COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE « AUTEURS DE TRAVAUX PARLEMENTAIRES ET CHERCHEURS SPÉCIALISTES DU STATUT DE L'ÉLU LOCAL » (12 AVRIL 2018)

M. Jean-Marie Bockel, président . - Le Président du Sénat, dans la perspective des conférences du territoire qui se succèdent à l'initiative du Président de la République et du Premier ministre, a souhaité que nous menions un travail sur le statut de l'élu local, partant du sentiment, ressenti lors des élections municipales de 2014, qu'il existait une véritable crise des vocations. Les retours de terrain en attestent. Les raisons ne tiennent pas qu'aux conditions d'exercice du mandat d'élu local ; elles sont multiples. In fine , il en ressort un très fort sentiment d'abandon, voire de découragement des élus locaux.

Nous avons fait le choix de travailler sur la question des conditions d'exercice, qui nous a semblé préférable au vocable de « statut ». Le bureau de la délégation comprend des élus de toute sensibilité politique. Nous nous sommes partagés le travail en quatre sous-thématiques, avec à chaque fois deux rapporteurs de sensibilité politique différente. Les auditions se succèdent à un rythme élevé. Les associations d'élus locaux, qui sont fréquemment présentes, reconnaissent l'intérêt de ce travail, durant lequel nous abordons des sujets tels que la crise des vocations ou la convergence des critiques.

Pour objectiver notre travail, nous avons lancé un questionnaire long et détaillé sur Internet, en passant par les principales associations d'élus locaux, à commencer par l'AMF. Nous avons reçu 17 500 réponses sur au moins certains aspects du questionnaire, et plus de 7 000 réponses complètes. 4 500 maires ont répondu. Ces chiffres sont considérables. Les répondants proviennent de toutes les régions de France, même si la participation de l'Outre-mer reste limitée et que seuls 10 % des répondants sont en Ile-de-France. Les répondants proviennent davantage des petites communes que des grandes.

Les résultats de ce questionnaire ne font pas ressortir qu'une seule explication. Différents éléments sont évoqués, comme la compatibilité de la fonction d'élu avec la vie professionnelle ou la vie personnelle, le risque pénal, la reconnaissance, le regard des citoyens ou la question de l'après-mandat. Le questionnaire laisse entendre qu'environ la moitié des élus qui ont répondu ne compte pas se représenter. Il s'agit d'une proportion considérable.

La réunion d'aujourd'hui nous permettra d'écouter différents sachants, aussi bien parlementaires qu'universitaires.

M. Philippe Gosselin, député de la Manche . - J'ai eu l'occasion, en 2013, de me pencher sur la question du statut des élus locaux avec le député-maire d'Argenteuil, qui est une ville de plus de 100 000 habitants. Pour ma part, j'étais maire d'une petite commune de 700 habitants. Nous avions pu croiser nos regards.

Le renouvellement de 2014 a fait apparaître des difficultés de recrutement, surtout dans les villes rurales, mais pas tellement dans les villes importantes, où la compétition politique est très marquée.

Aujourd'hui, nous partageons tous le constat d'une lassitude des élus, qui s'explique par différentes raisons, par exemple le poids des responsabilités ou la complexification des relations avec les administrés et les administrations. S'ajoute à cela, pour certains, une forme de désintérêt ou d'éloignement par rapport aux intercommunalités, qui prennent de plus en plus de place dans la vie des élus.

J'ai été élu conseiller municipal en 1989, puis maire en 1995. Entre 1995 et ces dernières années, j'ai noté une nette progression du temps que je consacre à des réunions de commissions ou de sous-commissions de l'intercommunalité. Le couple communes-intercommunalités est désormais inséparable. Il explique sans doute pour une part la désaffection de certains élus.

Je suis favorable à un véritable statut de l'élu. L'idée n'est pas de fonctionnariser les élus locaux. Pour autant, nous aurions tort de penser que le statut de l'élu local résoudra toutes les questions. Il doit s'agir d'une réponse à un certain nombre de questionnements sur le plan matériel (organisation, indemnisation) à l'entrée, mais également à la sortie du mandat. Il convient de réfléchir à la manière de permettre à un élu qui sort du dispositif de procéder à une validation des acquis de l'expérience.

M. Éric Kerrouche . - En tant qu'universitaire, j'ai mené plusieurs enquêtes sur les élus locaux européens (conseillers municipaux, maires, conseillers départementaux). Elles ont notamment porté sur la question du statut. Ces enquêtes ont été complétées d'un travail collaboratif, mené avec Élodie Lavignotte il y a quelques années, sur les élus locaux en Europe. A présent, nous préparons un nouvel ouvrage qui portera sur la professionnalisation des élus locaux. Parallèlement, mes anciennes fonctions d'adjoint au maire, de président d'intercommunalité et de conseiller régional me permettent d'avoir une vision duale sur ces sujets.

