LES CONCLUSIONS DE LA TABLE RONDE
SUR LA COMPÉTITIVITÉ DES PORTS MARITIMES

Après avoir rappelé l'importance de l'économie portuaire en France , qui représente près de 180 000 emplois directs et indirects et 15 milliards d'euros de richesses produites annuellement, les interventions des différents acteurs de la table ronde ont permis d'évoquer les questions de compétitivité , de gouvernance et de logistique et de rappeler la nécessité de préparer les ports français au retrait du Royaume-Uni de l'Union .

À défaut de mise en oeuvre de mesures concrètes portant sur la gestion des voies de circulation, l'adaptation des infrastructures portuaires et l'affectation des personnels nécessaires au rétablissement au contrôle douaniers, sanitaires et phytosanitaires, c'est l'ensemble de l'économie portuaire française qui pourrait être durablement déstabilisée voire affaiblie .

Si vos rapporteurs Hervé Maurey et Michel Vaspart saluent les annonces récentes concernant l'attribution de 65 millions d'euros pour l'adaptation des infrastructures portuaires françaises sur les fonds restants du mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE) prévus pour la période 2014-2020, ils rappellent que l'État devra mobiliser les fonds complémentaires pour mener à bien ces projets .

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable demeurera attentive à la réorganisation des réseaux transeuropéens de transports (RTE-T) à horizon 2021 et à la discussion sur le MIE pour la période 2021-2027 afin de renforcer la place des ports français dans les échanges mondiaux.

À l'occasion du comité interministériel de la mer (CIMer) de novembre dernier, qui s'est tenu à Dunkerque, le Gouvernement a, par la voix du Premier ministre, annoncé 82 mesures relatives à des domaines variés tels que le modèle économique des ports, le développement des filières maritimes, notamment dans les Outre-Mer, le « Brexit », la politique européenne des transports et la protection des espaces et de l'environnement marins.

À l'heure actuelle, vos rapporteurs relèvent que la compétitivité et l'attractivité de la place portuaire française ne sont pas encore à la hauteur des attentes qui ont inspiré ces réformes . Ils soulignent que les ports français sont confrontés à des enjeux tels qu'une refonte de la stratégie nationale portuaire s'impose. Dans ce contexte, ils se félicitent que le Premier ministre ait chargé la ministre des transports de mener ce travail à l'issue du CIMer 2018.

En outre, plusieurs mesures récentes ou en voie de définition visent à stabiliser la fiscalité portuaire et accompagner la transition écologique du transport maritime . C'est notamment le cas du dispositif désormais inscrit à l'article 56 de la loi de finances pour 2019 et de l'article 70 du projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, actuellement discuté au Parlement.

Vos rapporteurs soulignent que le projet de loi d'orientation des mobilités , que le Sénat devrait examiner en mars prochain et sur lequel la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a désigné notre collègue Didier Mandelli, rapporteur, permettra au Parlement de contribuer à la modernisation des ports maritimes et à une meilleure articulation des interfaces portuaires avec les différents systèmes de transports nationaux (rail, fleuve, route).

Au-delà, vos rapporteurs rappellent la nécessité de favoriser le dialogue entre les opérateurs publics et privés pour que l'ensemble des acteurs de l'économie portuaire parviennent collectivement à rehausser la compétitivité des ports français.

I. BREXIT : RISQUES ET INCERTITUDES POUR LES PORTS MARITIMES

À l'heure actuelle, les exportations vers le Royaume-Uni représentent 3 % du PIB français . Environ 30 000 entreprises françaises y exportent des marchandises ou des services et 4 millions de Britanniques se rendent sur notre territoire chaque année.

Aussi, le premier sujet abordé au cours de la table ronde de votre commission concerne les conséquences du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne 4 ( * ) pour les ports maritimes français.

