II. UN DÉBUT DE PRISE DE CONSCIENCE DE LA GRAVITÉ DU PROBLÈME

A. L'ÉMERGENCE TARDIVE D'UN SUJET

Le sujet de la dégradation des centres-villes est abordé régulièrement depuis les années 2000. Mais, dans un premier temps, il est évoqué de façon ponctuelle, soit au travers du cas particulier d'une ville confrontée à un dépérissement de son centre-ville 10 ( * ) , soit en lien avec une problématique spécifique, comme, par exemple, l'ouverture des commerces le dimanche ou encore l'installation d'agences bancaires en lieu et place de certains commerces 11 ( * ) .

Une prise de conscience plus générale se fait néanmoins jour progressivement. Si l'Institut pour la Ville et le Commerce la fait débuter en 2016, avec la mission confiée par la ministre du Logement, de l'Égalité des territoires et de la Ruralité au CGEDD et à l'IGF, on doit noter que dès 2009, notre collègue Élisabeth Lamure s'inquiète de l'impact de la loi de modernisation de l'économie (LME) sur les centres-villes 12 ( * ) .

La presse se fait ensuite régulièrement l'écho des difficultés éprouvées par les centres-villes à l'occasion notamment des publications de Procos 13 ( * ) .

B. LA RÉACTION INSTITUTIONNELLE

Du côté des institutions, le sujet est régulièrement évoqué à l'occasion des nombreuses modifications de la législation sur l'urbanisme commercial. Mais les principales initiatives apparaissent après l'adoption de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (LME). Outre le rapport déjà cité de Mme Lamure en 2009, on doit relever le rapport du député Jean-Paul Charié, remis au Premier ministre la même année, la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement dite « Grenelle II », qui systématise l'intégration d'un volet « commerces » dans les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et rend obligatoire la réalisation d'un document d'aménagement commercial (DAC), ou encore la proposition de loi relative à l'urbanisme commercial dite « Ollier-Piron ». Ce texte ambitieux, adopté en première lecture à l'Assemblée nationale puis au Sénat, n'a pas résisté au changement de majorité intervenu en 2012. Il est intéressant de citer un extrait de l'introduction du rapport sénatorial établi à son propos : « Notre incapacité collective, au cours des trente dernières années, à penser de manière cohérente l'insertion du commerce sur nos territoires a produit une véritable « catastrophe » en termes d'aménagement du territoire et d'urbanisme. Il suffit d'observer les collectivités dont nous sommes les représentants pour constater la laideur des entrées de villes et l'organisation aberrante d'un tissu urbain morcelé en zones unifonctionnelles, qui gaspillent l'espace foncier et génèrent des transports coûteux et polluants. Il suffit de tourner les yeux vers nos communes, petites et moyennes, pour mesurer la désertification des centres-villes, vidés de leur animation au profit de zones périphériques » . 14 ( * ) On ne saurait mieux dire.

Le sujet est néanmoins repris par le nouveau Gouvernement sous une forme renouvelée. En juin 2013, les ministères du Logement, de la Décentralisation et des Outre-Mer publient les 50 mesures du Plan d'action pour le commerce et les commerçants . Par ailleurs, si la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et à un urbanisme rénové (ALUR) aborde la question de l'urbanisme commercial, c'est surtout le cas de la loi 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (ACTPE) et de leurs textes d'application 15 ( * ) . Ce dernier texte législatif opère notamment la fusion des procédures de permis de construire et d'autorisation d'exploitation commerciale, le permis de construire ne pouvant être délivré que si la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC), ou la commission nationale (CNAC), a émis un avis favorable. Il modifie par ailleurs la composition des CDAC et de la CNAC, ainsi que l'étendue de la compétence de cette dernière.

Surtout, la loi ACTPE se penche sur la situation spécifique des centres-villes en mettant en place, de manière expérimentale, un « contrat de revitalisation artisanale commerciale » (CRAC) dans des zones marquées par une disparition progressive des activités commerciales. Le CRAC permet notamment de déléguer le droit de préemption des fonds de commerce à d'autres opérateurs publics (société d'économie mixte, intercommunalité...) et allonge le délai dont dispose la commune pour trouver un repreneur, qui passe de 2 à 3 ans en cas de mise en location gérance.

On doit toutefois relever que la problématique spécifique des centres-villes et centres-bourgs n'était pas abordée dans le projet de loi initial lui-même. Le CRAC n'y figurait d'ailleurs pas, mais a été introduit par un amendement gouvernemental en séance publique à la suite de la demande de plusieurs députés, dont le rapporteur du texte.

De manière encore plus surprenante, l'étude d'impact du projet de loi semblait totalement aveugle aux difficultés de nombreuses villes en matière commerciale. Ainsi notait-elle : « [...], après plusieurs années de désertification, les centres-villes retrouvent sous l'impulsion des enseignes un nouvel élan. À l'instar de la grande distribution pionnière dans le lancement de concepts de centre-ville, les hard discounters et les enseignes spécialisées traditionnellement présentes en périphérie se lancent également à la conquête des hyper-centres et ce malgré des taux d'effort souvent substantiels. Clairement, le retour vers une logique de commerces de proximité est plus que jamais à l'ordre du jour au sein des réseaux. Cela se traduit sur les artères commerçantes de centres-villes mais aussi sur les centres commerciaux de coeur de ville des grandes agglomérations. Ceci étant, et dans un contexte de crise, il est constaté que globalement tout converge pour que le centre-ville soit au centre des stratégies des groupes des prochaines années . » 16 ( * ) .

Cette vision témoigne d'une réelle difficulté de la part des administrations centrales à appréhender la réalité de nos villes et bourgs.

