III. PASSEPORTS, GRADE, ÉQUIPEMENT : DES PRÉROGATIVES ATYPIQUES ET UN MANQUE DE DILIGENCES DANS LE SUIVI ET LE RETRAIT DES MOYENS ALLOUÉS

A. UNE NOMINATION ATYPIQUE COMME LIEUTENANT-COLONEL PAR « SAUT DE GRADES » ENTRE DEUX COMPOSANTES DE LA RÉSERVE OPÉRATIONNELLE DE LA GENDARMERIE NATIONALE

Nombre de représentants des forces de l'ordre ont été choqués d'apprendre qu' Alexandre Benalla pouvait se prévaloir, à 27 ans, d'un grade de lieutenant-colonel de réserve de la gendarmerie nationale . Votre commission s'est attachée à rechercher les conditions exactes et les motifs de cette nomination.

Après l'audition sous serment du Général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), le président de votre commission et vos rapporteurs ont obtenu communication de l'intégralité des dossiers administratifs de réserviste d'Alexandre Benalla et Vincent Crase puis adressé plusieurs questions écrites complémentaires à la DGGN.

Les positions statutaires d'Alexandre Benalla au sein de la gendarmerie nationale :
un « saut de grades » entre composantes de la réserve militaire

La réserve militaire a pour objet de renforcer les capacités des forces armées, dont elle constitue une composante essentielle. Elle comprend une réserve citoyenne (qui vise à entretenir l'esprit de défense et à maintenir le lien entre la nation et ses forces armées) et une réserve opérationnelle « de niveau 1 » (qui permet à la gendarmerie de renforcer l'action quotidienne de ses unités).

La réserve opérationnelle de niveau 1 se subdivise elle-même entre les réservistes de « sécurité publique » (environ 30 000) et les réservistes « spécialistes » (au nombre de 87 en octobre 2018). Conformément à l'article L. 4221-3 du code de la défense, ces spécialistes sont recrutés pour exercer des fonctions déterminées correspondant à une expérience ou qualification professionnelle civile, sans formation militaire spécifique.

Le grade du réserviste spécialiste est temporaire (il dure le temps de la mission correspondante) et n'emporte aucune prérogative de puissance publique, ni de commandement, ni - pour la gendarmerie nationale - le port d'insignes ou de tenue.

Alexandre Benalla a intégré la réserve opérationnelle « de sécurité publique » à l'issue d'une préparation militaire gendarmerie (PMG), le 25 juin 2009 , dans le département de l'Eure, où il a effectué pendant six ans comme gendarme-adjoint, au gré de ses convocations, un travail de sécurité publique générale. Entre 2009 et 2015, il a ainsi servi au total pendant 194 jours. Ayant donné satisfaction, il a été promu brigadier le 1 er décembre 2015.

Il a été radié à sa demande en novembre 2017, ayant intégré sous un autre statut, cette fois comme « spécialiste », la seconde branche de la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale. Il a obtenu cette intégration le 20 octobre 2017 au grade de lieutenant-colonel, à l'initiative du directeur général de la gendarmerie nationale 37 ( * ) , alors que les services instructeurs avaient, eux, envisagé un grade, inférieur, de commandant.

Son changement de grade en 2017 ne constitue ainsi pas, juridiquement, un « avancement » depuis sa position de brigadier, mais il consacre un nouveau statut dans une autre branche de la réserve opérationnelle.

L'utilité d'une telle nomination a été défendue par la gendarmerie nationale et par l'intéressé avec des justifications variables et qui demeurent peu convaincantes.

Selon les premiers éléments fournis par le Général Richard Lizurey, Alexandre Benalla aurait en effet été avant tout recruté pour ses qualités (« au titre de son expertise dans la sécurité des installations et des personnes ») et son profil atypique, dans l'optique de participer à un groupe de travail et de réflexion sur l'amélioration de la sécurité des emprises militaires de la gendarmerie.

Le Général Richard Lizurey a néanmoins également admis devant votre commission qu'un tel recrutement se justifiait en réalité moins pour des raisons de fond que pour des raisons d'affichage : l'octroi d'un grade militaire élevé était simplement le moyen de faire accepter un jeune chargé de mission de l'Élysée de 27 ans à la table des haut gradés qu'il allait être amené à fréquenter. Ainsi, selon lui : « [...] dans le monde militaire quand on discute avec des gens, souvent le premier réflexe c'est de regarder le code-barres. On regarde le code-barres, on regarde ce qu'il y a sur les épaulettes. [...] Il me paraissait donc important, pour que cette réflexion soit intelligente, que je le positionne à un niveau où les gens l'écouteraient ».

