B. DES SITUATIONS D'URGENCE FONCIÈRE EXIGEANT UNE REDÉFINITION DE LA POLITIQUE DE L'ÉTAT

1. La question domaniale, noeud gordien en Guyane

La Guyane connaît un enjeu massif de mobilisation du foncier appartenant au domaine privé de l'État. La délégation sénatoriale a fustigé la gestion domaniale comme jalouse et stérile dans le premier volet de son étude sur le foncier. 79 ( * ) L'État se révèle incapable à la fois de protéger les terres d'occupations illégales anarchiques et de mobiliser son foncier au service du développement économique et social du territoire , faute de moyens suffisants et de procédures adaptées mais, surtout, par carence de vision politique qui dépasserait une gestion administrative au fil de l'eau. L'établissement public foncier et d'aménagement de la Guyane ( EPFAG ) porte le même regard sur la gestion de son domaine par l'État.

Ainsi, selon Monsieur Patrice Pierre, son directeur, cette gestion est « dépourvue de vision globale à l'échelle du territoire ou d'un secteur. Elle nous paraît strictement comptable et administrative. Sans doute est-ce naturel de la part des services de l'État dont c'est le mode de fonctionnement quotidien. En résumé, une vision stratégique et de développement s'avère nécessaire pour avancer plus efficacement dans la valorisation du territoire . La transformation à opérer devrait s'incarner dans de nouvelles personnes et institutions : la CTG et l'Epag. » 80 ( * )

L'EPFAG estime que l'État dispose sur une superficie globale de 84 000 km 2 d'environ 20 000 km 2 de terrains potentiellement aménageables sur son domaine privé, sous réserve d'un inventaire plus précis. Même en tenant compte des effets limitatifs de la qualité des sols, de la couverture forestière et de l'enclavement des parcelles, l'effort de l'État pour mobiliser et libérer ce foncier maintenu sous cloche s'est montré notoirement insuffisant. Pourtant, les besoins de la population comme les ressources de son sol et de son sous-sol sont immenses.

L'État s'est montré particulièrement peu ouvert aux propositions et aux revendications des collectivités territoriales étranglées par l'étau foncier, alors même que le Centre national d'études spatiales (CNES) a reçu une attribution de 1 000 km 2 pour son implantation à Kourou. Quand l'État possède environ 95 % du territoire de la Guyane, les collectivités territoriales ne possèdent qu' approximativement 0,3 % de la surface foncière et les personnes privées guère plus de 1,4 % .

Desserrer l'étreinte domaniale pour libérer le potentiel de la Guyane est devenu indispensable. Vos rapporteurs partagent l'analyse de Madame Hélène Sirder, première vice-présidente de la Collectivité territoriale de Guyane (CTG) : « la cession de terrains constitue une condition de l'efficacité des politiques de la CTG. Nous souhaitons gérer en propre le foncier, conformément à la loi. En effet, la loi de 2011 créant la CTG nous a accordé de nouvelles compétences, en particulier sur le foncier et le domaine forestier. Elle prévoit notamment que l'État cède du foncier à la CTG qui le répartit aux communes, en procédant par voie de convention. Aucune défiance vis-à-vis de la CTG ne serait justifiée. {...} Les élus de Guyane devraient disposer des moyens nécessaires pour aménager et développer le territoire, conformément aux stratégies pour lesquelles ils ont été élus. » 81 ( * )

L'État nourrit une méfiance paternaliste à l'égard des collectivités territoriales guyanaises qu'il maintient dans un état de minorité, en leur refusant la mise à disposition des réserves foncières nécessaires et en les obligeant à solliciter des attributions au fil de l'eau projet par projet. Comment développer une stratégie foncière territoriale et communale cohérente et efficace dans ces conditions ? Comment s'étonner de la faiblesse de la planification et des retards dans l'élaboration de documents d'urbanisme qui sont rendus sans objet, puisque les communes n'ont aucune maîtrise foncière ? Comment vouloir que les maires et la CTG mènent une politique de lutte contre l'habitat informel et indigne quand ils sont laissés sans levier pour répondre à l'exaspération légitime de la population ?

Les réserves foncières des collectivités guyanaises

Source : EPFAG - données cadastrales au 1 er janvier 2016

* Sur la base des données DRFiP 2014, sachant que France Domaine considère que les données sur le foncier non bâti de l'État en Guyane sont incomplètes. Les surfaces incluent le foncier de l'Epag, du Conservatoire du Littoral, du parc amazonien et du CNES.

