B. COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE

Modératrice :
Virginie SENGÈS, journaliste à Satellifax
Intervenants :
Ara APRIKIAN, Directeur général adjoint contenus groupe TF1 ;
Takis CANDILIS, Directeur des antennes et des programmes de France Télévisions ;
Virginie LINHART, Présidente de la commission audiovisuelle de la SCAM ;
Didier QUILLOT, Directeur général de la Ligue de football professionnel (LFP), ancien président du directoire de Lagardère Active ;
Catherine SMADJA, Chargée de mission auprès de la ministre de la culture.

Virginie SENGÈS , journaliste à Satellifax . - Notre table ronde s'inscrit dans un contexte marqué par la réforme de l'audiovisuel public et celle de la loi de 1986. L'actualité est également marquée par la parution du sondage OpinionWay qui dresse un bilan mitigé de l'audiovisuel public.

Takis CANDILIS , Directeur des antennes et des programmes de France Télévisions. - En contrepoint du sondage d'OpinionWay dont j'ai pris connaissance, permettez-moi de vous faire part de résultats issus du baromètre « image des chaînes » de mars dernier, un sondage que l'IFOP réalise depuis dix ans : à 82 %, le public a une bonne image de France Télévisions ; à 78 %, il a confiance dans le contenu des informations diffusées sur nos chaînes ; à 69 % il considère que nous sommes un groupe de chaînes de proximité et de diversité ; à 77 % que le divertissement et l'écoute familiale est dans le coeur de ses propositions et à 63 % que c'est l'innovation et la créativité ; enfin, à 85 %, il connaît et reconnaît nos services numériques. Ce sondage doit permettre de contrebalancer les résultats issus de l'étude d'OpinionWay et de donner une image plus médiane de France Télévisions. J'ajoute que, chaque jour, un Français sur deux est en contact avec une proposition de France Télévisions, et que neuf sur dix le sont chaque mois.

Depuis mon arrivée à France Télévisions il y a environ cinq mois, je sens chez tous les collaborateurs de l'entreprise que je rencontre une envie profonde et farouche de défendre et de remplir les missions que nous confie l'État. Ces missions sont marquées par la très grande diversité de notre offre et de nos publics : sur un budget de deux milliards d'euros, 1 milliard est consacré aux programmes nationaux, 200 millions vont au sport, 260 millions à l'information, 380 millions aux régions et 190 millions aux outre-mer.

Ara APRIKIAN , Directeur général adjoint contenus du groupe TF1. - TF1 a la volonté affirmée d'être un acteur de la transformation du secteur de l'audiovisuel. Pour aborder les deux échéances législatives importantes qui sont devant nous, la réforme de l'audiovisuel public et la réforme de la loi de 1986, nous devons élaborer une vision sociétale de l'importance de la télévision dans le monde de la révolution numérique. Je partage à cet égard la vision optimiste de la révolution numérique de M. le ministre Jean-Michel Blanquer. De nouveaux territoires d'opportunités et de développement s'ouvrent à nous mais notre industrie doit impérativement s'adapter pour être à la hauteur des enjeux.

La télévision, qu'elle soit publique ou privée, remplit une mission d'intérêt général. Elle est d'abord créatrice de lien social : chaque Français consomme plus de trois heures et demie de télévision chaque jour et c'est encore vrai du public jeune dont on dit souvent qu'il se détourne de la télévision alors qu'il en consomme plus de deux heures par jour ; c'est devant la télévision que se rassemblent les familles, les générations, les territoires. Nos chaînes, grâce au travail de nos rédactions, sont des pourvoyeurs d'informations fiables et des acteurs majeurs de la lutte contre la propagation des fausses nouvelles. Enfin, la télévision demeure le principal lieu de financement pérenne de notre industrie audiovisuelle.