Par un étonnant détour, la question des centres-villes réapparaît cependant six mois après, lorsque le Gouvernement lance, au début de l'été 2014, un programme expérimental pour la revitalisation des centres-bourgs, soutenu par le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), qui a retenu 54 lauréats pour une durée de 6 ans.

Quelques mois plus tard, la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République ( NOTRe) télescope la question du commerce en transférant aux communautés de communes et d'agglomération, d'une part, la « politique locale du commerce et [le] soutien aux activités commerciales d'intérêt communautaire » et, d'autre part, la compétence de « création, aménagement, entretien et gestion de zones d'activité industrielle, commerciale, tertiaire, artisanale, touristique [...] » . Ce transfert résulte d'amendements adoptés à l'Assemblée nationale à l'initiative de la commission des Affaires économiques et visait précisément à faciliter la mise en oeuvre de politique de soutien au commerce de centre-ville.

Le Comité interministériel aux ruralités, qui se tient à Vesoul le 15 septembre 2015, montre une nouvelle sensibilité de l'État à la question de la revitalisation. Il comporte un chapitre intitulé « Renforcer les bourgs-centres et les villes moyennes qui animent la ruralité » , rappelle l'existence du programme expérimental pour la revitalisation des centres-bourgs ainsi que le rôle des volets territoriaux des contrats de plan État-région en la matière et annonce une mesure nouvelle consistant à mobiliser 300 millions d'euros du Fonds de soutien à l'investissement local (FSIL) pour accompagner le développement des bourgs-centres et villes de moins de 50 000 habitants.

En février 2016, la ministre du Logement, de l'Égalité des territoires et de la Ruralité et la secrétaire d'État chargé du Commerce, de l'Artisanat, de la Consommation et de l'Économie sociale et solidaire ont demandé à l'Inspection générale des finances et au Conseil général de l'environnement et du développement durable de réaliser une mission sur la revitalisation des commerces en centre-ville. Cette mission a publié son rapport à l'été 2016.

À la suite de ce rapport, des Assises pour la revitalisation économique et commerciale des centres-villes se sont tenues fin février 2017 à l'initiative de l'État. Elles ont rassemblé des élus locaux, des représentants d'agences et d'établissements publics, d'administrations centrales, de commerces de proximité, de chambres consulaires, de managers de centre-ville, d'aménageurs, etc. Le coeur des Assises a été le partage d'expériences et de bonnes pratiques autour de deux thèmes : les nouvelles stratégies de développement des villes moyennes, et les acteurs et mesures mobilisables pour revitaliser les villes moyennes. Ces assises ont par ailleurs débouché sur les annonces suivantes : mise en ligne d'un portail internet « coeur de ville », piloté par la direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l'Économie et des Finances ; orientation prioritaire en 2017 de l'appel à projets du Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC), dont les moyens sont cependant notoirement insuffisants, sur « les centralités commerciales dégradées des villes connaissant un fort taux de vacance » ; fléchage d'une enveloppe d'un million d'euros pour soutenir les « opérations collectives de revitalisation commerciale qui font appel à une ingénierie de projets porteurs de partenariats innovants entre acteurs publics et privés, et mettant en oeuvre une démarche structurée de développement du management de centre-ville » ; transmission aux préfets d'une instruction pour les inviter à davantage de vigilance sur le fonctionnement des CDAC et leur rappeler les enjeux liés à l'équilibre du commerce 17 ( * ) .

On notera enfin que notre ancien collègue Yves Dauge a remis, le 1 er février 2017, au Premier Ministre son rapport en faveur des nouveaux espaces protégés 18 ( * ) . Il porte sur les moyens d'une relance durable des moyennes et petites villes tournée prioritairement vers l'habitat et le commerce. À la suite de ce rapport, une expérimentation, coordonnée par le CGET a été lancée sur vingt territoires dans trois régions, Occitanie, Centre-Val-de-Loire et Grand Est. Ses objectifs sont d'identifier précisément les obstacles rencontrés par ces villes, de les encourager à élaborer des projets transversaux de revitalisation, de les accompagner par une mobilisation accrue de moyens d'ingénierie et « d'améliorer les synergies entre les différents dispositifs d'intervention ».


* 10 Voir par exemple « Bayonne invente la collectivité des petits commerces de centre-ville », Le Monde, 7 janvier 1999.

* 11 Voir par exemple « Le Havre en croisade pour sauver ses commerces », Le Figaro, 26 septembre 2007.

* 12 Rapport d'information fait au nom du groupe de travail sur l'application de la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008, constitué par la commission de l'Économie, du Développement durable et de l'Aménagement du territoire, n°174 (2009-2010), 16 décembre 2009.

* 13 Voir par exemple « À Lorient, la désertification du centre-ville à l'oeuvre », Le Monde, 2 mai 2013 ; « Commerce : la désertification des centres-villes s'accentue », Le Figaro Économie, 14 juin 2013 ; « La grande mue commerciale des centres-villes », Le Figaro Économie, 25 octobre 2013.

* 14 Rapport sur la proposition de loi relative à l'urbanisme commercial fait au nom de la commission de l'Économie, du Développement durable et de l'Aménagement du territoire, n° 180 (2010-2011), 15 décembre 2010.

* 15 Décrets n° 2015-165 du 2 février 2015 et n° 2015-482 du 27 avril 2015.

* 16 Projet de loi relatif à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, Étude d'impact, 20 août 2013, p. 4.

* 17 Instruction du Gouvernement du 3 mai 2017 sur la législation en matière d'aménagement commercial.

* 18 Yves Dauge, Plan national en faveur des nouveaux espaces protégés, Rapport au Premier Ministre, Septembre 2016.

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