B. UNE RELATION POLITIQUE À CONSTRUIRE

1. Une action placée sous le sceau de l'urgence

Le soutien financier apporté par l'Union européenne aux territoires palestiniens s'explique en large partie par les besoins humanitaires auxquels ceux-ci sont confrontés, en particulier dans la bande de Gaza. Une lecture affinée des montants accordés met en avant deux lignes directrices :

- la première consiste logiquement en une aide d'urgence, à court terme. Il convient de rappeler que plus de 2 millions de Palestiniens - sur un total de 4,8 millions - sont en difficulté. 80 % de la population totale de Gaza (1,6 million de personnes) sont dépendants de cette aide humanitaire, en raison du blocus autour de la bande et de l'absence développement économique, faisant de ce territoire une prison à ciel ouvert. En Cisjordanie, plus de 400 000 Palestiniens habitant à Jérusalem-Est et dans la zone C (zone qui représente plus de 60 % de la Cisjordanie où Israël conserve le contrôle sur la sécurité, la planification et la construction) disposent d'un accès limité à l'eau, l'alimentation, la santé, l'éducation et d'autres services de base en raison de restrictions et d'obstacles divers ;

- la seconde vise à mettre en place les fondements d'un futur État palestinien, ces financements étant principalement orientés vers la Cisjordanie.

L'action européenne est d'autant plus délicate qu'elle est confrontée et aux dissensions entre la Cisjordanie d'une part, dominée par le Fatah et la bande de Gaza, dirigée par le Hamas . L'Union européenne dialogue, par ailleurs, avec une Autorité palestinienne affaiblie, faute de relève générationnelle. Les prises de position européennes insistent donc en premier lieu sur la nécessaire unité entre les « factions », selon les termes qu'elle utilise. Elle insiste pour que toutes participent de « bonne foi » au processus de réconciliation, qui constitue, à ses yeux, un élément indispensable pour rendre crédible la solution des deux États. Ce processus doit aller de pair avec un renforcement de la transparence et la démocratisation des institutions palestiniennes.

Elle souhaite, par ailleurs, que l'ensemble des parties fassent de la reconstruction de Gaza une priorité nationale absolue, notamment en ce qui concerne la santé, l'énergie et l'accès à l'eau. L'Autorité palestinienne doit, à ce titre, y reprendre l'ensemble de ses fonctions de gouvernement.

Ce souhait d'un travail en commun ne doit pas occulter les réserves de l'Union européenne sur le Hamas , classée sur la liste qu'elle a élaborée en 2001 des personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme. En septembre 2010, le Hamas avait introduit un recours auprès du Tribunal de l'Union européenne, contestant son maintien sur ce document. Le Tribunal a annulé, le 17 décembre 2014, pour des motifs de procédure, la décision du Conseil visant à maintenir le Hamas sur cette liste. Le Conseil a décidé de former un pourvoi le 19 janvier 2015 contre l'arrêt rendu. Pendant la procédure de pourvoi, les effets de l'arrêt rendu par le Tribunal sont suspendus.

2. Une conditionnalité contestée et contestable

L'Union européenne a signé, en février 1997, un accord intérimaire d'association avec l'Organisation de libération de la Palestine.

L'accord intérimaire vise les objectifs suivants :

- la mise en place d'un cadre approprié pour un dialogue global entre les parties, permettant l'instauration de relations étroites entre elles ;

- la création des conditions d'une libéralisation progressive des échanges ;

- la promotion, par le dialogue et la coopération, de relations économiques et sociales équilibrées entre les parties ;

- la contribution au développement social et économique de la Cisjordanie et de la bande de Gaza ;

- l'encouragement de la coopération régionale afin de consolider la coexistence pacifique et la stabilité politique et économique ;

- la promotion de la coopération dans d'autres domaines d'intérêt mutuel.

Le document est assorti d'une déclaration conjointe sur le dialogue politique. Aux termes de celui-ci, l'autodétermination du peuple palestinien constitue un principe fondamental. Le dialogue politique est destiné à mettre en oeuvre une coordination régulière concernant des questions d'intérêt commun et permettre aux participants au dialogue de prendre en considération leurs positions et leurs intérêts respectifs.

