EXAMEN EN DÉLÉGATION

Compte rendu de la réunion de la délégation aux collectivités territoriales, jeudi 16 mai 2019 : examen du rapport d'information de M. Antoine Lefèvre et Mme Patricia Schillinger « Mieux associer les élus municipaux à la gouvernance des intercommunalités : valoriser les bonnes pratiques ».

M. Jean-Marie Bockel, président . - Mes chers collègues, le rapport que vont nous présenter Antoine Lefèvre et Patricia Schillinger porte sur une question extrêmement sensible. Il révèle à la fois les difficultés de construction de certaines intercommunalités, où coexistent la volonté de se mettre ensemble et la pression des autorités préfectorales qui conduit souvent à la création de communautés considérées comme trop grandes. Dans certains cas, la volonté de regrouper un grand nombre de communes relève plutôt, comme au Pays Basque, d'un détournement de procédure...

Ces situations induisent fréquemment, comme je l'ai constaté au cours de ma longue expérience de président d'une agglomération urbaine, rurale et périurbaine, un risque de démotivation, au fil des années, des élus, voire de maires lorsque les exécutifs se sont resserrés. Je me suis efforcé d'être innovant en matière de gouvernance, avec l'adoption de chartes qui, sans être juridiquement obligatoires, imposaient moralement une conduite à tenir. Je me rappelle également avoir porté la création d'une conférence des maires, qui est devenue un élément-clé de la gouvernance, en permettant d'obtenir, sinon l'unanimité, du moins un consensus le plus large possible. Cependant, j'ai constaté que ces initiatives ne suffisaient pas, et certaines critiques m'ont fait comprendre que l'on pouvait certainement faire mieux. C'est dire si l'on attend beaucoup de vos travaux. Bien qu'innovants, ils sont inspirés par la recherche de bonnes pratiques plutôt que par l'ambition de révolutionner les textes.

M. Antoine Lefèvre. - Monsieur le Président, mes chers collègues, hasard du calendrier, je suis intervenu la semaine dernière en séance publique au nom de mon groupe sur la proposition de loi « tendant à renforcer les synergies entre les conseils municipaux et les conseils communautaires et entre les conseils municipaux et le conseil de la métropole de Lyon ». Ce texte a finalement été adopté à une large majorité le 9 mai dernier - certains d'entre vous étaient d'ailleurs présents lors des débats dans l'hémicycle.

Dans mon intervention, j'ai rappelé que le bon fonctionnement des EPCI nécessitait évidemment « une parfaite coordination entre les conseils municipaux et les conseils communautaires ». J'ai relevé à cet égard les propos opportuns du rapporteur de la commission des Lois, qui notait que cette « synergie » était d'une part « une condition de légitimité de l'action communautaire » et, d'autre part, le gage d'une « bonne administration locale », tant « les compétences communales et intercommunales sont étroitement imbriquées ».

Ce constat, nous avons nous aussi eu l'occasion de le formuler à la délégation, comme vous vous en souvenez, Monsieur le Président. Car le travail que nous avons entamé avec Patricia Schillinger sur la question de la place des élus municipaux dans la gouvernance des intercommunalités s'inscrit dans la continuité du rapport sur « Les conditions d'exercice des mandats locaux », qui avait suscité plus de 17 500 contributions des élus dans les territoires.

À cette occasion - et cela avait été bien relevé par Marie-Françoise Pérol-Dumont, Mathieu Darnaud et vous-même, cher Président -, nous avions perçu un sentiment d'inquiétude de la part des élus municipaux, qui résulte de l'orientation prise par la construction intercommunale depuis les lois Maptam et NOTRe.

Et il est vrai que, sur le terrain, de plus en plus de voix s'élèvent pour nous dire que « l'esprit n'y est plus ». Les élus municipaux ont le sentiment d'être pris dans de vastes ensembles, et peuvent parfois décrocher.

