DEUXIÈME PARTIE : LES PERSPECTIVES INCERTAINES DES MOBILITÉS CONNECTÉES

Les nouvelles mobilités, s'appuyant sur les technologies numériques, le smartphone ou encore la géolocalisation, reposant sur une diversification des modes de déplacement et sur une grande variété d'offre de solutions de mobilité, dessinent d'ores et déjà un paysage des mobilités profondément renouvelé .

À travers les mobilités numériques, on aperçoit la promesse de déplacements plus fluides , plus simples pour l'utilisateur, permettant de gagner du temps et de l'argent, et au final, de disposer de nouveaux espaces de liberté, que ce soit pour les déplacements professionnels du quotidien ou pour les loisirs.

Le numérique révolutionne aussi la mobilité des objets, en raffinant les circuits de livraison, en démultipliant les possibilités offertes par la logistique urbaine.

Si des changements profonds dans la manière de se déplacer sont en cours, ces changements constituent-ils pour autant un progrès ? Vont-ils toucher de la même manière les espaces urbains, périurbains et ruraux ? Les nouvelles mobilités seront-elles plus ou moins couteuses pour les utilisateurs et pour les finances publiques ? Quel sera la place de la puissance publique pour organiser les nouvelles mobilités et quels seront les besoins en infrastructures de transport auxquels il faudra répondre ? Les infrastructures de transport de masse comme le rail ou les routes à grand gabarit seront-elles encore utiles si les mobilités s'organisent sur une base largement décentralisée ?

Toutes ces questions sont ouvertes et la réponse à chacune d'entre elles n'est pas évidente, tant les scénarios des mobilités du futur sont mutliples et variés.

Vos rapporteurs estiment à cet égard que si le numérique ne répond pas par lui-même à l'ensemble des enjeux qui s'adressent aux mobilités, la place de la puissance publique devra rester centrale pour organiser et réguler les nouvelles formes de déplacements, en articulant offre nouvelle et modes actuels, en portant une attention toute particulière à l'objectif d'équilibre territorial .

I. LE NUMÉRIQUE NE RÉPOND PAS SPONTANÉMENT À L'ENSEMBLE DES ENJEUX DES NOUVELLES MOBILITÉS

A. LES ENJEUX MULTIPLES DES NOUVELLES MOBILITÉS

1. L'enjeu environnemental des mobilités propres
a) La réduction de l'impact environnemental des mobilités : un enjeu qui va au-delà de la réduction des gaz à effets de serre.

La réduction des effets environnementaux des mobilités constitue l'un des tous premiers objectifs assignés à la politique des déplacements.

Le secteur des transports, en particulier des transports routiers, produit toute une série d'externalités négatives , entraînant le rejet massif de gaz à effets de serre (GES) et d'autres polluants (oxydes d'azote, particules fines), produisant du bruit, générant aussi une suroccupation de l'espace public par les véhicules en mouvement ou en stationnement.

L'accord de Paris de 2015 faisant suite à la Cop-21 a fixé un cadre international d'action contre les changements climatiques avec un objectif de limitation de la hausse de la température de la planète entre 1,5 et 2° C d'ici la fin du 21 ème siècle. Le dernier rapport du groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) publié début octobre 2018 alerte sur le risque d'une augmentation de 1,5° dès 2030.

La France s'est dotée d'un arsenal ambitieux pour répondre à cet enjeu environnemental majeur : la loi transition énergétique et croissance verte (LTECV) de 2015 vise à réduire les émissions de GES à l'horizon 2030 de 40 % par rapport à 1990 et de 75 % d'ici à 2050, ce qui implique une baisse de 29 % des émissions du secteur des transports sur la période 2015-2028 à travers une réduction progressive des plafonds des budgets carbone définis dans la stratégie nationale bas carbone (SNBC) ainsi qu'une série de recommandations sectorielles. À l'horizon 2050, l'objectif est de réduire des deux tiers les émissions de GES par le secteur des transports. Une stratégie nationale de la mobilité propre (SNMP) a été adoptée en 2016.

