II. UN EXCÉDENT COMMERCIAL AGRICOLE EN VOIE DE DISPARITION

A. UN EXCÉDENT AGRICOLE OU UN EXCÉDENT VITIVINICOLE ?

Historiquement, le meilleur indicateur de la puissance agricole française résidait dans sa performance à l'exportation, mesurée par un excédent commercial agricole significatif.

Ne se targue-t-on pas avec un certain chauvinisme que l'agriculture représente le troisième excédent commercial français après l'aéronautique et les parfums-cosmétiques ?

Une précision doit toutefois être apportée : sans le vin et les spiritueux, la France aurait un déficit commercial agricole de plus de 6 milliards d'euros. Il conviendrait davantage de parler du secteur vitivinicole et des spiritueux comme source du troisième excédent commercial français .

Quatre filières tirent toutefois leur épingle du jeu et maintiennent d'importants excédents commerciaux : les céréales, notamment le blé et l'orge (+ 4 Md€), les produits laitiers (+ 3,8 Md€), l'exportation de bovins, ovins ou de volailles vivants (1,6 Md€) et les sucres (+ 0,6 Md€).

B. VERS LA FIN DE L'EXCÉDENT AGRICOLE ?

L'excédent agricole français tend même à disparaître. Il a ainsi été divisé par deux entre 2011 et 2017 en euros courants , ce qui constitue un recul historique, d'autant plus préoccupant que la tendance semble structurelle.

À ce rythme de décroissance, la France constatera son premier déficit agricole en 2023.

D'où vient ce changement historique ? La diminution de l'excédent est principalement due à la dynamique des échanges intra-européens . En 2018, seuls les échanges avec les pays tiers contribuent à l'excédent commercial 8 ( * ) , grâce à la vitalité des produits de terroir et des produits de seconde transformation. Il en résulte que la France est probablement d'ores et déjà devenue déficitaire avec les pays européens.

Source : Vincent Chatelier, INRA, SMART-LERECO, d'après Douanes françaises

Pour la direction générale du Trésor 9 ( * ) , 70 % de l'érosion de l'excédent s'explique par un effet compétitivité négatif qui peut s'expliquer par :

i. Des charges plus élevées

L'agriculture et l'industrie agro-alimentaire sont confrontées à un dumping social très important organisé par leurs principaux concurrents européens dans le but de rogner leurs parts de marché.

En maraîchage par exemple, le coût horaire du travail en France est respectivement 1,7 et 1,5 fois plus élevé qu'en Espagne et qu'en Allemagne, participant de la dégradation du solde commercial en fruits et légumes frais avec ces pays 10 ( * ) . C'est pourquoi la suppression proposée du régime pour les travailleurs occasionnels et les demandeurs d'emplois (dit « TO-DE ») était une erreur stratégique que le Sénat a refusé de cautionner lors des débats sur la loi de finances pour 2019.

Il a obtenu gain de cause puisque le régime a été, en grande partie, maintenu, mais seulement de manière temporaire 11 ( * ) . Autre exemple : dans les ateliers de découpe, les différences de coût salarial peuvent représenter jusqu'à dix centimes d'euros par kilo de porc entre la France et l'Allemagne 12 ( * ) , pénalisant bien sûr les productions nationales 13 ( * ) .

Et ces écarts salariaux continuent d'augmenter. Le coût horaire français a augmenté de 58 % entre 2000 et 2017, presque deux fois plus rapidement qu'en Allemagne 14 ( * ) .

À cet écart des coûts salariaux s'ajoute, depuis 2017, une inflation particulièrement élevée en France des coûts de production des agriculteurs, principalement les coûts de l'alimentation animale, des engrais, des produits phytopharmaceutiques et de l'énergie. Elle est comprise entre 4 et 7 % entre 2016 et 2019 15 ( * ) selon les filières. Et cette hausse devrait se poursuivre compte tenu des incertitudes sur le prix de l'énergie et des effets de la loi Égalim sur le prix des intrants.

Trois mesures de cette loi ont en effet pour ambition de créer un différentiel prix entre les produits phytopharmaceutiques et les produits de biocontrôle ou autorisés dans l'agriculture biologique qui ne seraient pas concernés par celles-ci : l'interdiction des remises, rabais et ristournes sur les produits phytopharmaceutiques, l'avancée des sanctions en cas de non-atteinte des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP) et la séparation des activités de ventes et de conseil pour de tels produits.

ii. Une tendance à la sur-réglementation

La perte de compétitivité provient également d'une tendance à la « sur-réglementation », qui se manifeste en France par des surtranspositions que ne réalisent pas d'autres pays européens. D'après l'OCDE, le degré d'exigence des politiques environnementales était bien supérieur en France que dans la moyenne des autres pays. Nul doute que cette tendance s'est encore accentuée 16 ( * ) .

iii. Des fragilités structurelles

Le déficit de compétitivité s'explique en outre par la fragilité de l'industrie agro-alimentaire , révélée par plusieurs indicateurs : un recul du taux de marge sur longue période et une baisse tendancielle du taux d'autofinancement depuis 2009 réduisant les investissements. La faible structuration de certaines filières contribue enfin à freiner la compétitivité hors-prix des produits français. La très forte atomisation des acteurs agricoles entrave en effet l'investissement mais aussi la constitution d'une stratégie efficace de conquête des marchés internationaux.

iv. Certains choix de spécialisation, portés vers l'alimentation haut de gamme, dont les possibilités de pénétration sur les marchés internationaux sont limitées . Les stratégies de compétitivité consistant à associer qualité et origine géographique sont, en réalité, peu lisibles sur les marchés à l'exportation 17 ( * ) .


* 8 Agreste, Bilan conjoncturel 2018.

* 9 Trésor-éco, « Comment expliquer la réduction de l'excédent commercial agricole et agro-alimentaire ? », n° 230, O. Touze, F. Dauba & X. Ory, Octobre 2018.

* 10 Rapport de l'IGAS et du CGAAER, « Réalité des écarts de compétitivité dans les secteurs agricole et agroalimentaire », août 2015.

* 11 Pour deux ans.

* 12 Ce gap de compétitivité tendant toutefois à être réduit par la révision de la directive relative au détachement de travailleurs dans l'Union Européenne, adoptée le 29 mai 2018, obligeant les États membres à appliquer notamment les taux de salaire minimal du pays d'accueil aux travailleurs détachés.

* 13 Rapport n° 216 (2015-2016) de M. Daniel Gremillet au nom de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi de M. Jean-Claude Carle et plusieurs de ses collègues en faveur de la compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire.

* 14 Trésor-éco, « Comment expliquer la réduction de l'excédent commercial agricole et agro-alimentaire ? », n° 230, O. Touze, F. Dauba & X. Ory, Octobre 2018.

* 15 Selon l'indice « Coûts de production » (indice des prix d'achat des moyens de production agricole, Igampa) du Service de la statistique et de la prospective.

* 16 Indicateur EPS calculé par l'OCDE pour l'année 2012 (dernière année disponible).

* 17 Note CAE, n° 27, décembre 2015, L'agriculture française à l'heure des choix (JC. Bureau, L. Fontagné, S. Jean).

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