EXAMEN PAR LA COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 19 avril 2018 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par MM. Jean Bizet, Philippe Bonnecarrère et Simon Sutour, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean Bizet , président . - Mes chers collègues, je vous précise que ce rapport d'information sera transmis aux différents États membres et je vous laisse à présent la parole.

M. Benoît Huré . - Ce document doit s'inviter dans le débat des futures élections européennes. Nous devons être proactifs et, face à l'euroscepticisme, montrer que les élus portent une vision de l'Europe. Bravo !

M. Pierre Ouzoulias . - Je partage beaucoup des opinions émises dans ce rapport très complet. Il est important d'engager une réflexion théorique large sur ce qu'est l'Union européenne et ce qu'elle pourrait devenir.

Le Brexit remet en question les rapports de certains États membres entre eux. Ce serait une terrible régression si l'Union se réduisait demain à un marché commun.

M. André Reichardt . - Je vous félicite pour votre rapport, mes chers collègues. Le paradoxe que vous avez relevé entre Europe-puissance et Europe-croissance m'interpelle. D'un côté, la volonté de mieux gérer les flux migratoires et de donner une vraie réalité à Schengen est plébiscitée par les Français. De l'autre, en matière économique et sociale, ils souhaitent que l'Europe s'occupe de ce qui la regarde.

Nous devons engager un travail en profondeur pour que les élections à venir fassent sens.

Le nouveau partage de compétences que vous appelez de vos voeux me semble très intéressant. Il s'agit d'apprécier de façon pragmatique la plus-value européenne plutôt que de rester prisonnier de compétences strictement définies. Mais encore faut-il s'entendre sur la définition du pragmatisme...

En effet, comme vous l'avez souligné, il aurait été préférable que la représentation des États membres au sein de la Task force soit plus équilibrée, afin que la réflexion sur ce dossier essentiel pour l'avenir de l'Europe soit meilleure encore.

Mme Pascale Gruny . - Je remercie à mon tour nos collègues pour leur travail, très important à la veille des élections européennes.

On dit souvent que nos concitoyens sont eurosceptiques, mais ils connaissent surtout très mal l'Europe et ne la comprennent pas. Nous-mêmes oublions trop souvent d'en parler, et je vais me servir de ce rapport pour faire de la pédagogie.

M. Pascal Allizard . - Je joins mes félicitations à celles de mes collègues sur la qualité et la nécessité de ce rapport.

L'Europe me semble aujourd'hui dans une impasse.

J'ai eu l'occasion de représenter le Sénat dans une conférence sur l'énergie à La Haye et je me souviens d'une forme d'intrusion européenne dans les choix souverains de certains États. C'est un vrai sujet quand on parle de subsidiarité.

Je vous livrerai également quelques exemples récents de réunions de travail à Bruxelles sur le sujet brulant des migrations.

Un haut fonctionnaire européen a refusé de répondre à ma question sur l'opportunité du déplacement des hotspots des côtes européennes vers les rives sud de la Méditerranée au motif qu'elle ne correspondait pas à ses convictions !

Un directeur général adjoint des services de la Commission m'a expliqué que mon travail de parlementaire était d'expliquer à mes concitoyens que la politique menée à Bruxelles était la bonne !

Enfin, comble du cynisme, un directeur général anglais a jugé que le round de négociations à venir sur les fonds européens serait l'occasion de mettre « au pain sec et à l'eau » les États réticents pour accueillir des migrants... C'est une erreur profonde de croire que la Hongrie, l'Autriche, la République tchèque ou la Pologne accepteront de vendre leur identité pour quelques millions d'euros.

Ce genre de messages véhiculés par des dirigeants non élus est inacceptable et, si on les laisse faire, c'est la mort assurée du projet européen. Si nous devions organiser aujourd'hui un referendum sur la sortie de l'Union dans notre pays, on aurait les mêmes résultats qu'au Royaume-Uni, voire pire encore.

Il faut remettre la politique au coeur de l'Europe et avancer sur des sujets choisis par les nations, et non par les fonctionnaires européens.

M. Didier Marie . - Je suis très réservé sur cette idée d'Europe des nations. Les difficultés de l'Union européenne résident dans un déséquilibre des pouvoirs entre le Conseil, la Commission et le Parlement. Le traité de Lisbonne a amélioré la représentativité du Parlement, mais nous devons encore renforcer ses pouvoirs.

Le projet européen a un avenir s'il s'attache à répondre aux préoccupations des populations. L'Union européenne a embrassé de longue date le modèle économique libéral que nos concitoyens rejettent en grande partie. On manque d'un vrai débat politique au sein de l'Union européenne, et le projet européen pâtit des négociations de marchands de tapis qui se tiennent entre États au Conseil.

Plutôt que de se replier sur l'idée de nation, il faut relancer une dynamique européenne en légitimant les politiques européennes, en particulier celles qui émanent du Parlement. À cet égard, la proposition du Président de la République de listes transnationales pour les élections européennes me semble intéressante. Il faut remettre de la politique dans le débat européen et en finir avec les compromis de façade. L'Europe manque de prises de position fortes sur certains sujets.

M. Jean Bizet , président . - Philippe Bonnecarrère , Simon Sutour et moi-même irons remettre ce rapport d'information à Frans Timmermans. Je fais moi-même partie du groupe d'appui à la Task force .

On critique souvent l'Europe pour son manque de réactivité. Il est vrai que nombre de politiques requièrent l'unanimité, et la majorité qualifiée n'est pas toujours facile à atteindre.

Le retrait britannique illustre la crispation des peuples à l'égard d'une structure dans laquelle ils ne se reconnaissent plus.

