B. LES PME ET LES PLATEFORMES : UNE SÉDUCTION AMBIVALENTE

1. La plateforme, complément de l'économie de la donnée

La plupart des entreprises n'ont pas été conçues pour extraire et utiliser des données, mais pour produire des marchandises.

Pour améliorer l'extraction de données, un nouveau type d'entreprise s'est développée : la plateforme décrite comme « un environnement numérique qui se caractérise par un coût marginal d'accès, de reproduction et de distribution proche de zéro » 143 ( * ) . Perçue comme une solution puissante, elle est surtout un instrument pour industrialiser la création de valeur et accélérer les rendements d'échelle nécessaires à l'établissement d'une position dominante sur les marchés.

Ce nouveau modèle est un intermédiaire entre différents usagers qui vise, via des outils ou une infrastructure dédiée, à produire des données à exploiter. La plateforme repose sur des effets de réseaux qui favorisent le nombre et donc produisent par nature des formes monopolistiques, ceci très rapidement. Elle démultiplie les activités rentables et non rentables pour diversifier les données, comme Google fournit des services gratuits pour capter un maximum de données.

Enfin, elle se présente souvent comme un espace ouvert , alors que les services sont entièrement déterminés par leurs propriétaires. Bien que se présentant comme des intermédiaires, les plateformes contrôlent et gouvernent les règles du jeu de l'économie numérique.

Le « c apitalisme de plateforme » 144 ( * ) en distingue 5 catégories :

1- la plateforme publicitaire (type Google ou Facebook, qui consiste à extraire de l'information pour vendre de l'espace publicitaire),

2- la plateforme nuagique (type Amazon Web Services, qui loue de l'équipement à la demande),

3- la plateforme industrielle (comme celles développées par GE ou Siemens, qui visent à transformer la production industrielle en processus produisant des données),

4- la plateforme de produits (comme celles mises en place par Rolls Royce ou Spotify, qui transforment les produits en service sous forme de location ou d'abonnement)

5- la plateforme allégée (type Uber ou Airbnb, qui réduisent les actifs au minimum et dégagent des profits en baissant au maximum leurs coûts de fonctionnement).

a) Les GAFAM proposent leurs services aux PME

Les GAFAM sont des acronymes reprenant l'initiale des « géants du net » : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, les plus puissantes multinationales des technologies de l'information et de la communication 145 ( * ) .

Leur puissance économique, acquise en quelques années, à un rythme sans précédent dans l'histoire, est gigantesque et leur poids financier désormais comparable à celui des États.

À eux 5, les GAFAM étaient, en 2017, davantage valorisés que le montant du PIB de l'Allemagne, du Royaume-Uni, de l'Inde ou de la France ! 146 ( * )

Les 20 plus gros acteurs d'internet et du cloud dans le monde ont investi 53 milliards de dollars au premier semestre 2018. Plus de 70 % de cet effort vient de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

L'espace numérique est économiquement, géopolitiquement et culturellement américain : en 2018, 9 des 10 sites internet les plus visités dans le monde étaient affiliés à des acteurs américains, alors que 80 % de leurs utilisateurs étaient en dehors du continent nord-américain ; les États-Unis représentaient 83 % de la capitalisation boursière des entreprises du numérique et seulement 2 % en Europe ; enfin, seulement 9 des 100 premières sociétés mondiales du numérique ont leur siège en Europe.

(1) Un modèle de séduction pour les PME

La France est davantage « googelisée » que les États-Unis puisque le moteur de recherche occupait, en novembre 2018, 93,82 % de part de marché dont 97,79 % sur les mobiles et « seulement » 90,67 % pour les ordinateurs de bureau, contre une part de 86,7 % aux États-Unis.

Par ailleurs, Google et Facebook ont capté, en 2018, 79 % des investissements publicitaires en ligne (et 93 % sur mobile).

Google propose ainsi aux PME tout un éventail de services gratuits et payants. Il convient de préciser que c'est la société qui a été régulièrement citées lors des auditions de votre Rapporteur consacrées aux mesures mises en oeuvre pour aider les PME .

Les services aux PME proposés par Google

Google My Business (qui remplace Google + Local ) est plus particulièrement dédié aux entreprises qui souhaitent être géolocalisées : le commerce ou l'entreprise apparaissent sous forme d'un résultat « adresse » détaillé dans le cadre d'une recherche d'un internaute. Cette interface donne accès à plusieurs fonctionnalités : création de l'adresse ou revendication lorsqu'elle existe déjà, mise à jour de la fiche complète (adresse, horaires, photos, informations de contact...), mais également réponse aux avis et lien avec la page Google+. Depuis juin 2017, Google a également déployé une fonctionnalité « posts » qui permet aux entreprises de partager une information courte, visible sur le résultat de recherche.

Hangouts permet une visio-conférence, qui peut accueillir jusqu'à 25 participants. Le service propose des fonctionnalités de partage d'écran, de messagerie instantanée, de travail collaboratif sur les documents liés à la suite Google. Il propose également une diffusion en direct sur Youtube . Cette fonctionnalité permet d'ouvrir la diffusion à une audience plus large, où les participants pourront interagir par le biais des commentaires en direct. Depuis mars 2017, Google déploie une version « Meet » de son outil de visio-conférence. L'application web dispose d'une interface simplifiée, qui intègre plus complètement la suite Google (Gmail et Calendar par exemple).

Google Suite , anciennement Google Apps , intègre la messagerie Gmail, l'agenda ainsi que les documents et le drive , c'est-à-dire l'espace de stockage en ligne. Google Suite est accessible aux particuliers gratuitement, mais également aux entreprises avec une formule gratuite ou payante. Elle inclut un espace de stockage dédié et extensible, un nombre d'utilisateurs plus important, un système intranet...

Sur l'espace de stockage en ligne Google Drive , on retrouve le gestionnaire de documents avec ses outils de type texte, feuille de calcul, présentation ou formulaire. Les documents peuvent être collaboratifs. Google Suite intègre la messagerie instantanée.

Google propose plusieurs outils pour optimiser un site internet : Webmaster Tools pour le référencement naturel des pages web ; Google Analytics pour connaître le comportement des visiteurs ; Adsense pour monétiser des liens sponsorisés.

