B. UNE ATTENTION PARTICULIÈRE À PORTER AUX OUTILS DE GESTION DES PRÉCONTENTIEUX

1. Le bilan de l'application d'EU Pilot en France est plutôt satisfaisant

EU Pilot symbolise l'amélioration des méthodes de la Commission européenne en matière d'échange d'informations et de résolution de problèmes avant l'ouverture des procédures d'infraction, ainsi qu'en matière de gestion de ces infractions. Il permet aux autorités françaises de réduire les procédures d'infraction ouvertes à leur encontre, d'assurer une meilleure anticipation de celles-ci, et d'instaurer un dialogue renforcé entre la Commission européenne et les États membres .

À ce jour, aucune mise en demeure ne peut être ouverte sans avoir fait préalablement l'objet d'un dossier EU Pilot , à l'exception des mises en demeure automatiques pour non-communication des mesures nationales de transposition des directives et les situations d'urgence dûment motivées.

EU Pilot, outil de prévention au stade du précontentieux

L'idée de créer EU Pilot remonte à la communication de 2007 intitulée « Pour une Europe des résultats » 11 ( * ) , dans laquelle la Commission européenne a indiqué vouloir limiter le recours aux procédures d'infraction, tout en assurant une meilleure application du droit de l'Union Européenne. EU Pilot est utilisé lorsque les États membres doivent fournir des éclaircissements sur des situations de fait ou de droit et apporter des solutions dans un délai contraint, dans le but d'améliorer l'efficacité de la gestion des procédures d'infraction. Ce dispositif remplace les demandes d'information, qui étaient utilisées avant le lancement d'une procédure d'infraction.

Les services de la Commission européenne examinent alors toutes les réponses des États membres et de nouvelles mesures peuvent être prises si nécessaire. Les États concernés disposent d'un délai de soixante-dix jours pour répondre. Au-delà, la Commission européenne peut ouvrir un précontentieux si elle n'est pas convaincue par les éléments transmis.

EU Pilot fonctionne depuis avril 2008. Quinze États membres se sont portés volontaires pour y participer dès sa création 12 ( * ) . La France n'avait pas souhaité participé à EU PILOT à ses débuts, d'une part, parce que le dispositif a été lancé sous présidence française et qu'elle ne voulait pas apparaître comme juge et partie, d'autre part, parce que le système comportait alors certaines lacunes juridiques qui ont été comblées depuis. La France a donc décidé de rejoindre EU Pilot le 5 septembre 2011 .

Source : SGAE

Après cinq années d'utilisation, un premier bilan chiffré peut être établi. D'après les données fournies par le SGAE, depuis l'adhésion jusqu'à novembre 2016, 21 % des dossiers reçus et acceptés par les autorités françaises proviennent de la direction générale de l'environnement (DG ENVI) de la Commission européenne .

Sur les 364 dossiers évalués par les services de la Commission européenne, les réponses apportées par les autorités françaises ont été acceptées dans 241 dossiers, soit un taux de clôture positive de 66 % sur 84 % de dossiers évalués. Sur 123 dossiers pour lesquels les réponses françaises n'ont pas été acceptées, les services de la Commission européenne ont ouvert 111 dossiers dans la base « infractions ». 80 ont donné lieu à l'envoi d'une mise en demeure, soit 72 % de clôtures négatives entrant dans le cycle infractionnel de la Commission .

Les taux de transformation des décisions de clôture négatives en procédures infractionnelles, via l'envoi d'une mise en demeure, varient sensiblement d'une direction à une autre. Ainsi, les dossiers en provenance de la direction générale de l'environnement enregistrent le taux le plus élevé de clôtures négatives engendrant une mise en demeure (80 %) .

