III. LA POLITIQUE LOCALE, UNE PISTE D'AVENIR POUR SOUTENIR LES TERRITOIRES SIDÉRURGIQUES

Si l'avenir de la sidérurgie passe par la définition d'une véritable stratégie industrielle du Gouvernement, l'échelon local est incontournable pour l'accompagnement des territoires sidérurgiques. Il doit être valorisé et trouver pleinement sa place dans le pilotage des politiques publiques.

A. LES COMPÉTENCES DES RÉGIONS SONT INCONTOURNABLES DANS L'ACCOMPAGNEMENT DE LA TRANSFORMATION INDUSTRIELLE

1. Les acteurs locaux sont les premiers interlocuteurs des entreprises sidérurgiques

La sidérurgie française se caractérise par un ancrage très fort dans des bassins historiques, en particulier dans les régions Grand Est et Hauts-de-France. L'importance du secteur en termes d'emploi, bien que considérablement réduite au cours des dernières décennies, ne doit pas être négligée. Au-delà des emplois directs dans les aciéries, les usines sidérurgiques font vivre tout un écosystème industriel d'entreprises actives dans la première et seconde transformation, et, bien entendu, dans les filières utilisatrices d'acier. Les Hauts-de-France, par exemple, sont également la première région française pour l'industrie ferroviaire et pour la construction automobile.

Les acteurs locaux sont ainsi les premiers intéressés au développement des bassins sidérurgiques, mais aussi les premiers à souffrir des restructurations et des fermetures de sites. En termes d'emploi, il faut tout d'abord organiser la reconversion des employés et la transmission des compétences. Les élus locaux représentent le premier maillon de la chaîne de remontée d'informations depuis le terrain, nécessaire à l'anticipation des transformations, et de la relation de confiance avec les directeurs de site et les salariés. Ce sont plus de 20 % des emplois sidérurgiques qui ont été détruits en moins de dix ans : la gestion des conséquences sociales des pertes d'emplois, parfois concentrées sur de petites localités ou sur plusieurs membres d'une même famille, fait largement appel aux compétences des collectivités locales. Selon M. Jean Rottner, Président de la région Grand Est, « Ce sont autant de reconversions, de plans sociaux, d'accompagnement et de formations sur lesquelles travaillent les régions. Il s'agit là de notre coeur de métier. » 363 ( * ) D'autre part, les sites abandonnés doivent faire l'objet de réhabilitation, parfois de dépollution très coûteuse, puis être revitalisés.

L'avenir de la sidérurgie française ne saurait donc se construire sans les régions, les départements, et les intercommunalités de l'échelon local. Une politique active d'accompagnement des entreprises sidérurgiques, et, dans les cas les plus compliqués, d'accompagnement de la restructuration, fait appel à tout l'éventail des compétences des collectivités locales :

• Aide sociale et solidarité des territoires pour le département ;

• Développement économique, formation professionnelle, transports, enseignement secondaire et aménagement du territoire pour la région ;

• Développement économique et urbanisme pour les EPCI.

2. Donner leur pleine efficacité aux outils des régions

Entendu par la mission d'information, M. Xavier Bertrand, président du Conseil régional des Hauts-de-France, a toutefois estimé que la clarification des compétences respectives des collectivités territoriales, intervenue dans la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe », n'était pas allée assez loin : « Une véritable stratégie industrielle existe-t'elle en France ? Encore faut-il clarifier au préalable les rôles de l'État, de l'Europe et des régions, que la loi NOTRe a investies d'une fonction économique. [...] Les régions doivent aujourd'hui être investies de davantage de pouvoirs, de compétences et de moyens pour intervenir efficacement. » 364 ( * )