Enfin, parmi les autres outils pertinents pour l'entreprise, on peut citer Google Trends pour connaître les mots-clés les plus recherchés du moment, Google Survey et ses solutions payantes pour des études de marché, ou Google Web Designer pour créer des bannières adaptables aux supports actuels.

L'outil Test My Site permet en premier lieu d'évaluer gratuitement la vitesse de chargement d'un site 147 ( * ) mais aussi de la comparer avec des sites similaires, et d'obtenir le taux de visiteurs perdus. L'outil envoie par la suite un rapport détaillé contenant des recommandations simples pour fidéliser davantage d'utilisateurs comme tirer parti de la mise en cache ou encore retirer des éléments de code alourdissant la page.

Le programme Google Partners aide à optimiser leur vitesse de chargement et à améliorer l'interface du site mobile pour une meilleure expérience utilisateur.

Enfin, pour les TPE/PME qui n'ont pas encore de site internet, il existe aussi un outil permettant de créer gratuitement son premier site internet, depuis son téléphone en 10 minutes : Google My Business Website .

Ce site permet d'afficher toutes les informations relatives à son entreprise dans les résultats de recherche de Google et Maps et de se mettre en relation directe avec ses clients sur tout appareil. Au-delà de la visibilité, c'est aussi un outil de fidélisation, car les clients peuvent laisser leur avis et recommander des contenus sur l'entreprise.

Google Posts permet aux entreprises d'afficher des actualités sur leur fiche Google My Business , ce qui leur donne un nouveau moyen de partager de l'information en direct avec leurs clients. Il est possible par exemple de partager des promotions en cours, des offres du jour, faire la promotion de prochains évènements, mettre en valeur les nouveaux produits, etc.

Ces fonctionnalités pour les entreprises offrent plusieurs avantages : facilement accessibles en ligne, elles sont généralement complémentaires et interconnectées pour une meilleure vision d'ensemble. Elles font également l'objet de tutoriels complets, voire de formations complémentaires en ligne. Elles sont aussi gratuites, avec la possibilité d'un format payant pour des fonctionnalités supplémentaires.

Tout en développant son chiffre d'affaires, une PME peut cependant rapidement se trouver dans une situation de dépendance économique. Le trafic en ligne qu'elle va générer grâce à Google développe à son tour le chiffre d'affaires de la plateforme en commercialisant les données de l'entreprise qu'elle a récupérées.

Contrairement à une présentation parfois désintéressée, ces services ne sont pas gratuits. Pour réaliser un chiffre d'affaires de 4 millions d'euros de ventes en ligne, une PME française dépenserait ainsi chaque année 700 000 euros en application Google , devenu son premier fournisseur 148 ( * ) .

Les initiatives de Google pour convertir les PME françaises au numérique sont loin d'être désintéressées : « le groupe tire l'essentiel de ses revenus de la publicité en ligne et a tout intérêt à augmenter la présence sur internet des petites entreprises qui pourront devenir ses clients. En étoffant le nombre d'informations locales disponibles pour les internautes, telles que les horaires d'ouverture de magasins, il augmente ainsi la pertinence de son moteur de recherche » 149 ( * ) .

On comprend dès lors pourquoi Google entendait, dès 2013, former 100 000 entreprises au commerce électronique .

Or, comme l'a constaté la CPME 150 ( * ) , on assiste sur ces plateformes à des pratiques trompeuses et déloyales de la part d'autres entreprises mais également des plateformes « telles que le détournement de clientèle, des affichages trompeurs, des difficultés liées au déréférencement, des usages abusifs du nom commercial, du bandjacking 151 ( * ) ».

(2) Une oligopolisation de l'économie numérique

Dans l'économie numérique, ces plateformes deviennent largement oligopolistiques : « la disponibilité d'une quantité impressionnante de données sur la vie quotidienne des usagers permet aux plateformes d'augmenter leur puissance de prédiction, ce qui accentue encore davantage leur centralisation des données », comme l'analyse Nick Srnicek dans son ouvrage précité.

Google y occupe une position dominante , pour laquelle il a été condamné par la Commission européenne à trois reprises en 2017, 2018 et 2019 pour un total d 'amendes de 8,25 milliards d'euros.

Dans un premier temps, les plateformes proposent des services gratuits, qui deviennent ensuite payants.

Les premiers temps, de 2007 à 2011, une version gratuite d'applications d'outils et de logiciels de productivité de type cloud computing 152 ( * ) et de logiciel de groupe 153 ( * ) destinée aux professionnels a été proposée par Google. La plateforme a ensuite décidé, en avril 2011, que les entreprises comptant plus de 10 utilisateurs n'auront plus le droit d'utiliser la version gratuite de Google Apps et devront désormais s'abonner à la version payante Google Apps for Business 154 ( * ) , puis elle a fermé, en décembre 2012, sa version gratuite aux nouveaux clients. Son offre Drive for Work , présentée en juin 2014, incluait un espace de stockage illimité, une fonction avancée de création de rapports d'audit et de nouveaux contrôles de sécurité.

Début 2019, Google a annoncé une augmentation de 20 % de ses tarifs de G Suite , son offre de bureautique en ligne, qui devait entrer en vigueur en avril 2019.

La même déconvenue a été constatée pour les entreprises, notamment les PME, qui utilisaient Google Maps . À l'origine , en 2005, totalement gratuit , ce service est devenu payant .

Pour les entreprises qui dépassent les quotas gratuits, le changement a été brutal : elles doivent dorénavant payer un service qui a longtemps été mis à disposition gratuitement.

Le risque en effet, pour une entreprise, est de se retrouver avec un site qui affiche un message d'erreur à la place d'une carte, et cette déconvenue « concerne tous les utilisateurs, du petit restaurant qui n'a qu'une centaine d'affichages par mois et qui ne sera jamais facturé au site du gouvernement qui utilise Google Maps : même les utilisateurs qui resteront dans la tranche gratuite devront renseigner une carte bancaire pour pouvoir continuer à utiliser Google Maps » 155 ( * ) .

L'impact du basculement vers un modèle payant pour certaines entreprises risque d'être important, avec un coût élevé et imprévisible.

