Rapport d'information n° 605 (2018-2019) de Mme Évelyne RENAUD-GARABEDIAN , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 26 juin 2019

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N° 605

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 juin 2019

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) par le groupe de travail sur les conséquences économiques des violences commises en marge du mouvement des gilets jaunes et leur prise en compte par les pouvoirs publics ,

Par Mme Évelyne RENAUD-GARABEDIAN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; Mme Élisabeth Lamure, MM. Daniel Gremillet, Alain Chatillon, Martial Bourquin, Franck Montaugé, Mmes Anne-Catherine Loisier, Noëlle Rauscent, M. Alain Bertrand, Mme Cécile Cukierman, M. Jean-Pierre Decool , vice-présidents ; MM. François Calvet, Daniel Laurent, Mmes Catherine Procaccia, Viviane Artigalas, Valérie Létard , secrétaires ; M. Serge Babary, Mme Anne-Marie Bertrand, MM. Yves Bouloux, Bernard Buis, Henri Cabanel, Mmes Anne Chain-Larché, Marie-Christine Chauvin, Catherine Conconne, MM. Roland Courteau, Pierre Cuypers, Marc Daunis, Daniel Dubois, Laurent Duplomb, Alain Duran, Mmes Dominique Estrosi Sassone, Françoise Férat, M. Fabien Gay, Mme Annie Guillemot, MM. Xavier Iacovelli, Jean-Marie Janssens, Joël Labbé, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Pierre Louault, Michel Magras, Jean-François Mayet, Franck Menonville, Jean-Pierre Moga, Mme Patricia Morhet-Richaud, M. Robert Navarro, Mme Sylviane Noël, MM. Jackie Pierre, Michel Raison, Mmes Évelyne Renaud-Garabedian, Denise Saint-Pé, M. Jean-Claude Tissot .

LISTE DES PRINCIPALES PROPOSITIONS

Les violences commises en marge du mouvement des gilets jaunes sont à l'origine de conséquences économiques multiples pour les entreprises situées dans les centres-villes. La prise en charge de ces préjudices est aujourd'hui insuffisante. Le groupe de travail formule par conséquent dix recommandations. Certaines peuvent se cumuler, d'autres se veulent des alternatives, les unes aux autres, afin que les commerçants et artisans puissent obtenir l'indemnisation, ou une compensation, de leurs pertes économiques.

Mieux protéger les entreprises en cas de manifestations violentes

• Assurer efficacement le maintien de l'ordre public : amplifier l'effort de renseignement en amont et systématiser la pratique des retours d'expérience en préfecture, ainsi que le préconise la commission des lois du Sénat ;

• Prévenir plus tôt et plus efficacement les commerçants : généraliser les alertes rapides, avec des consignes claires, par les préfectures des chambres consulaires, mairies et associations de commerçants ;

• Mieux cibler les périmètres d'interdiction de circuler : adapter leur durée et leur étendue aux enjeux réels de sécurité et ne pas pénaliser inutilement les entreprises.

Contraindre l'État à prendre ses responsabilités

• Créer un fonds d'indemnisation national des pertes d'exploitation : activé sur décision du ministre de l'économie et des finances en cas de préjudices graves et durables, un tel fonds s'inspirerait de ceux mis en place au niveau local et éviterait les différences de traitement sur le territoire ;

• Automatiser l'exonération fiscale sous condition de « retour à meilleure fortune » de certains droits directs (ex : IS, CFE) : permettre ainsi à l'État de recouvrer ces montants si l'activité de l'entreprise revient à son niveau initial et à ce dispositif de jouer un vrai rôle de soutien à la trésorerie des commerçants ;

• Subventionner la souscription de garanties « perte d'exploitation sans dommage matériel » dans les contrats d'assurance : l'État prendrait à sa charge une partie de la prime d'assurance afin d'encourager les PME à souscrire cette clause ;

• Faciliter l'engagement de la responsabilité de l'État : faire évoluer le régime de responsabilité de l'État du fait des attroupements afin de faciliter son engagement dès lors que des manifestations déclarées et autorisées dégénèrent à plusieurs reprises dans un même secteur.

Favoriser l'accès des entreprises aux aides publiques

• Assouplir les critères d'éligibilité des fonds d'aides directes : permettre ainsi la consommation des fonds prévus à cet effet en modifiant les critères afin qu'un nombre croissant d'entreprises impactées puissent y avoir accès ;

• Généraliser la constitution de guichets uniques dans les chambres consulaires : répondre à la complexité des démarches administratives et à la multiplication du nombre d'interlocuteurs en sanctuarisant les initiatives de « guichet unique » portés par le réseau consulaire via un schéma formalisé et en prévoyant leur constitution le plus tôt possible ;

• Recourir plus rapidement aux exonérations de droit d'occupation du domaine public : les communes pourraient en obtenir le paiement ultérieur si l'entreprise retrouve un niveau d'activité considéré comme suffisant.

AVANT-PROPOS

Lors de l'audition conjointe du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'Intérieur devant le Sénat le 19 mars 2019, Bruno Le Maire s'est dit résolu à « éviter toute défaillance d'entreprise liée à cette crise » et a affirmé que « sa détermination est intacte à apporter des réponses rapides, simples et efficaces aux secteurs économiques touchés ».

La commission des affaires économiques, constatant les dégâts occasionnés par les violences en marge des manifestations des « gilets jaunes », a choisi de créer un groupe de travail afin d'évaluer les conséquences économiques de cette crise et de suivre leur prise en charge par les pouvoirs publics.

Votre rapporteur a mené une dizaine d'auditions, de tables rondes et de rencontres réunissant 45 personnes, et recueilli une trentaine de contributions écrites. Il en ressort que les violences commises sont amenées à accentuer le phénomène de dévitalisation des centres-villes à l'oeuvre depuis de nombreuses années. En poussant la clientèle à fuir les centres-villes et centres-bourgs le samedi, avec souvent une prolongation de ces effets en semaine, les violences accélèrent la désertification des centres-villes et l'augmentation des taux de vacance commerciale.

Les différents préjudices subis par les commerçants et artisans des centres-villes, qui sont, faut-il le rappeler, majoritairement des très petites entreprises ou des PME, sont directement liés aux défaillances de l'État dans le maintien de l'ordre public. Il semblerait en effet inconcevable qu'en France, des violences et débordements puissent être commis de façon récurrente et prévisible pendant plus de six mois sans que l'État ne parvienne à y mettre fin. L'État est le garant de la liberté d'entreprendre et de celle du commerce et de l'industrie, de valeur constitutionnelle ; or, elles sont violées régulièrement par une minorité de manifestants avec des niveaux d'intensité rares et des conséquences dramatiques pour le tissu économique local.

Les premières victimes de ces agissements sont les salariés. Ces derniers souffrent à la fois de traumatismes psychologiques et d'une crainte latente suite aux agressions verbales et physiques. En outre, les violences sont directement à l'origine de pertes de primes, de non-renouvellement de contrats courts (stages, apprentis, intérim) et de non-embauches, voire de licenciements.

Au-delà, ces violences ont eu des conséquences économiques :

• directes : dégâts matériels liés à la casse, aux incendies, aux pillages, que les assurances ont indemnisé partiellement à hauteur de 217 millions d'euros fin mai 2019, et pertes d'exploitation - largement non-indemnisables - qui s'élèvent en moyenne à 30 % du chiffre d'affaires pour les commerçants et artisans des centres-villes depuis six mois. Un tel niveau de pertes est insoutenable. Elles sont liées tout à la fois aux fermetures le samedi et à la baisse de consommation, y compris les autres jours de la semaine, en raison de changements structurels d'habitudes de consommation (par exemple, un report partiel vers le commerce en ligne) ;

• indirectes : assèchement de la trésorerie de ces entreprises, difficultés (voire impossibilité) de régler les cotisations sociales et de s'acquitter des impôts, retards ou défauts de paiement vis-à-vis de leurs fournisseurs, dégradation de la qualité de leur dossier bancaire, hausse des primes d'assurance, difficultés d'approvisionnement, dégradations et ruptures de stocks, répercussions sur le patrimoine et la vie personnelle de l'employeur.

Bien que la participation au mouvement s'estompe, les auditions ont révélé que les conséquences les plus graves et insidieuses sont à venir. Tant que l'ordre public n'est pas entièrement restauré, les clients ne reviennent pas et les pertes d'exploitation s'accumulent.

Par conséquent, la trésorerie continue d'être asséchée alors que les échéances sociales et fiscales, même reportées, approchent, renforçant le risque que des emplois soient supprimés et des entreprises soient mises en faillite. De premiers dépôts de bilan sont déjà enregistrés : il ne s'agit donc pas de crainte théorique, mais d'une réalité bien concrète.

Le groupe de travail considère par conséquent que la responsabilité de l'État doit être engagée en raison de troubles qui découlent directement de la carence de ses services.

Ce dernier a annoncé un ensemble de mesures nationales de prises en charge. Dans la pratique, la grande majorité des dispositifs existait déjà et a simplement été rappelée (délais et reports de paiement, remises fiscales, activité partielle, médiation du crédit, ouvertures le dimanche, garanties bancaires). En outre, certaines de ces mesures sont inadaptées à la réalité économique des entreprises et d'autres s'apparentent à des pansements sur une jambe de bois : ainsi des délais et reports de paiement qui ne font que repousser le problème. Par ailleurs, un assemblage d'autant de mesures multiplie les interlocuteurs et les démarches administratives spécifiques. Enfin, les appels à la bienveillance dirigés vers les assurances ou les banques ont été diversement appliqués sur le terrain. Une seule mesure est nouvelle, à savoir l'enveloppe de 5,5 millions d'euros pour cofinancer des opérations de communication dans les centres-villes.

Au regard du montant des mesures annoncées par le Gouvernement pour sortir de la crise, estimé à 17 milliards d'euros, l'ensemble de ces dispositifs de soutien mal calibrés s'apparente à « deux poids deux mesures ». Cette réponse interroge sur la compréhension réelle qu'a le Gouvernement de l'ampleur des préjudices et de la réalité de la situation dans laquelle se trouvent bon nombre d'artisans et commerçants, qui contribuent pourtant de façon décisive au dynamisme de l'économie nationale.

Ainsi qu'il pouvait être attendu, le taux de recours à ces aides par les commerçants et artisans, occupés à sauver leur entreprise et protéger leurs salariés, est très faible.

L'exécutif s'est par ailleurs en partie défaussé sur les chambres consulaires (CCI et CMA), les régions et les communes pour soutenir les entreprises. Ces acteurs économiques locaux ont à nouveau fait la démonstration de leur réactivité et de leur adaptabilité. Ils ont ainsi supplée l'État en finançant des fonds d'aides directes (couvrant le reste à charge lié aux dégâts matériels, compensant les pertes d'exploitation, accordant des avances remboursables) et en accompagnant les entreprises sur le terrain, dès le dimanche matin, afin de les orienter vers les différentes mesures de soutien.

Les mesures locales présentent toutefois également certaines limites, liées notamment à la définition des critères d'éligibilité. En tout état de cause, il n'est pas normal que face à une catastrophe économique nationale, l'État ait laissé le niveau et la qualité de la prise en charge des préjudices varier selon les territoires.

Face à ce constat, le groupe de travail formule un ensemble de recommandations visant à mieux protéger les entreprises en cas de manifestations, à contraindre l'État à assumer ses responsabilités et à favoriser l'accès des entreprises aux aides publiques.

I. DES VIOLENCES RÉPÉTÉES DONT L'IMPACT ÉCONOMIQUE POUR LES ENTREPRISES ET LES SALARIÉS DES CENTRES-VILLES EST DURABLE

A. UN IMPACT ÉCONOMIQUE SOUS-ESTIMÉ

1. Bien que la participation au mouvement s'estompe, de nombreuses violences continuent d'être commises en marge des rassemblements

Le mouvement des « gilets jaunes » a débuté le samedi 17 novembre 2018 à la suite d'une importante campagne de mobilisation sur les réseaux sociaux. Les causes et origines de ce mouvement, dont l'étude et l'analyse ne sont pas les objets de ce rapport, sont variées mais se sont initialement cristallisées sur un point principal, le rejet de l'augmentation de la fiscalité des carburants, avant de s'élargir.

Deux modalités principales d'action se sont succédées, et parfois chevauchées.

La première, qui a eu lieu du 17 novembre jusqu'à la mi-décembre 2018 environ, est l'installation de campements de manifestants sur les ronds-points dans les zones périphériques , qu'elles soient industrielles ou commerciales. Si plusieurs représentants de chambres de commerce et d'industrie (CCI) avec lesquels le groupe de travail a échangé attestent que cette première période revêtait un caractère globalement pacifique, les blocages sur les principaux axes routiers ont eu des conséquences économiques indirectes pour les entreprises. Ainsi, à titre d'exemple, les retards de livraison, consécutifs à ces ralentissements, ou la baisse de fréquentation des zones commerciales en raison des blocages, ont eu des impacts sévères tant pour le secteur du transport routier que pour la grande distribution.

En parallèle toutefois, plusieurs débordements et actes de violences ont été commis dans les centres-villes les plus importants : ainsi des importantes dégradations du quartier de la rue Sainte-Catherine et Victor Hugo à Bordeaux le 8 décembre 1 ( * ) , des affrontements violents avec les forces de l'ordre place de la République à Dijon le 1 er décembre 2 ( * ) , des violences commises dans le quartier Saint-Cyprien de Toulouse le 8 décembre ou du saccage de l'Arc-de-Triomphe à Paris 3 ( * ) . L'objet de ce rapport étant d'étudier les conséquences économiques des violences commises en marge du mouvement, les impacts indirects des blocages et ralentissements intervenus durant cette première période, ne s'éloignant au demeurant pas des mouvements sociaux plus traditionnels, sont exclus du périmètre d'étude.

La deuxième modalité d'action concerne les manifestations en centre-ville et débute à des moments distincts selon les villes concernées . Dans l'ensemble, coexistent de novembre à janvier l'occupation d'axes routiers et de ronds-points et des manifestations au coeur des villes et métropoles. Puis, à partir du mois de février, les campements sont progressivement levés (sauf un regain d'occupation en février, notamment en Meurthe-et-Moselle) et l'expression principale du mouvement des gilets jaunes réside depuis dans les manifestations. En marge de plusieurs d'entre elles sont commises des violences dont le présent rapport étudie les conséquences directes et indirectes pour les entreprises.

L'évaluation du nombre de participants les samedis n'est pas aisée. Indépendamment de l'écart important entre les chiffres annoncés par le ministère de l'Intérieur et ceux estimés par les organisateurs du mouvement, la coexistence des deux modalités d'action complexifie le recensement. Toutefois, il semble clair que la participation au mouvement diminue fortement et durablement à partir de mi-janvier . Selon les chiffres publiés par le ministère de l'Intérieur et les articles de presse, la participation s'établit comme suit :

Évolution du nombre de participants
au mouvement des « gilets jaunes » et principaux débordements

Source : commission des affaires économiques, à partir des chiffres du ministère de l'Intérieur

Toutefois, la diminution de la participation au mouvement social ne signifie pas la fin des violences et débordements. En effet, affrontements avec les forces de l'ordre, pillages, vandalisme et destruction de biens publics et privés continuent d'avoir lieu tout au long des mois de février, de mars (notamment le samedi 16) et d'avril. Une diminution des tensions semble s'observer à partir du mois de mai.

Si la France est habituée aux mouvements sociaux, celui-ci présente une double particularité . D'une part, sa répétition en fait un mouvement historiquement long , qui s'éloigne en cela des mouvements de contestation plus traditionnels comme les manifestations contre la réforme des retraites en 2010, la loi Travail en 2016 ou les grèves dans les transports en 2018. D'autre part, ce mouvement s'accompagne presque systématiquement de violences et de débordements . Si ces dernières ne sont bien souvent pas faites « au nom » des gilets jaunes, elles ajoutent aux dégâts directs une violence plus indirecte et insidieuse liée à la fois à des aspects psychologiques et à la violence symbolique qui est exercée sur l'activité des entreprises et leurs salariés.

Les violences et débordements ont un impact économique direct et indirect sur l'activité des entreprises. D'une part, les casses de vitrines, les pillages qui s'en suivent et les incendies et destructions de biens privés contraignent certaines entreprises à interrompre temporairement voire définitivement leur activité. En outre, toutes ne pourront pas solliciter d'indemnisation à la hauteur de leur préjudice matériel en raison des spécificités de leurs contrats assurantiels. Par ailleurs, ces violences les conduisent à s'équiper à leurs frais de matériels de protection . Ces dépenses sont considérées comme des frais de prévention par les assurances, non indemnisables car non provoqués par la survenue d'un sinistre.

D'autre part, ces débordements entraînent des conséquences économiques indirectes, liées à la perte d'exploitation . La définition par les pouvoirs publics de périmètres d'interdiction de circulation afin de contenir les troubles à l'ordre public, notamment à Paris, pénalise l'activité des entreprises en empêchant tout commerce. Sur vingt-six samedis, le quartier du Faubourg Saint-Honoré a ainsi été entièrement interdit d'accès à sept reprises. Les dix-neuf autres samedis, les chalands étaient autorisés à pénétrer dans le quartier à la condition de se soumettre à une fouille minutieuse des affaires personnelles par des forces de sécurité en nombre impressionnant, de nature à dissuader tout comportement d'achat. De fait, le quartier est resté quasiment sans client vingt-six samedis. A la date de réalisation de ce rapport, le Faubourg Saint-Honoré - quartier du Palais de l'Elysée - continue de faire l'objet d'un « filtrage » par les forces de l'ordre qui pénalise fortement l'activité économique des commerçants. De ce fait, les boutiques sont contraintes de fermer les unes après les autres.

Sans même l'édiction de tels périmètres, l'image renvoyée tant à l'étranger qu'aux consommateurs français semble entraîner des changements profonds dans les habitudes de consommation. Le commerce, ainsi que l'ont rappelé à de multiples reprises les associations de commerçants de centres-villes rencontrées par le groupe de travail, requiert de la spontanéité, du plaisir et de l'envie , autant de facteurs qui ne paraissent plus réunis les week-ends en centre-ville. L'intégralité de ces associations constate ainsi une diminution dramatique de l'activité les samedis, qui se prolonge en outre durant la semaine . Victimes d'un « véritable harcèlement continu depuis plus de six mois 4 ( * ) », les entreprises observent que les clients ont désormais peur de se rendre dans le centre-ville le week-end et décident soit de consommer moins , soit de reporter leurs achats les plus nécessaires vers les zones commerciales périphériques . Une forme « d'effet d'hystérèse » est à l'oeuvre, les conséquences négatives se prolongeant même après la disparition des causes qui les avaient entraînées.

Au surplus, cette diminution d'activité entraîne une dégradation de la valeur des stocks voire leur perte, des loyers impayés, des CDD non renouvelés, des primes salariales non versées , ou encore une baisse de la rémunération de l'employeur .

Plusieurs salons internationaux , à l'instar de VinExpo à Bordeaux, constatent de même une forte baisse du nombre des visiteurs (baisse de 25 % en 2019 pour ce salon), en particulier étrangers. Les organisateurs ont ainsi rapporté au groupe de travail que les plus importants clients, notamment en provenance des États-Unis, parlaient d'un « état de guerre » et expliquaient ainsi leur choix de ne plus participer. D'après CCI France, 20 millions d'euros de retombées économiques auraient été manquées simplement pour les salons de Paris . La baisse de participation pour les activités évènementielles serait de 20 % environ (70 % le samedi). Par exemple : le report du match PSG-Montpellier ou la fermeture du Grand Palais lors de la tenue de l'Usine Extraordinaire. Les violences et débordements ont par ailleurs conduit à la fermeture du salon du Carrousel des métiers d'art et de création du Louvre le 8 décembre, conduisant les CMA franciliennes à rembourser aux exposants les coûts des stands pour cette journée (83 000 euros). Au total, ce salon a enregistré une baisse de 33 % du nombre de visiteurs par rapport à 2018.

Ces conséquences économiques directes et indirectes ont fait l'objet de plusieurs tentatives de chiffrage.

2. Des violences qui interviennent dans un contexte économique déjà difficile pour les centres-villes

Depuis de nombreuses années, les centres-villes et centres-bourgs sont fragilisés économiquement par, entre autres, une progression des ventes en ligne et une augmentation du taux de vacance commerciale . Un rapport d'information du Sénat, fait au nom de la délégation aux entreprises et de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation et présenté par MM. Rémy Pointereau et Martial Bourquin rappelait ainsi en 2017 5 ( * ) que « la dévitalisation des centres-villes et centres-bourgs apparaît comme une question politique de première importance ».

Évolution du taux de vacance commerciale, de 2001 à 2015

Source : Rapport CGEDD-IGF à partir des données de l'Institut pour la Ville et le Commerce retraitées par la mission. Panel de 187 villes.

Or, les violences commises ne peuvent qu' accentuer le phénomène de désertification de ces centres par la clientèle et, in fine , par les entreprises elles-mêmes. En effet, elles sont susceptibles de contribuer aux difficultés d'accès et de stationnement, à la fuite des équipements attractifs, au transfert de consommation des petits commerces vers les grandes surfaces en périphérie et au développement du commerce en ligne, autant d'ingrédients du « cocktail » à l'origine de la fragilisation des centres.

3. Des estimations hétérogènes selon le périmètre retenu
a) L'impact macroéconomique a fait l'objet d'estimations par l'Insee et le montant des indemnisations par la Fédération française des assurances

Au niveau macroéconomique, la première estimation parue est celle de l'Insee 6 ( * ) , qui recense plusieurs canaux de pénalisation de la consommation. L'institut note tout d'abord que les dépenses en services (hôtellerie, restauration, loisir) sont rarement reportées , à l'inverse des dépenses en biens : il s'agit alors de pertes sèches pour l'économie . Surtout, « aux effets directs des blocages, s'ajoute le caractère anxiogène des scènes de violence qui ont marqué le mouvement ». À titre d'exemple, et bien qu'il s'agisse d'évènements de nature profondément distincte, l'impact psychologique des attentats de 2015 avait eu pour conséquence d'ôter 0,2 point de PIB à la croissance annuelle de 2016, notamment en raison de la baisse du tourisme. Dans le cas présent, l'enquête de conjoncture de l'Insee auprès des ménages semble par ailleurs indiquer une forte dégradation de l'indicateur de confiance en novembre , les ménages préférant renoncer à des achats importants. En outre, tant les conséquences économiques directes que celles indirectes peuvent se répercuter sur le marché de l'emploi et entraîner une diminution des embauches, notamment en intérim. L'Insee chiffre ainsi ces conséquences à 0,1 point de croissance du PIB au quatrième trimestre de 2018, soit plus de 2 milliards d'euros .

Dans une nouvelle note de conjoncture 7 ( * ) datée de mars 2019, l'Insee confirme l'ordre de grandeur de cet impact macroéconomique du mouvement sur la croissance du quatrième trimestre. Toutefois, la consommation atone de ce trimestre (0 % contre + 0,4 % au trimestre précédent) proviendrait davantage d'une baisse des dépenses énergétiques que des conséquences du mouvement social. En revanche, l'institut confirme que si l'impact est peu visible au niveau macroéconomique, des effets marqués peuvent être observés au niveau microéconomique : ainsi, par exemple, de la fréquentation hôtelière (- 1,1 % sur un an et - 5,3 % à Paris, contre + 7,5 % en novembre), qui pourrait pâtir à long-terme de la baisse du tourisme.

Le 29 mars 2019, entendu conjointement au Sénat par la commission des affaires économiques et la commission des lois 8 ( * ) , le ministre de l'Economie et des Finances a précisé le chiffrage de l'impact macroéconomique du mouvement et l'a évalué à 0,2 point de PIB pour les années 2018 et 2019 . Il a ainsi noté que « les conséquences sur la croissance apparaissent significatives, d'autant que la crise a éclaté au moment de consommation le plus important de l'année ».

Par ailleurs, le ministre a indiqué que la Fédération française des assurances (FFA) a enregistré à la mi-mars 2019 dix-mille sinistres pour un coût de 170 millions d'euros . À la suite des violences commises le 16 mars, ce montant a été réévalué à 217 millions d'euros . Toutefois, ce chiffrage correspond uniquement au montant d'indemnités versé, ou qui s'apprêtent à l'être, par les assurances, et non à l'évaluation totale des dégâts matériels et indirects 9 ( * ) .

Il paraît complexe de mesurer au niveau macroéconomique les conséquences des violences et débordements survenus en marge du mouvement. Les mesures budgétaires expansionnistes annoncées par le Président de la République le 10 décembre 2019 sont par exemple amenées à soutenir la consommation intérieure, et donc la croissance, au premier semestre 2019. Selon l'Insee, l'acquis de pouvoir d'achat pour les ménages serait ainsi de 1,8 % à fin juin 2019, soit davantage que sur toute l'année 2018 (+ 1,2 %). Or, d'une part, les secteurs ayant pâti des violences et débordements et ceux bénéficiant de ces mesures ne sont pas forcément les mêmes. Et d'autre part, dans le cas où les secteurs victimes deviendraient les secteurs bénéficiaires, ce ne serait qu'au prix d'un creusement du déficit public que l'impact économique négatif des violences serait atténué.

L'échelle macroéconomique étant par définition entourée de nombreuses incertitudes et intégrant des effets de bouclage qui masquent la disparité des situations microéconomiques, il importe de recenser ces conséquences au plus près des acteurs du terrain, à l'échelle des secteurs . C'est l'objet, entre autres, de ce rapport. L'impact macroéconomique peut en effet se révéler faible en raison du fait que les violences ont eu lieu dans certaines zones précises. Dans ces territoires toutefois, les conséquences microéconomiques pour les entreprises sont dramatiques.

b) Au niveau microéconomique, plusieurs entreprises, secteurs ou organismes publics ont communiqué publiquement sur l'évaluation de l'impact les concernant

Chronologiquement, les premières dégradations sont intervenues sur les axes routiers. Le 16 décembre 2018, Vinci Autoroutes a ainsi annoncé que « les dégâts considérables causés aux équipements et infrastructures du réseau autoroutier [étaient] d'ores et déjà estimés à plusieurs dizaines de millions d'euros 10 ( * ) ». Les destructions concernent six bâtiments d'exploitation, trente-trois véhicules d'intervention incendiés et quinze échangeurs et plateformes de péage entièrement incendiés et des actes de vandalisme sur les caméras de sécurité, les fils électriques, les glissières, les panneaux de signalisations, les sanitaires. SANEF , qui exploite des autoroutes dans le Nord et l'Est de la France, estime le coût des dégâts à plusieurs millions d'euros .

La presse 11 ( * ) a par ailleurs relayé des estimations financières des dégâts réalisées par les enseignes concernées. À la suite du pillage de la boutique Dior le samedi 24 novembre, le groupe LVMH chiffrerait à 1 million d'euros le préjudice. L'entreprise Go Sport évaluerait à 200 000 euros les dégâts matériels et vols commis dans son point de vente place de la République tandis que les dégradations subies par Faguo s'élèveraient à 60 000 euros.

Les violences et débordements commis en marge des manifestations ont également eu des impacts indirects , notamment pour les secteurs dont le dynamisme est lié à l'image du pays à l'international et à son attractivité . L'Insee, dans sa note de décembre 2018 ( cf. supra ), estime ainsi que la fréquentation hôtelière a reculé en décembre 2018 par rapport à décembre 2017 (- 1,1 %) . Le nombre de chambres occupées a diminué plus fortement encore à Paris (- 5,3 %) alors qu'il avait augmenté de 7,5 % sur un an en novembre 2018. En outre, tous les professionnels du secteur interrogés par le groupe de travail estiment que cette dégradation de l'image de la France à l'international vient leur porter un coup dur alors que l'hôtellerie se relevait à peine des conséquences économiques des attentats de 2015 et de 2016.

Évolution de la fréquentation touristique dans l'hôtellerie en 2015 et 2016

Alors que la fréquentation des hôtels a augmenté au mois de janvier 2019, les dégradations commises le samedi 16 mars dans toute la France et plus particulièrement sur les Champs-Elysées, ces derniers bénéficiant d'une couverture médiatique internationale forte, fragilisent gravement l'activité hôtelière pour la saison touristique estivale . Or, dans le cas de l'Ile-de-France, de mauvais chiffres de fréquentation durant l'été viendraient s'ajouter à une baisse d'activité du secteur de 5 à 30 % dans les semaines précédentes , ce qui « met en péril des emplois et des entreprises 12 ( * ) » selon l'Union des Métiers et des Industries de l'Hôtellerie (UMIH).

