B. LA QUESTION MIGRATOIRE

1. Un discours ferme

La priorité accordée par le nouveau gouvernement à la question migratoire s'appuie sur la multiplication par quatre du nombre d'immigrés légaux en Italie depuis 2001 (8 % de la population aujourd'hui), la consolidation d'une immigration clandestine, estimée à 500 000 personnes, sur le sol italien, et l'afflux sur les côtes de la Péninsule, depuis 2014, de migrants en provenance de la rive sud de la Méditerranée.

Le décret-loi présenté par Matteo Salvini et adopté le 28 novembre par la Chambre des députés, après un premier vote favorable au Sénat, symbolise l'action du gouvernement. Le dispositif prévoit le remplacement des permis de séjour humanitaires d'une durée de deux ans, actuellement octroyés à 25 % des demandeurs d'asile par d'autres permis, supposés moins avantageux, à l'instar du permis de séjour en raison d'une « protection spéciale » d'une durée d'un an, ou du permis de séjour en raison d'une « catastrophe naturelle dans le pays d'origine », d'une durée de six mois. Le texte met également en place une procédure d'urgence afin de pouvoir expulser tout demandeur se montrant « dangereux ». Il réorganise en outre le système d'accueil des demandeurs d'asile. Les 146 000 demandeurs d'asile enregistrés en Italie seront ainsi regroupés dans de grands centres par mesures d'économies. Un volet sécurité généralise l'utilisation des pistolets électriques et facilite l'évacuation des bâtiments occupés.

La fermeté affichée s'inscrit, par ailleurs, dans une certaine continuité avec la politique de fermeture et d'appel à l'aide européenne des gouvernements Renzi et Gentiloni. Les chiffres traduisent à cet égard un effort partagé par les deux cabinets pour limiter l'arrivée des migrants sur les côtes italiennes. La péninsule a enregistré, entre janvier et octobre 2018, l'arrivée de 21 880 migrants, soit 80 % de moins qu'à la même période en 2017 (1 252 personnes ont disparu au large des côtes). L'afflux en provenance de Libye a, en particulier, été circonscrit : 12 396 migrants, soit 58,1 % du total. Le gouvernement italien mène parallèlement des négociations avec les pays de la rive sud pour renforcer la coopération dans ce domaine, qu'il s'agisse de la Tunisie (première nationalité des migrants, 4 504 soit 22,5 % des départs à destination de l'Italie, l'Algérie (976 migrants) ou l'Égypte.

Arrivée de migrants sur les côtes italiennes depuis 2014

Année

Arrivées par la mer

Disparus aux larges des côtes

2014

170 100

3 093

2015

153 842

2 913

2016

181 436

4 578

2017

119 369

2 873

Source : Nations unies

Nationalité des migrants arrivés en Italie (chiffres arrêtés au 30 septembre 2018)