La migration vers d'autres offres gratuites du type Open Street Map va sans doute s'accélérer, permettant aux acteurs qui ont survécu, malgré le dumping , de se développer.

GOOGLE MAP payant : le point de vue d'un expert

Lancés il y a plus de 13 ans , en février 2005, les services cartographiques de Google ( Google Earth puis Google Maps ) ont été une vraie révolution et se sont imposés depuis un peu partout sur le web . Pour mémoire, Google n'a pas inventé la cartographie en ligne, MapQuest ou Michelin ( ViaMichelin ) étaient déjà présents et le projet OpenStreetMap avait démarré peu de temps avant, mais Google s'est naturellement imposé par ce choix de la gratuité et la possibilité d'intégrer (gratuitement) leurs cartes interactives personnalisables sur n'importe quel site. Au long de ces 13 années, Google a restreint les usages gratuits en plusieurs étapes.

Le premier changement est intervenu en 2012 , où une première série de limites sont mises en place (par exemple une limite de 2 500 appels quotidiens à l'interface (API) de géocodage). Ceci n'a, à l'époque, impacté qu'un nombre restreint de gros services utilisateurs. Certains ont basculé pour d'autres solutions, car l'impact financier du changement de politique de Google mettait en péril l'existence même de leurs services et il leur était sûrement préférable d'investir pour acquérir la compétence dans un domaine aussi important pour leur activité.

Nouveau changement en 2015 , le nombre d'affichages gratuits de cartes sur un site web est désormais limité à 25 000 par jour (moyenné sur 90 jours). Passé ce quota gratuit, la carte devient indisponible et un nombre plus important de sites est impacté. Les tarifs hors quota gratuit restent toutefois raisonnables, avec 0.50 $ les 1 000 appels supplémentaires ; ces utilisateurs “moyens” préfèrent souvent payer que d'envisager un changement qui peut nécessiter un nouveau développement important.

Le 16 juillet 2018, le quota gratuit de 25 000 cartes affichées par jour sur un site web passe à 28 000 par mois (soit environ 1 000 par jour), c'est à dire 25 fois moins ! Les tarifs au-delà de ce quota réduit de 96 % ont aussi augmenté dans des proportions du même ordre... on passe de 0,50 $ les 1 000 cartes affichées à 7 $, soit 14 fois plus cher. Un site qui affiche 10 000 cartes par jour passe donc de 0 à 1 764 $ par mois et pour ceux qui étaient proches de la limite de gratuité de 25 000 cartes/jour, cela leur sera désormais facturé 4 704 $ par mois ! Un site avec 100 000 cartes affichées par jour voit son coût multiplié par plus de 500. Les données gratuites seront donc réduites de 96 % et celles payantes vont augmenter de 1 400 %.

De deux choses l'une, soit le coût de production de Google est effectivement de l'ordre de ces tarifs facturés et dans ce cas depuis des années c'est un dumping massif qui a été fait pour proposer gratuitement un service aussi coûteux à produire... soit ce n'est pas le cas. Vu le nombre d'années où le service était totalement gratuit, il est clair que ce dumping indiscutable a éliminé de nombreux concurrents potentiels ou empêché le développement de nouveaux acteurs sur le marché de la cartographie web.

Ces nouveaux tarifs sont proprement délirants. Le coût de production d'un millier d'appels à l'API de géocodage est de l'ordre de 0,006 euros... soit 1 000 fois moins que les nouveaux tarifs proposés par Google. Belle marge ! Une telle augmentation de tarif ne peut s'envisager que lorsqu'on a une clientèle devenue captive (ou qui croit l'être).

D'après « Don't be evil... until... », Christian Quest , 6 mai 2018

Leur force est telle que les entreprises numérisées préfèrent construire des synergies avec les plateformes plutôt que laisser jouer une concurrence inégale .

Ainsi, SoLocal , qui aspire à devenir en 2020 « champion français du numérique », leader européen de la communication digitale de proximité, et premier créateur de sites web en France, propriétaire des Pages Jaunes et de Mappy , a-t-elle conclu un partenariat avec Google. L'entreprise française dispose d'un maillage territorial important, l'accès à des PME encore très peu connectées sur l'ensemble du territoire et une énorme base de données héritée des années fastes des annuaires. Le groupe a également déployé Alexa sur Amazon, une « skill » (application réservée à l'assistant vocal) qui répertorie près de 1 200 activités référencées dans 10 000 villes françaises, permettant aux utilisateurs d'avoir accès à des informations sur les commerçants de proximité (coordonnées, horaires et avis des clients).

Le groupe entend désormais développer une offre de services numériques faciles d'accès, à la portée donc de dirigeants de petites et moyennes structures encore peu au fait des pratiques numériques. Les entreprises se voient proposer un bouquet d'offres qui leur permet d'apparaître dans les recherches de clients potentiels. L'entreprise revendique plus de 20 000 campagnes mises en place au bénéfice de ses clients en 2017, permettant d'optimiser leur notoriété et leurs contacts.

Les chambres professionnelles ne peuvent non plus ignorer ces entités.

Ainsi, et depuis 2013, la CCI du Grand Lille s'est-elle associée à Google pour accélérer l'effort de formation. En 5 ans, Google a formé 13 500 entreprises en Hauts de France, à l'occasion « d'Ateliers Numériques » et lors d'ateliers de plusieurs jours délivrés au sein de la CCI Grand Lille.

Ces Ateliers Numériques s'adressent aussi bien aux TPE qu'aux créateurs d'entreprises et aux porteurs de projets . Parmi les entreprises formées, près de la moitié déclarent avoir vu un impact positif sur leur activité 3 mois après la formation (trafic, chiffre d'affaires). Parmi les modules proposés, les plus demandés sont : « comment construire sa marque sur Internet » et « le référencement naturel ».

En partenariat avec les Chambres de commerce et d'industrie, les coaches Google pour les Pros sillonnent les routes françaises à la rencontre des commerçants, artisans, et des professionnels des TPE et PME. Ils leurs délivrent des conseils gratuits, au plus près de leurs besoins, pour les aider à faire leurs premiers pas sur internet.