Sans surprise, la question de la gouvernance des EPCI revient tel un serpent de mer. Les élus municipaux communautaires, et a fortiori les élus non communautaires, estiment qu'ils ne sont pas toujours suffisamment ou correctement bien associés aux décisions de l'intercommunalité. Cette réalité a été confirmée par les résultats de la consultation que nous avons lancée le 27 mars dernier sur « la place des élus municipaux dans la gouvernance des intercommunalités » et que certains d'entre vous ont bien voulu relayer auprès des élus dans les territoires. Je tiens ici à vous en remercier, car nous avons obtenu près de 4 000 réponses en seulement trois semaines d'enquête !

Ceci témoigne de l'intérêt du sujet pour les élus locaux, mais aussi de l'intérêt pour notre délégation de continuer à utiliser cet outil de consultation, voulu par le Président du Sénat, qui nous permet de « prendre le pouls des territoires » sur un sujet local.

Mme Patricia Schillinger. - Monsieur le Président, chers collègues, cela fait effectivement plusieurs mois que nous travaillons sur ce rapport. Je rappelle que nous nous sommes rendus sur le terrain, à la rencontre des élus des intercommunalités, notamment :

- à Dreux, le 6 mars dernier, où j'ai pu rencontrer Gérard Hamel, Président de la communauté d'agglomération du Pays de Dreux, ainsi que de très nombreux élus de l'EPCI ;

- à Reims, le 5 avril dernier, où Antoine Lefèvre a été reçu par Catherine Vautrin, Présidente de la communauté urbaine du Grand Reims, en présence, là encore, de nombreux conseillers communautaires.

Les propos que nous avons pu recueillir au cours de ces échanges « hors les murs » ont été largement corroborés par la consultation informatique précitée, dont les résultats sont annexés au rapport.

Vous constaterez d'abord une large participation, puisque près de 4 000 réponses ont été enregistrées, comme l'a rappelé Antoine Lefèvre. Très majoritairement, ce sont les maires qui se sont le plus mobilisés ; ils représentent 55,2% des répondants, suivis par leurs adjoints (22,3%) et les autres conseillers municipaux (17,6%).

On notera également que les élus des petites communes se sont davantage impliqués dans la consultation, ceux des communes de moins de 1 000 habitants représentant 49,5% des répondants, et ceux des communes de 1 000 à 10 000 habitants représentant 41 % des répondants, soit une écrasante majorité de 90,5 % des répondants.

Très majoritairement, ce sont les élus des communautés de communes qui forment l'essentiel des répondants (67,7%), suivis par les élus des communautés d'agglomération (24,9%).

On soulignera enfin que les répondants forment un échantillon représentatif des EPCI en termes de population : 54,5% appartiennent à un EPCI de 10 000 à 50 000 habitants ; 17,5% à un EPCI de 50 000 à 100 000 habitants ; 7,1% à un EPCI de 100 000 à 150 000 habitants ; 9,6% à un EPCI de moins de 10 000 habitants ; et 11,4% à un EPCI de plus de 150 000 habitants.

De façon générale, notre consultation fait ressortir des opinions contrastées. Les répondants ont estimé, à une très courte majorité, que les maires étaient « plutôt bien associés » (39,2%) ou « très bien associés » (13,3%) à la gouvernance de l'intercommunalité, près de la moitié des répondants ayant estimé qu'ils n'étaient « pas assez associés » (37,5%) ou « pas du tout associés » (10%) à la gouvernance de leur EPCI.

Ils sont ainsi 61,3% à déclarer n'être « jamais associés à l'ordre du jour du conseil communautaire » et 18,2% à l'être « parfois ». Seuls 20,6% des répondants déclarent être « toujours associés à l'ordre du jour du conseil communautaire ».

L'appréciation d'ensemble portée par les élus sur la gouvernance de leur intercommunalité témoigne aussi de sentiments mitigés. Ils restent minoritaires, parmi les répondants, à porter une appréciation « plutôt satisfaisante » (37,4%) ou « très satisfaisante » (8,2%) sur le fonctionnement global de leur EPCI en matière de gouvernance politique.