Les 8 recommandations de la stratégie nationale bas carbone

dans le secteur des transports

- Maîtriser la demande de mobilité , notamment en rapprochant la production et la consommation de biens grâce à l'économie circulaire et aux filières courtes ; et en développant le télétravail dans le cadre de plans de déplacement d'entreprises et du dialogue social ;

- Développer le co-voiturage et les services de mobilité permettant d'augmenter le taux de remplissage des véhicules ;

- Améliorer le taux de remplissage du fret , en encourageant les démarches volontaires comme « Objectif CO2 » et « FRET21 » ;

- Améliorer l'efficacité énergétique des véhicules , et atteindre notamment les 2l/100 km en moyenne pour les véhicules particuliers vendus en 2030 ;

- Développer les infrastructures de ravitaillement (bornes de recharge électriques, unités de livraison de gaz) indispensables pour des transports bas-carbone ;

- Mettre en place des quotas de véhicules à faibles émissions dans les flottes publiques (bus y compris) ;

- Coordonner le déploiement des transports bas-carbone par l'ensemble des acteurs ;

- Encourager le report modal en favorisant les transports en commun et modes doux (marche et vélo) et en développant les transports massifiés pour le ferroviaire et le fluvial.

Des objectifs très volontaristes en matière de lutte contre les pollutions dues aux transports ont été réaffirmés au début du quinquennat 2017-2022, avec le plan climat et surtout l'annonce par le Gouvernement l'interdiction de la vente de véhicules à moteurs thermiques en 2040 .

Mais la recherche de mobilités plus propres ne vise pas seulement à réduire les émissions de GES par les véhicules en circulation, dans un but climatique global. Il doit s'agir aussi, à l'échelle des bassins de vie, d'améliorer la qualité de l'air, gravement affecté par les transports routiers. Les grands centres urbains sont en effet particulièrement touchés par les effets néfastes de la pollution due aux transports. Le dernier bilan national sur la qualité de l'air établi à partir des données des associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA), comme AirParif en Ile-de-France, publié fin 2017 et portant sur l'année 2016 47 ( * ) , montrait que si les émissions polluantes ont plutôt diminué depuis le début des années 2000, la France connait régulièrement des dépassements des normes européennes d'émissions concernant l'ozone (O 3 ), le dioxyde d'azote (NO 2 ) ou encore les particules fines (PM 10 ), ces deux derniers polluants résultant principalement de la circulation de véhicules, en particulier les véhicules diesel. Ces dépassements de seuils ont touché 16 agglomérations pour le NO 2 et 3 agglomérations pour les PM 10 en 2016, celles où le trafic automobile est le plus intense : Île-de-France, agglomération de Lyon, agglomération de Marseille et côté méditerranéenne, vallées alpines de Savoie et Haute-Savoie.

Enfin, les effets environnementaux négatifs des mobilités ne se résument pas à l'émission de GES ou de polluants : la circulation routière nécessite de plus en plus d'aménagements, ce qui contribue à utiliser massivement des terres agricoles et parfois à perturber les écosystèmes. Même si ces aménagements doivent faire l'objet à la fois d'études d'impact préalables et de mesures de compensation environnementale, ils sont de plus en plus contestés au nom de la préservation de l'environnement.

b) Le long chemin vers un nouveau modèle de mobilités propres.

L'objectif de mobilités décarbonées, n'émettant plus de manière massive des polluants atmosphériques est désormais bien établi, et la question qui se pose est désormais celle des actions à mettre en oeuvre pour aller en ce sens.

Lors des assises des mobilités de 2017, plusieurs leviers ont été identifiés :

- Favoriser les mobilités alternatives au véhicule individuel à moteur, comme la marche ou le vélo, en aménageant des zones « marchables et cyclables » ;

- S'orienter vers des mesures contraignantes pour la circulation automobile comme la création de zones à zéro ou à faibles émissions dans les coeurs d'agglomération et, le cas échéant, créer des péages urbains ;

- Développer les mobilités partagées , en modernisant les transports en commun ou encore en favorisant le covoiturage et l'autopartage ;

- Accélérer le renouvellement du parc de véhicules existant , en encourageant les véhicules électriques ou hybrides, et en recherchant pour les véhicules lourds comme les bus ou les camions de livraison, des motorisations alternatives ;

- Agir aussi sur la demande de mobilité des voyageurs et des marchandises, en mettant en place des mécanismes incitatifs.

L'utilisation des technologies numériques peut aider à la réalisation de ces actions, par exemple en informant mieux les usagers pour éviter les déplacements superflus qui consomment inutilement du carburant, ou en mettant en relation des volontaires pour du partage de véhicule, ou encore pour organiser des mobilités multimodales plus facilement, mais le numérique n'est pas en soi moteur de cette mutation vers des mobilités propres.

La recherche de mobilités propres ne passe pas par un seul outil privilégié mais par une combinaison de solutions visant à limiter l'utilisation du véhicule individuel à moteur en désincitant à son utilisation, au profit d'autres solutions modales plus éco-responsables, en particulier dans les coeurs de ville denses : parkings à prix élevés, péages urbains, interdictions ponctuelles voire permanente de circulation dans certaines zones etc...

