N° 662

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 juillet 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur les relations entre l' Union européenne , Israël et les Territoires palestiniens ,

Par M. Simon SUTOUR,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, Mmes Véronique Guillotin, Fabienne Keller, M. Didier Marie, Mme Colette Mélot, MM. Pierre Ouzoulias, Cyril Pellevat, André Reichardt, Simon Sutour, vice-présidents ; M. Benoît Huré, Mme Gisèle Jourda, MM. Pierre Médevielle, Jean-François Rapin, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jacques Bigot, Yannick Botrel, Pierre Cuypers, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, Laurence Harribey, MM. Claude Haut, Olivier Henno, Mmes Sophie Joissains, Claudine Kauffmann, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Pierre Laurent, Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Leleux, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Franck Menonville, Georges Patient, Michel Raison, Claude Raynal, Mme Sylvie Robert.

AVANT-PROPOS

Les relations entre l'Union européenne et Israël sont à analyser sous plusieurs angles. Le premier, historique et philosophique, nous conduit à considérer ce pays comme un allié naturel au Proche-Orient, incitant l'Union européenne à développer avec lui un partenariat privilégié et avancé. Le deuxième angle, celui de la coopération économique et scientifique, vient confirmer cette logique de renforcement inéluctable des liens, l'accord d'association signé entre l'Union européenne et Israël en 1995 pouvant s'apparenter à une première étape. Le troisième prisme, celui du conflit israélo-palestinien, vient troubler cette perception. Les valeurs défendues par l'Union européenne, au premier rang desquelles le respect du droit international, et son souhait de s'affirmer comme un acteur politique dans la région se heurtent logiquement à l'intransigeance de l'État hébreu, plus enclin à s'appuyer sur les États-Unis sur ces questions. En découle une relation complexe, paradoxale par moments, où les succès de la coopération sur les terrains économique et scientifique contrastent avec un discours politique plus sévère, gelant toute perspective d'approfondissement.

La relation avec les Territoires palestiniens est, quant à elle, en large partie financière. L'Union européenne est, en effet, le principal bailleur de fonds de l'Autorité palestinienne. Reste que cette logique de subvention peine aujourd'hui à se transformer en un véritable partenariat, autour de priorités préalablement définies.

Cette situation de blocage invite à repenser la stratégie de l'Union européenne dans la région. Elle conditionne en effet toute avancée dans les relations avec les deux pays à des progrès dans le règlement du conflit et à la concrétisation de la solution à deux États. Cette logique de prime abord vertueuse s'avère in fine contreproductive. La révision de la politique de voisinage mise en oeuvre depuis décembre 2015 doit donc constituer l'occasion d'une relance des discussions avec Israël, d'un côté, et les Territoires palestiniens, de l'autre. Le maintien du statu quo ne pourrait que décrédibiliser l'action de l'Union européenne sur place.

I. REPENSER LA RELATION AVEC ISRAËL

L'Union européenne a noué des relations commerciales avec Israël dès 1959. Un premier accord de coopération est venu matérialiser ce partenariat en 1975 avant la signature en novembre 1995 d'un accord d'association. Celui-ci a permis d'ouvrir la voie à une intensification des échanges économiques mais aussi scientifiques entre les deux acteurs. La relation euro-israélienne apparaît alors évidente compte tenu de la proximité des populations - 55 % des Israéliens disposeraient d'un lien direct avec un État membre de l'Union européenne - mais aussi des modèles de société. L'Union européenne est considérée comme une référence en termes de normes. L'État hébreu a ainsi suivi avec intérêt l'élaboration du Règlement général sur la protection des données et se montre attentif aux débats en cours sur l'intelligence artificielle. La moitié des normes israéliennes sont d'origine européenne.

Reste que la dimension politique tend aujourd'hui à obérer les succès enregistrés et gèle un approfondissement de la coopération qui pourrait apparaître logique. En découle une relation qui peut sembler paradoxale voire schizophrénique entre Israël et l'Union européenne, les réussites économiques ou scientifiques contrastant avec l'absence d'échange entre institutions européennes et gouvernement israélien et le développement d'un sentiment anti-européen dans le pays.

A. L'ACCORD D'ASSOCIATION ET SES DÉCLINAISONS

Après un premier accord commercial signé en 1975 et dont la mise en place a été progressive - libre-échange des produits industriels appliqué par la Communauté européenne dès 1977 et par Israël en 1989, entrée dans la Communauté européenne, en exemption de droits, de 70 % des produits agricoles israéliens -, Israël a signé en 1995 un accord d'association avec l'Union européenne, sur le modèle de ceux mis en place avec d'autres pays de la rive sud de la Méditerranée : Maroc, Tunisie, Égypte ou Jordanie. Entré en vigueur en 2000, il illustre l'importance des échanges commerciaux entre l'État hébreu et l'Union européenne. Celle-ci est, devant les États-Unis, le premier partenaire commercial d'Israël. 34 % des exportations israéliennes sont dirigées vers l'Union européenne (avec une augmentation de 20 % depuis 2017) alors que 43 % des importations israéliennes proviennent de l'Union européenne. Ces échanges représentaient, en 2016, 34,3 milliards d'euros : 21,1 milliards de biens exportés vers Israël et 13,2 milliards d'euros de biens importés.