D'autres secteurs font état publiquement d'une forte baisse de leur activité. Bien que le lien ne soit pas toujours direct entre les violences et ces pertes économiques, le climat de « psychose générale » qu'elles engendrent en raison de leur régularité et de leur intensité est à l'origine de changements de mode de consommation particulièrement préjudiciables à certaines entreprises ( cf. infra ). Ainsi du secteur de la distribution : alors que les blocages d'axes routiers en périphérie des villes sont à l'origine de la baisse de fréquentation de ces enseignes, ils ne peuvent toutefois pas être considérés comme des violences à proprement parler. Pour autant, votre rapporteur ne peut que constater que les mouvements sociaux pacifiques intervenus précédemment n'ont pas induit de baisse d'activité de cette ampleur, ni de changement d'habitudes de consommation aussi structurels. Les débordements et dégradations intervenus sur certains ronds-points, les menaces physiques et verbales dont ont été victimes certains automobilistes se rendant dans ces commerces, le blocage des accès aux centres commerciaux et les menaces de représailles ont transformé une baisse d'activité qui aurait pu se concentrer sur un seul week-end en un préjudice sévère et durable. D'après la FCD, le groupe Auchan aurait ainsi perdu 140 millions d'euros, Fnac-Darty 45 millions d'euros, Casino 50 millions d'euros et Système U de 30 à 40 millions d'euros. Plusieurs personnes entendues par le groupe de travail notent en effet que l'occupation de ronds-points effectuée de manière pacifique, ou des manifestations sans débordement, n'auraient pas eu de conséquences économiques aussi profondes et structurelles . Selon eux, la différence est en effet à rechercher du côté des violences, excès et débordements qui ont accompagné ces opérations et qui différencient, de fait, l'impact de ce mouvement de l'impact des actions plus traditionnelles.

La Fédération du commerce et de la distribution (FCD) estime ainsi que les ventes de ses adhérents ont diminué de 35 % le samedi 17 novembre, de 20 % au cours du week-end du 24 novembre 13 ( * ) . Les effets sont multiples pour « [les] clients qui ne peuvent plus faire leurs achats à la veille des fêtes, [les] fournisseurs qui ne peuvent plus livrer, [les] salariés empêchés de travailler et qui risquent d'en subir les conséquences financières ou sur leur emploi et pour [les] magasins, qui enregistrent de lourdes pertes ». Au total sur la période de novembre et décembre 2018, la fédération évalue entre 300 et 500 millions d'euros la perte de chiffre d'affaires liée aux blocages .

Le Conseil national des centres commerciaux (CNCC) estime quant à lui que la perte totale de chiffre d'affaires s'élève à 2 millions d'euros pour la fin d'année 2018 14 ( * ) , en raison notamment de l'interdiction d'accéder aux zones commerciales. Or, cette dernière a régulièrement été imposée avec violence par certains manifestants. Le samedi 17 novembre, la fréquentation des centres commerciaux a ainsi diminué de 39 %, puis encore de 15 % le 24 novembre et de 14 % le 8 décembre.

Comparaison annuelle de la fréquentation des centres commerciaux
en France les samedis

Source : Quantaflow, à partir de données issues de compteurs répartis dans 400 centres commerciaux français

À La Réunion , la CCI estime que les pertes concernant les 36 000 entreprises implantées atteindraient des montants compris entre 600 et 700 millions d'euros . 20 900 salariés seraient concernés par une mesure d'activité réduite. Le secteur agricole a ainsi été contraint de laisser pourrir des fruits et légumes, de réduire l'alimentation des bêtes et de jeter des milliers de litres de lait en raison des blocages qui empêchaient l'accès aux exploitations. Le déroutage de onze paquebots de croisière transportant 11 300 touristes ainsi que les images de violence diffusées à l'international sont en outre amenés à laisser des séquelles importantes pour l'activité touristique de l'île .

Des conséquences graves, touchant l'ensemble des secteurs et départements :
l'exemple de « L'enquête Gilets Jaunes » de la CCI du Lot-et Garonne

La CCI du Lot-et-Garonne a réalisé une enquête du 18 au 25 janvier 2019 auprès de chefs d'entreprise de sa circonscription. Il en ressort notamment que 54 % des entreprises se disent impactées (contre une moyenne régionale de 49 %). Près de 70 % des sondés ont constaté une baisse de fréquentation en décembre 2018 ainsi qu'une baisse du chiffre d'affaires, comprise entre 20 et 40 % pour le quart d'entre eux, tandis que 50 % des employeurs interrogés notent des retards d'expédition ou de livraison .

Les professionnels du secteur des matériaux de construction déclarent souffrir d'une mauvaise image à l'export , tandis que le secteur des services aux professionnels observe un climat général de mal-être . Les entreprises du commerce de gros dans le secteur maraîcher déplorent quant à elles des pertes de marchandises et des délais d'attente anormaux compte tenu des camions bloqués.

Dans un courrier à la préfète de Lot-et-Garonne, en date du 29 novembre 2018, la CCI relaye par ailleurs « l'état d'épuisement moral et de désabusement ressenti par les chefs d'entreprise ».

Dans une précédente enquête, réalisée du 12 au 17 décembre 2018, 67 % des chefs d'entreprise constataient déjà une baisse du carnet de commandes. Plusieurs entreprises du Marmandais déclaraient enregistrer une baisse du chiffre d'affaires de 25 %, tandis que des commerces du Villeneuvois relataient « une grosse inquiétude sur la trésorerie et la pérennité de l'entreprise ».

Val de Garonne Agglomération , qui regroupe 43 communes et 60 000 habitants environ, a ainsi indiqué au groupe de travail que les violences et débordements ont instillé un climat de crainte et de peur chez les clients, contribuant à la désertion des magasins de Marmande en fin d'après-midi (entre 17h et 19h). Des commerces ont vu leur chiffre d'affaires diminuer, à l'image d'Etam (- 50 % le premier samedi, - 25 % le deuxième, - 18 % le troisième) ou de Studio Fitness. Certains secteurs sont particulièrement affectés : les pertes pour les commerces de bouche sont irrattrapables (l'activité de la boulangerie Secrets de pain a ainsi diminué de 20 à 30 % depuis le début du conflit), le secteur du transport et de la logistique a dû faire face à de nombreuses annulations de commandes et a dû composer avec d'importants kilométrages de détour et le secteur du BTP a été privé de matières premières au début du conflit . Le Président de l'EPCI alerte en outre sur les effets négatifs pour l'emploi , notamment en termes de report de contrats d'intérim.

Si la fin de l'occupation de certains ronds-points à partir du mois de février a pu permettre un redémarrage de l'activité dans les zones périphériques, l'importance de ces conséquences économiques et leurs impacts structurels sur la viabilité des entreprises continuent de produits leurs effets.

Mi-février 2019 15 ( * ) , l'impact sur les finances publiques locales des violences et débordements était estimé par l'association France urbaine à 30 millions d'euros . Ce coût inclue les frais de remise en état, de propreté (effacement des tags, heures supplémentaires des agents de nettoyage), de rachat du mobilier urbain détruit ainsi que les pertes de recettes liées au caractère non-fonctionnel des automates de parking. À cette date, le montant des dégâts s'élevait à 18 millions d'euros à Paris 16 ( * ) , 5 millions d'euros à Toulouse, 1,2 million d'euros à Bordeaux (dont 428 000 euros au titre des frais de remise en état des lignes du tramway Keolis dégradées par les incendies et 160 000 euros liés aux travaux de voirie), plus d'un million d'euros à Rennes, Dijon et Saint-Etienne selon l'Association des maires de France . À Marseille, les dégradations constatées s'élèvent à 102 000 euros, comprenant les frais de restauration d'une oeuvre d'art prêtée à la ville et exposée sur le Vieux Port.

Ces estimations ont été mécaniquement revues à la hausse à la suite des violences commises en marge des manifestations suivantes, notamment celle du 16 mars , dans un contexte où les collectivités territoriales les plus importantes 17 ( * ) sont tenues de maîtriser leurs dépenses de fonctionnement. A ces coûts directs doivent être ajoutés les coûts indirects liés, par exemple, à la baisse de fréquentation des musées publics (- 1,6 % pour les musées bordelais en décembre), aux moindres recettes fiscales dues à la baisse d'activité , etc.

B. DES PRÉJUDICES MORAUX ET ÉCONOMIQUES PROFONDS ET PERSISTANTS

Les rencontres menées par le groupe de travail avec les associations de commerçants de centre-ville, les élus consulaires et les fédérations professionnelles, de même que les nombreuses contributions écrites reçues de la part des élus locaux et de certaines entreprises permettent de brosser un large panorama des préjudices subis par les acteurs économiques privés . À un chiffrage général des pertes économiques totales 18 ( * ) , qui semble hasardeux et prématuré, le groupe de travail a privilégié l'étude et le recensement, au plus près des entreprises impactées, des multiples préjudices subis . Pour ce faire, il a laissé la parole à ceux qui se trouvent chaque samedi en première ligne face à ces violences et débordements.

1. Les salariés sont les premières victimes de ces violences et débordements commis en marge des manifestations

Les différentes auditions menées par le groupe de travail ont permis de mettre en évidence le traumatisme profond vécu par les salariés victimes d'agressions verbales et parfois physiques et témoins au premier rang des violences commises contre leur entreprise. À ce préjudice psychologique s'ajoute en outre un préjudice économique , se matérialisant sous la forme de pertes de primes salariales ou de moindre embauche.

a) Les salariés vivent un traumatisme psychologique profond

« Vraie psychose 19 ( * ) », « véritable traumatisme psychologique 20 ( * ) », « peur de se rendre au travail 21 ( * ) » sont autant d'expressions employées par les artisans et commerçants rencontrés à propos de leurs salariés. Lorsque les entreprises sont amenées à interrompre leur activité temporairement au passage des manifestants, les salariés sont présents et cloisonnés dans les locaux. Ils assistent alors aux débordements . De même, lors des pillages, tentatives d'incendie, affrontements, casses, explosions et jets de gaz lacrymogènes, les salariés sont victimes de ces violences et sont parfois contraints de défendre eux-mêmes, physiquement, le commerce , en lieu et place des autorités publiques. Beaucoup de commerçants et de salariés ont en outre accueilli en urgence des passants pour les protéger des altercations et des gaz lacrymogènes. Nombreux sont ceux qui se déclarent affectés psychologiquement et qui craignent le retour au travail. Selon les données de la CCI Ille-et-Vilaine, 30 % des salariés en centre-ville ont subi un impact psychologique fort .

L'association Marseille Centre recense ainsi des cas de salariés blessés, pris dans la foule en sortant de leur travail et parfois victimes d'interventions policières mal ciblées provocant des arrêts de travail. L'épuisement moral et la réticence à venir travailler touchent également les agents de sécurité, en première ligne lors de ces journées. Ces informations sont partagées par l'ensemble des associations de commerçants. Marseille Centre note également des différences dans la réponse apportée par les entreprises : certains sièges de société sont restés sourds aux demandes salariales de fermeture préventive, de renforcement de la sécurité, de sécurisation des accès ou simplement aux demandes de contact humain afin d'exprimer leur souffrance. D'autres au contraire ont pris très tôt la décision de descendre préventivement le rideau afin de protéger les salariés.

À ce traumatisme s'ajoutent d'autres problématiques : la fermeture des transports en commun pose par exemple des problèmes aux salariés pour se rendre au travail ou en repartir ; la nécessité de compenser les pertes de chiffre d'affaires a contraint certains employeurs à modifier les plannings et les dates des congés. Selon la Fédération des enseignes de l'habillement (FEH), les absences pour cause de maladie et les demandes de mobilité géographique ont augmenté.

L'association « Paris Aide aux Victimes » a ainsi été requise par le Parquet de Paris pour accompagner, entre autres, les personnes souffrant de préjudices psychologiques liés aux violences commises. D'après les informations recueillies par votre rapporteur, la plupart des victimes qui la sollicitent sont dans la quasi-impossibilité de reprendre le travail convenablement . L'association note en effet une anxiété forte qui se manifeste par l'inquiétude liée à la répétition des évènements.

b) Les salariés sont également victimes de préjudices économiques directs liés à la baisse de leurs revenus ou indirects liés à l'emploi

De nombreux salariés perçoivent une part de leur rémunération sous forme variable , indexée sur l'atteinte des objectifs de vente fixés en début d'année. Par conséquent, la forte baisse de l'activité entraîne mécaniquement une diminution du versement de ces primes , constatée par l'ensemble des acteurs économiques interrogés par le groupe de travail.

Par exemple, cette baisse a pu représenter dans le cas de Bordeaux jusqu'à un mois de salaire . À Marseille, dans la plupart des cas, la prime de fin d'année n'a pas été accordée, pas plus que la prime défiscalisée, annoncée par le Gouvernement le 10 décembre 2018, du fait des difficultés rencontrées par les employeurs. La CCI Rouen Métropole recense des cas de pertes de prime dans les grandes enseignes comme Le Printemps, Darty et la FNAC.

De façon plus indirecte, les salariés, apprentis, stagiaires ont également subi un préjudice lié au non-renouvellement de contrats à durée déterminée, à une hausse des ruptures de contrats en période d'essai et à l'impossibilité pour certaines entreprises de faire appel à des extras ou à des apprentis . CMA France rappelle par ailleurs qu'une baisse du nombre de contrats d'apprentis à partir de septembre, très susceptible d'avoir lieu, creusera encore le manque de compétences sur le marché de l'emploi . La CMA Hauts de France a ainsi indiqué que 595 emplois salariés et 124 contrats d'apprentis sont menacés. CCI France a en outre alerté le groupe de travail sur le cas de chefs d'entreprises décidant de mettre un terme à leur aventure entrepreneuriale afin de redevenir salariés , se disant désabusés de la situation économique.

Selon les données de Plein Centre (Nantes), il y aurait eu au total sur la période 10 % d'embauches en moins par rapport à l'année précédente ; le même ordre de grandeur est constaté à Bordeaux, où 664 emplois seraient en outre en danger selon les données issues d'une enquête de la CCI. À Dijon, des contrats temporaires pour couvrir la période de Noël n'ont pas été signés. À Lyon, 20 % des entreprises auraient licencié ou effectué des démarches de chômage partiel , tandis que 500 CDD n'auraient pas été renouvelés à Rouen. D'après la CCI Rouen Métropole, pour l'organisation de L'Armada en juin 2019 (rassemblement de voiliers et navires militaires), le nombre de contrats temporaires, de jobs d'étudiant ou d'embauche saisonnière est en forte baisse . À Rennes, les données de la CCI Ille-et-Vilaine indiquent que 30 % des entreprises ont réduit leur appel à des extras et ont modifié leur planning d'embauche. Cet ajustement à la baisse d'activité est particulièrement visible dans le secteur de l'hôtellerie-restauration et du prêt-à-porter. D'après la Fédération des enseignes de l'habillement, des centaines de CDD n'ont ainsi pas été créés ou n'ont pas été renouvelés durant la période .

Le cas du théâtre Marigny illustre cette situation alarmante : l'annulation d'un mois et demi de représentations à partir de mi-juin, du fait de la perte d'attractivité consécutive aux violences, fragilise la situation des intermittents embauchés qui auront des difficultés à trouver des CDD sur cette période. En outre, le théâtre a relayé auprès de votre rapporteur des retards dans l'embauche de deux personnes en CDI (une embauchée en juin au lieu de février, l'autre toujours en attente). À 17 reprises, les annulations de journée de travail ont dû être annoncées à la dernière minute.

Toutes les associations mettent l'accent sur le fait que la première variable d'ajustement n'est pas l'emploi, mais la rémunération du chef d'entreprise afin de préserver les effectifs. Les artisans et commerçants sont souvent dans une relation de confiance et presque « affective » avec leurs collaborateurs et préfèrent diminuer en tout ou partie leur rémunération en cas de telles difficultés plutôt que de supprimer des emplois.

Des salariés traumatisés et appauvris

Le 19 juin 2019, le rapporteur du groupe de travail a rencontré plusieurs salariés de brasseries et bijouteries impactées par les violences à Paris. Pour des raisons de confidentialité et de sécurité, l'identité des entreprises n'est pas communiquée.

Pour plusieurs de ces salariés, les difficultés ont été doubles . D'une part, un « choc psychologique énorme » : certains ont participé à la protection du magasin en constituant des barricades à partir d'objets aux alentours, tout en étant copieusement insultés. Pour eux, il n'y avait « aucun respect de l'humain ». Lorsque les risques étaient élevés et connus en amont, nombreuses sont les entreprises décidant de ne pas ouvrir le samedi. Souvent en revanche, la manifestation démarrait calmement avant de soudainement dégénérer. La majorité des salariés a assisté, impuissante, parfois regroupée dans une arrière-salle, à la destruction des vitrines, l'incendie des objets laissés devant, le saccage et le pillage .

Les salariés se sont crus « en temps de guerre ». Dans certaines occasions, ils ont été amenés à évacuer les clients en cinq minutes lorsque la situation dégénérait. Durant plusieurs mois, un stress permanent s'est instillé à l'idée que la manifestation du samedi suivant puisse déboucher à nouveau sur ces actes.

D'autre part, des pertes de revenus : la forte baisse de l'activité consécutive à ces violences a impacté la part variable de leur rémunération (cette dernière étant parfois intégralement indexée aux résultats) et leurs pourboires . Des salariés, notamment des brasseries, ont indiqué avoir perdu 1 000 euros par mois durant cinq mois . La situation s'améliore seulement depuis le début du mois de juin.

Parallèlement, les salariés subissent plusieurs autres préjudices : leur véhicule a parfois été détérioré, se rendre au travail et en repartir nécessite bien plus de temps (transports en commun fermés, déviations, stationnement du véhicule loin de la zone à risque), des salariés ont été placés en activité partielle ou répartis dans d'autres antennes de l'entreprise à Paris.

2. Les commerçants et artisans des centres-villes font face à des pertes économiques atteignant en moyenne 30 % de leur chiffre d'affaires et à des préjudices de diverses natures
a) Au-delà de la casse, le principal préjudice subi par les commerçants et artisans des centres-villes est la baisse drastique du chiffre d'affaires
(1) Un montant de casse considérable, qui contraint commerçants et artisans à fermer temporairement

Selon la mairie de Paris, ce sont 500 entreprises qui ont été dégradées dans les arrondissements centraux de la capitale durant les premiers samedis, puis de nouveaux arrondissements ont été touchés par la suite (le XIIème et le XVème). 220 l'ont été rien que lors de la manifestation du 16 mars 2019 . 24 % des 652 commerces impactés au total sont des commerces de proximité (optique, boulangerie, caviste, pharmacie, cordonnerie), 21 % dans le secteur de l'habillement, 20 % dans la restauration, 15 % dans le secteur bancaire et assurantiel, 6 % dans les services (agence immobilière, agence de voyage, etc.). Pour les artisans , le montant moyen des dégâts s'élève à 7 000 euros.

D'après les données transmises par le Comité des Champs-Elysées , le coût des mesures de protection dont s'équipent les entreprises pour faire face aux violences est situé entre 5 000 et 35 000 euros selon la taille des boutiques. Ces protections sont toujours à la charge unique des commerçants . En outre, les entreprises voisines de celles touchées par des dégâts matériels subissent les conséquences indirectes de ces violences : d'après les informations de la CCI Paris Ile-de-France, les hôtels situés aux alentours du Fouquet's sur les Champs-Elysées accusent par exemple une baisse des réservations en raison de la crainte des touristes de se trouver si près d'un lieu emblématique de la contestation .

Dans le centre de Marseille , certains commerçants ont dû fermer pour travaux : c'est le cas de la boutique Saint-Honoré Paris, pillée le 8 décembre 2018 et toujours fermée à la fin du mois de mai 2019 . La fermeture pour remplacement des vitrines brisées et installation de panneaux de protections en bois a également concerné les boutiques de l'Olympique de Marseille, SFR, Orange, Lacoste, Louis Vuitton et Délices Lamarque . L'association Marseille Centre note également que plusieurs commerçants ont été contraints de réagir dans l'urgence en effectuant l'avance des fonds avant d'engager les procédures d'indemnisation, grevant davantage encore leur trésorerie. Dans la majorité des cas, le paiement de la franchise d'assurance concernant les dossiers de vitrines détériorées est à la charge de l'entreprise.

D'après les informations de la CCI Rouen Métropole , les dégradations matérielles se sont concentrées sur les grandes artères comme les rues Jeanne d'Arc, République, Jean Lecanuet et Général Leclerc. À titre illustratif, le magasin Le Printemps, situé dans la zone piétonne de la ville, est ainsi contraint de financer chaque samedi pour 15 000 euros de matériel de protection . Ces dépenses s'élèvent à 100 000 euros pour le Crédit agricole et à 7 000 euros pour un magasin Yves Rocher situé dans la rue du Gros-Horloge.

À l'inverse, il semble que les commerçants du centre de Dijon n'aient pas eu à subir de casse significative, mais le montant des dégradations de biens publics s'élèverait à 1 million d'euros environ d'après l'association Shop in Dijon.

À Saint-Etienne , les dégâts matériels se sont élevés à plusieurs centaines de milliers d'euros . Les enseignes Histoire d'or, Optique Grenier, Bimp ont en outre connu de véritables pillages et plusieurs d'entre-elles sont restées fermées pour travaux durant plusieurs semaines (cinq semaines pour Histoire d'or).

Dans le centre-ville de Bordeaux , plusieurs commerces ont fermé de manière préventive en raison de la « cible » emblématique qu'ils représentent pour les casseurs , notamment sur le cours Pasteur. L'Apple Store, situé rue Sainte-Catherine, a par exemple été contraint de fermer deux jours entiers à la suite de dégâts matériels et de pillage . La pose et la dépose de barricades tous les vendredis et dimanches représente également un coût supplémentaire. L'association La Ronde des quartiers note par ailleurs que les banques, agences immobilières, agences de voyages et agences d'intérim ont fait l'objet de fortes dégradations externes et internes. Fin mai 2019, peu de distributeurs de billets étaient en état de fonctionner dans la zone centrale.

Les dégâts matériels touchent aussi bien les commerçants que les artisans : en Moselle, une enquête de la CMA établit que pour 83 % des artisans touchés, le coût moyen est situé entre 5 000 et 10 000 euros.

Il est à noter toutefois que plusieurs CCI ont informé le groupe de travail que les entreprises ont parfois une réticence à l'idée de leur communiquer le chiffrage des dégradations matérielles.

(2) Une diminution dramatique de l'activité des entreprises

L'intégralité des associations et des chambres consulaires (CCI et CMA) rencontrées par le groupe de travail souligne l'impact désastreux que les violences et débordements ont sur l'activité . Le lien de causalité est protéiforme : dans certains cas, les violences répétitives contraignent les commerçants à fermer ponctuellement leur boutique durant le passage de la manifestation, le centre-ville étant vide à la réouverture. Dans d'autres cas, tout le samedi est « une journée perdue » , les commerçants décidant, pour des raisons de protection des salariés et des biens, de rester fermés. Le « harcèlement continu depuis plus de six mois 22 ( * ) » entraîne par ailleurs des pertes d'activité importantes : les chiffres du dimanche sont également en baisse et la majorité des associations note une diminution de la consommation y compris durant la semaine. En effet, les violences commises en marge du mouvement sont désormais associées aux manifestations dans l'esprit des consommateurs, qui ont décidé de modifier leurs habitudes de consommation . Par exemple, selon l'association Sainté Shopping, « la clientèle s'est adaptée et vient en semaine entre 12h et 14h, mais la plupart des achats « plaisir » du samedi ne sont pas reportés ». Or, votre rapporteur note que les manifestations classiques qui ne s'accompagnent pas de violences répétées impactent certes l'activité économique ponctuellement mais n'ont jamais contraint les commerçants à subir vingt-sept samedis consécutifs de pertes.

Il ressort des auditions menées par le groupe de travail que la perte d'activité est située entre 20 % et 30 % du chiffre d'affaires pour les commerçants et artisans impactés . Selon les données fournies par CCI France, jusqu'à deux tiers des commerçants considèrent que la perte d'activité est irrécupérable, malgré les mesures de soutien comme les ouvertures dominicales, pour plusieurs raisons : d'une part, les préjudices ont été subis durant des périodes commerciales spécifiques qui ne se reproduisent qu'épisodiquement (le Black Friday, Noël, les soldes). D'autre part, de nombreuses marchandises périssables n'ont pu être vendues et ont dû être détruites.

À Bordeaux , près de 80 % des commerçants interrogés déclarent une perte globale de chiffre d'affaires supérieure à 20 % 23 ( * ) , les plus vulnérables étant ceux ayant ouvert dans les deux années précédentes. Sur les principaux axes commerçants de la ville, la rue Sainte-Catherine et la rue de la Porte Dijeaux, la baisse de fréquentation atteint 40 % les samedis du mois de décembre et 10 % en cumulé sur tout le mois . La baisse de chiffre d'affaires se situe, elle, entre 60 % et 70 % le samedi, et atteint en moyenne 20 % sur toute la semaine entre décembre et mars 2019. La violence de la contestation dans cette ville est à l'origine d'une fermeture des transports en commun , qui transforme Bordeaux chaque samedi en « ville morte », selon la CCI Bordeaux Gironde. Durant les soldes de janvier, la baisse atteint encore 34 % les samedis, soit 12 % en cumul sur le mois, ne permettant pas de profiter de cette période commerciale pour compenser les pertes subies. De 10 à 15 % des commerces sont menacés de fermeture. D'après les données transmises à votre rapporteur par le Tribunal de commerce de Bordeaux, le nombre de procédures collectives 24 ( * ) a ainsi augmenté de 20 % sur les quatre premiers mois de l'année 2019 par rapport à la même période en 2018 (490 procédures contre 404), sans toutefois que le lien direct avec les violences commises en marge du mouvement soit toujours précisé par l'entrepreneur 25 ( * ) .

D'après les données de l'association La Ronde des quartiers, les centres commerciaux du centre-ville enregistrent une baisse moyenne de la fréquentation comprise entre 32 et 44 % chaque samedi, et de 9 % en cumulé depuis le début du mouvement. L'Apple Store, pillé le 8 décembre ( cf. supra ), a en outre dû fermer vingt-cinq samedis dont les deux derniers avant Noël, qui restent les week-ends les plus importants en termes de ventes. Par ailleurs, l'une des plus importantes enseignes du quartier indique avoir subi une baisse de chiffre d'affaires de plus de 2,5 millions d'euros. Ces pertes se succèdent et se cumulent : le 30 mars 2019, la présence importante de casseurs et black blocs a ainsi conduit 80 % des commerces à fermer . Si certains commerces avec une offre « haut de gamme » ont pu bénéficier d'un report de la consommation sur le reste de la semaine, l'écrasante majorité a subi les préjudices liés à ces violences. En conséquence, la CCI enregistre une diminution du nombre d'immatriculations de commerces au centre-ville.

À Rennes , la perte subie depuis le début du mouvement s'élève à 47 millions d'euros 26 ( * ) selon les données de la CCI Ille-et-Vilaine, 77 % des commerçants du centre-ville étant touchés (soit 1 521 entreprises). La baisse d'activité est comprise entre 20 et 40 % du chiffre d'affaires (jusqu'à - 60 % pour certains commerces durant les fêtes de fin d'année) et provient notamment du non-déplacement des consommateurs des villes alentours comme Laval, Saint-Brieuc et plus généralement de la Normandie. Pour ces clients, Rennes est « une ville assiégée ». Cette inquiétude se retrouve notamment dans les chiffres de fréquentation des parkings principaux de la métropole, entre - 15 % et - 40 % de novembre à janvier 27 ( * ) . Ces violences frappent en outre un tissu économique local qui commençait tout juste à se remettre des fortes violences commises durant les manifestations contre la loi Travail en 2016. Les conséquences sont amenées à durer , la baisse d'activité étant également constatée au-delà des samedis, durant la semaine.

D'après une enquête menée par la CCI Toulouse , les pertes se situent entre 15 % et 20 % du chiffre d'affaires pour les entreprises du centre de cette ville et il est noté « une forme d'accoutumance des chalands 28 ( * ) » qui décident de consommer uniquement en semaine pour les habitants du centre, et uniquement en dehors du centre-ville pour les habitants extérieurs au centre.

À Rouen , le mouvement se concentrait initialement à l'extérieur de la ville et sur les ponts d'accès mais s'étend désormais au centre depuis fin décembre 2018. La CCI Rouen Métropole observe une baisse d'activité comprise entre 20 et 50 % du chiffre d'affaires, touchant prioritairement les TPE du commerce de détail (équipement de la personne, équipement de la maison, petite restauration) et les entreprises de logistique. À titre illustratif, un libraire interrogé note ainsi une perte de 22 500 euros pour la seule journée du 22 décembre , l'approche de Noël représentant ordinairement son pic d'activité. De janvier à avril 2019, les pertes s'établissent encore entre 5 et 15 % du chiffre d'affaires pour les petits commerces de détail selon la CCI. En particulier, Le Printemps enregistre des pertes de 6 %, les Galeries Lafayette des pertes de 15 % et la FNAC des pertes de 4,5 %. Fin novembre 2018, un magasin Décathlon de Caen avait déjà perdu 1 million d'euros de chiffre d'affaires. En outre, les flux touristiques ont diminué de 20 % selon l'Office de tourisme de Rouen. L'association des Vitrines de Rouen estime globalement que les pertes d'activité atteignent toujours, les samedis de mai 2019, de 15 à 20 % du chiffre d'affaires , ce qui correspondrait environ à la clientèle familiale extérieure à Rouen qui a changé ses habitudes et a cessé de se déplacer dans le centre-ville par peur des violences.