Notre univers audiovisuel s'est profondément transformé au cours des dernières années, avec aujourd'hui plus de 200 chaînes et des plateformes mondiales qui n'ont pas les mêmes obligations que nos chaînes nationales. C'est à la fois une chance pour notre industrie mais aussi une menace si nous restons immobiles. Face à ces mutations, TF1 est dans une volonté de transformation rapide et forte pour s'adapter à la révolution numérique, par le biais notamment d'acquisitions et du développement du « multi-chaînes ». Mais c'est tous ensemble, au travers de nos coopérations et de nos complémentarités, que nous devons développer un écosystème fort, de production, de diffusion, de distribution. Le risque de captation de l'imaginaire collectif national par quelques acteurs mondiaux est réel. Cette bataille n'est pas perdue et, d'ailleurs, nous allons la gagner !

Catherine SMADJA , Chargée de mission auprès de la ministre de la culture. - Permettez-moi de débuter mon propos par quelques « lapalissades ». Pourquoi a-t-on besoin d'un audiovisuel public ? Parce qu'il fait ce que l'audiovisuel privé ne peut pas faire. Et pourquoi l'audiovisuel privé ne le fait-il pas ? Parce que sa rationalité est différente (elle est financière et non publique), parce qu'il s'adresse aux seuls publics qui l'intéressent (et non pas à tous les publics), parce qu'il n'est pas financé par tous et donc qu'il ne porte pas la même obligation d'universalité. Ce disant, je ne porte aucun jugement de valeur sur la qualité de programmes de l'audiovisuel privé ; et d'ailleurs, il a pu, à certains moments, être chargé de missions de service public particulières en contrepartie de l'attribution de fréquences hertziennes ou d'autres avantages. Mais la principale différence c'est que l'audiovisuel public a pour mission impérative d'être universel, ce que n'a pas l'audiovisuel privé.

De quel audiovisuel public a-t-on besoin ? D'un audiovisuel qui fasse d'abord ce que le privé ne fait pas. Mais pas seulement : il doit s'agir aussi d'un audiovisuel public qui fait différemment de son homologue du privé. Il y a une responsabilité spécifique de l'audiovisuel public à cet égard.

Je suis persuadée qu'il existe une concurrence émulatrice entre privé et public : sans le service public, l'audiovisuel privé serait moins bon, et réciproquement.

Cet audiovisuel public rénové doit répondre à cinq impératifs. Il doit tout d'abord être universel : il doit certes porter des événements fédérateurs mais sans se placer dans une course à l'audience maximale, pour rester au service de toutes les catégories de publics pour toucher tout le monde.

L'audiovisuel public doit ensuite être créatif et innovant : le service public a les moyens de le faire grâce à la garantie de son financement et il doit prendre des risques et de devenir un lab qui bénéficiera aussi au privé. Le partage de la technologie propre aux plateformes en est un bel exemple.

L'audiovisuel public doit représenter la société dans sa diversité : l'audiovisuel public, à l'antenne mais aussi dans les sociétés, doit être à l'image de la société pour pouvoir rassembler tout le monde. C'est une possibilité pour le privé mais une obligation pour le public. Mark Thompson avait dit de la BBC qu'elle était « hideusement blanche » ...

L'audiovisuel public doit être responsable et trouver le bon équilibre entre reddition de comptes (au regard des objectifs qui lui sont assignés par le Gouvernement et le Parlement) et indépendance. Sur ce sujet, il reste un gros travail à accomplir en matière de gouvernance et de tutelle.

Enfin, et c'est devenu particulièrement important aujourd'hui, l'audiovisuel public doit réinventer des modes de participation, notamment pour s'adresser aux jeunes et les faire participer car ils ont des choses à dire.

Le rapport sur lequel je travaille actuellement sera rendu très prochainement à la ministre, probablement dans la deuxième quinzaine de juillet. Il formulera quelques recommandations.

Virginie LINHART , Présidente de la commission audiovisuelle de la SCAM . - Auteure-réalisatrice, je m'exprime devant vous non pas comme salariée d'une structure mais en tant que représentante de mes pairs qui m'ont élue à la SCAM.

Le « réenchantement » de l'audiovisuel public dont nous parlons aujourd'hui passera par le renforcement de ses deux piliers principaux, qui sont, d'une part, la culture (avec tout particulièrement les 1 800 documentaires produits chaque année par France Télévisions qui sont autant de regards portés sur le monde) et, d'autre part, l'information (avec les grandes enquêtes d'investigation que l'on retrouve dans les émissions Cash investigation ou Complément d'enquête, ou le film sur Vincent Bolloré couronné par le prix Albert-Londres et diffusé par France 3).

