II. LE VOLET « MOBILE » : UN ABANDON REGRETTABLE DU CELL BROADCAST AU PROFIT D'UNE APPLICATION SMARTPHONE, MOINS EFFICACE ET DEVELOPPÉE HÂTIVEMENT, NÉCESSITANT ENCORE D'IMPORTANTES AMÉLIORATIONS

A. UN ABANDON DES TECHNOLOGIES SMS ET CELL BROADCAST AU PROFIT DE L'APPLICATION SMARTPHONE REGRETTABLE

1. Trois technologies concurrentes pour diffuser l'alerte et l'information par téléphonie mobile

Trois technologies principales permettent de diffuser l'alerte par téléphonie mobile : les SMS géolocalisés, le « SMS Cell Broadcast » et le recours à une application smartphone en libre téléchargement.

L'objectif initial du projet, en 2011, visait à mettre en oeuvre, en liaison avec les opérateurs de téléphonie mobile, la diffusion des messages d'alerte par le biais de la technologie dite du « SMS Cell Broadcast ».

Ce choix devait permettre de garantir la diffusion, en toute circonstance, des messages d'alerte, indépendamment de la charge supportée par les réseaux des opérateurs, et offrait la possibilité de les différencier immédiatement des SMS classiques.

Des négociations ont donc été engagées en 2011 avec les opérateurs de téléphonie mobile français en vue d'explorer la faisabilité technique et le coût de la mise en oeuvre de cette solution. Toutefois, la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises a estimé que celles-ci n'avaient pu aboutir « pour des raisons de volonté des opérateurs ou de coûts non soutenables et non compatibles avec les enveloppes budgétaires existantes » .

Le ministère de l'intérieur, pour lequel les sirènes doivent en tout état de cause rester le principal vecteur de la diffusion de l'alerte, a donc décidé de privilégier le développement d'une application smartphone en libre téléchargement plutôt que de s'appuyer sur le Cell Broadcast ou sur les SMS géolocalisés.

Deux principales raisons expliquent le choix de ne pas recourir à la technologie Cell Broadcast :

- cette technologie n'est pas systématiquement intégrée dans les smartphones et n'est à ce stade pas encore compatible avec la 4G. Ainsi, aux États-Unis, Apple, qui ne fournissait pas cette fonctionnalité, n'aurait accepté de l'introduire sur ses iPhones qu'après une demande des autorités fédérales américaines à la suite de l'ouragan Sandy de 2012 ;

- elle requiert par ailleurs un fort investissement des opérateurs, puisque les logiciels des équipements des réseaux doivent comprendre une fonctionnalité particulière (elle doit être paramétrée, testée et installée). Si, à l'origine, l'inclusion de la fonction Cell Broadcast aux réseaux était courante en technologie 2G, il est possible qu'elle ne soit plus présente sur les réseaux postérieurs. Des travaux seraient toutefois en cours pour l'installer rapidement sur les réseaux 4G.

La solution de recours aux SMS géolocalisés apparaît, au contraire, rapide et facile à mettre en oeuvre mais souffre également de plusieurs lacunes jugées, à juste titre, rédhibitoires par le ministère de l'intérieur :

- la vitesse d'acheminement des messages d'alerte dans un contexte de crise serait trop faible, du fait de la saturation des réseaux ;

- elle suppose une agrégation dynamique par l'opérateur des numéros de téléphones présents sur une zone d'alerte, ce qui peut susciter des interrogations sur la gestion de ces données personnelles ;

- le SMS d'alerte ne se distingue pas des autres SMS. Contrairement au Cell Broadcast qui est « prioritaire » et fait l'objet d'une présentation distincte, il n'y a pas systématiquement d'affichage immédiat du SMS sur l'écran du téléphone et il faut, comme pour n'importe quel SMS, aller consulter sa boîte de réception pour le lire. L'envoi de faux SMS d'alerte est par ailleurs aisée et l'utilisateur n'a que peu de moyens de les détecter.

Au total, il apparaît qu'aucun pays étranger n'utilise l'envoi de SMS géolocalisés pour la diffusion de messages d'alerte au niveau national, même si des études sont en cours au Royaume-Uni.

En tout état de cause, l'ensemble des moyens d'alerte par téléphonie mobile suppose, pour être pleinement opérationnel, que les efforts de réduction des zones blanches menés par les opérateurs soient accrus.

