Rapport d'information n° 642 (2017-2018) de MM. François GROSDIDIER et Alain RICHARD , fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 5 juillet 2018

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N° 642

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 juillet 2018

RAPPORT D'INFORMATION

TOME 5

FAIT

au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) : « Faciliter l'exercice des mandats locaux : la responsabilité pénale et les obligations déontologiques »,

MM. François GROSDIDIER et Alain RICHARD,

Sénateurs

(1) Cette délégation est composée de : M. Jean-Marie Bockel, président ; M. Mathieu Darnaud, premier vice-président ; M. Daniel Chasseing, Mme Josiane Costes, MM. Marc Daunis, François Grosdidier, Charles Guené, Antoine Lefèvre, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, MM. Alain Richard, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; MM. François Bonhomme, Bernard Delcros, Christian Manable, secrétaires ; MM. François Calvet, Michel Dagbert, Philippe Dallier, Mmes Frédérique Espagnac, Corinne Féret, Françoise Gatel, M. Bruno Gilles, Mme Michelle Gréaume, MM. Jean-François Husson, Éric Kerrouche, Dominique de Legge, Jean-Claude Luche, Jean Louis Masson, Franck Montaugé, Philippe Mouiller, Philippe Nachbar, Rémy Pointereau, Mmes Sonia de la Provôté, Patricia Schillinger, Catherine Troendlé, MM. Raymond Vall, Jean-Pierre Vial.

UN SENTIMENT DE FRAGILITÉ

Il existe quatre grands types de responsabilités découlant de l'exercice d'un mandat local :

- la responsabilité civile ;

- la responsabilité comptable ;

- la responsabilité pénale ;

- et la responsabilité politique.

Des passerelles provoquent dans certaines conditions le passage de l'une à l'autre, pour autant chaque régime possède bien entendu ses principes irréductibles et ses propres dispositifs.

Dans le cadre du présent rapport, les interrogations et la recherche de solutions porteront sur la responsabilité pénale, ses contours, sa mise en oeuvre et sa prévention, qui sont l'objet des principales préoccupations des élus locaux à l'égard des incidences contentieuses de l'exercice des mandats.

I. QUELLE VULNÉRABILITÉ DES ÉLUS LOCAUX ?

Les élus locaux éprouvent à l'égard du risque pénal un très fort sentiment de vulnérabilité. Il n'est pas d'étude sur leur responsabilité qui n'en fasse mention, les associations attestent de son importance, les réponses à la consultation lancée par votre délégation à la fin de 2017 confirment sa réalité.

C'est ainsi que le risque pénal a été mentionné comme cause très importante de la crise des vocations d'élu local par 34,45 % des répondants, 45,86% d'entre eux jugeant cette cause importante. Quelque 87% des répondants ont logiquement estimé nécessaire de réviser le régime de responsabilité pénale des élus locaux, près de 79% de ceux-ci demandant l'adaptation de la répression des délits non intentionnels aux spécificités de l'exercice du mandat local.

Il est plus facile d'évoquer les causes du risque pénal que d'en mesurer l'ampleur. Ce que l'on appelle la judiciarisation des relations sociales, dont la pénalisation de la vie publique locale est un aspect, est probablement l'une de ces causes. Il semble que l'exigence contemporaine de protection pour les individus et de responsabilité pour les décideurs infléchisse de plus en plus un équilibre longtemps conçu, par le passé, en faveur des autorités publiques, responsables de l'intérêt général et détentrices des prérogatives de puissance publique permettant de faire prévaloir celui-ci. Cette tendance coexiste avec un besoin affirmé de réparation symbolique impliquant la stigmatisation des responsables, que seul le juge pénal est en mesure d'effectuer avec la force désirée. C'est pourquoi les victimes sont rarement disposées à délaisser la voie pénale, qui leur promet de telles satisfactions, au profit exclusif de voies civiles ne débouchant que sur des réparations matérielles.

La demande sociale de justice répressive a sur les conditions d'exercice des mandats locaux un effet d'autant plus sensible, qu'avec la consolidation de la décentralisation, les collectivités territoriales sont devenues un échelon incontournable de mise en oeuvre des politiques publiques. Les élus locaux doivent ainsi appliquer dans de vastes domaines des règlementations étatiques complexes, techniques, sans nécessairement bénéficier de toute l'expertise nécessaire, spécialement quand ils dirigent de petites communes que le repli des services déconcentrés de l'État laisse assez largement isolées devant les problèmes.

Cette situation est le terreau d'un risque pénal latent dans l'ensemble des processus de mise en oeuvre des pouvoirs locaux, qu'il s'agisse de l'octroi d'aides publiques, pouvant déboucher sur la caractérisation d'une prise illégale d'intérêts ; de la commande publique, dont la règlementation relativement souple depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ouvre assez facilement la voie à des mises en cause pour favoritisme ; des comportements les plus variés d'un maire dans la gestion quotidienne de sa commune, comportements dans lesquels les victimes éventuelles identifient volontiers négligence, imprudence, prise de risque délibérée punissable en application de l'article 121-3 du code pénal.

Il serait intéressant de préciser et confirmer ces aspects de la pénalisation de la vie publique locale en établissant, en fonction des infractions poursuivies, des catégories de mis en cause, de la proportion des affaires classées sans suite, de la gradation des condamnations, des catégories de collectivités concernées, une cartographie du risque pénal. Cependant, les réponses de la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la Justice et celles de la Direction générale des collectivités locales (DGCL) du ministère de l'Intérieur au questionnaire qui leur a été transmis dans le cadre de la préparation du présent rapport, indiquent que les statistiques ne sont pas disponibles : « il n'existe aucun élément statistique permettant de distinguer, parmi les condamnations, celles visant un élu local, ni de chiffres permettant d'évaluer la mise en oeuvre de la responsabilité personnelle des élus locaux ».

Les données non exhaustives publiées dans le rapport annuel de l'Observatoire SMACL sur le risque pénal des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux présentent cependant des tendances éclairantes. Ainsi, au cours de la mandature 2008-2014, plus de 1 200 élus locaux ont été poursuivis pénalement pour des faits liés à l'exercice du mandat local ou facilités par celui-ci. Ce chiffre est en augmentation de près de 90% par rapport à celui de la mandature 2001-2008. Pour la mandature 2014-2020, en extrapolant le rythme constaté sur le début de la mandature, le rapport 2017 évalue à 1 500 le nombre des élus locaux qui seront mis en cause, ce qui représente une augmentation de 24% en moyenne annuelle par rapport à la mandature 2008-2014. Pour autant, le taux de mise en cause pénale serait de 2,60 pour mille élus locaux sur la mandature 2014-2020, et le taux des maires et adjoints poursuivis pénalement s'élèverait entre 7,09 et 9,22 pour mille sur la même mandature. Les raisons d'être inquiet doivent ainsi être fortement relativisées.

Selon le même rapport de 2017, les manquements au devoir de probité constituent le premier motif de poursuites contre les élus locaux (40% des motifs de poursuites), le délit de prise illégale d'intérêts arrivant largement en tête des motifs de poursuites dans cette catégorie d'infractions. Les atteintes involontaires à la vie et à l'intégrité physique ou atteintes à la sécurité d'autrui (blessures involontaires, homicide involontaire, mise en danger délibérée de la vie d'autrui, omission de porter secours, non-dénonciation de mauvais traitements) constituent le cinquième motif de poursuite des élus locaux, le nombre des élus poursuivis pour cette catégorie d'infractions devant, par extrapolation, s'établir à une quarantaine sur l'ensemble de la mandature en cours.

Il ne semble pas, par ailleurs, que la jurisprudence fasse l'objet à la DCAG d'un suivi permettant d'évaluer ses tendances avec la technicité juridique nécessaire en la matière. Dès lors, en dépit des informations utilement diffusées par l'Observatoire SMACL, il n'est actuellement pas possible de porter sur le risque pénal une appréciation suffisamment documentée et approfondie.

Le sentiment d'injustice prospère alors sur un arrière-plan d'affaires pénales fortement médiatisées, parfois dramatique comme ce fut le cas à la suite de la submersion du village de La Faute-sur-Mer, en Vendée, le 28 février 2010 ; comme c'est aussi le cas dans des affaires picrocholines, celles qui traduisent sans doute le mieux la tendance à la judiciarisation de la vie sociale et qui sont les plus irritantes, les plus inquiétantes, aux yeux des responsables traînés devant le juge pénal.

Il faut évidemment répondre à cette inquiétude.

C'est pourquoi il apparaît indispensable de parvenir à une connaissance qualitative et quantitative précise du risque pénal encouru par les élus locaux, en lançant une étude approfondie sur les orientations de la jurisprudence et en élaborant des statistiques exhaustives sur les mises en cause, les affaires classées, les condamnations d'élus par type d'infraction et type de collectivité.

II. L'ASPIRATION À UNE MEILLEURE SÉCURITÉ JURIDIQUE

La demande de justice exprimée par les victimes est une tendance irrésistible. Elle puise sa légitimité dans la nécessité sociale et morale de rééquilibrer au profit des victimes une situation perturbée. Elle apparaît ainsi comme un élément de régulation de la sphère publique essentiel au bon fonctionnement de la société : la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 proclame en ce sens que « La société a le droit de demander des comptes de son administration à tout agent public ». La réparation matérielle et morale, par le juge pénal, quand la loi le prévoit, du préjudice causé à un particulier est une conséquence de ce principe. Il en va de même en ce qui concerne les préjudices causés à la société par l'ignorance ou la rupture des normes de juste comportement applicables à la conduite des affaires publiques ou à la gestion des deniers publics.

Mais il existe aussi un incontournable intérêt des élus à voir des règles claires régir de façon raisonnable et prévisible leur responsabilité personnelle.

De façon raisonnable, d'une part, car la stigmatisation débridée des élus ne sert pas la démocratie locale : pour autant que l'on trouve à la longue suffisamment de candidats prêts à prendre le risque d'assurer un mandat - la crise des vocations n'est pas un produit de l'imagination - la gouvernance dynamique des collectivités suppose que les élus puissent exercer leurs responsabilités sans que soit suspendue sur eux à un fil trop fragile l'épée de Damoclès du procès pénal.

De façon prévisible, d'autre part, car la contrepartie naturelle du droit des victimes d'obtenir réparation est le droit pour l'élu d'évaluer exactement les possibles conséquences de ses actes : comme le rappelait Didier Rebut, professeur des universités à Paris II Panthéon-Assas, lors de la table ronde que votre délégation a consacrée le 5 avril dernier à la responsabilité pénale : « le droit pénal doit être non pas un risque, mais une certitude ». Or, comme le notait encore le professeur Rebut à propos de certaines jurisprudences : il existe des situations dans lesquelles « l'élu a l'impression d'être dans une nasse : une infraction dont il ne maîtrise pas la mise en oeuvre lui tombe dessus ».

La satisfaction de l'aspiration légitime des élus à une meilleure sécurité juridique dans un cadre protecteur des droits des administrés constitue le fil directeur des analyses qui suivent.

LE CADRE JURIDIQUE EN VIGUEUR

I. LES INFRACTIONS

Le choix ayant été fait de centrer le présent rapport sur les problèmes les plus fréquemment et les plus vivement ressentis par les élus locaux exposés au risque pénal, sont abordés ci-dessous les infractions non intentionnelles et, parmi les infractions intentionnelles, les manquements au devoir de probité tels que la prise illégale d'intérêts et le délit de favoritisme.

A. LES INFRACTIONS NON INTENTIONNELLES

Les conditions d'engagement de la responsabilité pénale en matière d'infraction non intentionnelle résultent de la loi du 10 juillet 2000, qui a modifié l'article 121-3 du code pénal afin de limiter la mise en cause des décideurs publics en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, sans construire pour autant un régime spécifique de responsabilité à leur intention. La réponse de la DACG au questionnaire transmis dans le cadre de la préparation du présent rapport rappelle que des dispositions spécifiques sont prévues s'agissant des élus locaux. Le code général des collectivités territoriales (CGCT) (article L.2123-34) dispose en effet que « sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, le maire ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ne peut être condamné sur le fondement du troisième alinéa de ce même article pour des faits non intentionnels commis dans l'exercice de ses fonctions que s'il est établi qu'il n'a pas accompli les diligences normales compte tenu de ses compétences, du pouvoir et des moyens dont il disposait ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi lui confie ». Les mêmes dispositions sont applicables, selon l'article L.3123-28 du même code, au président du conseil départemental ou à un conseiller départemental le suppléant ou ayant reçu une délégation, ainsi qu'au président du conseil régional ou à un conseiller régional le suppléant ou ayant reçu une délégation en vertu de l'article L. 4135-28.

Il ne s'agit pour autant que de la transcription dans le CGCT des dispositions du troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, à l'exception de la condition relative à la nature des fonctions. S'il y a spécificité, elle se réduit à cette absence, difficilement explicable, s'agissant d'élus bénévoles confrontés, comme on l'a vu ci-dessus, au défi d'une règlementation de plus en plus technique et foisonnante.

Sans doute le rappel explicite, dans les trois articles considérés du CGCT, de la nécessité de tenir compte de la nature des fonctions des élus mis en cause serait-il largement superfétatoire. Il pourrait cependant avoir le mérite d'affirmer encore plus nettement dans ce texte une spécificité qui doit jouer un rôle central dans la mise en oeuvre de la responsabilité pénale pour les infractions non intentionnelles.

Déjà la loi du 13 mai 1996 avait, dans le domaine des infractions non intentionnelles, subordonné la culpabilité à la nécessité d'établir que l'auteur des faits n'avait pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. Il s'agissait d'inciter les juridictions répressives à tenir plus largement compte des contingences propres à l'exercice des missions de service public en imposant aux juges une appréciation concrète de la faute non intentionnelle. La loi du 13 mai 1996 devait ainsi conduire à prendre en compte « les fonctions ou missions de la personne en cause et le pouvoir limité de celle-ci quant à la définition de ses moyens humains et matériels », note la DACG en réponse au questionnaire transmis dans le cadre de la préparation du présent rapport.

La vérification des diligences normales du mis en cause devait par conséquent favoriser l'abandon des mises en jeu quasi-automatiques de la responsabilité pénale des maires et autres responsables locaux pratiquées sous l'empire du droit précédemment en vigueur. Pour autant, toute faute involontaire pouvait être sanctionnée pénalement indépendamment de son degré de gravité. En outre, la responsabilité de l'auteur était indifférente au caractère direct ou indirect du lien reliant la faute au dommage.

La loi du 13 mai 1996 n'a cependant pas produit les effets attendus. Il n'est guère contesté que la jurisprudence n'a pas été profondément infléchie, mais la motivation des condamnations a été renouvelée...

En réaction, la loi du 10 juillet 2000, dite loi Fauchon, a introduit dans l'article 121-3 du code pénal une distinction entre la faute simple et la faute qualifiée, et a institué pour la faute qualifiée une corrélation entre le degré de gravité exigé pour donner lieu à sanction pénale et le caractère direct ou indirect de la causalité qui relie la faute au dommage.

L'article 121-3 précise depuis lors que sont auteurs indirects du dommage donnant lieu à poursuites les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter.

Le schéma dès lors en vigueur peut être résumé comme suit :

? Définie à l'alinéa 3 de l'article 121-3 du code pénal, la faute non intentionnelle simple englobe les fautes suivantes :

- la faute d'imprudence, qui s'analyse comme une imprévoyance de la part de son auteur sans intention de violer la loi pénale ;

- la faute de négligence, proche de l'imprudence, qui résulte d'une omission (à la différence de l'imprudence qui résultera d'une action), l'auteur n'ayant pas pris les précautions nécessaires par laisser-aller ;

- le manquement à une obligation de sécurité ou de prudence, qui est une faute d'imprudence ou de négligence commise en violation d'un règlement (l'imprudence ou la négligence simple pouvant exister en dehors de toute prescription légale ou règlementaire).