À Nantes , si les pertes sont comprises en moyenne entre 20 et 40 % du chiffre d'affaires d'après l'association Plein Centre, elles atteignent de 40 à 70 % pour les enseignes principales comme les Galeries Lafayette, la Fnac ou les cinémas Gaumont. Pour 68 % des commerces interrogés, les pertes ont dépassé le seuil du 30 % durant les périodes particulières des fêtes de fin d'année, des soldes et de Pâques. Une vingtaine d'entreprises, qui présentaient déjà des difficultés avant les violences et débordements, ont fermé depuis. La baisse de fréquentation est particulièrement visible au regard du taux de fréquentation des quatorze parkings de la ville : il a baissé de 4 % à 8 % en moyenne entre les mois de novembre et de février (dernière date communiquée) et de 15 % sur les seules journées du samedi. Les cinémas Gaumont ont enregistré une baisse de fréquentation de 25 % sur les samedis et des enseignes comme la FNAC ou les Galeries Lafayette auraient perdu en cumulé environ 1 million de clients depuis novembre.

Impact du mouvement, des violences et débordements
sur l'activité de Nantes

Sur 5 800 commerçants installés au centre de Marseille , 3 000 ont été et sont toujours impactés, soit 52 % du tissu économique . 37 % des entreprises impactées estiment avoir perdu plus de 30% de leur chiffre d'affaires. Si l'association Marseille Centre n'a pas connaissance de fermeture définitive de commerce, elle note toutefois que ceux qui étaient déjà en situation de vulnérabilité ont été contraints de déposer le bilan . Des commerces identifiés comme la cible des casseurs ont fermé préventivement le samedi à partir de 14h, tous ne rouvrant pas (notamment les enseignes de téléphonie, les grandes marques et les magasins de sport). Ceux ayant fermé temporairement lors du passage des manifestations découvrent toutefois un centre vide, déserté par les consommateurs , à la réouverture. Bien que la Métropole ait pris des mesures d'urgence comme la gratuité du stationnement à l'approche de Noël, « la fréquentation reste terne car une psychose s'est installée chez les consommateurs. Le samedi est désormais un jour « sans » ». Preuve en est, le centre commercial des Terrasses du Port enregistre une forte baisse de chiffre d'affaires le samedi, mais une hausse le vendredi et le dimanche. Pour certains acteurs du luxe, cette psychose s'est traduite par des pertes d'activité de l'ordre de deux-cents mille euros par samedi .

Marseille, une ville touchée par une succession d'évènements dramatiques

La situation de Marseille est spécifique à un calendrier particulier d'évènements. Le 5 novembre 2018, deux immeubles s'effondrent dans le quartier de Noailles provoquant un terrible choc et la désertion du centre-ville dans les semaines qui suivent.

Depuis, les manifestations des gilets jaunes se sont fréquemment accompagnées de violences et de dégradations, notamment sur la Canebière. Par ailleurs, un grand chantier d'aménagement urbain, prévoyant la piétonisation du centre sur vingt-deux hectares a débuté en 2019 provoquant des difficultés d'accès et de circulation.

« L'ensemble de ces évènements est durement ressenti par tous », selon Marseille Centre. Une des conséquences est le taux de vacance commerciale élevé, à 17 % du parc.

À Dijon, d'après les informations fournies par l'association Shop in Dijon, la perte est estimée entre 30 et 40 % du chiffre d'affaires . Un report de la consommation semblant avoir lieu vers le commerce en ligne et vers les zones commerciales périphériques, certaines commerces connaissent des baisses d'activité atteignant 60 %. En outre, le tribunal de commerce enregistre en début d'année 2019 une augmentation de 35 % des procédures de liquidation judiciaires . Selon la CCI Côte d'Or, 50 % des commerçants du centre-ville sont impactés tous les samedis. Si les fermetures préventives d'entreprise ont eu de fortes conséquences en fin d'année 2018 et début d'année 2019, la baisse de fréquentation perdure aujourd'hui, pèse sur l'activité et témoigne d'une modification structurelle des habitudes de consommation.

Selon les données de la CCI Lyon Métropole, 80% des entreprises de la presqu'île déclarent une baisse de CA, cette dernière étant située entre 20 et 30 % pour 34 % des commerçants et artisans et dépassant les 30 % pour 20 % d'entre eux. L'impact des violences sur la fréquentation touristique est fort, les pertes liées à la baisse des flux étrangers étant évaluées à 10 millions d'euros sur la période novembre-mai 2019.

À Paris , la CCI Paris Ile-de-France et la CCI Paris font état de difficultés à obtenir des informations chiffrées de la part des commerçants. Par pudeur, par méfiance ou par résignation, un refus psychologique de communiquer sur les préjudices subis s'est installé . Une enquête en janvier 2019 a toutefois permis d'établir que les pertes d'activité seraient comprises entre 20 et 50 % du chiffre d'affaires. Par ailleurs, les préjudices ne sont pas les mêmes selon les secteurs (les commerces alimentaires ont subi des préjudices de moindre ampleur sur la durée) et la typologie de clientèle (l'hôtellerie-restauration est plus particulièrement touchée par la baisse des flux touristiques). Les deux chambres consulaires observent par ailleurs qu'un changement d'habitude de consommation, se traduisant par une diminution des dépenses non-contraintes (loisir, restauration, etc.), semble s'opérer et est amené à fragiliser de façon assez durable l'activité économique.

L'artisanat est fortement touché, les pertes s'échelonnant entre 20 et 50 % du chiffre d'affaires . Ces violences sont intervenues dans une période particulièrement active, notamment pour les métiers de l'alimentaire (boulangerie, boucherie, fromagerie, etc.) : les chocolatiers ont perdu par exemple jusqu'à 70 % de CA durant fêtes de fin d'année.

Les cas particuliers à Paris des Champs-Élysées et du Faubourg Saint-Honoré

Si les entreprises de l'ensemble des centres des grandes et moyennes villes ont subi de forts préjudices économiques, celles situées sur les Champs-Elysées et dans le Faubourg Saint-Honoré font en outre face à des problématiques spécifiques.

Ces deux zones géographiques représentent deux des trois plus grandes zones de chalandise à Paris et cumulent des difficultés partagées par les autres centres-villes et des enjeux propres. Parmi les difficultés partagées, le Comité des Champs-Elysées évalue la baisse d'activité à hauteur de 25 % du chiffre d'affaires et celui du Faubourg Saint-Honoré entre 10 et 30 % . Les deux secteurs les plus touchés sont l'hôtellerie et la restauration assise , avec des interruptions répétitives de service le samedi soir. Par ailleurs, huit kiosques sur dix sont sinistrés pour un coût dépassant le million d'euros. Pour des raisons de confidentialité, de nombreux adhérents n'ont pas souhaité communiquer publiquement sur le chiffrage de la perte d'activité subie. Au total, cette dernière atteindrait plusieurs dizaines de millions d'euros (une des enseignes subissant à elle seule un préjudice de plus de dix millions d'euros).

Les enseignes de ces quartiers font également face à des problématiques particulières . En raison de son emplacement géographique proche du Palais de l'Élysée, le Faubourg Saint-Honoré, regroupant environ 150 enseignes, a été totalement fermé à la circulation (automobile ou piétonnière) à sept reprises. Les quatre samedis 29 ( * ) précédant Noël ont ainsi été déclarés « zone sanctuarisée ». Durant les autres samedis, de nombreux barrages filtrants avec fouille au corps et contrôle des affaires personnelles ainsi que de fortes restrictions de circulation aboutissent, dans les faits, au même résultat : les boutiques sont quasiment inaccessibles aux clients et aux salariés . Les achats qui y sont d'ordinaire réalisés mêlent plaisir et spontanéité. Or, selon le Comité du Faubourg Saint-Honoré, « notre quartier ressemble à un camp retranché donnant un accueil très négatif à notre clientèle qui fuit notre secteur également les autres samedis ». Le Comité souligne ainsi le caractère disproportionné des mesures de « sanctuarisation » alors que les manifestations sont connues des pouvoirs publics à l'avance et que le nombre de participants est faible.

Les enseignes des Champs-Elysées rencontrent des problématiques différentes. Lieu principal des manifestations les plus violentes, l'avenue a été le théâtre à plusieurs reprises de pillages et d'incendie , contraignant les commerces à fermer préventivement pour assurer la sécurité de leurs salariés et à s'équiper en matériels de protection onéreux. Si l'activité redémarre légèrement depuis l'édiction d'arrêtés d'interdiction de manifester, l'avenue reste désertée par les familles : les samedis sans manifestation enregistreraient toujours des baisses d'activité de 50 % environ . Par conséquent, le Comité des Champs-Elysées se prononce favorablement au maintien d'un dispositif de protection surdimensionné, au risque d'accentuer la baisse d'activité, afin de rétablir l'ordre public et d'initier ensuite des campagnes de promotion de l'avenue.

En outre, le tourisme représente une part majeure de l'activité de ces deux quartiers . Or, les images des violences, qui ont fait le tour du monde, ont eu un impact immédiat et dramatique sur les flux touristiques. À titre illustratif, le nombre de détaxes aurait augmenté en 2019 de 10 à 15 % dans les principales villes des pays voisins, mais aurait baissé de 4 % à Paris . Le nombre de visiteurs internationaux aurait diminué de 10 % en Ile-de-France sur la période janvier-avril 2019 par rapport à la même période en 2018. Or, 70 % du chiffre d'affaires réalisé par les boutiques du Faubourg Saint-Honoré proviennent des achats de touristes étrangers, ce qui explique que le secteur de l'hôtellerie soit celui le plus touché du Faubourg Saint-Honoré . La CCI Paris Ile-de-France constate ainsi un départ des touristes en fin de semaine. Cette diminution des flux touristiques concerne également la restauration et les boutiques de souvenir.

Carte des commerçants impactés sur les Champs-Elysées

Source : CCI France

Un exemple de l'accumulation des préjudices : le cas du théâtre Marigny

Le Théâtre Marigny, situé au bas des Champs-Elysées et rouvert récemment au public à la suite de travaux de rénovation, a été contraint d' annuler 17 représentations de ses spectacles au 15 mai 2019 , pour une perte de 1,9 million d'euros , dont 750 000 euros au titre des samedis. Alors que son taux de remplissage était de 70 % pour Peau d'Âne, il est en revanche de 35 % pour Guys & Dolls. Ce spectacle, initialement programmé jusque fin juillet, a été annulé à partir de mi-juin.

En raison de son emplacement dans le périmètre d'exclusion et de l' impossibilité d'accès en transports en commun, à pied ou en véhicule , seuls les spectateurs munis de billets et patientant longuement à l'entrée de la zone afin de se plier à des fouilles corporelles et matérielles systématiques par des forces de sécurité suréquipées étaient autorisés à rejoindre le théâtre. De fait, les familles, personnes âgées et personnes à mobilité réduite ont informé le théâtre qu'ils ne souhaitaient plus s'y rendre . À six reprises, ce dernier est resté entièrement fermé, entraînant pourtant le maintien de certains salaires (artistes, musiciens, techniciens) et fragilisant l'amortissement des productions.

b) De nombreux autres préjudices économiques

Au-delà de la casse et de la baisse d'activité, les violences commises en marge du mouvement ont également entraîné d'autres préjudices économiques pour les entreprises.

Tant les associations de commerçants que les chambres consulaires soulignent que les débordements touchent avant tout des entreprises de petite taille , détenues de façon patrimoniale par les commerçants et artisans. La première mesure prise par ces chefs d'entreprise pour pallier la baisse de résultat est la baisse de leur propre rémunération . Par ailleurs, des biens comme le logement de nombreux entrepreneurs sont mis en caution au soutien de leur activité économique. Une baisse d'activité entraîne donc des préjudices larges et indirects dont les effets se font ressentir jusque dans la sphère personnelle de ces acteurs économiques.

La baisse du chiffre d'affaires a des conséquences en chaîne . Tous les commerçants rencontrés, de même que les chambres consulaires, rappellent qu'elle entraîne une baisse de la trésorerie (parfois compensée par un apport personnel du gérant) débouchant sur un faible maintien des autorisations de découvert bancaire . Les entreprises se trouvent dès lors prises dans un engrenage qui les place en porte-à-faux vis-à-vis de leurs fournisseurs, de leur banquier et des services fiscaux en raison d' une défaillance dans le maintien de l'ordre public dont elles ne sont en rien responsables .

Par ailleurs, afin de compenser les pertes d'activité, CCI France rappelle que de nombreux commerçants ont puisé dans leurs stocks et réalisé de fortes promotions , ce qui a comprimé les marges. Or, non seulement cela représente un manque à gagner par rapport au résultat qui aurait été tiré d'une vente à prix normal, mais l'atténuation de la baisse du chiffre d'affaires qui en découle exclue de fait, en outre, ces entreprises des critères d'éligibilité des fonds d'aides directes mis en place par les collectivités territoriales ( cf. infra ).

Par ailleurs, le maintien de stocks d'hiver du fait de l'impossibilité de les écouler, notamment dans le secteur de l'habillement, a pour conséquence que les entreprises constituent des stocks d'été a minima . En outre, les magasins pillés ont été amenés à reconstituer en urgence leur stock, ce qui a pu entraîner des coûts supplémentaires.

Un cercle vicieux s'est créé qui propage les préjudices économiques subis par les entreprises aux sociétés en amont de la chaîne de production . Si les fournisseurs sont directement touchés par la baisse des ventes de leurs clients, ils le sont également par les difficultés de trésorerie de ces derniers. Les marchandises étant fréquemment payées postérieurement à leurs livraisons, certaines entreprises ne peuvent que difficilement régler la facture en raison de l'impact des violences sur leur trésorerie. Si elles choisissent d'accroître leur découvert bancaire, elles prennent le risque de voir leur cotation Banque de France dégradée .

En outre, il ressort des auditions menées par le groupe de travail qu'en raison de la crainte d'une éventuelle sanction des services fiscaux, de nombreuses entreprises privilégient l'acquittement de leur dette fiscale et délaissent le paiement de celle qui les lie à leurs fournisseurs . Par ailleurs, les dépenses de communication sont les premières à être diminuées par les entreprises lorsque l'activité diminue, fragilisant et retardant d'autant une hypothétique reprise des ventes et pénalisant les entreprises d'impression.

Plusieurs associations de commerçants constatent une recrudescence du nombre de vols , y compris en dehors des périodes de manifestation. Selon le Carré Rennais, cette dernière s'explique par une moindre présence policière , les forces de l'ordre étant mobilisées sur d'autres missions.

Les blocages des principaux axes routiers, entrepôts et plateformes logistiques, de même que l'impossibilité de circuler dans les centres de nombreuses villes le samedi, ont eu des conséquences financières et logistiques pour certaines entreprises , notamment pour les artisans (par exemple du bâtiment) dont le métier implique souvent des déplacements véhiculés (interventions, livraisons). Au-delà de l'impact pour le secteur du transport routier, les livraisons des commerces et artisans ont parfois enregistré des retards, entraînant des ruptures de stocks et la destruction de denrées périssables . Certaines associations ont fait part à votre rapporteur de coûts supplémentaires liés à la réorganisation de la réception des marchandises (modification des dates de livraison, frais de conservation des denrées périssables).

Il convient enfin de noter que les TPE représentent 90 % du tissu économique français : à ce titre, la multiplication des démarches administratives constitue autant de temps passé par les chefs d'entreprise sur des taches complexes et chronophages ainsi que des coûts supplémentaires. Cette diminution de la trésorerie intervient en outre au moment où le prélèvement à la source est mis en place, qui est lui aussi à l'origine d'une hausse des charges (facturation des prestations des comptables, par exemple).

c) Une baisse de la consommation peu compensée par des achats en ligne ou en zone périphérique

La majorité des professionnels rencontrés par le groupe de travail indique qu'il n'y a pas eu de report de consommation, ni vers les sites internet des entreprises impactées ni vers les zones périphériques commerciales. Plusieurs raisons semblent l'expliquer. Concernant le commerce en ligne, certains secteurs recourent très peu à ce canal de distribution , à l'image du secteur du luxe. La chambre de commerce et d'industrie de Paris Ile-de-France rappelle ainsi que le caractère unique de la marque et de l'emplacement joue en défaveur d'un report, le client préférant renoncer à son achat plutôt que de le réaliser dans une enseigne concurrente ou plus éloignée. En tout état de cause, s'il y a eu report vers le commerce en ligne, « il s'agit de l'accentuation d'un phénomène préexistant, d'une hausse mais pas d'un envol 30 ( * ) ». D'autre part, la majorité des commerçants de centre-ville sont indépendants 31 ( * ) et ne disposent pas de possibilité de vente en ligne 32 ( * ) . Enfin, les achats réalisés dans les centres-villes obéissent souvent à une logique de flânerie et de spontanéité . Or, les violences commises à intervalle régulier annihilent ces deux moteurs d'achat impulsif , ce qui représente une perte sèche pour les entreprises du centre-ville, le commerce en ligne ou en zone commerciale impliquant à l'inverse une forme de planification de l'achat en amont.

Les données nationales fournies par la Direction générale des entreprises corroborent cette absence de report, y compris vers les « pure player » du commerce en ligne. Les chiffres de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD) témoignent d'un fléchissement de la croissance du secteur du e-commerce : celui-ci a crû de 8 % en décembre 2018 contre 14 % en novembre et 16 % en octobre. Quant au report sur les centres commerciaux de périphérie, les statistiques du Conseil national des centres commerciaux (CNCC) montrent une baisse de la fréquentation , au niveau national, de 2,2 % en décembre 2018 et de 0,7 % en janvier et février 2019. Une attention particulière devra être portée aux statistiques du premier semestre 2019.

Dans certains cas toutefois, un tel report vers les zones périphériques semble exister . D'après les informations fournies par les commerçants de Bordeaux, les centres commerciaux de la périphérie auraient ainsi bénéficié d'une hausse d'activité de 15 à 20 % les samedis (sans aucun report, en revanche, vers le commerce en ligne). L'explication semble liée, paradoxalement, aux manifestations : en tant que cible emblématique du mouvement , un nombre significatif de participants, en provenance d'Agen, Limoges ou Bergerac, se sont rendus à Bordeaux et ont consommé dans ces centres commerciaux.

À Saint-Etienne, les consommateurs semblent également privilégier d'autres quartiers que le centre-ville pour réaliser les achats « plaisir ».

La CCI Rouen Métropole observe quant à elle une augmentation des ventes pour les commerçants des communes d'Elbeuf, d'Isneauville, de Bonsecours et de Mesnil-Esnard , situés sur les plateaux Nord et Est de la ville. Certaines entreprises lui ont également signalé des campagnes de marketing « opportunistes » sur internet de la part de concurrents étrangers. Dans l'ensemble, les services de la région Normandie constatent un report des centres-villes vers les zones périphériques, notamment rurales. Certaines villes moins impactées ont également bénéficié d'un surcroît de consommation, à l'instar de Saint-Lô dont les habitants ne se sont pas rendus à Caen pour les courses de Noël afin d'éviter les blocages.

CCI France note toutefois qu'une augmentation de la thésaurisation des ménages semble l'emporter . Selon elle, l'augmentation du pouvoir d'achat consécutive aux annonces gouvernementales du 10 décembre ne se retrouve pas dans les chiffres de la consommation et du commerce. Cela attesterait d'une modification plus structurelle des habitudes de consommation, les clients préférant épargner par prudence et renoncer aux achats « plaisir » du week-end en centre-ville .

La CCI Paris Ile-de-France note également un léger report sur les commerces de banlieue et les centres commerciaux de périphérie, en particulier dans les domaines de la restauration et des spectacles.

Au total, que le report vers les zones périphériques ou le commerce en ligne soit plus élevé, ou non, que les chiffres ne le laissent paraître, les violences ont fait fuir la clientèle , au moins le samedi, et parfois même en semaine. Or les centres-villes et centres-bourgs sont en situation de fragilité économique depuis de nombreuses années . De tels actes semblent donc accentuer et accélérer une désertification et une dévitalisation des centres-villes qui luttent déjà contre un taux élevé de vacance commerciale .

d) Des conséquences économiques qui s'aggraveront au deuxième semestre 2019

Il ressort des auditions menées par le groupe de travail que les difficultés économiques subies aujourd'hui par les commerçants devraient s'accroître au courant de l'année, pour plusieurs raisons :

• Le mouvement n'est toujours pas terminé en juin 2019 : si la participation semble s'essouffler et les débordements se faire plus épisodiques, la durée du mouvement et l'intensité des violences ont modifié les habitudes de consommation . Dès lors, la clientèle qui fuit aujourd'hui le centre-ville le samedi, et même les autres jours, n'est susceptible de revenir qu'à la stricte condition que l'ordre public soit respecté et que le calme revienne durablement, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Par conséquent, les commerçants et artisans continuent d'enregistrer de fortes baisses de chiffre d'affaires, qui viennent se cumuler avec celles subies depuis novembre . D'autant que les associations de commerçants et les communes retardent le lancement des opérations de communication visant à redynamiser les centres-villes tant que le mouvement perdure, afin de ne pas subir de nouvelles violences qui viendraient annihiler tout le potentiel attractif récupéré ;

• Les réponses apportées en urgence par les commerçants ont été de diminuer la rémunération de l'employeur et les marges de l'entreprise, pour préserver l'emploi des salariés dans l'attente d'un retour au calme. Or ces solutions ne peuvent durer éternellement. Le groupe de travail s'alarme de la prolongation des conséquences économiques de la violence initiale commise en marge du mouvement : les pertes d'exploitation s'accumulent, la trésorerie s'assèche, entraînant de graves difficultés de paiement des fournisseurs et une dégradation du dossier bancaire (découverts non-autorisés, retards de remboursement, etc.). C'est au second semestre qu'une vague de cessations et défauts de paiements devrait intervenir, de même qu'une augmentation critique du nombre de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire voire de liquidation judiciaire . Les échanges entre votre rapporteur et plusieurs membres de tribunaux de commerce confirment cette crainte ;

• Les entreprises qui ont bénéficié des délais ou reports de créances fiscales et sociales vont être amenées à rembourser ces montants à l'issue des échéanciers prévus . Elles devront donc, à ce moment, s'acquitter des cotisations sociales et des impôts dus au titre de leur activité régulière, auxquels s'ajoutera le paiement des créances accumulées et non-encore remboursées. Un tel effet « bosse » représente un important décaissement et est susceptible de contraindre de nombreuses TPE et PME à la cessation de paiement ;

• Bien que le nombre d'investissements étrangers à destination de la France continue de progresser en 2019 33 ( * ) , il est plausible que les images de violences qui ont fait le tour du monde aient un impact sur les décisions d'investissement à plus long-terme . Ces projets nécessitent souvent plusieurs années pour être réalisés, et les débordements ont eu lieu fin 2018 et début 2019 : l'impact en termes d'attractivité économique se mesurera donc plus concrètement en 2020 et 2021 .

3. Deux exemples de secteurs particulièrement touchés : l'habillement et l'hôtellerie-restauration

Le secteur de l'habillement traverse une crise structurelle avec une baisse de l'activité de 15 % en valeur depuis 2008 . Dans ce contexte, les violences et débordements qui fragilisent les enseignes aggravent d'une part la fragilité économique de nombres d'entreprises du secteur (en les contraignant à interrompre leur activité ou en faisant fuir les clients) et d'autre part accentuent les modifications des habitudes de consommation des clients (qui ne se rendent plus dans les centres le samedi). Dans pratiquement toutes les grandes villes de province, les vitrines des adhérents de la FEH ont été brisées, et plusieurs magasins ont été pillés sur les Champs-Elysées. Les surcoûts liés aux impératifs de protection s'élèvent à plusieurs centaines de milliers d'euros (réparations, protections, vigiles supplémentaires).

D'après les données fournies par la FEH à votre rapporteur, la baisse du chiffre d'affaires constatée sur la période atteint de 2 à 17 % selon les enseignes. En décembre 2018, l'ensemble du marché de l'habillement et du textile, tous canaux de distribution confondus, était en baisse de 5,2 % , soit le plus mauvais chiffre observé pour un mois de décembre depuis 2008.

Au cours du premier trimestre 2019, la baisse d'activité a été de 1,3 % du chiffre d'affaires, mais de - 2,2 % dans les enseignes très présentes dans les centres-villes . Dans les grandes villes, la fréquentation des magasins le samedi a diminué de 15 à 25 % . Par conséquent, les réductions de prix pratiquées durant les promotions ont été plus élevées, contraignant d'autant les marges.

La FEH ne constate pas de report de consommation vers le commerce en ligne , qui enregistre au contraire une performance très en-deçà de sa croissance habituelle (+ 2,2 %) au premier trimestre 2019. En revanche, elle note que la crise a accentué la divergence entre le commerce à bas coûts très présent dans les zones commerciales périphériques et les enseignes du milieu de gamme plus présentes dans les centres-villes et les grands centres commerciaux.

L'activité du secteur de l'hôtellerie , quant à elle, est directement dépendante de l'attractivité de la France et du dynamisme du tourisme domestique et international. Si le mouvement social et les violences qui l'ont accompagné ne semblent pas avoir eu d'impact sur les investissements internationaux dirigés vers la France, selon les données fournies par Business France, les hôteliers interrogés notent tous une diminution de la clientèle étrangère . Pour certains, le nombre de réservations effectuées par des clients résidents est également en baisse.

Alors que 2018 a globalement été une année dynamique pour l'activité du secteur, avec une hausse du taux d'occupation de 1 % par rapport à 2017 34 ( * ) , les violences survenues dans les métropoles et diffusées dans le monde entier, ont atténué la tendance. Les annulations et baisses de réservations ont notamment concerné la clientèle étrangère et sont intervenues à partir de la deuxième quinzaine de novembre .

Plusieurs sources indiquent que le ralentissement des réservations a été particulièrement fort à Paris au mois de décembre (- 4 % par rapport à 2017, soit - 8 % par rapport à la fréquentation escomptée compte tenu des excellents résultats de l'année précédente). Alors que les deux années précédentes avaient enregistré un recul de l'activité, l'année 2018 marquait, sur les dix premiers mois, une reprise nette, avant la diffusion des images de violence. D'après des informations recueillies auprès d'élus consulaires installés en Chine, la presse locale et les réseaux sociaux ont en effet souligné régulièrement la violence des manifestations et le chaos engendré , le China Daily, organe de presse officiel du Parti communiste chinois, inscrivant même le mouvement dans sa revue des évènements marquants de 2018. Les guides touristiques et les sites Internet ont également enjoint les touristes chinois à éviter de sortir le samedi. Dans la zone consulaire de Pékin, le nombre de demandes de visas à destination de la France a ainsi diminué de 34 % entre la période novembre 2017-mai 2018 et novembre 2018-mai 2019. Ce chiffre est de - 16 % pour l'ensemble de la Chine . Il convient toutefois de souligner que d'autres facteurs sont à l'oeuvre, comme le ralentissement économique en Chine qui diminue la part de tourisme de longue destination au profit de celui dans la région de l'Asie du sud-est, moins onéreux.

Selon les informations fournies par la ville de Paris, le début de l'année 2019 est marqué par une décroissance de l'activité touristique à la fois sur la clientèle individuelle (- 14 % de réservations aériennes au mois de janvier, dont - 13 % pour les États-Unis et - 17 % pour l'Asie du sud-est).

Variation du taux d'occupation de novembre 2018 à avril 2019 dans l'hôtellerie parisienne vs. n-1 et n-4

Source : In Extenso TCH

La baisse de l'activité hôtelière « haut de gamme et luxe » à Paris a été plus particulièrement marquée durant les week-ends .

Variation du taux d'occupation en semaine et week-end dans l'hôtellerie Haut de gamme & Luxe parisienne vs. n-1 et n-4

Source : STR

Selon les informations fournies par le Club des dirigeants de l'hôtellerie internationale et de prestige à votre rapporteur, l'impact des violences sur l'activité hôtelière en Ile-de-France se décompose ainsi : la baisse du taux d'occupation des hôtels impactés directement du fait de leur positionnement géographique dans Paris est comprise entre 5 % et 32 % (moyenne à - 14,6 %), celle des autres hôtels de Paris est comprise entre - 9 % et + 8 % (79 % des hôtels déclarant subir une chute du taux d'occupation) et la baisse pour les hôtels d'Ile de France hors Paris se situe entre - 8 % et + 4 % (81 % des hôtels déclarent une baisse). La baisse du chiffre d'affaires s'est quant à elle située entre 24 et 48 % pour la période des fêtes de fin d'année. À 55 %, cette baisse du chiffre d'affaires est liée à une diminution du prix moyen de la chambre et à 45 % à la chute du taux d'occupation. Selon le Club des dirigeants, les grandes capitales européennes ont bénéficié d'un effet de report , les touristes modifiant leur destination au dernier moment. En outre, l'intéressement et la participation des salariés concernés par une rémunération partiellement variable ont été réduits dans des proportions allant de 24 % à 80 % de leur salaire.

Les informations fournies par la ville de Bordeaux indiquent par ailleurs une diminution du nombre de nuitées sur le périmètre de la Métropole au mois de février (- 3 %) et mars (- 13 %), et sur le périmètre de la ville (- 6 % et - 13 %).