Majoritairement, à 54,5%, ils estiment que celui-ci est « très insatisfaisant » (18,5%) ou « assez insatisfaisant » (36 %). Majoritairement, à 59,3%, ils estiment aussi que les petites communes ne sont « pas bien représentées et associées aux décisions de l'intercommunalité ».

Dans la continuité, ils sont 62,9% à juger le poids de la ville-centre dans la gouvernance de l'intercommunalité « plutôt excessif » (34,3%) ou « tout à fait excessif » (28,6%).

La question de la ruralité est également clivante puisque, majoritairement là encore, les répondants considèrent que « l'intercommunalité marginalise les communes rurales » pour plus de 60% des répondants.

S'agissant enfin de la composition des exécutifs des EPCI, les répondants considèrent majoritairement, à 52,3%, que les règles mises en place sont « insatisfaisantes ».

Je tiens à ajouter une observation sur le sujet de la parité, auquel je suis particulièrement sensible. On notera que le pourcentage de femmes au sein des bureaux des EPCI reste particulièrement faible. Dans près de la moitié des cas (44,6%) les femmes représentent seulement entre 10% et 30% des membres du Bureau. On peut aussi regretter que, dans plus du tiers des cas (34,9%), les femmes représentent moins de 10% des membres du Bureau.

Parmi les répondants, les EPCI exemplaires en matière de parité sont donc minoritaires : seulement 20% comptent entre 30% et 50% de femmes membres du Bureau.

Sans surprise, les recommandations que nous allons vous présenter dans un instant tentent d'apporter des réponses très concrètes aux problèmes identifiés. Toutefois, je peux dès à présent vous exposer les deux grands objectifs de nos recommandations destinées à faire place aux « bonnes pratiques de gouvernance » au sein des instances communautaires :

- mieux associer l'ensemble des conseillers communautaires aux décisions des EPCI ;

- associer plus systématiquement les élus municipaux non communautaires aux décisions des EPCI.

M. Antoine Lefèvre . - Effectivement, l'un des moyens de répondre à la crise de l'intercommunalité, consiste à favoriser l'implication des élus municipaux dans son fonctionnement. Or le sentiment de dépossession exprimé aujourd'hui dans les territoires par les élus municipaux est fort ou très fort. Il faut ajouter à cela des règles de représentation au sein des conseils communautaires qui sont également souvent mal vécues.

Avant de vous détailler nos recommandations, je précise que nous avons pris bonne note, avec Patricia Schillinger, des initiatives de nombre de nos collègues du Sénat pour améliorer la situation sur ces deux aspects.

En premier lieu, la proposition de loi « visant à améliorer la représentativité des conseils communautaires et à mieux associer les conseillers municipaux au fonctionnement de l'intercommunalité », qui a été présentée par Jean-Pierre Sueur, Marc Daunis, Eric Kerrouche et plusieurs de nos collègues et a été adoptée par le Sénat le 24 janvier dernier. Elle prévoit notamment de rendre obligatoire, dans chaque EPCI à fiscalité propre, une instance de dialogue avec les maires réunie a minima deux fois par an (conférence des maires, bureau élargi, etc.), ce qui faisait d'ailleurs l'objet d'un amendement de notre collègue Mathieu Darnaud.

En second lieu, la proposition de loi « tendant à renforcer les synergies entre les conseils municipaux et les conseils communautaires et entre les conseils municipaux et le conseil de la métropole de Lyon » que j'évoquais en introduction, adoptée au Sénat la semaine dernière. Ce texte rend obligatoire l'institution d'une « conférence consultative des maires » dans les communautés de communes et d'agglomération, ainsi que dans les communautés urbaines, dès lors que 30% des maires des communes membres en feraient la demande.

