B. LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, DÉSORMAIS PROCÉDURE PRIVILÉGIÉE DE VOTE DE LA LOI

Votre rapporteure ne peut que constater depuis plusieurs années un recours accru à la procédure accélérée , au point de devenir aujourd'hui le mode privilégié du vote de la loi. Ainsi, sur les 41 lois votées lors de la session parlementaire 2017-2018 hors conventions internationales, 34 3 ( * ) l'ont été selon cette procédure prévue au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution . Ce sont près de 83 % des lois qui ont été adoptées selon cette procédure - 81% si on exclut celles dont le recours à la procédure accélérée est de droit. Cette proportion est en augmentation par rapport à la session précédente au cours de laquelle 70% des textes hors conventions internationales et procédure accélérée de droit avaient été votés selon cette procédure.

Pour les projets de loi, le Gouvernement n'a renoncé à cette procédure que pour la seule loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

En ce qui concerne les propositions de loi, le recours à la procédure accélérée est moindre, avec un taux de 50%, mais reste néanmoins élevée.

Votre rapporteure constate logiquement une diminution constante du délai moyen de vote des lois. Celui-ci était de 245 jours lors de la session 2015-2016 ; 196 jours lors de la session 2016-2017. Pour la session 2017-2018, il est de 177 jours. En trois ans, le délai moyen de vote d'une loi a donc diminué de 2 mois et 8 jours .

Dans ces conditions, le Sénat est d'autant plus attaché à une prise rapide des décrets d'application de ces lois, et notamment dans la limite temporelle de six mois fixé par la circulaire du Premier ministre du 29 février 2008 relative à l'application des lois.

C. UN TAUX D'APPLICATION DES LOIS GLOBALEMENT ÉLEVÉ, MAIS MASQUANT DES DIFFÉRENCES IMPORTANTES SELON LES LOIS

Rappel méthodologique du suivi de l'application des lois par le Sénat

Le calcul du taux d'application des lois est obtenu en faisant le ratio entre le nombre de mesures attendues prises et le nombre total de mesures attendues. Ainsi, ne sont pas comptabilisés les textes réglementaires autonomes pris par le Premier ministre, en application de l'article 41 de la Constitution. Ne sont pas non plus pris en compte les articles d'une loi n'appelant pas de texte réglementaire d'application. Ainsi, une loi composée de 10 articles, dont 9 ne nécessitant pas de texte réglementaire d'application, et un article appelant un décret non pris sera considéré comme non mise en application et aura un taux d'application égal à 0% (0 mesure prise sur 1 attendue).

Les lois sont classées en quatre catégories :

- Les lois d'application directe pour lesquelles aucune mesure d'application n'est attendue. Elles ne sont donc pas incluses dans le calcul du taux d'application des lois

- Les lois applicables , pour lesquelles l'ensemble des textes d'application ont été pris

- Les lois partiellement mises en application, pour lesquelles seules certaines des mesures attendues ont été prises.

- Les lois non mises en application , pour lesquelles aucune des mesures attendues n'a été prise. Il est toutefois important de rappeler que les dispositions législatives ne nécessitant pas de textes d'application et entrées en vigueur s'appliquent.

Chaque commission permanente est chargée du suivi des textes relevant de sa compétence, à partir d'un examen exhaustif du Journal officiel et des échanges avec les services concernés des administrations. Pour les commissions spéciales, les articles de la loi sont répartis entre les différentes commissions.

Le taux est calculé au 31 mars de l'année n+1. Cette date correspond au délai de six mois après la fin de la session parlementaire (30 septembre de l'année n) sur laquelle porte le bilan. En application de la circulaire du Premier ministre du 29 février 2008 relative à l'application des lois, le Gouvernement s'est en effet fixé le principe d'une prise des textes d'application dans un délai de six mois après la promulgation de la loi.

Le taux calculé par le Sénat peut diverger de celui calculé par le Gouvernement pour des raisons politiques (le Sénat considère qu'un décret pris ne respecte pas la volonté du législateur, et donc que la mesure attendue n'est pas prise) et technique (le secrétariat général du Gouvernement ne suit pas les arrêtés). Enfin, le Sénat intègre immédiatement dans son taux les mesures attendues pour des articles dont l'entrée en vigueur est différée , à la différence du Gouvernement.

Sur les 41 lois adoptées hors conventions internationales lors de la session 2017-2018, 13 ne nécessitent pas de textes d'application et n'entrent donc pas dans le champ d'étude de ce bilan annuel.

Sur les 28 lois nécessitant des textes d'application , 11 ont vu l'ensemble des textes d'application pris, et ceci dans un délai en moyenne rapide : 3 mois et 14 jours.

Votre rapporteure se félicite qu'aucune des 17 lois partiellement mises en application n'a un taux inférieur à 10 % et que seules deux d'entre elles ont un taux inférieur à 50 %. En outre, pour 6 lois, seul un ou deux décrets manquent pour une application totale. Le taux global d'application des lois est de 78 % . Il est de 86 % si les 60 mesures prévues par des articles dont l'entrée en vigueur est différée sont exclus 4 ( * ) .