Nous sommes entrés dans une perspective particulière pour ce qui concerne l'ensemble de la population des élus. Tout le monde n'a pas vocation à être élu local. Il existe des critères locaux, formels et informels, de présélection. Ils tiennent notamment à la notoriété d'une personne, à son implantation locale et à sa place au sein d'une collectivité. Tout le monde n'a pas la même chance d'être repéré. Il apparaît de manière très nette que la sélection a des conséquences sur la population des élus locaux. Tout le monde n'a pas la même possibilité, ni la même chance d'être élu. Certaines qualités professionnelles ou personnelles sont plus propices à la reconnaissance. La sociologie des élus locaux en France est particulière, comme l'est la sociologie des élus dans toutes les démocraties représentatives.

Ce constat sous-entend que si des mesures juridiques sont prises, elles devront également être correctives : aujourd'hui, une partie de la population n'est pas en situation d'être élue. Les élus locaux sont généralement surqualifiés. Ils appartiennent davantage au secteur public qu'au secteur privé. Certaines professions sont surreprésentées. Il en résulte que des pans de la population sont oubliés (personnes issues de la diversité, jeunes, ouvriers). Cette distribution tout à fait particulière mériterait probablement des correctifs importants.

Au-delà de ces caractéristiques générales, la tendance à la dualisation des fonctions politiques est de plus en plus forte dans l'ensemble des démocraties occidentales, dont la nôtre. La séparation est de plus en plus prégnante entre les exécutifs et le reste. Les conseillers municipaux, singulièrement dans le cadre de l'intercommunalité, n'ont plus du tout le même rôle que par le passé ; ils ne sont pas forcément dans une logique de professionnalisation. En revanche, le poids des exécutifs locaux (adjoint, vice-président, maire, président d'intercommunalité) est de plus en plus important. Ces personnes ont une propension plus grande à entrer dans une logique de professionnalisation, entendue comme le fait d'avoir une activité élective qui devient concurrentielle d'une profession, voire qui se substitue à elle.

La spirale d'absorption vers la professionnalisation est également de plus en plus importante en raison de la technicisation des mandats. Au-delà d'un métier et d'un comportement général, être dans un exécutif impose une technicisation importante et un apprentissage substantiel. L'implication dans le mandat est de plus en plus forte. Tout ceci explique que nous nous inscrivions dans une logique de substitution à la profession. C'est cette difficulté qu'il convient de traiter.

Il existe deux façons de le faire : soit nous poursuivons la logique actuelle d'amateurisme républicain, soit la fonction d'élu est considérée comme une profession le temps de l'exercice du mandat. Certains pays (Allemagne, Espagne, Pays-Bas) ont franchi le pas. Autant certaines personnes peuvent concilier leur mandat et leur profession pendant un temps donné, autant c'est impossible pour d'autres, d'où les logiques supplétives. Le cumul des mandats était une logique supplétive, étant entendu que le cumul horizontal reste permis, ce qui pose certaines difficultés. Si nous souhaitons sortir de ces logiques supplétives, alors il convient de prendre des mesures particulières. C'est précisément l'objet de notre discussion.

M. Jean-Pierre Sueur . - J'ai été secrétaire d'État aux collectivités locales pendant deux ans et demi. J'y ai préparé la première loi, du 3 février 1992, sur le statut de l'élu. Cette loi est parue quelques jours avant la loi sur l'administration territoriale de la République qui a été créé les intercommunalités. La loi de février 1992 a codifié les indemnités ; elle a également instauré des congés et une retraite (par capitalisation plutôt que par répartition) pour les élus. Nous avions aussi instauré un droit à la formation pour les élus locaux. Ces quatre acquis avaient été bien perçus par les intéressés. Depuis 25 ans, j'entends toujours dire que nous avons besoin d'un vrai statut de l'élu local. Pourtant, la compilation de tout ce qui a été adopté entre 1992 et 2018 constitue déjà un corpus très important. Il est évidemment possible d'améliorer les choses, mais l'on ne peut pas dire qu'il n'existe pas, aujourd'hui, de statut de l'élu.

Lorsque Jean-Pierre Bel était président du Sénat, nous avions organisé des assises de la démocratie locale, avec des réunions dans les 101 départements et une grande réunion à Paris. Tout le monde se demandait si cette grand-messe servirait à quelque chose. Jean-Pierre Bel a chargé deux personnes, dont je faisais partie, de formuler deux propositions de loi. C'est ce que nous avons fait.

La première loi a porté sur les normes applicables aux collectivités locales. Les normes sont un sujet important pour les élus. Je crois donc que nous avons été utiles en créant un conseil censé donner un avis sur l'ensemble des projets de loi, de décret, d'arrêté et de circulaire qui ont un impact sur les normes applicables aux collectivités locales. Par exemple, lorsque la fédération française de basket décide de changer la taille des panneaux d'affichage du résultat, elle instaure une dépense obligatoire pour plusieurs centaines de communes. Ce conseil national fonctionne bien, même s'il est toujours convoqué très tard par le gouvernement. Nous avions également préparé une loi organique, qui n'est pas arrivée à son terme, afin que l'avis de ce conseil soit annexé aux projets de loi, de la même manière que le sont les études d'impact.