Ces textes vont évidemment dans le bon sens, c'est la marque du Sénat en tant qu'assemblée parlementaire. Mais je rappelle qu'à la délégation, sous l'égide de notre Président Jean-Marie Bockel, nous avons choisi une approche originale et consensuelle visant à valoriser les « bonnes pratiques » qui pourront ensuite être diffusées.

C'est dans cet esprit que nous avons élaboré notre rapport et nos recommandations. Nous avons identifié les outils déployés avec succès dans les territoires pour répondre à l'objectif d'associer les élus municipaux à la vie et à la gouvernance des EPCI. C'était là une revendication très forte des acteurs de terrain que nous avons auditionnés et que nous avons rencontrés lors de nos déplacements : « Faire confiance à l'intelligence territoriale », « Faire preuve de souplesse » et « N'imposer aucun carcan législatif ».

En séance publique, à l'occasion de la discussion de la PPL « Synergie entre les conseils municipaux et communautaires », sur tous les bancs, plusieurs voix dont celle du ministre chargé des Collectivités territoriales, Sébastien Lecornu, s'élevaient pour dire : « Ne créons pas de contraintes supplémentaires ! » (Didier Marie) ; « Les dispositifs doivent être facultatifs et souples » ; « Faisons confiance aux élus locaux pour imaginer des solutions intelligentes au niveau du territoire » (Sébastien Lecornu) ; « Laissons les collectivités souffler » (Françoise Gatel), ou encore « Nos territoires ont besoin de liberté et de différenciation » (Arnaud de Belenet).

Bref, la loi ne doit pas être la réponse à tout de façon uniforme. C'est dans cet esprit que nous réfléchissons, avec Patricia Schillinger, au contenu d'une « charte de bonnes pratiques » qui pourrait être inspirée de ce rapport. Je cite le Président du Sénat, en novembre dernier lors du colloque de la commission des Lois consacré au rapport de notre collègue Mathieu Darnaud « Revitaliser l'échelon communal » : « Tout n'est pas du domaine législatif. C'est le rôle du Sénat que de mettre en lumière les bonnes pratiques ». C'est bien dans cette démarche que nous nous inscrivons.

Il n'existe en effet pas de solution unique. Les réponses, les outils, les pratiques peuvent varier d'un territoire à l'autre, d'un EPCI à l'autre. Vous le constaterez à travers les très nombreux exemples mis en lumière dans le rapport.

Reste donc l'objectif fondamental qui oriente toutes nos recommandations : replacer l'élu municipal au coeur de la démocratie intercommunale.

Mme Patricia Schillinger . - Il me revient la mission de présenter les 12 recommandations que nous souhaitons formuler à l'intention des EPCI :

- Recommandation 1 : Se doter d'une charte de gouvernance pour définir les rôles respectifs entre les communes et la communauté, et formaliser la coopération entre communes membres dans le respect de chaque territoire ;

- Recommandation 2 : Définir un projet de territoire en co-construction avec tous les acteurs de l'intercommunalité, dans le respect du principe de subsidiarité ;

- Recommandation 3 : Assurer une gestion de proximité par un exercice territorialisé des compétences intercommunales dans le cadre de « pôles » territoriaux ;

- Recommandation 4 : Prévoir, dans le fonctionnement de l'EPCI, une instance spécifique de dialogue des maires réunie au moins deux fois par an, et faire en sorte que ceux-ci deviennent des relais de l'action communautaire dans chaque territoire ;

- Recommandation 5 : Conforter la capacité des conseillers municipaux membres du conseil communautaire à participer pleinement aux réunions, soit en recourant à la délocalisation des réunions, soit en s'appuyant plus systématiquement sur les technologies de type visioconférence. ;

- Recommandation 6 : Encourager la parité dans la composition des instances communautaires, en particulier dans l'attribution des postes au sein de l'exécutif intercommunal ;

- Recommandation 7 : Veiller à la représentativité politique et territoriale au moyen d'une composition politique et géographique équilibrée de l'exécutif de l'établissement public de coopération intercommunale ;