? Si le comportement de la personne physique auteur n'est pas la cause directe du dommage subi par la victime, l'article 121-3 exige la commission d'une faute qualifiée. Deux catégories de fautes qualifiées sont à distinguer :

- la faute délibérée de mise en danger délibérée d'autrui. Elle suppose de la part de l'auteur un comportement délibéré impliquant qu'il a eu conscience du danger résultant de son comportement.

- la faute caractérisée exposant autrui à un risque d'une particulière gravité que l'auteur de la faute ne pouvait ignorer. Cette faute, analyse la DACG, comporte un aspect objectif en ce qu'elle s'inscrit dans une activité créatrice d'un danger grave pour autrui, et un aspect subjectif consistant dans le fait que l'agent ne pouvait ignorer ce danger.

En résumé, en cas de causalité directe une faute simple d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence et de sécurité prévue par la loi ou le règlement engage la responsabilité pénale de son auteur. En cas de causalité indirecte la faute doit présenter un certain degré de gravité : soit il s'agit d'une faute volontaire (violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité) en principe plus difficile à démontrer que la faute involontaire, soit il s'agit d'une faute involontaire mais grave, dans la mesure où elle exposait autrui à un risque d'une particulière gravité que son auteur ne pouvait ignorer.

L'assouplissement des conditions d'engagement de la responsabilité résultant, en cas de causalité indirecte, de la distinction entre la faute délibérée et la faute caractérisée ne bénéficie qu'aux personnes physiques : les personnes morales restent punissables pour faute simple en cas de causalité directe comme indirecte.

B. LES INFRACTIONS INTENTIONNELLES

Le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal énumère les atteintes à l'administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique, dont les élus locaux. Il en existe trois catégories : les abus d'autorité dirigés contre l'administration, qui recouvrent l'édiction de mesures destinées à faire échec à l'exécution de la loi ; les abus d'autorité dirigés contre des particuliers, tels que les atteintes à la liberté individuelle, les discriminations, les atteintes à l'inviolabilité du domicile ; les manquements au devoir de probité : concussion, corruption, trafic d'influence, prise illégale d'intérêts, délit de favoritisme, soustraction et détournement de biens. Le favoritisme et la prise illégale d'intérêts seront seuls traités ci-dessous : comme le remarquait le professeur Didier Rebut, lors de la table ronde du 5 avril 2018, à propos du risque pénal : « on entend ce discours [sur le risque pénal] à propos des délits non intentionnels, de la prise illégale d'intérêts, du favoritisme. Aucun élu ne parle de risque pénal en matière de corruption ou de trafic d'influence ».

Observons de façon liminaire que tous les « manquements au devoir de probité » ne s'accompagnent pas nécessairement d'un enrichissement personnel de la part de l'élu poursuivi. C'est le cas des infractions de favoritisme et de prise illégale d'intérêts, qui peuvent être caractérisées sans que l'élu ait recherché un intérêt personnel ou ait même eu conscience de frauder.

1. Le favoritisme

Aux termes de l'article 432-14 du code pénal ce délit consiste dans « le fait par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public ou exerçant les fonctions de représentant, administrateur ou agent de l'État, des collectivités territoriales, des établissements publics, des sociétés d'économie mixte d'intérêt national chargées d'une mission de service public et des sociétés d'économie mixte locales ou par toute personne agissant pour le compte de l'une de celles susmentionnées de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession. »

Les personnes susceptibles d'être mises en cause sont notamment : la personne responsable du marché ou son représentant, les membres des commissions d'appel d'offres ou des commissions de travaux, les membres des services techniques d'une collectivité, les maîtres d'oeuvre.

L'élément matériel nécessaire à la caractérisation du délit réside dans l'intervention d'un acte irrégulier violant les dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession.

L'élément intentionnel, lui aussi nécessaire, résulte de l'accomplissement de cet acte en toute connaissance de cause.

C'est sur ce point que se concentre, on le verra par la suite, la critique de l'application jurisprudentielle de l'article 432-14 du code pénal.

2. La prise illégale d'intérêts

Définie par l'article 432-12 du code pénal, la prise illégale d'intérêts s'analyse, sous réserve d'un certain nombre de dérogations énumérées dans le même article, comme le fait, pour une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement.

Contrairement au délit de favoritisme, la prise illégale d'intérêts ne sanctionne pas la violation d'une réglementation. Elle peut découler de tout acte engageant une personne morale de droit public.

Par ailleurs, elle n'exige pas l'existence d'une intention frauduleuse : l'élément intentionnel est caractérisé dès lors que l'auteur a accompli sciemment l'élément matériel constitutif du délit (Cour de cassation, 27 novembre 2002, n°02-81581 ; 9 février 2011, n°10-82988 ; 23 février 2011, n°10-82880).

Ainsi que le rapport de la commission des Lois du Sénat sur la proposition de loi visant à réformer le champ des poursuites de la prise illégale d'intérêts des élus locaux, déposée par Bernard Saugey, l'avait montré en 2010, les éléments constitutifs du délit sont à la fois flous et interprétés de façon extensive par la jurisprudence.

Tout d'abord, la caractérisation du délit exige l'existence d'une tutelle exercée par la personne mise en cause. Les notions d'administration, de liquidation et de paiement couvrent des situations facilement identifiables. En revanche, la notion de surveillance est plus incertaine. Elle peut en effet être retenue à l'égard d'une personne non investie d'un pouvoir de décision autonome et personnel, ou partageant avec d'autres ses prérogatives, elle peut aussi se limiter à une simple association au processus de décision, telle qu'une participation à la préparation de décisions prises par d'autres ( cf . Cass. Crim., 14 juin 2000).

Par ailleurs, le délit est constitué indépendamment de ce que la personne mise en cause a ou non cherché à s'enrichir personnellement, ou a ou non été à la recherche d'un gain ou de tout autre avantage personnel. L'intérêt sanctionnable peut être matériel ou moral, direct ou indirect. Il n'est pas nécessairement en contradiction avec l'intérêt communal.

Aboutissement logique de la rigueur du juge pénal dans l'interprétation des éléments constitutifs du délit, un arrêt rendu le 22 octobre 2008 par la chambre criminelle de la Cour de cassation a suscité une forte incompréhension dans le monde des élus locaux. Tout en confirmant les décisions antérieures, il a encore élargi la notion d'intérêt quelconque, retenant cette qualification en ce qui concerne la présidence, par les élus concernés, d'associations municipales : « l'intérêt, matériel ou moral, direct ou indirect, pris par des élus municipaux en participant au vote des subventions bénéficiant aux associations qu'ils président entre dans les prévisions de l'article 432-12 du code pénal ; [...] il n'importe que ces élus n'en aient retiré un quelconque profit et que l'intérêt pris ou conservé ne soit pas en contradiction avec l'intérêt communal ».

Pour le juge, les élus « sont soumis à l'obligation de veiller à la parfaite neutralité des décisions d'attribution des subventions à ces associations ». En conséquence, « l'infraction est constituée même s'il n'en résulte ni profit pour les auteurs ni préjudice pour la collectivité », l'élément moral du délit résultant de ce que l'acte a été accompli sciemment.

La prise illégale d'intérêts n'exige donc pas pour sa constitution, une intention frauduleuse : l'intention coupable est caractérisée, dès lors que l'auteur de l'infraction a accompli sciemment l'acte constituant l'élément matériel du délit ( cf . Cass. Crim., 27 novembre 2002).

Notons que si les subventions accordées avec le concours d'élus à des associations que ceux-ci président représentent un cas type de mise en jeu de la responsabilité pénale des élus locaux pour prise illégale d'intérêts, la mise en oeuvre des pouvoirs des élus en matière d'urbanisme, d'embauche de personnel, de contrats de fournitures, travaux ou services, et toutes circonstances dans lesquelles leur impartialité pourrait être suspectée constituent un vaste réservoir de faits éventuellement générateurs de la responsabilité des élus locaux en application de l'article 432-12 du code pénal.

II. LES « PARE-FEU »

On distinguera deux « pare-feu » susceptibles d'atténuer en amont le risque pénal :

- le cumul de responsabilités est fragile et difficile à mettre en oeuvre, mais néanmoins indissociable de la réflexion sur les équilibres juridiques qui régissent la mise en cause de la responsabilité pénale des élus locaux ;

- la prévention des conflits d'intérêts peut se révéler puissamment efficace au fur et à mesure de son inscription, encore insuffisante, dans l'environnement de travail des élus. À cela s'ajoute la protection fonctionnelle, qui joue un nécessaire rôle réparateur et d'accompagnement.

A. LE CUMUL DE RESPONSABILITÉS

Comme on l'a vu ci-dessus, l'atténuation du risque pénal résultant, en cas de causalité indirecte, de la distinction entre la faute délibérée et la faute caractérisée ne bénéficie qu'aux personnes physiques : les personnes morales restent punissables pour toutes les infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants, quel que soit le degré de la faute et indépendamment de la causalité directe ou indirecte, en application de l'article 121-2 du code pénal (loi du 9 mars 2004 généralisant la responsabilité pénale des personnes morales), que l'infraction soit intentionnelle ou non. Le troisième alinéa de cet article prévoit en effet que la responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3. Pour ce qui est toutefois des collectivités territoriales et de leurs groupements, le deuxième alinéa de l'article 121-2 du code pénal ne permet la mise en oeuvre de leur responsabilité pénale que pour les infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public.

La loi institue ainsi un cumul des responsabilités qui permet d'engager des poursuites contre les personnes morales, dont les collectivités territoriales dans le champ d'application mentionné ci-dessus. Il n'est pas nécessaire que la personne physique ait été condamnée définitivement pour que la responsabilité de la personne morale soit engagée.

L'application jurisprudentielle du principe du cumul semble être un peu flottante 1 ( * ) , néanmoins la possibilité du cumul pourrait, dans certaines conditions actuellement mal remplies, se substituer à la mise en cause des élus locaux susceptibles d'être poursuivis en application de l'article 121-3 du code pénal.

B. LA PRÉVENTION DES CONFLITS D'INTÉRÊTS ET LA DÉONTOLOGIE

Il convient, à titre liminaire, de préciser le rôle original de ces notions dans le corpus juridique qui régit la mise en cause de la responsabilité pénale des élus locaux.

Alors que la prise illégale d'intérêts et les autres manquements au devoir de probité : concussion, corruption, trafic d'influence, délit de favoritisme, soustraction et détournement de biens, énumérés au chapitre II du titre III du livre IV du code pénal relèvent de ce que l'on appelle le « droit dur », constitué de normes créatrices de droits et d'obligations assorties de sanctions, en revanche le domaine de la prévention des conflits d'intérêts et de la déontologie relève du « droit souple », qui cherche à orienter les comportements par le biais de recommandations, guides de bonnes pratiques, lignes directrices, chartes de déontologie, dépourvus de sanctions juridiques mais que les juges peuvent être conduits à contrôler ou à prendre en compte dans leur raisonnement juridique, comme le relève l'étude que le Conseil d'État a consacrée en 2013 à ce phénomène 2 ( * ) .

Comme le note encore la même étude, le droit souple « s'avère souvent plus adapté que le droit dur pour traiter des phénomènes qui ne sont pas tout à fait bien cernés, tout en préparant le recours ultérieur à ce dernier. Le droit souple a ainsi été utilisé en matière de prévention des conflits d'intérêts ».

La montée en puissance de l'exigence de déontologie dans la sphère publique se traduit par un renforcement constant des dispositifs en vigueur, qu'ils relèvent du droit dur ou du droit souple, ou des deux simultanément.

Ainsi, la loi du 31 mars 2015 visant à faciliter l'exercice, par les élus locaux, de leur mandat a institué une charte de l'élu local dont elle prévoit la lecture lors de la première réunion du conseil municipal, immédiatement après l'élection du maire et des adjoints, une copie de la charte étant remise aux conseillers municipaux. Ces dispositions sont aussi applicables aux métropoles, communautés urbaines, communautés d'agglomération et communautés de communes. La charte apparaît comme le rappel du droit en vigueur et des principes essentiels que doivent appliquer les élus dans l'exercice de leur mandat. Elle se présente ainsi comme un premier pare-feu contre le risque pénal attaché à cet exercice.

À côté de l'outil d'information et de prise de conscience que constitue la charte, un rôle opérationnel en matière de prévention a été confié à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), créée par la loi organique et la loi ordinaire du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique.

La HATVP, éloquente illustration de la tendance française à combiner le droit souple et le droit dur dans des mécanismes évoluant de façon progressive et graduée du conseil vers la sanction, exerce des compétences à l'égard de certaines catégories d'élus locaux.

? Les élus locaux relevant du champ de compétence de la HATVP :

Doivent déposer une déclaration de patrimoine et une déclaration d'intérêts auprès de la Haute Autorité les élus locaux membres d'un exécutif local (président de conseil régional ou départemental, maire et adjoints) ou titulaires d'une délégation de signature ou de fonction. Pour les communes et les intercommunalités, seuls sont concernés les maires des communes de plus de 20 000 habitants et, pour les adjoints titulaires d'une délégation de signature ou de fonction, ceux des communes de plus de 100 000 habitants.

Sont également soumis à obligation déclarative les présidents d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre dont la population excède 20 000 habitants ou dont le montant des recettes de fonctionnement dépasse cinq millions d'euros, les présidents d'EPCI sans fiscalité propre dont le montant des recettes de fonctionnement dépasse cinq millions d'euros, et les vice-présidents des EPCI à fiscalité propre dont la population excède 100 000 habitants lorsqu'ils sont titulaires d'une délégation de signature ou de fonction.

La loi précise également les élus concernés dans les collectivités à statut particulier : les présidents de l'assemblée et du conseil exécutif de Corse, ainsi que les conseillers exécutifs titulaires d'une délégation de signature ou de fonction ; le président de la métropole de Lyon, ainsi que les conseillers titulaires d'une délégation de signature ou de fonction ; le président de l'assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna ; le président et les membres du Congrès, le président et les membres du Gouvernement, les présidents et les vice-présidents des assemblées de province en Nouvelle-Calédonie ; le président et les membres du Gouvernement, le président et les représentants à l'assemblée de la Polynésie française ; le président du conseil territorial, et les conseillers territoriaux de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon ; le président de l'assemblée de Guyane, et les conseillers titulaires d'une délégation de signature ou de fonction ; le président de l'assemblée et du conseil exécutif de Martinique, ainsi que les conseillers titulaires d'une délégation de signature ou de fonction.

? Le rôle de la HATVP :

Dans sa réponse au questionnaire qui lui a été transmis dans le cadre de la préparation du présent rapport, la HATVP a précisé les conditions essentielles de mise en oeuvre de ses missions.

À la réception d'une déclaration d'intérêts, elle procède à un premier examen et cherche à détecter d'éventuels conflits d'intérêts, en fonction de la définition donnée par l'article 2 de la loi du 11 octobre 2013 : « constitue un conflit d'intérêts toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction ».

Lorsque l'examen d'une déclaration révèle un risque de conflit d'intérêts, la HATVP en alerte l'élu et l'interroge sur les mesures éventuellement prises pour le prévenir. Elle l'incite également à la saisir d'une demande d'avis afin qu'elle puisse formuler les recommandations les plus adaptées pour éviter toute perspective de conflit d'intérêts. En effet, tous les déclarants bénéficient de la possibilité de saisir la HATVP des difficultés déontologiques qu'ils rencontrent dans l'exercice de leurs fonctions. À l'occasion de ces avis, qui restent confidentiels, la Haute Autorité joue un rôle essentiel de conseil. Lorsqu'elle rend un avis, la Haute Autorité examine d'une part le risque de prise illégale d'intérêts (article 432-12 du code pénal) et d'autre part le risque de conflit d'intérêts. Elle « propose des mesures adaptées à la situation individuelle et rappelle certaines obligations déontologiques générales d'un élu, afin de diffuser ces principes et d'accompagner au mieux l'élu dans l'exercice de ses fonctions ».