Par ailleurs, nous nous sommes rendus coupables d'un texte de loi s'intitulant « proposition de loi visant à faciliter l'exercice par les élus locaux de leur mandat ». Initialement, ce texte comportait 7 articles. À l'issue de la navette, il en comportait 19, preuve que le sujet a beaucoup intéressé les parlementaires. Ces 19 articles ont ajouté beaucoup d'éléments en termes d'indemnités, d'autorisation d'absence, de congés ou de droits sociaux.

Au final, on ne peut vraiment pas dire que le corpus n'est pas assez imposant, même s'il faut sans doute l'améliorer.

Dans les petites communes, les élus avaient souvent des scrupules à se voter l'indemnité à laquelle ils ont pourtant droit. Les finances de leurs communes sont tellement étroites qu'ils préféraient ne pas en parler. L'association des maires de France nous a donc expliqué qu'il serait plus simple pour les élus que le vote de cette indemnité devienne une obligation légale. Nous avons alors inscrit dans la loi que le vote de la perception par le maire de l'indemnité maximale à laquelle il a droit, qui n'est vraiment pas énorme, surtout au regard du nombre d'heures de travail, serait obligatoire dans les communes de moins de 3 500 habitants. Dès le lendemain, l'association des maires de France s'est félicitée de cette loi au travers d'un communiqué. En revanche, dans les semaines et les mois qui ont suivi, des maires ont déploré cette injonction, estimant qu'elle les obligeait à procéder à des dépenses inutiles dont ils ne voulaient pas et qui seraient mal vues. L'association des maires de France s'est alors retournée vers nous pour nous demander davantage de souplesse. Le parlement a donc voté une nouvelle loi visant à rendre le dispositif facultatif.

Cet exemple montre que le chemin sera long et escarpé. Nous avons fait pas mal de choses. Le travail n'est évidemment pas terminé, mais il ne faut pas méconnaître ce qui a déjà été fait. Par exemple, l'article 2 de la loi visant à faciliter l'exercice par les élus locaux de leurs mandats contient une charte des élus locaux.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Merci de ce rappel. En tant que sénatrices et sénateurs chevronnés en prise avec la réalité locale, nous restons humbles et modestes. Le moment venu, nous serons extrêmement pragmatiques dans nos propositions. Nous partirons évidemment de l'existant.

M. Philippe Gosselin, député de la Manche . - Nous pourrions commencer par regrouper dans le code général des collectivités territoriales tous les textes qui concernent les élus locaux. Cette agrégation nous permettrait de constater que nous ne partons vraiment pas de rien, même s'il y a des manques à combler. Il faut distinguer trois périodes : l'entrée dans le mandat, qui pose la question de l'égalité hommes-femmes et de l'accès de toutes les CSP, l'exercice du mandat et la sortie du mandat (VAE, indemnités de retour à l'emploi, bilan de compétences).

M. Jean-Marie Bockel, président . - C'est bien dans cet esprit et avec ce découpage que nous travaillons actuellement. Je me tourne maintenant vers les chercheurs qui nous font l'honneur de leur présence aujourd'hui. Nous vous écoutons.

Mme Élodie Lavignotte, chercheuse associée au CERA . - Je concentrerai mon propos sur la construction juridique et l'encadrement de la notion de statut de l'élu local, même si je conviens que nous pourrions plus avantageusement parler des conditions d'exercice des élus. L'encadrement juridique du statut d'élu local concerne à la fois l'entrée dans le mandat, l'exercice et la fin de mandat. Tous les textes qui sont parus depuis 1992 et la décentralisation conduisent à une professionnalisation de fait de la fonction d'élu local. Toutefois, pour des raisons qui sont à la fois historiques et sociologiques, cette professionnalisation n'est pas totalement assumée par ceux qui font les lois. En effet, l'exercice d'un mandat n'est ni métier, ni une profession. Le principe de gratuité demeure le fondement de la légitimité et de l'identité de l'élu local. Dès lors, la rémunération ne peut être conçue qu'en tant que mécanisme de compensation d'une perte. Tel est en tout cas ce qui ressort des discours.

Dans le même temps, la codification successive juridique vient consacrer l'idée d'une professionnalisation et d'un encadrement de plus en plus fort de l'exercice des mandats locaux, y compris dans l'optique d'une harmonisation avec le statut de parlementaire. En termes de recherche, cette construction juridique est intéressante Les débats sont un moment privilégié et un révélateur de la manière dont les élus parlent d'eux-mêmes.

Le débat sur la crise des vocations est récurrent chaque fois qu'il est question de codification juridique. En 2000, il était déjà question de crise des vocations. Pourtant, au final, 95 % des élus locaux s'étaient représentés. Il sera intéressant de voir ce qu'il en sera l'année prochaine.