- Recommandation 8 : Ouvrir les commissions thématiques aux conseillers municipaux non communautaires afin d'impliquer tous les élus municipaux qui le souhaitent ;

- Recommandation 9 : Encourager les conseils municipaux à se saisir pleinement du rapport annuel d'activité de la communauté transmis par le président de l'EPCI, et à user plus régulièrement de la faculté d'audition de ce dernier devant le conseil municipal ;

- Recommandation 10 : Consacrer, dans la charte de gouvernance de l'EPCI, un droit d'information et de participation de l'ensemble des conseillers municipaux sur les affaires intercommunales et prévoir les moyens nécessaires pour assurer sa pleine effectivité ;

- Recommandation 11 : S'appuyer sur les réunions annuelles pour faire se rencontrer l'ensemble des acteurs de l'intercommunalité : conseillers communautaires, conseillers municipaux, directeurs de services, secrétaires de mairie et parfois partenaires sociaux ;

- Recommandation 12 : Prévoir des outils de formation spécifiques à l'intercommunalité à destination des élus municipaux communautaires et non communautaires.

Vous l'aurez compris, ces 12 recommandations sont le fruit de pratiques déjà éprouvées avec succès dans plusieurs intercommunalités en France. Nous partageons, avec Antoine Lefèvre, une conviction profonde : l'EPCI doit être un espace de subsidiarité et de coopération, c'est-à-dire une intercommunalité de projet qui ne doit pas se construire au détriment des communes, mais au contraire sur la base de la proximité. Car c'est bien la commune qui reste le maillon central de la démocratie locale.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Je tiens à vous remercier pour ce travail très concret et très clair. Si votre exposé a été assez bref, c'est parce que vos recommandations, en nombre limité, sont adossées sur les bonnes pratiques sur lesquelles vous avez travaillé, qui peuvent être mises en oeuvre et généralisées. C'est l'esprit de notre approche en délégation : être utile avant tout.

M. Philippe Dallier. - Les recommandations qui nous sont faites sont, à l'évidence, pleines de bon sens, au point qu'on peut se demander pourquoi nos collègues ne les ont pas déjà mises en oeuvre sur le terrain.

Il reste que, si l'on peut mettre de l'huile dans les rouages pour que les élus d'une intercommunalité ne se sentent pas éloignés des décisions, le problème de base est à mes yeux la pertinence de la taille des intercommunalités. Dans la mienne, qui ne regroupe que 14 communes et 400 000 habitants, et dont les maires sont tous membres de l'exécutif, le sentiment de délaissement existe comme ailleurs. Je l'ai ressenti très fortement lorsque la limitation du cumul des mandats m'a fait repasser de maire et membre de l'exécutif à simple conseiller du territoire : la sensation de chute est vertigineuse ! Cela tient non seulement à un manque d'information, mais aussi à un manque de connaissance de toutes les problématiques de terrain d'un ensemble de territoires où ne prédomine pas le sentiment de vivre dans un même bassin de vie. On se sent dès lors déconnecté de la réalité.

Malgré les annonces faites par le Président de la République après son grand tour de France, et l'espoir suscité par l'idée de rouvrir le débat sur les lois NOTRe et Maptam, je ne suis pas convaincu que l'État fera machine arrière en laissant les territoires déterminer la taille pertinente des intercommunalités, quitte à ce que le préfet tranche en cas de désaccord persistant. Tant que le problème de la taille ne sera pas résolu, je doute que de quelconques recommandations puissent changer la donne.

Mme Josiane Costes. - Je vous remercie pour ce travail, qui tente de remédier à la mise à l'écart des élus qui ne participent pas au bureau de leur intercommunalité. Pour ma part, je formule le voeu que la parité au sein bureaux des conseils communautaires et des communautés d'agglomération soit respectée. J'en veux pour exemple la communauté d'agglomération d'Aurillac, où je siège, qui regroupe 60 000 habitants et dont aucun des 12 vice-présidents n'est une femme. Comme me l'ont confirmé plusieurs collègues, cette situation se reproduit dans de nombreux exécutifs. Le jour du grand conseil communautaire, nous avons l'impression d'être considérées comme de simples « pots de fleurs ». C'est très frustrant. À mon sens, si l'on ne légifère pas, il faudra cent ans pour obtenir la parité.