Mais il masque des différences importantes. Ainsi, le taux d'application des lois suivies par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable n'est que de 60%.

État d'application des lois votées* lors de la session 2017-2018 au 31 mars 2019

Taux

d'application

< 10%

10%<x<50%

50%<x<90%

90%<x<100%

100%

Nombre de lois

0

2

11

4

11

* lois nécessitant un ou plusieurs textes d'application

Ces taux sont toutefois à prendre avec un certain recul. En effet, ils témoignent d'un suivi uniquement quantitatif de l'application de la loi . Une loi avec un taux d'application proche de 100% peut dans les faits voir sa mise en application fortement impactée par les décrets manquants portent sur le coeur même de la loi. Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques le résume par ces mots : « pour autant, on ne doit pas automatiquement en déduire une bonne applicabilité de ces lois. Car il y a décret et décret. Parfois un seul manque... et c'est tout un pan de la loi qui n'est pas applicable » 5 ( * ) . Ce propos est d'ailleurs illustré par l'absence des textes d'application de l'indemnisation du chômage des salariés démissionnaires et des travailleurs, indépendants « mesure très forte et très symbolique » de la loi relative à la liberté de choisir son avenir professionnel. Comme le souligne M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, ces mesures « ne sont toujours pas applicables faute de textes règlementaires, malgré une communication qui a pu induire certaines personnes en erreur » 6 ( * ) .

Au contraire, une loi avec un taux d'application plus faible peut avoir une portée normative effective importante si les « mesures phares » ne nécessitent pas de décrets d'application ou si ces derniers ont été pris.

De même, une augmentation du taux d'application d'une loi ne signifie pas forcément que les textes d'application ont été pris. Il peut s'agir également d'une abrogation des articles législatifs appelant ces mesures . Tel est le cas mis en avant par la commission des affaires économiques de la loi pour l'accès au logement et à un urbanisme rénové, dite « ALUR » : les dix-sept mesures d'application de la garantie universelle des loyers sont devenues sans objet, en raison de l'abrogation de cette garantie par l'article 154 de la loi dite « ELAN », avant même que les textes d'application aient été pris. Si le secrétaire général du Gouvernement a justifié cette abrogation par une volonté politique suite à un changement de gouvernement - la loi ALUR ayant été votée lors de la législature précédente -, des dispositions votées lors de cette législature et jamais mis en oeuvre font déjà l'objet de modifications . C'est ce que déplore M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, sur la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, promulguée en septembre 2018 : « Certains dispositifs qui n'ont pas reçu de mesures d'application font l'objet de modifications dans le cadre du projet de loi Pacte et je ne peux que regretter ce processus de législation permanente » 7 ( * ) .

Enfin, ce taux d'application élevé pour les lois de la session 2017-2018 ne doit pas faire oublier l'absence de textes d'application de lois plus anciennes. Comme le souligne M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, « près de trois ans après leur promulgation, d'importantes lois ne sont toujours pas totalement applicables : il manque 12 % des mesures d'application prévues pour la loi du 20 juin 2016 pour l'économie bleue dont le rapporteur était Didier Mandelli, 18 % des mesures prévues pour la loi pour la reconquête de la biodiversité du 8 août 2016 dont le rapporteur était notre collègue Jérôme Bignon et 30 % des mesures prévues pour la loi du 28 décembre 2016 sur la montagne dont notre collègue Cyril Pellevat avait été rapporteur » 8 ( * ) .

Enfin, le taux d'application des propositions de lois est élevé : 92 %, témoignant de la même attention portée par les ministères à ces textes. Ce taux plus élevé que pour les projets de loi s'explique notamment par le fait que ces textes soient souvent moins sujet à une augmentation forte du nombre d'articles au cours de la navette parlementaire et donc de mesures à prendre. Comme l'indique M. Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement, « Dans les douzième et treizième législatures, le Parlement a adopté 34 000 et 31 000 amendements ; dans la quatorzième législature, 58 000. La loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer est ainsi passée de 15 à 116 articles à l'issue de l'examen parlementaire » 9 ( * ) .


* 3 Dont 4 lois où le recours à la procédure accélérée est de droit : loi de finances pour 2018, les deux lois de finances rectificatives de 2017 et la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018.

* 4 Notamment 6 mesures prévues par la loi pour un nouveau pacte ferroviaire, 19 mesures prévues par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, 20 mesures prévues par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 et 6 mesures prévues par la loi de finances pour 2018.

* 5 Compte-rendu de la réunion de la commission des affaires économiques du 15 mai 2019.

* 6 Compte-rendu de la réunion de la commission des affaires sociales du 10 avril 2019.

* 7 Compte-rendu de la réunion de la commission des affaires sociales du 10 avril 2019.

* 8 Compte-rendu de la réunion de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du mercredi 15 mai 2019.

* 9 Compte-rendu de l'audition du secrétaire général du Gouvernement du 16 mai 2019.

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