La Délégation sénatoriale aux outre-mer a formulé en 2015 des propositions précises pour mettre le foncier de l'État au service du développement local. Elle a recommandé de restreindre le champ du domaine forestier permanent qui couvre 2,4 millions d'hectares et transférer le foncier ainsi libéré à la Collectivité territoriale de Guyane, afin qu'elle puisse réaliser ses orientations stratégiques, tout en procédant à des rétrocessions aux communes et à des attributions foncières aux personnes privées.

En outre, la délégation souhaitait transférer la nue-propriété domaine forestier permanent restant à la CTG, l'État ne gardant qu'un droit d'usage . De cette façon, hormis la zone du parc amazonien, la collectivité territoriale et les communes exerceraient des droits sur l'ensemble de la forêt guyanaise. Cela offrirait une réparation à l'injustice faite à la Guyane depuis la départementalisation en 1946, qui avait transféré aux seuls départements de Guadeloupe, de Martinique et de La Réunion la propriété des forêts domaniales. Cette évolution constituerait surtout une étape vers l'objectif ultime de la rétrocession complète de la forêt à la Guyane.

Par ailleurs, la délégation recommandait de faciliter la constitution de forêts communales en prévoyant une exonération des frais de garde acquittés à l'ONF . En effet, singularité étonnante, aucune forêt de collectivité n'existe en Guyane , qui est le seul département français à connaître une telle emprise de l'État. Dans l'Hexagone, les deux tiers des forêts publiques environ sont des forêts communales gérées par l'ONF. L'exploitation du bois et des produits de la forêt constitue pourtant une filière d'avenir pour la Guyane , la caractérisation de nouvelles essences par la Maison du bois de Guyane ayant ouvert récemment de nouvelles perspectives.

Il n'existe pourtant aucun obstacle juridique, les forêts communales pouvant être créées et placées sous régime forestier par un arrêté préfectoral sur demande de la commune. Le seul frein , malheureusement rédhibitoire actuellement , vient des frais de garde à hauteur de deux euros l'hectare que ne peuvent assumer les communes guyanaises , dont les ressources propres sont très faibles et les charges très lourdes en raison de l'immensité de leur territoire et de l'intensité des besoins d'équipement de la population.

Parallèlement à l'exonération des frais de garde, la délégation entendait faire respecter les dispositions législatives imposant à l'ONF de s'acquitter de la taxe sur le foncier non bâti (TFNB) sur les parcelles de forêts exploitées , ce qu'il se refuse à faire, en contravention des articles 1394 et 1400 du CGI qui excluent expressément du bénéfice de l'exonération les bois et forêts appartenant à l'État et gérées par l'ONF. Pour parfaire le dispositif, il faut encore réaliser l'évaluation cadastrale des parcelles exploitées , ce que l'État s'est toujours refusé à opérer.

Alors que la situation semblait figée, quelques avancées récentes ont été obtenues lors de l'adoption de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 pour l'égalité réelle des outre-mer (EROM) , puis dans le protocole d'accord « Pou Lagwiyann dékolé » du 21 avril 2017 qui a conclu le mouvement social de grande ampleur du printemps dernier.

Le Gouvernement n'a pas souhaité d'une exonération permanente et définitive des frais de garderie et d'administration des forêts communales en Guyane. Il a néanmoins fait inscrire à l'article L. 272-1 du code forestier le principe d'une exonération temporaire des seules parcelles de forêt cédées par l'État à la CTG pendant trois ans à compter de l'entrée en vigueur de la loi EROM.

À l'initiative de notre collègue Georges Patient, qui s'inscrivait dans la ligne du rapport de la délégation, trois amendements ont été adoptés afin de compléter ce dispositif en :

- prévoyant l'évaluation cadastrale des parcelles, exploitées, concédées ou gérées par l'ONF dans un délai de 12 mois (article 121 de la loi du 28 février 2017 précitée) ;

- précisant que les communes et leurs EPCI pourront exonérer l'ONF de TFNB, pour une durée maximale de huit ans, si elles en délibèrent ainsi. Ce type de dispositions existe déjà pour les oliveraies, les peupleraies, les vergers ou les vignes. Pour bénéficier de l'exonération, l'ONF devra préciser clairement les parcelles qui sont exploitées et les revenus qui en sont tirés (article 1395 A bis du CGI) ;

- excluant les forêts domaniales de Guyane de toute possibilité d'exonération partielle de TFNB tant que les travaux d'évaluation n'auront pas été achevés (article 1395 H du CGI).