A l'inverse, certaines villes notent une augmentation de l'activité touristique (peut-être liée aux modifications de destination) : la taxe de séjour a ainsi progressé au premier trimestre 2019 de 4 000 nuitées sur le territoire de Caen la mer.

II. UN ENSEMBLE DE MESURES NATIONALES PLUS OU MOINS NOUVELLES, RELAYÉ ET AMPLIFIÉ AU NIVEAU LOCAL PAR L'ACTION DES ÉLUS

A. LES MESURES DE SOUTIEN ANNONCÉES PAR L'ÉTAT MÊLENT DE NOMBREUX DISPOSITIFS EXISTANTS ET UNE MESURE NOUVELLE

1. La première demande des entreprises est celle d'un respect de l'ordre public

Il ressort des différentes auditions que la demande la plus urgente formulée par les entreprises est celle d'un retour à l'ordre public . Les associations de commerçants rencontrées ont ainsi toutes mis l'accent sur leur incompréhension face à la répétition et à la régularité des violences et débordements. Le faible nombre de manifestants, la possibilité pour le ministère de l'Intérieur de connaître à l'avance les dates, et souvent les parcours de même que l'identité des participants les plus violents, le non-respect de certaines interdictions de manifester sont à l'origine d'un sentiment d'abandon ressenti par les acteurs économiques . Tous ont expliqué que leur première demande n'est pas financière, mais citoyenne : que la liberté d'entreprendre soit respectée et que l'État assure ses fonctions régaliennes de maintien de l'ordre public, « pour le financement desquelles les entreprises s'acquittent d'impôts bien volontiers mais en pure perte 35 ( * ) ».

2. Le soutien de l'exécutif aux entreprises impactées passe principalement par l'activation et l'intensification de mesures existantes

À défaut, ou dans l'attente, de rétablir l'ordre public, le Gouvernement a annoncé plusieurs mesures nationales de soutien aux entreprises victimes de préjudices économiques. La majorité de la réponse de l'exécutif se concentre sur l'intensification du recours par les entreprises à des dispositifs existants.

Afin de renforcer la connaissance de ces mesures, une circulaire interministérielle relative au plan d'action national mis en place en soutien aux commerçants et aux collectivités territoriales impactés par les manifestations de «gilets jaunes» a été publiée le 7 mars 2019. Par ailleurs, le ministère de l'économie et des finances a réactivé le 26 novembre 2018 la cellule de continuité économique lui permettant de suivre en temps réel la situation économique et a mis en place une « task force » à la Direction générale des entreprises (DGE) afin de mesurer l'application effective de ces mesures de soutien.

a) Afin de soutenir la trésorerie des entreprises, délais et reports d'échéances sociales ont été accordés
(1) Différents types de mesures concernant l'acquittement de la dette sociale des employeurs ont été prises

Aux termes de l'article R. 243-21 du code de la sécurité sociale « le directeur de l'organisme chargé du recouvrement des cotisations a la possibilité d'accorder des échéanciers de paiement et des sursis à poursuites pour le règlement des cotisations, des pénalités et des majorations de retard. L'échéancier ou le sursis prévu à l'alinéa précédent doit être assorti de garanties du débiteur qui sont appréciées par le directeur de l'organisme chargé du recouvrement des cotisations. Les dispositions du présent article s'appliquent aux cotisations dont sont redevables les employeurs à la condition qu'ils aient procédé au reversement intégral des cotisations salariales dues ».

À la suite de l'instruction ministérielle du 6 décembre 2018, plusieurs dispositifs ont été mis en oeuvre par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) visant à ne pas grever le niveau de trésorerie des commerçants et artisans :

• Les organismes de recouvrement (URSSAF, MSA) ont reçu pour instruction d'octroyer aux professionnels qui en font la demande (employeurs, travailleurs indépendants, chefs d'exploitations agricoles) un report pour le paiement de leurs cotisations (cotisations et contributions sociales, cotisations dues aux organismes d'assurance retraite complémentaire à titre obligatoire) dues au titre des mois de janvier, février et mars 2019, ainsi que pour celles du premier trimestre 2019 pour les cotisants non mensualisés. Ces reports, qui peuvent aller jusqu'à trois mois, ne donnent lieu à aucune majoration ni pénalité de retard ;

• des délais de paiement sur la part patronale des cotisations ;

• des remises intégrales 36 ( * ) de majorations et pénalités de retard .

Ces mesures ont été effectives dès l'exigibilité du 5 décembre 2018. D'après les informations fournies à votre rapporteur par l'ACOSS, tête de réseau des Urssaf, 12 000 demandes de délais de paiement ont été formulées et accordées en métropole au 30 avril 2019 . Le 3 mai 2019, le Gouvernement a annoncé prolonger ces dispositifs jusque fin juin 2019 alors qu'il était initialement prévu que les reports de charges sociales et fiscales soient accordés jusque fin avril.

(2) Les conditions d'octroi de ces mesures ont été assouplies

Selon l'ACOSS, les conditions d'octroi de délais et reports de paiement ainsi que des remises de majoration et pénalités de retard sont particulièrement favorables : le fait de mentionner que l'entreprise est impactée par le mouvement des « gilets jaunes » suffirait pour bénéficier d'un délai ou d'un report . Il ne serait pas nécessaire de produire de pièces justificatives attestant plus précisément du lien entre la situation économique de l'entreprise et le mouvement social.

Par ailleurs, les démarches pratiques permettant de bénéficier de ces mesures sont relativement simples : une demande par téléphone, courrier, ou via l'espace cotisant en ligne suffit. La demande de report de paiement doit quant à elle faire l'objet d'une demande par mail ou téléphone. Dans la majorité des situations, une acceptation automatique s'en suit , selon les services de l'État contactés. En outre, les remises de majoration seraient systématiquement accordées lorsque les délais de paiement sont respectés.

b) Un ensemble de mesures fiscales est mis en oeuvre par l'administration

Aux termes de l'article L. 247 du livre des procédures fiscales , l'administration peut accorder sur la demande du contribuable :

• des remises totales ou partielles d'impôts directs régulièrement établis lorsque le contribuable est dans l'impossibilité de payer par suite de gêne ou d'indigence ;

• des remises totales ou partielles d'amendes fiscales ou de majorations d'impôts lorsque ces pénalités et, le cas échéant, les impositions auxquelles elles s'ajoutent sont définitives ;

• des remises totales ou partielles des frais de poursuites mentionnés à l'article 1912 du code général des impôts 37 ( * ) et des intérêts moratoires prévus à l'article L. 209 du présent livre ;

• par voie de transaction, une atténuation d'amendes fiscales ou de majorations d'impôts lorsque ces pénalités et, le cas échéant, les impositions auxquelles elles s'ajoutent ne sont pas définitives [...].

(1) Des mesures d'étalement et de report des dettes fiscales

Les services des impôts des entreprises (SIE) des directions régionales et départementales des finances publiques (DRFiP et DDFiP) ont accordé des mesures d'étalement et report des paiements en matière d'impôt sur les sociétés 38 ( * ) (IS) et de cotisation foncière des entreprises (CFE) . Lorsqu'une entreprise bénéficiant d'une de ces mesures s'engage à s'acquitter de sa dette fiscale dans un délai raisonnable, l'administration fiscale peut également accorder des remises de pénalités . La Direction générale des entreprises a également précisé au groupe de travail que les délais et remises de pénalités ont été étendus au paiement du solde de l'IS au 15 mai 2019.

Par ailleurs, les entreprises impactées ont la possibilité, lorsque l'acquittement de l'ensemble de leur dette fiscale dans les délais légaux est impossible, de bénéficier d'un plan de règlement dont le modèle de demande a été simplifié et est téléchargeable depuis le site internet des impôts. Les entreprises bénéficiant déjà d'un tel plan se sont vues offrir la possibilité de reporter les paiements de novembre et décembre en fin de plan.

Il a également été demandé aux DDFiP d'instruire avec célérité les dossiers d'entreprises touchées par ces conséquences économiques visant à obtenir un remboursement de crédits de TVA et de CICE .

(2) Une possibilité de remise partielle ou totale des créances fiscales

L'administration peut accorder sur la demande du contribuable des remises totales ou partielles d'impôts directs régulièrement établis lorsque le contribuable est dans l'impossibilité de payer par suite de gêne ou d'indigence . Lors de son audition au Sénat le 19 mars 2019 le ministre de l'économie et des finances a ainsi annoncé : « j'ai également pris la décision d'autoriser l'annulation de l'impôt sur les sociétés et de l'impôt sur le revenu pour les commerçants qui ont subi, du fait de la crise des gilets jaunes, une perte significative de leur chiffre d'affaires et dont la survie est menacée. Cette mesure exceptionnelle vise à éviter toute défaillance d'entreprise liée à cette crise ».

Une telle mesure est donc de droit commun et n'a pas été conçue spécifiquement pour répondre aux conséquences économiques du mouvement. Le critère d'octroi d'une telle remise est en effet « la gêne ou l'indigence » à l'origine de l'impossibilité de payer et non l'existence d'un lien de causalité entre les violences commises en marge du mouvement et la situation financière de l'entreprise 39 ( * ) .

En temps normal, en raison des montants de recettes publiques que cette mesure est susceptible de concerner et de la rupture exceptionnelle d'égalité devant les charges publiques qu'elle représente, l'activation d'un tel dispositif permettant de bénéficier de remise partielle ou totale de droits directs est rare : elle n'intervient de façon générale que si les mesures d'étalement puis de report des paiements ne suffisent pas à alléger la trésorerie de l'entreprise et à lui permettre de faire face à ses pertes d'exploitation.

En tenant compte de critères variés comme la baisse du chiffre d'affaires, la trésorerie, le besoin en fonds de roulement ou l'endettement, l'administration fiscale procède alors à un examen individualisé des situations professionnelles et personnelles (par exemple, dans le cas d'un entrepreneur individuel dont l'entreprise relève de l'impôt sur le revenu, le nombre de personnes à charge, le montant des dettes du ménage, etc.). Le délai d'instruction est de deux mois maximum : une fois la demande acceptée, elle bénéficie immédiatement de manière effective à l'entreprise.

Les différentes mesures mises en oeuvre par l'administration fiscale sont en outre cumulables : si un étalement des paiements ne suffit pas pour permettre à l'entreprise de faire face à ses difficultés, il peut être prorogé ou complété par une remise de droits directs.

Au 30 avril 2019, d'après les informations fournies par la DGFiP à votre rapporteur, 123 remises de créances fiscales ont été accordées . Ces annulations, selon la DGE, ont concerné très majoritairement des TPE, pour un montant total de 80 000 euros environ, soit en moyenne 650 euros par dossier.

c) D'autres dispositifs ont été actionnés par l'exécutif afin de répondre à des problématiques sectorielles ou de coordonner les acteurs sur le terrain
(1) Divers acteurs institutionnels ont participé à la coordination de la mise en oeuvre de ces mesures

Dans le but de simplifier l'accès à l'information, les Direccte ont été amenées à mettre en place des points de contacts régionaux uniques . Ces dispositifs ont pour objectif d'aider les entreprises à connaître les différentes mesures de soutien mises en oeuvre et à les informer sur les démarches à suivre. Un correspondant territorial, une adresse e-mail et un numéro de téléphone dédiés sont ainsi placés dans chaque Direccte. La prise de contact par une entreprise est enregistrée afin d'en permettre le suivi. Au 7 mai 2019, ces points de contacts ont été sollicités à 460 reprises par des entreprises .

À partir de janvier 2019, la Banque de France a alerté les 105 médiateurs départementaux du crédit afin qu'ils signalent les cas d'entreprises en difficulté . La médiation, ouverte à toutes les entreprises quelle que soit leur taille, est gratuite et confidentielle. Le médiateur est chargé d'identifier et de résoudre les points de blocage entre l'entreprise et l'établissement financier qui lui a refusé une ligne de financement, a dénoncé un découvert, a refusé de rééchelonner une dette, a refusé un crédit (de trésorerie, d'équipement, etc.) ou a refusé une garantie. Pendant la durée de la médiation, les établissements bancaires maintiennent ces lignes de financement et celles de garantie allouées aux entreprises. Le Médiateur national du crédit, M. Frédéric Visnovsky, note toutefois que la diminution tendancielle du nombre d'entreprises qui le saisissent s'est poursuivie en 2018 , puisque 2 000 d'entre elles 40 ( * ) l'ont saisi contre un chiffre annuel de 16 000 au lendemain de la crise financière 41 ( * ) . Le dispositif semble insuffisamment connu par les entreprises.

Les services du Médiateur des entreprises sont également mentionnés parmi les mesures de soutien qui peuvent être sollicitées afin d'accompagner les entreprises qui feraient face à un conflit avec des fournisseurs. Tout différend lié à l'exécution d'un contrat de droit privé, y compris tacite, ou d'une commande publique, peut faire l'objet d'une saisine du médiateur (par exemple un retard de paiement). Il existe 60 médiateurs sur le territoire (dont 44 au sein des Direccte) et leur saisine est gratuite. D'après le Médiateur des entreprises, M. Pierre Pelouzet 42 ( * ) , il existe un effet retard susceptible de déboucher sur une augmentation dans le deuxième semestre 2019 des difficultés pour les entreprises (en raison de la date de paiement des fournisseurs, élément déclencheur des problèmes de trésorerie, qui n'intervient que rarement à la livraison des produits).

Afin d'assurer une diffusion large des mesures de soutien annoncées, la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances a également sollicité le concours du réseau associé des experts comptables , qui regroupe 14 000 professionnels du secteur, pour qu'elles soient relayées auprès des entreprises.

(2) Deux mesures transversales : la mise en avant du dispositif d'activité partielle et la possibilité d'ouvertures dominicales supplémentaires

Le 19 mars 2019, lors de son audition au Sénat, le ministre de l'économie et des finances a détaillé le recours au dispositif d'activité partielle par les entreprises depuis le début du mouvement et des violences : « dès le 27 novembre, les entreprises ont pu user du chômage partiel mis en oeuvre par les services du ministère du travail : 5 100 entreprises et 73 500 salariés ont bénéficié de cette mesure pour un coût de 38,5 millions d'euros pour le budget de l'État ».

Le fonctionnement du dispositif d'activité partielle

Le dispositif d'activité partielle permet, en cas de difficultés rencontrées par une entreprise 43 ( * ) , d' éviter les licenciements économiques en maintenant les salariés dans l'emploi mais en allégeant leur coût financier pour l'employeur . Qu'elle prenne la forme d'une baisse de la durée hebdomadaire du travail ou d'une fermeture partielle (ou totale) de l'entreprise, les salariés touchés sont indemnisés au titre de l'activité partielle par l'employeur. Ce dernier touche alors une allocation de l'État pour ces heures chômées.

En pratique, avant le recours à cette mesure, l'employeur doit en faire la demande auprès de la Direccte 44 ( * ) qui doit apporter sa réponse dans un délai de 15 jours. Une fois obtenue, l'autorisation est accordée pour six mois renouvelables. Le salarié reçoit alors une indemnité de la part de l'employeur correspondant à 70 % de sa rémunération horaire brute (soit 84 % du salaire horaire net). L'employeur peut alors obtenir le remboursement des indemnités qu'il verse à ses salariés et doit faire cette demande dans le délai d'un an suivant la fin de la période d'activité partielle. L'allocation horaire versée à l'employeur au titre du remboursement de ces heures chômées est de 7,74€ dans les entreprises de moins de 250 salariés et de 7,23€ dans les autres. Si l'indemnité versée aux salariés est assujettie à la CSG et à la CRDS 45 ( * ) , elle est toutefois exonérée des cotisations salariales et patronales.

Afin de certifier que le motif d'une telle demande est bien lié à des blocages ou autres modalités de violence ayant entraîné une baisse d'activité, les services du ministère du travail recoupent différentes informations (par exemple le lieu de l'entreprise et la présence de blocages).

Selon les informations fournies par la DGE, ce chiffre s'élève à 5 268 demandes d'activation du dispositif au 13 mai 2019 pour environ 74 000 salariés. À noter toutefois que 62 % des heures autorisées au titre de ce dispositif concernent l'île de la Réunion . Les principaux secteurs d'activité représentés parmi les demandeurs sont le commerce (35,5 % des demandes), la construction (13,4 %), les hôtels, cafés et restaurants (11,75 %) et l'industrie manufacturière (8,8 % des demandes). 93,4 % des demandes proviennent d'entreprises de moins de 50 salariés et 98,5 % d'entreprises de moins de 250 salariés . En Ile-de-France à fin mai 2019, le nombre de demandes s'établissait à 254 (90 % à Paris) pour un total de 2 millions d'euros. Les délais d'instruction des dossiers sont de 5 à 10 jours en moyenne (9 jours en décembre 2018, lorsque la demande pour ce dispositif était la plus forte, 5 jours en février 2019).

La DGE a souligné que ses services déconcentrés, en charge du point de contact régional unique ( cf. supra ), sont positionnés au sein du pôle 3E des Direccte qui est également celui qui pilote le dispositif d'activité partielle. Ce faisant, la coordination entre les services en est rendue plus efficace et l'accès à l'information pour les entreprises plus aisé. CCI France rappelle toutefois qu'au-delà de cette mesure, le marché de l'emploi est avant tout impacté par un nombre élevé de non-recrutements (pour la période estivale, celle des fêtes de fin d'année, l'intérim, les extras, etc.).

Pour les mois de décembre 2018 et janvier 2019, plusieurs circulaires ministérielles ont invité en outre les préfets à accorder les demandes d'ouvertures dominicales supplémentaires formulées par les entreprises 46 ( * ) . Selon les informations de la DGE, plusieurs fédérations professionnelles (Alliance du commerce, le CNCC) ont souligné une atténuation de l'impact des violences et débordements grâce à ces autorisations d'ouverture. D'après les informations fournies par la FCD, le ministère du Travail a demandé aux Direccte d'accorder les demandes d'ouvertures dominicales formulées par des fédérations professionnelles au niveau d'un département sans exiger de justification particulière et sans procéder à l'examen du dossier magasin par magasin .

(3) Certaines mesures de soutien ciblent ou associent des secteurs particuliers

Les entreprises du transport routier ont particulièrement souffert des débordements, blocages et intimidations survenus sur les axes routiers lors de la première partie du mouvement. De fait, les livraisons étaient impossibles durant des plages horaires entières . En centre-ville, la multiplication des interdictions de circuler le samedi déstabilise également les plannings de livraison, bien que les acteurs principaux, entreprises de transport et commerces, expliquent s'être adaptés.

Les entreprises de transport routier de marchandises et de transport en commun de voyageurs peuvent bénéficier, aux termes de l'article 265 septies du code des douanes, d'un remboursement partiel de la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE) assise sur leur consommation de gazole au cours d'un semestre . La DGE, la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI), la DGFiP et la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) ont octroyé à ces entreprises, depuis le 17 janvier 2019, une possibilité de remboursement accéléré de cette fraction de TICPE , pour le second semestre 2018. Par ailleurs, du fait des blocages et ralentissements, certains chauffeurs routiers ont été amenés à dépasser le nombre d'heures légales . La DGE a alors transmis au ministère de la transition écologique et solidaire les demandes des professionnels visant à obtenir une dérogation temporaire .

Par ailleurs, à la suite de contacts entre le ministère de l'économie et des finances et la Fédération française des assurances , « les assureurs ont [...] accéléré les indemnisations de sinistres matériels et de pertes d'exploitation et se sont engagés à ne pas cumuler les franchises pour les dommages matériels causés par les manifestations », selon les mots du Ministre lors de son audition au Sénat le 19 mars 2019. En matière bancaire, d'après les informations fournies par le Ministre lors de cette même audition et celles transmises à votre groupe de travail par la DGE, il a été demandé aux adhérents de la Fédération bancaire française d'examiner avec bienveillance les dossiers qui leur étaient soumis. « La FBF [...] s'est [ainsi] engagée à examiner au cas par cas les situations des entreprises affectées, afin de rechercher des solutions adaptées, notamment pour les besoins de financement à court terme et la trésorerie ».

La garantie bancaire du renforcement de la trésorerie proposée par Bpifrance
a été augmentée

Les TPE et PME qui rencontrent des difficultés de trésorerie peuvent souscrire des crédits de trésorerie auprès de leur établissement bancaire. Afin de faciliter cet octroi, Bpifrance peut garantir partiellement le crédit, sous réserves que sa durée soit comprise entre 2 et 7 ans, qu'il ait pour objet de financer le besoin en fonds de roulement ou de consolider les crédits à court-terme existants. Le plafond de risques accepté est fixé 1,5 million d'euros d'encours bancaires pour une même entreprise.

Dans le but de soulager la trésorerie en chute libre des commerçants et artisans impactés, consigne a été donnée à Bpifrance d'augmenter la quotité de garantie qu'elle accorde sur les crédits de renforcement de trésorerie, de 40 à 70 %. Pour les prêts qu'elle garantit, il lui a été demandé également d'accepter les reports d'échéances de remboursement de prêts sur demande auprès des banques. Pour les prêts qu'elle accorde elle-même, elle est incitée à accepter de tels reports lorsqu'ils sont demandés auprès des directions régionales de Bpifrance.

d) La responsabilité de l'État est susceptible d'être engagée

Le maintien de l'ordre public, qui relève de la compétence de l'État, a été défaillant. Or, la première demande de tous les acteurs économiques rencontrés est bien le retour au calme, afin que la liberté d'entreprendre, de valeur constitutionnelle, soit respectée. Le groupe de travail considère que la répétition des violences - alors même que les dates des manifestations étaient annoncées et que le nombre de manifestants, voire l'identité d'une grande partie des fauteurs de trouble était connue - engage la responsabilité de l'État.

Sur le plan du droit, trois fondements peuvent être invoqués afin d'engager la responsabilité juridique de l'État et obtenir indemnisation des préjudices :

• la responsabilité sans faute de l'État du fait des attroupements : aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure 47 ( * ) , « l'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. L'État peut également exercer une action récursoire contre les auteurs du fait dommageable, dans les conditions prévues au chapitre Ier du sous-titre II du titre III du livre III du code civil. Il peut exercer une action récursoire contre la commune lorsque la responsabilité de celle-ci se trouve engagée ». Le requérant doit d'abord déposer un recours indemnitaire auprès de la préfecture. A Paris, 1 013 demandes liées à un préjudice matériel et 107 demandes liées à un préjudice économique ont ainsi été déposées au 31 mai 2019.

• la responsabilité de l'État pour faute : elle peut être engagée sur le fondement de la faute résultant de la carence des pouvoirs de police . Toutefois, dans ce cas, la responsabilité en matière d'exécution des opérations de maintien de l'ordre ne peut être engagée que pour une faute lourde 48 ( * ) .

• La responsabilité de l'État pour rupture d'égalité devant les charges publiques : dans le cas où l'État a décidé volontairement de ne pas user de la force publique afin d'éviter des troubles plus graves encore, sa responsabilité sur ce fondement pourrait être engagée, à condition toutefois que le préjudice subi soit anormal et spécial.

Ces trois procédures présentent toutefois des limites qui obèrent les chances de succès de tels recours ( cf. infra ).

3. Une mesure nouvelle a été mis en oeuvre afin de renforcer l'attractivité des centres-villes

Lors d'une visite aux commerçants de Bordeaux le 1 er février, le Premier ministre a annoncé le déblocage d'une enveloppe de 3,3 millions d'euros permettant de financer des opérations de revitalisation et d'animation commerciales dans les centres-villes les plus touchés par les violences et débordements commis en marge du mouvement ( cf. infra ) et qui ont entraîné une baisse de la fréquentation des commerces. La mise en oeuvre de ces campagnes de promotion, d'animation, de communication est menée par les acteurs économiques locaux (associations de commerçants, CCI, CMA, mairies, etc.). Le 15 mai 2019, le montant de l'enveloppe dédiée a été réévalué à 5,5 millions d'euros .

Ce dispositif a été lancé officiellement le 7 mars par le ministre de l'économie et des finances et la secrétaire d'État auprès du même ministre. Le financement des mesures de revitalisation associe l'État et les collectivités : pour les projets entre 100 000 et 300 000 euros, le cofinancement de l'État est compris entre 80 000 euros et 240 000 euros ; pour les projets au-delà de 300 000 euros, l'État les cofinance jusqu'à 300 000 euros. Les collectivités intéressées devaient déposer leur dossier de candidature jusqu'au 30 mars 2019 et la décision d'attribution des fonds et de détermination de leur montant est intervenue en mai 2019. Selon les informations fournies par la DGE, 35 collectivités, réparties dans 11 régions, ont présenté un dossier .

Le comité de sélection s'est fondé sur plusieurs critères afin de cibler les villes les plus touchées. D'une part, les services déconcentrés de l'État (préfectures, Direccte) ont remonté des informations à l'administration centrale permettant d'établir la conformité des déclarations à la réalité du terrain. D'autre part, les éléments fournis ont été corroborés par un croisement avec les données de la DGFiP relatives aux diminutions de chiffre d'affaires.

Un exemple de budget prévisionnel pour l'obtention des fonds :
le cas de Rennes

Source : métropole de Rennes

B. LES ACTEURS LOCAUX ONT SUPPLÉÉ L'ÉTAT DANS LA PRISE EN CHARGE DES PRÉJUDICES ÉCONOMIQUES SUBIS PAR LES ENTREPRISES

Les mesures de prise en charge par l'État des conséquences économiques sont dans l'ensemble cohérentes et satisfaisantes. Elles ont manqué toutefois de réactivité et semblent insuffisamment ciblées selon les besoins des entreprises ( cf. infra ) et des territoires.

Le groupe de travail tient à souligner que le nombre d'obstacles que leur application effective rencontre sur le terrain aurait été encore plus élevé sans le relai économique local que constituent les réseaux consulaires, les communes et les régions.

Les auditions menées semblent indiquer que le Gouvernement s'est largement reposé sur les compétences des acteurs locaux et leur connaissance du terrain pour pallier les limites des mesures nationales. Dans un cadre budgétaire contraint, l'échelon local a démontré sa capacité à apporter des solutions utiles et concrètes, certaines pouvant encore être améliorées.

1. Un rôle indispensable des chambres consulaires en matière de soutien et d'accompagnement des entreprises
a) Un accompagnement des entreprises dès le début du mouvement

À l'initiative des chambres consulaires, des « task force » ou des « brigades » ont été constituées dès le début du mouvement afin d'aller au contact des commerçants, sur le terrain . Chaque dimanche matin suivant une journée de violences et de débordements, souvent en association avec des élus et les services de l'État (Direccte, Urssaf, services des impôts, parfois membres de la préfecture), ces collectifs se sont rendus auprès des entreprises afin de :

• Constater la réalité des dommages matériels subis. Les enquêtes permettant de mesurer l'ampleur des dégâts et des pertes ont généralement été menées par les chambres consulaires, permettant de transmettre ensuite ces informations aux acteurs intéressés (mairie, région, services de l'État, etc.). Ce faisant, cela permettait d'informer les commerçants sur la nécessité de porter plainte en amont des démarches assurantielles et sur les modalités de constitution des dossiers , soit en vue d'une indemnisation, soit en vue de bénéficier des mesures mises en oeuvre ;

• Informer de façon plus générale les entreprises sur l'ensemble des mesures nationales existantes (délais et reports de paiement des créances sociales et fiscales, remises de créances fiscales, activité partielle, médiateur des entreprises, garanties de Bpifrance) et locales ( cf. infra ) ;

• Collecter des informations sur les obstacles rencontrés par les entreprises dans leurs démarches administratives, recueillir leurs attentes et remonter les difficultés auprès des collectivités et des services de l'État.

À Bordeaux, la CCI a ainsi remis un livret reprenant l'ensemble des dispositifs de prise en charge à près de 850 commerçants dans le cadre de cette task force. Réalisée conjointement avec la CMA Gironde, cette opération a mobilisé huit conseillers sur deux semaines en février.

A Paris, des équipes mobiles pluridisciplinaires d'information regroupant les services de la ville, CCI, CMA et Direccte sont allées dans les secteurs les plus touchés et des visites ont notamment été organisées rue des Petits carreaux, sur les Grands Boulevards, avenue des Gobelins, boulevard Saint-Marcel.

Carte des commerçants impactés sur les Grands Boulevards

Source : CCI France

Le groupe de travail tient à noter l'engagement et le professionnalisme du réseau consulaire, véritable « tiers de confiance » aux méthodes éprouvées , dont la mobilisation quotidienne a été soulignée et saluée par l'ensemble des acteurs économiques rencontrés.

b) Une communication renforcée et une centralisation des dispositifs de soutien et d'accompagnement

Le réseau consulaire a massivement communiqué afin de faire connaître les dispositifs nationaux et locaux de prise en charge des préjudices économiques aux entreprises. Pour ce faire, différents canaux ont été utilisés : les sites internet ont relayé ces mesures, et les chambres consulaires les ont fait connaître via des envois de mails, la publication de communiqués de presse, la diffusion via les réseaux sociaux, la réalisation de brochures . La presse a également été associée à ces démarches, soit sous la forme d'interviews des élus consulaires, soit en rendant compte des déplacements terrains effectués. Les assemblées générales des associations de commerçants ont permis en outre aux chambres consulaires, ainsi qu'aux Direccte, Urssaf, DDFiP, de diffuser l'information au plus près des entreprises.