La recherche de mobilités propres ne doit cependant pas se transformer en une guerre aux voitures individuelles dans les coeurs de ville. Le remplacement d'automobiles fonctionnant au diesel ou à l'essence par des véhicules électriques n'est en effet pas possible dans un délai court, sauf à laisser sans solution de mobilité de nombreux automobilistes actuels qui ne disposent pas des moyens suffisants pour le remplacement de leurs véhicules à moteur. En outre, l'appareil industriel ne pourrait pas faire face à un renouvellement très rapide du parc automobile. Enfin, les avantages en termes de réduction des émissions de polluants dans l'air apportés par les véhicules électriques doivent être mis en regard des émissions de GES et autres pollutions engendrées sur l'ensemble du cycle de vie du véhicule électrique. La fabrication des batteries et leur recyclage constituent en effet un enjeu écologique majeur qui n'est pas encore maîtrisé.

Les mobilités propres constituent donc un objectif qui sera long à atteindre, et nécessite des mesures d'accompagnement pour ne pas se traduire dans un premier temps par une réduction des possibilités de mobilité de nos concitoyens.

2. L'enjeu industriel
a) Le poids économique considérable du secteur des transports

La mobilité des biens et des personnes génère une activité économique tout à fait considérable pour la France, et s'insère dans un réseau d'échanges fortement internationalisé, en particulier concernant les matériels de transport : véhicules particuliers, matériel ferroviaire, camions et bus.

La dépense totale de transport (DTT) représentait en France 401,8 milliards d'euros en 2017, soit 17,5 % du PIB 48 ( * ) , dont 54,6 milliards d'euros, soit 13,6 % du total correspondent à des dépenses d'investissement, réalisés par les entreprises ou encore les administrations publiques.

Les achats d'automobiles par les ménages représentent pour leur part un chiffre d'affaires de 42,4 milliards d'euros, comptabilités comme dépense courant de transport (hors investissement). C'est presque un tiers de l'ensemble des dépenses de transport des ménages.

Or, il existe tout un écosystème d'activités autour du transport et des mobilités , allant de la construction automobile aux travaux publics, en passant par le transport collectif de voyageurs ou encore le transport de marchandises. La France dispose d'entreprises de premier plan dans chacun de ces domaines.

Les constructeurs automobiles français, Renault et le groupe PSA, produisent 6,7 millions d'automobiles, dont 80 % sont vendus hors de France. Le chiffre d'affaires à l'exportation du secteur automobile français est de 45 milliards d'euros 49 ( * ) . L'industrie automobile en France emploie directement plus de 200 000 personnes pour un chiffre d'affaires de plus de 100 milliards d'euros. L'industrie automobile irrigue également le tissu économique avec un réseau de sous-traitants et de prestataires souvent situés à proximité des usines des constructeurs automobiles. Les emplois indirects de la construction automobile sont estimés à plus de 200 000 personnes également.

Le transport routier de marchandises, pour sa part, emploi 400 000 personnes pour environ 36 000 entreprises, principalement des PME et TPE, pour un chiffre d'affaires de plus de 50 milliards d'euros par an 50 ( * ) .

Les investissements dans les infrastructures de transport ont représenté en 2017 presque 20 milliards d'euros, dont la moitié en investissements routiers, ce qui contribue fortement à l'activité du tissu économique des travaux publics et le savoir-faire des entreprises nationales est également valorisé à l'international.

Le secteur du transport de voyageurs joue aussi un rôle considérable pour l'économie et l'emploi des territoires, avec des entreprises de premier plan comme la SNCF et la RATP, mais aussi d'autres acteurs comme Keolis (filiale de la SNCF) ou Transdev (filiale de la caisse des dépôts et consignations) : l'ensemble de ces acteurs du transport emploient près de 400 000 personnes au total 51 ( * ) .

On peut aussi ajouter à ce total les 60 000 personnes exerçant l'activité de taxi, dont 18 000 en Île-de-France, ou encore les 20 000 chauffeurs de VTC.

Tous ces acteurs sont concernés par la transformation rapide des mobilités, qui remet en cause les modèles économiques les plus éprouvés et conduit à transformer les métiers et le tissu économique construit autour des transports , pouvant conduire à des crises comme celle entre les taxis et les VTC avec l'irruption de plateformes numériques de mise en relation directe entre clients et transporteurs.

b) La transformation des mobilités à l'origine d'un déplacement de valeur ajoutée ?

L'émergence de nouvelles technologies numériques et le développement des mobilités électriques pose un défi d'ampleur aux acteurs économiques des transports.