L'accord d'association comprend des arrangements de libre-échange pour les produits industriels et agricoles et ouvre la perspective d'une plus grande libéralisation des biens et services.

1. Le plan d'action de 2005

Le plan d'action signé en 2005 va permettre de structurer un peu plus cette coopération. Dix sous-comités sectoriels sont créés afin d'évaluer les pistes d'approfondissement dans les secteurs suivants :

- Industrie, commerce et services

- Marché intérieur

- Recherche, innovation, société de l'information, éducation, culture

- Transports, énergie, environnement

- Dialogue politique et coopération

- Justice

- Secteur économique et financier

- Coopération douanière

- Affaires sociales et immigration

- Agriculture et pêche

Le huitième conseil d'association réuni le 16 juin 2008 a notamment prévu une plus grande coopération dans la lutte contre le crime, le terrorisme, et le blanchiment d'argent, un renforcement du partenariat dans le secteur aérien et un accord dans le secteur éducatif à travers une participation aux programmes Erasmus Mundus et Tempus .

Cette démarche a débouché en 2013 sur la signature de deux accords : l'association d'Israël à l'accord « Open Skies » reliant l'Union européenne et les États-Unis et le protocole relatif à l'évaluation de la conformité et l'acceptation des produits industriels (ACAA). L'accord « Open Skies » constitue ainsi une vraie réussite. 60 % des vols en direction de l'aéroport Ben Gourion de Tel Aviv sont en provenance de l'Union européenne. L'accord a également contribué à faire baisser le prix des billets pour les trajets en direction ou en provenance de l'Union européenne de 30 %.

2. Le succès de la coopération scientifique

L'État hébreu fut par ailleurs le premier pays non-européen à être associé au programme-cadre de recherche de l'Union européenne en 1996. Israël a ainsi participé à Galileo, le système de positionnement par satellites de l'Union européenne. La coopération scientifique est aujourd'hui matérialisée par la signature de l'accord d'association d'Israël au programme Horizon 2020 (huitième programme cadre pour la recherche et le développement - PCRD) en juin 2014.

Dans le cadre du septième PCRD (2007-2013), les institutions publiques et privées israéliennes ont été associées à plus de 1 500 projets. La coopération a été extrêmement active dans les domaines des technologies de l'information et de la communication, de la santé et des nanotechnologies. 780 millions d'euros au titre du financement européen en faveur de la recherche ont été attribués aux entités israéliennes participantes. Israël figure aujourd'hui parmi les trois pays tiers associés à Horizon 2020 les plus actifs, derrière la Suisse et la Norvège. D'après l'Israel-Europe R&D Directorate (ISERD), l'agence gouvernementale en charge de la participation à Horizon 2020, le pays a été associé à 1 034 projets bénéficiant d'un financement européen depuis le lancement du programme. Au 19 juin 2018, il pilotait 846 projets financés à hauteur de 592,9 millions d'euros - soit près de 2 % des crédits accordés à l'échelle européenne -, faisant du pays un bénéficiaire net de cette politique européenne.

Participation israélienne à Horizon 2020 au 19 juin 2018

Propositions de participation

7 469

Participations validées

1 034

Secteur

Industrie

437

Universités

517

Autres

80

Propositions de projets

6 323

Projets validés

846

Taux de succès

13 %

Subventions européennes :

592,9 millions d'euros

Industrie

184,4 millions d'euros

Universités

391,22 millions d'euros

Autres

17,23 millions d'euros

Source : Israël-Europe R&D Directorate (ISERD)

Le programme fait désormais partie intégrante de la stratégie industrielle israélienne, tournée vers la haute technologie depuis la fin des années quatre-vingt et la promotion de centres universitaires. L'enseignement supérieur et la recherche occupent une place privilégiée dans le pays. 46,4 % des Israéliens sont diplômés d'une université ou d'un collège académique. Quatre des neuf universités israéliennes figurent parmi les deux cent premières mondiales, au terme du classement de Shanghai
- Academic Ranking of World Universities , élaboré par l'université Jiao Tong de Shanghai. L'État hébreu est, en outre, le premier pays au monde en ce qui concerne le ratio dépenses de recherche et développement / produit intérieur brut. Trois universités israéliennes figurent dans les cinquante premières universités subventionnées par le programme Horizon 2020. 25 % des fonds de recherche de ces établissements sont d'origine européenne. Les universités sont par ailleurs les principales bénéficiaires du programme : 66 % des crédits européens accordés aux projets israéliens ont été dirigés vers elles.

