P. AUDITIONS DE DIRIGEANTS D'ENTREPRISES SIDÉRURGIQUES DE LA « METAL'VALLEY » À MONTBARD (SERA PUBLIÉ ULTÉRIEUREMENT) (19 JUIN 2019)

Mme Valérie Létard , présidente . - Merci d'avoir bien voulu répondre à notre invitation. Nous devions nous rendre le lundi 17 juin à Montbard. Pour des raisons diverses, nous n'avons pu effectuer ce déplacement, ce qui nous vaut de nous retrouver ici aujourd'hui.

Il nous semblait en effet important de faire écho à la demande d'Anne-Catherine Loisier, qui nous a rappelé combien il pouvait être utile, dans le cadre d'une mission d'information sur l'avenir de la sidérurgie, de s'intéresser au département de la Côte d'Or, étant donné la place qu'y occupe la sidérurgie. Ce département est en effet le deuxième de France en matière de fabrication de tubes en acier, avec des filiales de grands groupes comme Vallourec Umbilicals, installé à Venarey-Lès-Laumes depuis 2011, spécialisé dans les tubes ombilicaux, ou Salzgitter Mannesmann à Montbard, l'un des quatre principaux fabricants mondiaux de tubes sans soudure en acier inoxydable.

En 2008, huit entreprises de la métallurgie de ces deux sites, représentant 1 500 emplois et 500 millions de chiffre d'affaires cumulé, se sont regroupées sous le nom de Metal'Valley, afin de contribuer à renforcer l'attractivité du territoire et promouvoir les métiers de la métallurgie et la formation professionnelle. M. Jackie Couderc, de Valinox Nucléaire, en est l'animateur. Depuis cette date, 180 millions d'euros ont été investis et 600 embauches ont été réalisées. Vous nous préciserez quelle a été l'aide publique de l'État ou de la région dans ces investissements qui ont revitalisé ce territoire.

Je précise que Valinox Nucléaire, filiale de Vallourec, est leader mondial en tubes pour générateur de vapeur. Depuis 1974, l'usine de Montbard concentre toute l'expertise en mécanique nucléaire. Elle produit des tubes de générateur de vapeur et divers produits tubulaires à usage nucléaire en acier inoxydable et alliage de nickel.

Nous entendrons également M. André Calisti, directeur général adjoint de Mutares France, groupe allemand qui vient de reprendre une tréfilerie à Commercy et une à Sainte-Colombe-sur-Seine au groupe ArcelorMittal, sans perte d'emplois. Il nous précisera les raisons de cet investissement et le projet industriel qui est visé.

Notre mission d'information souhaite obtenir des éléments sur des sujets aussi divers que les enjeux liés au carbone ou la concurrence mondiale. Quelle place la question de l'énergie occupe-t-elle dans votre réflexion ? La visibilité sur ces questions vous paraît-elle suffisante ?

Des éléments sur la question des ressources humaines, de l'emploi et de la formation ainsi que du recrutement peuvent nous être également utiles. Plus globalement, quelles sont vos perspectives d'activités dans les années qui viennent ? Où vous situez-vous et comment voyez-vous l'avenir de vos entreprises ?

Vous avez la parole.

M. André Calisti, directeur général adjoint de Mutares France . - M. François Martin, président de TrefilUnion, s'il n'est pas présent aujourd'hui, est cependant très investi, et j'ai la lourde tâche de le représenter.

Permettez-moi de structurer mon propos en cinq à six points, d'abord pour rappeler la nature de notre acquisition, vous dire ensuite quelques mots sur l'accord avec ArcelorMittal, signé sous le sceau de la confidentialité et à propos duquel je pourrais cependant vous indiquer quelques éléments. Je vous dirai également deux mots de nos produits et vous communiquerai quelques chiffres.

Nous avons acquis cette entreprise le 3 juin. C'est pourquoi j'insisterai sur la situation que nous devons aujourd'hui saisir à bras le corps. Notre visibilité est aujourd'hui limitée, car nous ne possédons pas toutes les réponses du fait de la date récente de notre acquisition.

TrefilUnion est une tréfilerie qui travaille le haut et le bas carbone. Le site de Commercy, qui constitue notre base d'action, et celui de Sainte-Colombe, sont distants de 200 kilomètres. Le management effectue donc des déplacements réguliers pour se rendre d'un lieu à l'autre.

Commercy compte un effectif de 60 personnes. Celui de Sainte-Colombe, qui est à peu près le même, fait appel aux intérimaires. Vous le savez, c'est en effet un ressource que les entreprises ne se privent pas d'utiliser.

Nous avons signé un accord signé avec ArcelorMittal le 3 juin, avec un avis unanime des élus. Pour votre information, un expert désigné par les élus syndicaux nous a accompagnés. Il a été attentif à notre présentation de fond, qui insistait sur le fait que la seule alternative était Mutares. Il y a quelques années encore, on trouvait 1 000 personnes à Commercy. Aujourd'hui, 90 % du personnel a été licencié et est parti vers d'autres activités.