Au total et depuis janvier 2012, ils auraient touché 100 000 entrepreneurs.

b) Les inquiétudes légitimes des PME

Le rapport Lemoine de 2014 précité évoquait déjà l'émergence d'une nouvelle figure de notre imaginaire français, à savoir « les GAFAM et le désert français » et évaluait entre 15 et 60 milliards de dollars le siphonage de la marge de notre économie réalisée par les plateformes, selon la stratégie qui sera déployée : « partant de la capitalisation boursière actuelle des GAFA (1 200 milliards de dollars [en 2014]), il s'en déduit que les investisseurs attendent de ces quatre entreprises un profit annuel de 120 milliards de dollars en rythme tendanciel. On peut faire l'hypothèse que ce profit trouve sa contrepartie dans la destruction de valeur de certaines entreprises traditionnelles, dans une proportion de 1 à 3, soit 360 milliards de dollars, le reste étant restitué au consommateur. La part de la France étant de 4 %, cela représenterait mécaniquement une ponction de 15 milliards. Mais la France étant un pays développé à faible croissance, sa vulnérabilité est plus grande : sa part pourrait doubler et s'élever à 30 milliards de profits évaporés. Selon François Véron, à l'origine de ce calcul, il faudrait également tenir compte des autres « infomédiaires » que les GAFA. Le risque total serait alors de 50 ou 60 milliards de dollars, entre le tiers et la moitié des profits du CAC 40. Ce déplacement de valeur des secteurs économiques traditionnels vers les acteurs du numérique est massif. Il serait dramatique si notre pays ne développait pas en parallèle des innovations numériques susceptibles de capter une part de ce transfert de valeur ».

Toutefois, les GAFAM concourent également au développement de stratégies de « sur-traitance » qui obligent les autres acteurs à innover pour préserver leurs marges.

Par ailleurs, le challenge de l'économie numérique étant, selon le rapport, « le phagocytage des services numériques par les géants américains », pour peser face à eux, la libre circulation des données non personnelles est un « très bon cheval de bataille » et « un super vecteur pour relever le défi » des plateformes.

Pour les contrer, le principe de libre circulation des données à caractère non personnel est ainsi l'un des objectifs de la Commission européenne car le marché des données, qui a représenté près de 2 % du PIB européen pourrait doubler et atteindre 4 % en 2020. Selon deux de nos collègues députés, M. Éric Bothorel et Mme Constance Le Grip, auteurs d'un rapport d'information sur le marché unique du numérique 156 ( * ) , pour les PME, cette libre circulation donnerait la possibilité aux entreprises, « de maximiser leur profit en localisant leur système de stockage des données là où le rapport coût bénéfice serait le plus rentable. Cela avantagerait en particulier les PME et les nouvelles entreprises qui accéderaient plus facilement à un marché plus large que celui des seuls utilisateurs nationaux. Les barrières réglementaires pénalisent en effet davantage les entreprises de faible envergure qui ne bénéficient pas de l'expertise juridique ou des moyens financiers pour s'adapter à la fragmentation réglementaire actuelle ».

Par ailleurs, selon la feuille de route précitée du Conseil national du numérique, la transformation des stratégies de commercialisation des PME ne peut dépendre uniquement du recours à des services d'intermédiation car « confier sa chalandise virtuelle à un tiers sans développer parallèlement des débouchés propres place les PME dans une situation précaire, dans lequel le rapport de forces joue en leur défaveur ». La répartition des rôles au sein des chaînes de valeur étant en constante évolution dans cette révolution numérique, « les PME risquent de se retrouver malgré elles sous-traitantes, exécutantes d'un intermédiaire qui concentre l'essentiel de la production de valeur, valeur que ces intermédiaires n'ambitionnent pas toujours en France ».

De même, le rapport de la mission Société Numérique 157 ( * ) juge plus pérenne que « les TPE-PME comme les individus aient accès à une diversité de formations respectant la neutralité pédagogique et leurs données personnelles et non vers un seul environnement d'outils » fournis par les GAFAM.

2. Les réponses de l'État aux relations entre PME et plateformes

L'inégalité des conditions de la concurrence entre ces géants mondiaux et les PME françaises a conduit l'État à apporter plusieurs débuts de réponses.

a) Egaliser la fiscalité entre les acteurs du numérique et les autres entreprises

Les impôts payés par les géants du numérique sont peu élevés, du fait de leur stratégie d'optimisation fiscale. Selon la Commission européenne, les entreprises du numérique 158 ( * ) sont imposées en moyenne à un taux effectif de 9,5 % contre 23,2 % pour des entreprises traditionnelles,

Ainsi, en 2017, Apple aurait acquitté 19 millions d'impôt sur les sociétés, Google 14 millions, Amazon 8 millions, Facebook 1,9 million et AirBnB seulement 161 330 euros.

Pour deux associations d'hôteliers 159 ( * ) , qui ont alerté le Ministre de l'Action et des Comptes publics dans une lettre ouverte du 11 octobre 2018, il est temps de faire cesser cette iniquité fiscale qui méconnaît les conditions d'une concurrence saine et non faussée : « Pour nous hôteliers, la différence de traitement est inacceptable. Cette somme est équivalente à celle que payent certaines de nos PME. Or Airbnb n'est pas une "start-up", elle a été valorisée à 31 milliards de dollars l'an dernier. Selon les chiffres semés à droite et à gauche par Airbnb, on s'aperçoit qu'ils ont accueilli 6 millions de visiteurs en France sur l'été 2018, pour un prix moyen de 27 € par nuit et une durée moyenne de 3,8 jours. Compte-tenu de leur taux de commission à environ 15 %, ça représente pour eux un chiffre d'affaires de plus de 92 millions d'euros perçus en trois mois. La somme versée à l'État est un pourboire laissé à la France ! ».

Les entreprises traditionnelles supportent ainsi une charge fiscale près de 2,5 fois plus lourde que les entreprises numériques 160 ( * ) et Amazon aurait supporté en 2018 un impôt négatif de - 1 % 161 ( * ) malgré des bénéfices de 11 milliards de dollars , qui ont doublé par rapport à 2017 !

C'est la raison pour laquelle la France milite en faveur d'une taxe sur les services numériques (TSN), qui a déjà été adoptée ou qui est envisagée par plusieurs autres États européens.