L'interaction entre l'industrie et la recherche justifie la place prise par les universités dans la participation israélienne à Horizon 2020. Celui-ci contribue au financement du projet SniffPhone , coordonné par le Technion-Israël Institute of Technology, qui vise à relier dépistage de l'alcootest et dépistage du cancer, au travers d'une application pour smartphone. Le projet NanoSmell vise, quant à lui, à transformer jeux vidéo et télévision en leur permettant d'émettre des odeurs. Cette approche pourrait également bénéficier à d'autres domaines tels que la lutte antiparasitaire et la médecine. Le projet est porté par l'Institut Weizmann des sciences. Celui-ci est devenu le premier centre universitaire israélien en termes de financements européens (21,97 millions d'euros entre 2014 et 2015). Ce qui lui permet aujourd'hui de rivaliser avec les centres de recherches européens : le professeur Victor Malka, responsable du laboratoire d'optique appliquée (LOA), unité associant l'École polytechnique, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l'École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA), rejoindra ainsi à temps plein l'Institut en mai 2019 pour y développer ses recherches sur les lasers et l'accélération de particules, pour lesquelles il a déjà reçu trois prix académiques 1 ( * ) .

Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que les autorités israéliennes soient très attentives aux négociations en cours sur le prochain cadre financier pluriannuel et le montant accordé au neuvième programme-cadre, Horizon Europe. Elles s'attendent, dans ce cadre, à une révision à la hausse du montant de leur participation. Elles s'inquiètent également du possible retrait britannique, le Royaume-Uni étant un de ses partenaires privilégiés dans ce domaine. Les négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel pourraient par ailleurs contribuer à une remise en cause par certains acteurs européens de la participation israélienne. L'implication d'entreprises du secteur de la sécurité dans les projets est en effet régulièrement dénoncée.

3. Vers un approfondissement de la coopération policière ?

Le succès de la coopération scientifique ne doit pas masquer l'approfondissement progressif des relations dans le domaine de la lutte anti-terroriste. Les autorités israéliennes se montrent, en effet, très intéressées par une intensification de la coopération avec l'Union européenne dans ce domaine.

Un premier dialogue Union européenne - Israël sur la lutte contre le terrorisme et la sécurité a été organisé à Bruxelles en mars 2015. Une deuxième réunion a suivi en septembre 2016 en Israël. Il en ressort une volonté commune de coopérer dans la lutte contre l'extrémisme violent, le financement du terrorisme, le terrorisme non conventionnel, la sécurité aérienne et des transports ainsi que la cybercriminalité. L'État hébreu a, à cette occasion, manifesté son souhait de travailler avec les agences de l'Union européenne dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, en particulier Europol.

Un accord de coopération opérationnelle entre Europol et Israël est à l'étude depuis 2009. Une décision du Conseil a été adoptée en ce sens 2 ( * ) . Les négociations ont démarré courant 2010 mais n'ont pu aboutir avant la révision du cadre juridique d'Europol. La Commission européenne a présenté, dans ces conditions, une nouvelle proposition de recommandation de décision en vue d'un accord sur l'échange de données à caractère personnel entre Europol et les autorités israéliennes compétentes pour lutter contre les formes graves de criminalité et le terrorisme 3 ( * ) .

Il convient de rappeler, à ce stade, que la stratégie d'Europol pour 2016-2020 désigne la région méditerranéenne comme prioritaire aux fins de partenariats renforcés. La stratégie extérieure d'Europol pour 2017-2020 insiste parallèlement sur la nécessité, pour Europol et la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MENA), de coopérer plus étroitement au regard de la menace terroriste actuelle et des problèmes liés aux migrations.

Un accord avec Israël paraît dans ces conditions plus qu'opportun. L'État hébreu constitue un partenaire indispensable dans la lutte contre le terrorisme, au regard de son expérience passée et actuelle contre le Hamas et le Hezbollah et de sa position stratégique dans la région. Subordonner la conclusion de cet accord à des avancées dans le processus de paix s'avèrerait hors de propos au regard de la menace terroriste qui pèse sur l'Union européenne.


* 1 Prix Julius Springer de la Société allemande de physique, prix Holweck de la Société française de physique et de l'Institute of Physics et prix de la Société européenne de physique.

* 2 Décision 2009/935/JAI du Conseil du 30 novembre 2009 établissant la liste des États et organisations tiers avec lesquels Europol conclut des accords.

* 3 COM(2017) 806 final.

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