Répartition, par direction de la Commission européenne, des dossiers EU Pilot concernant la France entre septembre 2011 et novembre 2016

(en %)

Source : commission des finances, d'après les données du SGAE

Ce phénomène n'est pas étranger au fait que la DG ENVI fonde la majorité de ses dossiers sur l'initiative propre de ses services : seuls 44 % des dossiers confiés à la DG ENVI proviennent de plaintes.

Toutefois, si les autorités françaises peuvent se prévaloir de bons résultats en matière de gestion des précontentieux comme en témoigne le taux de clôture positive des dossiers, les délais de réponse ne sont pas à la hauteur. En effet, alors que les États disposent d'un délai de réponse de 70 jours , le délai moyen français atteint 85 jours en 2015, soit le délai de réponse le plus élevé des pays participant à EU Pilot.

Évolution des taux de résolution des dossiers EU Pilot pour la France et pour l'UE et du délai de réponse des autorités françaises entre 2011 et 2015

(en % et en jour)

Source : commission des finances, d'après les données de la Commission européenne

En outre, l'outil EU Pilot semble en perte de vitesse. La baisse importante du nombre de dossiers ouverts depuis 2013, tous domaines et États membres confondus 13 ( * ) , n'épargne pas le secteur environnemental : le nombre de dossiers EU Pilot dans ce secteur a diminué de 74 % entre 2012 et 2015 , passant de 386 dossiers à 101. Celui concernant la France a quant à lui diminué de près de 60 % entre 2013 et 2015 14 ( * ) . Cette baisse significative découle de deux facteurs :

- d'une part, de la diminution de 40 % du nombre de plaintes reçues par la Commission européenne en matière environnementale entre 2012 et 2015 (de 588 plaintes reçues à 363) ;

- d'autre part, de la décision de la Commission européenne de concentrer son action sur les déficits structurels de mise en oeuvre de législation environnementale, tout en laissant le soin aux juridictions nationales de veiller à la mise en oeuvre sur des aspects plus « ponctuels ».

Surtout, le nombre de dossiers EU Pilot devrait continuer à diminuer, dans la mesure où la Commission européenne a annoncé vouloir faire évoluer cet outil, qui ne sera plus systématiquement utilisé dans la gestion des précontentieux.

2. Sa récente réorientation appelle une gestion renouvelée des précontentieux européens
a) Au regard de l'usage que la Commission européenne entend désormais faire de l'outil EU Pilot ...

En raison de l'allongement des procédures contentieuses qu'il est susceptible d'entraîner, la Commission européenne a annoncé vouloir faire un nouvel usage de l'outil EU Pilot. En effet, elle estime que « le dialogue structuré EU Pilot axé sur la résolution des problèmes a été instauré entre la Commission et les États membres pour mettre fin rapidement, à un stade précoce, aux infractions potentielles au droit de l'UE dans les cas appropriés. L'intention n'est pas d'ajouter une longue étape à la procédure d'infraction, qui est en soi un moyen d'entamer un dialogue visant à résoudre un problème avec un État membre ». Ainsi, la Commission européenne entend lancer des procédures d'infraction « sans recourir au mécanisme EU Pilot, à moins que cela ne soit jugé utile dans un cas donné » 15 ( * ) .

Cet outil devrait dorénavant être utilisé lorsque la Commission européenne souhaite disposer d'informations supplémentaires de la part d'un État membre sur une potentielle situation d'infraction au droit européen. Lorsqu'elle considérera que les éléments sont réunis pour ouvrir une procédure d'infraction, l'étape EU Pilot ne sera pas engagée.

Lors de la dernière réunion dite « paquet », en mars 2017, les autorités françaises ont toutefois souligné leur attachement au dispositif EU Pilot et la crainte que cette évolution n'entraîne un tarissement des échanges avec les services de la Commission européenne.