Après des années de mise en garde adressée à l'État, de travaux d'expertise et de rapports parlementaires, il a fallu pourtant attendre la levée en masse, en avril 2017, de la population guyanaise pour que la question éminemment politique du foncier fasse l'objet de négociations sérieuses. Parmi les mesures inscrites dans le protocole d'accord du 21 avril 2017 , vos rapporteurs se félicitent que l'État s'engage à céder gratuitement 250 000 hectares de foncier appartenant à son domaine privé à la CTG et aux communes et qu'il envisage de poursuivre les cessions à titre gracieux à l'issue du premier transfert. Des États généraux du projet Guyane seront ouverts en 2017 ; ils traiteront notamment la question de la rétrocession totale du foncier de l'État. 82 ( * )

Le dégel des terrains domaniaux intervient au moment propice où la Guyane bénéficie de l'activation de deux nouveaux leviers connexes :

- la transformation de l'Epag en établissement public foncier et d'aménagement depuis le 1 er janvier 2017 83 ( * ) ;

- l'inscription de l'aménagement des principaux pôles urbains de Guyane dans une opération d'intérêt national (OIN). 84 ( * )

Créé en 1996, l'Epag, établissement public à caractère industriel et commercial de l'État, avait pour missions d'aménager les zones urbaines, de construire la ville amazonienne durable dans une perspective de développement durable, de réaliser du portage foncier au service des collectivités et de soutenir l'agriculture guyanaise. Il jouait simultanément le rôle d'un EPF, d'un EPA et d'une Safer. Le 1 er janvier 2017, l'Epag a été dissout et ses biens, droits et obligations ont été transférés à titre gratuit à l'Établissement public foncier et d'aménagement de la Guyane, qui lui succède et reprend l'ensemble de ses attributions historiques. Fin 2016, les comptes faisaient ressortir un bilan à 79,3 millions d'euros et un compte de résultat à 35,1 millions d'euros. Le programme d'activité pour 2016 comptait plus de 50 opérations vivantes inscrites dans le plan stratégique de développement 2014-2020.

La novation tient à la gouvernance de l'EPFA Guyane et à l'élargissement de son périmètre d'intervention . Ainsi, le président du conseil d'administration, composé à parité de représentants de l'État et des collectivités territoriales, sera élu parmi ses membres . Au sein de l'Epag, il était désigné par le Président de la République. Surtout, l'EPFAG sera l'outil de mise en oeuvre de l'OIN de Guyane . Il devient compétent pour mettre en oeuvre des actions de développement économique et de promotion du territoire, ainsi que pour exercer toute mission visant à assurer le développement durable des territoires.

Le lancement longtemps attendu de l'OIN , la première jamais réalisée en outre-mer , témoigne enfin de la reconnaissance par l'État de l'ampleur des défis en termes de logement auxquels est confrontée la Guyane. Seul un dispositif exorbitant du droit commun de l'urbanisme est en mesure aujourd'hui de résorber les dégâts causés par des années d'atermoiements.

Concernant les moyens consacrés par l'État, la direction générale des outre-mer a précisé à vos rapporteurs que 5 millions d'euros avaient été provisionnés en fin 2016 pour couvrir notamment les études d'aménagement préalables aux projets. En outre, dans les périmètres déjà délimités, le foncier d'État représenterait environ 30 % des surfaces considérées et pourra être transféré à l'EPFA Guyane qui porte l'OIN. 85 ( * )

Dans les périmètres de l'OIN délimités sur 5 800 ha dans les communes de Cayenne, Kourou, Macouria, Mana, Matoury, Montsinéry-Tonnegrande, Rémire-Montjoly, Roura et Saint-Laurent-du-Maroni, seront modifiées les compétences de la commune et de l'État en matière d'autorisations d'occupation du sol et de création des zones d'aménagement concerté. Dans certains cas, l'État, par l'intermédiaire du préfet, peut assumer la maîtrise de la politique d'urbanisme en se substituant aux communes dans le périmètre dessiné.