Avec le véhicule électrique, le savoir-faire patiemment perfectionné des firmes automobiles sur le bloc moteur-transmission deviendra obsolète et la valeur des véhicules se déplacera vers les batteries. Or, les leaders mondiaux des batteries ne sont pas européens ou américains mais japonais, chinois ou coréens. L'économie générale de la construction automobile risque donc fort d'être bouleversée par la généralisation de l'électrique. Une autre conséquence du développement du véhicule électrique consiste en une réduction du rôle joué par les fournisseurs d'énergie fossile, modifiant considérablement les besoins en raffinage, au profit d'une recherche de nouvelles capacités de production électrique, voire de gestion partagée des ressources électriques par des réseaux électriques intelligents ( smart grid ) permettant de stocker et déstocker l'énergie électrique en fonction des besoins et en utilisant un vaste réseau de batteries connectées.

En outre, les constructeurs automobiles sont amenés à investir des domaines de recherche qui n'étaient pas au coeur de leur métier, voire s'associent avec de nouveaux acteurs pour développer les véhicules communicants et bientôt les véhicules autonomes. C'est l'intelligence embarquée dans le véhicule, davantage que son aérodynamisme, son design ou sa motorisation, qui feront demain sa valeur. Dans ce domaine, les spécialistes des algorithmes et les géants de l'Internet, principalement américain, sont particulièrement bien placés pour avoir un rôle dominant sur le marché des équipements intégrés aux véhicules.

Cette même position dominante des GAFAM 52 ( * ) américain ou des BATX 53 ( * ) chinois peut être crainte dans le domaine des mobilités du quotidien, le téléphone portable et la géolocalisation intégrée devenant des instruments privilégiés d'accès aux services de transports et constituant de plus en plus un portail d'entrée multiservices à travers duquel transite tout le e-commerce.

Vos rapporteurs notent que, lors de leurs auditions, les acteurs des mobilités ont insisté sur la question fondamentale de la maîtrise des données : si l'accès aux données est verrouillé par quelques acteurs, la mobilité risque de devenir captive d'un petit nombre d'acteurs économiques qui disposeront d'une position dominante.

3. L'enjeu social des mobilités accessibles
a) L'absence de solution de mobilité accessible, facteur de précarité et d'exclusion

Pouvoir se déplacer est une variable clef dans l'accès aux études, à l'emploi, ou tout simplement dans la capacité d'un individu à avoir des interactions sociales et à favoriser son insertion dans la société. Une étude récente de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (INJEP) 54 ( * ) indiquait qu'en 2016, un quart des jeunes avait renoncé à un emploi et 21 % à une formation en raison de difficultés de transport, et plus de la moitié a dû restreindre sa vie sociale et ses activités de loisirs faute de moyens de transport adaptés. L'absence de solution de mobilité est donc facteur d'exclusion et de déclassement.

Le constat avant été fait lors des assises nationales de la mobilité de 2017 qu'une « part importante de la population française est fragilisée ou empêchée dans sa mobilité », cette situation résultant d'une multitude de phénomènes qui peuvent se combiner :

- Un grand nombre de nos concitoyens souffre d' un ou plusieurs handicaps , qui restreignent plus ou moins les capacités à se déplacer. On estime qu'il existe 9,6 millions de personnes en situation de handicap : 5,2 millions de déficients auditifs, 2,3 millions de déficients moteurs, 1,7 millions de déficients visuels et 700 000 déficients cognitifs. À ce chiffre s'ajoutent les personnes qui, en raison de leur âge ou de leur état de santé, perdent leur capacité à se déplacer facilement. Or, lorsque les espaces publics ou les transports publics ne sont pas adaptés aux handicaps et difficultés physiques ou cognitives des individus, certains finissent par renoncer à leurs déplacements pour ne pas avoir à affronter une situation difficile voire un obstacle infranchissable, faute d'équipements ou d'accompagnement adapté.

- La situation économique et sociale fragile des ménages est une autre cause d'exclusion des mobilités : d'après Jean-Pierre Orfeuil, professeur d'aménagement à l'Institut d'urbanisme de Paris, 39 % des ménages pauvres (dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu médian) ne disposent pas de voiture 55 ( * ) . La pauvreté constitue un frein à l'acquisition d'une voiture ou encore au passage du permis de conduire. Le coût complet d'une voiture en France est estimé à 2 500 euros par an (dont la moitié en carburant), représentant ainsi pas moins de 20 % du revenu des ménages les plus pauvres (relevant du 1 er décile de revenu), ce qui rend la possession d'un véhicule individuel pour les populations fragiles quasiment impossible 56 ( * ) .

