PREMIÈRE PARTIE :
PRÉPARER LA QUATRIÈME RÉVOLUTION INDUSTRIELLE

L'intelligence artificielle, parce qu'elle est une technologie qui trouvera à s'appliquer sous de multiples formes et dans de multiples situations, va entraîner une nouvelle révolution industrielle. En ce sens, elle appelle une réponse politique globale, qui ne se cantonne pas aux seuls champs scientifique et économique et qui prépare l'ensemble de la société.

I. L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, UNE TECHNOLOGIE À L'ORIGINE D'UNE NOUVELLE RÉVOLUTION INDUSTRIELLE

Comme le constate Cédric Villani, en introduction de son rapport au Gouvernement 1 ( * ) , « définir l'intelligence artificielle n'est pas chose facile » . Et le même d'ajouter qu'il est « illusoire de chercher une définition claire » . Le fait est qu'il n'y a pas de définition universellement admise. C'est la raison pour laquelle le présent rapport se focalisera 2 ( * ) sur ses caractéristiques, ses implications et ses conséquences concrètes.

A. UNE TECHNOLOGIE MAL DÉFINIE, SOURCE DE CRAINTES ET DE FANTASMES

L'intelligence artificielle est une technologie à la définition fuyante. Elle consiste principalement à traiter de façon automatique et intelligente des données grâce à des capacités hors norme pour l'être humain. Pour donner un peu de clarté au sujet, on peut toutefois reprendre la définition du professeur américain Stuart Berkeley qui la définit comme « l'étude des méthodes permettant aux ordinateurs de se comporter intelligemment ». Et pour lui, l'IA inclut des tâches telles que l'apprentissage, le raisonnement, la planification, la perception, la compréhension du langage et la robotique. Ce qui importe, c'est que ces technologies visent à réaliser par l'informatique des tâches cognitives réalisées traditionnellement par les êtres humains.

Ce qu'on appelle intelligence artificielle est donc plus aujourd'hui un prolongement de l'intelligence humaine qu'une forme autonome d'intelligence. C'est pourquoi Charles-Édouard Bouée, PDG du cabinet Roland Berger, préfère parler d'intelligence humaine augmentée plutôt que d'intelligence artificielle.

Pourtant, dans l'imaginaire collectif, l'IA est vue comme une machine aussi intelligente que l'être humain, voire plus, qui a conscience d'elle-même et qui est capable de faire des choix en toute autonomie. Cette image est fortement véhiculée par la science-fiction, tant dans la littérature qu'au cinéma, avec des créatures cauchemardesques à forme humaine allant de Frankenstein à Terminator.

C'est particulièrement le cas en Europe, où les mentalités abordent aujourd'hui moins favorablement les machines et le progrès technique que ne le font l'Asie et, dans une moindre mesure, l'Amérique. Cette crainte vis-à-vis de l'intelligence artificielle trouve son fondement dans la culture judéo-chrétienne et dans le schéma oedipien. On peut la résumer à gros traits de la manière suivante : en inventant une machine capable d'intelligence (assimilée à de l'autonomie de pensée et d'action), l'homme se rapproche de Dieu et l'imite ; de créé, il devient créateur. Mais comme lui-même s'est émancipé de son créateur, il craint l'émancipation de sa créature et le fait qu'elle lui échappe pour, à terme, le remplacer.

Cette dimension, même si elle est très éloignée de la réalité actuelle de l'IA, est toutefois très présente dans le débat public. Elle participe aux attentes éthiques du développement de l'intelligence artificielle. Toutefois, un certain nombre de chercheurs auditionnés par vos rapporteurs, dont Jean-Gabriel Ganascia, le président du comité d'éthique du CNRS, redoutent qu'elle empêche de se poser les vraies questions éthiques que soulève l'IA. Deux exemples l'illustrent.

Le premier présente l'avènement de l'IA comme la fin du travail. Puisque les machines ont des capacités supérieures aux nôtres, elles vont pouvoir effectuer le travail de la majorité de la population, qui y perdra ses emplois et le chômage explosera. Cette idée de la substitution de l'homme par la machine dans le travail relève plus du fantasme que de la réalité observée. En revanche, on sait que la présence d'intelligence artificielle va transformer le travail et les emplois, en détruire certains et en créer d'autres ; l'homme devra apprendre à travailler avec ce nouveau type de machines. Comment ? Dans quelle mesure ? Dans quelles limites ? Voilà les questions qui devraient davantage mobiliser l'opinion publique.

Le second exemple concerne les armes autonomes. Il convient, bien entendu, de rester prudent sur cette question. On peut toutefois rappeler que toute nouvelle avancée technologique rencontre une application dans le secteur de la défense. Les armes d'aujourd'hui sont hypersophistiquées. Elles le sont chaque jour un peu plus et les machines occupent une part de plus en plus grande dans l'action militaire, à l'image des drones. Toutefois, comme l'a fait remarquer M. Ganascia à vos rapporteurs, la notion d'autonomie est à l'opposé des fondements de l'organisation militaire qui repose sur l'ordre, la hiérarchie et l'obéissance. Pas plus qu'il ne peut y avoir de soldat autonome, il ne peut y avoir d'arme autonome qui déciderait seule de son action.


* 1 Rapport au Premier ministre sur la stratégie nationale pour l'intelligence artificielle rendu public le 28 mars 2018 et intitulé « Donner un sens à l'intelligence artificielle, pour une stratégie nationale et européenne » .

* 2 Pour une approche plus exhaustive, on consultera le rapport de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques du 15 mars 2017, Rapport n°464 2016-2017, de M. Claude de Ganay, député, et Mme Domnique Gillot, Sénatrice, intitulé « Pour une intelligence artificielle maîtrisée, utile et démystifiée » .

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page