Par ailleurs, la HATVP joue un rôle de prévention du risque pénal de « pantouflage » pour les élus locaux visés au 2° du I de l'article 11 de la loi du 11 octobre 2013. L'article 23 de la loi du 11 octobre 2013 lui attribue une mission de contrôle de la compatibilité entre les anciennes fonctions exécutives locales de ces élus et l'exercice d'une activité privée. Les intéressés doivent obligatoirement la saisir avant de commencer une nouvelle activité libérale ou rémunérée au sein d'une entreprise privée ou publique, dans un délai de trois ans après la fin de leurs fonctions.

La Haute Autorité procède en premier lieu à une évaluation du risque, pour l'ancien élu, de commettre le délit de « pantouflage » incriminé à l'article 432-13 du code pénal. Un second contrôle est mené à l'aune des règles déontologiques applicables aux responsables publics, en particulier de l'exigence de prévention des conflits d'intérêts qui s'imposait à eux lorsqu'ils étaient en fonction. L'activité envisagée ne doit pas remettre en cause le fonctionnement indépendant, impartial et objectif de la collectivité locale dans laquelle l'intéressé a été élu. La Haute Autorité peut rendre des avis de compatibilité, de compatibilité sous réserves, ou d'incompatibilité.

Les saisines de la part d'anciens élus locaux restent peu fréquentes, ce dispositif leur étant encore largement méconnu. La Haute Autorité exerce néanmoins une veille active et peut, le cas échéant, s'autosaisir. Elle rappelle régulièrement cette obligation aux membres d'exécutifs locaux, par exemple en suggérant, dans ses avis sur les chartes de collectivités locales, d'intégrer cette obligation.

C. LA PROTECTION FONCTIONNELLE

La protection fonctionnelle est un volet significatif du statut des élus locaux. Sa consécration législative a eu lieu à partir d'un soubassement construit progressivement par la jurisprudence administrative.

Il en existe deux catégories : la protection des élus faisant l'objet de poursuites pénales et civiles ; la protection des élus victimes de menaces dans l'exercice de leurs fonctions.

? La protection des élus faisant l'objet de poursuites pénales et civiles a été introduite dans la législation par la loi Fauchon du 10 juillet 2000. Celle-ci a complété l'article L. 2123-34 du CGCT en y insérant un alinéa disposant que « la commune est tenue d'accorder sa protection au maire, à l'élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l'un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable de l'exercice de ses fonctions. »

La décision du Conseil d'Etat du 30 décembre 2015 commune de Roquebrune-sur-Argens précise que « présentent le caractère d'une faute personnelle détachable des fonctions de maire des faits qui révèlent des préoccupations d'ordre privé, qui procèdent d'un comportement incompatible avec les obligations qui s'imposent dans l'exercice de fonctions publiques ou qui, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité ».

La demande de protection par l'élu poursuivi ne s'inscrit pas dans un délai. L'octroi du bénéfice de la protection est un pouvoir de l'organe délibérant de la collectivité concernée, qui statue sur la demande et définit les modalités de la protection.

La protection consiste généralement en une prise en charge des frais d'avocat par la collectivité.

? La protection des élus victimes de menaces dans l'exercice de leurs fonctions, de son côté, a été instituée par la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité. Celle-ci a inséré dans le CGCT un article 2123-35 qui dispose que « la commune est tenue de protéger le maire ou les élus municipaux le suppléant ou ayant reçu délégation contre les violences, menaces ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. » Si tous les élus ne sont pas mentionnés dans la loi, le Conseil d'Etat a eu l'occasion de préciser que celle-ci ne faisait que réaffirmer un principe général du droit selon lequel tout agent public, quel que soit le mode d'accès à ses fonctions, doit bénéficier de la protection de la collectivité publique dont il dépend.

Cette protection a été étendue par la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure « aux conjoints, enfants et ascendants directs des maires ou des élus municipaux les suppléant ou ayant reçu délégation lorsque, du fait des fonctions de ces derniers, ils sont victimes de menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages. »

La collectivité est tenue de protéger ces élus contre les violences, menaces et outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. Si l'article L.2123-35 du CGCT ne mentionne que les violences, menaces ou outrages, cette liste n'est pas limitative, le législateur ayant expressément entendu aligner le régime de protection des élus sur celui des fonctionnaires. Sont donc également visées les diffamations ou injures.

La protection reste due après la cessation du mandat, dès lors que les attaques ont trait à des faits commis ou des propos tenus au cours du mandat.

Une décision du Conseil d'État n° 380377 du 9 juillet 2014 précise « qu'il appartient dans chaque cas à l'assemblée délibérante de la commune concernée, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, d'une part, de vérifier que les conditions légales énoncées à l'article L. 2123-35 sont remplies et qu'aucun motif d'intérêt général ne fait obstacle à ce que le bénéfice de la protection fonctionnelle soit accordé au maire ou à un élu municipal et, d'autre part, de déterminer les modalités permettant d'atteindre l'objectif de protection et de réparation qu'elles énoncent ; que, dans l'hypothèse où la commune décide d'assister le maire ou un élu municipal dans les procédures judiciaires que celui-ci aurait décidé d'entreprendre pour sa défense, à la suite de faits dont il aurait été victime à raison de ses fonctions, en prenant en charge les frais exposés à ce titre, les dispositions contestées n'ont en tout état de cause pas pour effet de contraindre la commune à prendre à sa charge, dans tous les cas, l'intégralité de ces frais ».

L'ÉQUILIBRE ATTEINT EST-IL PERFECTIBLE ?

I. LES INFRACTIONS NON INTENTIONNELLES

A. LE DÉBAT

Au vu d'une jurisprudence excessivement rigoureuse à l'égard des élus locaux, les législateurs de 1996 et de 2000 ont entendu restreindre les conditions d'engagement de la responsabilité pénale de ceux-ci en cas d'infraction non intentionnelle, tout en maintenant le choix traditionnel de ne pas construire un régime ad hoc dérogatoire aux dispositions applicables à l'ensemble des justiciables en vertu de l'article 121-3 du code pénal.

Il ne faut pas surestimer les justifications de ce choix. On a tendance à comparer un peu rapidement la condition de l'élu local à celle du chef d'entreprise pour justifier leur alignement sur un régime juridique identique. Lors de la table ronde sur le risque pénal, réunie par la délégation le 5 avril 2018, les représentants du ministère de la Justice ont rappelé en ce sens que les « dispositions législatives s'appliquent à tous : à la fois aux chefs d'entreprise, aux médecins - le risque pénal est très prégnant dans leur exercice quotidien -, à n'importe quel conducteur de véhicule. D'ailleurs, le délit de mise en danger de la vie d'autrui, créé au départ pour les risques liés à la circulation, est aujourd'hui appliqué à des chefs d'entreprise ou à des décideurs publics. » Pourtant, à la différence des professionnels cités, les élus locaux sont des citoyens bénévoles ne disposant pas, dans leur grande majorité, des connaissances techniques et des moyens humains et juridiques sur lesquels un chef d'entreprise peut et doit s'appuyer.

Pour autant, la construction à l'intention des élus d'un régime spécifique des infractions non intentionnelles ne serait pas plus opportune qu'utile.

Elle ne serait pas opportune dans la mesure où, selon toute probabilité, elle déchaînerait injustement mais sans doute efficacement les critiques vengeresses que certains auteurs n'ont pas manqué d'adresser à la loi du 10 juillet 2000 : « une loi scélérate qui méprise le droit des victimes, rompt l'égalité des citoyens devant la loi pénale et entreprend d'ébranler le socle du droit pénal aux seules fins de soustraire une poignée d'élus locaux à la justice répressive » 3 ( * ) . La DACG, dans sa réponse au questionnaire précité, a noté de de façon plus mesurée mais tout aussi dissuasive qu'un « droit spécifique de la responsabilité des élus locaux en cas d'infraction non intentionnelle aboutirait à une impunité pénale excessive et serait très sévèrement critiquée par les associations de victimes. »

La construction à l'intention des élus d'un régime spécifique des infractions non intentionnelles ne serait pas non plus utile, dans la mesure où le choix fait en 1996 d'introduire dans la caractérisation de la culpabilité la prise en compte des missions, des compétences, du pouvoir et des moyens dont dispose la personne mise en cause, ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi lui confie, devrait répondre à l'objectif visé pour autant que la jurisprudence suive.

Cependant, l'application de l'article 121-3, dans ses rédactions successives, n'a pas répondu aux attentes du législateur.

À propos du texte résultant de la loi du 13 mai 1996, la circulaire du Garde des Sceaux du 11 octobre 2000, prise pour l'application de la loi du 10 juillet 2000, note que « le législateur a ainsi entendu éviter que puissent être à l'avenir prononcées, pour des infractions involontaires, des condamnations paraissant injustifiées, ce qui, du fait de la législation alors applicable, a parfois été le cas dans le passé, spécialement lorsqu'elles concernaient des "décideurs publics", élus locaux ou fonctionnaires. » De façon plus vigoureuse, l'auteur précédemment cité estime que « le législateur [de 1996] n'avait pas infléchi d'un iota la méthode d'appréciation de la faute involontaire pratiquée par le juge pénal. Tout au contraire, la Cour de cassation a paru, dans ses arrêts postérieurs, redoubler d'intransigeance, rejetant chaque pourvoi sur ce motif benoît que le prévenu... n'avait pas accompli les diligences normales visées par la loi. La loi de 1996 n'a en définitive induit aucun allégement de la responsabilité pénale des décideurs. »

En tout état de cause, la loi du 10 juillet 2000 est venue enfoncer le coin de la faute qualifiée à double branche dans le système monolithique de la responsabilité pour faute non intentionnelle. Et le débat sur la fidélité du juge pénal à la volonté du législateur a rebondi derechef. Le questionnement porte désormais sur le bon usage par le juge pénal des notions de faute délibérée et de faute caractérisée nécessaires pour que la responsabilité de l'auteur indirect d'un dommage puisse être engagée sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 121-3 du code pénal.

Lors de la table ronde précitée du 5 avril 2018, les représentants du ministère de la Justice ont estimé que « les parquets ont le devoir d'examiner les éléments constitutifs d'une infraction en envisageant la causalité directe ou indirecte. Lorsque des élus locaux sont mis en cause, en règle générale la causalité est indirecte, et il faut que la faute soit particulièrement grave pour que des poursuites soient engagées. Les tribunaux font une appréciation in concreto de cette faute. Il existe de nombreux exemples de relaxe dans la jurisprudence : dans le cas de la catastrophe de Furiani, le maire a été relaxé au motif d'un partage des responsabilités dans l'effondrement de la tribune. La sécurité reposant sur la préfecture et la commission de sécurité ayant émis un avis positif, le maire avait autorisé l'événement sportif. Pour que la responsabilité pénale d'un élu local (ou d'un chef d'entreprise) soit retenue, il faut vraiment qu'il ait commis une faute, que le risque lui ait été signalé, qu'un accident soit précédemment survenu et que les mesures de prévention aient été insuffisantes. » La réalisation par le juge d'une appréciation in concreto de la faute contre une tendance jurisprudentielle, relevée ici et là, à se fonder sur l'élément matériel de l'infraction (par exemple la méconnaissance d'une prescription légale ou réglementaire, la gravité du risque encouru du fait de l'action ou de l'abstention de la personne mise en cause), a bien été le moteur des travaux législatifs de 1996 et de 2000. Selon la DACG, la volonté du législateur est donc satisfaite.

Tel n'est pas le sentiment exprimé par M e Philippe Bluteau, avocat au Barreau de Paris, lors de la table ronde du 5 avril : « le maire peut aussi être condamné lorsqu'il commet une faute caractérisée exposant autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer. Sur cette branche ont poussé des condamnations qui choquent les élus, à juste titre. On a bien entendu la DACG : la faute caractérisée devait en principe exiger une faute répétée, d'une particulière gravité. Mais ce n'est pas ainsi que la jurisprudence a fini par traiter cette faute. Dès 2002, un rapport public de la Cour de cassation indique : cette mention d'une faute caractérisée peut apparaître superfétatoire, car on ne voit pas a priori comment retenir une faute qui ne le serait pas. Autrement dit, le terme "caractérisée" a été vidé de sa substance en théorie et en pratique. » M e Bluteau a proposé en conséquence de supprimer purement et simplement la faute caractérisée des conditions de mise en oeuvre de la responsabilité pénale pour faute non intentionnelle.

B. PISTES ET PROPOSITIONS

C'est au cours des débats parlementaires que la notion de faute caractérisée a été ajoutée par la loi du 10 juillet 2000 au texte de l'article 121-3 du code pénal, afin que restent punissables des comportements particulièrement choquants mais qui ne seraient pas analysables comme des fautes délibérées, aucun texte n'ayant été violé.

L'interprétation de la faute qualifiée, qu'il s'agisse de la faute délibérée ou de la faute caractérisée, pose effectivement question. Lors du colloque organisé au Sénat en mars 2006 sur la mise en oeuvre de la loi du 10 juillet 2000 cinq ans après, Jean-Louis Nadal, procureur général près la Cour de cassation, avait estimé : « la régulation par le droit pénal commande que les concepts soient connus, maîtrisés et stabilisés pour permettre aux personnes concernées de mesurer l'impact de leur responsabilité et pour adapter les comportements, évitant ainsi la survenance d'un dommage. Sur ce point, la notion de faute caractérisée reste peut-être à parfaire. » On peut y voir une piste d'évolution, peut-être même la reconnaissance implicite de ce que la jurisprudence tend à la reconnaissance de culpabilité à partir d'éléments essentiellement matériels. Est-ce par référence implicite à ce jugement et à cette ouverture que la réponse de la DACG au questionnaire transmis dans le cadre de la préparation du présent rapport confirme le caractère sommaire de la définition de la faute caractérisée : « en l'absence de définition légale précise, la jurisprudence a précisé les contours de la faute caractérisée. Celle-ci peut être non seulement une faute de commission mais aussi une faute d'abstention ou d'omission. Dans tous les cas, elle doit présenter un certain degré de gravité, impliquant une défaillance inadmissible qui rendait le résultat prévisible. » ?

Une clarification semble donc nécessaire.

Il serait, dans ces conditions, peut-être prématuré de s'engager dans de nouvelles modifications législatives qui toucheraient l'ensemble des justiciables au-delà des élus locaux. Vos rapporteurs jugent plus pertinent de proposer le lancement d'un travail approfondi sur la notion de faute caractérisée et sur sa mise en oeuvre par la jurisprudence pénale. Au vu des conclusions de ce travail, des propositions consensuelles d'évolution des textes en vigueur pourraient éventuellement être élaborées. Ces propositions couvriraient bien évidemment l'ensemble du champ d'application de l'article 121-3.

Bien entendu, le fait que les élus locaux ne bénéficient pas d'un régime ad hoc de responsabilité pénale pour les infractions non intentionnelles rend plus complexe la recherche d'évolutions législatives adaptées à la spécificité de leurs missions. Les raisons, évoquées ci-dessus, de maintenir à ce dispositif son caractère de législation d'application générale n'en prévalent pas moins sur une éventuelle tentation de le différencier en fonction des spécificités des différentes catégories de justiciables.

Ce principe s'applique au traitement d'une question apparue à l'occasion de la discussion du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace.

L'article 13 de ce texte supprime la Cour de justice de la République. Il propose par ailleurs de remplacer les articles 68-1 à 68-3 de la Constitution par un unique article 68-1 dont le deuxième alinéa énonce que les membres du Gouvernement « sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés de crimes ou délits au moment où ils ont été commis » et précise : « Leur responsabilité ne peut être mise en cause à raison de leur inaction que si le choix de ne pas agir leur est directement et personnellement imputable ». Dans son avis du 3 mai 2018 sur le projet de loi constitutionnelle, le Conseil d'État, tout en approuvant l'insertion dans la Constitution de cette disposition tenant compte de ce que « les actes accomplis dans l'exercice de fonctions gouvernementales s'inscrivent parfois dans des processus complexes de choix de politiques publiques, susceptibles d'être constitutifs d'infractions involontaires » (point 55 de l'avis), préconise l'extension de cette mesure aux autres décideurs publics exposés à des difficultés comparables, en modifiant en conséquence l'article 121-3 du code pénal.