Les ménages les plus modestes sont donc davantage dépendants des transports collectifs. Or, ces ménages résident plutôt dans les zones les moins bien desservies, qui sont aussi celles où les logements sont plus accessibles. L'existence de politiques volontaristes des collectivités territoriales en matière de tarification sociale ou de desserte de quartiers en difficulté permet de corriger en partie cette inégalité d'accès aux mobilités, mais la correction n'existe par partout. En particulier, elle n'existe pas pour les ménages pauvres résidant en dehors des grandes agglomérations, où les transports collectifs sont moins développés que dans les zones urbaines denses et dans leurs périphéries immédiates.

Le coût des mobilités est également un frein pour les déplacements de loisirs : ainsi, 40 % des français affirment ne pas partir en vacances, principalement pour des raisons financières, du fait du coût élevé du déplacement et de l'hébergement.

b) Attente et embouteillage, les français inégaux devant les désordres des mobilités

L'enjeu social des mobilités réside dans la possibilité de se déplacer à des coûts accessibles, mais aussi dans la qualité des déplacements effectués. Or, de ce point de vue, il existe aussi de grandes inégalités.

Les investissements massifs en transports en commun dans les centres des grandes agglomérations depuis une vingtaine d'années ont fluidifié les mobilités dans les coeurs de ville, conduisant parfois à l'abandon de la voiture. L'apparition des nouveaux instruments de glisse urbaine contribue également à diversifier les solutions de mobilité pour les habitants de ces coeurs de ville.

À l'inverse, certaines populations subissent de plein fouet les désordres des mobilités : congestion automobile des périphéries des métropoles aux heures de pointe, altération de la qualité de service dans certains transports collectifs, absence de solutions alternatives en cas d'incident lors des déplacements du quotidien.

Le temps passé à se déplacer, qui s'est allongé avec l'étalement urbain, devient un temps désagréable, vécu comme une contrainte voire comme un risque, ce qui n'est pas dénué de tout fondement.

En effet, se déplacer reste dangereux : même si l'accidentalité routière en France a considérablement diminué depuis une quinzaine d'années, on compte encore environ 60 000 accidents corporels par an, avec 3 700 tués et près de 30 000 blessés dont l'état nécessite une hospitalisation. Les deux-tiers des décès interviennent sur les routes hors agglomération, et un quart des tués sont des usagers de deux-roues motorisés. Le risque d'accident plus élevé que la moyenne en milieu rural.

La sécurité des déplacements demeure un enjeu fondamental, et au-delà de la sécurité, la question du confort et du caractère agréable de la mobilité doit être pris en compte dans les politiques publiques , car les mobilités subies constituent un facteur de détérioration majeur de la qualité de vie de nos concitoyens.

4. L'enjeu pour les finances publiques : des mobilités soutenables
a) Les transports absorbent d'importants crédits publics

D'après le dernier rapport sur les comptes des transports pour 2017, les dépenses des administrations publiques en faveur des transports s'élèvent à 44,7 milliards d'euros, hors subventions aux régimes de retraite (représentant en sus 4,6 milliards d'euros), soit 2 % du PIB.

L'essentiel de ces dépenses, soit 35,9 milliards d'euros, relèvent des administrations publiques locales , en particulier des régions. Les administrations publiques nationales, c'est-à-dire l'État et d'autres acteurs nationaux comme l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) ont consacré aux transports 11,2 milliards d'euros, dont 3,2 milliards, soit plus d'un quart, en investissement, tandis que l'investissement des collectivités territoriales représente environ un tiers de leur dépense totale, notamment du fait de leur compétence en matière de voirie.

Le fonctionnement au quotidien des systèmes de transports collectifs fait l'objet de fortes subventions publiques : ce sont plus de 11 milliards d'euros de subventions d'exploitation qui ont été versés en 2017 à la SNCF, à la RATP et aux autres opérateurs des transports collectifs urbains, plus de 40 % de ces montants concernant le système de transports de la région parisienne.

Il existe parallèlement des recettes publiques importantes liées aux transports , dans un paysage institutionnel marqué par une grande complexité, certaines ressources étant affectées, d'autres non. Le total de ces recettes est estimé à près de 50 milliards d'euros, dont 8,5 proviennent du versement transport (VT).