Vos rapporteurs relèvent que celles-ci sont principalement de deux ordres : d'une part, le « Brexit » impose une réorganisation des liaisons maritimes entre la partie continentale de l'Union européenne et le Royaume-Uni , notamment pour traiter le cas de l'Irlande ; d'autre part, la menace grandissante d'un « hard Brexit », c'est-à-dire une sortie du Royaume-Uni de l'Union sans accord préalable de coopération, fait peser un risque opérationnel fort sur la continuité des échanges commerciaux entre l'Union européenne et l'archipel britannique , à compter du 30 mars 2019, qu'il convient de maîtriser.

A. LES CONSÉQUENCES DU « BREXIT » SUR L'ORGANISATION DES TRANSPORTS MARITIMES EN EUROPE

Le Sénat a déjà eu l'occasion de travailler sur les questions financières, juridiques et d'organisation que pose le « Brexit » au cours des derniers mois 5 ( * ) et le Premier ministre a eu l'occasion d'évoquer ces enjeux, s'agissant de l'économie maritime et portuaire, dans son discours prononcé à Dunkerque, le 15 novembre dernier, au Comité interministériel de la Mer (CIMer) 6 ( * ) .

Aux termes de l' article 170 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), l'Union européenne doit contribuer à « l'établissement et au développement des réseaux transeuropéens dans les secteurs des infrastructures de transport, des télécommunications et de l'énergie ».

Or, ainsi que vos rapporteurs l'ont déjà exprimé devant votre commission, le Brexit constitue un facteur de déstabilisation majeure pour l'organisation des liaisons maritimes au sein de l'espace européen .

Ainsi, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2019, votre rapporteur pour avis sur les crédits des affaires maritimes et portuaires Michel Vaspart avait fait état de la nécessité de réviser les instruments juridiques et financiers européens relatifs à l'organisation du transport maritime .

Cette révision concernerait d'une part, le règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 sur les orientations de l'Union européenne pour le développement du réseau transeuropéen de transport, dit règlement RTE-T 7 ( * ) et, d'autre part, le volet financier de ce réseau, régi par le mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE) 8 ( * ) . Pour la période (2014-2020), le cadre financier pluriannuel européen prévoyait plus de 25 milliards d'euros pour le mécanisme pour l'interconnexion en Europe, dont la France a bénéficié de façon importante. Pour le futur cadre financier pluriannuel (2021-2027), le scénario de la Commission européenne présenté en juin 2018 9 ( * ) prévoit de doter le MIE à hauteur de 30,61 milliards d'euros.

Enfin, les conséquences du Brexit devront également être tirées dans le cadre des « autoroutes de la mer », qui renvoient à l'établissement d'un espace européen de transport maritime relié aux autres réseaux de transports de l'Union.

En réaction à la publication, par la Commission européenne, d'une proposition de règlement 10 ( * ) modifiant le règlement MIE au bénéfice des ports belges et hollandais , la commission des affaires européennes du Sénat a adopté un rapport d'information en novembre dernier, intitulé Quelles liaisons maritimes entre l'Union européenne et l'Irlande après le Brexit ? 11 ( * ) , jugeant la modification visée par ce projet de règlement « dépourvue de justification, concrétisée par un dispositif inadéquat ».

Nos collègues Pascal Allizard, Didier Marie et Jean-François Rapin soulignaient en outre que « relevant par nature de politiques à long terme, le fonctionnement des programmes associés aux divers corridors et aux autoroutes de la mer est donc étranger à tout ajustement décidé en urgence pour une période brève ».

Dans ce contexte, une proposition de résolution européenne a été déposée par la commission des affaires européennes du Sénat, en novembre, en application de l'article 73 quater du Règlement, pour demander le retrait de ce texte publié en août dernier 12 ( * ) . Vos rapporteurs relèvent que l'Assemblée nationale a effectué une démarche comparable en décembre dernier 13 ( * ) .

Cette proposition de résolution, unanimement saluée par les membres de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, est devenue résolution du Sénat le 7 janvier 2019 14 ( * ) .