Je souhaite que le « paquet Tusk », élaboré avant le Brexit, soit mis en oeuvre dans les prochaines années en ce qui concerne la subsidiarité, car il répondait en partie à nos interrogations.

Il me semble enfin que le concept des coopérations renforcées a été insuffisamment utilisé : seulement 3 fois en 20 ans. On a pu ainsi passer outre le blocage de l'Italie et de l'Espagne sur le brevet communautaire, ce qui a permis de diviser par dix le coût de nos brevets. Europe à géométrie variable, cercles concentriques : cette voie est intéressante, même s'il est difficile de trouver une sémantique satisfaisante.

M. Simon Sutour . - Ne soyons pas trop pessimistes. Deux pas en avant, un pas en arrière, mais l'Europe avance quand même !

Voilà quelques années, j'étais chargé d'un rapport sur la réforme de l'OCM vitivinicole. Quand j'ai annoncé au directeur général de l'agriculture à la Commission que je comptais rencontrer le rapporteur du projet au Parlement européen, il m'a dit que je perdais mon temps car le Parlement n'émettait qu'un simple avis. Aujourd'hui, les procédures de codécision se sont multipliées.

Je me souviens aussi d'une réunion des présidents de commissions des affaires européennes avec comme point à l'ordre du jour l'avenir énergétique de l'Union européenne. Le commissaire à l'énergie de l'époque, M. Oettinger, parla pendant une heure sans prononcer une seule fois le mot « nucléaire ». Il était très mécontent que je lui fasse remarquer cette omission, mais n'hésitait pas en revanche à nous dire comment faire à l'avenir.

La conditionnalité des aides est très à la mode, notamment dans la bouche de Mme Loiseau : si vous ne marchez pas droit, vous vous exposez à recevoir des coups de bâtons ! J'ai été l'un des premiers à m'opposer à cette conception, notamment lors d'un débat en séance publique. Il semblerait que l'on fasse un peu marche arrière, le Président de la République parlant plutôt de convergence sociale et fiscale, ce qui est plus acceptable. Nul n'est parfait en ce bas monde !

Pour conclure, je défends les langues régionales et toutes les langues européennes, mais, pour plus d'efficacité, je suggère que ce rapport soit traduit en anglais.

M. Jean Bizet , président . - C'est prévu !

M. Philippe Bonnecarrère . - J'abonde dans le sens de la proposition de notre collègue Simon Sutour s'agissant de la traduction du présent rapport. Je crois toutefois qu'il convient de relativiser les conséquences de ce travail sur le suivi de la proportionnalité et de la subsidiarité, contreparties présentées à nos concitoyens lorsque l'Europe franchit une nouvelle étape. En réalité, pour un cas où la subsidiarité est utilisée, nous comptons a minima cinquante recours à l'action européenne. Là réside le paradoxe d'une société qui réagit mal à la dévolution européenne tout en ayant toujours davantage besoin d'Europe. En matière sociale, par exemple, nous souhaitons une politique nationale tout en considérant que le processus de Göteborg et la proclamation du socle européen des droits sociaux avaient du sens. Il nous revient d'expliquer à nos concitoyens comment gérer la complexité européenne et le fait qu'une question n'a pas de réponse unique : les sujets et les instances de décisions sont si interpénétrés que les réponses, multiples, sont connues dans un délai relativement long. Nous devons améliorer notre capacité à exprimer cette réalité. Les Français comprennent généralement l'importance géopolitique de l'Union européenne face aux États-Unis et à la Chine, mais leurs connaissances demeurent limitées concernant les actions qu'elle mène dans les autres domaines. Je propose, à cet égard, que nous éditions un guide des apports de l'Union européenne, qui rappellerait, par exemple, les bénéfices de la liberté de circulation, du droit de vote ou de l'harmonisation des pratiques en matière de télécoms. Quelles que puissent être leurs lacunes, la proportionnalité et la subsidiarité demeurent néanmoins des principes incontournables de l'Union européenne.

M. Pascal Allizard . - Je partage l'analyse de Simon Sutour s'agissant de la conditionnalité des aides. Je travaille, avec Gisèle Jourda, sur les routes de la soie et puis vous assurer que les États aux frontières de l'Union européenne n'auront que faire de ce principe tant la Chine sera à leur égard plus généreuse que l'Europe.

Mme Gisèle Jourda . - Absolument !

M. Jean Bizet , président . - Votre remarque est extrêmement pertinente.

M. René Danesi . - Je vous rappelle qu'au mois de novembre 2017, le premier ministre chinois a réuni seize pays d'Europe centrale et orientale au sein du « club 16+1 ». Certes, les promesses chinoises n'ont pas alors été mirifiques, mais la Chine s'est engagée à moderniser la ligne de chemin de fer entre le Pirée et Budapest : geste ô combien apprécié à l'heure où l'Europe, au contraire, oblige la Grèce à se séparer de ses joyaux ! La Chine ne donne, en outre, aucune leçon en matière de respect de l'État de droit ou d'accueil des immigrés...

M. Jean Bizet , président . - Je vous remercie pour ce débat fort riche. Monsieur Bonnecarrère, nous envisageons effectivement, dans la perspective des élections européennes en 2019, la publication d'un guide des résultats et des perspectives de l'Union européenne à destination de nos concitoyens. Comme le rappelait Simon Sutour, l'Europe, à son rythme, avance ! Prenez le droit de la concurrence, que nous jugions inadapté il y a déjà cinq ans, le règlement dit Omnibus l'améliore. Nous cherchons désormais comment dépeindre, sans heurter, une Europe à temporalité différenciée, en cercles concentriques : tous les États membres ne peuvent progresser concomitamment. Je confirme que le rapport sera traduit en anglais.

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À l'issue de ce débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.