La tendance à la croissance des contentieux liés à l'inaction alléguée des décideurs publics justifie cette nouvelle modalité d'encadrement de la répression pénale dans ce domaine, quel que soit, lors de la procédure en cours de modification de la Constitution, le sort réservé à la disposition constitutionnelle visant les membres du Gouvernement.

Vos rapporteurs envisagent donc avec faveur l'introduction dans l'article 121-3 du code pénal d'une disposition ne permettant la mise en cause d'un décideur public en raison de son inaction que si le choix de ne pas agir lui est directement et personnellement imputable. Sous réserve d'une étude approfondie de ses incidences, cette innovation devrait en principe ne concerner que les personnes physiques. La question de son application aux décideurs privés (ceux-ci sont inclus, comme on l'a mentionné plus haut, dans le champ d'application de l'article 121-3 du code pénal) devra faire l'objet d'une réflexion spécifique, ainsi que le note l'avis du Conseil d'État.

II. LES INFRACTIONS INTENTIONNELLES

A. LE DÉLIT DE FAVORITISME

1. Le débat

Les conditions de mise en oeuvre du délit de favoritisme sont un point important pour les élus locaux.

Le débat se concentre sur la caractérisation de l'intentionnalité. Lors de la table ronde réunie par la délégation le 5 avril dernier, la mise en oeuvre jurisprudentielle de l'article 432-14 du code pénal sur le délit de favoritisme a suscité une très forte critique de la part de Didier Rebut, professeur des universités à Paris II Panthéon-Assas : « Des délits comme celui de favoritisme sont devenus extrêmement objectifs », « La mise en oeuvre du délit de favoritisme par la Cour de cassation et les juges du fond est la plus formelle et la plus mécanique qui soit ». Il poursuit : « En matière de favoritisme notamment, on voit le foisonnement de la réglementation. Le délit sanctionne la violation de la réglementation en tant que telle. La jurisprudence a fait en sorte que le délit pénal soit en lui-même caractérisé. Là encore, le texte a été dénaturé : les positions sur l'avantage injustifié, l'élément intentionnel, ont été totalement balayées par la jurisprudence. L'élu a donc l'impression d'être dans une nasse : une infraction dont il ne maîtrise pas la mise en oeuvre lui tombe dessus. »

Dans un récent article consacré aux évolutions du risque pénal dans la gestion publique locale, Nathalie Laval-Mader, maître de Conférences à l'Université de Toulouse I - Capitole, a exprimé une appréciation plus que mitigée sur le traitement jurisprudentiel de ce délit : « La jurisprudence en a fait une infraction quasi matérielle, considérant qu'il n'est nullement besoin que l'auteur des faits ait agi dans le but de favoriser un candidat ; seule la conscience d'avoir enfreint la loi suffit. Or, considérant que "nul n'est censé ignorer la loi", le juge présume cette intention coupable de la seule qualité de l'auteur (élu ou fonctionnaire). En d'autres termes, dès lors que l'auteur est un élu ou agent, il est présumé avoir eu connaissance des textes. D'où la transformation insidieuse de ce délit intentionnel en délit quasi matériel, en méconnaissance des réalités dans les collectivités territoriales (problèmes de moyens juridiques et humains pour se prémunir contre le risque). »

En sens contraire, la DACG expose que si la Cour de cassation a développé une appréciation stricte de la preuve de l'élément intentionnel conformément à sa jurisprudence globale sur la preuve de l'intention, l'intention frauduleuse en matière de favoritisme n'en est pas pour autant présumée par le juge. Les juges du fond s'appuient en effet sur divers éléments de fait tels que la conclusion régulière d'autres marchés caractérisant la connaissance des procédures à appliquer (Cass. crim. 20 mai 2009 n°08-87.354), la réitération des faits, l'avertissement préalable de l'administration compétente (Cass. crim. 25 juin 2008 n° 07-88.373) pour retenir l'élément intentionnel.

La DCAG précise par ailleurs que sont exclues du champ de la répression les violations qui n'ont eu aucune conséquence sur l'attribution du marché public, avant de conclure que « l'introduction d'un dol spécial en matière de favoritisme rendrait la caractérisation de l'infraction extrêmement difficile et risquerait par conséquent de porter atteinte à l'efficacité de la répression nécessaire afin de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans la commande publique. Enfin, l'expérience montre que les enquêtes pénales initiées pour des faits de favoritisme constituent parfois la portée d'entrée à la révélation de faits plus graves encore, comme des délits de prise illégale d'intérêts, voire de corruption, que seule l'enquête pénale peut, avec les moyens coercitifs qu'elle autorise, permettre de révéler. Restreindre le champ du délit de favoritisme conduirait ainsi à une diminution des signalements adressés aux parquets, qui ne seraient plus en mesure de rechercher s'il existe des infractions sous-jacentes. » On notera simplement, à l'égard de ce dernier élément d'argumentation, qu'il apparaîtrait étrange de maintenir une conception extensive des éléments constitutifs du délit de favoritisme à la seule fin de se garder les moyens de débusquer éventuellement d'autres délits au cours de l'enquête. Au regard de ce que l'un des intervenants du colloque organisé au Sénat en mars 2006 sur la mise en oeuvre de la loi du 10 juillet 2000 appelait « la brutalité de la procédure pénale », cette justification n'est évidemment pas à retenir.

1. Pistes et propositions

En fonction de ce qui vient d'être dit, l'opportunité de modifier la législation sur le délit de favoritisme afin de mieux protéger les dépositaires de l'autorité publique et les personnes chargées d'une mission de service public contre une interprétation extensive de la condition relative à l'intentionnalité ne s'impose pas avec la plus entière évidence.

Il ne semble pas prudent de trancher prématurément par une initiative législative un débat dont les tenants et aboutissants ne sont pas suffisamment éclairés.

L'examen exhaustif de la jurisprudence proposé plus haut pour objectiver l'ampleur du risque pénal subi par les élus locaux permettra de mieux discerner la justification éventuelle d'une modification législative.

B. LA PRISE ILLÉGALE D'INTÉRÊTS

1. Le débat

Le débat porte tout d'abord sur la stigmatisation dirigée contre les élus mis en cause et condamnés en application d'une disposition inscrite dans une section du code pénal consacrée aux manquements au devoir de probité, alors même qu'ils n'auraient tiré aucun avantage matériel ou même moral de l'acte contesté.

À partir de ce constat, il pourrait être envisagé de s'appuyer sur la notion de manquement au devoir de probité pour recentrer la prise illégale d'intérêts sur ce qui semble entrer dans ce champ. Il faudrait alors introduire l'exigence d'une intention frauduleuse dans les critères de mise en oeuvre de la prise illégale d'intérêts. C'est, dans une certaine mesure, le sens profond de la proposition présentée lors de la table ronde du 5 avril 2018 par le représentant de l'Assemblée des petites villes de France (APVF), qui propose en effet de remplacer la notion d'intérêt quelconque par celle d'« intérêt personnel, matériel et financier distinct de l'intérêt général ».

Pourtant, contrairement à ce que pourrait laisser croire le titre de la section qui l'accueille dans le code pénal (au sein, il est vrai, d'un chapitre plus pertinemment intitulé « Des atteintes à l'administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique »), le délit de prise illégale d'intérêts ne vise pas tant à sanctionner des manquements au devoir de probité qu'à assurer l'impartialité de la décision publique, indispensable au bon fonctionnement de la démocratie.

Lors des auditions qui ont précédé en 2010 l'adoption par le Sénat de la proposition de loi Saugey visant à réformer le champ des poursuites de la prise illégale d'intérêts des élus locaux, le procureur général près la Cour d'appel de Lyon, Jean-Olivier Viout, avait pertinemment évoqué l'origine du délit de prise illégale d'intérêts, ancien délit d'ingérence, issu d'un vieux principe connu du droit romain qui interdisait aux gouverneurs de rien acquérir, par achat, donation ou quelque autre contrat que ce fut, dans les provinces où ils étaient établis et pendant le temps de leur administration, principe repris dans deux ordonnances, la première de Saint-Louis (1254), la seconde de Charles VI (1388) et ayant abouti à l'issue d'une longue histoire à la rédaction en vigueur de l'article 432-12 du code pénal.

Cette histoire se poursuivra nécessairement car le droit évolue avec la société. Mais le temps n'est sans doute pas venu de réduire la prise illégale d'intérêts à des hypothèses frauduleuses de manquement au devoir de probité : une telle évolution serait contradictoire avec la forte demande et la nécessité sociale d'impartialité.

2. Pistes et propositions

En fonction de ce qui est dit ci-dessus, mais aussi du fait que le nombre des condamnations semble très faible 4 ( * ) , comme du fait qu'il est somme toute aisé d'éviter la plupart des risques de mise en cause en se déportant au moment de l'examen par le conseil municipal d'une décision d'attribution de subvention à une association ou un organisme dans lequel l'élu possède un « intérêt » au sens de la jurisprudence, il pourrait être estimé objectivement peu nécessaire de légiférer en la matière.

Pourtant, il appartient au législateur de prendre en compte l'ensemble des préoccupations légitimes en cause. La sérénité et la sûreté de la gestion locale, inutilement perturbées par des mises en cause manifestement inopportunes, aussi peu fréquentes soient-elles, est l'une de ces préoccupations, sur lesquelles le Sénat se montre par vocation particulièrement vigilant.

Comme le notait fort bien en 2010 le rapport précité de la commission des Lois du Sénat sur la proposition de loi Saugey : « l'évolution des structures locales, le développement de l'intercommunalité, l'exécution des missions de service public entraînent la création d'associations, d'agences dans lesquelles, par la force des choses, les élus sont présents ou représentés. L'absence de clarté de la loi est, pour eux, source d'inquiétude car ils peuvent, à un moment donné, ne pas avoir eu connaissance des faits qui peuvent leur être reprochés. Il faut donc restaurer leur confiance, susciter les vocations de ceux qui hésitent à s'engager face au risque pénal. »

Le débat, on l'a vu, porte sur la définition de l'intérêt susceptible d'altérer l'impartialité d'une décision. Il convient de recentrer cette définition sur ce qui porte atteinte à l'impartialité, autrement dit sur ce qui relève d'un mouvement personnel (sans nécessairement procéder d'une intention frauduleuse) ne procédant pas du souci exclusif de l'intérêt général.

Ceci incite à relancer la procédure d'examen du dispositif adoptée par le Sénat en juin 2010, consistant à remplacer au premier alinéa de l'article 432-12 du code pénal les mots « un intérêt quelconque » par les mots « un intérêt personnel distinct de l'intérêt général ».

Cet intérêt répréhensible, qui peut être moral, sera-t-il ou non identifié par le juge pénal dans les cas de participation d'un élu à des décisions de subvention prises dans l'intérêt général ?

Cette interrogation, à laquelle il est difficile d'apporter a priori une réponse certaine, incite à se reporter aux propositions du rapport de la commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, publié en 2011.

Cette commission, que présidait le vice-président du Conseil d'État, met en évidence l'existence d'un hiatus entre, d'une part, la définition très large de l'intérêt fautif figurant au premier alinéa de l'article 432-12 du code pénal ainsi que dans les dispositions correspondantes du CGCT et, d'autre part, les définitions plus étroites retenues au 3° du I de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 pour les fonctionnaires, ainsi que celles figurant dans plusieurs législations spécialisées, notamment en matière de santé.

Ceci justifie en définitive de façon préférentielle la proposition de modifier la rédaction du premier alinéa de l'article 432-12 du code pénal afin de ne prévoir de sanction qu'en présence d'un intérêt de nature à compromettre l'impartialité, l'indépendance ou l'objectivité de la personne.

III. LES « PARE-FEU »

A. LE CUMUL DES RESPONSABILITÉS

1. Le débat

Dans sa réponse au questionnaire transmis dans le cadre de la préparation du présent rapport, la DGCL estime que l'exposé des motifs du projet de loi de 1996 et les débats parlementaires montrent que l'introduction de la responsabilité pénale des personnes morales a eu pour but de permettre de limiter la responsabilité des personnes physiques. De fait, la circulaire de la DACG du 13 février 2006 relative à l'entrée en vigueur des dispositions de la loi du 9 mars 2004 généralisant la responsabilité morale des personnes morales fixe les orientations suivantes de politique pénale :

« En cas d'infraction intentionnelle, la règle devra en principe consister dans l'engagement de poursuites à la fois contre la personne physique auteur ou complice des faits, et contre la personne morale, dès lors que les faits ont été commis pour son compte par un de ses organes ou représentants.

En revanche, en cas d'infraction non intentionnelle, mais également en cas d'infraction de nature technique pour laquelle l'intention coupable peut résulter, conformément à la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation de la simple inobservation, en connaissance de cause, d'une réglementation particulière, les poursuites contre la seule personne morale devront être privilégiées, et la mise en cause de la personne physique ne devra intervenir que si une faute personnelle est suffisamment établie à son encontre pour justifier une condamnation pénale. »

Il s'agit donc bien d'orienter de façon préférentielle les poursuites vers la mise en cause des personnes morales en cas d'infraction non intentionnelle. Il est aussi précisé que les poursuites doivent nécessairement être dirigées contre la personne morale dans les hypothèses de causalité indirecte à l'origine d'un dommage imputable à une personne physique et d'absence de faute qualifiée au sens du quatrième alinéa de l'article 123-3 du code pénal, seule la personne morale étant, comme indiqué ci-dessus, pénalement responsable dans ces cas.

1. Pistes et propositions

Il n'en reste pas moins que, dans un contexte favorable à la réparation par la stigmatisation, quelle que soit la pratique des parquets, les victimes seront souvent tentées de mettre simultanément en cause la personne physique et la personne morale, la première à des fins punitives, la seconde à des fins d'indemnisation.

Il serait alors intéressant d'étudier la possibilité d'inciter les victimes, sans rien retrancher à leurs droits, à privilégier la mise en cause des collectivités territoriales, en restreignant peut-être la simultanéité possible des poursuites. La recherche de solutions en ce sens dépasse, à nouveau, la seule problématique de la responsabilité pénale des élus locaux et doit donc être lancée dans un cadre plus vaste que l'élaboration du présent rapport.

En tout état de cause, il pourrait être justifié de rendre possible la mise en cause de la responsabilité pénale des collectivités et leurs groupements pour les activités non susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public.

Il s'agit de donner toute sa portée à l'efficacité du pare-feu que le législateur de 2004 a souhaité mettre en place quand il a institué la responsabilité morale des personnes morales.

C. LA PRÉVENTION DES CONFLITS D'INTÉRÊTS ET LA DÉONTOLOGIE

1. Le débat

Lors du colloque organisé au Sénat en mars 2006 sur la mise en oeuvre de la loi du 10 juillet 2000 cinq ans après, Jean-Louis Nadal, alors procureur général près la Cour de cassation et désormais président de la HATVP, avait estimé : « L'intervention du pénal en la matière permet un passage de la régulation publique à la régulation privée par la mise en place de corps de déontologie ou de chartes d'éthique au sein des entreprises, qui concernent notamment le respect des règles de sécurité, la protection de la santé et de l'environnement. Ainsi l'exigence éthique induite par la régulation pénale entraîne chez les opérateurs une véritable veille déontologique. »

Beaucoup a été fait entretemps, on l'a vu. Faut-il continuer à bâtir des dispositifs ?

Pour ce qui est de la HATVP, les missions de prévention et d'accompagnement que les lois du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique lui ont confiées lui permettent d'exercer une « veille déontologique ». La question se pose néanmoins, dans le cadre du présent rapport, de l'efficacité du dispositif en vigueur.