Les deux présidents de régions entendus par la mission d'information ont ainsi proposé de conserver à l'État la définition d'une stratégie industrielle sectorielle, en plaidant toutefois pour une plus grande liberté des collectivités territoriales dans la définition des politiques concrètes mises en oeuvre dans les bassins industriels . M. Xavier Bertrand a estimé que : « La définition des filières stratégiques en lien avec l'Europe doit relever des États [...] Rien ne remplacera la création d'un écosystème favorable à l'échelle gouvernementale et propice à la décision de créer une filière stratégique. Aujourd'hui, je souhaite que cette clarification se produise, dans le cadre de la prochaine étape de la décentralisation, à travers la différenciation et la définition incontournable d'une nouvelle stratégie économique impliquant de doter les régions de nouvelles compétences », 365 ( * ) tandis que M. Jean Rottner a affirmé que : « Nous ne revendiquons pas tant la stratégie économique, qui doit être fixée par l'État, que l'application des choix, l'accompagnement, la proximité. » 366 ( * )

M. Olivier Lluansi, délégué aux Territoires d'Industrie, a reconnu que l'articulation des compétences et des dispositifs existants des régions et de l'État est loin d'être optimale, et est source de confusions pour les acteurs industriels : « On essaie de compenser par une comitologie administrative le fait que l'action économique soit détenue entre plusieurs responsabilités publiques différentes sur le même territoire ». 367 ( * )

a) Le développement économique

À ce titre, les régions disposent de l'outil du schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII), rendu obligatoire par la loi NOTRe. Ce schéma, portant sur une période quinquennale, coordonne les actions de développement économique menées par les différentes collectivités sur le périmètre de la région, définit les principales orientations stratégiques en la matière. Cela passe notamment par des mesures en matière d'aides aux entreprises, de soutien à l'innovation et à l'internationalisation. Des orientations claires des régions en matière de développement économique contribuent, d'une part, à l'attractivité des bassins industriels, de l'autre, à mobiliser par un effet levier davantage de financements nationaux et européens.

Plus de 2,5 milliards d'euros seraient investis annuellement dans l'économie française par les régions. Elles sont également le premier financeur de la recherche et de l'innovation parmi les collectivités territoriales, à hauteur de 1 milliard d'euros par an. 368 ( * )

Il faut également souligner que l'échelon intercommunal joue souvent un rôle complémentaire à celui des régions en matière de développement économique.

La politique de la région Grand Est
en matière de développement économique

La région Grand Est est la seconde région industrielle de France, comptabilisant plus de 53 000 emplois dans le secteur métallurgique, dont plusieurs sites sidérurgiques emblématiques. ArcelorMittal y emploie plus de 5 000 personnes, avec une dizaine d'implantations et le plus grand centre de recherche et développement du groupe au monde situé à Maizières-lès-Metz.

Le président M. Jean Rottner a indiqué que les leviers principaux de la région consistaient en :

- le développement des entreprises et le soutien à l'entreprenariat ;

- le soutien à l'innovation et au développement des transitions numérique, énergétique et écologique ;

- les politiques d'attractivité ;

- l'accompagnement des entreprises à l'international ;

- le soutien à l'économie de proximité et l'aménagement économique équilibré.

Dans la région Grand Est, ces actions passent notamment par les 7 Agences de développement économique - qui jouent un rôle clef dans la détection des difficultés des entreprises locales aux côtés des CCI et de la Banque de France -, une douzaine de fonds régionaux de capital investissement, et le Pacte Offensive Croissance Emploi (POCE).

À titre d'exemple, la région octroie des aides à la reprise d'entreprises en difficulté, ainsi que des aides à la restructuration, en complément de leur activité d'accompagnement politique et financier des dossiers industriels.

La région a élaboré un schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII), approuvé le 2 juin 2017. Il comporte 7 orientations stratégiques (relatives par exemple à l'industrie du futur, à l'économie transfrontalière, à l'attractivité ou à la bioéconomie) déclinées en actions prioritaires et complémentaires. Le SRDEII de la Région Grand Est identifie la sidérurgie comme une filière structurante et d'excellence.

