II. L'URGENCE D'UNE NOUVELLE STRATÉGIE PORTUAIRE

Le second thème abordé lors de la table ronde de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable concerne le modèle économique des grands ports maritimes (GPM) . Quel rôle doivent-ils jouer pour le développement et l'aménagement des territoires ? Plus de dix ans après la réforme portuaire, les ports maritimes français sont-ils à même de jouer un rôle de premier plan en Europe face à leurs puissants concurrents du Northern range ?

Alors que la Chine déploie une stratégie ambitieuse en matière portuaire avec les « routes de la soie » 19 ( * ) , qui témoigne d'ailleurs d'un profond changement de sa vision des relations internationales et de la place qu'elle entend occuper dans la géopolitique mondiale, la France doit pouvoir se positionner et s'intégrer dans ce processus, dans le respect de sa souveraineté et de ses engagements internationaux et sous réserve de réciprocité .

Dans une insertion au sein de son rapport public annuel de 2017 intitulée Le bilan de la réforme des grands ports maritimes : une mise en oeuvre inégale, des effets modestes, une attractivité insuffisante 20 ( * ) , la Cour des comptes rappelait les principaux objectifs de la loi de réforme portuaire de 2008 21 ( * ) , inspirée de principes issus d'un rapport de l'Inspection générale des finances de 2007 22 ( * ) . Cette réforme visait en particulier à :

- moderniser la gouvernance des grands ports maritimes à travers de nouvelles instances (directoire 23 ( * ) , conseil de surveillance 24 ( * ) , conseil de développement 25 ( * ) ) et un renforcement des règles de déontologie ;

- recentrer les GPM sur leurs activités régaliennes (sécurité, sûreté et police portuaire) et sur les fonctions d'aménageur du domaine portuaire ;

- simplifier et rationaliser l'organisation de la manutention portuaire en rendant aux opérateurs intégrés de terminaux la responsabilité des opérations de manutention 26 ( * ) ;

- organiser la coordination entre ports d'une même façade ou d'un même axe fluvial (conseils de coordination portuaire 27 ( * ) ).

Plus récemment, lors du CIMer 2018, le Premier ministre a rappelé l'objectif du Gouvernement de mettre en place, « dans les six mois qui viennent », une véritable stratégie nationale portuaire associant l'ensemble des acteurs de l'économie portuaire : cette stratégie « permettra, dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités , en prenant en compte les choix qui auront été faits par le Parlement, d'orienter les politiques d'investissement et de faire en sorte que nous ne soyons pas laissés sans direction commune dans cette compétition avec d'autres grands ports qui sont redoutablement bien organisés et capables de jouer de l'ensemble de la gamme des instruments publics dans les pays où ils sont situés ».

Les projets et intentions du Gouvernement actuel ne font cependant pas l'unanimité entre les différents acteurs de l'économie portuaire, particulièrement en matière de gouvernance.

A. LA PERFORMANCE DE LA CHAÎNE LOGISTIQUE : FACTEUR-CLÉ POUR LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET L'AMÉNAGEMENT DES TERRITOIRES

1. Un enjeu prioritaire pour le développement du système portuaire

Aux yeux de vos rapporteurs, l'amélioration de la chaîne logistique globale et de la desserte de l'hinterland français par le fer, le fleuve et la route demeurent des chantiers prioritaires car elles sont décisives pour assurer la compétitivité des ports.

En 2011, notre collègue Charles Revet rappelait à cet égard qu'« un convoi fluvial peut traiter 352 conteneurs entre Le Havre et Paris, contre 80 pour un train et 2 pour un poids lourds », dans son rapport intitulé Les ports français : de la réforme à la relance 28 ( * ) .

De même, dans son rapport intitulé Enjeux et perspectives de la décentralisation portuaire , établi pour le ministre délégué auprès du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche, notre ancienne collègue Odette Herviaux recommandait de « mener une politique ambitieuse de développement de l'activité ferroviaire » 29 ( * ) .

À cet égard, vos rapporteurs rappellent que le III de l'article 11 de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement 30 ( * ) avait fixé un objectif de doublement de la part de marché du fret non routier pour les acheminements à destination et en provenance des ports d'ici 2015 .