Son calibrage s'avère cependant redoutablement complexe, comme l'a indiqué notre collègue, M. Albéric de Montgolfier, dans un récent rapport 162 ( * ) : les entreprises potentiellement concernées par cette taxe sont loin de toutes correspondre aux « GAFA » ou à leurs équivalents, « comme Criteo, `licorne' française spécialisée dans le ciblage publicitaire, AccorHotels, dont une grande partie de l'activité relève maintenant de l'intermédiation dans le secteur de l'hôtellerie, le groupe Orange ou encore Solocal (ex-Pages Jaunes). Des plateformes françaises comme Leboncoin ou Dailymotion atteignent presque les seuils retenus ».

S'ajoutant à l'impôt sur les sociétés, la TSN pourrait s'assimiler à une « double peine », bien loin de l'objectif affiché : « le groupe Solocal a payé environ 30 millions d'euros d'impôt sur les sociétés en France en 2017 ; avec la nouvelle taxe, le total passerait à 40 millions d'euros, soit une hausse d'un tiers ».

Un projet de loi portant création d'une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés est en cours de discussion. Un accord a été trouvé en commission mixte paritaire (CMP) le 26 juin 2019. Les conclusions de cette CMP seront examinées en séance au Sénat le 11 juillet 2019. Cette taxe pourrait avoir comme redevables des entreprises déficitaires ou dégageant de faibles profits, comme le reconnaît l'Assemblée nationale 163 ( * ) . Cependant, elle devrait se limiter aux plus grosses entreprises, une trentaine selon l'étude d'impact, dont une seule ayant son siège en France.

Si la taxe ne concerne pas directement les PME, les plateformes redevables pourraient en reporter la charge sur l'ensemble de leurs utilisateurs et pénaliser indirectement la PME qui se fait connaître localement par des campagnes numériques 164 ( * ) .

b) Conforter les PME dans un rapport de force trop inégal avec les plateformes

Les rapports entre ces plateformes et les PME impactent fortement le droit de la concurrence.

Elles conduisent à une réflexion actuellement conduite par le Conseil national du numérique (CNNum) pour « questionner les limites des règles de concurrence traditionnelles face aux grandes entreprises numériques ».

Ce questionnement, légitime, est urgent.

Après une première consultation publique organisée du 14 janvier 2018 au 4 mars 2018, mobilisant 581 participants permettant de recueillir près de 700 contributions et 2 000 votes, un document de consultation a été rendu public dans le cadre des « États généraux des nouvelles régulations du numérique » .

La problématique posée par le Conseil national du numérique

L'économie dite « numérique» pose un certain nombre de défis aux pouvoirs publics en matière de concurrence et de régulation . La très forte concentration des plateformes fait craindre des effets de « verrouillage » des marchés , notamment en rendant captifs des utilisateurs, entreprises comme consommateurs, et la mise en place de barrières à l'entrée pour les plateformes concurrentes ou les fournisseurs de services complémentaires, notamment de nouveaux entrants européens. Certaines plateformes, à ce stade, majoritairement non-européennes, disposent d'un pouvoir d'influence économique croissant sur les écosystèmes qui se constituent autour d'elles. Ces mêmes acteurs non européens ont pu constituer, grâce à leur domination de marché, une trésorerie considérable qui leur donne les moyens à la fois d'investir dans le développement de données et d'acheter tôt des start-ups européennes, ce qui conforte encore leur domination.

Pour plus de réactivité et d'efficacité, les pouvoirs publics doivent adapter leurs moyens d'intervention en tenant compte des problématiques suivantes :

Comment s'assurer que le temps d'analyse, d'action et de contrôle des pouvoirs publics soit en adéquation avec le temps économique ?

Faut-il adapter les outils d'analyse économique pour prendre en compte les modèles économiques du monde numérique ?

Comment renforcer les outils de lutte contre les pratiques commerciales déloyales des plateformes ?

Indépendamment de toute pratique abusive, la position de certains acteurs est-elle encore contestable ?

Comment protéger la liberté de choix des utilisateurs et l'indépendance des acteurs économiques ?

Source : Conseil national du numérique

Les États-généraux proposent pour leur part une démarche plus prudente et moins ambitieuse en instaurant un Observatoire français des plateformes numériques , « ayant recours aux notions de loyauté et de transparence pour améliorer la disponibilité de l'information sur le comportement des acteurs de l'économie de plateformes et diminuer ainsi l'asymétrie d'information à laquelle les consommateurs comme les entreprises partenaires sont confrontées », alors même qu'un Observatoire européen ayant le même objectif a été créé par le règlement « platform-to-business » (voir ci-après). La consultation publique a recensé les interrogations des acteurs sur cette superposition d'instances et l'étendue des compétences de cet Observatoire.

Observer n'est pas agir. Or, le temps de l'économie numérique doit accélérer le temps de la décision politique. L'oligopolisation réduisant la libre concurrence nécessite des mesures fortes, que freine l'absence de consensus sur l'analyse économique de la situation.

Ainsi, pour certains intervenants de ces États généraux, les “géants du net” occupent une place particulière qui justifierait une régulation spécifique, dite “asymétrique”, en raison du taux de concentration et de la dépendance à leurs services pour les nouveaux acteurs du marché. Pour d'autres, réguler des acteurs spécifiques reviendrait à empêcher l'innovation, notamment des start-ups européennes, et reviendrait à contester les monopoles dits naturels. De façon générale les critères de définition de la notion « d'acteur systémique » n'ont clairement pas fait l'objet d'un consensus.

Synthèse de la consultation publique (extrait)

De nombreux contributeurs partagent le constat que la position oligopolistique des géants du numérique les place en capacité de réduire fortement la capacité des autres acteurs à innover. Certains attribuent ce bridage aux pratiques anticoncurrentielles que certaines entreprises sont en position de commettre en raison de leur pouvoir sur le marché. D'autres le relient plus généralement à la nature irrattrapable de l'avance que conférerait le contrôle de canaux de captation de masses de données. Dès lors, il est apparu nécessaire, au cours des débats, de poser la question de la définition du rôle des données dans l'économie plateformisée. Plusieurs participants ont ainsi considéré que certaines données pourraient être apparentées à des infrastructures essentielles, soit des intrants incontournables à l'entrée d'un acteur sur un marché. Il ne serait donc pas économiquement viable ni réaliste que chaque acteur s'attache à reproduire par lui - même. En ce sens, ces débats ont ouvert la question plus large de l'opportunité de définir une nouvelle catégorie « d'acteurs systématiques », détenant un pouvoir qui

excède le seul périmètre des marchés de l'intermédiation et leur permettant de truster en général le fonctionnement des secteurs et industries nourris par la donnée. Une telle notion pourrait être justement axée autour de la détention de « données essentielles ».