Mme Michelle Gréaume. - Merci pour ce rapport, car nous l'attendions depuis longtemps. J'ai dû moi aussi quitter mon mandat de maire et mon poste de conseillère communautaire déléguée au bureau communautaire. Lorsque je l'occupais, l'ordre du jour était établi par l'administration, qui prend des dispositions pour concilier tous les agendas, les élus n'ayant qu'à suivre. Aujourd'hui que je ne suis plus que conseillère municipale, je ne reçois plus aucune information. S'ajoute à cela le fait que la loi NOTRe a transféré la compétence habitat des communes aux agglomérations, de sorte que les communes n'ont même plus le pouvoir de gérer leurs logements. Tout devient intercommunal. Ce rapport permettra de mettre à jour la nécessité pour les gros mastodontes que l'on a créés de rester au contact des élus de terrain. Si j'avais une critique à formuler, la consultation auprès des élus me semble avoir été un peu courte, sans doute parce que j'ai manqué plusieurs réunions.

M. François Calvet. - Certaines des pistes de travail proposées sont déjà un peu pratiquées dans les intercommunalités que je connais. À Perpignan, où nous sommes passés d'une communauté d'agglomération à une communauté urbaine, je constate que plus on transfère de compétences, moins l'information circule. L'adjoint aux travaux qui avait en charge la voirie s'en trouve dépossédé et ne sait plus ce qui se passe dans sa commune. Ancien premier vice-président devenu conseiller communautaire, je me suis retrouvé privé d'informations, avant d'en retrouver en devenant président du groupe majoritaire. J'ai alors réalisé que j'avais moi-même donné peu d'informations aux membres du conseil municipal que je préside depuis vingt-deux ans, sans doute car j'avais trop « la tête dans le guidon ». C'est pourquoi je fais désormais un compte rendu de 20 minutes tous les trimestres à mon conseil municipal sur ce qui a trait à la communauté urbaine. Je profite aussi de la réunion annuelle de tous les conseillers municipaux pour faire travailler ensemble les chargés de travaux de notre pôle territorial et leur présenter les projets et la programmation des travaux qui les concernent. L'échelle du pôle territorial permet de retrouver de la proximité.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Il faut dire aussi que les règles de gouvernance d'une communauté urbaine accentuent la politisation au détriment de la recherche du consensus.

Mme Françoise Gatel. - Je remercie nos collègues et les administrateurs qui les ont accompagnés pour le thème qui a été retenu, ainsi que pour la qualité de leur travail et de leurs recommandations. Les missionnaires de l'intercommunalité eux-mêmes commencent à réaliser que l'enjeu du prochain mandat va porter sur la gouvernance des intercommunalités, qui doivent, au-delà de leur utilité que personne ne conteste, devenir des espaces de démocratie. On assiste en effet à la démission d'élus municipaux qui ont l'impression que leur action et leur engagement se vident de leur sens. Trop de conseils municipaux sont consacrés, comme ils le disent, à « enterrer » les compétences de la commune. Les choses se passent ailleurs, alors que les habitants continuent de demander des comptes aux élus municipaux. Le principe de subsidiarité doit prévaloir sur le principe supra-communautaire.

Le gouvernement va avoir fort à faire pour nous guérir des « irritants de la loi NOTRe », car ceux-ci tiennent à la taille même des intercommunalités, qui sont devenues d'énormes « machins » où les élus ne parviennent plus à jouer leur rôle. Comment les réduire alors que les exécutifs communautaires commencent à peine à prendre leurs marques ? L'interrogation sur la territorialisation des compétences qui figure dans le rapport est très légitime. Le problème de parité est également très réel, mais il faut souligner que la politisation croissante des intercommunalités a conduit les maires à vouloir siéger dans leur exécutif. Or nul ne peut décider que la parité sera respectée sur un territoire communautaire. La solution consiste donc à encourager les femmes à devenir maires.