Cependant, et c'est heureux, telles ne sont pas les recommandations du dernier rapport de Monsieur Philippe Schmit , mandaté par les ministres de l'outre-mer et du logement, sur l'actualisation du projet d'OIN en Guyane. Considérant que « l'OIN se situe pour l'essentiel sur les zones d'intérêt stratégique [...] identifiées dans le SAR » et qu'« elle sera un outil de mise en oeuvre des politiques d'aménagement partagées entre l'État et la CTG », il est nécessaire de « concevoir une gouvernance différente des autres OIN » et de « proposer aux acteurs territoriaux de coproduire l'OIN, en rassemblant au sein d'un conseil d'orientation les principales collectivités territoriales impactées ». 86 ( * )

Face à l'inquiétude de l'association des maires de Guyane, qui souhaitent ne pas être laissés à l'écart et totalement dépossédés de leurs prérogatives sans visibilité sur la programmation et l'avancement des travaux, vos rapporteurs préconisent d'entrer dans une démarche partenariale en associant les maires au pilotage de l'OIN . La proposition d'instaurer un conseil d'orientation paritaire entre l'État et les collectivités territoriales sous la double présidence du préfet et du président de la CTG contribuerait à créer les conditions de la confiance entre toutes les parties prenantes, clef d'une bonne gouvernance et gage de l'efficacité de l'opération. Le fait que le conseil d`administration du nouvel EPFA de Guyane , lui-même paritaire, ait été retenu comme organe exécutif de l'OIN , à la place du préfet va également dans le bon sens.

Pour accompagner l'OIN, il pourrait être également prévu, comme l'y invite le rapport Schmit 87 ( * ) , d'encadrer le déroulement des opérations par des contrats de territoires entre l'État, les communes et la CTG, qui détailleraient les opérations retenues dans chaque bassin de population, la chronologie et les contributions financières de chaque partie. C'est la même démarche souple de contrats d'intérêt national (CIN) qui a été adoptée dans le cadre du Grand Paris, en complément de l'OIN.

2. Ajuster l'intervention foncière de l'État à Mayotte

L'insécurité foncière que connaît Mayotte fait régner un climat d'extrême tension . L'île est confrontée à de tels conflits nourris par la pression migratoire, la multiplication des squats, les difficultés de régularisation des occupations traditionnelles et le caractère endémique de l'indivision, elle présente de tels besoins d'équipement, de logement et de développement sur un territoire contraint à 80 % par un classement en zone d'aléa naturel fort ou moyen 88 ( * ) que l'urgence sociale est avérée.

Dans ce contexte, la constitution d'un établissement public foncier et d'aménagement d'État à Mayotte constitue une opportunité essentielle qui suscite une forte attente de la part des élus comme de la population. Prévu par la loi n° 2015-1268 du 14 octobre 2015 d'actualisation du droit des outre-mer dont les dispositions ont été codifiées aux articles L. 321-36-1 et suivants du code de l'urbanisme, l'EPFA de Mayotte a été constitué par le décret n° 2017-341 du 15 mars 2017. Comme l'EPFA de Guyane, il réunit les compétences d'un EPF, d'un EPA et d'une Safer de manière à disposer de l'ensemble des outils du développement. Il doit assumer des missions d'ingénierie, de constitution de réserves foncières, de portage pour la réalisation de logements, d'opérations d'aménagement et de travaux d'équipement, de préservation du foncier agricole, de viabilisation, de réalisation de ZAC et de lotissements.

Le foncier dont l'EPFA sera propriétaire pourra être mis à disposition des collectivités dont les ressources propres demeurent très faibles alors que l'imbroglio foncier les empêche d'installer la fiscalité locale . Comme le souligne Monsieur Daniel Courtin, DEAL de Mayotte, « l'intérêt du portage de foncier réside en ce que l'EPF dispose de moyens financiers qui lui sont, en l'état actuel des choses, attribués par l'État : une dotation du ministère des outre-mer à hauteur de 3 millions d'euros par an pendant cinq ans est prévue 89 ( * ) ; la taxe spéciale d'équipement de 0,50 euro par habitant, qui permettra de dégager dans un premier temps 125 000 euros ; éventuellement tout autre forme de contribution 90 ( * ) . D'ores et déjà, le premier budget ne partira pas de rien et permettra d'agir. » 91 ( * )

La loi du 28 février 2017 pour l'égalité des outre-mer a également ouvert la possibilité de céder à titre gratuit des terrains de l'État à l'EPFA de Mayotte afin de construire des logements sociaux et des équipements publics sur le modèle de la disposition ancienne dont bénéficiait l'ancien Epag devenu EPFA de Guyane. Moins important que dans d'autres outre-mer, le domaine de l'État représente encore 13 % environ du foncier de l'île contre 43 % dans le giron du département . C'est la ZPG qui en constitue la plus grande part mais elle saurait difficilement être disponible pour constituer une réserve foncière de l'EPFA dans la mesure où elle fait l'objet de très nombreuses demandes de régularisation d'occupations coutumières, d'une part, de squats clandestins, d'autre part.