Source : Mme Valérie Létard, Rapporteure

Lors de son audition, le président de la région Hauts-de-France a également évoqué la possibilité de rendre plus flexible le levier fiscal , par exemple dans l'optique de concéder des exonérations d'impôts de production pour encourager l'implantation d'entreprises industrielles. Plus généralement, il a également plaidé pour « davantage de maîtrise économique et budgétaire, pour pouvoir être plus efficace » . 369 ( * )

Enfin, le président Rottner a insisté sur la nécessité de préserver les leviers budgétaires des régions, pour une utilisation au plus proche des besoins de l'industrie locale. En particulier, la centralisation par l'État des fonds européens, ensuite reversés aux régions, a été citée comme facteur de lourdeur administrative et de sous-utilisation des fonds.

b) L'aménagement du territoire

Votre rapporteure note aussi que le rôle des régions en matière d'aménagement du territoire, en particulier concernant les infrastructures de transport, est loin d'être négligeable.

Ainsi que l'a souligné M. Jean Rottner, Président de la région Grand Est, les infrastructures de fret et les plateformes maritimes sont cruciales pour l'approvisionnement de l'industrie sidérurgique en intrants et en produits bruts. Le partenariat entre les collectivités territoriales et les industriels est donc indispensable pour adapter ces réseaux au plus près des besoins réels. ArcelorMittal aurait ainsi pour projet de prendre des participations dans les ports de Moselle, aux côtés de la région, ce qui témoigne de l'ancrage des sidérurgistes dans les bassins industriels locaux.

M. Jackie Couderc, animateur de l'association Metal'Valley, a également insisté sur la préservation de l'infrastructure territoriale . L'association de huit entreprises métallurgiques s'était ainsi constituée en réaction à la menace de suppression d'une liaison ferroviaire à grande vitesse vers la ville de Montbard, nécessaire à leur attractivité et à leur interconnexion économique. À ce titre, il a souligné le rôle des régions, indiquant que : « [La région] est impliquée dans tout ce qui est mobilité [...], et tout passe par elle. » 370 ( * )

D'autre part, la gestion des friches industrielles représente des dossiers difficiles et coûteux pour les collectivités, qu'il s'agisse des intercommunalités ou que celles-ci recourent à des outils d'aménagement tels que les établissements publics fonciers locaux. M. Jean Rottner a souligné que les friches nécessitent une stratégie de requalification sur un horizon temporel long, entre la reconstitution du potentiel foncier et l'élaboration de projets structurants. 371 ( * ) Dans le Valenciennois par exemple, l'ancienne friche industrielle du site de Vallourec sur le territoire de la commune d'Anzin, les Rives de l'Escaut, a été transformée.

Le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) joue ainsi un rôle important dans l'action de la région, dans ses dispositions relatives au numérique, aux transports, aux politiques de l'urbanisme ou de l'habitat.

La requalification de l'ancienne friche des Rives de l'Escaut

L'intercommunalité a acquis cette friche de 26 hectares, avant de réaliser un portage foncier, une dépollution et un aménagement pour un coût total de plus de 11 millions d'euros pour la collectivité.

Un réseau de géothermie, alimenté par un forage existant lié aux anciennes activités de Vallourec a également été mis en place pour plus de 1,2 millions d'euros.

Avec la participation de la chambre de commerce et d'industrie, un « hub numérique » comptant plusieurs écoles, des laboratoires de recherche et développement, et des entreprises s'y est implanté, une opération d'un montant de 38 millions d'euros ; et l'intercommunalité a également construit un centre des congrès d'un coût de 30 millions d'euros.

Enfin, des investissements privés ont accompagné le projet, à travers la construction d'immobilier d'entreprise, de logements étudiants et d'un data center .

La zone est toujours en cours de requalification, mais ce sont déjà plus de 100 millions d'euros qui ont été investis pour redonner une nouvelle vie à cette friche industrielle.