Au-delà de ces débats théoriques mais structurants, où il est encore question de savoir si la régulation doit s'opérer par le droit de la concurrence ou le droit de la consommation, il est urgent de proposer aux PME une procédure simple de règlement des différends en cas de litiges sur leurs conditions d'accès aux plateformes.

Recommandation n° 5 : instaurer une procédure de règlement des différends en cas de litiges sur les conditions d'accès aux plateformes, simple et facilement accessible aux PME .

c) Une charte de bonnes pratiques en France

Ces relations commerciales désavantageuses pour les utilisateurs de plateformes ont motivé la signature, le 26 mars 2019 , d'une charte des acteurs du e-commerce, afin de promouvoir des relations équilibrées, loyales et transparentes entre les opérateurs de plateformes en ligne (au sens de l'article L. 111-7 du code de la consommation) et les personnes physiques ou morales contractant les services de ces plateformes ou places de marché à titre professionnel.

La « Charte des acteurs du e-commerce » vise principalement trois objectifs :

1/ La formalisation des engagements mutuels entre les parties : dans l'optique de préserver un climat de confiance entre elles et les entreprises utilisatrices, essentiel à toute relation commerciale, les plateformes et places de marché s'engagent dans le cadre de cette charte à sécuriser leurs relations en les formalisant contractuellement. À cet égard, il leur est demandé de rédiger les documents contractuels « de façon claire et compréhensible », de rendre les conditions d'utilisation facilement accessibles en ligne et d'inclure dans ces documents une mention indiquant la possibilité offerte aux entreprises utilisatrices de recourir à la médiation.

2/ La garantie d'un échange « ouvert, fiable, individualisé » implique notamment de :

- mettre en place un dispositif dédié au dialogue qui devra être porté à la connaissance des utilisateurs lors de leur engagement sur la plateforme ou place de marché et devra être accessible tout au long de la relation commerciale ;

- expliquer les raisons d'un déréférencement (notion entendue comme suspension ou suppression, temporaire ou définitive, d'offres mises en ligne par les entreprises utilisatrices sur les plateformes et places de marché en ligne et/ou de leur compte) et permettre de contester cette décision ;

- fournir aux entreprises utilisatrices qui en font la demande, des informations sur les principes applicables au classement des produits, voire leur livrer des recommandations afin que leurs produits progressent dans le classement commercial ;

- favoriser le recours à la médiation notamment en fournissant un contact privilégié vers le Médiateur des entreprises (l'annexe 1 de la charte détaille le mécanisme et l'annexe 2 prévoit une clause type) ;

- faire de l'intérêt du client final un objectif partagé, ce qui implique que les entreprises utilisatrices s'engagent à mettre en oeuvre des mesures concrètes pour satisfaire le client final (par exemple, en mettant en ligne des offres conformes aux règlementations applicables en matière de vente à distance).

3/ La lutte contre la contrefaçon : tandis que les entreprises utilisatrices s'engagent à ne pas proposer sciemment des produits contrefaits, les plateformes et places de marché s'engagent, quant à elles, à prévoir un dispositif de signalement des contrefaçons et à mettre en oeuvre les actions correctives nécessaires le cas échéant.

Cette charte apparaît cependant plus symbolique que juridiquement contraignante. Sa portée est limitée. En effet, si neuf grands acteurs du e-commerce ont décidés, dans une démarche volontaire, de signer la charte (Boulanger, Cdiscount, Conforama, eBay, Fnac Darty, La Redoute, leboncoin, ManoMano et Rakuten- ainsi que deux organisations professionnelles d'entreprises -la Confédération des PME et la fédération du e-commerce et de la vente à distance -Fevad-), certaines grandes places de marché ( markets places) sont absentes, comme Amazon ou Alibaba .

Amazon France, qui concentre plus de 20 % des ventes en ligne 165 ( * ) , justifie « ne pas signer la charte à ce stade car [l'entreprise] est convaincue que ses outils et procédures, qui se sont révélés depuis plus de 15 ans rapides et efficaces dans la résolution d'incidents, doivent rester le canal de communication privilégié des entreprises françaises » 166 ( * ) , le déréférencement ne concernant que 0,25 % des 10 000 PME-TPE présentes sur le site. Les PME dénoncent toutefois le coût élevé des commissions (15 % en moyenne sur chaque vente via la plateforme Amazon) et l'absence d'interlocuteur fiable en cas d'incident.

La charte n'engage pas les signataires d'un point de vue juridique ni ne les expose à une quelconque sanction . L'engagement le plus précis consiste à notifier aux entreprises le maintien ou la suspension du déréférencement « dans les meilleurs délais » . Les plateformes signataires ne prennent aucun risque, car elles possèdent déjà les dispositifs requis par la charte. Concrètement, les seuls changements seront la nomination au sein de chaque plateforme d'un correspondant pour le médiateur des entreprises, et la nécessité d'inclure une clause indiquant la possibilité (pour les deux parties) de recourir à la médiation.

La charte, en résumé, est la formalisation de bonnes pratiques . S'y conformer permettrait sans doute d'éviter des litiges sur l'accès à ces plateformes, pour lesquelles votre délégation propose, ainsi qu'il a été précédemment exposé, l'instauration d'une procédure accélérée de règlement des différends.

d) Une règlementation européenne des plateformes en 2020

Ces relations asymétriques entre plateformes et PME ont amené la Commission européenne à proposer, le 26 avril 2018 , un projet de règlement sur la promotion de l'équité et de la transparence pour les utilisateurs professionnels de services d'intermédiation en ligne (également appelé règlement « platform to business » ou P2B), afin de rééquilibrer les relations entre les services d'intermédiation en ligne et les professionnels (personnes physiques ou morales) qui ont recours aux services de ces plateformes pour vendre des biens ou des services.