2. Un choix contestable de recourir à l'application smartphone

Le ministère de l'intérieur a préféré recourir à une application smartphone plutôt qu'au Cell Broadcast . Pourtant, cette technologie présente plusieurs inconvénients qui conduisent à douter de sa pertinence :

- son activation nécessite un téléchargement de la part de l'utilisateur , ainsi qu'une activation des notifications et de la géolocalisation. Elle doit, par ailleurs, être conservée en tâche de fond sous iOS ;

- elle n'est, par définition, disponible que sur smartphone . Par ailleurs, elle n'est disponible que pour les smartphones fonctionnant sous Android et iOS (ce qui exclut notamment les téléphones de la marque BlackBerry et ceux fonctionnant sous le système d'exploitation de Windows) ;

- elle s'appuie sur des données transmise par internet. Or ce réseau peut être vulnérable en cas de crise (saturation, comme en cas de sur-sollicitation imprévue d'internet après un attentat, endommagement des antennes-relais suite à un phénomène naturel, etc.) ;

- elle entre en concurrence avec d'autres applications poursuivant le même objet , ou celle des médias traditionnels et des réseaux sociaux, également susceptibles de générer des « notifications push » en cas d'alerte. Par ailleurs, elle ne devrait être téléchargée en nombre significatif que par les personnes habitant régulièrement en France, et exclut de fait les personnes en voyage en France 29 ( * ) , ces dernières n'ayant qu'un faible intérêt à procéder à un téléchargement. Cette lacune revêt une gravité particulière s'agissant des alertes concernant des lieux touristiques fréquentés par des étrangers.

Au contraire, le Cell Broadcast aurait sans doute mérité de plus amples réflexions avant d'être abandonné si promptement. Déjà utilisé dans de nombreux pays, tels que les États-Unis, le Chili, le Japon, ou encore les Pays-Bas, il permet la diffusion rapide d'un message intelligible et facilement identifiable à l'ensemble des téléphones situés dans un espace géographique donné.

L'argument tenant aux lourdeurs liées à la nécessaire pré-programmation des téléphones pour exclure le Cell Broadcast ne paraît par ailleurs pas convaincant, dès lors que le choix de l'application nécessite lui aussi un téléchargement de la part des utilisateurs.

Enfin, la réticence de certains opérateurs à mettre en oeuvre cette technique aurait aisément pu être surmontée par l'introduction d'une disposition législative prévoyant l'obligation, pour ces derniers, d'acheminer les communications des pouvoirs publics destinés à l'alerte et à l'information des populations 30 ( * ) .

Certes, cette technologie présenterait un coût budgétaire pour l'État, qui aurait dû indemniser les opérateurs des coûts d'adaptation du système et des coûts de fonctionnement 31 ( * ) . À titre illustratif, aux Pays-Bas, 25 millions d'euros ont été dépensés depuis 2012 pour un parc de 17 millions d'abonnés répartis entre trois opérateurs. Néanmoins, les bénéfices (rapidité, robustesse) auraient largement excédé ces coûts. À ce titre, les 81,5 millions d'euros programmés pour financer le SAIP auraient pu être plus utilement employés pour poursuivre les études préparatoires relatives au volet « mobile » et à financer une éventuelle mise en place du Cell Broadcast comme vecteur de l'alerte.

Toutefois il peut être difficile de remettre en cause les choix antérieurs, étant donné les investissements engagés en faveur de l'application. Il serait cependant nécessaire que la pertinence de cette application dans sa version aboutie fasse l'objet d'une évaluation indépendante d'ici la fin de 2019. Il conviendrait, dans l'hypothèse où cette évaluation ne serait pas concluante, de reprendre les travaux visant à mettre également en place le Cell Broadcast .

Observation : le choix d'avoir abandonné le Cell Broadcast , initialement envisagé, au profit d'une application smartphone pour des raisons budgétaires et d'absence de volonté des opérateurs, est critiquable. Cette décision découle directement du choix contestable de privilégier le volet « sirènes » plutôt que le volet « mobile ».

Recommandation n° 4 : effectuer, d'ici 2019, une évaluation de l'application SAIP, afin de déterminer sa pertinence en comparaison du Cell Broadcast , et réajuster le déploiement de la phase 2 en conséquence, afin de garantir la fiabilité et l'efficacité de l'alerte par téléphonie mobile.

? Scénario 1 : en cas d'abandon, à la suite de cette évaluation, de l'application smartphone comme vecteur principal de l'alerte par téléphonie mobile, assurer son remplacement par la technologie Cell Broadcast , en lien avec les opérateurs, dans le courant des années 2020 et 2021.

? Scénario 2 : en cas de confirmation du principe de l'application comme principal vecteur de l'alerte par téléphone mobile, fiabiliser l'application SAIP et poursuivre la publicité en sa faveur afin d'augmenter le nombre de téléchargements en vue d'atteindre une masse critique permettant d'en faire un vecteur efficace de l'alerte (objectif de 5 millions de téléchargements fin 2020).


* 29 Selon la Direction générale des entreprises, 84,5 millions de touristes étrangers ont ainsi séjourné en France en 2015.

* 30 Un amendement en ce sens avait d'ailleurs été déposé en commission par notre collègue Daniel Raoul en 2016, lors de la discussion du projet de loi pour une République numérique.

* 31 Le Conseil d'État a indiqué, dans un avis rendu le 6 mars 2012, que si la gratuité de la diffusion des messages peut être imposée aux opérateurs, le déploiement de la solution technique du Cell broadcast, non prévue par les obligations du service universel, devait par contre donner lieu à une « juste rémunération » de la part de l'administration.

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