À cet égard, vos rapporteurs relèvent que, le 30 janvier dernier, le Comité des représentants permanents du Conseil (Coreper) a adopté une position commune visant à modifier la proposition de la Commission , en particulier concernant la sélection des ports qui devront assurer la liaison entre l'UE à 27 et l'Irlande dans le corridor du réseau central « mer du Nord - Méditerranée ». Ce mandat mentionne également les investissements à des fins de sécurité et de contrôle aux frontières parmi les investissements qui seraient susceptibles d'être soutenus dans le cadre du cycle de programmation restant du MIE.

Vos rapporteurs attirent également l'attention du Gouvernement sur une nécessaire révision des notions de réseau central et de réseau global , qui pourrait être effectuée dans le cadre de la modification du règlement relatif au RTE-T (avancée à 2021, selon le Gouvernement), afin de tirer toutes les conséquences du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne s'agissant des ports maritimes français. Il conviendra, en particulier, de veiller à consolider la présence des ports français au sein du réseau central et de préserver l'éligibilité à un financement par le MIE des investissements prioritaires pour le développement des ports français du réseau global .

Au-delà, les membres de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ont insisté sur la nécessité, pour les autorités françaises, d'être pleinement mobilisées au sein des instances de l'Union européenne pour faire valoir les positions françaises.


* 4 Après le vote des Britanniques en faveur d'un retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne (à près de 52 % des suffrages exprimés), le 24 juin 2016, le gouvernement britannique a activé la procédure de l'article 50 du traité sur l'Union européenne (TUE) relatif à la clause de retrait le 29 mars 2017 par une notification au Conseil européen. Dès lors, en l'absence d'accord, le droit primaire et dérivé de l'Union cessera de s'appliquer au Royaume-Uni, au plus tard le 29 mars 2019, faisant de cet État un pays tiers.

* 5 Voir notamment le rapport n° 92 (2018-2019) de Ladislas Poniatowski, fait au nom de la commission spéciale, déposé le 30 octobre 2018, sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de préparation du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne.

* 6 https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2018/11/discours_de_m._edouard_philippe_premier_ministre_-_comite_interministeriel_de_la_mer_-_15.11.2018.pdf.

* 7 Règlement (UE) n° 1315/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 sur les orientations de l'Union pour le développement du réseau transeuropéen de transport et abrogeant la décision n° 661/2010/UE Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE.

* 8 Règlement (UE) n° 1316/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 établissant le mécanisme pour l'interconnexion en Europe, modifiant le règlement (UE) n° 913/2010 et abrogeant les règlements (CE) n° 680/2007 et (CE) n° 67/2010 Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE.

* 9 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le mécanisme pour l'interconnexion en Europe et abrogeant les règlements (UE) n° 1316/2013 et (UE) n° 283/201, du 6 juin 2018 (COM [2018] 438).

* 10 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1316/2013 en ce qui concerne le retrait du Royaume-Uni de l'Union (COM(2018)0568 - C8-0385/2018 - 2018/0299(COD)). Ce texte est examiné par la commission des transports et du tourisme du Parlement européen et devrait être examiné le 19 février en séance plénière. Le comité des régions de même que de nombreux députés européens se sont mobilisés pour infléchir ce projet.

* 11 Rapport n° 171 (2018-2019) fait au nom de la commission des affaires européennes sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1316/2013 en ce qui concerne le retrait du Royaume-Uni de l'Union, COM (2018) 568 final, déposé le 30 novembre 2018.

* 12 Proposition de résolution n° 172 (2018-2019) de MM. Pascal Allizard, Didier Marie et Jean-François Rapin, au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1316/2013 en ce qui concerne le retrait du Royaume-Uni de l'Union, COM (2018) 568 final.

* 13 Voir par exemple le rapport d'information n° 1484 (2018-2019) de MM. Jean-Pierre Pont et Pierre-Henri Dumont, députés, au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 6 décembre 2018 et la résolution européenne n° 222 (2018-2019) de l'Assemblée nationale relative aux corridors maritimes, adoptée le 31 janvier 2019.

* 14 Résolution n° 47 (2018-2019). Voir la communication de notre collègue Michel Vaspart : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20181217/devdur.html .

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