Chaque année, la SCAM décerne les trente « étoiles de la SCAM », choisies parmi 400 oeuvres audiovisuelles, et qui devraient constituer, en quelque sorte, le visage d'un audiovisuel public idéal, qui cultive, informe et divertit. En juin 2018, le palmarès a été le suivant : quinze étoiles ont été décernées pour l'audiovisuel public (dont sept étoiles pour France Télévisions), trois étoiles pour l'audiovisuel privé, huit étoiles pour des chaînes locales (qui font un travail d'investigation et de création documentaire remarquable avec souvent peu de moyens), deux étoiles pour des chaînes francophones et deux étoiles pour d'autres supports.

Il faut reconnaître qu'il est plus simple à la BBC qu'à France Télévisions de se différencier compte tenu de l'absence de publicité sur la chaîne britannique. L'audiovisuel public se différencie par une politique de l'offre et non de la demande et je voudrais saluer la décision de France 2 de créer une nouvelle case dédiée aux documentaires d'auteurs, « 25 nuances de docs », comme France 3 l'avait déjà fait avec « L'heure D ». Ces initiatives permettent aux documentaristes français d'être reconnus dans le monde entier.

France Télévisions est aujourd'hui dans une situation difficile. Rappelons que la BBC (qui reçoit une redevance de 170 euros et est dotée d'un budget de 5,7 milliards d'euros) est bien mieux financée que France Télévisions (dont la redevance n'est que de 139 euros et le budget de France Télévision, Radio France et INA de 4,3 milliards d'euros). Quand Netflix annonce huit milliards d'euros d'investissement pour 2019, on demande 500 millions d'euros d'économies à France Télévisions ... alors qu'il faudrait au contraire sanctuariser le domaine de la création, du documentaire et de l'investigation. Sachez que la contribution française à l'audiovisuel public est inférieure à celle de la Suisse, de l'Autriche, du Danemark, de la Norvège, de la Suède, de l'Allemagne, de l'Irlande, du Royaume-Uni, de la Slovénie ...

Didier QUILLOT , Directeur général de la Ligue de football professionnel (LFP), ancien président du directoire de Lagardère Active . - Quelques mots tout d'abord sur le football qui est devenu une industrie planétaire majeure. J'en veux pour preuve l'attribution des droits de la Ligue 1 qui va contribuer à la redéfinition du paysage industriel audiovisuel français. Le football est aussi le seul événement capable de susciter une telle liesse populaire et il est très fortement porteur de lien social comme on l'a vu mardi dernier à l'occasion de la victoire de l'équipe de France en demi-finale de la coupe du monde.

Pour revenir à l'audiovisuel public, je suis un acteur désormais plus détaché de ce dossier mais pas complètement désintéressé car je suis aussi un téléspectateur assidu (du service public mais aussi des chaînes privées), un citoyen et un contribuable. Je vais donc vous faire part de mon analyse, éclairée par mon passé de gestionnaire et d'industriel.

Je constate que le consensus autour de l'audiovisuel public est quasi-parfait : il faut plus de culture, plus d'information, plus de proximité et moins de ressources. Mais il y a manifestement un problème de passage à l'acte et le fait générateur qu'il faudrait avoir le courage politique de prendre pour enclencher une réforme globale c'est la fin de la publicité avant 20 heures. Cette décision présenterait quatre vertus : elle permettrait d'afficher de manière extrêmement claire et définitive la différence entre public et privé (c'est l'exemple anglais de la BBC) ; son impact de 400 millions d'euros imposerait d'engager sans tarder la réforme du financement de l'audiovisuel public (en prenant modèle sur ce qui s'est passé outre-Rhin, avec l'élargissement de l'assiette de la CAP qui pourrait rapporter quelques 150 millions d'euros par an) ; ces 400 millions d'euros, 10 % des 4 milliards de budget de l'audiovisuel public, imposeraient aussi un plan de transformation interne de l'entreprise (sur le modèle de nos amis belges de la RTBF qui ont réalisé 25 % d'économies de coûts de structures) ; enfin, cela imposerait une rationalisation de l'offre (avec notamment la réduction des programmes nationaux de France 3 qui représentent 350 millions d'euros chaque année).