Je suis favorable à l'adoption de la charte de gouvernance qui est proposée.

Enfin, je pense que les intercommunalités vivent mieux si elles se construisent sur un projet de territoire associant non seulement les élus municipaux, mais aussi les conseils de développement. Sans cela, on risque de susciter le rejet d'une institution jugée lointaine, formelle et trop lourde.

M. Éric Kerrouche. - Force est de constater à la lecture de ce très bon rapport que la même typologie de problématiques se retrouve partout sur le territoire. Sur le plan méthodologique, je vous recommande de distinguer des strates de population pour les questions n° 8 à n° 12 de l'enquête, car cela ferait sans doute apparaître des enjeux différents selon l'endroit où l'on se trouve et le type d'EPCI concerné. En effet, le mécontentement est inégalement réparti sur le territoire.

Je confirme, pour l'avoir vécu, que le fait de passer du statut de vice-président et de maire à celui de simple conseiller crée un grand vide en termes d'accès à l'information. Malgré le fait que l'on peut entretenir d'excellentes relations avec nos successeurs, on n'est plus dans le coup.

Dans l'intercommunalité dont j'étais le vice-président, nous avons mis des tablettes numériques à disposition de tous les élus municipaux, quelle que soit la taille de leur commune. Leur cartable numérique contenait l'intégralité des documents afférents à l'intercommunalité, mais il s'est avéré à l'expérience, sur la base des statistiques de fréquentation, que les conseillers municipaux ne s'intéressaient qu'aux éléments qui concernaient leur commune. Ils font rarement l'effort de prendre connaissance des projets de l'intercommunalité qui ne les concernent pas directement. La disponibilité de l'information ne suffit donc pas à elle-seule : il faut aussi créer des dispositifs qui impliquent les conseillers municipaux.

Parmi les difficultés posées par la loi NOTRe, force est de constater que certaines intercommunalités dysfonctionnent parce que les préfets sont allés trop loin dans leur volonté de regroupement et que l'on a constitué des ensembles hétérogènes où sont mêlées des communes rurales, périurbaines, urbaines. L'Assemblée des communautés de France (AdCF) a commencé à recenser et caractériser ce type de situations, mais un travail reste largement à faire.

En matière de parité, je préconise l'alternance entre les sexes aux postes de vice-président et de vice-président adjoint. Je rejoins Françoise Gatel : si l'on cherche à imposer la parité au sein des exécutifs, on va se trouver dans une situation où la géographie va affronter la population : si on remet beaucoup de femmes dans l'exécutif, ce seront avant tout les femmes adjointes des villes les mieux représentées qui risquent d'être dans l'exécutif au détriment des maires, qui sont très majoritairement des hommes. L'une des solutions, radicale il est vrai, serait d'instaurer le scrutin de liste dès zéro habitant.

Mme Sonia de la Provôté. - Ce rapport porte sur un sujet très important, car les intercommunalités ont marqué de façon majeure notre vie démocratique, malheureusement pas toujours de manière positive. C'est d'autant plus sensible que l'échelle communale et intercommunale constitue le fondement de notre société. Les transferts de compétences prévus dans la loi NOTRe et la course à l'intégration maximale, avec le rôle de stimulant joué par le coefficient d'intégration fiscal (CIF), au point qu'il prédomine parfois sur le projet intercommunal, ont conduit à déposséder les exécutifs communaux de nombreuses missions de proximité qu'ils exerçaient particulièrement bien. De plus, les compétences transférées embolisent les services administratifs des intercommunalités avec des petits sujets du quotidien. Les fonctionnaires communautaires font l'objet de sollicitations incessantes de la part des habitants en matière de voierie, d'espaces verts et même pour obtenir le droit d'être inhumés dans leur commune. Les instances politiques sont elles aussi embolisées par de multiples délibérations annexes qui mobilisent le bureau communautaire, la conférence des maires et le conseil communautaire.