En tout état de cause, ce nouvel usage d'EU Pilot traduit la volonté de la Commission européenne d'adopter une approche plus ciblée et stratégique du contrôle de l'application du droit européen , délaissant l'étape préliminaire offerte par EU Pilot si l'infraction est manifeste :

- l'utilisation d'EU Pilot pour les seuls cas où une explicitation des difficultés techniques rencontrées par l'État membre paraît nécessaire intervient parallèlement au recentrage de la Commission européenne sur les infractions à caractère horizontal, communes à plusieurs États ;

- l'évolution de l'utilisation d'EU Pilot va de pair avec la hiérarchisation du contrôle de l'application du droit européen par la Commission européenne, qui a annoncé vouloir le concentrer sur les infractions les plus importantes, envisageant de distinguer les infractions selon la valeur ajoutée qu'une procédure d'infraction pourra lui apporter.

b) ... l'éventail des méthodes de gestion des précontentieux et contentieux européens mérite d'être déployé

Il ne s'agit pas de prétendre que les modifications annoncées de la pratique de la Commission européenne dans sa dernière communication se traduiraient nécessairement par une hausse des précontentieux européens. Toutefois, cette nouvelle donne constitue une occasion de renforcer les méthodes de gestion des précontentieux alternatives et complémentaires à EU Pilot .

Des dispositifs de veille sont déjà opérationnels et permettent de s'informer de l'issue de contentieux au niveau européen ou de l'interprétation du droit de l'Union. Par exemple, par le suivi des questions préjudicielles posées à la CJUE par les juridictions nationales, françaises ou des autres États membres qu'il assure, le SGAE effectue une veille active sur l'interprétation du droit de l'Union européenne, les réponses données par la CJUE dans le cadre d'une question préjudicielle s'imposant à tous les États membres. De même, sur les sujets d'intérêt, le SGAE suit les décisions de la Commission européenne en matière d'infraction prises à l'encontre d'autres États membres .

Les réunions dites « paquet », qui constituent un lieu d'échanges précieux entre les services de la Commission européenne et les autorités nationales, sont appelées à monter en puissance . Organisées dans l'État membre, elles réunissent les services d'une direction générale de la Commission européenne, parfois accompagnée de son service juridique, et les autorités françaises autour des dossiers précontentieux. Celle-ci a lieu en règle générale une fois par an avec la direction générale de l'environnement. Elle permet aux services européens d'échanger directement avec les services compétents des départements ministériels et de clarifier les attentes de part et d'autre sur les dossiers précontentieux. La Commission européenne entend encourager ce type de dialogue bilatéral, qui peut porter à la fois sur les dossiers d'infraction, mais également sur « des questions plus générales liées à la mise en oeuvre effective de la législation » 16 ( * ) .

Au demeurant, votre rapporteur spécial souhaite attirer l'attention sur l'intérêt pour les autorités nationales qu'offrent ces évolutions. Elles traduisent en effet la volonté de la Commission européenne de renforcer la coopération avec les États membres, de créer un véritable partenariat stratégique plutôt que d'astreindre de façon presque systématique les États à la voie contentieuse. La procédure contentieuse devrait dorénavant constituer le dernier stade permettant d'atteindre l'objectif d'une application du droit communautaire de l'environnement .


* 11 COM (2007) 502 final.

* 12 L'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, la Hongrie, l'Irlande, l'Italie, la Lituanie, les Pays-Bas, le Portugal, la République tchèque, le Royaume-Uni, la Slovénie et la Suède.

* 13 Le nombre total de dossiers EU Pilot ouverts a connu un niveau maximal en 2013, avec 1502 dossiers ouverts, avant de diminuer en 2014 (1208 dossiers) et de nouveau en 2015 (881 dossiers). Ainsi, entre 2013 et 2015, le nombre total de dossiers a diminué de plus de 40 %.

* 14 Le nombre de dossiers EU Pilot concernant la France s'élevait à 110 en 2013. Il est de 46 en 2015.

* 15 « Le droit de l'UE : une meilleure application pour de meilleurs résultats », communication de la Commission, 2017/C 18/02.

* 16 Ibid.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page