La Cour des comptes, dans son rapport de 2017 précité, note cependant que cet objectif n'a pas été atteint pour l'ensemble des 7 GPM métropolitains , sauf pour le cas du trafic des conteneurs pré et post-acheminés : « plus globalement, le développement de la multimodalité reste encore limité , notamment via le rail » et conclut « il conviendrait également que le ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer effectue des arbitrages clairs dans les investissements qu'il décide. [...] le potentiel du transport fluvial est sous-exploité alors qu'il apparaît fiable, sécurisé et compétitif » 31 ( * ) .

En outre, en octobre 2018, la Cour a rendu un référé sur la réalisation du terminal multimodal du Havre dans lequel elle relève que cette opération a été « lancée à la hâte sans analyse préalable et dans des conditions protégeant mal les intérêts publics. Elle a abouti à un bilan financier déséquilibré entre acteurs publics et privés. Si le terminal, après l'échec d'un premier démarrage en juin 2015, fonctionne désormais, il n'a pas encore trouvé son équilibre économique » 32 ( * ) .

Concernant le transport fluvial, le port du Havre apparaît en retrait (la part du transport fluvial dans la desserte portuaire s'élève à 8,3 %) par comparaison avec les ports de Rotterdam et d'Anvers (35 % de part du transport fluvial). La configuration initiale du port (Port 2000) n'aurait pas favorisé le développement du transport fluvial, nécessitant aujourd'hui la construction et la modification d'infrastructures pour relier le port directement à l'axe Seine. La réalisation d'une digue transversale (chatière) serait alors nécessaire pour un coût estimé à 125 millions d'euros. Or, ce projet visant à favoriser le développement du fluvial fait aujourd'hui débat en raison des résultats mitigés du terminal multimodal mis en place en 2015 33 ( * ) .

Interrogé sur le report du mode routier au mode ferroviaire, Hervé Martel a rappelé le coût inférieur du transport par camion par rapport au transport par train, qui « renvoie à la question des aides publiques et de la tarification du réseau ferroviaire en France. Si nous ne sommes pas compétitifs, il faut investir de l'argent public pour prendre en compte les externalités : les trains polluent moins ».

Le port de Dunkerque quant à lui expérimente la prise en charge du coût de manutention fluvial , en principe supporté par les opérateurs fluviaux, ce qui a eu pour effet d'augmenter fortement le trafic fluvial, certes avec un volume de conteneurs plus faible que dans d'autres GPM comme Marseille ou Le Havre.

2. Des investissements à mobiliser, des projets à concrétiser

L'État s'est engagé dans plusieurs opérations d'investissement portant sur les infrastructures des GPM , comme l'atteste le tableau ci-dessous. En outre, dans le cadre de la rénovation du réseau capillaire et dans une perspective d'accompagnement des collectivités territoriales et des acteurs économiques, la participation de l'État s'élève à 30 millions d'euros pour la période 2018-2020 34 ( * ) .

Port

Principales opérations en cours en 2018 (part État à engager)

Dunkerque

Terminal des Flandres (20M€)

Le Havre

Réhabilitation du terminal croisière (12 M€)

Modernisation des écluses Tancarville (15 M€) et François 1 er (13,3 M€)

Rouen

Amélioration des accès nautiques (23,5 M€ dans le CPER précédent + 50 M€)

Reconversion du site ex-Pétroplus (20 M€)

Aménagement de la plateforme logistique RVSL Amont (14,5 M€)

Nantes Saint-Nazaire

Hub logistique (2,9M€)

Restructuration du site industriel de Saint-Nazaire (3,4 M€)

La Rochelle

Poursuite de la modernisation du réseau ferroviaire portuaire (1M€)

Développement du terminal chef de baie (5 M€)

Bordeaux

Amélioration des accès nautiques (12M€)

Développement des filières industrielles (15,6M€)

Marseille

Aménagement du pôle Corde-Maghreb (7M€)

Comblement de la rotule sur la Darse 2 (8,58 M€)

Guadeloupe

Grand projet de port (6M€)

Martinique

Extension de la pointe des Grives (2,5M€)

Modernisation des terminaux (7,3M€)

Développement logistique et transition énergétiques (2M€)

Guyane

Modernisation des terre-pleins et de l'outillage (3,5M€)

La Réunion

Extension du port Est (3M€)

Source : DGITM.