En dehors des 3,5 milliards d'euros de recettes provenant du transport aérien (redevance de circulation aérienne, taxe d'aéroport), l'essentiel des recettes publiques provient de la route : certificats d'immatriculation, produit des amendes, taxe sur les contrats d'assurance automobile, redevances domaniales et autres recettes provenant de la route se montent à 6,8 milliards d'euros. Par ailleurs, les taxes sur les carburants (principalement la TICPE) s'élèvent à près de 30 milliards d'euros par an et sont affectées en partie aux régions et aux départements.

Le versement transport (VT), instrument de financement des transports publics urbain

Institué d'abord en région parisienne puis étendu aux territoires couverts par une autorité organisatrice de transport (AOT), le versement transport (VT) est une contribution versée par les entreprises de plus de 11 salariés installées dans le périmètre de transports urbains relevant des AOT, dénommées autorités organisatrices des mobilités (AOM) depuis la loi MAPTAM du 27 janvier 2014.

Cette contribution est calculée en proportion des rémunérations versées aux salariés, les taux variant selon les zones géographiques : il est particulièrement élevé en région parisienne, avec un taux de 2,95 % à Paris et dans les Hauts-de-Seine, 2,33 % ailleurs en petite couronne et 2,01 % en grande couronne. Le taux est de 1,85 % dans la métropole de Lyon, 1,55 % dans la communauté urbaine de Dunkerque et peut être bien plus faible dans les petits ensembles urbains qui ont peu développé les réseaux de transports collectifs.

Critiqué pour renchérir le coût du travail dans les secteurs où il est institué, le VT est un instrument essentiel de financement des transports publics urbains. Il assure par exemple 38 % des recettes d'Île-de-France Mobilités, l'AOM de la région parisienne, soit autant que ses recettes commerciales provenant de la vente d'abonnements et de billets.

Le VT représentait en 2017 plus de 8,5 milliards d'euros, dont la moitié (4,3 milliards d'euros) collectés en Île-de-France.

b) La recherche d'un nouveau modèle pour faire face à des besoins multiples

Lors des assises nationales de la mobilité de 2017, le constat de la situation préoccupante du financement des transports terrestres de personnes a été fait et n'est pas contesté. Cette situation préoccupante résulte de la conjonction de plusieurs facteurs.

D'abord, la France fait face à des besoins importants d'investissements , tant pour des projets nouveaux d'infrastructure que pour des investissements de régénération et de modernisation des réseaux tant ferrés que routiers, afin de prévenir leur dégradation.

Lors des assises, des dépenses supplémentaires de 200 à 300 millions d'euros ont été jugés nécessaires pour la seule modernisation du réseau routier national.

Le rapport de février 2018 du conseil d'orientation des infrastructures (COI) présidé par Philippe Duron avait chiffré l'effort d'investissement à réaliser sur 20 ans entre 48 et 80 milliards d'euros par an, et une stratégie consistant à se concentrer sur les mobilités du quotidien et l'amélioration des réseaux existants.

Ensuite, les besoins de financement en fonctionnement des transports collectifs urbains restent particulièrement élevés , car le taux de couverture des dépenses par les recettes commerciales est très faible : de l'ordre de 30 % dans les agglomérations hors Paris lorsque l'on ne prend en compte que les dépenses de fonctionnement et même 17 % lorsque l'on ajoute l'amortissement des investissements. À Paris, le taux de couverture est plus élevé de l'ordre de dix points, mais en dégradation récente du fait d'une politique tarifaire plus généreuse. La tendance actuelle est plutôt à la dégradation de la situation financière des autorités organisatrices des mobilités, les transports collectifs urbains étant également concurrencés par des nouveaux modes urbains (vélo, trottinette), ce qui peut conduire à dégrader la fréquentation.

Enfin, les perspectives de progression des recettes pouvant servir au financement des investissements ou du fonctionnement des services publics de mobilité ne sont pas radieuses : l'augmentation du versement transport, déjà très lourd pour les entreprises, ne semble plus guère possible et les perspectives concernant la TICPE sont plutôt à la réduction tendancielle des recettes, dès lors que l'on irait vers le remplacement du moteur thermique par une propulsion à l'électrique. Un mécanisme de type écotaxe connaîtrait d'ailleurs la même tendance, si les mobilités deviennent plus responsables du point de vue environnemental.

L'enjeu des mobilités de demain est donc aussi de trouver une soutenabilité financière à la fois pour les aides au fonctionnement des transports collectifs de personnes et pour le financement des infrastructures nécessaires pour chacun des modes, mais aussi pour réaliser les équipements indispensables au développement de l'intermodalité.