S'agissant de France 4, je considère qu'il est encore trop tôt pour sortir de la diffusion hertzienne. Cela pourra se faire aux alentours de 2020, lorsqu'une vraie plateforme OTT sera mise en place en direction de la jeunesse, ce qui permettra au service public de rester un acteur majeur de la filière de l'animation.

Permettez-moi enfin d'attirer votre attention sur le tempo de nos réformes : nous nous apprêtons à effectuer la première réforme majeure du secteur audiovisuel français depuis 30 ans et pendant ce temps, Netflix recrute 100 000 nouveaux abonnés dans le monde chaque jour (dont quelques dizaines de milliers par jour en France) ...

Virginie SENGÈS , journaliste à Satellifax. - France Télévisions souffre d'un environnement instable : changement d'équipe tous les cinq ans, moyens perpétuellement questionnés, incertitudes sur les missions... La réforme de l'audiovisuel public et le futur projet de loi ne sont-ils pas une occasion de donner à France Télévisions la visibilité nécessaire pour mener une véritable stratégie ?

Takis CANDILIS , Directeur des antennes et des programmes de France Télévisions. - Permettez-moi de souligner que nous avons déjà engagé une profonde réorganisation au sein de France Télévisions. Auparavant, chacun travaillait pour sa chaîne, « en silo », de manière très autonome, pour le bien de chaque marque d'antenne. Mais Delphine Ernotte a décidé de changer de paradigme et de rebâtir notre organisation à partir des contenus, avec neuf directions transverses qui ont à leur disposition des antennes linéaires ou digitales (Slash, pour la jeunesse avec notamment de la fiction digitale, et France.tv). Cette nouvelle organisation sera mise en place dès janvier 2019. Elle nous permettra de mieux travailler sur le digital et d'attirer de nouveaux publics. Nous avons également passé un accord majeur avec nos partenaires européens : l'Alliance, qui intéresse aussi nos partenaires scandinaves (Nordvision) mais aussi finlandais, espagnols, suisses et belges.

Virginie SENGÈS , journaliste à Satellifax. - Mais France Télévisions n'aurait-elle pas besoin d'un modèle économique stable et que les règles concernant la publicité soient clarifiées ?

Takis CANDILIS , Directeur des antennes et des programmes de France Télévisions. - Je ne suis pas certain que la publicité constitue une véritable gêne et d'ailleurs il n'y en a plus après 20h. Nous ne cédons pas à la facilité : nous produisons chaque année plus de 1 800 heures de documentaires (140 documentaires), des centaines d'heures d'animation, 180 soirées de fiction, 60 films. Nous sommes une entreprise publique : nous travaillons dans le cadre qui nous est donné par l'État.

Ara APRIKIAN , Directeur général adjoint contenus groupe TF1. - Je ne me prononcerais pas sur la présence de la publicité sur l'audiovisuel public, c'est une décision qui revient au législateur mais il y a urgence économique à faire évoluer le secteur, à bâtir des coopérations et à dégager de nouvelles sources de financement. Or, compte tenu des réticences et faute d'adresser franchement ces questions, nous perdons du temps (sur les secteurs interdits, sur la publicité adressée). Je ne préconise pas une révolution mais à tout le moins que des expérimentations puissent être menées sur ces sujets pour avancer.

J'entends beaucoup de critiques adressées à la télévision publique mais je ne les partage pas. Je suis convaincu que nous avons besoin que la télévision publique et la télévision privée soient toutes les deux performantes et améliorent leur qualité. Et nous devons garder une ambition pour la télévision française qui est contributive pour la création et qui permet le maintien de rédactions fortes. Nous devons financer nos contenus, clarifier les missions des uns et des autres et nous adapter à la révolution technologique d'aujourd'hui. Pour cela, faisons confiance aux acteurs du secteur.

Je pense enfin que nous devons conserver une ambition éditoriale notamment en direction des jeunes qui regardent nos chaînes en dé-linéaire.

Virginie SENGÈS , journaliste à Satellifax . - Football, Tour de France, Roland Garros : France Télévisions a-t-elle encore les moyens d'acquérir les droits de ces événements sportifs qui rassemblent ?