Environ 7 000 plateformes en ligne ou places de marché exercent des activités dans l'Union européenne, parmi lesquelles figurent des géants mondiaux ainsi que de très modestes start-ups qui détiennent toutefois souvent un pouvoir de négociation important à l'égard des utilisateurs professionnels. Selon la communication de la Commission 167 ( * ) , ces plateformes numériques s'imposent comme de véritables « gardiens de l'accès aux marchés et aux consommateurs » .

Selon une enquête Eurobaromètre , près de la moitié (42 %) des PME européennes ont déclaré avoir recours à des places de marché en ligne pour vendre leurs produits et services . Une analyse d'impact réalisée par la Commission en amont de ses propositions a montré que près de 50 % des entreprises européennes qui exercent des activités sur les plateformes se heurtent à des problèmes . Quelque 38 % des problèmes rencontrés dans les relations contractuelles demeurent non résolus, et ce n'est que difficilement que l'on résout 26 % d'entre eux. Cela entraîne directement des pertes de ventes d'une valeur comprise entre 1,27 et 2,35 milliards d'euros.

Pour atteindre cet objectif de rééquilibrage, le règlement prévoit deux grandes séries de mesures : en amont, des obligations d'information et de transparence ; en aval, des dispositifs de résolution des litiges et de médiation entre plateformes et professionnels.

Ce règlement ambitionne de faire de l'Union européenne un environnement économique transparent et prévisible pour les entreprises et les utilisateurs professionnels qui utilisent des services d'intermédiation en ligne, en particulier, des plateformes, des places de marchés ( market place ) ou des moteurs de recherches. Elle aspire à trouver un équilibre entre stimulation de l'innovation et protection des intérêts des utilisateurs de ces services afin que chacun puisse bénéficier des opportunités créées par la révolution numérique.

Le 13 février 2019, un accord politique a été trouvé entre le Parlement Européen, le Conseil de l'Union Européenne et la Commission Européenne sur un texte de compromis, adopté par le Parlement européen le 17 avril 2019 .

Par ailleurs, ce règlement a fait l'objet d'une proposition de résolution du Sénat n° 23 (2018-2019), du 16 novembre 2018 168 ( * ) , qui rappelle que « le droit européen de la concurrence ne permet pas d'encadrer l'asymétrie relationnelle entre les services d'intermédiation en ligne et leurs utilisateurs professionnels » et souligne que ce règlement, s'il « constitue une première avancée qui doit être saluée », doit être précisé et renforcé sur plusieurs points .

Les éléments principaux de ce règlement sont les suivants 169 ( * ) :

Plus de loyauté : l'accord prévoit notamment (i) d'encadrer plus précisément les décisions de restreindre, suspendre ou déréférencer des personnes, (ii) une accessibilité et intelligibilité renforcée de leurs CGU qui ne pourront être modifiées qu'après notification des entreprises utilisatrices au moins 15 jours à l'avance et (iii) une obligation de clarté concernant les termes de leurs relations contractuelles notamment concernant les clauses rétroactives, le droit de résiliation des contrats et l'accès aux données après expiration de ces derniers.

Plus de transparence : les acteurs soumis au règlement devront notamment (i) indiquer les principaux paramètres de classement des biens et services qu'ils proposent afin de permettre aux vendeurs d'optimiser leur visibilité et d'empêcher toute manipulation du système de classement (par exemple, les plateformes seront tenues d'informer les entreprises utilisatrices de l'existence d'accords contractuels ou de paiements de commissions supplémentaires justifiant les traitements différenciés) - ces règles font écho au cadre juridique français - et (ii) communiquer de manière exhaustive tous les avantages que les plateformes, agissant simultanément en qualité de place de marché et de vendeur, accordent à leurs propres produits et services par rapport à d'autres.

Plus de voies de règlements des litiges : le texte prévoit, entre autres, l'obligation pour les acteurs concernés de (i) mettre en place un système interne gratuit de traitement des réclamations (une exemption est prévue pour les plus petites plateformes) et de (ii) fournir aux entreprises davantage d'options de résolution extrajudiciaire des litiges notamment par l'intermédiaire de médiateurs spécialisés.

Plus de contrôle : il est prévu que (i) les associations professionnelles puissent intenter une action en justice pour obtenir la cessation de tout manquement aux règles et que (ii) les États membres puissent désigner des autorités publiques dotées de pouvoirs répressifs auxquelles les entreprises utilisatrices de plateformes pourront faire appel.

Par ailleurs, un Observatoire des plateformes en ligne a été créé, fort de 15 membres. La France y est représentée par Doh Shin Jeon, professeur d'économie à l'École d'Économie de Toulouse.

Lorsqu'elles seront adoptées et opérationnelles, ces règles seront, selon Mariya Gabriel, commissaire européen pour l'économie et la société numériques, « les premières du genre au monde et elles assurent un juste équilibre entre la stimulation de l'innovation et la protection de nos valeurs européennes. Elles amélioreront les relations entre les entreprises et les plateformes, en les rendant plus équitables et transparentes et, en fin de compte, elles offriront de grands avantages aux consommateurs ».

3. Une « désubérisation » de l'économie dont les PME seraient gagnantes

L'économie de plateforme n'est peut-être qu'une étape.

Si le rapport Villani 170 ( * ) précité estime que l'intelligence artificielle renforce encore cette « plateformisation de l'économie » en donnant aux grandes plateformes « les moyens de proposer à leurs utilisateurs toujours plus de services, toujours plus performants, potentiellement au détriment des acteurs traditionnels qui n'auront pas suffisamment anticipé les mutations à venir », d'autres études estiment que « l'ubérisation d'Uber » est en cours 171 ( * ) .

L'autre « révolution dans la révolution » est en effet la « blockchainisation » de l'économie , qui installe le tiers de confiance au sein de l'infrastructure, rendant quasi-nuls les coûts de transaction. Cette « productivité des échanges collaboratifs » va permettre aux petites entreprises travaillant en réseau d'être davantage performantes que les plus grandes entreprises 172 ( * ) . Cette « chaîne de blocs » ( blockchain en anglais) de deuxième génération dépasse la sécurisation des transactions financières pour concerner tous les actes de la vie économique grâce au « contrat intelligent » ( smart contract ) 173 ( * ) .