Lors de la table ronde du 5 avril 2018, le représentant de la HATVP a dressé à cet égard deux constats.

D'une part, il existe selon la HATVP un véritable besoin d'accompagnement des collectivités territoriales sur les questions de déontologie. Beaucoup d'élus locaux ne sont pas conscients des risques pénaux qu'ils encourent. Il arrive très fréquemment aux responsables de la HATVP de se trouver face à des élus locaux ignorant qu'ils commettent un délit pénal chaque fois qu'ils votent une subvention en faveur d'une association dans laquelle ils siègent.

La situation commence à évoluer : la HATVP indique que les saisines provenant des élus locaux, relativement peu nombreuses entre 2014 et 2016, ont particulièrement augmenté en 2017. Les élus se saisissent ainsi des enjeux déontologiques et, en sus des avis individuels, sollicitent de plus en plus régulièrement la Haute Autorité sur des projets de charte de déontologie pour l'ensemble de l'assemblée délibérante ou de la collectivité.

À côté du besoin de conseil, la HATVP perçoit en effet une volonté des collectivités de s'emparer de ce sujet, notamment en adoptant un dispositif déontologique pour prévenir, entre autres, les conflits d'intérêts. De plus en plus de collectivités saisissent donc la HATVP sur des projets de charte. Quand une collectivité veut rédiger une charte de déontologie ou nommer un référent, elle ne sait pas trop comment procéder, comment articuler un dispositif de prévention des conflits d'intérêts avec le respect de la vie privée des élus, par exemple. L'appui de la HATVP est précieux dans ces circonstances.

De la même manière, note la HATVP, en matière de « pantouflage », il arrive que des élus ayant perdu leur mandat reprennent une activité professionnelle dans une entreprise qui, quatre ans auparavant, avait reçu une subvention de la part de la collectivité dont ils étaient élus, commettant alors un délit de prise illégale d'intérêts au sens de l'article 432-13 du code pénal.

Les saisines de la part d'anciens élus locaux restent peu fréquentes, précise la HATVP, ce dispositif leur étant encore largement méconnu. La Haute Autorité exerce néanmoins une veille active et peut, le cas échéant, s'autosaisir. Elle rappelle régulièrement cette obligation aux membres d'exécutifs locaux, par exemple en suggérant, dans ses avis sur les chartes de collectivités locales, d'intégrer cette obligation.

Pour parfaire la prévention des conflits d'intérêts, la HATVP estime que les collectivités ont probablement besoin de s'adresser à un guichet unique pour trouver des réponses à leurs questions.

1. Pistes et propositions

On voit que la prise de conscience d'un besoin d'information et de conseil progresse.

Cependant, l'idée d'accélérer ce processus en créant un guichet unique qui serait confié à la HATVP n'est pas nécessairement décisive.

En effet, de très nombreux élus qui ne relèvent pas de la compétence de cette institution seront beaucoup plus naturellement portés à s'adresser à leurs associations d'élus ou à l'administration préfectorale, en particulier le sous-préfet, à l'égard duquel se perpétue, dans le monde rural en particulier, un véritable sentiment de confiance. Les services administratifs des collectivités territoriales ont aussi un rôle clé à jouer en la matière, et la mutualisation entreprise au sein des grandes intercommunalités est à cet égard un atout à ne pas négliger. Ces services ont en outre la possibilité, comme on l'a vu, de s'appuyer sur les services de la HATVP pour acquérir la technicité juridique nécessaire.

C'est à la montée en puissance des outils de terrain qu'il convient de consacrer les efforts nécessaires à l'efficacité de la prévention du risque pénal à travers l'information et le conseil.

De façon complémentaire, il est utile, dans la logique exposée ci-dessus de large interaction entre le droit souple de la prévention des conflits d'intérêts et le droit dur sanctionnant la prise illégale d'intérêts, d' envisager l'opportunité d'introduire dans le CGCT un dispositif prévoyant et organisant spécifiquement le déport des élus locaux en cas de conflit d'intérêts , sur le modèle de ce que prévoit l'article L. 2544-8 quand un membre du conseil municipal est intéressé à la jouissance des biens et droits revendiqués par une section de commune possédant un patrimoine séparé .

Le déport des titulaires de fonctions exécutives locales en situation de conflit d'intérêts est certes prévu dans les conditions suivantes au I de l'article 2 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique : « Lorsqu'ils estiment se trouver dans une telle situation [de conflit d'intérêts] : [...] Sous réserve des exceptions prévues au deuxième alinéa de l'article 432-12 du code pénal, les personnes titulaires de fonctions exécutives locales sont suppléées par leur délégataire, auquel elles s'abstiennent d'adresser des instructions ». Ces dispositions ne sont pas forcément connues des élus locaux. Par ailleurs, elles sont applicables aux seuls titulaires de fonctions exécutives et ne couvrent donc pas le cas de conseillers municipaux représentant la commune dans le conseil d'administration d'une association subventionnée. Ce cas de figure n'est pas théorique : le maire, deux adjoints et un conseiller municipal d'une commune ont été condamnés au pénal pour avoir participé au vote de subventions bénéficiant aux associations qu'ils présidaient (Cass., crim., 22 oct. 2008, n° 08-82068).

D. LA PROTECTION FONCTIONNELLE

Les contestations et éventuellement les abus auxquels peut donner lieu ponctuellement la mise en oeuvre de la protection fonctionnelle des élus trouvent leur règlement dans la saisine des juridictions compétentes et n'appellent pas, dans le cadre du présent rapport, de proposition d'évolution de ce régime juridique très protecteur des élus.

LISTE DES RECOMMANDATIONS

• Recommandation n° 1 : Parvenir à une connaissance qualitative et quantitative précises du risque pénal encouru par les élus locaux, en lançant une étude approfondie sur les orientations de la jurisprudence et en élaborant des statistiques exhaustives sur les mises en cause, les affaires classées, les condamnations d'élus par type d'infraction et type de collectivité.

• Recommandation n° 2 : Envisager d'aligner intégralement la rédaction des articles L. 2123-34, L. 3123-28 et L. 4135-28 du CGCT, relatifs aux critères de mise en cause de la responsabilité des élus locaux pour infraction non intentionnelle, sur celle de l'article 121-3 du code pénal en y mentionnant expressément le critère relatif à la nature des fonctions des élus mis en cause. Cet alignement pourrait avoir le mérite d'affirmer encore plus nettement dans le CGCT une spécificité qui doit jouer un rôle central dans la mise en oeuvre de la responsabilité pénale pour les infractions non intentionnelles.

• Recommandation n° 3 : Envisager l'introduction dans l'article 121-3 du code pénal d'une disposition ne permettant la mise en cause pour faute non intentionnelle d'un décideur public en raison de son inaction que si le choix de ne pas agir lui est directement et personnellement imputable.

• Recommandation n° 4 : Pour mieux cibler les éléments constitutifs de la prise illégale d'intérêts, soit relancer la procédure d'examen du dispositif adoptée par le Sénat en juin 2010, consistant à remplacer au premier alinéa de l'article 432-12 du code pénal les mots « un intérêt quelconque » par les mots « un intérêt personnel distinct de l'intérêt général », soit modifier la rédaction du premier alinéa de l'article 432-12 du code pénal afin de ne prévoir de sanction qu'en présence d'un intérêt de nature à compromettre l'impartialité, l'indépendance ou l'objectivité de la personne.

• Recommandation n° 5 : En ce qui concerne le cumul de la responsabilité pénale des personnes morales et de celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, étudier la possibilité d'encadrer la simultanéité possible des poursuites.

• Recommandation n° 6 : Consolider l'information et l'expertise proposées aux élus locaux en matière de prévention des conflits d'intérêt et de déontologie.

• Recommandation n° 7 : Envisager l'opportunité d'introduire dans le CGCT un dispositif prévoyant et organisant spécifiquement le déport des élus locaux en cas de conflit d'intérêts.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

« LA RESPONSABILITÉ PÉNALE ET LES OBLIGATIONS DÉONTOLOGIQUES »
TABLE RONDE DU 5 AVRIL 2018

• Association des maires de France (AMF )

Édith GUEUGNEAU, Maire de Bourbon-Lancy

Annick PILLEVESSE, Responsable du service juridique

Charlotte de FONTAINES, Chargée des relations avec le Parlement

• Association des maires ruraux de France (AMRF )

Frédéric CAGNATTO, Chargé de mission

• Assemblée des petites villes de France (APVF )

Matthieu VASSEUR, Chargé de mission

• Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG )

Nathalie ANCEL, Directrice adjointe des affaires criminelles et des grâces

Flavie LE SUEUR, Magistrate, Cheffe du bureau du droit économique, financier et social, de l'environnement et de la santé publique

• Direction générale des collectivités locales (DGCL)

Cécile RAQUIN, Directrice, Adjointe au Directeur général des collectivités locales

Marie-Lorraine PESNEAUD, Chef de bureau

Fabien GARRET, Conseiller juridique

Julien MOREAU, Conseiller juridique

• Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP )

David GINOCCHI, Responsable du pôle juridique et études

Anne de MOUSSAC, Adjointe au Responsable du pôle juridique et études

• Autres personnalités

Philippe BLUTEAU, Avocat au Barreau de Paris

Didier REBUT, Professeur des universités à Paris II Panthéon-Assas

COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE « RESPONSABILITÉ PÉNALE DES ÉLUS ET DÉONTOLOGIE » (5 AVRIL 2018)

M. Jean-Marie Bockel, président . - Je souhaite la bienvenue à tous les participants à cette table ronde.

Je rappelle que la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat est transversale. Parallèlement aux commissions permanentes, elle effectue un certain nombre de travaux donnant lieu à des rapports d'information et ayant vocation à être pris en compte dans les travaux législatifs. Le président du Sénat nous soumet de temps à autre des sujets qui lui paraissent importants, notamment dans la perspective de la conférence des territoires, les modalités d'exercice des mandats locaux sont l'un de ces sujets.

Il est apparu que les élus locaux avaient de fortes attentes s'agissant des conditions d'exercice de leurs mandats. Lors des élections municipales de 2014, on a assisté à une crise des vocations. Il est ainsi arrivé qu'il n'y ait pas de candidats dans certaines communes, notamment dans les plus petites d'entre elles. En outre, les démissions d'élus sont aujourd'hui plus nombreuses que par le passé.

Nous avons donc adressé un questionnaire très long et très détaillé aux élus locaux, lequel a été largement diffusé par les associations d'élus. Nous avons reçu plus de 17 000 réponses, dont 7 000 ou 8 000 réponses complètes, essentiellement de maires ou d'adjoints au maire, mais également de conseillers départementaux et régionaux. Cela nous a permis d'avoir des indications sur les questions qui taraudent le plus nos collègues.

Nous avons organisé des tables rondes sur le régime social et sur les thématiques de la formation, de la reconversion et de la conciliation entre vie professionnelle et familiale. Nous abordons aujourd'hui le thème de la responsabilité pénale des élus locaux et de la déontologie.

Je remercie les associations d'élus, qui nous livrent leurs observations et nous font des propositions. Je remercie également la Direction générale des collectivités locales (DGCL), présente à nos réunions. Je vous invite par ailleurs, si vous le souhaitez, mesdames, messieurs, à nous faire parvenir par écrit des observations et des propositions complémentaires à la suite de nos échanges.

M. François Grosdidier, rapporteur du groupe de travail sur le statut de l'élu local sur la responsabilité pénale et les obligations déontologiques . - Les participants à la table ronde ont reçu un questionnaire afin de faire le tour de nos interrogations. Le risque pénal est une préoccupation des élus qui a certainement grandi au cours de ces dernières années.

Au vu des statistiques, peut-on parler d'une banalisation de la responsabilité pénale des élus locaux dans leur activité de décideurs publics ? La figure du maire lampiste est-elle confirmée par les statistiques ? Peut-on dégager une typologie des infractions susceptibles, plus que d'autres, d'entraîner la condamnation des élus locaux ? Quels sont les principaux domaines de vulnérabilité pénale des élus locaux ? La passation des marchés publics, l'urbanisme ?

En matière de commandes publiques, l'assouplissement des procédures de mise en concurrence peut-il être corrélé à une augmentation du contentieux ?

La multiplicité des règles de prévention et, dans une moindre mesure, la mise en oeuvre du principe de précaution jouent-elles un rôle dans la mise en cause des élus locaux ?

Le principe selon lequel « nul n'est censé ignorer la loi » est-il susceptible d'une application souple dans les circonstances mettant des élus locaux sans moyens aux prises avec des réglementations particulièrement complexes ?

La Cour de cassation, dans un arrêt du 11 juin 2003, a confirmé la condamnation pour faute non intentionnelle dans une affaire où la cour d'appel avait estimé que le maire d'une commune de 870 habitants, n'ayant que quatre employés communaux, se devait d'être d'autant plus présent que sa commune est plus petite. Compte tenu de la rémunération d'un maire d'une commune de cette taille et des avantages dont il peut bénéficier, cette responsabilité paraît totalement disproportionnée !

Le développement d'une offre publique d'expertise, d'avis et de conseil juridique aux responsables de petites communes sur les procédures et sur le droit applicable peut-il être une protection contre le risque pénal ? Quels problèmes ce développement pose-t-il éventuellement ? Le conseilleur n'est jamais le payeur, y compris devant le juge pénal !

La simplification normative ou l'accroissement des marges décisionnelles dont disposent les élus - en matière de commande publique par exemple - n'augmentent-elles pas le risque pénal ? On a l'impression d'être coincé entre une extrême précision de la loi et des règlements, dont il est impossible d'appréhender tous les détails, et une plus large autonomie, une réglementation plus souple, mais qui, compte tenu de la judiciarisation des affaires et du caractère imprévisible de la jurisprudence, exposent davantage l'élu au risque.

M. Alain Richard, rapporteur du groupe de travail sur le statut de l'élu local sur la responsabilité pénale et les obligations déontologiques . - Parmi les sujets sur lesquels nous avons besoin d'amplifier notre réflexion, il y a les suites de la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, dite « loi Fauchon ». Nous disposons désormais de quinze ans de recul et de jurisprudences.

Les mises en cause pénales se développent. C'est devenu un sport national. De nouveaux risques judiciaires apparaissent, même sur la base de la faute non intentionnelle. La prévention ou le manque de diligence dans la prise en compte de certains risques sont des sujets qui se prêtent à des plaidoyers offensifs. Par ailleurs, la collectivité elle-même peut être mise en cause pénalement.

Se pose également la question du voisinage entre les principes du droit administratif et ceux du droit pénal. En droit administratif, il est d'usage, lorsqu'il y a une faute de nature à engager la responsabilité de la collectivité, de séparer la faute personnelle de la faute de service. La jurisprudence à cet égard est éprouvée, mais le juge pénal a-t-il la même perception ?

Telles sont les questions dont nous aimerions débattre.

Mme Édith Gueugneau, Association des maires de France, maire de Bourbon-Lancy. - L'Association des maires de France (AMF) s'est toujours beaucoup impliquée dans le domaine de la prévention des risques en matière pénale. La pénalisation de la vie publique est un phénomène important et relativement récent. On le sait, le nombre d'élus mis en cause est en augmentation. Toutefois, les mises en cause sont inférieures à 1 %.

Les élus aujourd'hui se font aider par l'AMF, les associations départementales, mais aussi les services des préfectures. Ils sont également bien souvent obligés de se faire accompagner par des cabinets de conseil s'ils souhaitent passer des marchés publics et des délégations de service public.

L'inflation des normes dans le champ des compétences locales est inquiétante. Je pense à l'urbanisme, à la sécurité, à l'environnement. La compétence relative à la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI) commence à être mise en oeuvre, mais les responsabilités des élus n'ont pas encore été toutes définies.

Il existe également de nombreuses insécurités juridiques s'agissant des délits non intentionnels. Les maires doivent en outre faire face au retrait progressif de l'ingénierie des services de l'État, alors que de nouvelles compétences leur sont transférées. Les élus et les agents des collectivités ont besoin de formation.