Ont souvent également été instaurées une ligne téléphonique et une adresse mail spécifiques pour répondre aux interrogations des commerçants. Des réunions d'informations, par exemple à l'Athénée municipale de Bordeaux, ont permis aux différents acteurs, au premier rang desquels la CCI et la CMA, d'intervenir publiquement pour sensibiliser les entreprises à l'utilisation de ces mesures.

Par ailleurs, les défaillances dans le maintien de l'ordre public ont amené certaines CCI à jouer un rôle qui ne leur incombe pas : celui de relayer les informations de la préfecture et d'informer les commerçants, par les réseaux sociaux essentiellement, des mouvements de manifestants et de casseurs 49 ( * ) afin qu'ils puissent anticiper une éventuelle fermeture temporaire de commerce.

En matière d'accompagnement et de coordination des aides, les chambres consulaires ont été à l'initiative de « guichets uniques » ou de permanences temporaires dans leurs locaux regroupant les différents acteurs publics en charge de l'application de ces mesures (les Direccte pour l'activité partielle, la DDFiP pour les reports ou remises de créances fiscales, les Urssaf pour les reports et délais de créances sociales). Cela a permis aux entreprises d'avoir rapidement accès à des interlocuteurs physiques susceptibles de les conseiller avec pertinence.

Par exemple, la CCI Rouen Métropole a organisé 40 rendez-vous via neuf permanences dédiées à ce sujet . Elle a en outre constitué un dossier spécifique afin d'aider une entreprise à actionner la clause « perte d'exploitation » de son contrat d'assurance, fait le lien entre des commerçants et la chambre de prévention du Tribunal de commerce et établi une médiation auprès des organismes collecteurs et bancaires pour des cas particuliers lors des réunions hebdomadaires à la préfecture. À Rennes, la CCI a enregistré 33 appels et organisé 22 rendez-vous physiques permettant aux entreprises de se rapprocher des services de l'État .

La CCI de Bordeaux a soutenu des entreprises dans leur recherche de moratoires auprès des services fiscaux et sociaux ou dans leur renégociation de prêt en lien avec les opérateurs bancaires et a participé à l'étude des dossiers d'activité partielle en lien avec la Direccte. Son statut de membre de l'association « Bordeaux place financière et tertiaire » lui permet par ailleurs de rapprocher plus facilement les commerçants et le secteur bancaire. Celle de Lyon a, en outre, participé à la négociation de neuf prêts à taux zéro avec certaines banques.

Il ressort des auditions que, de façon générale, l'implication et l'engagement des réseaux consulaires a permis d'augmenter les chances de succès des dossiers bancaires, assurantiels ou administratifs constitués par les entreprises . L'intervention de la CCI Toulouse a permis par exemple, en association avec la CMA Toulouse et le comité régional des banques, de mettre un terme à certains abus (des cas de taux d'intérêt de 13,5 % proposés à des entreprises en difficulté avaient été recensés). En collaboration avec la préfecture, la CCI a rappelé aux assureurs la recommandation formulée par le président de la FFA de considérer les samedis successifs comme un seul et même sinistre jusqu'au 16 janvier 2019.

Les CCI se sont en outre régulièrement vues confier l'instruction initiale des dossiers d'entreprises souhaitant bénéficier des fonds d'aides directes et déléguer le versement des fonds . À titre illustratif, CCI Nantes Saint-Nazaire et la ville de Nantes ont élaboré une convention détaillant les modalités de travail entre elles et prévoyant que le portage du fonds de soutien de 500 000 euros décidé par la ville ( cf. infra ) et l'instruction des dossiers relèvent de la CCI.

Les chambres consulaires ont donc joué un rôle à la fois préventif et curatif . À ce titre, certaines bonnes pratiques issues des chambres territoriales sont relayées au niveau national : la campagne « j'aime mon commerce parisien » , à laquelle participe la CCI Paris Ile-de-France, pourrait être prochainement étendue à l'ensemble du territoire grâce à l'action de CCI France.

L'ensemble des CCI consultées considère que la collaboration avec les services de l'État (Direccte, Urssaf, etc.) est fluide et de bonne tenue.

c) Une participation financière aux fonds locaux d'aides directes malgré un contexte financier difficile

Plusieurs régions et villes ont mis en oeuvre des fonds d'indemnisation visant à compenser, en tout ou partie, la perte d'exploitation subie par les entreprises. Une telle mesure est très demandée par les commerçants : les délais et reports de créances sociales et fiscales ne font en effet que repousser l'échéance des paiements sans pour autant que les professionnels aient une visibilité économique sur leur capacité de remboursement.

D'après les données fournies par CCI France, deux chambres de commerce et d'industrie territoriales ont participé financièrement à ces fonds. La CCI Bordeaux a abondé le fonds constitué par la région Nouvelle-Aquitaine et la Métropole à hauteur de 80 000 euros ; la chambre des métiers et de l'artisanat l'a abondé à hauteur de 20 000 euros . Par ailleurs, la CCI Toulouse Haute-Garonne a voté le 18 décembre 2018 une dotation de 300 000 euros à un fonds d'avances remboursables constitué par le conseil départemental (300 000 euros) et la CMA (20 000 euros). Ces avances, sans demande de garantie, peuvent atteindre 5 000 euros, sont destinées aux entreprises victimes d'une perte de chiffre d'affaires d'au moins 15 % et leur remboursement sur douze mois peut ne démarrer qu'après un délai de six mois.

Ces participations financières s'inscrivent pourtant dans un contexte budgétaire très difficile pour les chambres consulaires : la modification du périmètre de leurs missions financé par la taxe pour frais de chambre (TFC) entraînera d'ici 2022 une diminution de 400 millions d'euros de leurs recettes, portant la baisse de leurs ressources publiques à environ 1 milliard d'euros en 10 ans . Le groupe de travail ne peut qu'exprimer son inquiétude face aux conséquences négatives en termes d'accompagnement et de soutien des entreprises qu'une telle diminution ne peut manquer d'engendrer.

2. Des mesures fiscales et d'attractivité du territoire mises en place par certaines communes et régions
a) Des exonérations de droit d'occupation du domaine public

En raison de la perte de chiffre d'affaires et des difficultés de trésorerie subies par les entreprises des centres-villes, plusieurs communes ont adopté en conseil municipal des mesures de soutien complémentaires à celles de l'État. Ces mesures visent notamment à exonérer certains commerçants et artisans, exerçant leur activité de façon continue ou temporaire, des droits d'occupation du domaine public.

Plusieurs commerçants ont ainsi été exonérés des droits de place dont ils s'acquittent en contrepartie de l'autorisation d'occupation temporaire du domaine public qui leur a été délivrée. En effet, un commerçant non sédentaire qui souhaite exercer son activité dans une halle couverte ou sur un marché de plein air s'acquitte d'un droit de place en contrepartie d'une autorisation d'occupation temporaire. La demande d'attribution d'un emplacement fixe est déposée auprès de la maire ou du gestionnaire délégataire du marché ou de la halle. Le montant du droit de place est fixé par délibération du conseil municipal et peut être défini au mètre carré ou au mètre linéaire occupé . Un conseil municipal ne peut pas appliquer des droits de place différents selon la nature des activités ou la catégorie des professionnels, sur tout le territoire de la commune.

Un exemple de mesures d'exonérations de droits de place :
le cas de la ville de Toulouse

L'exonération des redevances relatives aux droits de place pour les commerçants exposants au marché de Noël situé sur la place du Capitole s'élève à 33 000 euros et celle concernant le manège « petit train » à 820 euros. Les stands de vente de marrons chauds et les manèges se sont également vus proposer une telle exonération pour un total de 4 430 euros.

De façon plus conséquente, il a été également décidé de procéder à une telle exonération pour les commerçants exerçant leur activité au sein des marchés de plein-vent (pour un total de 224 700 euros) et des marchés couverts (total de 158 400 euros) , ainsi qu'un dégrèvement partiel de trois mois de la facturation annuelle à venir pour les redevances liées aux droits de terrasses 50 ( * ) en 2019, pour un montant de 255 000 euros.

D'autres activités exercées sur le domaine public ont bénéficié de ces mesures, comme les dix kiosques, les 50 food trucks ou le petit train touristique pour un montant total de 33 800 euros . Le 22 mars 2019, une nouvelle délibération est venue compléter cet ensemble de mesures en exonérant de trois mois de loyers (avril, mai et juin 2019) huit commerçants auxquels elle loue des locaux commerciaux (pour un total de 13 872 euros).

Le 25 mars 2019, la ville de Bordeaux a décidé une exonération des taxes d'occupation du domaine public de deux mois en 2019, pour un montant total de 250 000 euros . Un gel en 2019 des tarifs de toutes les redevances d'occupation du domaine public a également été décidé par la ville de Dijon.

A Paris , la décision d' exonération des droits de voirie, de terrasse ou d'étalage d'un mois , adoptée en février, représente une perte de recettes s'élevant à 1,1 million d'euros . Une deuxième délibération, en juin, doit permettre une seconde tranche d'exonération dans dix arrondissements, à hauteur de 450 000 euros . Une exonération pour le marché aux timbres de l'avenue Marigny a également été accordée, ainsi qu'une exonération des droits de place des commerçants des marchés découverts, en alimentaire, qui ont été annulés en décembre (19 000 euros). En outre, la ville de Paris a mis en place une aide exceptionnelle de 2 000 euros par kiosque brûlé le 16 mars (soit 8 000 euros) et de 1 000 euros par association de commerçant le demandant et située dans le périmètre des manifestations (soit 8 000 euros).

L'ensemble des acteurs économiques rencontrés note l'efficacité et la pertinence de ces mesures d'exonération de droits (de place, de terrasse, etc.), qui répondent à la nécessité d'un allègement pérenne de trésorerie .

b) Des mesures d'attractivité du centre-ville

En sus de l'exonération de certains droits d'occupation du domaine public, des communes ont adopté des mesures visant à accroître l'attractivité du centre-ville auprès des chalands . L'objectif est double : ramener le flux aux niveaux de fréquentation qui préexistaient et ancrer une image positive du centre-ville. Les violences commises en marge du mouvement sont en effet à l'origine d'un double changement d'habitude de consommation : d'une part les clients ont fui les centres-villes les samedis ; d'autre part, une diminution de la consommation dans ces centres s'observe les samedis sans violence, les dimanches et même durant le reste de la semaine .

Le Conseil de la Métropole de Toulouse a ainsi décidé le 13 décembre 2018 d'offrir trois heures de stationnement gratuit durant deux week-ends consécutifs 51 ( * ) dans les seize parkings, pour un coût total de 200 000 euros. Tisséo, le réseau de transports en commun de Toulouse, a mis en outre à disposition de la CCI Toulouse 24 000 titres de voyages par week-end afin que les commerçants en fassent bénéficier leurs clients.

Dans sa délibération du 8 février 2019, le conseil municipal de Toulouse a également prévu des mesures de redynamisation du centre-ville en organisant une braderie sur trois jours en avril 2019 (pour laquelle l'occupation du domaine public était par ailleurs gratuite de même que les seize parkings souterrains pour les stationnements d'une durée inférieure ou égale à trois heures). Les soldes d'été seront prolongés sur une soirée (« les Noctansoldes »), les commerçants pourront procéder à des ventes au déballage trois fois dans l'année sans s'acquitter de droits de place, et une application O Toulouse a été développée afin de favoriser l'offre commerciale (parcours marchands thématiques, vitrine numérique, etc.). Au total, les mesures de soutien à la trésorerie des commerçants et artisans et les mesures de redynamisation du centre-ville s'élèvent à 1 million d'euros. Ces mesures bénéficieront d'un financement de 300 000 euros de la part de l'État dans le cadre de l'enveloppe de 5,5 millions d'euros ( cf. supra ). La ville de Toulouse, à elle seule, a donc engagé des fonds à hauteur de près de 12 % du total des fonds engagés par l'État pour tout le territoire.

À Bordeaux, la ville a soutenu les différentes actions menées par l'association des commerçants et a décidé d'ouvrir gratuitement le parking des Quinconces pendant la période de Noël et les soldes . A Paris, une aide de 100 000 euros en faveur de l'Office du tourisme ainsi que des Congrès de Paris a été débloquée afin d'accompagner le déploiement du plan de promotion de la destination Paris.

Afin de soutenir l'activité des commerçants, la ville de Lyon a annoncé en mars 2019 la gratuité totale des terrasses de la presqu'île durant les mois de juin, juillet et août 2019. Les droits d'occupation du domaine public liés aux fonds de commerce sont gelés pour 2019 au niveau de 2018. En outre, la redevance de kiosque est supprimée pour toute l'année 2019 pour ceux situés sur la place Bellecour.

Les communes ont également participé à la mise en oeuvre du plan de revitalisation des centres-villes annoncé par le Gouvernement ( cf. supra ) et cofinancé par l'État et les collectivités territoriales. Les villes de Rennes et de Nantes ont ainsi chacune décidé de débloquer une enveloppe de 500 000 euros, qui s'ajoutent aux 300 000 euros perçus au titre de l'opération nationale, afin de redynamiser le centre-ville. La Métropole du Grand Lyon ajoute quant à elle 70 000 euros aux 150 000 euros versés par l'État.

Certains départements, comme l'Hérault , ont par ailleurs annoncé la mise à disposition des panneaux publicitaires sur les routes leur appartenant afin d'amplifier les campagnes d'attractivité commerciale, le département n'ayant pas compétence en matière de commerce.

Deux exemples de mesures de revitalisation et de redynamisation du centre-ville :
les cas de Nantes et de Lyon

La ville de Nantes, qui a obtenu une enveloppe de 300 000 euros dans ce cadre, prévoit ainsi de financer la 12ème édition des Floralies (salon international du Végétal), Nantes à coeur (journée d'animations avec marchés à thèmes, expositions, vide-grenier, concerts, transats, etc.), le Nantes Food Forum (valorisation des savoir-faire des artisans).

Les fonds doivent également permettre, en amont, de communiquer sur ces évènements (affiches, spots radio, plan media, presse, gratuité des transports en commun).

À Lyon, l'enveloppe de 220 000 euros affectés à la revitalisation du centre-ville servira à financer une campagne d'affichage, la création d'un film promotionnel Pôle commercial Presqu'île ainsi que l'édition de 50 000 guides promouvant les commerces de la Presqu'île et destinés aux touristes.

c) Des fonds de soutien

Certaines collectivités territoriales ont décidé de mettre en place des fonds d'aides directes (indemnisation, en tout ou partie, des pertes d'exploitation ou du reste à charge après indemnisation assurantielle) et indirectes (avances remboursables sans garantie, prêts à taux zéro).

• En Nouvelle Aquitaine : deux fonds d'aide, pour un total de 2,6 millions d'euros , ont été mis en place visant à compenser une partie des pertes d'exploitation subies par les commerçants et artisans. Un fonds de 2 millions d'euros est abondé par la Région 52 ( * ) . Un deuxième fonds de 600 000 euros est abondé à hauteur de 500 000 euros par Bordeaux Métropole (sur le périmètre de l'hyper-centre), de 80 000 euros par la CCI et de 20 000 euros par la CMA 53 ( * ) . Certains critères sont communs aux deux fonds (chiffre d'affaires annuel inférieur à 1 million d'euros HT, avoir moins de dix salariés) et d'autres diffèrent (critère d'une baisse cumulée de CA de 20 % pour le fonds métropolitain et de 30 % pour le fonds régional). Les aides accordées vont de 1 000 à 16 500 euros ;

• En Région Sud : un fonds régional d'aides de 2 millions d'euros , versées sous forme de subvention de 1 000 à 6 500 euros à condition que la perte de chiffre d'affaires en novembre et décembre 2018 atteigne 30 % . Le fonds concerne 52 communes ;

• En Occitanie : un fonds régional de 3,5 millions d'euros composé d'1,5 million d'euros afin de prendre en charge jusqu'à 50 % des travaux de réparation (dans la limite de 8 000 euros) engagés par les entreprises, 1 million d'euros sous forme de prêts à taux zéro pouvant aller jusqu'à 10 000 euros, et un abondement d'1 million d'euros au fonds régional de garantie géré par Bpifrance 54 ( * ) . Par ailleurs, a été décidé le 7 juin 2019 la mise en place d'une aide supplémentaire afin de compenser les pertes d'exploitation des commerçants : la subvention peut atteindre 15 000 euros pour les entreprises de moins de 50 salariés dont le CA a diminué de plus de 15 % ;

• En Auvergne-Rhône-Alpes : un fonds de 8 millions d'euros composé de 2 millions d'euros visant à financer le reste à charge des travaux de réparation consécutifs aux dégradations (maximum de l'aide : 10 000 euros) et de 6 millions d'euros visant à garantir par la région des prêts à taux zéro . En juin 2019, quatre réseaux bancaires ont contracté avec la région ;

• En Ile-de-France : un fonds d' 1,5 millions d'euros , abondé à hauteur de 500 000 euros par la ville de Paris et de 1 million d'euros par la Région, visant à financer le reste à charge des travaux de réparation rendus nécessaires par les dégradations matérielles. L'aide forfaitaire accordée est comprise entre 1 000 et 7 000 euros ;

• En Bourgogne-France-Comté : un dispositif d'avances remboursables sous forme de prêt à taux zéro sur trois ans ;

• En Pays de la Loire : un fonds d'1 million d'euros a été décidé le 22 mars visant à prendre en charge partiellement les pertes d'exploitation via des subventions de 1 000 à 10 000 euros . Par ailleurs, Nantes Métropole a mis en place un fonds visant à financer l'indemnisation des dégradations matérielles non prises en charge par l'assurance (dans la limite de 8 000 euros par sinistre) ;

• À La Réunion : fonds de 6 millions d'euros visant à prendre en charge 100 % des pertes économiques subies par les TPE dans la limite de 5 000 euros en cas de perte de chiffre d'affaires entre novembre-décembre 2018 et les mêmes mois en 2017.

Certaines collectivités, sans mettre en place de tels fonds de soutien, ont choisi d'abonder des fonds existants visant à co-garantir les prêts contractés par les entreprises. La région Normandie, en réponse aux sollicitations de la CCI Rouen Métropole, a ainsi privilégié l'augmentation de sa participation au fonds SIAGI 55 ( * ) , géré par la CMA, afin que la quotité de garantie atteigne 70 % du montant du prêt.

Un exemple de délimitation de la zone concernée
par le fonds d'aides directes : le cas de Bordeaux Métropole

CMA France a en outre décidé d' activer le fonds prévu pour soutenir les artisans victimes de catastrophes naturelles afin de financer le reste à charge supporté par les professionnels après indemnisation des dégâts matériels par les assurances (jusqu'à 1 500 euros par sinistre).

Les mesures nationales (fiscales, sociales, budgétaires) présentent un caractère cohérent et ont été correctement relayées sur le terrain , les services déconcentrés des ministères ayant preuve d'adaptabilité et de réactivité . Au-delà, il semble que l'exécutif se soit en partie défaussé sur les acteurs économiques locaux (régions, mairies, chambres consulaires), les contraignant à dépenser temps et budget afin de prendre en charge et atténuer les préjudices liés aux défaillances de l'État dans la gestion de ce mouvement .

Ces mesures nationales représentent le minimum « légal » de prise en charge que l'État se devait de mettre en place face à un mouvement, des violences et des débordements extraordinaires à tout point de vue (longueur du mouvement, répétition des violences physiques et symboliques, personnel terrorisé, modifications structurelles des habitudes de consommation, principales périodes commerciales de l'année impactées) et compte tenu de sa responsabilité dans les carences du maintien de l'ordre. Le fonds de redynamisation des centres-villes excepté, l'exécutif a privilégié la simple activation de dispositifs déjà existants face à des conséquences pourtant inédites et d'une ampleur historique.

Ces mesures présentent donc plusieurs limites qui auraient pu être anticipées aisément .

III. AU FINAL : UNE PRISE EN CHARGE TRÈS INÉGALE

A. DES MESURES NATIONALES DE PRISE EN CHARGE PEU SOLLICITÉES, PARFOIS INADAPTÉES, ET UNE COMMUNICATION PERFECTIBLE

1. Un faible recours aux aides de la part des entreprises
a) Délais et reports d'échéances sociales

Pour rappel : les Urssaf, en application de l'instruction ministérielle du 6 décembre 2018 ont procédé à l'octroi de reports de paiement des cotisations sociales (sur une durée de 3 mois), de délais de paiement (pour la part patronale) et de remises intégrales des majorations et pénalités de retard.

Au 30 avril 2019, selon les données fournies par l'ACOSS 56 ( * ) , le nombre d'entreprises en métropole ayant sollicité de telles mesures en raison du mouvement se répartit comme suit :

• Pour les entreprises cotisantes au régime général :

o 6 339 délais de paiements accordés pour un montant de 85 millions d'euros ;

o 4 635 reports de paiements accordés pour un montant de 108 millions d'euros ;

o les remises gracieuses atteignent un montant de 1,7 million d'euros.

• Pour les travailleurs indépendants :

o 896 délais de paiements accordés pour un montant de 4,6 millions d'euros ;

o 88 reports accordés pour un montant de 57 500 euros ;

o les remises gracieuses atteignent un montant de 42 000 euros.

Au total, 11 958 délais et reports de paiements ont été accordés pour un montant total de 204 millions d'euros ainsi que 1,7 million d'euros de remises gracieuses .

Répartition des demandes de délais et reports de paiement
par catégorie d'affiliation

Source : ACOSS

Répartition des demandes de délais et reports de paiement par région

Source : ACOSS

Répartition des demandes de délais et reports de paiement par grandes villes

Source : ACOSS

À La Réunion, en raison de l'ampleur de la crise et de l'intensité des violences , des mesures spécifiques de report de toutes les cotisations de décembre 2018 et janvier 2019 ont été prises. 17 166 reports de paiements ont été accordés pour un montant total de 77,1 millions d'euros ainsi que 373 délais de paiements.

Le nombre total de délais accordés, tous motifs confondus, sur la période novembre 2018-avril 2019 est en baisse de 10 % par rapport à la période novembre 2017-avril 2018 (158 548 contre 175 960). L'ACOSS note toutefois que cette baisse générale est moindre dans le secteur du commerce (- 5,7 %, de 24 828 à 23 417 délais accordés). Dans ce secteur, le baisse n'est que de 1,7 % en Ile-de-France et le nombre total de délais est à la hausse dans certains territoires (Languedoc-Roussillon : + 8 %, Basse-Normandie : + 3 %). De même, dans le secteur des « autres services », la baisse du nombre total de délais accordés est moindre (- 5,2 %, de 87 237 à 82 721 délais accordés).

b) Étalements, reports, et remises gracieuses en matière fiscale

Au 9 mai 2019, selon les informations transmises par la DGFiP, le modèle de demande de délai de paiement ou de remise d'impôt, disponible depuis le 1 er mars 2019 sur le site impots.gouv.fr, a été téléchargé 20 577 fois , tandis que celui à destination des très petites entreprises qui saisissent la Commission des chefs des services financiers a été téléchargé 1 817 fois .

Au 30 avril 2019, le nombre d'entreprises ayant bénéficié de mesures fiscales se répartit comme suit 57 ( * ) :

• 4 491 entreprises ont bénéficié d'un délai de paiement ;

• 162 entreprises ont bénéficié d'un report d'échéance ;

• 260 entreprises ont bénéficié d'une suspension des poursuites ;

• 69 entreprises ont bénéficié d'un remboursement accéléré ;

• 628 entreprises ont bénéficié d'une remise de pénalités ;

• 123 entreprises ont bénéficié d'une remise de droits directs.

À mesure que le mouvement se poursuit et que les préjudices économiques s'accumulent, le nombre d'entreprises sollicitant une telle mesure croît : si 1 103 délais de paiement avaient été accordés au 28 février 2019, ce nombre était de 4 491 au 30 avril 2019, soit une hausse de 307 % .

c) Un dispositif d'activité partielle insuffisamment sollicité

La mesure d'activité partielle a été sollicitée et accordée à 5 268 reprises entre le 17 novembre 2018 et le 13 mai 2019 .

2. Des dispositifs de prise en charge qui ne font souvent que repousser le problème

De façon générale, l'ensemble des acteurs économiques rencontrés par le groupe de travail considère que ces mesures sont certes utiles, mais que leur conception et application reposent sur le pari que le mouvement ne dure pas et que les préjudices économiques disparaîtront rapidement . Si tel est le cas, c'est-à-dire si l'activité des commerçants repart rapidement à la hausse, repousser une échéance sociale ou étaler les paiements fiscaux peut effectivement alléger temporairement la trésorerie dans l'attente de sa reconstitution rapide.

Or, le mouvement dure depuis sept mois environ et même si le nombre de manifestants diminue fortement, les conséquences économiques des violences et débordements commises à la marge de ce mouvement continuent d'impacter négativement les entreprises ( cf. supra ) 58 ( * ) . Par conséquent, un délai de paiement ou un report d'échéance ne font que repousser la date du paiement effectif alors que les trésoreries ne se reconstituent pas, que les marges continuent d'être comprimées et que les chiffres d'affaires sont en baisse avec des changements d'habitudes qui perdurent. Les entreprises continuent donc de manquer de visibilité sur leur capacité à s'acquitter de ces paiements et de nombreux commerçants ont fait part de leur inquiétude face à l'imminence de cette échéance alors même que leur situation ne s'est pas améliorée. L'effet « bosse 59 ( * ) » en fin d'échéancier risque fortement de précipiter la faillite de plusieurs d'entre elles, les commerçants se trouvant dans l'obligation de payer les charges courantes et les arriérés, à une période où le chiffre d'affaires ne s'est pas encore redressé.

En outre, en matière de cotisations sociales , il semble que l'instruction du 6 mai 2019 , qui permet de reporter le paiement des cotisations sociales de mai et juin 2019, avantage les cotisants payant trimestriellement (auxquels elle s'applique) tandis que les cotisants payant mensuellement ne bénéficient plus de ces mesures après le mois d'avril 2019 . Le groupe de travail s'étonne également qu'il faille simplement mentionner le fait que les difficultés de l'entreprise sont liées aux conséquences du mouvement pour bénéficier d'un délai ou d'un report de cotisations sociales. Cette déclaration semble en décalage avec le quotidien vécu par les commerçants et artisans, nombre d'entreprises n'ayant pu bénéficier de telles mesures .

Par ailleurs, les instructions ministérielles ont été communiquées tardivement alors que les conséquences économiques étaient déjà massives : la première instruction ministérielle a été transmise le 6 décembre 2018, soit trois semaines après le début du mouvement .

En matière fiscale , il ressort des auditions que la mesure la plus utile pour soulager la trésorerie des entreprises est une remise de droits . Or cette dernière n'a été accordée qu'à 123 reprises au 30 avril 2019, et n'est proposée en tout état de cause qu'après qu'un délai de paiement puis un report d'échéance se soient avérés vains . La prudence, voire la franche hésitation avec laquelle cette mesure a été appliquée, est préjudiciable à la capacité des entreprises d'affronter les difficultés actuelles et témoigne d'une volonté de prise en charge de ces préjudices à peu de frais . À titre illustratif, le formulaire simplifié de demande de remise de droit direct n'a été mis en ligne qu'en mars 2019, lorsque le ministre a publiquement communiqué sur ce dispositif, alors que cette mesure fiscale était prévue par la loi depuis longtemps.

Le groupe de travail s'étonne par conséquent que face à l'ampleur historique des préjudices économiques et à la longueur du mouvement, l'exécutif n'ait pas donné d'instruction particulière pour :

• que l'administration fiscale propose l'application d'une telle mesure sans attendre inutilement que les autres aient démontré leur relative inefficacité . Les critères d'octroi de telles remises le permettent : aux termes de l'article L. 247 du livre des procédures fiscales, elles peuvent être accordées « lorsque le contribuable est dans l'impossibilité de payer par suite de gêne ou d'indigence ». La gêne subie par les commerçants et artisans semble aisément démontrable ;

• qu'une communication ciblée particulièrement sur ce dispositif, unanimement demandé par les entreprises, soit mise en oeuvre.

Par ailleurs, les délais de procédure concernant les remises de droits directs sont parfois longs . La CCI Rouen Métropole note ainsi que le paiement de la Cotisation foncière des entreprises (CFE) devant être effectué au plus tard le 15 décembre (déduction faite de l'éventuel acompte versé le 15 juin), plusieurs entreprises n'ont pu bénéficier de remise de cet impôt et s'en sont acquittées, charge à elles ensuite de négocier avec l'administration fiscale.