Il faut alléger le travail et la réflexion des élus pour leur permettre de se consacrer aux grands sujets. On est bien loin du mot d'ordre que nous nous étions fixés au sein de mon intercommunalité : « Agglomération d'idées, territoires de projets ». Au-delà du problème de leur taille, les intercommunalités qui dysfonctionnent se caractérisent par une hétérogénéité qui conduit à une absence de projets communs.

Je signale enfin que le retour de la parité sur le terrain suscite un vent de panique au sein des petites communes. J'ai beaucoup de retours de maires femmes qui n'arriveront pas à constituer une liste paritaire pour les prochaines élections. Il faudrait assouplir le système par des effets de cliquet.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Je confie aux rapporteurs le soin de répondre à vos interventions.

Mme Patricia Schillinger. - Lors de mon déplacement à Dreux, les maires que nous avons rencontrés en présence de Gérard Hamel, président de la communauté d'agglomération, ont su exprimer leurs frustrations liées à l'exercice de leur mandat : manque de dialogue, manque de formation, manque de sens, prédominance de l'administration, absence de co-construction, impossibilité d'entrer en contact avec les services par manque de secrétaires, etc. Gérard Hamel s'est montré à l'écoute de l'essentiel de ces insatisfactions, et a reconnu qu'il fallait y porter remède en mettant de l'humain dans l'intercommunalité.

D'un point de vue pragmatique, une charte de bonnes pratiques pourrait, entre autres, inciter à mettre en oeuvre les actions suivantes :

- délocaliser régulièrement les conseils communautaires au sein des communes ;

- informer les conseils municipaux des projets de l'intercommunalité lors de chacune de leur séance ;

- rendre compte aux habitants, par exemple lors d'une « journée intercommunalité » organisée dans les écoles, des réalisations et des avantages de l'intercommunalité.

À mon avis, « mettre de l'humain » passe par ce type d'actions concrètes plutôt que par l'adoption de nouveaux textes législatifs.

Il est à signaler que lorsqu'une intercommunalité est à cheval sur deux départements et relève donc de deux préfets, il est beaucoup plus compliqué de lui faire obtenir des aides et des subventions.

M. Antoine Lefèvre. - Il faudra effectivement regarder les cas les plus litigieux, où même l'adoption des meilleures pratiques ne suffira pas à fluidifier le fonctionnement, sans pour autant remettre en question ce qui a été fait dans l'ensemble du pays, où les choses avancent malgré tout.

M. Philippe Dallier. - À mon sens, il faudrait préconiser dans le rapport de saisir l'opportunité donnée par le Président de la République et le Grand débat de revoir non seulement certains périmètres, mais aussi l'attribution de certaines compétences.

M. Antoine Lefèvre. - Vos interventions, dont je vous remercie, s'articulent autour de trois thèmes principaux : l'accès à l'information, sujet évoqué par Éric Kerrouche dans son livre « Le blues des maires » ; les compétences et la subsidiarité ; la parité.

Sur ce dernier point, la loi NOTRe a conduit à ce que le féminin de « président d'intercommunalité » soit désormais « vice-présidente », de même que le féminin de « député » a pu être « suppléante » lors de l'application de la parité au sein des assemblées parlementaires... Pour éviter cet écueil, il faut effectivement encourager les femmes à devenir maires, en veillant à ce que cela ne conduise pas à surreprésenter les communes urbaines, dans la mesure où les femmes maires de petites communes n'ont souvent pas le temps d'exercer en plus des fonctions communautaires.

Le rapport d'information « Mieux associer les élus municipaux à la gouvernance des intercommunalités : valoriser les bonnes pratiques » est adopté à l'unanimité.

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