Takis CANDILIS , Directeur des antennes et des programmes de France Télévisions. - La BBC bénéficie d'un plan pluriannuel, d'une redevance supérieure et d'un système de revente des programmes dont elle est propriétaire qui lui rapporte près d'un milliard d'euros par an. France Télévisions évolue dans un tout autre système : au bout de quelques mois, dans le système contractuel qui est le nôtre, nous perdons nos droits sur nos programmes au profit du producteur, ce qui ne permet pas de faire d'offre gratuite.

1,2 milliard d'euros pour le football, cela représenterait 60 % du budget de France Télévisions et plus de 100 % du budget qu'elle consacre aux contenus : il n'est pas dans nos missions de dépenser autant d'argent. Néanmoins, nous restons présents sur les sports qui sont historiquement liés au service public et que nous avons la capacité de diffuser au mieux compte tenu de notre organisation en plusieurs chaînes, comme c'est le cas par exemple pour le Tour de France.

Nous avons la chance d'avoir cinq chaînes qui ont chacune leur ADN propre et, en tant que service public, nous proposons des offres complémentaires pour toucher un public le plus large possible.

Didier QUILLOT , Directeur général de la Ligue de football professionnel (LFP), ancien président du directoire de Lagardère Active. - Certes, France Télévisions n'a pas vocation à acheter les droits de la Ligue 1 mais France 2 doit continuer à acheter les droits de Roland Garros et du Tour de France et je regrette en tant que citoyen qu'elle ne soit pas diffuseur de la coupe du monde (TF1 va rassembler 22 millions de téléspectateurs le dimanche de la finale !).

Ara APRIKIAN , Directeur général adjoint contenus du groupe TF1. - Ne laissons pas croire que le service public ne diffuse aucun grand événement sportif (le tournoi des six nations, la Coupe de France, la Coupe de la Ligue) et certains de ces événements ne peuvent être diffusés que par le service public en raison de leur durée (les Jeux olympiques, le tennis, Roland-Garros, le Tour de France ...). Arrêtons d'opposer les uns aux autres pour des gains marginaux et créons ensemble un écosystème complémentaire. Nous devons avoir une vision nationale collective globale de l'industrie audiovisuelle et éviter de contribuer à l'inflation des droits. Notre industrie s'est modernisée et nous avons des partenariats entre producteurs et diffuseurs et l'offre d'agrégation des contenus français (que l'on retrouvera sur Salto que nous avons créée avec France Télévisions et M6) est une offre extrêmement riche dont la qualité et la diversité sont souvent sous-estimées.

Enfin, pour revenir au sport, il y a nécessité de faire évoluer la liste des événements sportifs protégés pour permettre au téléspectateur français d'y avoir accès gratuitement, soit sur une chaîne privée soit sur une chaîne publique.

Virginie LINHART , Présidente de la commission audiovisuelle de la SCAM. - Mon documentaire a rassemblé 3,2 millions de téléspectateurs auxquels s'ajoutent les 500 000 personnes qui l'ont visionné en différé. Mais malheureusement, France Télévisions n'a pas réussi à constituer une banque de programmes des grands documentaires produits par l'argent public. Ceux-ci sont ensuite rachetés par Netflix. C'est regrettable.

Virginie SENGÈS , journaliste à Satellifax. - Venons-en à Salto, la plateforme commerciale mise en place entre France Télévisions, TF1 et M6. Certaines voix, dont celle de Mme Catherine Morin-Desailly, se sont élevées contre le fait que l'on puisse faire payer des contenus publics.

Takis CANDILIS , Directeur des antennes et des programmes de France Télévisions . - Tout le système actuel est fondé sur l'exploitation linéaire : quand on coproduit une oeuvre, on achète des droits linéaires. Il devient urgent de repenser nos règles, afin que nos droits puissent être conservés à l'intérieur de notre écosystème. Salto est l'une des possibilités de le faire, sous la forme d'un OTT.

Catherine SMADJA , Chargée de mission auprès de la ministre de la culture. - Sachez que si la BBC réalise un milliard d'euros de chiffre d'affaires grâce à ses droits, c'est notamment grâce sa plateforme UKTV, gros bouquet de chaînes payantes.