Au-delà, ce qui est en jeu aujourd'hui, c'est l'identité de l'élu, qu'il soit local ou non. Le sujet touche à la question de la reconnaissance et de la place de l'élu dans la société. L'élu s'affirme toujours comme un généraliste de l'action publique, mais dans le même temps, il est obligé de se techniciser et de monter en compétences, ce qui n'est pas nécessairement bien perçu par les citoyens. Dès lors, les élus se retrouvent parfois en situation de tension schizophrénique entre la réalité de l'exercice de leur mandat et la manière dont ils doivent affirmer leur identité vis-à-vis de l'extérieur. La crise des vocations traduit l'émergence de ce qui se joue au travers de la notion d'identité, voire d'identité professionnelle. Les élus qui exercent leur mandat à plein temps sont des professionnels de la politique. Certains pays l'assument, d'autres pas. Ainsi, le droit à rémunération, pourtant consacré par la charte européenne de l'autonomie locale, fait encore l'objet de réserves en France, ce qui n'est pas le cas en Allemagne ou en Espagne.

Chez nous, nombreux sont ceux qui considèrent par principe que les élus ne peuvent pas être des fonctionnaires. Et pourquoi pas ? En quoi serait-ce tabou au regard de la technicisation croissante et de la montée en compétences des élus sur leurs dossiers ? Ce n'est pas une question de niveau d'exercice du mandat. Ainsi, le maire d'une petite commune rurale est contraint de monter en compétences quasiment au même niveau que le maire d'une grande ville car il ne dispose ni des mêmes moyens, ni du même staff.

D'ailleurs, la crise des vocations touche particulièrement les maires, dont l'investissement en temps n'est pas reconnu à sa juste valeur. Il s'agit du coût caché de la démocratie, mais il n'est pas assumé comme tel. L'interrogation est légitime, mais elle est difficile à faire passer dans les représentations collectives de la démocratie. La professionnalisation est inéluctable. A ce jour, elle n'est pas totalement assumée. Le fait que nous soyons contraints d'interroger la notion de statut et sa pertinence est très révélateur de notre hésitation à construire une nouvelle identité professionnelle pour les élus. En la matière, il ne s'était quasiment rien passé entre 1982 et 1992. L'activité de codification a ensuite été très intense jusqu'en 1999. C'est de nouveau le cas actuellement. Le traitement du sujet n'est donc pas linéaire. En revanche, la rémunération a toujours été au coeur des dispositifs qui ont été mis en place pour encadrer le statut de l'élu local.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Merci pour ce propos extrêmement intéressant.

M. Patrick Le Lidec, chargé de recherche au CNRS et à Sciences Po . - Beaucoup de choses ont déjà été dites. Je me permettrai d'enfoncer le clou sur la tension qui existe entre la conception ancienne de l'exercice des mandats locaux, au coeur de laquelle est inscrit le principe de gratuité, et le refus du statut de quasi fonctionnaire. Cette dimension me semble tout à fait centrale. Tous les éléments qui ont été rappelés à propos de la loi du 3 février 1992 montrent bien que le processus de professionnalisation et l'adoption de dispositions statutaires couvrent toutes les dimensions d'un exercice professionnel de la fonction d'élu. Dans le même temps, nous restons au coeur de la professionnalisation déniée. De ce point de vue, il est nécessaire de sortir de l'ambiguïté de la loi de 1992, qui portait sur les conditions d'exercice des mandats locaux, et non sur le statut de l'élu. A l'époque, le ministre de l'Intérieur avait bien précisé qu'il n'était pas question de professionnaliser les élus locaux, et encore moins de les fonctionnariser.

La réalité actuelle est bien que l'exercice de la fonction d'élu s'est très fortement professionnalisé. Il faut donc accepter ce mouvement, malgré le contexte de crise économique, qui a abouti à désacraliser la fonction d'élu dans de nombreux pays européens.

Le développement de l'intercommunalité a été un moyen de professionnaliser les élus, alors que le statut antérieur était très « bricolé ». Les rémunérations des élus ont augmenté de manière très importante. Les lois de 2010 et 2014, qui ont complètement refondu la carte intercommunale, réduit très fortement le nombre de vice-présidences et imposé aux élus municipaux des partenaires qu'ils n'avaient pas choisis, pèsent très fortement sur le contexte dans lequel le débat est posé. Pour autant, même si en arrière-fond les discours désignent assez volontiers les élus à la vindicte populaire dans l'ensemble des pays occidentaux, il faut accepter d'en finir avec une conception anciennement notabiliaire. Cela suppose de revisiter le sujet des rémunérations, à la fois sous l'angle d'un plancher et d'un plafond. Dans un certain nombre de domaines, le cumul des mandats et les structures intercommunales se sont développées. Les parlementaires ou les préfets qui se retrouvent en situation de devoir refondre la carte des syndicats intercommunaux nous expliquent souvent que la question indemnitaire se trouve en arrière-plan des discussions.