Pays d'origine

Nombre de migrants

Pourcentage du total

Tunisie

4 504

22,5 %

Érythrée

3 047

15,3 %

Soudan

1 595

8 %

Irak

1 354

6,8 %

Pakistan

1 353

6,8 %

Nigéria

1 248

6,2 %

Côte d'Ivoire

1 047

5,2 %

Algérie

976

4,9 %

Mali

875

4,4 %

Guinée

809

4 %

Libye

428

2,1 %

Sénégal

421

2,1 %

Somalie

408

2 %

Maroc

337

1,7 %

Cameroun

318

1,6 %

Gambie

292

1,5 %

Égypte

237

1,2 %

Sierra Leone

210

1,1 %

Ghana

190

1 %

Syrie

146

0,7 %

Bangladesh

99

0,5 %

Éthiopie

86

0,4 %

Source : Nations unies

La politique migratoire est aujourd'hui incarnée au niveau gouvernemental par le vice-président du Conseil et ministre de l'Intérieur, Matteo Salvini. Le style actuel peut apparaître cependant plus brutal, en laissant la place à certains amalgames parfois douteux 2 ( * ) . La fermeture des ports italiens en constitue un des symboles, sans pour autant la résumer. Le refus, en août dernier, d'autoriser le débarquement à Catane (Sicile) des 190 migrants secourus par le navire Diciotti , affrété par les gardes-côtes italiens, a constitué pour le gouvernement italien l'occasion de réaffirmer son souhait d'une reconduite des migrants dans les pays d'envoi, d'une relocalisation effective au sein d'autres États membres des demandeurs d'asile déjà présents sur le territoire européen, et d'une défense « sérieuse », par l'Union européenne, de ses frontières. Il convient de rappeler que l'Italie n'a pas été le seul pays à s'interroger sur le débarquement de personnes secourues en mer, comme en témoigne les cas du LifeLine ou de l' Aquarius, où les gouvernements allemand, français ou maltais ont critiqué le rôle des organisations non gouvernementales.

2. Le souhait d'une nouvelle réponse européenne

La polémique liée au débarquement du Diciotti a conduit le gouvernement italien à exiger, au niveau européen, une révision du mandat de l'opération de PSDC Sophia . Celle-ci prévoit le débarquement de tous les migrants secourus en mer dans les ports italiens. La fermeture des ports italiens, mais aussi maltais, n'est pas sans incidence puisqu'elle contribue à dissuader les navires de circuler dans les zones de passage des migrants, au risque de contribuer indirectement à une augmentation de la mortalité en Méditerranée.

L'Italie entend parallèlement, comme elle l'a réaffirmé lors des conseils européens, renforcer la coopération avec l'Afrique, multiplier les accords de réadmission, lutter contre les trafics et mobiliser des financements européens en ce sens. L'Italie souhaite apparaître comme le chef de file européen sur ce dossier. C'est d'ailleurs à Palerme qu'a été organisée, les 12 et 13 novembre, une conférence européenne sur le sujet.

C'est également à l'aune de la question migratoire qu'il convient d'analyser le rapprochement entre le ministre de l'Intérieur italien et le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, autour d'une volonté commune de « défendre les frontières contre l'immigration ». La recherche de partenaires sur cette question dépasse cependant la Hongrie et tend à démontrer que le gouvernement italien n'est pas isolé, en dépit d'un discours parfois excessif. L'Italie s'est ainsi rapprochée de l'Allemagne et de l'Autriche sur ces questions, avec l'annonce en juillet de la création d'une alliance de « ceux qui agissent ». Les ministres de l'Intérieur italien et allemand ont ainsi indiqué travailler à un accord bilatéral pour la gestion des flux secondaires de migrants à l'intérieur de l'espace Schengen. Ils ont, par ailleurs, indiqué partager l'objectif commun d'empêcher l'arrivée sur les côtes européennes des migrants secourus en mer. La déclaration commune des ministres allemand, autrichien et italien reprend cette antienne en insistant sur la nécessité d'« un changement de paradigme » visant à limiter les flux et être clair sur le sort réservé aux demandeurs d'asile qui ne pourraient prétendre à la protection de l'Union européenne. Les ministres appuient la création de plateformes de débarquement dans des pays tiers où seraient renvoyés les demandeurs déboutés. Le Danemark estime également que le débarquement dans l'Union européenne des personnes secourues constitue une mesure incitant à l'émigration.

Les autorités italiennes souhaitent que ces options soient désormais appuyées par la Commission européenne, usant de l'arme d'un véto italien dans les prochaines grandes négociations européennes, à l'instar de celles sur le futur cadre financier pluriannuel (CFP). La position tranchée du gouvernement italien n'a pas été sans effet sur les conclusions du Conseil européen de juin 2018, qui invitent le Conseil et la Commission à examiner sans tarder les concepts de plateforme et de centre contrôlés. Deux documents de travail ont été présentés en ce sens par la Commission européenne le 24 juillet dernier.