Ara APRIKIAN , Directeur général adjoint contenus du groupe TF1. - La gratuité est une idéologie mortifère qui pousse au piratage massif. C'est un enjeu majeur d'incivilité sociale et générationnelle. Le travail de création a de la valeur et il doit être financé faute de quoi il disparaîtra. Il faut rester pragmatiques et résister à la tentation de sous-financer l'audiovisuel.

Échange avec la salle

Marie ALFONSO , journaliste. - Je suis journaliste à France Médias Monde, secrétaire générale adjointe du syndicat FO Médias. Des coopérations, voire des synergies, sont-elles envisageables entre l'audiovisuel privé et l'audiovisuel public ? Dans ce cadre-là, comment préserver les valeurs et les missions du service public ?

Ara APRIKIAN , Directeur général adjoint contenus du groupe TF1. - Je crois à un écosystème national fort et pérenne. Notre réponse face à Netflix ne doit pas être de tenter de créer un mini-Netflix à l'échelle d'un petit pays. En revanche, nos offres agrégatives de contenu ont de la valeur. Nous commençons à nous structurer sous la forme de plateformes nationales qui nous permettront de conserver nos droits au niveau local et de créer un écosystème viable, avec une base d'abonnés suffisamment développée pour proposer exclusivités, avant-premières et créations originales. Ce n'est pas encore la panacée mais c'est une première étape indispensable, avant de passer des accords avec d'autres plateformes dans le monde. L'heure est à la coopération et à un sursaut national dans l'industrie audiovisuelle.

Takis CANDILIS , Directeur des antennes et des programmes de France Télévisions . - Au-delà de cet accord avec TF1 et M6, d'autres accords sont en cours de négociation entre services publics européens, notamment l'Alliance, qui est un accord sur la production d'oeuvres de création originales. Nous travaillons sur un accord similaire sur le documentaire ainsi qu'à la constitution de plateformes communes. Il y a une volonté des services publics de travailler ensemble.

Antoine CHUZEVILLE, journaliste. - Je suis journaliste à France Télévisions et représentant du Syndicat national des journalistes (SNJ). Ma remarque s'adresse aux organisateurs de ce colloque, Mme Morin-Desailly et M. Leleux.

Comment osez-vous intituler ce colloque « Comment réenchanter l'audiovisuel public ? » et, dans votre discours, monsieur Leleux, annoncer aux salariés de l'audiovisuel public que vous voulez supprimer 10 % de leur effectif au minimum ? Cela commence très mal ! Vous allez avoir des difficultés à les associer à cette réforme !

Par ailleurs, M. Candilis nous a dit qu'il était un soldat, et qu'il prenait ses ordres auprès de l'actionnaire que représente l'État. Si la mission confiée à l'état-major de France Télévisions consiste à supprimer 1 000 postes ou plus dans l'entreprise, l'exécuterez-vous ?

Takis CANDILIS , Directeur des antennes et des programmes de France Télévisions. - On fait de la science-fiction ! Je ne crois pas avoir employé le mot de « soldat »...

Antoine CHUZEVILLE, journaliste. - Vous l'avez dit !

Takis CANDILIS , Directeur des antennes et des programmes de France Télévisions . - Je n'ai toutefois pas dû parler d'état-major - mais c'est un détail.

On attend les arbitrages économiques qui vont être les nôtres dans les jours qui viennent. J'ai cru comprendre que cela arriverait avant fin juillet. Nous y travaillons tous les jours. Nous étions hier face à Catherine Smadja et aux membres de sa commission pour expliquer notre point de vue concernant le digital. Oui, nous travaillons avec notre actionnaire, pour faire avec lui et à sa demande la meilleure des télévisions.

La suppression de 1 000 emplois n'est absolument pas l'objet des discussions d'aujourd'hui. On est en train de parler de créations. Je remarque - et nous en sommes fiers - que la création dans son ensemble est sanctuarisée. C'est grâce à cela que nous pourrons offrir au public une création originale de qualité.

Jean-Pierre LELEUX , Sénateur, Rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel. - J'ai été interpellé, et je ne veux pas que l'on pense que je m'esquive.

