II. QUELLE RÉPONSE FRANÇAISE À CES NOUVEAUX ENJEUX ?

A. AMPLIFIER LES EFFORTS DE DIFFUSION DE LA CULTURE EUROPÉENNE DANS L'ADMINISTRATION FRANÇAISE : L'EXEMPLE DES ÉTUDES D'IMPACT

Si la place confortée des analyses d'impact européennes et la garantie de la qualité des données qui les sous-tendent témoignent d'un renforcement de l'arsenal des outils destinés à « mieux légiférer », elles ne permettent pas aux responsables nationaux de disposer d'une évaluation claire et précise des conséquences potentielles du texte pour le budget de l'État, a fortiori encore moins pour les collectivités locales éventuellement concernées. Autrement dit, l'impact budgétaire d'une mesure proposée par la Commission européenne reste aujourd'hui toujours difficile à évaluer pour l'État membre à partir de l'étude d'impact réalisée par cette dernière et complétée, le cas échéant, au cours des travaux du Conseil et du Parlement européen.

D'ailleurs, à la question de savoir si les analyses d'impact jointes aux propositions présentées par la Commission européenne et transmise par le SGAE permettent au ministère d'évaluer les conséquences budgétaires des mesures proposées, le MEEM répond que « le ministère n'a pas conduit d'évaluation de la qualité de ces études d'impact ». L'analyse de l'impact budgétaire d'une initiative de la Commission européenne repose en réalité sur chaque État membre.

Ainsi, l'impact macroéconomique et budgétaire d'une proposition de directive peut faire l'objet d'une évaluation, au niveau interne, lors de l'élaboration des fiches d'impact simplifiées et stratégiques. Le SGAE affirme que « si le niveau de détail de l'analyse d'impact présentée dans cette dernière fiche est laissé à l'appréciation des services, compte tenu du degré de complexité du texte, la FIS 1, puis la FIS 2, qui vient la compléter, notamment en étant assortie d'un tableau de correspondance précoce, doivent permettre d'avoir une visibilité sur l'ensemble des enjeux et conséquences de la proposition en discussion et, par suite, de ses implications budgétaires ».

Force est toutefois de constater qu'elle s'apparente davantage à un outil de légistique qu'à un instrument d'analyse des implications macroéconomiques et budgétaires du projet de directive.

Par ailleurs, une étude d'impact accompagne les textes de transposition, législatifs ou réglementaires et doit permettre aux parlementaires d'anticiper les impacts juridiques, économiques et financiers, sociaux, administratifs et environnementaux de la directive et du texte qui la transpose en droit national.

À titre exemple, l'étude d'impact jointe au projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de la prévention des risques 115 ( * ) comprend, pour chaque titre, voire chaque article du projet de loi, une telle analyse. Il est toutefois regrettable que l'exercice se limite parfois à la simple reprise des éléments de l'étude d'impact réalisée par la Commission européenne, ou à un bilan non chiffré des avantages de la mesure européenne. Lorsque les incidences budgétaires sont évoquées, la méthode de calcul retenue n'est quasiment jamais explicitée.

Extraits d'une étude d'impact

« Article 13, régime de sanctions en matière de mise sur le marché d'hydrofluorocarbones

Selon l'étude d'impact de la Commission européenne , le Règlement (UE) n° 517/2014 pourrait résulter en une réduction du PIB européen de 0,009 %. Il convient de souligner que cette estimation est basée sur des hypothèses extrêmement conservatrices, prenant en compte uniquement les technologies existantes en 2010, et n'intègrent ni les conséquences du changement climatique sur le PIB ni le bénéfice en termes de compétitivité que les entreprises européennes proposant des alternatives gagneraient dans le cadre d'un accord mondial sur la réduction de l'utilisation des HFC, en cours de négociation.

Titre I er `dispositions relatives à la sécurité des opérations pétrolières et gazières', articles 1 à 10

La mise en oeuvre des exigences de la directive ne devrait avoir qu'un impact budgétaire limité voire nul pour l'État ou les collectivités. Elle ne devrait en effet nécessiter le recrutement et la formation d'agents que dans le cas d'un accroissement de l'activité d'exploration et d'exploitation d'hydrocarbures offshore. À l'heure actuelle, aucun forage n'est en cours ou planifié sur le plateau continental sous juridiction française. Ainsi la transposition de la directive n'aura pas de conséquences sur des opérations en cours ».