Cependant, la phase de préfiguration a vu les collectivités mahoraises et l'État s'affronter sur la gouvernance de l'EPFA . En effet, conformément à la loi d'actualisation du droit des outre-mer de 2015 précitée, le décret constitutif de l'établissement fixe une représentation paritaire de l'État et des collectivités territoriales au sein de son conseil d'administration, mais prévoit contre l'usage une désignation de son président par décret parmi les représentants de l'État.

Madame Raïssa Andhum, vice-présidente chargée de l'aménagement et du développement durable du conseil départemental de Mayotte rappelle que « non seulement les élus de Mayotte n'ont pas été associés en amont à la création de cet établissement public d'État, mais surtout, que sa gouvernance dans sa configuration actuelle ne permet pas la participation active des élus du département dans la prise de décision et la direction stratégique. En effet, l'État conserve l'essentiel des pouvoirs au sein du conseil d'administration [...] Compte tenu du poids du Département de Mayotte, qui cumule à la fois les compétences d'un département et celles d'une région, et de sa qualité de propriétaire de l'essentiel du patrimoine foncier sur le territoire, les élus ont adopté à l'unanimité une motion à l'adresse du Gouvernement. Celle-ci porte sur la nécessité de mettre en place au sein de l'EPFA de Mayotte une gouvernance partenariale transparente, équilibrée, et au plus près des réalités locales. » 92 ( * ) Monsieur Daniel Courtin concède pour l'État que l'EPFA de Mayotte, « devra se mettre au service de tous les acteurs dans une approche partenariale. » 93 ( * )

Il est difficile de ne pas interpréter la nomination du président du conseil d'administration parmi les représentants de l'État comme une mesure de défiance envers les élus, qui augure mal de la construction partagée d'une politique d'aménagement à la hauteur des enjeux. Ce choix avait déjà opéré en Guyane avant la constitution du nouvel EPFA ; il avait durablement enlisé l'action de l'Epag au détriment de l'intérêt général. À Mayotte, l'octroi de titres de propriété aux occupants coutumiers se heurte déjà à la divergence des politiques de régularisation de l'État et du département, qui doivent plutôt accroître leur coopération.

Vos rapporteurs soutiennent donc que le président du conseil d'administration ne devrait pas être choisi au sein d'un collège mais élu par ses pairs . Toutefois, un changement de gouvernance nécessitant une modification législative, avec tous les aléas et les délais qui sont inhérents à cette procédure, ils recommandent de laisser l'EPFA commencer à fonctionner en l'état pour qu'il entre rapidement en action. Une évolution de la gouvernance de l'établissement pourra s'opérer après sa montée en charge sous l'égide de l'État qui supporte pour l'instant l'intégralité du financement . Le rééquilibrage en faveur des collectivités marquera leur pleine appropriation de cet instrument crucial.

Le succès de la politique d'aménagement demeure conditionné par la résolution des désordres de la propriété foncière . La loi pour l'égalité réelle des outre-mer a permis quelques avancées qui restent en-deçà des propositions formulées par la Délégation sénatoriale en 2016. 94 ( * ) Elle prévoit une décote pouvant aller jusqu'à 95 % lors de l'achat par les particuliers de terrains de l'État de la ZPG. Vos rapporteurs considèrent qu'il faut aller jusqu'à la cession gracieuse pour tenir compte de la situation foncière des familles mahoraises, présentes parfois depuis plusieurs générations sur la parcelle en cause avec une parfaite légitimité coutumière. Il est incompréhensible pour beaucoup de Mahorais qu'on vienne leur demander d'acheter ce qu'ils considèrent déjà de longue date comme leur appartenant et que, jusqu'à la départementalisation, on ne leur demandait pas d'immatriculer au Livre foncier. Cette cession à titre gratuit serait assortie d'une interdiction de revente sur 10 ou 20 ans afin de décourager la spéculation.