Si le dispositif d'activité partielle semble le plus sollicité parmi les différentes mesures nationales de prise en charge annoncées, il ne répond que partiellement aux attentes des commerçants et est inadapté pour les artisans : l'écrasante majorité de ces professionnels n'ont que quelques employés, voire aucun . Par conséquent, le « chômage technique » est inenvisageable, au risque de ne plus pouvoir ouvrir le commerce et servir la clientèle . Si cette mesure est indéniablement pertinente pour les entreprises pouvant poursuivre leur activité moyennant une baisse du nombre d'heures travaillées, elle ignore les réalités économiques des plus petites entreprises, très présentes dans les centres-villes . En outre, il existe au sein des entreprises aux effectifs réduits une dimension affective dans la relation entre le salarié et le l'employeur, qui diminue d'autant la possibilité effective de recourir à cette mesure.

Parmi les mesures de prises en charge conçues spécifiquement pour répondre aux conséquences économiques de ce mouvement figure l'opération nationale de revitalisation des centres-villes. Or, tant les élus locaux que les réseaux consulaires et les associations de commerçants alertent sur l'impossibilité de démarrer les campagnes de communication prévues pour deux raisons :

• d'une part, toute opération de promotion du centre-ville serait immédiatement annihilée par de nouvelles violences . Or, si la participation au mouvement décroît, des épisodes de violences continuent d'avoir lieu, sans qu'il soit possible de circonscrire en amont leur localisation. Ainsi du samedi 8 juin 2019, place de la Comédie à Montpellier, où des débordements ont encore eu lieu dans la ville proclamée alors « capitale nationale du mouvement » ;

• d'autre part, la communication publique autour de ces mesures de redynamisation peut avoir pour effet d'attirer spécifiquement les casseurs afin de bénéficier d'une visibilité et d'une résonnance médiatiques accrues . Le 27 avril 2019, pour la finale de la Coupe de France, la ville de Rennes avait par exemple décidé, en coordination avec le Carré Rennais, de prévoir des animations spécifiques avant le match, la gratuité des transports en commun et celle de certains parkings. Or, des manifestations interrégionales ont été ensuite annoncées spécifiquement pour ce jour, les transports en commun ont été partiellement fermés ou déroutés et les animations en partie annulées.

3. Une communication perfectible
a) Les moyens de communication employés

La DGE a créé sur son site internet une page dédiée 60 ( * ) et a utilisé les réseaux Twitter et LinkedIn afin de communiquer auprès des entreprises. Les différents supports numériques du ministère de l'économie et des finances ont également été mobilisés (economie.gouv.fr, impots.gouv.fr, lettre Bercy Infos). Sa « task force » a également organisé quinze conférences téléphoniques réunissant les organisations professionnelles nationales des secteurs touchés (commerce, artisanat, hôtellerie, etc.) et a été sollicitée directement par mail par 60 entreprises. La DGE a par ailleurs mobilisé à deux reprises le Conseil supérieur de l'ordre des experts comptables (CSOEC) afin qu'il relaye ces mesures auprès de ses membres.

Les services de l'État ont également participé aux guichets uniques locaux ou aux « brigades » mises en place par les acteurs locaux (notamment les CCI) visant à se déplacer auprès des entreprises ou à répondre à leurs questions lors de réunions d'informations. Les CODEFI (comité départemental d'examen des problèmes de financement des entreprises) ont organisé des réunions de manière systématique à partir de mai 2019 afin d'orienter les entreprises confrontées à des difficultés.

La page internet dédiée de la DGE a été consultée 14 336 fois , le dossier d'information à destination des commerçants a été téléchargé 292 fois et les publications Twitter et LinkedIn ont été vues 3000 fois environ.

L'article Bercy Infos relatif aux dispositifs de prise en charge a été consulté 12 612 fois et la page internet dédiée du ministère de l'économie et des finances a enregistré 57 294 visites. Par ailleurs, 7 communiqués de presse ont été diffusés.

En ce qui concerne l'ACOSS, plusieurs canaux de communication ont été utilisés afin de faire connaître les possibilités de délai ou de report de paiements des cotisations sociales : communiqués et articles de presse, des réunions en préfecture, des documents d'explications mis en ligne sur les sites des préfectures ainsi que sur les sites internet des Urssaf et en participant aux réunions organisées, entre autres, par les CCI. En outre, l'ACOSS a parfois ciblé les quartiers les plus impactés afin d'échanger par mail ou par téléphone avec les commerçants et artisans en amont de tout débit.

b) Une communication nationale et un ciblage des aides perfectible

Un nombre important de canaux de communication a été utilisé par l'exécutif afin de diffuser l'information sur ces mesures de prise en charge.

Toutefois, le nombre limité de consultations sur les supports numériques et le faible taux de recours aux aides , de même que le décalage important entre les déclarations des associations représentants les commerçants de centres-villes et celles de l'exécutif à propos de la diffusion de l'information, interrogent. Certains éléments explicatifs sont certes indépendants des efforts de l'exécutif et relèvent davantage de mécanismes d'autocensure de la part de certaines entreprises : ainsi du geste de solliciter spontanément l'administration fiscale, même à bon droit, rarement considéré comme naturel ou rassurant pour une entreprise.

D'autres éléments explicatifs témoignent en revanche d'une communication perfectible .

L'administration centrale s'est trop fortement appuyée sur différents acteurs, notamment locaux , afin de diffuser ces informations sur le terrain : CCI, CMA, organisations professionnelles, ordre des experts comptables, services déconcentrés. Si ces organismes ont réalisé un important travail de communication, dans des délais serrés, et parfois alors même qu'il ne relevait pas de leur compétence initiale, le recours à de multiples relais implique nécessairement une déperdition de l'information . Par exemple, il semble que les recommandations énoncées au niveau national en matière, entre autres, de pratique assurantielle ou bancaire n'aient été que peu suivies par les agences locales. Il en découle une asymétrie d'une part entre les dispositifs nationaux et la réalité du terrain et d'autre part entre les entreprises ayant les moyens logistiques (service comptable, département de ressources humaines, etc.) et humains de connaître et étudier l'ensemble des mesures et celles qui ne les ont pas .

Les mesures d'information nécessitent, dans leur ensemble, une démarche proactive de la part du commerçant : abonnement au compte Twitter ou LinkedIn de Bercy et à lettre Bercy infos, déplacement aux réunions organisées par les acteurs locaux, recherche d'informations sur le site internet du ministère. Or, tous les acteurs économiques n'ont pas le temps de procéder à ces recherches ni les moyens d'en déléguer la tâche à autrui , plus particulièrement encore en période de difficultés économiques nécessitant un investissement quotidien des salariés et des employeurs.

La communication autour des délais et reports de cotisations sociales
gagnerait à être renforcée

Alors que les informations fournies par l'ACOSS font état de « contacts téléphoniques systématiques » entre ses services et les entreprises des zones touchées, les associations de commerçants et chambres consulaires rencontrées par le groupe de travail relativisent ces affirmations . Nombre de commerçants ou artisans n'ont en effet été ni rencontrés physiquement, ni contactés à distance , ce qui peut expliquer en partie le faible recours à ces mesures.

C'est d'autant plus préjudiciable que les contacts directs auprès des entreprises facilitent la vie des entreprises en n'exigeant d'eux aucune démarche complexe ou chronophage , à l'inverse des réunions en préfecture, de la navigation sur le site internet de l'Urssaf ou de la lecture des communiqués de presse. Dans un contexte où les difficultés des commerçants s'accumulent et où l'employeur ne compte pas ses heures pour assurer la pérennité de son entreprise , cette nécessité de chercher par soi-même les mesures représente autant de freins à la possibilité d'en bénéficier.

La communication autour de ces mesures donne le sentiment d'un travail précipité, consistant principalement à activer des dispositifs déjà existants et à le faire savoir par les relais locaux.

4. Une indemnisation des préjudices qui s'apparente à un parcours du combattant pour les entreprises
a) La responsabilité de l'État semble juridiquement difficile à engager

Durant son audition devant le Sénat le 19 mars 2019, le ministre de l'économie et des finances a rappelé qu' « évidemment, les commerçants ont le droit de se retourner contre l'État s'ils estiment avoir subi un préjudice grave du fait d'un défaut de maintien de l'ordre ; il reviendra alors au juge administratif de trancher ». Le groupe de travail considère néanmoins que le Gouvernement tente de se défausser sur la justice et les commerçants, dès lors qu'il ne peut ignorer que les chances de tels recours sont quasiment nulles .

Certes, l'engagement de la responsabilité sans faute de l'État évite, comme son nom l'indique, qu'il faille prouver l'existence d'une faute, ce qui présente un intérêt certain : la faute commise à l'occasion d'une opération de maintien de l'ordre aussi conséquente que celle-ci serait probablement qualifiée de « faute lourde », ce qui restreindrait les chances de succès d'une action devant le juge.

En revanche, les critères légaux ou jurisprudentiels permettant d'introduire un tel recours sont assez restrictifs. Si les dommages sont le fait d'un groupe qui s'est constitué et réuni dans le but prémédité de les commettre, s'ils ont lieu après la fin du rassemblement , ou dans un autre quartier que celui de l'attroupement , un tel régime de responsabilité est écarté par le juge administratif 61 ( * ) . Pour autant, un arrêt récent du Conseil d'État 62 ( * ) semble témoigner d'une inflexion de la jurisprudence du juge administratif : il a reconnu que la seule circonstance du caractère prémédité des dommages n'était pas suffisante pour écarter la responsabilité de l'État 63 ( * ) . Des dégradations, bien que préméditées , commises à l'occasion d'une manifestation plus large organisée par des syndicats pour protester contre les difficultés économiques et contre des mesures gouvernementales, seraient donc susceptibles d'engager la responsabilité de l'État.

Il se peut qu'en cas de rejet par les services de l'État des recours indemnitaires, le juge administratif soit amené à appliquer cette évolution de jurisprudence aux demandes indemnitaires nées des violences commises en marge du mouvement. Il devra alors se prononcer sur des dégradations parfois préméditées (le cas des « black blocs ») mais commises à l'occasion d'une manifestation organisée non pas par des syndicats, mais par des particuliers .

Les chances de succès d'un tel recours dépendent enfin de l'établissement d'un lien direct et certain entre les agissements délictueux et le dommage et d'autre part la démonstration que les violences n'ont pas été commises par des groupes isolés du rassemblement principal, complètement étrangers aux organisateurs, et qui auraient prémédité leur geste, mais par les participants au mouvement revendicatif des « gilets jaunes ». Or, s'il semble aisé de démontrer le lien direct et certain entre un magasin saccagé et la perte d'exploitation qui s'en suit durant les travaux de réparation, il semble délicat de démontrer le lien direct et certain entre les crimes ou délits commis à l'occasion des manifestations et la perte d'exploitation subie par des entreprises « intactes » qui s'étend tout au long de la semaine ou qui est la résultante des limitations de circulation.

Une première question devra avant tout être tranchée par le juge : celle de savoir si les dommages sont le fait de « gilets jaunes » ou de groupes de casseurs préméditant leurs gestes et n'ayant rien à voir avec les organisateurs de la manifestation.

En tout état de cause, en vertu de l'article R. 421-1 du Code de justice administrative, la requête tendant au paiement d'une somme d'argent « n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ». Un recours indemnitaire doit donc être formulé auprès de la préfecture : en cas de refus, la décision peut être déférée devant le tribunal administratif dans un délai de deux mois. Toutefois, seuls 150 dossiers sur 1 285 déposés à la Préfecture de police seraient complets au 13 juin 2019 (en raison notamment d'éléments manquants de la part des assureurs).

Par ailleurs, dans le cas de la responsabilité pour faute (carence dans le maintien de l'ordre public), la faute lourde pourrait être caractérisée dans le cas de figure où l'État se serait abstenu de faire usage de ses pouvoirs de police alors qu'un tel usage n'aurait pas créé de risque sérieux de troubles graves à l'ordre public 64 ( * ) . Or, il semble aisé de démontrer, de la part de l'État, que l'usage de ses pouvoirs de police aurait empiré la situation et crée un désordre plus grave .

Enfin, en matière de responsabilité pour rupture d'égalité devant les charges publiques , si le préjudice concerne un nombre important de victimes (ce qui semble être le cas au regard du nombre de commerçants ayant subis de la casse ou des pertes d'exploitation), le critère « spécial » ne sera pas réuni 65 ( * ) , et la responsabilité de l'État ne pourra pas être engagée sur ce fondement.

Une difficulté supplémentaire, d'ordre financier, risque de pénaliser certains requérants dans leurs démarches : de façon générale, si le recours à un avocat est facultatif en première instance devant le juge administratif, il est obligatoire lorsque le recours a pour objet une demande d'indemnités en réparation de préjudices 66 ( * ) . L'aide juridictionnelle, qui peut être accordée à une personne physique ne disposant pas de ressources suffisantes 67 ( * ) , peut participer à la prise en charge des frais d'avocat, mais son plafond est bas, excluant un grand nombre de requérants « physiques » et, en tout état de cause, les personnes morales que sont les entreprises.

b) Des assurances qui ont plus ou moins « joué le jeu »
(1) En matière de dommages matériels

Selon les informations fournies par la Fédération française des assurances, au 29 mai 2019, les dommages consécutifs au mouvement représentaient 12 500 sinistres pour un coût d'environ 217 millions d'euros 68 ( * ) . 55 % des sinistres ont été déclarés par des artisans, commerçants ou TPE de services. En termes de répartition géographique, 23 % des sinistres ont été déclarés à Paris (et représentent 41 % des montants d'indemnisation).

Estimation de la sinistralité

Note : résultats extrapolés à l'ensemble du marché sur la base d'une représentativité comprise entre 63 % (entreprise) et 80 % (automobile)

Source : FFA

Toutefois, il ressort des auditions menées par le groupe de travail que si des recommandations ont été émises par la FFA tendant à ce que les dommages matériels des artisans et commerçants 69 ( * ) soient indemnisés sans application d'une franchise jusqu'au 16 janvier 2019, elles ne semblent n'avoir été que rarement suivies sur le terrain . À plusieurs reprises, les acteurs économiques interrogés, qu'il s'agisse d'entreprises ou de villes et régions, ignoraient que les agences locales avaient reçu pour consigne d'être « bienveillantes » et de prendre en charge cette franchise. Selon eux, la réalité du terrain était différente. Le groupe de travail ne peut que s'étonner d'une telle différence d'information entre les recommandations nationales et leur application concrète au plus près des entreprises .

Par ailleurs, les délais d'indemnisation des dégâts matériels sont dans l'ensemble considérés comme trop longs par les professionnels entendus, notamment les artisans.

(2) En matière de pertes d'exploitation

Il existe deux types de garantie :

• une clause d'indemnisation de la perte d'exploitation lorsque cette dernière est la résultante de travaux de réparation du fait d'un dommage matériel . 50 % des entreprises environ souscrivent une telle garantie 70 ( * ) . En revanche, cette clause ne couvre pas les pertes liées au fait d'avoir fermé l'entreprise sans que cette dernière ait été victime de dommages (rues fermées à la suite des attentats, zones d'interdiction de circuler pendant les manifestations, etc.). La FFA considère en effet qu'il s'agit là d'un aléa économique constitutif du « risque d'entreprise » ;

• une clause d'indemnisation de la perte d'exploitation lorsque cette dernière survient à la suite d'évènements extérieurs (décision administrative de fermeture ou d'interdiction de circuler, évènement intervenu dans un voisinage proche comme un incendie). Seules les plus grandes entreprises souscrivent cette garantie, en raison de son coût élevé.

En ce qui concerne les pertes d'exploitation liées aux dommages matériels , une recommandation a également été émise par la FFA visant à ce que les différents samedis de violence soient considérés comme un seul et même évènement et non pas comme 28 sinistres différents . Ce faisant, cela évite l'application d'un délai de carence de 3 jours sur chaque sinistre, qui aurait rendu quasi-inexistante l'indemnisation de la perte d'exploitation. Le ministre lui-même s'est fait l'écho de cet engagement, lors de son audition au Sénat le 19 mars : « les assureurs ont ainsi accéléré les indemnisations de sinistres matériels et de pertes d'exploitation et se sont engagés à ne pas cumuler les franchises pour les dommages matériels causés par les manifestation ». Or, là encore, les échanges qu'a eus le groupe de travail attestent que cette recommandation n'a été que partiellement suivie sur le terrain .

Interrogée à ce sujet, la FFA rappelle que ces deux recommandations étaient effectives jusqu'au 16 janvier 2019 , « c'est-à-dire jusqu'à l'ouverture du grand débat 71 ( * ) ». Au-delà du caractère surprenant du choix d'une telle date , les violences et sinistres matériels et économiques étant alors peu susceptibles de s'interrompre subitement pour cause de débat national, le groupe de travail ne peut que s'interroger sur le manque d'information exacte qu'avait le ministre, le 19 mars, à propos d'un dispositif...échu deux mois plus tôt .

Davantage de communication institutionnelle auprès des entreprises sur ces recommandations aurait peut-être permis certaines d'entre elles d'aborder le sujet avec leur compagnie d'assurance. La FFA a néanmoins préféré ne pas communiquer officiellement sur ces mesures spécifiques en raison du risque que cela « renforce la détermination des casseurs ». Le groupe s'étonne de cette prudence : il lui semble qu'un casseur ne se pose que rarement la question de savoir si le bien qu'il s'apprête à détruire se verra appliqué une franchise ou non...

Par ailleurs, une augmentation des primes d'assurance n'est pas exclue : à cette question, la FFA a répondu 72 ( * ) que cet épisode représente 5 % de la charge habituellement constatée annuellement pour les catégories des artisans, commerçants et prestataires de services. Et de conclure qu' un relèvement des tarifs relève de la politique technique et commerciale de chaque compagnie d'assurance .

c) Une multiplication des interlocuteurs préjudiciable à l'efficacité de la prise en charge

Différents acteurs économiques (chambres consulaires et associations de commerçants notamment) ont alerté le groupe de travail sur le trop grand nombre d'interlocuteurs administratifs : Direccte, Urssaf, service des impôts, préfecture, réseau consulaire, CCSF, CODEFI, Médiateur des entreprises, Médiateur du crédit, Bpifrance, mairies et régions (pour les fonds locaux). À nouveau, et bien que des « guichets uniques » aient été parfois mis en place, cette multiplicité d'acteurs aux compétences et moyens hétérogènes entraîne davantage complexité et découragement des commerçants qu'efficacité des mesures .

Un trop grand nombre de mesures nationales de prise en charge ont été annoncées. Ce saupoudrage des aides est d'autant plus inefficace que chacune présente des critères d'éligibilité et des points de contact différents. Le résultat final en est un sentiment de confusion face à une myriade de « mesurettes » et de perplexité face à la complexité des démarches à entreprendre 73 ( * ) . En outre, ce patchwork de mesures nationales se double d'un ensemble de mesures locales (fonds d'aides directes, prêts à taux zéro, avances remboursables, opérations de revitalisation) qui diffèrent d'une région à l'autre, voire d'une ville à l'autre 74 ( * ) , et qui instaurent autant de nouveaux critères d'éligibilité.

Au total, l'inadaptation et la relative inefficacité de plusieurs de ces dispositifs dégagent une impression de « deux poids deux mesures » par rapport aux efforts et dépenses budgétaires engagés par le Gouvernement afin de répondre à la crise des gilets jaunes. Si des mesures d'ampleur sont naturellement nécessaires face aux situations économiques que vivent nombre de citoyens, les artisans et commerçants impactés ne doivent pas être les grands oubliés de la solidarité nationale . D'une part, plusieurs d'entre eux, notamment les artisans, souffrent au quotidien de difficultés économiques et financières importantes. D'autre part, les violences fragilisent la survie d'entreprises qui contribuent fortement au dynamisme de l'économie nationale.

B. DES MESURES LOCALES SOUVENT PERTINENTES MAIS DES CRITÈRES D'ÉLIGIBILITÉ TROP STRICTS

1. Un faible recours aux fonds d'aides locaux

D'après les informations fournies à votre rapporteur par différentes CCI, CMA, mairies et régions, la problématique du faible recours aux aides nationales se rencontre également au niveau local .

A Paris , au 7 juin 2019, 17 dossiers de demande d'aide de la part du fonds de soutien aux acteurs économiques ( cf. supra ) avaient été réceptionnées : 4 dossiers auraient ainsi perçu un total de 19 000 euros tandis que 11 sont éligibles mais incomplets et 2 sont inéligibles. Sur l'ensemble de la région Ile-de-France, 24 commerçants et artisans avaient sollicité cette aide au 31 mai 2019.

Les deux fonds mis en place respectivement en Nouvelle-Aquitaine et sur le périmètre de Bordeaux Métropole ont reçu, début juin 2019, 450 dossiers. 137 entreprises ont bénéficié du fonds local (600 000 euros abondés par la Métropole, la CCI et la CMA) et 51 du fonds régional (2 millions d'euros apportés par la Région) dont 36 situées dans le centre de Bordeaux.

À Toulouse, le fonds d'avances remboursables à taux zéro et sans garantie est intervenu à 30 reprises pour un montant d'environ 200 000 euros, et celui de la Région Sud a débloqué fin mai environ 200 000 euros sur les 2 millions d'euros prévus .

Certaines régions refusent également de mettre en place de tels fonds , considérant que l'indemnisation des commerçants et artisans impactés par les violences relève de la responsabilité de l'État . La CCI Rouen Métropole, par exemple, a été invitée par la Région Normandie à se tourner vers le dispositif régional existant « croissance TPE », qui consiste en des avances remboursables (à condition que l'entreprise existe depuis plus de 3 ans et qu'elle emploie plus de trois salariés). Or, la rigidité des critères et l'exigence de remboursement alors que les commerçants n'ont plus aucune visibilité sur leur niveau d'activité à venir , soit excluent du dispositif un trop grand nombre d'entreprises, soit rendent le dispositif inadapté aux problématiques économiques rencontrées.

2. Des critères d'éligibilité trop stricts et des mesures parfois inadaptées

Au-delà des raisons indépendantes de la volonté des pouvoirs publics ( cf. supra ), le faible taux de recours à ces aides locales s'explique également par la fixation de critères d'éligibilité trop stricts .

L'ensemble des associations de commerçants rencontrées, ainsi que plusieurs CCI, ont alerté le groupe de travail sur le fait que le seuil des 30 % de perte de chiffre d'affaires, retenu dans de nombreux cas de fonds d'aides directes, est trop élevé et rend inéligibles de nombreuses entreprises . Certes, il ressort des auditions menées que les blocages, violences et débordements sont à l'origine d'une perte d'activité de 30 % environ. Cependant :

• ce niveau de perte étant une moyenne, les entreprises subissant une baisse de CA de 10 %, 20 % ou 25 % sont exclues du dispositif . Or, l'impact économique n'est pas moins préjudiciable lorsque la baisse du CA s'établit à 29 % de CA que lorsqu'elle s'établit à 31 % ;

• afin de compenser leur perte d'activité, les commerçants et artisans ont pratiqué des promotions (pour attirer la clientèle) ou ont puisé dans leurs stocks (pour répondre aux ruptures d'approvisionnement). Par conséquent, la perte économique peut être masquée par le fait que la baisse du chiffre d'affaires paraît atténuée, alors que cette compensation s'est faite au prix d'une contraction des marges ou de stocks « bradés » . En temps normal, les promotions n'auraient pas atteint cette ampleur et les stocks auraient été vendus à prix normal. Une entreprise qui affiche une diminution de 15 % de son CA peut donc en réalité être victime de préjudices économiques bien plus importants et liés à ces violences : marges durablement faibles, trésorerie asséchée, stocks vendus à prix « cassés ». Or, tant que la baisse du CA n'atteint pas 30 % en cumulé sur la période, une telle entreprise est inéligible aux fonds d'aides directes.

Le précédent de Rennes en 2016 :
un fonds d'aide significatif mais une enveloppe sous-utilisée

En 2016, les manifestations liées à la loi Travail ont occasionné de nombreux dégâts matériels dans le centre-ville de Rennes. Un fonds d'aide de 600 000 euros a été débloqué par l'État et annoncé par le préfet en septembre 2016, avec l'objectif de « consommer l ' enveloppe [...] d ' ici la fin de l ' année ». Les commerçants réalisant moins de 1 million d'euros de chiffre d'affaires et ayant subi une perte supérieure à 30 % de ce chiffre (seuil ramené ensuite à 25 % à la demande de la CCI et du Carré Rennais) pouvait être indemnisés jusqu'à 3 000 euros ou 10 000 euros si la perte dépassait 50 %.

Au 21 novembre, date limite de dépôt des dossiers, seules 86 demandes avaient été déposées et 21 dossiers étaient éligibles. Au total, 68 000 euros ont été débloqués.

Les critères d'éligibilité ont en effet été considérés comme trop stricts : 25 % de perte d'un chiffre d'affaires dont le montant total doit être inférieur au million d'euros. De nombreuses entreprises dont la perte pouvait atteindre 20 %, ou plus de 30 % mais dont le CA était inférieur au seuil d'1 million d'euros, s'en sont trouvées exclues.

D'autres critères d'éligibilité restreignent l'accès à ces aides :

• le critère de la date de création de l'entreprise, qui doit souvent être antérieure de plus d'un an au démarrage du mouvement . Or, les commerces ouverts récemment sont par nature fragiles économiquement (activité en démarrage, investissements non amortis, remboursements élevés, etc.) et sont les premiers à avoir été victimes de ces violences ;

• le critère du nombre maximal de salariés , souvent fixé à 10. De fait, cela exclue des PME victimes pourtant des mêmes préjudices et exerçant parfois leur activité dans les secteurs les plus impactés (hôtellerie, restaurants) ;

• le critère du chiffre d'affaires maximal , souvent fixé au million d'euros. Une entreprise de 8 salariés réalisant 1,2 million d'euros de chiffre d'affaires, bien que victime de ces préjudices et ne disposant pas de la même solidité financière qu'un grand groupe, se voit exclue de ces aides ;

• certaines entreprises sont exclues du dispositif en raison de critères exogènes à leur performance ou taille. Ainsi du fonds d'aide de Bordeaux Métropole qui ne couvre pas les entreprises bénéficiant d'une assurance pour perte d'exploitation . Or, l'activation de cette clause se heurte dans de nombreux cas ( cf. supra ) à l'application de délais de carence parfois successifs, qui rendent l'indemnisation de la perte d'exploitation marginale . En outre, c'est à l'entreprise de fixer la période de garantie au moment où elle souscrit ce contrat : il est peu probable que des commerçants aient souscrit un contrat couvrant désormais sept mois de perte d'exploitation.

Le dispositif d'aide le plus efficace pour les commerçants reste un fonds d'indemnisation des pertes d'exploitation aux critères d'éligibilité assouplis . Certaines collectivités ont toutefois privilégié la mise en place de fonds d'avances remboursables ou de prêts à taux zéro . Bien que l'objectif soit le même, à savoir soutenir la trésorerie des commerçants et les aider à surmonter les difficultés économiques, ces mesures de prêts présentent un inconvénient majeur pour les acteurs économiques : le remboursement. Si dans le cas de difficultés temporaires, il est aisément envisagé que l'avance soit remboursée lorsque l'activité retrouve son rythme de croisière, il en va autrement dans le cas de préjudices économiques plus durables. En effet, rien n'indique que l'activité soit revenue à son niveau initial lorsque l'entreprise devra s'acquitter de ses dettes financières . Par conséquent, les entreprises hésitent à s'endetter, même à taux zéro ou en disposant de la garantie de Bpifrance, ces dettes pouvant se transformer en charge fatale pour leur trésorerie à venir.

Par ailleurs, des fonds d'aides exceptionnels pour les travaux de remise en état ou les frais de sécurisation consécutifs aux dégradations ont été mis en place afin de couvrir le reste à charge payé par les entreprises à la suite d'une indemnisation assurantielle. Or, les échanges avec les associations de commerçants indiquent que les subventions allouées sont définies sous forme de fourchette 75 ( * ) et que le montant de nombreuses réparations est situé en-deçà , vidant la mesure de sa substance. En outre, la constitution des dossiers nécessite au préalable que les assureurs aient transmis les documents nécessaires au commerçant ou artisan ; la longueur observée des délais d'envoi est par conséquent un obstacle supplémentaire à l'indemnisation des entreprises.

IV. ASSURER LES ENTREPRISES CONTRE LES DÉFAILLANCES DE L'ÉTAT DANS LE MAINTIEN DE L'ORDRE PUBLIC

Le montant considérable des préjudices (matériels et indirects), l'accumulation de nombreuses difficultés de court et de long-terme, le désespoir de nombreux chefs d'entreprise nourri par un sentiment d'abandon, la perspective d'une aggravation insoutenable des conséquences au second semestre 2019, les changements d'habitudes de la clientèle qui résultent de la crise , appellent une réponse publique d'une ampleur bien plus conséquente. Face à un évènement nouveau et dévastateur pour la pérennité de nombreuses entreprises, le groupe de travail considère que le Gouvernement n'a pas pris la pleine mesure de l'ampleur du phénomène pour les commerçants et artisans . Face à la démesure, n'ont été retenues que des demi-mesures.

