels d'avenir pour des métiers et des secteurs innovants. Je salue leur vitalité en matière d'innovation, d'emploi et d'activité économique. Il est temps de dépasser les représentations erronées qu'ont trop souvent véhiculées nos concitoyens. Nous devons porter une véritable ambition pour Mayotte et pour La Réunion. Il convient de les aider à se projeter dans l'avenir et dans leur espace océanique. Pour ce faire, ces territoires ont besoin d'un État fort, d'une présence accrue des pouvoirs publics. Au quotidien, nous apporterons notre soutien au tissu économique mahorais et réunionnais.

Je vous remercie.

PROGRAMME DU COLLOQUE


* 1 Les produits intérieurs bruts régionaux de 2000 à 2013 - La croissance réunionnaise freinée par la crise

* 2 Le Nord et l'Ouest tirent leur épingle du jeu - Arrivées d'emplois à La Réunion

* 3 Moins de chômeurs parmi les créateurs - Les créateurs d'entreprises en 2014

* 4 Les produits intérieurs bruts régionaux de 2000 à 2013 - La croissance réunionnaise freinée par la crise

* 5 Entreprises marchandes de 1 à 499 salariés - 400 millions d'euros de richesse créée en 2013 par le secteur marchand

* 6 Le département au taux de chômage le plus élevé - Enquête Emploi Mayotte 2016

* 7 « La France ne peut plus être le seul État [en Europe] à réguler toutes les activités de prêts et à en réserver la réalisation à certaines catégories d'institutions agréées. Aujourd'hui, le sujet principal est plutôt de déterminer comment permettre à tous les agents économiques de se procurer les ressources qui leur sont nécessaires » (Pierre-Henri Cassou - ancien Secrétaire général du Comité de la réglementation bancaire et financière, et du comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement - CECEI, le « gardien du monopole »).

* 8 La possibilité ouverte par la « loi Macron » aux sociétés par actions de consentir « à titre accessoire à leur activité principale, des prêts à moins de deux ans à des microentreprises, des petites et moyennes entreprises ou à des entreprises de taille intermédiaire avec lesquelles elles entretiennent des liens économiques le justifiant » a été largement fermée par son décret d'application n° 2016-501 du 22 avril 2016.

* 9 La règlementation (par exemple le décret du 2 août 2013 et l'arrêté du 9 décembre 2013 concernant les assureurs) prévoit ainsi, notamment, que l'obtention d'informations régulières sur l'émetteur (ou l'emprunteur) est indispensable pour respecter les exigences de contrôle des risques et de valorisation.

* 10 Cf la publication de la liste des entreprises de l'ESS à Mayotte sur le site de la Cress www.cress-mayotte.org

* 11 Accord intergouvernemental franco-australien de 2007, accord de gestion IPEV-PNRA sur Concordia de 2005, accord IPEV-AAD de 2001, accord franco-belge de 2014...

* 12 Règlement CE n° 1907/2006 concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH) et instituant une agence européenne des produits chimiques.

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