La décentralisation a provoqué une inflation de textes. À cela s'ajoute le fait que les textes applicables aux collectivités locales ne sont pas tous codifiés. Ceux qui le sont figurent dans une multitude de codes. En outre, ces textes sont de plus en plus techniques.

Permettez-moi de revenir sur l'interprétation par la Cour de cassation des devoirs du maire d'une petite commune dans la décision citée dans le questionnaire. La loi est la même pour tous ; on ne fait pas de différences entre une commune de 57 habitants et une grande commune. Or je pense que des décisions différentes pourraient être prises. Les collectivités sont en difficulté et manquent de moyens pour se faire accompagner.

M. Matthieu Vasseur, chargé de mission au sein de l'Assemblée des petites villes de France. - L'Assemblée des petites villes de France (APVF) a décidé de centrer son intervention sur la prise illégale d'intérêts.

L'article 432-12 du code pénal définit et réprime la prise illégale d'intérêts. Il prévoit que ce délit peut être commis par toute « personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public », soit tous les élus et tous les agents des collectivités. La prise d'illégale d'intérêts consiste à « prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont [l'élu ou l'agent] a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement ». Le périmètre de cette infraction est très large. Il n'est pas nécessaire, pour que le juge prononce une condamnation, que la personne concernée ait tiré de l'opération prohibée un bénéfice ou que la collectivité ait souffert d'un quelconque préjudice.

Pour l'APVF, ce délit, tel qu'il est défini par le code pénal et la jurisprudence, constitue évidemment un arsenal pénal intéressant contre des dérives qui peuvent exister dans le cadre de l'action publique. Ces dispositions sont d'autant plus précieuses que l'esprit du temps exige des décideurs publics une certaine irréprochabilité, au nom du bon fonctionnement démocratique. Cela étant dit, l'APVFR s'interroge sur le périmètre de ce délit. L'état actuel du droit permet la condamnation d'un élu sans même que celui-ci, ou l'un de ses proches, ait tiré un avantage matériel effectif de sa position. Un simple intérêt moral suffit à la condamnation. Cet aspect est vécu avec beaucoup d'amertume, voire d'agacement, par les élus.

Pour l'APVF, le champ de la prise illégale d'intérêts ne saurait recouvrir des situations dans lesquelles un maire ne tire aucun bénéfice matériel, directement ou indirectement. Cette restriction est d'autant plus nécessaire que la Cour de cassation condamne des élus municipaux pour le seul motif qu'ils ont participé à l'adoption d'une subvention à une association dans laquelle ils exercent des fonctions, parfois bénévoles, même en tant que représentants de la commune.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Nous entendons bien ce que vous dites, et nous savons que cela existe, mais dans le cas que vous évoquez, de nombreux élus déclarent juste ne pas prendre part au vote, ce qui les met à l'abri.

M. François Grosdidier, rapporteur . - Ce n'est pas si simple, Monsieur le président. Il y a trois ou quatre ans, certains ont souhaité remplacer la notion d' « intérêt quelconque » par celle d' « intérêt personnel », mais cela avait constitué un point de blocage avec le Gouvernement. Aujourd'hui, on peut mettre en cause la responsabilité d'un élu et considérer qu'il avait un intérêt moral politique à obtenir une décision, même si celle-ci est prise dans l'intérêt de son territoire.

M. Matthieu Vasseur. - J'ajoute que la proposition de loi de Bernard Saugey visait à réformer la notion d' « intérêt quelconque ». Une partie de cette proposition de loi a été reprise dans la proposition de loi de Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur en 2015, mais la partie concernant cet aspect sémantique a été supprimée en commission mixte paritaire. Cette proposition de loi prévoyait de faire évoluer la notion d' « intérêt quelconque » vers celle d' « intérêt distinct de l'intérêt général ». C'était intéressant, mais l'APVF a pensé que cette restriction légale pouvait être insuffisante en pratique, tout intérêt particulier, celui d'un président d'association par exemple, pouvant être considéré comme distinct de l'intérêt général.

En tout état de cause, l'APVF propose de remplacer la notion d' « intérêt quelconque », qui permet des condamnations marginalement injustifiées, par celle d' « intérêt personnel, matériel et financier distinct de l'intérêt général ». Ce serait un clin d'oeil intelligent aux travaux réalisés dans le cadre de la proposition de loi Saugey.

Mme Cécile Raquin, directrice, adjointe au directeur général des collectivités territoriales. - L'inquiétude des élus locaux sur ce sujet remonte vers nous depuis des années, même si nous avons du mal à en objectiver les causes. À notre connaissance, il n'existe pas de statistiques officielles concernant les mises en cause des élus locaux sur le plan pénal. Les chiffres les plus complets sont ceux de l'Observatoire des assurances. C'est là une première lacune sur laquelle la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) pourra nous apporter des éléments. Le baromètre de l'observatoire se contente d'analyser les faits et les décisions de justice qui sont portés à sa connaissance ; on ne peut donc pas considérer que ce sont des statistiques.

Chaque fois que cette question de la responsabilité pénale des élus locaux a été soulevée, la difficulté a été de l'objectiver.

Par ailleurs, les incriminations ne s'appliquent pas seulement aux élus locaux ; elles s'appliquent aussi aux autres citoyens et à d'autres fonctions de gestionnaire. D'où la difficulté de faire évoluer la définition de ces incriminations. Pour autant, la fonction d'élu a une vraie spécificité, de même que les risques qui y sont associés : les citoyens seront enclins à rechercher une responsabilité dans le cas d'un accident et, pour ce faire, à aller jusqu'au bout sur le plan pénal. Cela s'inscrit dans la tendance à la judiciarisation de la société. Il faut mettre en balance la responsabilité de l'élu avec les obligations qui pèsent sur le chef d'entreprise en matière de sécurité. Les cas sont assez souvent similaires.

Concernant la prise illégale d'intérêts, au cours des huit dernières années, on a enregistré trois tentatives pour en modifier la définition - la dernière fois en 2015 avec la loi Gourault-Sueur. Aucun consensus n'a émergé en faveur d'une nouvelle définition au motif que la jurisprudence, même si la qualification de l'incrimination est totalement objective et peut être critiquée par les élus, est connue et que très peu de condamnations ont été prononcées. Au final, la conviction l'a emporté que la modification de la définition comportait plus de risques pour les élus que son maintien. Aujourd'hui, on sait que l'on peut se trouver dans une situation objective de prise illégale d'intérêts et qu'il faut donc s'en prémunir de diverses manières, par des déports de vote ou en renonçant à la présidence d'une association, etc. Il a été considéré à l'époque que l'enjeu portait davantage sur la formation aux risques.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Au cours de mon premier cours de droit pénal, on nous a enseigné qu'un délit était constitué de deux éléments : un élément matériel et un élément moral, à savoir l'intention. Pourquoi ce principe vaut-il pour tous les citoyens à l'exception des élus, qui sont condamnables dès lors que l'élément matériel est constitué, même en absence de tout élément moral ?

M. Alain Richard, rapporteur . - Il fallait assister au second cours ! (Sourires.)

Mme Nathalie Ancel, directrice adjointe au directeur des affaires criminelles et des grâces. - Je représente M. le directeur des affaires criminelles et des grâces, qui regrette vivement de ne pouvoir être présent ce matin.

Comme cela vient d'être relevé, nous ne disposons pas de statistiques par profession ni, par conséquent, pour les élus locaux. Cela étant, nous avons noté l'augmentation du risque pénal pour eux depuis de nombreuses années. Cela résulte des phénomènes convergents qui ont été évoqués : la diversification du champ des compétences des élus, un accroissement très important du désir de transparence et de moralisation de la vie publique, une judiciarisation plus importante des rapports sociaux et dans la société.

Si la loi Fauchon a eu pour objectif de dépénaliser les faits non intentionnels des décideurs publics en les qualifiant d'auteurs indirects des dommages et en posant alors la preuve d'une faute non intentionnelle qualifiée, la jurisprudence, s'agissant des maires notamment, a précisé les choses et n'analyse pas nécessairement leur responsabilité pénale au regard de leur seul statut, mais fait une analyse in concreto de la faute.

Mme Flavie le Sueur, magistrate, cheffe du bureau du droit économique, financier et social, de l'environnement et de la santé publique. - Pour avoir été magistrate du parquet pendant quinze ans, je peux témoigner que la loi Fauchon sur la responsabilité pénale non intentionnelle est très complexe. Ces dispositions législatives s'appliquent à tous : à la fois aux chefs d'entreprise, aux médecins - le risque pénal est très prégnant dans leur exercice quotidien -, à n'importe quel conducteur de véhicule. D'ailleurs, le délit de mise en danger de la vie d'autrui, créé au départ pour les risques liés à la circulation, est aujourd'hui appliqué à des chefs d'entreprise ou à des décideurs publics.

Les parquets ont le devoir d'examiner les éléments constitutifs d'une infraction en envisageant la causalité directe ou indirecte. Lorsque des élus locaux sont mis en cause, en règle générale la causalité est indirecte, et il faut que la faute soit particulièrement grave pour que des poursuites soient engagées. Les tribunaux font une appréciation in concreto de cette faute.

Il existe de nombreux exemples de relaxe dans la jurisprudence : dans le cas de la catastrophe de Furiani, le maire a été relaxé au motif d'un partage des responsabilités dans l'effondrement de la tribune. La sécurité reposant sur la préfecture et la commission de sécurité ayant émis un avis positif, le maire avait autorisé l'événement sportif. Pour que la responsabilité pénale d'un élu local (ou d'un chef d'entreprise) soit retenue, il faut vraiment qu'il ait commis une faute, que le risque lui ait été signalé, qu'un accident soit précédemment survenu et que les mesures de prévention aient été insuffisantes.

Les procureurs de la République, qui ont l'opportunité des poursuites et peuvent procéder à des classements sans suite, reçoivent énormément de plaintes, les juges d'instruction enregistrent des constitutions de partie civile, ce qui oblige les uns et les autres à devoir apprécier les faits.

Il y a une véritable demande de justice de la part des justiciables, une réelle demande de responsabilisation des élus et des décideurs en règle générale. Je pense en particulier aux conséquences de la tempête Xynthia, en Vendée.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Au sein de notre délégation, un travail a été conduit par deux de nos collègues sur les leçons à tirer de la tempête Xynthia. Vous avez eu raison de parler de la judiciarisation de la société et de citer le cas des médecins ou des chefs d'entreprise. Certains d'entre nous ont été maires très longtemps de communes de tailles diverses, et nous avons vu au cours des trente dernières années comment les choses ont changé.

M. David Ginocchi, responsable du pôle juridique et études de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. - Nous avons nécessairement une vision très tronquée du sujet, pour deux raisons : premièrement, nous n'intervenons que sur les questions déontologiques, et les questions relatives à la responsabilité pénale ne nous concernent pas ; deuxièmement, les obligations déclaratives issues de la loi de 2013 ne concernent pas tous les élus locaux, certains n'entrant pas dans le champ de compétences de la Haute Autorité.

Outre cette mission de contrôle du patrimoine, nous avons trois missions de conseil auprès des élus soumis à déclaration, en particulier les élus locaux.

Premièrement, une mission générale de prévention des conflits d'intérêts : en plus de la déclaration de patrimoine, les élus locaux font une déclaration d'intérêts auprès de la Haute Autorité. Ces déclarations d'intérêts nous permettent avant tout de repérer si des intérêts déclarés peuvent interférer avec les fonctions et de signaler dans ce cas à l'élu concerné que son activité professionnelle ou le mandat qu'il détient dans telle association peut soulever un conflit d'intérêts, voire constituer une prise illégale d'intérêts.

Comme les élus peuvent solliciter notre avis sur toute question déontologique, nous faisons les préconisations qui s'imposent en matière de publicité des intérêts, en matière de déport.

Notre deuxième mission, beaucoup moins connue, bien qu'elle soit importante, est une mission de contrôle du pantouflage. Depuis 2013, une partie des élus locaux, notamment les exécutifs territoriaux, entrent dans le champ de l'article 432-13 du code pénal, qui interdit à un élu, après la perte de son mandat, de travailler dans une entreprise avec laquelle il avait des relations. Par ailleurs, les autorités territoriales doivent saisir la Haute Autorité lorsqu'un élu veut reprendre une activité privée dans un délai de trois ans après la cessation du mandat.

C'est l'occasion pour nous de vérifier si l'élu local ne va pas se rendre coupable d'une prise illégale d'intérêts. Un avis d'incompatibilité de la Haute Autorité lui évite d'enfreindre l'article 432-13 et de s'en apercevoir deux ans plus tard.

Notre troisième mission de conseil est plus institutionnelle : nous sommes régulièrement saisis par des collectivités sur des questions déontologiques en général. Par exemple, nous avons été saisis il y a quelques mois par un président de conseil départemental qui voulait savoir comment gérer la question des déports des élus représentant le département dans des organismes extérieurs, au regard de la prise illégale d'intérêts. Autre exemple : nous sommes sollicités par des collectivités qui souhaitent moderniser leur dispositif déontologique, adopter une charte ou nommer un référent déontologique, mais qui ne savent pas comment s'y prendre.

Alors que nous exerçons ces missions de conseil depuis quatre ans, quel bilan tirons-nous ? Nous dressons deux constats principaux.

Premièrement, il y a un véritable besoin d'accompagnement des collectivités territoriales sur ces sujets de déontologie. Beaucoup d'élus locaux ne sont pas conscients des risques pénaux qu'ils encourent. Il m'est arrivé très fréquemment d'être face à des élus locaux qui ne savaient pas que chaque fois qu'ils votaient une subvention en faveur d'une association dans laquelle ils siégeaient, ils commettaient un délit pénal.

De la même manière, en matière de pantouflage, des élus ayant perdu leur mandat et repris une activité professionnelle se sont retrouvés à travailler dans une entreprise qui, quatre ans auparavant, avait reçu une subvention de la part de la région. Ils ont commis là un délit de prise illégale d'intérêts au sens de l'article 432-13 du code pénal.

Nous avons reçu 4 ou 5 demandes d'avis en 2014; nous sommes passés à 30 ou 40 en 2017.

À côté de ce besoin d'accompagnement, nous percevons une réelle volonté des collectivités de s'emparer de ce sujet, notamment en adoptant un dispositif déontologique pour prévenir, par exemple, les conflits d'intérêts. De plus en plus de collectivités nous saisissent sur des projets de charte. Pour autant, elles ne sont généralement pas très à l'aise avec ce type de sujet. Quand une collectivité veut rédiger une charte de déontologie ou nommer un référent, elle ne sait pas trop comment procéder, comment articuler un dispositif de prévention des conflits d'intérêts avec le respect de la vie privée des élus par exemple.

Les collectivités ont probablement besoin de s'adresser à un guichet unique pour trouver des réponses à ces questions.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Hier, au cours de la table ronde sur le statut social de l'élu local, des représentants d'organismes nous disaient que le turnover des élus locaux est important (à la suite d'une défaite, en cas de non-représentation, etc.). D'où le souci de retrouver une activité professionnelle.

M. Philippe Bluteau, avocat au barreau de Paris. - Je concentrerai mon propos de praticien sur la loi Fauchon.

Je suis assez surpris du décalage entre la satisfaction généralement exprimée au sujet de la loi Fauchon et la réalité des jugements, au moins en première instance, rendus contre des élus. Ce bilan n'est pas complètement satisfaisant et il faut remettre ce texte sur le métier, même si son accouchement a été difficile.

Selon moi, la magistrature a en partie édulcoré sa portée et s'est un peu éloignée de la volonté du législateur. L'idée, c'est de restreindre les cas dans lesquels la responsabilité pénale des élus pourra être recherchée tout en augmentant les cas dans lesquels les personnes morales des collectivités locales pourront être poursuivies. Il faut prendre en compte à la fois la demande des élus que soient à l'avenir évités les cas les plus choquants de condamnation de leurs pairs et la demande sociale de pénal, pour ne pas dire la soif, parfois un peu injustifiée, de nos concitoyens.