A. RELEVÉ DES CONCLUSIONS PRINCIPALES

Il ressort des travaux menés par le groupe de travail au plus près des acteurs économiques que :

Sur les violences et les défaillances dans le maintien de l'ordre public :

• les violences et débordements commis en marge des manifestations des gilets jaunes sont inédits tant par leur intensité que par l'ampleur et la durée de leur impact sur les commerçants et artisans ;

• en cela, ce mouvement social se distingue de tous ceux qui l'ont précédé depuis 70 ans ;

• la répétition hebdomadaire des violences pendant - au moins - 6 mois traduit une défaillance de l'État dans sa fonction régalienne de maintien de l'ordre public et une carence dans la protection de la liberté d'entreprendre et de la liberté du commerce et de l'industrie , toutes deux de valeur constitutionnelle et découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen 76 ( * ) .

Sur les préjudices moraux et économiques :

• les premières victimes de ces agissements sont les salariés , traumatisés psychologiquement par les agressions physiques et verbales, victimes d'une réduction de leurs revenus et témoins d'une diminution brutale des opportunités d'emploi (saisonniers ou pérennes) ;

• les violences se sont déroulées dans les centres-villes alors que ces derniers sont déjà fragilisés depuis de nombreuses années par une désertification croissante , comme en témoigne l'évolution des taux de vacance commerciale. Ces débordements ne peuvent qu' accentuer ce phénomène déjà critique ;

• les préjudices économiques se comptent en plusieurs centaines de millions d'euros pour les dommages matériels et pour les pertes d'exploitation des entreprises ;

• si certaines entreprises ont souscrit une clause assurantielle « perte d'exploitation » qui les indemnise de ces pertes en cas de dommages matériels, très rares sont celles qui sont protégées par une garantie « perte d'exploitation » lorsqu'il n'y a pas de tels dommages ;

• en moyenne, le niveau d'activité dans les centres des villes touchées a diminué d'environ 30 % depuis six mois ;

• au-delà, les conséquences économiques sont multiples : perte irrécupérables (denrées périssables, nuitées en hôtellerie, etc.), vente des stocks à faibles prix et promotions désespérées pour compenser les pertes, baisse du revenu des employeurs pour préserver l'emploi, assèchement de la trésorerie , dégradation de la qualité des dossiers bancaires, retards du paiement des fournisseurs entraînant des réactions en chaîne, risque d'augmentation du montant des primes d'assurances ;

• les violences ont accompagné et parfois initié un changement des habitudes de consommation (report partiel vers le commerce en ligne, diminution du tourisme, désertification des centres-villes le samedi et même en semaine) qu'il sera difficile d'inverser ;

• ces conséquences économiques sont appelées à se poursuivre et même à s'amplifier dans les mois à venir (difficultés de paiement des fournisseurs et de remboursement des prêts suite à l'assèchement de la trésorerie, paiement des échéances sociales et fiscales reportées, etc.).

Sur la prise en charge par le Gouvernement :

• pour prendre en charge ces conséquences économiques, le Gouvernement a largement préféré rappeler les dispositifs existants et les intensifier légèrement plutôt que prendre des mesures nouvelles ;

• une partie de ces dispositifs existants présente une certaine efficacité et les leviers de communication utilisés ont été nombreux ;

• toutefois, la communication institutionnelle a pâti du trop grand nombre d'interlocuteurs mobilisés et du sentiment de confusion né d'un nombre trop important de « mesurettes ». En outre, l'information au sein même des services de l'État n'a pas toujours été correctement transmise, et la dépersonnalisation du point de contact via des adresses mail génériques se heurte à la nécessité d'un service public incarné ;

• plusieurs de ces mesures sont insuffisamment ciblées et donc inadaptées à la situation de TPE d'artisans et commerçants qui n'ont en outre ni le temps ni les moyens d'affronter tant de complexité administrative ;

• cette réponse témoigne d'une mauvaise compréhension des impacts démesurés que ces violences ont pour les entreprises ;

• si l'exécutif a certes été contraint de réagir en urgence, il apparaît toutefois que les mesures les plus utiles aux entreprises, et les plus demandées, ont été repoussées ou retardées volontairement (fonds d'indemnisation nationale, exonérations plutôt que report des dettes fiscales, assurer le respect des interdictions de manifester) ;

• que l'argument du redressement des finances publiques est clairement inopérant au regard du montant des mesures gouvernementales annoncées le 10 décembre 2018 et le 25 avril 2019 . Dès lors, un « deux poids deux mesures » semble s'installer entre au détriment des artisans et commerçants ;

• il est d'autant plus étonnant que les commerçants et artisans aient été les grands oubliés de ces annonces que leur situation était connue de l'exécutif depuis le début des violences en novembre 2018 ;

• en conséquence, le taux de recours à ces aides nationales est très faible ;

• il est peu probable que la responsabilité de l'État soit engagée en raison de critères légaux et jurisprudentiels stricts ;

• une transmission aléatoire des informations s'est opérée entre la Fédération française des assurances, la Fédération française bancaire et leurs agences locales respectives.

Sur l'action des collectivités et des chambres consulaires :

• les réseaux consulaires ont été fortement sollicités afin de diffuser l'information auprès des entreprises, les accompagner dans leurs démarches et remonter leurs difficultés et ils ont assumé ce rôle avec engagement et efficacité ;

• les villes, métropoles, régions et chambres consulaires ont assumé en lieu et place de l'État une grande part de sa responsabilité en prenant en charge les conséquences économiques par des fonds d'aides directes , des exonérations de droits d'occupation du domaine public et des opérations de redynamisation des centres-villes ;

• que toutefois, l'efficacité de tels fonds s'est parfois heurtée à la fixation de critères d'éligibilité trop restrictifs .

B. MIEUX PROTÉGER LES ENTREPRISES EN CAS DE MANIFESTATIONS VIOLENTES

1. Assurer efficacement le maintien de l'ordre public

Des carences dans le maintien de l'ordre public par l'État ont permis aux violences et débordements de persister durant plusieurs mois, et ce jusqu'à la date de réalisation de ce rapport. La première demande formulée par les acteurs économiques, et la plus urgente, est celle d'un retour définitif à l'ordre public, afin que la liberté d'entreprendre soit assurée . Il ressort des auditions de votre rapporteur que les interdictions de manifester ont été les éléments déclencheurs d'un véritable retour au calme.

À ce titre, le groupe de travail salue la réflexion sur le maintien de l'ordre initiée par le ministère de l'Intérieur le 17 juin 2019 et visant à faire évoluer la doctrine et les méthodes employées par les forces de l'ordre à l'occasion de telles manifestations.

Le 10 avril 2019, la commission des lois du Sénat a formulé neuf propositions visant à renforcer la prévention en amont des manifestations, à adapter la doctrine opérationnelle du maintien de l'ordre pour mieux endiguer les actes de violence et de dégradation, et à améliorer la judiciarisation du maintien de l'ordre 77 ( * ) .

Parmi ces propositions, la commission recommande notamment d'amplifier l'effort de renseignement pour permettre la poursuite, en amont des manifestations, des personnes qui préparent la commission d'actes de violence (proposition n° 2). Elle appelle également à systématiser la pratique des retours d'expérience au sein de la préfecture de police, à l'issue de chaque opération de maintien de l'ordre d'ampleur (proposition n° 6).

Recommandation n° 1

Le groupe de travail invite l'État à se saisir au plus vite de l'ensemble de ces recommandations équilibrées .

En particulier, une amplification de l'effort de renseignement en amont et une amélioration constante des techniques de maintien de l'ordre dans ces manifestations sont à même de circonscrire l'intensité des violences et, partant, des préjudices subis par les entreprises situées dans les centres-villes.

2. Prévenir plus tôt et plus efficacement les commerçants

Bien que le groupe de travail le déplore, les corps intermédiaires semblent perdre de leur influence dans l'encadrement des revendications et protestations, au profit de rassemblements plus spontanés et trouvant leur origine dans les réseaux sociaux. Ces nouvelles modalités d'expression sont amenées à devenir plus fréquentes.

Or, ces mouvements vont vraisemblablement devenir également les moyens d'expression privilégiés et la cible des manifestants les plus violents . Il importe dès lors de préserver les commerçants et artisans de ces débordements.

Cela passe avant tout par un renforcement de la communication entre les services de l'État et les commerçants afin qu'elle ait lieu très en amont de la manifestation et soit fluide et rapide . Les services de sécurité ont bien souvent connaissance à l'avance des lieux de regroupement, de l'identité des manifestants les plus violents, voire de leurs intentions exactes. Durant la crise des « gilets jaunes », certaines préfectures ont alerté directement des entreprises (via l'usage de messageries électroniques notamment) ; d'autres ont prévenu les mairies et les chambres consulaires en leur chargeant de relayer le message auprès des commerçants. S'en sont suivies naturellement des différences importantes d'accès à l'information entre les communes et entre les commerçants eux-mêmes, selon l'action de la préfecture, de la chambre consulaire, des services de la ville, de leur usage des smart phones , etc. Les appels directs et répétés de la préfecture ont parfois en outre crée inutilement un climat de peur auprès des commerçants.

Recommandation n° 2

Le groupe de travail préconise de généraliser cette bonne pratique. À l'avenir, chaque préfecture pourrait s'engager à alerter les CCI, CMA, services de la ville et associations de commerçants le plus en amont possible de la manifestation avec des recommandations claires et écrites . Ces organismes se chargeraient ensuite de contacter leurs membres, adhérents ou usagers via des messageries électroniques instantanées . Pour les entreprises refusant, par choix ou impossibilité matérielle, de participer à ces messageries, le contact téléphonique ou par mail le plus amont possible doit être impératif. Il importe particulièrement que la sécurité des entreprises ne dépende pas des pratiques propres à chaque préfecture et que les conditions d'alerte soient harmonisées sur le territoire , de façon également à réduire la marge d'interprétation par les assureurs des consignes transmises par les autorités.

3. Des périmètres d'interdiction de circuler mieux ciblés

Dans certaines villes, notamment à Paris, des périmètres de limitation, voire d'interdiction, de la circulation ont été définis. L'approche de ces périmètres entraîne contrôles d'identité et fouilles corporelles et matérielles. La mise en place de telles mesures de sécurité est évidemment nécessaire , tant pour des raisons de sécurité des manifestants que pour faciliter le travail des forces de l'ordre.

Pour autant, certains périmètres semblent avoir été définis de façon excessivement larges au regard des risques réels de sécurité, et maintenu durant une durée anormalement longue durant la journée . Il en résulte une baisse drastique de l'activité des commerçants situés dans ces périmètres - comprenant fermeture ou déviation des transports en commun - alors même que le parcours de la manifestation ne nécessitait pas qu'ils soient concernés par une telle restriction d'accès. Afin de concilier à la fois la liberté de manifester, notamment dans des conditions de sécurité satisfaisantes, et la liberté du commerce, il importe de mieux cibler ces périmètres, en termes de taille et de durée .

Recommandation n° 3

Le groupe de travail préconise de mieux définir ces périmètres de restrictions de circulation afin de cerner au mieux les zones véritablement concernées, et de lever ces restrictions dès lors que le danger est écarté , afin de permettre à la vie économique de redémarrer. Pour ce faire, les préfectures pourraient lever les périmètres d'interdiction dès lors que la manifestation est dispersée. Que cette dernière soit mise entre parenthèse se comprend ; qu'elle soit durablement inexistante est anormal.

C. CONTRAINDRE L'ÉTAT À PRENDRE SES RESPONSABILITÉS

Les mesures-ci-dessous ne peuvent évidemment être mises en oeuvre de façon concomitante. Elles se veulent des alternatives, les unes aux autres, afin que les commerçants et artisans puissent obtenir l'indemnisation, ou une compensation, de leurs pertes économiques.

1. Créer un fonds d'indemnisation national des pertes d'exploitation

Alors que le maintien de l'ordre public relève de sa compétence, le groupe de travail considère que l'État n'a que partiellement assumé ses responsabilités . Il a mal assuré sa mission régalienne et s'est défaussé sur les collectivités et chambres consulaires pour financer la prise en charge des pertes d'exploitation des entreprises alors que ces dernières étaient directement le fait de violences et débordements qu'il n'a su ni anticiper, ni stopper.

L'indemnisation directe des pertes d'exploitation est la mesure la plus demandée par les commerçants . Elle répond au mieux à la nécessité de préserver leur trésorerie, de leur permettre de faire face aux échéances sociales et fiscales et évite la dégradation tant de la qualité de leur dossier bancaire que des relations avec leurs fournisseurs. Elle préserve l'emploi et atténue les risques personnels et professionnels courus par l'employeur.

En outre, choisir de ne pas répondre à cette requête entraîne des modalités d'indemnisation hétérogènes selon le lieu d'implantation des entreprises sur le territoire . Toutes les villes et régions n'ont en effet pas mis en place de tels fonds, ou l'ont fait selon des critères d'éligibilité différents.

Il importe pour l'avenir que les entreprises puissent être indemnisées par l'État.

Recommandation n° 4

Le groupe de travail préconise de mettre en place un fonds national de compensation des pertes d'exploitation en cas d'atteintes répétées et violentes à l'ordre public dont l'enveloppe reste à définir. En cas de recours indemnitaire parallèle, l'octroi de ces fonds pourrait être suspendu dans l'attente de l'issue du recours.

L'intervention de ce fonds serait déclenchée en cas de préjudices économiques graves et persistants (par exemple, si les préjudices durent plus de deux mois), sur décision du ministre chargé de l'économie et des finances. L'examen et l'instruction des dossiers pourraient être confiés aux chambres consulaires et la décision d'octroi des fonds revenir à la Direction générale des entreprises.

Des critères d'éligibilité devraient être définis. Le groupe de travail propose ainsi que le fonds soit activé pour les entreprises réalisant moins de 3 millions d'euros de chiffre d'affaires et enregistrant des pertes de plus de 15 % de ce dernier sur une période supérieure à 3 mois. Le montant maximal d'indemnisation, qui ne peut naturellement être égal au montant exact des pertes, pourrait être défini par catégorie d'entreprise (TPE-PME-ETI-GE 78 ( * ) ) et serait dégressif.

2. Automatiser l'exonération fiscale de certains droits directs et permettre à l'État de recouvrer ces montants si l'activité de l'entreprise revient à son niveau initial

La remise de droits directs (notamment IS et CFE) n'intervient aujourd'hui qu'une fois que deux autres mesures fiscales ont échoué à préserver la santé économique de l'entreprise : le délai de paiement et le report de paiement . Or ces deux mesures, en cas de très graves préjudices comme ceux subis aujourd'hui, ne font que repousser le problème , et peuvent même l'aggraver en créant un double paiement au moment de l'échéance du report. La date effective du paiement est en effet calculée à partir d'un critère quantitatif (nombre de mois de report) et non un critère qualitatif (capacité de l'entreprise à s'acquitter de cette dette fiscale).

Il est nécessaire de soulager durablement et fortement la trésorerie des artisans et commerçants impactés. Toutefois, il importe que le recouvrement de l'impôt par l'État et le financement des politiques publiques ne soient pas mis en danger. Un juste milieu entre report de paiement et remise de droit peut être trouvé , inspiré de la clause de « retour à meilleure fortune » par laquelle un créancier abandonne sa créance sauf si le débiteur est à nouveau en mesure de s'acquitter du règlement.

Recommandation n° 5

Le groupe de travail préconise pour l'avenir qu'en cas de préjudices économiques de cette ampleur, les entreprises puissent bénéficier d'un report de paiement de leurs dettes fiscales jusqu'à ce que leur niveau d'activité atteigne un niveau considéré comme suffisant pour exiger le paiement des dettes fiscales sans mettre en danger leur pérennité . Le niveau d'activité jugé comme suffisant pourrait être situé à 90 % du chiffre d'affaires moyen enregistré l'année précédant l'apparition des préjudices économiques.

3. Subventionner la souscription de clauses « perte d'exploitation sans dommage matériel » dans les contrats d'assurance

Peu d'entreprises souscrivent à une telle clause en raison de son coût élevé . Afin d'être en mesure de se prémunir au mieux des risques de perte d'exploitation liés à des évènements extérieurs (restriction administrative de circuler, par exemple), un « coup de pouce » de l'État pourrait être accordé aux PME afin qu'elles puissent se couvrir. Un tel dispositif s'inspirerait de ce que l'État a mis en oeuvre pour aider les agriculteurs à souscrire un contrat d'assurance récoltes.

En contrepartie, les assurances pourraient être amenées à faire évoluer les critères d'activation de cette clause. Aujourd'hui, cette garantie joue en cas de décision administrative de fermeture ou d'interdiction de circuler ou en cas, par exemple, d'incendie dans le voisinage. Or, la majorité des fermetures de commerce à titre préventif ont lieu à la suite de recommandations préfectorales orales ou écrites et non pas d'actes administratifs. Les préfectures pourraient à l'avenir recommander publiquement et officiellement ces fermetures ; en parallèle, les assurances intégreraient aux critères d'activation de la clause « perte d'exploitation sans dommage » ce type de recommandations.

Recommandation n° 6

Le groupe de travail préconise de prévoir un mécanisme de prise en charge par l'État d'une partie de la prime d'assurance liée à la garantie « perte d'exploitation sans dommage matériel » afin d'encourager les PME à souscrire cette clause.

En parallèle, il est proposé que les assurances fassent évoluer les critères d'activation de cette clause afin d'y intégrer les recommandations publiques et officielles des préfectures visant à inciter les entreprises à interrompre leur activité .

4. Faciliter l'engagement de la responsabilité de l'État

L'engagement de la responsabilité de l'État du fait des attroupements et rassemblements se heurte aujourd'hui à plusieurs obstacles. La rédaction de l'article L. 211-10 du code de sécurité intérieure est à l'origine d'incertitudes juridiques débouchant sur une abondante jurisprudence sur le caractère prémédité ou non des violences, le nombre de participants aux débordements ou encore l'encadrement du rassemblement à l'occasion duquel ces agissements ont eu lieu . Ces jurisprudences successives présentent un caractère restrictif et sont susceptibles d'écarter ce régime de responsabilité de l'État alors même qu'elle ne fait que peu de doute . Par ailleurs, un tel recours nécessite obligatoirement le conseil d'un avocat. Or, le seuil de ressources en-dessous duquel l'aide juridictionnelle est accordée est faible et cette aide est réservée aux personnes physiques.

Recommandation n° 7

Le groupe de travail préconise de faire évoluer l'article L. 211-10 du code de sécurité intérieure relatif à la responsabilité de l'État du fait des attroupements dans le sens d'une clarification de ses dispositions . La sécurité des personnes et des biens étant de la compétence de l'État et la première des libertés, sa responsabilité pourrait ainsi être engagée sur ce fondement dès lors que des manifestations déclarées et autorisées dégénèrent à plusieurs reprises dans un même secteur .

En cas d'un tel recours, et si le fonds national d'indemnisation de la recommandation n° 4 est mis en oeuvre, l'octroi d'indemnisations par ce fonds pourrait être suspendu dans l'attente de l'issue du recours.

Le groupe de travail propose également de réfléchir à la possibilité d'une protection juridique par les assurances sous forme d'une prise en charge financière des frais engagés par le requérant à l'occasion d'un tel recours lié à ce sinistre, sur le modèle de la « garantie défense recours ».

D. FAVORISER L'ACCÈS DES ENTREPRISES AUX AIDES PUBLIQUES

1. Assouplir les critères d'éligibilité des fonds d'aides directes

La définition de critères d'éligibilité trop restrictifs peut être un frein à la prise en charge effective de ces préjudices . Si le groupe de travail tient à saluer les mesures d'aides directes adoptées par les collectivités, qui plus est dans un contexte budgétaire contraint, l'efficacité de ces dernières peut être parfois amoindrie par l'exclusion indirecte d'entreprises . Qu'il s'agisse de fonds indemnisant les pertes d'exploitation, finançant une partie du reste à charge lié aux dégâts matériels, ou proposant des avances remboursables, leurs critères d'éligibilité exigent souvent des pertes d'activité de plus de 30 %, un CA total inférieur au million d'euros et un nombre de salariés inférieur à 10.

Il en résulte un faible taux de recours à ces fonds alors qu'ils représentent une possibilité pour les commerçants de reconstituer partiellement leur trésorerie.

Recommandation n° 8

Le groupe de travail préconise d'assouplir les critères d'éligibilité aux fonds d'aides directes mis en place au niveau local . Qu'il s'agisse du montant minimal de pertes, du nombre maximal d'employés, du niveau d'activité initial ou de la date de création, il importe que ces critères ne privent pas de nombreuses entreprises de la possibilité de bénéficier de ces solutions.

Dans le cas où une telle situation se reproduirait, il rappelle l'importance que ces critères soient définis dès la constitution du fonds en coordination avec les associations de commerçants et les chambres consulaires .

2. Généraliser la constitution de guichets uniques dans les chambres consulaires

Une des raisons du faible taux de recours aux mesures nationales de prise en charge des préjudices économiques est le nombre trop important d'interlocuteurs : Direccte, Urssaf, service des impôts, préfecture, réseau consulaire, CCSF, CODEFI, Médiateur des entreprises, Médiateur du crédit, Bpifrance, mairies et régions, etc. En outre, le nombre élevé de mesures annoncées, mêlant dispositifs existants et nouveaux, participe du sentiment de confusion et de « dispersion » des aides .

Des efforts ont été entrepris afin de constituer au niveau local, notamment dans les CCI, des guichets uniques regroupant les différents acteurs publics compétents afin de faciliter les démarches des entreprises. Cette démarche de réunion des différents interlocuteurs publics doit être généralisée selon un schéma formalisé et normé afin que leur déploiement se fasse le plus vite et le plus tôt possible.

Recommandation n° 9

Le groupe de travail préconise de généraliser la pratique des guichets uniques réunissant les différents interlocuteurs publics pertinents dans toutes les chambres consulaires (CCI et CMA) du territoire.

À l'avenir, de tels points de contact doivent être mis en place sans attendre, dès lors que les préjudices économiques ne sont pas isolés mais touchent massivement un ensemble d'entreprises. À cette fin, un schéma formalisé de constitution et d'intervention de ces guichets uniques pourrait être établi.

Une telle mesure est toutefois indissociable de la nécessité d'éviter la multiplication du nombre de mesures de soutien qui participe aujourd'hui du sentiment général de confusion et de complexité administrative , chaque mesure étant rattachée à un service compétent, avec ses propres règles, critères, délais et dossiers. Il convient de privilégier un faible nombre de mesures mais qui répondent concrètement, rapidement et significativement aux attentes des acteurs économiques.

En outre, la constitution de tels guichets uniques dans les chambres consulaires requiert de préserver l'équilibre financier du réseau consulaire .

3. Recourir plus systématiquement aux exonérations de droits d'occupation du domaine public

Les exonérations de droits d'occupation du domaine public décidées par les communes sont particulièrement pertinentes. Elles présentent en effet un double avantage. D'une part, elles sont rapides à concevoir, à adopter et à mettre en oeuvre. D'autre part, elles apportent un réel soulagement à la trésorerie des entreprises concernées. En cas de préjudices économiques d'une telle ampleur, il peut être judicieux de généraliser cette mesure en s'inspirant de la clause comptable de « retour à meilleure fortune » : lorsque l'activité de l'entreprise redevient suffisante pour s'acquitter de ces droits, la commune peut en exiger le paiement.

Recommandation n° 10

Le groupe de travail préconise de recourir plus rapidement, et sur l'ensemble du territoire, aux exonérations de droits d'occupation du domaine public en cas de préjudices économiques de cette nature et d'une ampleur forte.

Afin de ne pas fragiliser financièrement les collectivités territoriales, les communes pourraient exiger le paiement de ces droits une fois que la situation de l'entreprise est revenue à son niveau initial ou, à tout le moins, à un niveau jugé suffisant pour ne pas la fragiliser. Le niveau d'activité jugé comme suffisant pourrait être situé à 90 % du chiffre d'affaires moyen enregistré l'année précédant l'apparition des préjudices économiques.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 26 juin 2019, la commission a examiné le rapport d'information « Violences en marge des gilets jaunes : des commerçants en danger, un soutien minimal de l'État ».

Mme Élisabeth Lamure , présidente . - Je laisse la parole à notre rapporteur sur ce groupe de travail.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian , rapporteure . - Lorsque nous l'avons auditionné le 19 mars, nous avons tous entendu le ministre de l'économie et des finances nous annoncer que les mesures de soutien aux commerçants et artisans impactés par les violences en marge du mouvement de gilets jaunes permettraient d'éviter toute faillite.

Dans la foulée, notre commission a annoncé la création d'un groupe de travail pour évaluer les conséquences économiques de ces violences, et leur prise en charge par les pouvoirs publics. Je souhaite aujourd'hui vous présenter nos conclusions et nos recommandations. Je souhaite au préalable remercier l'administrateur qui m'a assisté dans cette mission. Il a réalisé à mes côtés un travail de grande qualité.

Nous avons échangé avec environ quarante-cinq personnes, reçu environ une trentaine de contributions écrites. Il ressort de notre travail que les violences commises sont amenées à accentuer le phénomène de dévitalisation des centres-villes à l'oeuvre depuis de nombreuses années et que notre collègue Martial Bourquin a minutieusement étudié l'an dernier lorsqu'il a proposé un Pacte national de revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs.

Nous avons pu nous en rendre compte facilement : les violences et débordements ont eu un impact dramatique sur leur activité - en moyenne, 30 % de baisse de chiffre d'affaires sur plusieurs mois. Surtout, leurs conséquences continuent de se faire sentir aujourd'hui, et le pire est peut-être à venir en termes notamment de défaillances d'entreprises. Les évènements ont eu lieu hier, les conséquences sont demain.

Ces violences et débordements sont inédits tant par leur intensité que par l'ampleur et la durée de leur impact sur les commerçants et artisans. La répétition hebdomadaire des violences pendant six mois traduit une défaillance de l'État dans sa fonction régalienne de maintien de l'ordre public et un manque dans la protection de la liberté d'entreprendre et de la liberté du commerce et de l'industrie.

Il me semble également que les premières victimes de ces agissements sont les salariés, qui sont loin d'être des privilégiés : plusieurs d'entre eux sont traumatisés psychologiquement par les agressions, qu'elles soient physiques ou verbales. Ils sont en outre victimes d'une réduction de leurs revenus et témoins d'une diminution brutale des opportunités d'emploi.

Rendez-vous compte, mes chers collègues, que les violences se sont déroulées dans les centres-villes alors que ces derniers sont déjà fragilisés depuis de nombreuses années par une désertification croissante, comme en témoigne l'évolution des taux de vacance commerciale. Ces débordements ne peuvent qu'accentuer ce phénomène déjà critique.

Au total, les préjudices économiques se comptent en plusieurs centaines de millions d'euros pour les dommages matériels et même en plusieurs milliards d'euros pour les pertes d'exploitation des entreprises. En moyenne, l'activité dans les centres-villes a diminué entre 20 % et 30 % depuis six mois.

Par ailleurs, les conséquences économiques sont multiples : les pertes sont souvent irrécupérables, des stocks sont vendus à faibles prix, les commerçants réalisent des promotions désespérées pour compenser les pertes, la trésorerie s'assèche dramatiquement, leurs dossiers bancaires se dégradent, des retards de paiement des fournisseurs sont constatés et entraînent des réactions en chaîne.

Certaines entreprises ont souscrit une clause assurantielle « perte d'exploitation » qui les indemnise de ces pertes en cas de dommages matériels ; mais très rares sont les entreprises qui sont protégées par une garantie « perte d'exploitation » lorsqu'il n'y a pas de dommage, en raison notamment du coût très élevé de ces contrats.

Nous l'avons entendu tout au long de nos auditions : les violences ont accompagné et parfois initié un changement des habitudes de consommation qu'il sera difficile d'inverser (que ce soit le report vers le commerce en ligne ou la désertification des centres-villes le samedi et même en semaine). Ces conséquences économiques sont en outre appelées à se poursuivre.

Pour prendre en charge ces conséquences économiques, le Gouvernement a préféré rappeler les dispositifs existants et les intensifier légèrement plutôt que de prendre des mesures nouvelles. Ces dispositifs sont les suivants : l'activité partielle, l'ouverture le dimanche, les reports d'échéances sociales et fiscales, quelques remises fiscales, la médiation du crédit, les prêts garantis par Bpifrance. Une seule mesure nouvelle a été décidée : une enveloppe de 5,5 millions d'euros destinée à cofinancer des opérations de communication dans les centres-villes afin de les redynamiser.

Il faut reconnaître qu'une partie de ces dispositifs existants présente une certaine efficacité et que les leviers de communication utilisés ont été nombreux. Toutefois, cette communication a été affaiblie par le trop grand nombre d'interlocuteurs mobilisés ; un sentiment de confusion est né d'un nombre trop important de « mesurettes ».

Surtout, et je crois que ce point est clef, mes chers collègues : plusieurs de ces mesures sont insuffisamment ciblées, donc inadaptées à la situation de TPE qui n'ont ni le temps ni les moyens d'affronter tant de complexité administrative.

À l'issue de nos travaux, je crois que nous pouvons conclure que cette réponse témoigne d'une mauvaise compréhension de l'ampleur des impacts que ces violences ont pour les entreprises.