La constitution d'une commission d'urgence foncière ( CUF ) à Mayotte était souhaitée par la Délégation sénatoriale. Elle devait, sous l'autorité d'un magistrat, mener des audiences foraines et faire sur place l'état des usages et des possessions, en associant notamment les cadis qui conservent la mémoire foncière de Mayotte. Sur ce fondement, elle aurait délivré des titres de propriété aux occupants, tout en prévoyant les servitudes et autres droits grevant la propriété afin d'assumer une transcription souple du droit traditionnel vers les concepts du droit civil. Le Gouvernement, hormis la dénomination, n'a retenu que peu de choses de ce modèle ; la CUF ne serait qu'une préfiguration d'un groupement d'intérêt public qui n'intégrerait pas expressément les cadis et qui se limiterait à la délivrance d'actes de notoriété constatant la possession, soit une fonction essentiellement notariale. Vos rapporteurs considèrent que la CUF dans sa configuration actuelle est une étape sur le chemin de l'attribution de titres de propriété par une instance quasi-juridictionnelle.

Par ailleurs, l'État garde une responsabilité éminente pour mettre fin aux occupations irrégulières et aux constructions clandestines qui menacent la paix civile . L'efficacité des procédures d'expulsion demeure trop modeste pour endiguer un phénomène devenu incontrôlable. Monsieur Saïd Omar Oili, président de l'association des maires précise qu'ils rencontrent « des difficultés pour faire exécuter les décisions de justice, une fois que le tribunal s'est prononcé. Par exemple, à Petite-Terre, une décision de justice ordonnant l'évacuation des occupants traîne depuis des années, au motif qu'elle pourrait créer un désordre public. Au final, les gens savent que les décisions de justice ne sont pas exécutées et ils continuent donc à s'installer. »

La crédibilité de l'État est entamée , alors qu'il ne parvient pas à assumer sa mission de gardien de l'ordre public. La Délégation sénatoriale avait émis en 2016 deux recommandations, qui restent d'actualité pour renforcer les instruments de lutte contre les occupations irrégulières :

- soumettre à un régime de déclaration préalable la construction des « bangas », par dérogation à l'article R. 421-2 du code de l'urbanisme, afin de faciliter l'intervention des forces de l'ordre ;

- ériger en délit la non-exécution d'une décision judiciaire d'expulsion afin de garantir la protection de la propriété titrée, sur le modèle de la non-présentation d'enfant ou de l'abandon de famille en matière familiale.


* 79 Rapport d'information n° 538 (2014-2015) du 18 juin 2015 sur « Domaines public et privé de l'État outre-mer : 30 propositions pour mettre fin à une gestion jalouse et stérile », fait au nom de la Délégation sénatoriale aux outre-mer par MM. Thani Mohamed Soilihi , rapporteur coordonnateur, et Joël Guerriau , Serge Larcher et Georges Patient , rapporteurs.

* 80 Visioconférence avec les acteurs publics de Guyane du 23 novembre 2016.

* 81 Ibid.

* 82 L'établissement public de coopération culturelle et environnementale que la CTG peut à sa demande créer auprès du Grand conseil des populations amérindiennes et bushinenge se verrait également attribuer 400 000 hectares aux termes du plan d'urgence initialement présenté par l'État le 2 avril 2017.

* 83 Décret n° 2016-1865 du 23 décembre 2016 pris en application de la loi n° 2015-1268 du 14 octobre 2015 d'actualisation du droit des outre-mer.

* 84 Décret n° 2016-1736 du 14 décembre 2016.

* 85 Audition du 2 février 2017.

* 86 CGEDD, P. Schmit, OIN en Guyane, Actualisation du projet : rapport final, février 2017, p. 17.

* 87 Ibid., p. 22-23.

* 88 DEAL de Mayotte.

* 89 La dotation sera prélevée sur la LBU.

* 90 Produits de prestations de services et emprunts.

* 91 Visioconférence avec les acteurs publics de Mayotte du 2 février 2017.

* 92 Visioconférence avec les acteurs publics de Mayotte du 2 février 2017.

* 93 Ibid.

* 94 Rapport d'information n° 775 (2015-2016) du 7 juillet 2016 « Agricultures des outre-mer : Pas d'avenir sans acclimatation du cadre normatif », fait au nom de la Délégation sénatoriale aux outre-mer par M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur, M. Jacques Gillot et Mme Catherine Procaccia, rapporteurs.

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