Alors qu'un contrat légal traditionnel définit les règles d'un accord entre plusieurs parties, un « contrat intelligent » va plus loin et fige ces règles dans une blockchain tout en assurant le transfert d'un actif - quel qu'il soit - lorsque les conditions contractuelles se vérifient. Avec cette approche, un actif est lié dans un programme lui-même stocké dans une blockchain qui réduit radicalement certains coûts de transaction et de gestion d'aléas simples et récurrents affectant la vie des contrats juridiques et permet ainsi de s'épargner quelques sources d'inquiétude liées à la complexité et l'insécurité juridique.

Cette nouvelle alliance de l'intelligence artificielle et de la blockchain peut profiter aux PME en mettant en lien directement le producteur et l'usager, en apportant de la traçabilité et de la fiabilité, en permettant une relocalisation de la production. Ainsi, peu importerait pour une PME d'avoir raté la plateformisation de l'économie si elle sait profiter de cette nouvelle inflexion en se repositionnant : « tout est encore possible » et « il est encore temps de rentrer dans le jeu ».


* 143 « Des machines, des plateformes et des foules » Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, (2018).

* 144 Titre de l'ouvrage de Nick Srnicek « Plaform Capitalism » (2016), traduit en français sous ce titre (Lux éditeur, 2018).

* 145 On peut élargir ce groupe à celui des NATU (Netflix, Amazon, Twitter et Uber). Les géants chinois sont parfois appelés BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi).

* 146 La correction boursière du 4 ème trimestre 2018 les fait cependant repasser derrière l'Allemagne.

* 147 Le temps de chargement d'une page de destination mobile est de 22 secondes en moyenne, or plus de la moitié des mobinautes la quittent si elle met plus de 3 secondes à se charger .

* 148 Exemple cité par M. Philippe Arraou « Transformation digitale des PME : pourquoi & comment », octobre 2018 et entretien avec le rapporteur du 26 mars 2019.

* 149 « Google veut former 100 000 PME au business sur Internet », Le Figaro, Benjamin Ferran, 25 mars 2013.

* 150 Réponse du 11 mars 2019 au questionnaire adressé par votre rapporteur.

* 151 Désignant une démarche frauduleuse consistant à détourner l'identité d'une marque, principalement sur le Web. Le brandjacker usurpe l'identité d'une marque soit pour porter atteinte à son image, soit pour tirer profit de sa notoriété et de son image.

* 152 Informatique en nuage, ou nuagique ou encore l'infonuagique, qui exploite la puissance de calcul ou de stockage de serveurs informatiques distants par l'intermédiaire d'un réseau, généralement Internet .

* 153 Groupware : type de logiciel qui permet à un groupe de personnes de partager des documents à distance pour favoriser le travail collaboratif .

* 154 Rebaptisé Google Apps for Work en septembre 2014 puis G Suite en septembre 2016.

* 155 « Le moment redouté est arrivé : Google Maps devient beaucoup plus cher pour les pro », Julien Cadot , 16 juillet 2018, Numerama.

* 156 N° 479 (Quinzième législature) du 6 décembre 2017.

* 157 « Rapport et recommandations - Stratégie nationale pour un numérique inclusif », mai 2018.

* 158 Terme volontairement flou, compte tenu de la difficulté d'isoler entièrement les entreprises traitant uniquement de services numériques d'entreprises dont une partie seulement du chiffre d'affaires concerne de tels services.

* 159 AhTop (Association pour un hébergement et un tourisme professionnels) et le GNI (Groupement national des indépendants).

* 160 « Commission staff working document - Impact assessment accompanying the document Proposal for a Council Directive laying down rules relating to the corporate taxation of a significant digital presence and Proposal for a Council Directive on the common system of a digital services tax on revenues resulting from the provision of certain digital services » , Commission européenne, 21 mars 2018 , SWD(2018) 81 final/2 ,

* 161 Selon le think tank Institute on Taxation and Economic Policy « Amazon in Its Prime : Double Profits, Pays $0 in Federal Income Taxes », 13 février 2019.

* 162 Rapport n° 471 sur les propositions de directives du Conseil de l'Union européenne COM(2018) 147 établissant les règles d'imposition des sociétés ayant une présence numérique significative et COM(2018) 148 concernant le système commun de taxe sur les services numériques applicables aux produits tirés de la fourniture de certains services numériques, M. Albéric de Montgolfier, Sénat (2017-2018), 15 mai 2018.

* 163 Rapport n° 1838 du 3 avril 2019 sur le projet de loi précité.

* 164 Audition Giuseppe de Martino, président de l'Association des services internet communautaires (ASIC) devant la commission des finances du Sénat le 30 avril 2019, citée dans le rapport n° 496 (2018-2019) du 15 mai de la commission sur le projet de loi portant création d'une taxe sur les services numériques, et modification de la trajectoire de la baisse de l'impôt sur les sociétés.

* 165 Étude Kantar/LSA de novembre 2018.

* 166 « Charte e-commerce : même sans Amazon et Alibaba, "une charte majoritaire" pour Mounir Mahjoubi », L'Usine digitale, Aude Chardenon , 25 mars 2019.

* 167 Commission Européenne, COM(2018) 238 final, 26 avril 2018 .

* 168 https://www.senat.fr/leg/ppr18-037.html

* 169 Source : Droit du partage, Arthur Millerand, Avocat , 22 février 2019.

* 170 « Donner un sens à l'intelligence artificielle. Pour une stratégie nationale et européenne », mars 2018.

* 171 « Le numérique déroutant, acte II : vers l'ubérisation des GAFA », étude précitée de BpiFrance - Le Lab, mars 2019.

* 172 Xavier Dalloz, in « Le numérique déroutant, acte II : vers l'ubérisation des GAFA », BpiFrance - Le Lab, mars 2019.

* 173 Expression inventée par l'informaticien Nick Szabo (inventeur du Bit Gold, précurseur du Bitcoin) en 1993, pour souligner l'importance d'apporter des pratiques « hautement évoluées » du droit des contrats et des pratiques commerciales liées à la conception de protocoles de commerce électronique entre particuliers sur Internet.

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