La friche des Rives de l'Escaut (Anzin), avant et après dépollution et aménagement

Source : Mme Valérie Létard, Rapporteure

c) Les compétences

Votre rapporteure souligne que l'enjeu des compétences et du recrutement a été unanimement soulevé par les personnes entendues et rencontrées sur le terrain. Au vu de l'empilement et de la dispersion des compétences en matière de formation et d'apprentissage, un effort concerté est nécessaire pour restaurer l'attractivité des métiers de la sidérurgie, et pour fournir aux industriels la main d'oeuvre qualifiée et compétente dont ils ont besoin.

Par exemple, dans la région Hauts-de-France a indiqué mener, en concertation avec la branche métallurgie, un recensement des besoins de formation et d'emploi dans le bassin industriel, afin d'établir l'offre la plus adaptée possible. M. Jean Rottner a également souligné la nécessité d'agir sur la formation scolaire, en encourageant la découverte des métiers dès le collège, en impliquant donc les départements dans cette réflexion.

En matière de formation et d'apprentissage toutefois, le rôle des régions a été réduit par les récentes réformes, dans le but de mieux adapter l'offre aux besoins des entreprises et des branches professionnelles. Il restera à voir quels en seront les résultats. De même, comme indiqué par M. Xavier Bertrand, « les régions, qui n'interviennent pas dans les collèges, n'ont pas d'accès au contenu de l'enseignement des lycées » . 372 ( * )

d) Pour une approche partenariale des enjeux industriels

Plus généralement, votre rapporteure regrette que l'échelon local ne soit souvent associé à l'action de l'État que de manière périphérique, en tant que financeur, ou a posteriori , pour gérer les conséquences des restructurations industrielles. M. Xavier Bertrand a déploré que : « Malheureusement, en matière industrielle, les régions sont devenues les supplétifs de l'État. [...] Au niveau national, les régions sont bien souvent simplement sollicitées pour faire un chèque, sans être associées aux négociations préalables. Cette situation est honteuse » . 373 ( * ) Il faut plaider pour une approche partenariale, respectueuse des élus locaux, associant tous les acteurs publics qui apportent leurs compétences respectives autour de la table.

Cela inclut également les acteurs de la filière : M. Jean Rottner a insisté sur la nécessité d'associer la région aux discussions prenant place entre l'État et les acteurs de la filière sidérurgique, sous peine d'exclure les acteurs locaux de la définition des priorités de politique industrielle et de priver l'action publique de leviers significatifs. Il a également déploré le manque de moyens financiers et humains nécessaires à l'identification et à la détection des entreprises en difficulté, et l'insuffisance du dialogue entre État et régions, les informations détenues au niveau central n'étant pas assez partagées avec l'échelon local. 374 ( * ) Par exemple, la DGE et la DG Trésor mettent en place un modèle mathématique de détection des situations problématiques appelé « Signaux Faibles », qui n'est pas partagé avec les régions, pourtant les premiers relais d'information sur le terrain.

Proposition n° 29 : Mieux associer les représentants des Régions aux travaux de la filière sidérurgique, via le CSF et en lien direct avec les administrations centrales, dans l'objectif de faciliter les remontées d'information depuis les territoires et de coordonner à tous les échelons la mise en oeuvre des engagements des pouvoirs publics.


* 363 Audition du 6 juin 2019 par la mission d'information.

* 364 Audition du 5 juin 2019 par la mission d'information.

* 365 Audition du 5 juin 2019 par la mission d'information.

* 366 Audition du 6 juin 2019 par la mission d'information.

* 367 Audition du 4 juin 2019 par la mission d'information.

* 368 Contribution écrite.

* 369 Audition du 5 juin 2019 par la mission d'information.

* 370 Audition du 19 juin 2019 par la mission d'information.

* 371 Audition du 6 juin 2019 par la mission d'information.

* 372 Audition du 5 juin 2019 par la mission d'information.

* 373 Ibid.

* 374 Contribution écrite.

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