Vos rapporteurs apprécient la franchise des explications du directeur général de la gendarmerie nationale qui assume, sans se défausser, une décision personnelle tant dans le choix de la nomination d'Alexandre Benalla que dans celui du grade attribué. Ils prennent aussi note des déclarations d'Alexandre Benalla, qui demeure persuadé que ses diplômes (Master 1), son parcours (dans les métiers de la sécurité) et son poste (à l'Élysée) le qualifiaient pleinement pour ce grade d'officier supérieur.

Néanmoins, vos rapporteurs ne sont pas convaincus de la pertinence de cette nomination comme spécialiste à un grade aussi élevé au regard de la jeunesse d'Alexandre Benalla (benjamin, à 27 ans, des officiers supérieurs), de la nature et du niveau de ses titres universitaires et, surtout, de sa courte expérience professionnelle.

Cette nomination souffre ainsi particulièrement de la comparaison avec les profils habituellement intégrés comme officiers supérieurs à la réserve opérationnelle en tant que spécialistes. Selon les informations transmises par la DGGN, le vivier de la réserve opérationnelle des « spécialistes » de la gendarmerie nationale est particulièrement resserré : on ne compte actuellement que 87 personnes sous contrat à ce titre (17 au grade de commandant ou chef d'escadron et seulement 10 au grade de lieutenant-colonel). Les profils recherchés sont titulaires de compétences techniques rares ou pointues ou de diplômes universitaires ou d'études supérieures - juristes, psychologues, experts en sécurité, en intelligence économique, en hautes technologies, ingénieurs en informatique, en travaux cartographiques...

En outre, concernant la procédure de nomination, votre commission note que, sollicité par le Général Richard Lizurey pour mener une étude statutaire préalable en vue de l'intégration d'Alexandre Benalla comme spécialiste, le commandement des réserves de la gendarmerie nationale relevait que ce dernier n'aurait normalement pas atteint le grade de capitaine avant 2025 au plus tôt, dans la réserve « de sécurité publique » ; ce même service n'envisageait pour sa part l'éventualité d'une nomination comme spécialiste qu'au grade, inférieur, de commandant . C'est le Général Richard Lizurey en personne, comme il l'a indiqué devant votre commission, qui a souhaité « aller encore au-delà » de ce grade, considérant en effet que seul le grade de lieutenant-colonel « permettait [à Alexandre Benalla] d'être vu comme un pair par les membres de ce groupe de travail de haut niveau. »

Il est enfin à noter qu'Alexandre Benalla a admis lui-même n'avoir finalement quasiment jamais participé aux travaux du groupe de réflexion pour lesquels il était si important de le doter du grade de lieutenant-colonel...

Hiérarchie simplifiée des

grades de la gendarmerie nationale

Année d'intégration
ou de promotion au grade
d'Alexandre Benalla

Officiers supérieurs

Colonel

Lieutenant-colonel

2017

Chef d'escadron / commandant

?

Officiers subalternes

Capitaine

Lieutenant

Sous-lieutenant

Aspirant

Sous-officiers supérieurs

Major

Adjudant-chef

Adjudant

Sous-officiers subalternes

Maréchal des logis-chef

Gendarme

Militaires du rang

Maréchal des logis

Brigadier-chef

Brigadier

2015

Gendarme adjoint

2009

Pour qu'une telle anomalie ne se reproduise plus, vos rapporteurs estiment nécessaire que la gendarmerie nationale renforce la transparence de ses recrutements et la rigueur des règles de sélection dans la composante « spécialiste » de sa réserve (référentiel de compétences techniques ou théoriques recherchées, niveau élevé de formations ou d'expériences professionnelles nécessaires pour postuler, vérification et appréciation préalable par un jury pour préparer et appuyer la décision du directeur général).


* 37 Le grade attaché à l'exercice de cette fonction de spécialiste dans la réserve opérationnelle est conféré par arrêté du ministre de l'intérieur pour les réservistes de la gendarmerie nationale (article L. 4221-3 du code de la défense), le directeur général de la gendarmerie nationale exerçant une délégation à cet effet.

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