Je crois qu'il est temps d'assumer pleinement une approche « à l'allemande » qui consiste à dire que la démocratie a un prix, sauf à considérer que seuls les plus riches sont en capacité d'exercer des mandats d'élus. Si ce n'est plus notre conception, alors nous devons aller vers la normalisation et sortir du bricolage républicain construit sous la III e République, confortée sous la IV e et amplifiée sous la V e , et qui a consisté à multiplier un certain nombre de mandats et de fonctions, permettant de créer des statuts et des rémunérations de fait, mais très inégalitaires car déconnectant totalement le temps de travail de la rémunération. Certaines fonctions extrêmement chronophages sont peu rémunérées, quand d'autres fonctions sont bien payées pour très peu d'activité. Arrêtons cet entre-deux. Le monde a changé. Acceptons d'en tirer les conséquences pour ce qui concerne le statut des élus.

M. Philippe Gosselin, député de la Manche . - Je souscris totalement à votre propos. Nous ne sommes pas sortis de cette ambiguïté. Nous sommes toujours dans l'imaginaire républicain de 1789 et du conseil national de la résistance. Aujourd'hui, la notion de bénévolat a disparu. Nous nous trouvons à la croisée des chemins. La difficulté consistera à réussir ce passage sans laisser penser qu'une caste pourrait s'auto-protéger et s'auto-constituer un statut. D'ailleurs, le terme de statut est à bannir.

M. Rémy Le Saout, maître de conférences à l'Université de Nantes . - Il y aurait énormément à dire, mais beaucoup d'éléments ont déjà été apportés. Je serai donc très court. Je me contenterai de vous présenter ce que nous faisons.

Je suis responsable du programme de recherche « les élus et l'argent », qui bénéficie d'un financement de l'ANR. Ce programme mobilise 15 chercheurs français et 35 collègues européens. Il porte sur le sujet des rémunérations. Notre hypothèse centrale consiste à mettre en évidence l'hétérogénéité et l'inégalité des rémunérations associées aux mandats politiques, quel que soit le type de mandat. En France, seuls 10 % des élus (soit de 25 000 à 30 000 mandats) vivent de la politique. Il s'agit donc d'une exception.

La recherche a deux grands volets. Un premier volet travaille sur la production des réformes, avec une approche socio-historique en France, du début du XIX e siècle jusqu'à maintenant. L'entrée n'est pas juridique, mais sociologique. Le second volet porte sur la manière dont certains élus en viennent à vivre de leurs fonctions. Cela concerne principalement des positionnements intermédiaires (conseillers régionaux, maires, etc.). Dans ce cadre, nous nous intéressons à l'usage politique qui est fait de l'argent, entre discrédit ou arme de disqualification de l'adversaire.

Notre recherche est encore à l'état de chantier. Nous ne pouvons pas encore vous présenter de résultats. Nous nous apprêtons à adresser un questionnaire à un échantillon de parlementaires et d'élus locaux. Nous avons déjà réalisé beaucoup de recherche qualitative. Nous avons pu constater que les élus se préoccupaient davantage de la sortie que de l'entrée dans le mandat, ce qui en pousse certains à s'enfermer dans leur mandat. Par ailleurs, de nombreux élus ont le sentiment d'une inégalité flagrante entre les indemnités (de maire d'un côté, de conseillers régionaux ou départementaux d'un autre). Enfin, nous avons aussi relevé le très faible accompagnement des élus à leur sortie de mandat. Cette sortie n'est ni préparée, ni accompagnée.

Nous aurons davantage de données à vous présenter d'ici deux années. Il est donc très important que cette collaboration puisse se poursuivre. Elle est très importante pour nous.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Elle l'est également pour nous. Il nous est très précieux d'avoir face à nous des chercheurs qui ont le recul nécessaire.

M. Didier Demazière, chercheur au CNRS . - Par le passé, j'ai participé à une enquête sur le travail d'élu, ses conditions d'exercice, sa reconnaissance et sa rétribution. L'enquête à laquelle je participe en ce moment porte davantage sur les parcours des élus. La rémunération n'a pas de sens en tant que telle. Elle s'inscrit dans le cadre d'un parcours de vie professionnel. Dans certains cas, l'exercice d'un mandat peut se faire en parallèle d'une activité professionnelle. Dans d'autres cas, les élus exercent leur mandat à temps complet. La question des circulations entre ces différentes situations se pose. La question de l'entrée dans le mandat est moins brûlante, pour les élus, que la question de la sortie, qui se pose fortement.

Ces derniers mois, nous avons entendu un certain nombre de personnalités politiques nationales annoncer leur retrait de la vie politique. Ces personnalités ont retrouvé une position professionnelle non-politique assez facilement car elles avaient accumulé, durant leur carrière, des ressources extrêmement variées qui ont facilité leur reconversion. La question de la sortie est beaucoup plus prégnante pour les élus locaux ou les parlementaires, qui se retrouvent souvent seuls au moment de préparer leur sortie, d'identifier les compétences qu'ils ont accumulées et les lieux dans lesquels ils pourraient les faire valoir. Il s'agit de passer d'un monde à un autre. Cela se fait avec plus ou moins de réussite car la sortie est très peu organisée. Les élus se débrouillent seuls. Ce constat nous conduit à repenser différemment la question de la professionnalisation.