Comment pourrait-on procéder pour parvenir à un tel équilibre ? D'abord, sur le fondement de l'article 121-3 du code pénal, à quelles conditions un maire peut-il être condamné pénalement lorsqu'il est l'auteur indirect d'un délit non intentionnel, par exemple d'une blessure ou d'un homicide involontaire, que personne n'a évidemment souhaité ? La loi Fauchon a introduit deux cas alternatifs, deux branches, et les cas de condamnations choquants sont tous fondés sur la seconde branche.

Première branche : le maire est condamné lorsqu'il a violé de façon manifestement délibérée une règle particulière de prudence et de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Quand un élu en conscience, souvent en raison d'arbitrages économiques, viole la norme et qu'un accident surgit, la condamnation du maire n'est pas contestable. Exemple : en cas d'accident, la condamnation du maire qui a maintenu ouvert à la baignade un lac naturel parce qu'il savait que toute l'activité économique de son village en dépendait, au mépris de la sécurité des baigneurs, n'est pas contestable.

Seconde branche : le maire peut aussi être condamné lorsqu'il commet une faute caractérisée exposant autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer. Sur cette branche ont poussé des condamnations qui choquent les élus, à juste titre.

On a bien entendu la DACG : la faute caractérisée devait en principe exiger une faute répétée, d'une particulière gravité. Mais ce n'est pas ainsi que la jurisprudence a fini par traiter cette faute. Dès 2002, un rapport public de la Cour de cassation indique : cette mention d'une faute caractérisée « peut apparaître superfétatoire, car on ne voit pas a priori comment retenir une faute qui ne le serait pas. » Autrement dit, le terme « caractérisée » a été vidé de sa substance en théorie et en pratique.

Il suffit qu'un risque d'une particulière gravité survienne pour que les magistrats le reprochent. En témoigne un arrêt de la cour d'appel de Rouen en 2003. Dans un petit village de l'Oise, alors que l'adjoint au maire marchait devant les majorettes qui défilaient pour les protéger, un chauffard a manqué un virage et percuté deux fillettes, alors blessées. Le maire a été condamné à une amende de 1 500 euros. C'est non pas l'amende qui pose problème, mais le caractère infamant de cette décision. Le maire a démissionné. Je voudrais que l'on m'explique quelle était en l'espèce la faute caractérisée. De n'avoir pas mis un gyrophare devant le défilé !

Le troisième élément prétendument protecteur de la loi Fauchon est la particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer. Mais on frôle là la pensée magique : plus que l'omniscience, on fait appel à l' « omniprescience » de l'élu. Non seulement ce dernier est censé tout savoir, mais il doit tout anticiper. À cet égard, je citerai l' « arrêt de la soirée mousse » : un maire de 800 habitants a été condamné pour ne pas s'être suffisamment intéressé aux conditions dans lesquelles le disc-jockey qui organisait la soirée avait relié son matériel à la terre. Selon l'attendu de la Cour d'appel de Montpellier, qui n'est pas contesté par la Cour de cassation, un maire se doit d'être d'autant plus présent que sa commune est plus petite. N'est-ce pas là une provocation à l'encontre de la volonté du législateur dans le cadre de la loi de 1996 sur les diligences normales ?

En 1996, le législateur a voulu obliger les magistrats à prendre en compte les conditions concrètes dans lesquelles les fonctions des maires s'exercent. Ce n'est pas extra legem , c'est contra legem .

Dans ces conditions, il faut couper cette branche ! Loin d'être radical ou révolutionnaire, on en reviendrait simplement à la rédaction originelle de la proposition de loi du sénateur Fauchon : l'auteur indirect pour délit non intentionnel ne pouvait être condamné que s'il violait de manière manifestement délibérée une règle particulière de prudence ou de gravité prévue par la loi ou le règlement.

Je le sais bien, il est extrêmement difficile d'assumer une réforme qui pourrait être accueillie par l'opinion publique comme tendant unilatéralement à protéger les élus. Aussi, cette mesure doit s'accompagner d'une ouverture concomitante des conditions d'engagement de la responsabilité pénale des collectivités locales. Tout le monde y gagnerait :

- les maires : l'accident, l'homicide est bien souvent le fruit d'un dysfonctionnement de la structure. Il ne serait donc pas choquant de condamner la personne morale.

- les victimes : le secrétaire général de la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs (FENVAC) déclarait ici lors d'un colloque qu'il était favorable à l'extension des conditions d'engagement de la responsabilité pénale des communes : « Faire peser sur les épaules d'un seul homme une catastrophe qui entraîne des effets de grande ampleur ne répond pas en effet à la nécessité d'une réponse pénale. Nous souhaitons voir la responsabilité des collectivités locales élargie, élargissement qui réduirait le nombre des poursuites à l'encontre des fonctionnaires. » Mais nous pensons aussi aux élus.

- les praticiens du droit : en l'état actuel, à quelles conditions peut-on orienter les poursuites vers la personne morale plutôt que la personne physique ? Seulement lorsque l'infraction a été commise dans l'exercice d'activités susceptibles de délégation de service public. Sans revenir sur la genèse de cette formule, celle-ci est mal commode. Les parquetiers sont obligés de se pencher sur la jurisprudence du Conseil d'État pour savoir si l'activité visée est susceptible de délégation de service public ou pas.

Pour prendre l'exemple des cantines scolaires, la fourniture des repas peut faire l'objet d'une délégation, mais pas la surveillance des enfants. Si le dommage provient de la qualité des aliments, la commune pourra être poursuivie ; si un enfant est tombé d'une chaise, seul le maire pourra être poursuivi. Cette disposition ajoute une subtilité qui n'est pas nécessaire. Supprimez cette condition ! Prévoyons que, comme toutes les autres personnes morales, hormis l'État, les communes puissent être poursuivies pénalement pour les infractions commises par leurs organes ou leurs représentants. Une réponse pénale pourra ainsi être apportée aux victimes. Qui plus est, la commune est un débiteur solvable.

Enfin, je formulerai une dernière proposition de réforme concernant la composition pénale.

La semaine dernière, dans un tribunal de grande instance de la région Bourgogne-Franche-Comté, j'ai assisté un maire convoqué à une composition pénale devant le délégué du procureur. L'association de pêche et les sapeurs-pompiers avaient demandé que l'on cure les mares de la commune. L'opération a eu lieu en février, période de reproduction des batraciens. Toutes les précautions ont été prises : les poissons et les amphibiens ont été mis dans d'autres mares. Une association de protection de l'environnement a pris une photographie d'un crapaud bufo retrouvé mort dans les détritus au bord de la mare, un crapaud commun que l'on trouve du Portugal en Sibérie, mais qui figure sur l'arrêté ministériel des espèces protégées. Le parquet a décidé une composition pénale pour destruction d'espèces protégées.

Modifions l'article 41-2 du code de procédure pénale pour ouvrir la composition pénale aux personnes morales !

M. Jean-Marie Bockel, président . - Exposé passionnant ! Il est bon que des représentants des administrations, des élus et quelques sachants participent à cette table ronde.

M. Didier Rebut, professeur des universités à Paris II Panthéon-Assas . - Je voudrais vous parler de ma perception en tant qu'universitaire et spécialiste des fondements du droit pénal.

Je constate que la question de la responsabilité pénale de l'élu local est posée depuis longtemps déjà. On a évoqué la première loi Fauchon de 1996 dans le domaine des délits non intentionnels ; une deuxième loi a tenté de corriger les lacunes de la première ; des propositions de loi sur le délit de prise illégale d'intérêts, le délit de favoritisme, ont été déposées, mais n'ont pas abouti.

Depuis une vingtaine d'années, les élus locaux ont le sentiment d'être exposés à une responsabilité pénale qu'ils ne maîtrisent pas.

M. Jean-Marie Bockel, président . - C'est vrai.

M. Didier Rebut. - Des magistrats leur ont répondu qu'ils devront s'habituer. Toutefois, ces derniers continuent de penser qu'ils sont confrontés à une responsabilité pénale qu'ils ne maîtrisent pas. N'arrivent-ils pas à s'habituer à cette nouvelle situation ou la responsabilité pénale pose-t-elle des problèmes ?

La réponse est double : les maires ne s'habituent pas à certaines responsabilités pénales, peut-être pour certaines raisons et du fait que certains points peuvent poser problème.

Concernant la prise illégale d'intérêts, la jurisprudence est connue. Il n'empêche que les maires ne s'y habituent pas, car cette responsabilité pénale présente un caractère incompréhensible ou inacceptable : un délit classé dans les manquements au devoir de probité, c'est-à-dire la malhonnêteté, frappe des élus pour des actes qui n'ont rien de malhonnête. Il revient au juge pénal de se prononcer sur l'illégalité : d'ailleurs, on se demande ce que fait cette notion dans l'appellation du délit. Ce délit ne sanctionne pas la violation d'une réglementation en tant que telle.

Des délits, comme celui de favoritisme, sont devenus extrêmement objectifs, que l'on peut même qualifier de « formels ». La mise en oeuvre du délit de favoritisme par la Cour de cassation et les juges du fond est la plus formelle et la plus mécanique qui soit. M. le rapporteur a soulevé cette jurisprudence, lorsque l'on reproche l'intérêt du territoire, on est au bout d'une certaine logique, c'est une abstraction du droit pénal. Je pèse mes mots, le droit pénal a perdu de vue la réalité.

Par ailleurs, subsiste un véritable élément d'incertitude pour ce qui concerne certaines infractions. En matière de favoritisme notamment, on voit le foisonnement de la réglementation. Le délit sanctionne la violation de la réglementation en tant que telle. La jurisprudence a fait en sorte que le délit pénal soit en lui-même caractérisé. Là encore, le texte a été dénaturé : les positions sur l'avantage injustifié, l'élément intentionnel, ont été totalement balayées par la jurisprudence. L'élu a donc l'impression d'être dans une nasse : une infraction dont il ne maîtrise pas la mise en oeuvre lui tombe dessus.

Une représentante de la DACG nous a parlé de risque pénal. Mais j'apprends à mes étudiants que le droit pénal doit être non pas un risque, mais une certitude. Parler de risque pénal est une dénaturation. Les élus ont l'impression d'être en présence d'un risque, un aléa, au sens du droit des assurances, contre lequel il n'existe pas d'assurance. On entend ce discours sur les délits non intentionnels, la prise illégale d'intérêts, le favoritisme. Aucun élu ne parle de risque pénal en matière de corruption ou de trafic d'influence.

Selon moi, le favoritisme n'a d'intentionnel que le nom. Un arrêt de 2014 de la chambre criminelle de la Cour de cassation sur le caractère intentionnel du favoritisme est absolument extraordinaire ! Évidemment, certaines prises illégales d'intérêts sont incontestables sur le plan de l'ensemble des éléments constitutifs. Mais la situation témoigne d'une certaine anormalité de la mise en oeuvre de tout un champ, et je comprends qu'il soit particulièrement mal ressenti.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Ces deux exposés étaient passionnants.

Depuis quinze ans, je dis qu'il faut être honnête, prudent et avoir de la chance pour faire de la politique. Quand on est honnête, on n'est pas toujours prudent, et il est alors bon d'avoir de la chance !

Mme Cécile Raquin . - Je veux réagir à l'intervention de M. Bluteau : mon propos fera contrepoids à celui de l'avocat de la défense.

On a un véritable besoin d'objectivation des chiffres des condamnations, mais également des décisions. Concernant la loi Fauchon, au vu des applications in concreto , on peut avoir l'impression que la jurisprudence est particulièrement sévère, et c'est peut-être le cas - je ne le conteste pas. Mais je fais une lecture un peu différente des décisions citées.

Lorsque la décision a été rendue pour le cas de la Faute-sur-Mer, tous les maires de France ont pensé qu'ils pouvaient se retrouver dans la même situation face au risque de l'inondation, alors que ce cas n'est pas généralisable : il faut lire le jugement pénal dans son intégralité.

Concernant l'exemple de la petite commune citée, le considérant du jugement pénal est aussi particulièrement édifiant : il s'agit d'une non-prise en compte des obligations de sécurité répétée et caractérisée de la part d'un maire d'une petite commune. Le juge ne s'est pas borné à dire que le maire devait être présent dans sa commune ; il a développé des faits.

Il faut donc avoir une vision nationale de la jurisprudence. Je ne sais pas quel service pourrait y travailler, mais il faudrait regarder la jurisprudence de ces trois dernières années ou de la dernière mandature et en livrer un panorama pour voir si se pose un problème d'application. S'il y a des dérives de la loi Fauchon, alors pourquoi ne pas la revoir ?

M. Jean-Marie Bockel, président . - Ce que vous dites est juste et, heureusement, le bon sens prévaut. Mais il suffit que des cas se répètent pour créer un stress, un sentiment d'insécurité.

Mme Cécile Raquin . - Je suis d'accord. Mais le cas de la Faute-sur-Mer m'est apparu assez parlant : il a créé un véritable sentiment d'inquiétude chez les élus, alors qu'il s'agit d'une situation très particulière. Une décision peut faire naître une inquiétude, mais qui peut être sans rapport avec la réalité des condamnations.

M. François Grosdidier, rapporteur . - Cette affaire emblématique a été effectivement de nature à développer un sentiment d'inquiétude chez les élus. Mais c'est plutôt la multiplication de petites affaires qui crée ce sentiment. Et on en connaît tous : dans ma commune, un adjoint au maire chargé du sport a été condamné à une amende parce qu'il avait fait voter par le conseil municipal une subvention au club de judo dont sa fille avait été la présidente par intérim du fait de la démission du président ; il a très mal vécu la condamnation. On pourrait multiplier ces exemples à l'infini.

On parle d'objectivisation et on arrive à des décisions de justice qui sont décontextualisées. Une décision de justice ne peut pas être d'une abstraction pure.

Mme Nathalie Ancel. - Quand j'ai évoqué la notion de risque pénal, ce n'était pas pour dénaturer d'une quelconque manière le droit pénal. Mais je voulais faire ressortir ce que ressentent les élus locaux, c'est-à-dire l'inquiétude existante.

Il importe d'avoir de la mesure : des cas exceptionnels ou anecdotiques, comme l'exemple des mares à curer, ne peuvent être extrapolés. Une appréciation in concreto se fait de la manière la plus fine possible par les magistrats.

Il n'y a pas que la voie pénale ; il faut aussi s'emparer des voies civiles. Beaucoup de victimes agissent pour obtenir réparation, mais la voie pénale n'est pas uniquement celle de la réparation.

En outre, un partage d'informations a été optimisé entre l'autorité judiciaire et les juridictions financières. N'oublions pas le rôle et l'action très importante de la Cour des comptes, des chambres régionales des comptes, qui apportent aussi un certain nombre d'affaires. Ne réduisons pas le débat au prétoire des audiences correctionnelles.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Je précise que la Cour des comptes n'a pas souhaité répondre à notre invitation, ce qui témoigne peut-être d'un certain état d'esprit - je m'en enquerrai. Ce sujet sensible donnera peut-être matière à l'organisation d'une seconde table ronde.

M. Michel Dagbert . - Pour ma part, j'ai été élu pour la première fois en 1983 dans ma commune ; j'ai aussi exercé des responsabilités au sein du département du Pas-de-Calais, qui a la particularité de compter 890 communes, dont 740 totalisent moins de 2 000 habitants.

Après avoir écouté ces échanges, qui ne me sont pas étrangers, je me demande si, à l'aube de l'année 2020, nous n'allons pas vers une amplification de la perte du goût de l'engagement d'un certain nombre de nos concitoyens pour la chose publique, notamment dans les territoires ruraux, compte tendu de la judiciarisation et de la montée en puissance de l'exigence de la population.