La mise en place des « centres contrôlés » pourrait être testée, selon la Commission européenne, dans le cadre d'une phase pilote. Leur caractère serait temporaire. Tous les coûts seraient couverts par le budget de l'Union. Des équipes de Frontex, d'Europol, de l'EASO et des États membres procèderaient aux enregistrements dans un délai de 72 heures, l'EASO déterminant dans le même temps les personnes bénéficiaires du droit d'asile. Les migrants ne pouvant bénéficier d'une protection internationale seraient renvoyés dans leur pays d'origine avec l'appui de Frontex. Les demandeurs d'asile seraient soit affectés dans le pays hôte du centre contrôlé, dans un État volontaire ou, au titre du regroupement familial, dans le pays qui accueille déjà des parents du demandeur. Un examen au fond serait néanmoins réalisé en vue d'étudier les situations individuelles dans un délai de 4 à 8 semaines. À l'issue de ce délai, les migrants seraient soit renvoyés dans leur pays d'origine, soit installés dans l'État hôte ou au sein d'un État d'accueil volontaire. Les autorités italiennes souhaitent que ces centres fassent partie intégrante d'un système de rotation des ports d'accueil et de partage des migrants secourus. À l'inverse, un certain nombre d'États, dont la France, rappelle le principe du débarquement dans le port sûr le plus proche.

S'agissant des plateformes de débarquement hors Union européenne, des pourparlers sont en cours avec l'Égypte, à l'initiative de la présidence autrichienne de l'Union européenne. La Commission prévoit leur mise en place avec le soutien du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). Pour y parvenir, il conviendrait que les États de la rive Sud acceptent la mise en place, dans leurs eaux territoriales, de zones de recherche et de sauvetage (SAR) et de centres de coordination de sauvetage (MRCC). Une fois débarquées sur ces plateformes, les personnes se verraient distinguées selon qu'elles relèvent du droit d'asile et alors autorisées à migrer vers l'Europe, ou qu'elles soient reconduites, par l'OIM, vers leur pays d'origine. Des soutiens financiers et opérationnels seraient apportés aux pays volontaires de la rive Sud.

Par ailleurs, au-delà de la question de l'accueil d'urgence, c'est celle de la relocalisation qui constitue la clé de la position italienne. L'Italie a en effet bénéficié de près de 190 millions d'euros d'aide européenne, qui viennent s'ajouter aux 650 millions d'euros engagés en ce sens pour la période 2014-2020 et l'aide technique apportée par Frontex et le bureau d'asile européen (EASO). Il reste qu'elle ne bénéficie pas des mesures d'urgence de relocalisation, réservées à des nationalités dont le taux d'éligibilité à l'asile est supérieur à 75 %, ce qui n'est pas le cas des migrants ayant majoritairement débarqué sur les côtes italiennes. Ainsi, sur les 34 953 relocalisations permises par ce mécanisme, seules 12 329 ont pu être opérées depuis l'Italie. Par ailleurs, la fermeture des frontières intérieures, en attendant une révision du règlement Dublin, conduit à prolonger le séjour des migrants en Italie, les autorités italiennes peinant par ailleurs à mettre en place le retour des personnes déboutées du droit d'asile : 19,44 % des migrants en situations irrégulière sont effectivement retournés dans leur pays. Ce taux est à rapprocher du nombre de personnes déboutées du droit d'asile : 36 329 pour la seule année 2017.


* 2 Le maire de Riace (Calabre) a ainsi été arrêté début octobre 2018 pour aide à l'immigration clandestine et organisation de mariages blancs entre des habitants de sa commune et des migrants. La ville de Riace - 2 000 habitants - compte aujourd'hui 600 ressortissants étrangers parmi ses résidents. Le ministère de l'Intérieur avait déjà suspendu le versement des subventions accordées à la commune en juillet dernier.

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