La professionnalisation, ce n'est pas seulement vivre de son mandat. Il s'agit d'abord d'être rémunéré pour exercer une activité. Dès lors, penser la rémunération des élus suppose d'expliciter leur travail. Or les mandats, donc les activités des élus, sont très hétérogènes. Le travail d'un élu n'est pas une réalité homogène. Aujourd'hui, le rapport entre ce travail et la rémunération est très opaque. Par ailleurs, la professionnalisation ne vise pas à faire des élus des professionnels de la politique pendant toute leur vie. Il s'agit de construire des conditions d'exercice pour une période donnée.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Cette précision est très importante.

M. Didier Demazière, chercheur au CNRS . - En ma qualité de sociologue du travail, j'ai mené des recherches dans beaucoup d'autres milieux professionnels. J'ai pu constater que même les personnes qui se considèrent comme des experts souhaitent parfois changer de métier. Il s'agit même d'une tendance très forte dans nos sociétés contemporaines. Professionnaliser, c'est être professionnel au moment de l'exercice d'une activité, mais cela ne signifie pas que la personne exercera cette activité toute sa vie.

Il faut donc tout à la fois penser les conditions de circulation entre les positions d'élus professionnalisés, reconnus et rémunérés pour effectuer leur travail et accompagner les phénomènes de circulation, de reconversion et d'entrée-sortie, qui sont de plus en plus importants et sont une version plus positive de la crise des vocations ou du malaise des élus.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Je vous remercie de vos exposés. La parole est maintenant aux sénateurs.

M. François Bonhomme . - L'analyse des représentations que se font les élus de leur fonction est très intéressante. Un transfert s'est opéré, sur fond de technicisation, avec une tension dans la manière dont les élus considèrent leur fonction. La professionnalisation est évidente. Elle est liée au poids des responsabilités et au temps passé. Toutefois, elle est difficile à reconnaître car ce terme de « professionnalisation » renvoie au terme de « fonctionnarisation », qui recouvre l'idée que l'élu l'est à vie, ce qui est évidemment contradictoire avec le principe du suffrage universel. Peut-être serait-il préférable de parler de « technicisation », qui renvoie à l'idée de connaissance et d'expérience.

J'aimerais également revenir sur le coût caché de la démocratie. Il est très difficile d'expliquer aux administrés ce qu'est la fonction d'élu, surtout lorsque celle-ci s'éloigne de leur quotidien. Les administrés comprennent la fonction d'élu local ou municipal. En revanche, les fonctions territoriales ou départementales sont plus compliquées à expliquer. La proximité territoriale est donc un élément de pédagogie dans l'acceptation des élus et des fonctions qu'ils exercent.

Mme Michelle Gréaume . - Je reviendrai sur quelques informations que j'ai trouvées très importantes, notamment le manque de jeunes, de femmes et de salariés parmi les élus, même si l'obligation de parité a permis d'accroître la part des femmes. Il existe des textes sur le statut de l'élu. Certes, ils ont sans doute besoin de modifications, mais c'est également le cas du Code du Travail. S'il n'y a pas suffisamment d'élus ouvriers, c'est aussi parce qu'ils ne peuvent pas s'absenter de leur travail.

Par ailleurs, 35 000 communes ont moins de 10 000 habitants. Les cumuls peuvent être très nombreux dans les petites ou moyennes communes. Par exemple, un maire peut également être président de CCS, vice-président d'agglomération et vice-président de syndicat. Or il n'a pas suffisamment de personnel pour l'aider.

Il existe également une disparité importante en ce qui concerne l'indemnité de fin de mandat, qui n'est donnée qu'aux élus des collectivités de plus de 100 000 habitants. Le maire d'une commune moyenne ne la perçoit pas, alors même qu'il n'est pas certain de retrouver son emploi précédent. Les conseillers municipaux, qui font parfois beaucoup de bénévolat, ne perçoivent aucune indemnité dans les petites et moyennes communes. En revanche, une indemnité est versée au département et à la région.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Je voudrais d'abord remercier madame et messieurs les chercheurs pour avoir su mettre les mots et conceptualiser ce que nous savons et ressentons au travers de nos mandats. Évoquer l'entrée dans le mandat, l'exercice du mandat et la sortie du mandat est une bonne manière d'approcher le sujet. Je n'ai pas de question, mais je souhaite réagir à certains propos.

En tant que sénateurs, nous avons la chance d'être très protégés de la pression populaire. Nous ne devons des comptes qu'aux grands électeurs. Dès lors, nous pourrions avoir le courage de bousculer l'imaginaire collectif auquel il a souvent été fait référence, et qui est extrêmement prégnant dans la conception que nous avons de la démocratie. Il n'est pas forcément normal que des fonctions qui ne sont pas des mandats, par exemple la présidence de syndicat, soient bien rémunérées, alors même qu'elles sont beaucoup moins chronophages que certains mandats qui, eux, sont peu rémunérés.