5. L'enjeu territorial : quel modèle pour les mobilités de demain ?
a) Une multitude de modèles de mobilité

L'existence d'infrastructures et de services pour transporter rapidement les biens et les personnes constitue l'un des éléments constitutifs de l'attractivité du territoire . Le développement économique, comme les choix résidentiels des ménages, répondent certes à des logiques multifactorielles, mais la facilité à se déplacer pour accéder à une large palette d'activités (travail, commerces, loisirs), l'insertion dans un réseau national voire international d'échanges, paraissent sinon garantir, du moins largement conditionner les performances de chacun des territoires en France et dans le monde.

La France est caractérisée par une grande diversité de territoires, qui correspondent à autant de « systèmes de mobilité » différents . Les travaux des géographes permettent de distinguer schématiquement trois types d'espaces : les espaces ruraux peu denses et les petites villes, les espaces urbains denses ou métropoles, et enfin, les territoires périurbains, à la lisière des métropoles, qui peuvent cumuler les difficultés des deux autres catégories.

La structuration des déplacements à l'intérieur de ces territoires, mais aussi entre territoires (liaisons moyenne et longue distance) est très variable, mais l'on s'aperçoit que l'automobile individuelle reste le moyen prédominant de déplacement en dehors des zones denses.

(1) La mobilité dans les territoires ruraux et les petites villes

Dans les zones rurales et les petites villes, le véhicule particulier domine très largement . Il n'existe pas de congestion automobile et pas de difficultés majeures de stationnement. Les transports collectifs s'adressent donc en réalité à un public assez restreint pour les déplacements du quotidien, bien que non négligeable.

Il convient cependant de noter que la proportion des ménages non motorisés est similaire dans les villages et bourgs ruraux que dans les centres urbains (entre 20 et 25 %) 57 ( * ) . Le faible développement des transports collectifs constitue pour cette population un facteur de restriction des possibilités offertes pour les mobilités du quotidien. Or, les services essentiels à la vie quotidienne (santé, commerces, loisirs) ne sont pas forcément localisés en proximité immédiate des lieux de vie.

Les mobilités à longue distance reposent aussi largement sur le véhicule particulier, les petites villes étant à l'écart des réseaux de déplacement collectifs rapides. Il faut certes noter que le TGV dessert plus de 200 gares en France, ce qui assure un maillage dense. Toutefois, le maintien de certaines dessertes peu utilisées et offrant de faibles fréquences aux voyageurs se pose périodiquement dans le débat public. La grande vitesse s'accommode mal en effet d'arrêts fréquents, qui freinent la vitesse d'exploitation des lignes.

(2) La mobilité dans les zones urbaines denses

Les grandes villes se sont dotées dès la révolution industrielle de réseaux de transports collectifs visant à assurer des flux de déplacement massifs quotidiens, principalement en réponse au besoin de déplacements professionnels.

Les déplacements répondent à une logique pendulaire , ce qui pose le problème de l'heure de la saturation des réseaux à l'heure de pointe. Si d'après l'étude Keoliscopie 2017, 70 % du trafic dans les transports collectifs est assuré hors heure de pointe, la gestion des pics est un véritable défi pour les gestionnaires des réseaux. Cette problématique de gestion de la pointe se pose aussi pour les déplacements en véhicule individuel et se traduit par la congestion routière. La circulation automobile en ville a d'ailleurs plusieurs sources : travailleurs se rendant à leur travail, mais aussi livreurs assurant le ravitaillement des magasins ou encore déplacements de loisir ou d'agrément des citadins.

Les zones urbaines denses disposent d'une grande variété de solutions de mobilité et sont un terrain d'innovation d'autant plus privilégié que la masse de clients solvables permet de rentabiliser rapidement les innovations qui y sont introduites : ainsi, les scooters électriques ou les trottinettes électriques en free floating sont déployées d'abord dans les zones denses, seuls espaces où le modèle économique des entreprises qui fournissent ce service peuvent atteindre une rentabilité de leurs investissements.

Enfin, ces zones urbaines denses disposent pour les déplacements à longue distance d'une bonne connexion aux autres métropoles , à travers des liaisons ferroviaires fréquentes, voire des liaisons aériennes.

(3) La mobilité dans les zones périurbaines : un raté de l'étalement urbain

La France a connu à partir des années 1960 un cycle puissant de périurbanisation, qui a conduit les habitants des villes à s'éloigner de plus en plus du coeur métropolitain.

Le pavillon de banlieue et la voiture individuelle sont les instruments de cette périurbanisation . Les pouvoirs publics ont en partie organisé cette périurbanisation, en construisant de grandes infrastructures de transport pour répondre à la problématique des bouchons : chaque nouvelle route permettant d'aller plus vite dans les coeurs de ville offrait en même temps la possibilité d'aller habiter un peu plus loin.