Je n'ai pas dit qu'on devait supprimer 10 % du personnel de France Télévisions le 1 er septembre prochain. J'ai parlé d'un horizon à cinq ans. Il s'agit donc d'une perspective.

En second lieu, d'aucuns pensent que le Parlement devrait être réduit de 30 % et que le Sénat et l'Assemblée nationale fonctionneront encore mieux. Cela signifie qu'on peut travailler aussi bien avec moins de personnes. On peut ne pas être d'accord, mais c'est ainsi.

Un grand nombre de rapports en font état, notamment ceux de la Cour des comptes : s'il existe une évolution possible, c'est dans cette masse salariale qu'elle existe, si tant est qu'on veuille conserver voire augmenter les financements de la création et de la production. On ne peut laisser la masse salariale de France Télévisions grossir éternellement.

Or les modes de travail évoluent et le rajeunissement est nécessaire. Je ne veux pas faire de procès d'intention, mais il existe certainement dans l'audiovisuel public en général des optimisations à opérer. En rajeunissant votre effectif, vous ferez déjà diminuer la masse budgétaire.

Antoine CHUZEVILLE, journaliste . - C'est un bon conseil de la part d'un sénateur !

Jean-Pierre LELEUX , Sénateur, Rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel. - Je pense qu'il faut contraindre la masse salariale au fil des évolutions technologiques et des méthodes de travail, car celle-ci obère une partie des moyens affectés à la création.

Julien CHEMOUNY, Producteur . - Je suis producteur : qu'allez-vous faire pour le renouvellement de la production et l'émergence de nouveaux acteurs dans ce secteur ?

J'ai entendu qu'un nouveau guichet allait être ouvert. Vous estimez que le jeune public est totalement perdu : je pense qu'il reviendra si on lui propose des programmes spécifiques - et je rejoins en cela ce qui a été dit au sujet du linéaire.

Takis CANDILIS , Directeur des antennes et des programmes de France Télévisions . - J'ai dit que le public jeune s'était détourné de la diffusion linéaire de nos programmes et qu'il fallait l'attirer vers les supports digitaux.

Dans cet ordre d'idées, quelques marques, que l'on va regrouper, répondent à l'attente de publics différents, comme Slash, une chaîne digitale qui s'adresse aux 18-30 ans. C'est sur cette chaîne que nous allons probablement lancer à la rentrée des appels d'offres pour de nouvelles séries. Nous allons aussi lui confier la mission de développer le divertissement pour les jeunes et le documentaire.

On a besoin de nouveaux producteurs, des talents nouveaux et confirmés, qui vont s'intéresser à de nouveaux modes d'expression et à des types de budgets différents. On ne peut tout de suite tout mettre sur le digital, mais c'est le moyen d'ouvrir à nouveau les portes du service public.

On a fait dernièrement des appels d'offres et des appels à projets pour plusieurs nouvelles émissions, et nous allons les généraliser. En matière de fictions, nous avons signé avec les syndicats de producteurs et d'auteurs pour que les auteurs puissent venir défendre eux-mêmes leurs projets, ce qu'apprécient les sociétés et les syndicats d'auteurs.

Julien CHEMOUNY, Producteur. - Les acteurs qui ont remporté les appels d'offres sont-ils nouveaux ?

Takis CANDILIS , Directeur des antennes et des programmes de France Télévisions . - Non, mais ce sera peut-être le cas des futures émissions.

Les producteurs sont très nombreux et se concentrent. Or tous les mouvements de concentration sont généralement suivis par des mouvements de déconcentration. C'est l'équilibre. Oui, les grands groupes récupèrent des sociétés de production, mais les talents ressortent généralement et créent des endroits où ils sont libres de s'exprimer. Il n'est donc pas interdit que de jeunes auteurs ou de jeunes producteurs nous rejoignent, bien au contraire.

Virginie SENGÈS , journaliste à Satellifax . - Ce sont les mots de la fin ! Merci.

De gauche à droite : Catherine Smadja, Ara Aprikian (TF1), Takis Candilis (France Télévisions),
Virginie Linhart (SCAM), Didier Quillot (LFP)

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