Il a également été fait référence à certains élus nationaux qui, grâce aux ressources qu'ils avaient acquises, se sont très facilement réinsérés dans la société civile. Ils ont surtout utilisé leur carnet d'adresses, ce qu'un élu local n'est pas en mesure de faire.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Sans compter qu'il existe des freins en termes de trafic d'influence.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Vous avez raison. Au-delà, il est plus difficile de valoriser l'exercice d'un mandat local que l'exercice d'une fonction ministérielle. Il est beaucoup plus facile de sortir d'un mandat national que d'un mandat local.

M. Pascal Savoldelli . - Je suis totalement opposé à la technicisation. Nous n'avons pas besoin de compétences pour défendre l'intérêt général. Heureusement que des millions de femmes et d'hommes qui n'étaient pas des techniciens de la fonction publique territoriale ont exercé jusqu'à de très hautes responsabilités.

Je serais très curieux de connaître les grandes tendances d'évolution sociologique que vous avez observées par échelon ces dix dernières années.

Sur la question de l'identité et de la reconnaissance, nous n'avons pas forcément intérêt à partir d'un état des lieux réalisé auprès des seuls élus actuels. Plus largement, nous devrions interroger les citoyens. Cela nous permettra d'élargir le débat aux freins à la démocratisation de l'accès à une responsabilité publique.

L'exercice d'un mandat d'élu ne devrait-il pas être reconnu par la sphère économique à l'entrée, pendant le mandat et en sortie de mandat ? Il serait intéressant de discuter de la parité et des jeunes en amont, directement avec les intéressés. La parité est une excellente mesure, mais nous avons une véritable difficulté à la mettre en oeuvre. La question de la reconnaissance d'un mandat par la sphère économique, au-delà de la seule sphère publique, me semble devoir être posée.

Mme Josiane Costes . - Toutes les composantes de la société française ne sont pas représentées dans les fonctions d'élus. Il s'agit d'un véritable souci. Je pense notamment aux jeunes, aux femmes et aux milieux les plus fragiles, qui hésitent à s'engager. Il s'agit d'un point de fragilité de notre démocratie.

Faut-il parler de professionnalisation ou de technicisation ? Certes, le terme de technicisation renferme en lui l'éloignement des élus de leurs mandants. Néanmoins, il me semble préférable à la professionnalisation, qui implique un engagement plus long et durable. Or il faut que les mandats soient renouvelés de manière régulière.

Je suis sénatrice du Cantal. De nombreux maires âgés de petites communes ne se représenteront pas en 2020. Il s'agit d'une certitude, qui créera des problèmes très graves. Le maire d'une petite commune doit tout assumer. Il a de très lourdes responsabilités. Les jeunes ne peuvent pas s'engager car les indemnités sont très faibles au regard de la charge de travail. Nous devons trouver un autre mode de fonctionnement. La démocratie sera mise à mal dans nos campagnes et nos milieux ruraux.

Il existe des disparités importantes entre les indemnités d'un conseiller départemental et celles d'un maire de petite commune. Je suis conseillère départementale, et j'estime que les indemnités que je perçois sont très excessives par rapport à celles d'un maire de commune rurale, qui est corvéable à merci tous les jours de l'année. Ce sujet devra être revu.

M. Charles Guené . - Je me félicite de la convergence entre ce que disent les élus et ce que disent les universitaires et les chercheurs. C'est assez rare. J'ai également beaucoup apprécié l'expression d'amateurisme républicain, que je trouve très révélatrice.

Nous avons peut-être tort de vouloir isoler l'élu local de l'élu national, alors que des éléments nous rassemblent. Ainsi, la limitation dans le temps des mandats et le non-cumul s'appliquent à tout le monde.

L'absence de professionnalisation de la politique profite à une certaine technocratie, qui dirige la France.

La sortie de mandat est le point le plus délicat. Le système que nous mettons en place nous entraîne vers un vieillissement de la vie politique car l'entrée en fonction se fera de plus en plus tard, sauf à entrer dans la fonction par défaut.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Il s'agit d'un vrai sujet. La question de la qualité des personnes qui accèderont aux responsabilités locales pourra se poser. Dans l'ensemble, les élus actuels sont d'assez bonne qualité.

M. Charles Guené . - Enfin, nous n'avons que très peu évoqué la question de l'acceptabilité de la professionnalisation par l'opinion. La réticence de l'opinion tient au fait qu'elle considère la politique comme une planque. Elle estime que les élus sont trop rémunérés pour le travail qu'ils réalisent. C'est pourtant loin d'être le cas, mais nous n'expliquons pas suffisamment que la démocratie a un coût. Le Sénat coûte 5 euros par citoyen, l'Assemblée Nationale 7 et les ordures ménagères 100.

M. Michel Dagbert . - Cette table ronde est très intéressante. Nous avons pu voir que nous ne partons pas de rien, même si le moment auquel la question se pose est bien choisi. Nous sommes à la veille du renouvellement municipal de 2020, et nous sentons poindre dans l'opinion, notamment chez certains élus, une forme de ras-le-bol liée à l'inflation de textes et à la judiciarisation. De plus, l'appréciation du rôle d'élu s'est fortement dépréciée au fil des années.