Les zones périurbaines ne sont pas dépourvues de transports collectifs, mais ceux-ci sont plutôt organisés en lignes radiales desservant un coeur d'agglomération : c'est en Île-de-France le modèle du RER.

Certains espaces périurbains très denses, comme les grands ensembles d'habitat collectif social, ont par ailleurs été mal desservis par les réseaux de transport collectif, contribuant à un enclavement de quartiers à l'intérieur des métropoles. Les fréquences ou encore l'étendue du service sont parfois insuffisants par rapport aux besoins.

L'enjeu pour les zones périurbaines est donc celle d'un raccordement efficace aux systèmes de transport métropolitains, afin de bénéficier de l'ensemble du panel des services de mobilité.

b) Organiser des mobilités à la carte sur les territoires

Vos rapporteurs constatent que les territoires ne sont pas tous logés à la même enseigne en termes de possibilités de mobilité. Pourtant, le droit à la mobilité devrait être garanti à tous nos concitoyens, dans un souci d'équilibre territorial.

Si l'analyse fine des besoins relève d'une étude spécifique de chaque territoire concerné, vos rapporteurs notent cependant que l'enjeu de l'équilibre territorial des nouvelles mobilités passe par une série de variables-clefs :

D'abord, le succès des futures mobilités passe par l'interconnexion des réseaux et l'intermodalité : ayant des modes de vie de plus en plus variés, qui les amènent à ne plus vivre toute leur vie au même endroit, à être successivement rural, urbain, rurbain, nos concitoyens doivent pouvoir disposer partout d'une palette de solutions. En particulier, la liaison entre l'urbain et le périurbain doit faire l'objet d'une attention forte, car l'élimination de la voiture dans les coeurs de ville ne pourra marcher qu'à condition d'offrir des solutions multimodales, avec des aménagements adaptés : parkings-relais dans les noeuds ferroviaires, tarification combinée des différents modes de transport ...

Ensuite, l'expérimentation et l'innovation ne sont pas réservées aux territoires urbains denses et doivent aussi être encouragées dans les territoires peu denses . Elles ne résultent pas toujours des nouvelles technologies, l'innovation peut aussi être organisationnelle : ainsi, les dessertes de bus à la carte dans les zones peu denses sont possibles et évitent un taux de remplissage des bus trop faible. Les collectivités territoriales expérimentent aussi le transport à la demande (TAD), parfois moins coûteux que le transport collectif en bout de ligne. Le véhicule autonome pourrait être demain dans les zones peu denses une alternative au bus.

Enfin, l'amélioration des mobilités dans tous les territoires passe par le renforcement de l'information sur les solutions de mobilité : lors des auditions, vos rapporteurs ont été alertés sur le fait que les habitants connaissent parfois mal l'offre de transports existante et contribuent à la sous-utilisation des transports collectifs, au bénéfice de la voiture, solution plus souple mais souvent moins rapide et plus coûteuse.

Vos rapporteurs soulignent que l'enjeu pour les territoires est de s'adapter en permanence à l'évolution des technologies et des besoins des habitants en matière de mobilité, en fonction des spécificités locales. Pour cela, une ingénierie des mobilités doit être déployée partout, faute de quoi l'innovation territoriale ne sera portée que dans les grandes villes et par des opérateurs privés qui disposeront de la masse critique de clients.


* 47 http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/fileadmin/documents/Produits_editoriaux/Publications/Datalab/2017/Datalab-26-bilan-de-la-qualite-de-l-air-en-france-en-2016-oct2017.pdf

* 48 Source : Les comptes des transports en 2017 : http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/publications/p/2764/1874/comptes-transports-2017-tome-1-55e-rapport-commission.html

* 49 Source : Comité des constructeurs français d'automobiles.

* 50 Source : Fédération nationale des transports routiers (FNTR).

* 51 Environ 260 000 emplois à la SNCF, 60 000 à la RATP, et environ 50 000 dans les entreprises de transport urbain, selon les chiffres de l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP).

* 52 Acronyme identifiant les 5 géants du numérique américain : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

* 53 Acronyme pour les 4 acteurs du web chinois concurrents des services américains : Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi.

* 54 http://www.injep.fr/sites/default/files/documents/ias6_difficultes-transport.pdf

* 55 https://www.inegalites.fr/Inegaux-face-a-la-mobilite?id_theme=25

* 56 Source : Pôle interministériel de prospective et d'anticipation des mutations économiques, janvier 2016.

* 57 Audition de M. Chareyron du 15 février 2018 au Sénat : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20180212/prospective.html#toc2

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