Ceux qui exercent des responsabilités sont de plus en plus confrontés à des éléments réglementaires, normatifs, sans que nous puissions leur donner les moyens de s'acquitter convenablement de leurs missions. Aussi, je me demande si les différentes réformes relatives à nos institutions, notamment la réforme territoriale, ne sont pas une manière d'en finir avec la France aux 36 000 communes. Par manque de courage de porter clairement une réforme institutionnelle, on ne cesse d'alourdir le fardeau de telle sorte qu'il n'y aura plus un jour de candidats dans ces territoires.

M. Franck Montaugé . - Toutes les interventions ont été très intéressantes, mais j'aimerais revenir sur celle de l'AMF à propos de la diminution des moyens en termes de conseil et d'ingénierie en préfecture, une diminution que je déplore fortement.

Nous constatons des transferts de compétences importants en matière d'ingénierie routière avec l'assistance technique fournie par l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT), et ce sera le cas avec la GEMAPI. À l'instar de ce qui a été fait dans certains territoires, le mien en particulier, pour le transfert de l'instruction des autorisations du droit du sol, ne serait-il pas opportun que la question des moyens de protection juridique et de conseil que ne peuvent pas se payer les communes, notamment les petites d'entre elles, fasse l'objet d'une mutualisation à l'échelle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ou des pôles d'équilibre territoriaux et ruraux (PETR), dans le cadre d'un financement pris en compte par l'État ?

Mme Michelle Gréaume . - Permettez-moi de rappeler les chiffres de 2016 : 32 832 communes de 0 à 3 499 habitants ; 2 086 communes de 3 500 à 9 999 habitants, soit presque 35 000 communes de moins de 10 000 habitants ! C'est énorme.

Aujourd'hui, les communes sont confrontées à de nombreuses difficultés. Quelles seront demain les incidences liées aux changements de nom et de sexe à l'état civil sur la succession ? Le maire pourra-t-il être poursuivi en cas de problème ? La police municipale est armée : on n'est pas à l'abri d'accidents. La restauration municipale : récemment, un enfant est décédé après avoir mangé une crêpe.

Comme vient de le souligner mon collègue, de nombreuses communes n'ont pas l'ingénierie nécessaire. Certains services prennent des protections importantes, voire démesurées. Je cite un exemple : on ne peut faire dormir les enfants dans une salle des sports à l'occasion d'un tournoi de football pour des raisons de sécurité, mais cette salle est réquisitionnée en plein hiver. Toutes les petites communes sont confrontées à de telles problématiques.

Il est parfois difficile de mettre en oeuvre certaines procédures. Les gens du voyage peuvent acheter des terrains en zone naturelle, mais le maire ne peut préempter des terrains dans ces zones.

Se posent des problèmes concernant les marchés publics. Ne nous voilons pas la face, la plupart des élus cherchent à faire travailler les petites entreprises locales.

Je propose un service juridique nationalisé spécialisé dans les collectivités territoriales. Il faut peut-être engager une réflexion sur ce sujet.

M. Alain Richard, rapporteur. - Concernant l'objectivation du nombre de cas, il est dommage que ni la DGCL, par le réseau des préfectures, ni la DACG, par le réseau des parquets, ne puissent nous donner un ordre de grandeur des cas de mise en cause. D'ailleurs, existe-t-il des statistiques pour les affaires classées sans suite par catégorie de mise en cause ?

Mme Nathalie Ancel. - On a des données statistiques par catégories d'infraction pour les affaires classées sans suite.

M. Alain Richard, rapporteur. - Cela permet déjà de cerner un peu le sujet.

Évitons toute déclaration alarmiste : il doit y avoir de nombreux cas de classements sans suite. Certes, l'élu mis en cause connaît un traumatisme, mais le classement sans suite est la reconnaissance que la demande de poursuite n'était pas justifiée.

La loi est-elle fautive ? Autorise-t-elle des cas de mise en cause qui, éthiquement et socialement, ne sont pas totalement justifiés ? Cela exigerait que l'on modifie les textes de droit pénal, ce que nous ne faisons pas de manière banalisée.

Par ailleurs, se posent la question du mode d'appréciation des juges et celle de la formation d'une jurisprudence qui méconnaîtrait la composante d'éléments volontaires ou, en tout cas, délibérés ou conscients de la faute. Il faut poursuivre cette réflexion.

Même si les circonstances sont de la souveraineté de la cour d'appel, concernant l'affaire des branchements électriques citée précédemment, la mention dans un attendu de la cour d'appel d'une affirmation générale suivant laquelle un élu de petite commune serait astreint à un niveau de présence accru est une erreur de droit. Celle-ci n'a peut-être pas été soulevée au moment du litige, mais la Cour de cassation aurait pu le relever, car c'est une erreur de droit.

La dérive vers des reconnaissances de culpabilité à partir d'éléments strictement non intentionnels doit donner lieu à un débat au sein de la magistrature pénale, débat auquel la DACG n'est pas totalement étrangère. Reconnaître le caractère administratif de cette direction, qui est, me semble-t-il, chargée de proposer au Gouvernement l'évolution de la politique pénale, est tout de même un peu réducteur.

Pour siéger à la Commission supérieure de codification, je souligne le nombre de séances consacrées à essayer de construire depuis vingt-cinq ans qu'on nous le demande le code de la commande publique. La marge d'incertitude sur ce qui est correct et ce qui ne l'est pas continue de se creuser. Tous les services administratifs des collectivités chargées de préparer les opérations de commandes publiques appellent les élus à l'absence totale de choix. On vous invite à ne pas porter une appréciation qui vous apparaît raisonnable dans la façon de coter les éléments de mérite de telle ou telle proposition dans le cadre d'un appel d'offres, mais qui n'a pas été ratifiée par la jurisprudence. Les commissions d'appel d'offres deviennent de plus en plus des témoins muets d'un décompte purement technique et formel qui empêchent de choisir la meilleure offre.

Je rejoins les propos de Franck Montaugé ; l'une des missions essentielles des établissements publics de coopération intercommunale est de mutualiser de façon pratique l'ingénierie. Au fond, l'AMF a-t-elle fait son travail de garantie mutuelle ? Le risque pénal n'est effectivement pas assurable - et c'est heureux ! En revanche, la protection pénale est mutualisable.

Dans le monde enseignant, des mutuelles assurent, depuis une dizaine d'années, la protection juridique professionnelle : elles sont un élément de sécurisation et de prévention. La constellation des organisations d'élus ne pourrait-elle pas se pencher sur ce sujet ? La mutualisation des collectivités serait de nature à assurer un niveau de protection juridique plus professionnalisé que ce que nous faisons au travers des associations départementales.

M. Jean-Marie Bockel, président . - La mutualisation du risque existe aussi chez les notaires, qui rencontrent moins de problèmes actuellement. La Caisse centrale de garantie des notaires fonctionne au bénéfice des professionnels et des victimes potentielles.

M. Philippe Bluteau . - En réponse aux observations de Mme Raquin, je veux insister sur l'aspect médiatique. Il faut retravailler le texte, mais il faut aussi prendre des précautions médiatiques.

Ce sujet a des répercussions psychologiques chez les candidats au mandat. La médiatisation des affaires pénales, et leur retentissement, est une problématique nouvelle.

Le cas de La Faute-sur-Mer est évidemment exceptionnel. Mais pourquoi les élus ont-ils frémi en apprenant la condamnation ? D'abord, à cause du quantum : quatre ans ferme ; ce n'est pas pour rien que la Cour d'appel a fait preuve d'un peu plus de sagesse. Le pouvoir judiciaire a voulu adresser là un message au pouvoir politique local.

D'emblée, j'ai eu le même sentiment que vous : ne pas tirer d'enseignements généraux de ce cas exceptionnel, qui ne constitue pas un précédent. Pour autant, les médias ont relayé la décision : « Les élus ont intentionnellement occulté ce risque pour ne pas détruire la manne du petit coin de paradis dispensateur de pouvoir et d'argent. Ils ont menti à leurs concitoyens, les ont mis en danger, les ont considérés comme des quantités négligeables en restant confits dans leurs certitudes d'un autre temps. »

M. Jean-Marie Bockel, président . - C'était en première instance.

M. Philippe Bluteau . - On parle là d'une décision rendue au nom du peuple français. « Ils ont parié que le risque connu ne se réaliserait pas, mais la mise de fonds de ce pari a été l'intégrité physique des habitants. » « Ce qui s'est passé est le résultat d'une gestion publique communale pervertie. »

Les précautions médiatiques doivent être prises par tout le monde, y compris par les magistrats. Or je n'entends personne oser - c'est délicat dans un État de droit - rappeler la magistrature dans son ensemble à la retenue stylistique. Cela pourrait donner lieu à une micro-réforme, qui pourrait être utile.

Mme Nathalie Ancel. - Il serait aussi intéressant de lire les conclusions des avocats dans ce dossier.

M. Philippe Bluteau. - Oui, mais les avocats pèsent d'un côté de la balance seulement. Le caractère laconique des arrêts du Conseil d'État est parfois bienheureux, quand on voit les dérives stylistiques en d'autres lieux.

On peut envisager d'élargir les conditions d'engagement de la responsabilité pénale des personnes morales en prenant en compte le fait que cela ne changerait pas grand-chose d'un point de vue médiatique. Ne serait-il pas utile et fructueux de réfléchir à une modification de l'article 706-43 du code de procédure pénale, qui prévoit la possibilité pour le représentant légal d'une personne morale de demander au président du tribunal de grande instance de désigner un mandataire de justice pour représenter la personne morale devant le tribunal ?

Mme Flavie Le Sueur. - Cela n'a rien à voir ! Les propos que l'on entend commencent à être un petit peu agressifs. Ces propositions ne vont pas du tout dans le sens des victimes. Je pense que vous vous trompez lourdement en disant que les victimes n'attendent pas de poursuites des personnes physiques. Vous devez prendre en compte le contexte local.

M. Philippe Bluteau. - Je n'ai fait que citer les propos du secrétaire général de la FENVAC, qui se dit favorable à l'extension de la responsabilité pénale des personnes morales.

Pourquoi couper court à la proposition de cette micro-réforme, qui a son utilité ? Élargir les cas dans lesquels une personne morale serait représentée par une autre personne que son représentant légal serait une mesure équilibrée. C'est d'ailleurs déjà prévu par les textes dans le cas où ce dernier est lui-même poursuivi.

Mme Cécile Raquin. - Nous avons analysé la situation des élus comme supposés auteurs d'infractions, mais doit aussi être examinée celle des élus victimes d'infractions : diffamation, agressions. L'élu dépositaire de l'autorité publique est plus sujet à subir des infractions. Il faut donc apporter une attention particulière à ce sujet.

M. Jean-Marie Bockel, président . - C'est en effet de plus en plus le cas.

Mme Nathalie Ancel . - En matière de politique pénale, la réponse est très attentive et très ferme, pour défendre la fonction des élus.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Vous faites bien de le rappeler, mais nous avons aussi cette donnée à l'esprit.

Mme Edith Gueugneau . - Il faut valoriser l'image de l'élu. Le maire donne tout son temps et agit dans l'intérêt général. Il faut vraiment remettre les choses en ordre...

M. Jean-Marie Bockel, président . - ... tout en restant dans l'État de droit avec ses exigences.

Mme Edith Gueugneau . - Tout à fait. En portant les valeurs de la République.

M. Charles Guené . - Il faut savoir où l'on va : le droit positif et la jurisprudence traduisent souvent un peu les choix de la société et parfois les non-choix. La prise illégale d'intérêts en témoigne, par son caractère ambigu. En réalité, par essence, un élu est forcément coupable de rechercher l'intérêt de son territoire et est porté par l'intérêt de bien faire, qui est aussi un intérêt électoral. L'absence de choix se traduit à l'heure actuelle par le choix d'un élu citoyen plutôt que d'un élu professionnel, ce qui explique la suppression de la réserve parlementaire : celle-ci était présumée suspecte de prise illégale d'intérêts.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Suspecte de clientélisme.

M. Charles Guené . - Pourquoi institue-t-on le non-cumul des mandats ? Pourquoi va-t-on instaurer le non-renouvellement des mandats ? On doit se poser ces questions.

M. François Bonhomme . - Concernant la diffamation, il n'y a pas, me semble-t-il, de réponse claire. En période électorale, il y a eu une forme d'instrumentalisation du risque de diffamation avec une citation directe : l'élu se retrouve de fait devant le tribunal correctionnel. Il y a une forme de dérive ou d'exploitation. Je ne dispose pas de statistiques en la matière, mais je me demande si le nombre de plaintes en diffamation n'a pas fortement augmenté.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Je voudrais verser au débat un terme important : le discernement. Dans certains cas, les professionnels savent faire preuve de discernement.

M. François Grosdidier, rapporteur . - On a touché du doigt les vraies difficultés. Aujourd'hui, un grand nombre d'élus, qui prennent des risques pour leurs concitoyens, ont le sentiment d'être personnellement exposés, et la collectivité accroît considérablement ce risque. Loin de leur être reconnaissant, elle est parfois prompte à les accabler.

En tant que rapporteur de la commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure, les forces de l'ordre vivent parfois exactement les mêmes choses que les élus. Ils prennent des risques non pas pour eux-mêmes, mais pour leurs concitoyens, et ils voient la collectivité, et donc l'institution judiciaire, les accabler.

On a identifié un certain nombre de sujets, ce qui devrait nous conduire à parfaire le travail législatif. La notion d'intérêt quelconque est trop large. Doit-on considérer l'intérêt pécuniaire direct ou indirect ? De même que l'intérêt d'une personne privée, une association à but non lucratif qui oeuvre pour le bien public ?

Ce sont les mêmes qui font partie du conseil municipal et qui, souvent, se dévouent dans les associations. Lors du vote des subventions, je demande aux élus qui ont un intérêt dans une association de sortir de la salle et suis donc obligé de couper ma délibération pour avoir le quorum. Comme il y a de moins en moins de vocations, ce sera de plus en plus vrai.

Faut-il en revenir à ce qu'était la loi Fauchon à l'origine ? Ce n'est pas la première fois que l'on se rend compte que la jurisprudence s'est totalement éloignée de la volonté du législateur. La mise en oeuvre de la formule telle qu'elle a été négociée avec l'exécutif aboutit parfois à une rédaction contraire. J'ai des exemples en tête dans bien d'autres domaines. Aussi, on devrait remettre l'ouvrage sur le métier.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Je vous remercie tous de votre présence. Peut-être aurons-nous d'autres tables rondes sur ces questions.


* 1 Voir Responsabilité pénale des personnes morales, L. Constantin, Dalloz Actualité, 20 mai 2011 : « On distingue, actuellement, deux courants jurisprudentiels. Le premier tend à condamner les personnes morales pour une infraction intentionnelle ou non, en présumant sa commission par un organe ou un représentant non-identifié. Cette solution profite aux dirigeants sociaux (V., not., Crim. 9 mars 2010, n° 09-82.823, D. 2010. 2135, note J.-Y. Maréchal). Le second courant jurisprudentiel exige l'identification de la personne physique qui, ayant la qualité d'organe ou de représentant de la personne morale, a commis l'infraction. La jurisprudence est loin d'être fixée car, dans certains cas, elle retient le cumul de la responsabilité et, dans d'autres, elle l'écarte. »

* 2 Voir Étude annuelle 2013 du Conseil d'État - Le droit souple, La Documentation française, 2013.

* 3 L'impuissance du législateur à endiguer la responsabilité pénale en matière d'infractions involontaires, P. Morvan, Professeur agrégé à l'université de Rennes I, Droit social 2000 p. 1075.

* 4 Il n'a pas été possible d'obtenir des chiffres actualisés dans le cadre de la préparation du présent rapport, mais le rapport précité de la commission des Lois du Sénat mentionnait en 2010 les chiffres suivants : 44 condamnations en 2005 dont 14 à l'encontre d'élus ; 51 en 2006 dont 19 à l'encontre d'élus ; 49 en 2007 dont 10 à l'encontre d'élus.

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