Dans l'ensemble des mandats qui sont accessibles, les catégories socioprofessionnelles sont bien souvent les mêmes. La part des personnes issues du privé est plutôt inférieure à celle des personnes issues du public. Le premier frein, pour une personne qui a la force de l'engagement pour embrasser une responsabilité politique, ne tient pas forcément à l'argent, mais surtout au temps. Il faut consacrer du temps à ses mandats. De ce point de vue, nous ne sommes pas à armes égales. Une personne qui travaille dans le privé a plus de difficultés à se libérer.

Il nous faut sécuriser plutôt que professionnaliser. Je suis très circonspect face à cette notion de professionnalisation.

L'arrivée en nombre de femmes en politique peut faire changer le regard qu'a la société sur l'exercice d'un mandat électif. Les conjoints se rendent compte de ce qu'est l'engagement.

Je suis une sorte d'ovni car rien ne me prédestinait à devenir membre d'une assemblée nationale comme le Sénat. J'étais salarié dans le privé, je faisais les 3x8. Je suis devenu conseiller municipal en 1983, puis adjoint au maire en 1989, maire et conseiller général en 2002, vice-président de département en 2008, président de 2014 à 2017, puis sénateur. J'ai pu m'appuyer sur une épouse conciliante.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Chacun d'entre nous pourrait livrer un témoignage. Je suis élu à plein temps depuis bientôt 37 ans. J'ai vu les regards changer.

Avant que nous ne nous séparions, j'invite les chercheurs à réagir à toutes ces interventions.

M. Rémy Le Saout, maître de conférences à l'Université de Nantes . - Il faudrait que nous puissions nous rencontrer dans un autre cadre afin de discuter beaucoup plus largement et profondément. Nous avons beaucoup de choses à nous dire.

Le principe de technicisation est souvent évoqué, y compris par les élus. Pour autant, lorsque nous nous intéressons aux modalités de sortie des élus, ces derniers nous disent qu'ils n'ont pas grand-chose à vendre car ils sont des « généralistes de tout ». Cela concerne surtout les responsables d'exécutifs.

M. Didier Demazière, chercheur au CNRS . - Il est sans doute nécessaire de repenser à la fois les contraintes (personnelles, professionnelles, temporelles) de l'activité d'élu et ses apports. Il s'agit même d'une condition pour repenser les conditions d'exercice.

Par ailleurs, la question des mots (technicisation, professionnalisation, sécurisation) a une grande importance. Le prestige de toute profession fluctue au cours du temps. La fonction d'élu se trouve aujourd'hui dans le creux de la vague.

M. Patrick Le Lidec, chargé de recherche au CNRS et à Sciences Po . - Nous n'avons pas beaucoup employé le terme de contractualisation, qui est pourtant utilisé dans plusieurs pays européens. Un contrat est conclu pour la durée du mandat ou de la fonction. La professionnalisation est un processus inéluctable.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Existe-t-il, en Allemagne, un processus de formation des candidats, puis des nouveaux élus ?

M. Patrick Le Lidec, chargé de recherche au CNRS et à Sciences Po . - Il n'existe pas de processus de formation des candidats. En revanche, nous observons partout une élévation très forte du niveau de diplôme à l'entrée, ainsi qu'un resserrement des professions. Ainsi, les enseignants sont davantage présents dans la représentation élective, à tous les échelons, car ils peuvent se permettre de dégager du temps. Les professions libérales ont longtemps pu se le permettre également. Aujourd'hui, les collaborateurs d'élus ont un poids extrêmement important. Pour devenir élu, il faut être fonctionnaire territorial ou collaborateur d'élu. Les collaborateurs d'élus ont pris une place tout à fait essentielle dans la représentation politique. Il s'agit d'un véritable bouleversement par rapport à ce qu'étaient encore les élites politiques dans les années 70, lorsque la profession agricole était totalement dominante dans les communes rurales.

Mme Élodie Lavignotte, chercheuse associée au CERA . - Un travail me semble nécessaire sur les idées reçues et la notion d'acceptabilité de l'opinion. On pense beaucoup la notion de statut en fonction de ce que l'opinion pourrait penser. L'entrée dans le mandat pose un enjeu de pédagogie : qu'est-ce que la fonction d'élu ? Qu'en attend-on exactement ? Quels moyens nous donnons-nous afin que tout le monde puisse avoir envie de l'exercer ? S'agissant de l'exercice du mandat, il convient de remettre en question l'idée de fonctionnarisation. Plus de 20 % des agents publics sont contractuels, et cela ne gêne personne. Être agent public, ce n'est pas être fonctionnaire à vie. Enfin, en sortie de mandat, la notion de validation des acquis de l'expérience est très importante en vue de permettre à un élu de revenir facilement dans la vie active.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Nous avons beaucoup de questions à creuser. Merci beaucoup pour ces échanges passionnants.

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