Certes l'exécutif a été contraint de réagir en urgence, j'en conviens tout à fait. La violence de certaines manifestations nous a tous pris de court. Mais rien ne justifie que les mesures les plus utiles aux entreprises et les plus demandées aient été repoussées ou retardées volontairement (je pense à l'idée d'un fonds d'indemnisation nationale, à une exonération de certains impôts plutôt que leur report, ou tout simplement au fait de faire respecter les interdictions de manifestation lorsqu'elles ont été prises !).

On pourra certes nous rétorquer qu'aider ces entreprises coûte cher : mais l'État a prévu 17 milliards d'euros pour répondre à la crise, contre seulement 5 millions d'euros pour aider nos entreprises qui font vivre tant de nos territoires. Il y a un vrai sentiment de « deux poids, deux mesures ».

Bien sûr, des mesures d'ampleur sont nécessaires face aux situations économiques que vivent nombre de nos concitoyens, mais les artisans et commerçants impactés ne doivent pas être les grands oubliés de la solidarité nationale !

Pourtant, les appels à l'aide de nos artisans et commerçants sont restés sans vraiment de réponse à la hauteur, alors qu'ils ont été relayés dès le début du mouvement... Par conséquent, les entreprises ont très peu sollicité ces aides, par pudeur mais surtout par peur de la complexité de ces dossiers et car elles ne répondaient que peu à leurs attentes.

Les CCI et les CMA ont été très sollicitées afin de diffuser l'information auprès des entreprises, de les accompagner dans leurs démarches et de remonter leurs difficultés. Elles ont assumé ce rôle avec beaucoup d'engagement et d'efficacité, dans un contexte budgétaire pourtant très contraint. Ce professionnalisme doit être salué.

De nombreuses collectivités territoriales ont également répondu présentes. Nous pouvons dire que ces collectivités, ces chambres consulaires, ont assumé en lieu et place de l'État une grande part de sa responsabilité : elles ont pris en charge les conséquences économiques par des fonds d'aides directes locaux, des exonérations de droits d'occupation du domaine public et tentent aujourd'hui de redynamiser les centres-villes. Tout cela vient réparer des dégâts alors qu'à l'origine, il y a eu une défaillance de l'État dans le maintien de l'ordre public, dans sa première fonction régalienne !

Malheureusement, ces mesures d'aides ont également atteint leurs limites, étant donné que les critères d'éligibilité ont souvent été fixés à des niveaux qui empêchaient, dans les faits, les entreprises de s'en saisir.

En conclusion, il y a eu un manque de l'État dans sa gestion de l'ordre public, qui s'est traduit par des conséquences économiques terribles pour les commerçants (environ 30 % de pertes dans les centres-villes, sans compter les dégâts matériels). Pour soutenir ces entreprises, l'État a annoncé des mesures qui n'étaient ni nouvelles, ni bien adaptées à la démesure de la situation. Ce sont donc les collectivités locales et les chambres consulaires qui ont pris le relai, alors que cela relevait de la responsabilité de l'État.

À la suite de ce constat, nous effectuons plusieurs recommandations, qui s'articulent autour de trois axes.

- Le premier axe concerne la protection des entreprises en amont, lorsqu'une manifestation violente est susceptible d'intervenir et qu'il faut les prévenir. Nos collègues de la commission des lois avaient proposé neuf mesures, le 10 avril dernier, pour améliorer le maintien de l'ordre public. Par exemple : amplifier l'effort de renseignement en amont des manifestations et systématiser la pratique des retours d'expérience en préfecture, pour s'adapter à la prochaine. L'État doit se saisir de ces propositions équilibrées ! J'en profite pour vous dire que nous avons rencontré sur les Champs-Elysées une grande marque de distribution, Publicis, qui a subi des violences à la suite de la finale de la coupe du monde de football en 2018 : les conséquences ne sont toujours pas réglées à ce jour. Publicis n'a donc pas tiré profit de ce qu'il s'est passé depuis en termes d'activité.

Nous pouvons également recommander de mieux cibler les périmètres d'interdiction de circuler. Certains étaient trop larges et duraient bien après la manifestation, ce qui a pénalisé inutilement les commerçants des centres-villes.

- Le deuxième axe concerne le fait que l'État doive prendre ses responsabilités. Tous les commerçants le disent : les mesures les plus utiles ne sont pas des prêts à taux zéro ou des reports d'échéances. Il faut un fonds national d'indemnisation, avec des critères d'éligibilité qu'il ne nous appartient pas de fixer ici.

L'autre solution est de s'inspirer d'une clause de « retour à meilleure fortune » : l'État abandonnerait certaines créances fiscales jusqu'à ce que la situation de l'entreprise puisse s'améliorer.

Nous recommandons aussi de s'inspirer de ce qui se fait en matière agricole : l'État pourrait ainsi prendre en charge une partie de la prime d'assurance liée à la garantie « perte d'exploitation sans dommage matériel ». Le nombre d'entreprises protégées augmenterait et les primes d'assurance baisseraient en conséquence.

J'ai bien conscience que la probabilité que l'État reprenne entièrement à son compte ces mesures est faible. Je crois qu'il est important que l'on puisse alimenter le débat public en propositions, charge au Gouvernement ensuite d'expliquer pourquoi aucune amélioration de la protection des entreprises n'était possible.

Une quatrième recommandation dans cet axe concerne le fait de faciliter le recours au tribunal afin d'engager la responsabilité de l'État du fait des attroupements. Aujourd'hui un tel recours a peu de chance d'aboutir et coûte cher : l'article de loi est assez flou, et la jurisprudence qui est venue le compléter est complexe et un peu hasardeuse. Il faudrait réécrire cet article afin de clarifier certains points. En outre, un tel recours coûte cher pour le justiciable. Nous proposons de réfléchir à une protection juridique de type « garantie défense recours » qui serait souscrite dans les polices d'assurance, sous forme d'une prise en charge financière des frais d'avocat à l'occasion d'un tel recours lié à ces sinistres.

- Le troisième axe, enfin, concerne le fait de favoriser l'accès des entreprises aux aides publiques. Pour ce faire, il importe de recommander d'une part que les critères d'éligibilité des fonds d'aides soient assouplis, afin de ne pas exclure bon nombre d'entreprises. D'autre part, il serait utile de généraliser à tout le territoire le principe des « guichets uniques » au sein des CCI et CMA qui réunissent tous les acteurs publics de soutien. Ainsi, les aides seraient beaucoup plus lisibles et les petites entreprises seraient aidées dans la constitution de leurs dossiers.

D'autres éléments et recommandations figurent dans le rapport, mais nous avons souhaité nous en tenir à l'essentiel.

Mes chers collègues, je vous remercie pour votre attention, et je suis prête à répondre à toutes vos questions, notamment sur les auditions réalisées.

Mme Élisabeth Lamure , présidente . - Merci beaucoup pour ce rapport qui nous rappelle en effet des événements assez douloureux. Je note au passage que les medias sont très présents sur l'événement, l'oublient vite et, surtout, oublient les conséquences de l'événement et c'est bien ce dont il est question aujourd'hui.

Nous avions reçu ici-même le ministre de l'intérieur et le ministre de l'économie sur ce sujet. J'avais alors posé la question de la possibilité d'un fonds d'aide qui pourrait être alimenté par la taxe GAFA, qui est censée rapporter 500 millions d'euros. Le ministre avait alors écarté cette idée mais, à la lumière de ce rapport, je maintiens que cette piste reste à creuser.

M. Roland Courteau . - J'adresse mes félicitations à la rapporteure. Vous aviez interrogé la semaine dernière le directeur de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) sur les pertes de revenus commerciaux imputables au mouvement des gilets jaunes. J'avais également posé la question, après vous, des initiatives éventuelles pouvant être prises par la CDC sur ce sujet mais je ne me souviens pas de la réponse qui a été apportée...

Mme Viviane Artigalas . - Les grandes villes ont été particulièrement médiatisées, mais les villes moyennes qui avaient déjà de nombreuses difficultés en centre-ville ont été très impactées également. La situation était déjà fragilisée par la crise des centres-villes et bien que les violences aient été moins spectaculaires, les dégâts économiques sont considérables. Je précise que le blocage des ronds-points dans les départements ruraux a été particulièrement préjudiciable aux commerces de ces centres-villes car les habitants du département ont changé leurs habitudes et leurs parcours d'achats et ont cessé de venir dans ces centres-villes. Ils ne se sont pas tous rabattus sur le commerce électronique mais, en tous cas, de nombreux commerces de centre-ville ont été amenés à licencier du personnel pour survivre. Me confirmez-vous ces difficultés des villes moyennes ?

M. Daniel Gremillet . - Je voudrais vous dire combien je partage votre diagnostic qui rejoint parfaitement les remontées de terrain des maires et commerçants. On a beaucoup parlé des grandes villes mais l'impact sur les territoires a été bien plus profond et bien plus fin que cela. Il y a des changements d'habitude, qui durent. Enfin, s'agissant des propositions, je suggère de prolonger la réflexion pour prendre en compte toute la chaîne commerciale, avec, en particulier, le cas des entreprises qui ont été pénalisées à cause de retards de livraison imputables à des facteurs exogènes.

M. Laurent Duplomb . - Ma principale réflexion porte sur le phénomène nouveau auquel on assiste dans la gestion des crises : l'État n'est plus capable de les gérer, mais surtout l'État fait des choix. L'image que je garde en mémoire est celle des forces de l'ordre qui reculent et laissent piller les magasins par certains manifestants. Cela me paraît inacceptable : l'État doit garantir la sécurité des personnes mais aussi des biens. Si l'on poursuit dans cette voie, les manifestants auront désormais beau jeu de s'organiser pour piller magasins, maisons ou autres. Ce n'est pas acceptable dans une société organisée. Il est intolérable de laisser piller, en quelques minutes, le résultat du travail de toute une vie. Il faut que ce rapport soit mis en avant.

J'ai assisté à la réunion avec les ministres qui nous assuraient avoir pris la mesure du problème, tant sur la problématique sécuritaire que sur celle du remboursement ou du moins des aides aux commerçants. Au vu de ce rapport, nous voyons que tout cela était des mots et que l'action est loin d'être acquise.

Mme Élisabeth Lamure , présidente. - Madame la Rapporteur, vous avez la parole.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian , rapporteure . - Monsieur Courteau, vous avez entièrement raison : je n'ai pas eu de réponse à ma question durant l'audition du directeur général de la CDC. L'État peut pourtant consulter la Caisse pour trouver la solution. Si on veut faire un fonds d'indemnisation géré par la CDC, c'est l'une des solutions à envisager. Quant au fond du problème, il ressort de nos auditions qu'il y a eu une défaillance de l'État dans le maintien de l'ordre public. Le droit de manifester existe, mais celui d'entreprendre librement aussi.

M. Laurent Duplomb . - Sans oublier le fait que les commerçants ont payé pour se protéger !

Mme Évelyne Renaud-Garabedian , rapporteure. - Tout à fait, ils sont en outre très résignés. Ils ont subi ces manifestations et ont été victimes de dommages, ont perdu du chiffre d'affaires, ont rencontré des problèmes avec leurs salariés et pour poursuivre l'activité. Ils ne demandent que le retour à l'ordre public. Une crise qui dure durant six mois est impossible à supporter pour une PME. Une grande entreprise peut le supporter, mais la France ne se résume pas à ces entreprises : c'est avant tout des PME, des PMI, des artisans, des commerçants, des professions libérales. Les grandes entreprises qui ont des succursales ont fermé certains points de vente et restitué le bail au propriétaire. Mais la petite entreprise, elle, dépose le bilan !

À titre personnel, je suis convaincue que pour les commerçants, le problème se posera au deuxième semestre, car le chiffre d'affaires au cours des six premiers mois de l'année n'était pas au rendez-vous. Certes ils ont obtenu des reports d'échéances, mais ils vont avoir à payer maintenant les arriérés et les charges courantes. Or, le chiffre d'affaires n'est toujours pas suffisant. Nous avons rencontré plusieurs présidents de CCI, qui attestent que pour l'instant les procédures de dépôts de bilan n'augmentent pas mais que le deuxième semestre sera très dur pour les entreprises.

Les salariés sont traumatisés psychologiquement. Dans certains magasins, des casseurs ont voulu rentrer avec des tronçonneuses ! Les salariés dans ces zones sont bloqués par l'absence de transport en commun, leurs revenus sont amoindris et ils vivent dans une atmosphère de violence physique et verbale. Certains ont perdu jusqu'à 1 000 euros de salaire par mois. Ce ne sont pas des privilégiés ! Les difficultés sont les mêmes, quel que soit l'endroit où le salarié travaille.

Les impacts ont été ressentis aussi bien dans les métropoles (Bordeaux, Dijon, Marseille, etc.) que dans les plus petites villes. La plus grosse conséquence de ces violences est le changement de comportement du consommateur vis-à-vis de l'acte d'achat. Le transfert n'a certes pas été automatique vers les sites internet, mais le mode de consommation a changé. On a observé par exemple une baisse de la consommation, car l'achat plaisir du samedi a disparu durant six mois. Samedi dernier en revanche, le chiffre d'affaires est reparti à la hausse. Espérons que cela dure !

Des avantages ont été consentis comme l'ouverture le dimanche. Mais le commerçant ne peut pas ouvrir le dimanche ou bénéficier de l'activité partielle : il veut garder son salarié, et a souvent baissé son salaire pour faire vivre ses salariés.

Ce que demandent les commerçants n'est pas un report d'échéance mais un abandon de créances. Par exemple, avec « retour à meilleure fortune ». Ce qui compte, c'est de ne pas avoir de délai fixe de remboursement. Car si le commerçant n'a pas de trésorerie, cela ne servira à rien de lui imposer un paiement qui accentuera ses difficultés.

M. Michel Raison . - Il pourrait être pertinent de reprendre les propos du ministre de l'économie qui nous avait dit qu'aucune entreprise ne sera affectée et qu'il fera tout pour qu'il n'y ait pas de difficulté. Les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent. Il y a eu des reports de charges certes, mais cela n'a jamais supprimé les difficultés. Nous pourrions lui adresser un courrier à ce sujet, comparant ses propos avec la réalité.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian , rapporteure. - Nous avions tous entendu la même chose. Au début de notre rapport, nous rappelons ces propos.

Mme Élisabeth Lamure , présidente. - Donc il faut lui envoyer le rapport.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian , rapporteure. - Nous pourrions le ré-auditionner au deuxième semestre.

La commission des affaires économiques autorise la publication du rapport.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Mercredi 15 mai 2019

- Ministère de l'économie et des finances - Direction générale des entreprises : MM. Thomas COURBE , Directeur général, Renaud RICHE , Adjoint du chef du service Tourisme commerce artisanat services, Arnaud BOYER , Bureau des services de l'économie immatérielle, Mme Mélanie PRZYROWSKI , Conseillère parlementaire,

- Comité Champs-Élysées : MM. Jean-Noël REINHARDT , Président, Édouard LEFEBVRE , Délégué général ;

- Comité du Faubourg Saint-Honoré : M. Benjamin CYMERMAN , Président, Mme Tsipora PARIENTI , Déléguée générale.

Vendredi 17 mai 2019

- CCI Bordeaux Gironde : M. Patrick SEGUIN , Président.

Mercredi 22 mai 2019

- Carré Rennais : M. Charles COMPAGNON , Président ;

- La Ronde des quartiers : MM. Christian BAULME , Président, Eric MALÉZIEUX , Directeur ;

- Marseille Centre : M. Guillaume SICARD , Président ;

- Plein Centre : M. Olivier DARDÉ , Président ;

- My presqu'île : M. Clément CHEVALIER , Directeur ;

- Sainté Shopping : Mme Laurie SEYVE , Adjointe du Vice-Président ;

- Vitrines de Rouen : M. Matthieu DE MONTCHALIN , Président.

Vendredi 24 mai 2019

- CCI Ille-et-Vilaine : Mme Fabienne LANGEVIN , Vice-Présidente commerce.

Mercredi 29 mai 2019

- CCI Rouen Métropole : M. Bertrand ROUSSEL , Conseiller spécial, Mme Aline LOUISY-LOUIS , Vice-Présidente Services ;

- Chambre de commerce et d'industrie départementale de Paris : M. Rémy ARTHUS , Directeur général délégué ;

- Chambre de commerce et d'industrie Marseille Provence : M. Jean-Luc CHAUVIN , Président ;

- Chambre de Commerce et d'Industrie région Paris-Île-de-France : M. Didier KLING , Président, Mme Véronique ETIENNE-MARTIN , Directrice de cabinet ;

- Chambre de commerce et d'industrie Lyon Métropole : M. Bernard GAGNAIRE , Responsable du pôle commerce.

Lundi 3 juin 2019

- CCI Toulouse : M. Philippe ROBARDEY , Président

Mercredi 5 juin 2019

- CCI France : M. Pierre GOGUET , Président, Mme Béatrice GENOUX , responsable études / enquêtes, M. Pierre DUPUY , chargé de mission "relations avec le Parlement".

- Fédération française de l'assurance : MM. Arnaud CHNEIWEISS , Délégué général, Stéphane PÉNET , Directeur des assurances de dommages et de responsabilité, Jean-Paul LABORDE , Directeur des Affaires Parlementaires.

- Fédération du Commerce et de la Distribution : M. Jacques CREYSSEL , Délégué général, Mme Sophie AMOROS , Chargée de mission - Affaires publiques et communication.

Jeudi 13 juin 2019

- CMA France : MM. Bernard STALTER , Président, Samuel DEGUARA , Directeur des relations institutionnelles.


* 1 Ces violences ont fait 26 blessés et ont conduit à l'interpellation de 44 manifestants.

* 2 Ces violences ont fait 10 blessés du côté des forces de l'ordre et 9 du côté des manifestants.

* 3 Ces violences ont conduit à l'interpellation de 1 082 personnes et au placement en garde à vue de 900 d'entre elles.

* 4 Carré Rennais, association fédérant les commerçants du centre-ville de Rennes, auditionnée le 22 mai 2019 au Sénat.

* 5 Rapport d'information n°676 (2016-2017) de MM. Rémy Pointereau et Martial Bourquin, fait au nom de la délégation aux entreprises et de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat.

* 6 Insee, Note de conjoncture, 13 décembre 2018.

* 7 Insee, Note de conjoncture, 19 mars 2019.

* 8 Audition du 19 mars 2019 du ministre de l'Economie et des Finances, du ministre de l'Intérieur et du secrétaire d'État auprès du ministre de l'Intérieur par la commission des affaires économiques et la commission des lois sur les moyens mis en place pour faire face aux nouveaux actes de violence et de vandalisme commis à Paris.

* 9 Ainsi, ce montant n'inclut pas les pertes d'exploitation subies par les commerçants ni l'estimation du manque à gagner à plus long-terme lié à la baisse de l'activité et de l'attractivité. Il n'inclut par ailleurs que la part des dégâts matériels effectivement indemnisés par les assurances, excluant de fait les montants franchisés et les dégâts matériels dont le coût est supérieur au plafond d'indemnisation.

* 10 Vinci, Communiqué de presse, 16 décembre 2018, « Vinci Autoroutes exprime son indignation devant les violences et actes de vandalisme inacceptables commis sur les sites autoroutiers depuis le début du mouvement des « gilets jaunes » ».

* 11 Le Monde, 14 décembre 2018, « Gilets jaunes : le manque à gagner serait de 2 milliards d'euros pour le commerce ».

* 12 UMIH, Communiqué de presse, 17 mars 2019, « Réaction de l'UMIH, acte XVIII des gilets jaunes ».

* 13 FCD, Communiqué de presse, 29 novembre 2018, « Un troisième samedi de blocage des magasins et des entrepôts serait catastrophique pour le commerce ».

* 14 CNCC, Communiqué de presse, 17 décembre 2018, « La fréquentation des centres commerciaux toujours en baisse ».

* 15 France urbaine, Communiqué de presse, 13 février 2019, « Manifestations des Gilets Jaunes, France urbaine reste en attente de réponses concrètes »

* 16 Dont 3 à 4 millions d'euros de dégâts pour la seule journée du samedi 1 er décembre 2018.

* 17 Celles dont les dépenses de fonctionnement réel dépassent 60 millions d'euros par an.

* 18 Un chiffrage global des conséquences économiques subies supposerait d'avoir accès à l'exhaustivité des données d'activité de l'intégralité des entreprises. En outre, un tel chiffrage n'aurait de sens qu'après intégration des effets de bouclage macroéconomique (les pertes d'un secteur pouvant être, en tout ou partie, compensées par les gains d'un autre). Au surplus, parvenir à un chiffre global ne saurait être envisagé avant le terme définitif des violences et débordements, certains effets ne se faisant au demeurant ressentir qu'avec retard (ainsi des dépôts de bilan, qui interviennent à l'issue de procédures de sauvegarde parfois longues). Enfin, les préjudices subis sont de natures hétérogènes : par exemple, il paraît inopérant de comptabiliser ensemble le manque à gagner pour la restauration issu de la baisse des flux touristiques et la dégradation de la qualité des dossiers bancaires des entreprises dont la cotation à la Banque de France a été dégradée suite à des retards de remboursement.

* 19 Audition de Marseille Centre, 22 mai 2019.

* 20 Audition de la CCI Rouen Métropole, 29 mai 2019.

* 21 Audition de La Ronde des quartiers, 22 mai 2019.

* 22 Le Carré Rennais, audition du 22 mai 2019.

* 23 Selon les données de la CCI Bordeaux Gironde, les pertes atteignent entre 30 et 60 % du chiffre d'affaires sur le parcours des manifestations.

* 24 Les procédures collectives regroupent la procédure de sauvegarde, le redressement judiciaire et la liquidation judiciaire.

* 25 À moins que l'entreprise ne le signale dans sa déclaration de cessation des paiements ou lors des débats à l'audience, il est difficile d'établir avec certitude le lien entre les violences et les pertes d'exploitation. Toutefois, trois entreprises faisant l'objet d'une procédure collective ont déjà signalé en 2019 au Tribunal de commerce que l'origine de leurs difficultés se trouvait dans les conséquences de ce mouvement et des violences qui l'ont accompagné.

* 26 Soit une perte s'élevant à 11,8 millions d'euros par mois.

* 27 - 40 % de fréquentation le samedi 17 novembre, - 21 % le 25 novembre, - 16 % le 8 décembre, - 20 % le 19 janvier.

* 28 Audition du 3 juin 2019.

* 29 Le jour le plus important de l'année en termes d'activité pour ces commerces aurait dû être le samedi 15 décembre 2018.

* 30 Audition du 29 mai 2019.

* 31 À titre illustratif, les commerces indépendants représentent 40 % du tissu économique du centre-ville de Dijon.

* 32 Lorsqu'un commerçant indépendant propose des ventes en ligne, il s'agit principalement d'atteindre une clientèle lointaine, attachée particulièrement à un produit ou une marque.

* 33 Il s'est élevé à 1 027 en 2018 (+ 1 %), contre 973 pour l'Allemagne (- 13 %) d'après les données du Baromètre de l'attractivité en de la France en 2019.

* 34 La hausse du taux d'occupation est de 4 % par rapport à l'année 2014.

* 35 Audition de la CCI Rouen Métropole au Sénat, 29 mai 2019.

* 36 C'est-à-dire concernant les majorations initiales et complémentaires.

* 37 Aux termes de l'article 1912 du CGI, « les frais de poursuites mis à la charge des redevables au titre des produits recouvrés par le comptable public chargé du recouvrement sont calculés par application d'un pourcentage qui ne peut excéder 5 % du montant total des créances dont le paiement leur est réclamé, dans la limite de 500 € ».

* 38 Les étalements et reports de paiement d'IS concernent les acomptes de décembre 2018 et de mars 2019.

* 39 Dans les faits, les violences subies par les entreprises sont prises en compte, ayant contribué à la baisse du chiffre d'affaires.

* 40 80 % de ces 2 000 entreprises sont des TPE de moins de cinq salariés.

* 41 Interview donnée au « Monde des artisans » en date du 30 avril 2019 : « Médiation du crédit : un réel soutien pour les TPE fragiles ».

* 42 Interview donnée à Franceinfo le 9 avril 2019 : « C'est maintenant que l'on va commencer à voir les premiers effets sur les entreprises du mouvement des "gilets jaunes" ».

* 43 Les motifs de mobilisation de l'activité partielle sont identifiés à l'article R. 5122-1 du code du travail (conjoncture économique, sinistre, circonstance exceptionnelle, etc.).

* 44 Au moment de la demande d'indemnisation, l'employeur est par exemple tenu de fournir l'ensemble des fiches de paie des salariés concernés par ce dispositif.

* 45 Respectivement au taux de 6,2 % et de 0,5 %.

* 46 À titre illustratif, un arrêté préfectoral a été pris le 21 décembre 2018 portant dérogation au repos dominical de certains salariés de Seine-Maritime. Il concerne les dimanches 6, 13 et 20 janvier 2019.

* 47 Anciennement article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales.

* 48 CAA de Nantes, 5 juillet 2013, n° 11NT03064.

* 49 Cela a été notamment le cas à Marseille.

* 50 Les droits de terrasse annuels à Toulouse en 2018 sont compris entre 21,7 euros par mètre carré en ZAC et 115,95 euros par mètre carré pour une terrasse fermée sur la place du Capitole ou dans la rue d'Austerlitz.

* 51 Les week-ends du 15-16 et du 22-23 décembre 2018.

* 52 Ce fonds a fait l'objet d'un vote en séance plénière de 4 mars 2019.

* 53 Ce fonds a fait l'objet d'un vote lors du conseil métropolitain du 22 mars 2019.

* 54 Ce fonds garantit des prêts de PME à hauteur de 35 % de l'encours. Bpifrance peut également accorder sa garantie à hauteur de 35 %, soit une quotité de 70 % au total.

* 55 Créé en 1966 par les CMA, ce fonds de garantie permet de partager les risques de prêt.

* 56 L'ACOSS est la tête de réseau des Urssaf.

* 57 Le cumul de ces mesures est possible : une entreprise peut ainsi bénéficier d'un délai de paiement, puis d'un report, et si nécessaire, d'une remise de droits.

* 58 Cette impossibilité de prédire la date du retour effectif à l'ordre public explique, par exemple, qu'une grande partie des opérations de communication prévues par les associations de commerçants, les mairies et les chambres consulaires pour redynamiser les centres-villes soient repoussées afin que les évènements festifs ne soient pas dénaturés par la violence de quelques-uns et ne produisent pas l'effet exactement inverse.

* 59 C'est-à-dire le fait pour une entreprise de devoir s'acquitter non seulement de sa dette sociale et/ou fiscale du moment mais également de celle qui a fait l'objet d'un report ou d'un étalement.

* 60 https://www.entreprises.gouv.fr/politique-et-enjeux/gilets-jaunes-accompagnement-des-entreprises

* 61 Conseil d'État, 11 juillet 2011, n° 331-669 et CAA Nantes, 15 décembre 2015, n° 14NT01609.

* 62 CE, 3 octobre 2018, Commune de Saint-Lô, n° 416352.

* 63 « En déduisant de cette seule circonstance que les dommages n'étaient pas le fait d'un attroupement ou d'un rassemblement [...] alors que les dégradations, bien que préméditées, avaient été commises à l'occasion de manifestations sur la voie publique, organisées à l'appel de plusieurs organisations syndicales pour protester contre les difficultés économiques du monde agricole et contre diverses mesures gouvernementales et auxquelles avaient participé plusieurs centaines d'agriculteurs, et non par un groupe qui se serait constitué et organisé à seule fin de commettre des délits, la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits ».

* 64 CAA de Douai, 6 novembre 2014, n°13DA00411.

* 65 CAA de Nantes, 15 décembre 2015, n°14NT1609.

* 66 Article R. 431-2 du code de justice administrative.

* 67 Le plafond de ressources mensuelles est de 1 031 euros pour 2019 pour l'aide juridictionnelle totale et de 1 546 euros pour l'aide juridictionnelle partielle.

* 68 D'après les données de la FFA, 76 % des entreprises au niveau national souscrivent la garantie optionnelle « bris de glaces » dans les contrats multirisques.

* 69 Ces recommandations visent expressément les petits commerces et artisans comme les boulangeries, restaurants, bars, tabac, magasins d'alimentation, etc.

* 70 Selon la FFA, ce taux est probablement supérieur de 5 à 10 points à Paris.

* 71 Audition de la FFA au Sénat, le 5 juin 2019.

* 72 Idem.

* 73 Il est à noter toutefois qu'un formulaire simplifié de demande de remise d'impôts directs a été mis en ligne à partir de mars 2019.

* 74 Par exemple en Nouvelle Aquitaine ( cf. supra ), les critères d'éligibilité aux deux fonds d'aides directes ne sont pas les mêmes selon que l'entreprise est établie dans la Métropole de Bordeaux ou dans le reste de la région.

* 75 Par exemple, les aides de la région Occitanie sont comprises entre 2 000 et 8 000 euros. Un reste à charge de 1 500 euros pour une vitrine réparée en est exclu.

* 76 Article 4, DDHC, 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ».

* 77 Commission des lois du Sénat, Communiqué de presse du 10 avril 2019 : « Actes de violence et de vandalisme à Paris : la commission des lois formule 9 propositions pour le maintien de l'ordre ».

* 78 Grandes entreprises.

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