Un plan d'action, destiné à mettre en oeuvre l'accord intérimaire a été élaboré en 2006. Il devait favoriser tant les objectifs nationaux de réforme que la poursuite de l'intégration de l'Autorité palestinienne dans les structures économiques et sociales européennes. Il s'agissait également de poser des fondations stables en vue d'une intégration économique plus poussée, qui reposera sur l'adoption et l'application de dispositions et de réglementations économiques et liées au commerce susceptibles de stimuler les échanges, l'investissement et la croissance. Il devait permettre de concevoir et d'appliquer des politiques et des mesures destinées à encourager la croissance économique, l'emploi et la cohésion sociale, à réduire la pauvreté et à protéger l'environnement, contribuant ainsi à l'objectif à long terme d'un développement durable.

L'Autorité palestinienne estime aujourd'hui que le dispositif n'est plus respecté et que la relation se trouve bloquée. Le dialogue politique n'est qu'informel et échoue à concrétiser les intentions de l'accord intérimaire, qui devait par ailleurs initialement devenir définitif en 2001. Si cette appréciation est à relativiser au regard de l'apport financier européen, force est de constater que la conditionnalité mise en place par l'Union, clairement affirmée en décembre 2013 et tendant à relier toute avancée à des progrès dans le processus de paix, bloque la progression de la coopération. Elle contribue à générer une sensation d'incompréhension sur les intentions de l'Union européenne au risque de relativiser son aide et fragiliser sa crédibilité. Le gouvernement palestinien observe avec inquiétude les divisions au Conseil sur la question du conflit, craignant notamment un alignement des positions de certains États membres sur les positions américaines.

Il y a lieu, comme pour le cas des relations avec Israël, de s'interroger sur le maintien de cette conditionnalité tant elle ne produit pas, depuis cinq ans, l'effet attendu : une reprise effective des négociations. Là encore, votre rapporteur ne peut qu'inviter à mettre en oeuvre une approche pragmatique destinée notamment à consolider l'Autorité palestinienne et permettre l'avènement d'une relève encline au dialogue derrière son président Mahmoud Abbas, alors même que l'on observe une forme de passivité voire de résignation du côté palestinien. Il s'agit là d'une des clés pour envisager une relance du processus de paix. Un approfondissement de la coopération avec l'Union européenne doit y contribuer. Comme pour Israël, il apparaît donc urgent pour l'Union européenne d'élaborer, dans le cadre de la nouvelle politique de voisinage, des priorités de partenariat destinées à donner un peu plus de sens aux sommes engagées. L'Autorité palestinienne a formulé un premier projet de priorité en novembre 2017. Il n'a donné lieu à un retour qu'en mai dernier, l'Union européenne indiquant une nouvelle fois que les discussions n'étaient pour l'heure qu'informelles.

Reste que la division du Conseil sur la question israélienne se retrouve symétriquement sur la question palestinienne. Il apparaît dans le même temps que la relance du processus de paix fait moins figure de priorité dans un agenda européen en large partie dédié aux situations en Syrie, en Libye ou à l'accord avec l'Iran. La revue des engagements de l'Union européenne sur le conflit, initiée début juillet 2018, devrait néanmoins conduire à un débat sur son action dans la région depuis 20 ans et à une évaluation de son impact. L'absence de perspective concrète liée au gel des négociations avec les deux parties affaiblit inévitablement l'influence de l'Union européenne et induit, là encore, un questionnement sur son rôle : est-elle un simple bailleur de fonds à vocation humanitaire ou un acteur politique ? Si elle entend pleinement assumer cette vocation, il convient alors qu'elle révise son mode d'intervention et applique pleinement les critères de la politique de voisinage révisée et, en premier lieu, le principe de différenciation. Israël et les Territoires palestiniens doivent avoir un traitement séparé. Celui-ci ne remet pas en cause l'objectif initial de trouver une solution au conflit les opposant.

Comme pour Israël, il convient également de prendre en compte la dimension régionale pour aborder la question palestinienne. La coopération entre l'Union européenne et l'Égypte doit notamment permettre de donner corps au projet de désenclavement de la bande de Gaza avec la création d'une zone franche réunissant le territoire palestinien au Sinaï ou en coordonnant un peu plus les actions des États membres au large de la côte palestinienne en vue d'y exploiter les gisements gaziers. L'action régionale de l'Union européenne prendrait alors du sens en accompagnant les efforts des pays voisins en faveur d'une sortie de crise.

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