Vos rapporteurs souhaitent attirer l'attention de votre commission sur différents projets d'infrastructures en cours dans ce domaine , en particulier sur le contournement ferroviaire de l'agglomération lyonnaise (CFAL), qui permettrait de ne pas fragiliser la compétitivité des régions du Sud de la France, dont le port de Marseille. Ce projet d'intérêt général a pour objectif de traiter le cas du noeud ferroviaire lyonnais (un maillage serré de voies ferré) pour favoriser la fluidité du trafic. À l'heure actuelle, dans le cadre du projet de liaison ferroviaire du Lyon-Turin, seul le barreau Nord dispose d'un tracé définitif et d'une déclaration d'utilité publique, les délais de réalisation du barreau Sud étant dès lors incertains. Si le CFAL a été considéré comme un équipement indispensable par le conseil d'orientation des infrastructures, sa réalisation est pour l'instant prévue pour être échelonnée sur le long-terme. Vos rapporteurs resteront vigilants sur ce dossier.

Autre sujet majeur, le Canal Seine-Nord Europe , qui doit permettre de relier le bassin de la Seine aux 20 000 kilomètres du réseau fluvial européen à grand gabarit, peut représenter un outil de développement économique important pour les ports de l'axe Seine et des Hauts-de-France. Il représente une offre de transport massifié qui devrait permettre de réaliser des économies d'échelle sur le transport des marchandises en France et donc de renforcer la compétitivité-prix du système logistique français .

Source : Société du Canal Seine-Nord Europe.

Au-delà, vos rapporteurs rappellent que l'ensemble de ces sujets ont vocation à être traités dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités (LOM), qui doit notamment clarifier la stratégie d'investissement de l'État dans les systèmes de transports pour les dix prochaines années .

L' article 36 de la LOM vise à ratifier l'ordonnance du 21 avril 2016 relative à la Société du Canal Seine-Nord Europe 35 ( * ) et à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance « afin de transformer cet établissement public national en établissement public local. Il s'agit notamment de modifier la gouvernance, de transférer le pilotage financier et opérationnel ainsi que la maîtrise des risques du projet aux collectivités territoriales », précise l'exposé des motifs du projet de loi.

L'objectif du Gouvernement, rappelé par Nicolas Trift lors de la table ronde, consiste à « conforter [la position des ports] dans les grands flux maritimes internationaux tout en les inscrivant dans la chaîne logistique de nos exportations ». Cette ambition est naturellement partagée par les membres de la commission.


* 19 Sur ce point, voir notamment le rapport d'information n° 520 (2017-2018) de nos collègues Pascal Allizard, Gisèle Jourda, Edouard Courtial et Jean-Noël Guérini, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur les nouvelles routes de la soie, déposé le 30 mai 2018.

* 20 https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/05-bilan-reforme-grands-ports-maritimes-Tome-2.pdf .

* 21 Voir le rapport n° 331 (2007-2008) de notre collègue Charles Revet, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 14 mai 2008.

* 22 Rapport sur la modernisation des ports autonomes, établi par Anne Bolliet, inspecteur général des finances, Michel Laffitte, inspecteur des finances, Claude Gressier et René Genevois, inspecteurs généraux des ponts et chaussées. Juillet 2007

* 23 Articles L. 5312-9 à L. 5312-10 du code des transports.

* 24 Articles L. 5312-7 à L. 5312-8-1 du code des transports.

* 25 Article L. 5312-11 du code des transports.

* 26 Article 9 de la loi n° 2008-660 du 4 juillet 2008.

* 27 Article L. 5312-12 du code des transports.

* 28 Rapport d'information n° 728 (2010-2011) de notre collègue Charles Revet, fait au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, déposé le 6 juillet 2011.

* 29 Rapport final établi par Odette Herviaux, sénatrice du Morbihan - juin 2014. Mission confiée par le Premier ministre.

* 30 Loi n° 2009-967 du 3 août 2009.

* 31 Cour des comptes, rapport précité p. 254.

* 32 Cour des comptes, référé n° S2018-2282, « Le terminal multimodal du Havre », 9 octobre 2018. La Cour énonce cinq recommandations destinées à assurer la pérennité du terminal et à tirer les leçons de ce projet pour la gouvernance des grands ports maritimes et la politique portuaire de l'État.

* 33 Les Échos, Claire Garnier, Le port du Havre peine toujours à développer le transport fluvial , 21 janvier 2019.

* 34 Entre 2015 et 2017, cette même participation s'élevait également à 30 millions d'euros.

* 35 Ordonnance n° 2016-489 du 21 avril 2016, prise sur le fondement de l'article 7 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

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