Source : étude d'impact jointe au projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de la prévention des risques

Pourtant, dès le début et tout au long du processus d'élaboration des normes européennes, des études d'impact budgétaires, en plus des études d'impact juridiques réalisées par les FIS - pour l'État comme pour les collectivités territoriales - sont nécessaires pour disposer d'une vision claire des enjeux et des difficultés éventuelles . Déjà, en 2007, Fabienne Keller soulignait « la nécessité de développer des outils de nature à produire des études d'impact approfondies de la législation communautaire en préparation , études d'impact non seulement juridique, mais aussi macroéconomique et budgétaire » 116 ( * ) , afin de mesurer l'impact budgétaire qu'une proposition de directive est susceptible d'avoir sur le plan national.

Recommandation n° 7 : afin d'anticiper les enjeux et les difficultés éventuelles pouvant résulter d'une norme européenne en négociation et d'améliorer l'information des parlementaires, renforcer l'aspect quantitatif de l'évaluation des impacts macroéconomiques et budgétaires.

Par ailleurs, les précédents rapports sur l'application du droit communautaire de l'environnement incitaient, toujours dans l'optique de renforcer la diffusion de la « culture européenne » dans l'administration, à réaliser des analyses coûts/bénéfices en aval, afin d'apprécier pleinement les effets de la législation européenne et d'en tirer les conséquences. Cette préconisation reste toujours d'actualité.

Le contrôle de la qualité des études d'impact : panel européen

Certains pays européens ont instauré un contrôle de la qualité des études d'impact, selon deux typologies :

- un contrôle réalisé par un organisme extérieur, notamment :

* en Suède, le Conseil des règles ( Regelrâdet ), dans le cadre de sa mission de simplification, est chargé de contrôler la qualité des études d'impact susceptibles d'avoir une incidence significative sur la vie des entreprises ;

* au Royaume-Uni, un comité de la réglementation ( Regulatory Policy Committee , RPC), dont les membres sont issus de la société civile, évalue de façon indépendante la qualité des études d'impact réalisées par les services des ministères sur les projets de textes législatifs ou réglementaires. Les projets de loi ayant reçu un avis négatif sont presque systématiquement abandonnés. L'étude d'impact est ensuite transmise au comité chargé de la réduction de la réglementation ( Reducing Regulation Committee , RRC).

* en Allemagne, le conseil national de contrôle des normes ( Normenkontrollrat , NKR), créé à l'initiative du Parlement allemand en 2006, dont les membres sont également issus de la société civile, réalise le même travail, également de faon de façon indépendante, mais les suggestions d'amélioration qu'il fait auprès des ministères fédéraux restent confidentielles. Le NKR évalue notamment la sincérité de l'évaluation des coûts susceptibles de résulte du projet de texte, grâce à la faculté qui lui est offerte de saisir le bureau fédéral des statistiques. En outre, l'actuelle Chancelière ne présente pas au Parlement les projets ayant reçu un avis négatif.

- un contrôle assuré par le Parlement : en Italie, le Gouvernement présente au Parlement chaque année un rapport sur l'application de la méthode d'analyse d'impact de la réglementation.

La mission d'information de l'Assemblée nationale relative à la simplification législative a pu constater que la qualité des études d'impact « enregistrait de très nets progrès dès lors que le processus d'élaboration de ces dernières cessait d'être purement interne aux administrations productrices des textes législatifs et réglementaires ». Ainsi, elle préconise la création d'une autorité administrative indépendante, qui serait chargée de contrexpertiser les études d'impact accompagnant les textes législatifs ou réglementaires. Composée de membres de la société civile, elle pourrait s'appuyer sur des experts (secteur privé, public, INSEE, corps d'inspection et des contrôles généraux), son avis serait rendu public.

La mission de l'Inspection générale des finances et du conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies propose la mise en place d'une autorité similaire, chargée de contrexpertiser les études d'impact des projets de lois (avant leur transmission au Parlement, et après le vote du texte) et les fiches d'impacts des projets de textes réglementaires. Celle-ci rendrait un avis non contraignant mais rendu public et serait rattachée au ministre de l'économie. Son collège serait composé d'une équipe décisionnelle, réunissant 8 à 10 personnalités du monde économique et d'une équipe d'instruction, comprenant 15 à 20 cadres administratifs de haut niveau, qui serait dirigée par un membre d'un des corps des ministères économiques et financiers.

Sources : « Les écarts réglementaires entre la France et les pays comparables », rapport au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, Julien Dubertret, Philippe Schil et Serge Catoire, mars 2016 ; Assemblée nationale, « Mieux légiférer, mieux évaluer : quinze propositions pour améliorer la fabrique de la loi », rapport d'information n° 2268, fait au nom de la mission d'information sur la simplification législative, présidée par Mme Laure de La Raudière, rapporteur M. Régis Juanico, 9 octobre 2014


* 115 Enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 15 juillet 2015.

* 116 « Droit communautaire de l'environnement : maintenir le cap », rapport d'information n° 402, (2007-2008) de Mme Fabienne Keller, fait au nom de la commission des finances, 13 juin 2007.

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