Une quinzaine de présentations a été faite aux élus syndicaux - comités d'entreprise, comité central, etc. Aujourd'hui, cette entreprise est dirigée par François Martin, président de l'entreprise. Il gère, outre TrefilUnion, deux entreprises de la région lilloise, l'EUPEC, qui intervient dans le domaine du pétrole, et La Meusienne, qui produit des tubes.

Nous déplorons des pertes assez importantes, que je ne détaillerai cependant pas ici. À Commercy, notre chiffre d'affaires s'établit à environ 20 millions d'euros, et à 23 millions d'euros environ à Sainte-Colombe.

Nous travaillons à Commercy avec l'automobile, l'alimentaire - muselets pour les bouteilles de Champagne -, l'agriculture - agrafes pour les cageots -, ou le packaging. Un certain nombre de clients nous suivent depuis plusieurs années, comme Michelin ou Bic.

À Sainte-Colombe, nous travaillons dans le nucléaire. Nous proposons des torons qui servent par exemples à l'édification de stades ou dans le ferroviaire pour fixer les rails. Dans ce secteur, les principaux clients qui nous suivent sont Rector ou Freycinet.

TrefilUnion devait être acquise par Altifor début 2019. Quelques semaines avant l'accord, les négociations se sont arrêtées pour des raisons qui ne nous regardent pas. Le fait que les élus syndicaux et les édiles, notamment le maire de Commercy, ne sachent plus qui allait présider aux destinées de cette entreprise a créé frustrations et tensions. Par ailleurs, les deux établissements subissent des pertes importantes, celui de Commercy davantage que celui de Sainte-Colombe.

L'enjeu est de remonter une équipe. Le métier de Mutares est de reprendre des entreprises qui ont un chiffre d'affaires compris entre 10 millions d'euros et 190 millions d'euros. L'objectif est de retourner l'entreprise avec l'aide d'une équipe interne qui a un certain nombre d'années de maison et de les renforcer au travers de recrutements ad hoc , comme celui du directeur général.

70 % des postes clés qui vont servir au retournement de TrefilUnion ont été pourvus quatre semaines après l'arrivée de Mutares.

La sécurisation de nos clients constitue un point important. En effet, certaines légendes urbaines circulent sur les holdings et les fonds d'investissement. Notre travail consiste donc à les démonter. La rentabilité est également un élément essentiel. Il n'existe en effet pas de projet industriel sans rentabilité. Nous avons aujourd'hui un calendrier extrêmement précis. Nous nous sommes engagés auprès des élus à présenter un premier bilan au bout de 100 jours. J'ai proposé aux maires de Commercy et de Sainte-Colombe de venir leur expliquer en toute transparence ce que nous aurons fait au terme de cette période. Nous nous sommes ensuite donnés 24 mois pour redresser l'entreprise et afficher un équilibre à Commercy, ainsi qu'une rentabilité significative à Sainte-Colombe.

Nous avons réalisé cette acquisition sans envisager de restructuration. Il s'agit d'un enjeu fort sur le plan industriel et sur le plan humain, mais aussi en termes économiques en matière de rétention de nos clients et de stratégie d'acquisition, l'objectif principal étant d'augmenter durablement le carnet de commandes.

Ces éléments ont été présentés au personnel, aux élus syndicaux et aux édiles de Sainte-Colombe et de Commercy. Mutares compte aujourd'hui 4 780 collaborateurs, dont 1 600 Français. 76 % sont européens. Le projet industriel de Mutares est donc de facto un projet industriel européen.

Mme Valérie Létard , présidente. - La parole est à M. Couderc.

M. Jackie Couderc, président de Metal'Valley. - L'association Metal'Valley a été créée il y a environ huit ans et regroupe huit sociétés. Son objectif est essentiellement de développer l'attractivité du territoire.

L'association s'est montée en réponse à la menace de disparition de l'arrêt du TGV en gare de Montbard. Plusieurs chefs d'entreprise se sont regroupés pour s'y opposer. Cette disparition n'est aujourd'hui plus d'actualité, ce qui est une bonne chose, la SNCF enregistrant une progression des chiffres de fréquentation.

On retrouve parmi ces huit sociétés l'entreprise Salzgitter Mannesmann Stainless Tubes (SMST), qui emploie environ 300 personnes, fabrique des tubes inox à partir d'un tréfilage à chaud à destination du marché pétrolier et également nucléaire ; Vallourec Bearing Tubes, qui compte 250 salariés, réalise des tubes destinés à des pièces automobiles ; Valinox Nucléaire, du groupe Vallourec, qui fabrique exclusivement des tubes pour le nucléaire, notamment pour les générateurs de vapeur, ainsi que quelques échangeurs annexes, avec 300 salariés ; la société Néotis, basée à Venarey-Lès-Laumes, qui réalise des échangeurs en inox et des tubes fabriqués à partir de tôles roulées-soudées et emploie environ 150 personnes ; Vallourec Umbilicals, société du groupe Vallourec, qui compte environ une cinquantaine de personnes fabriquant des tubes ombilicaux pour les plateformes pétrolières destinés à piloter les électrovannes qui se trouvent au fond de la mer. Un projet d'investissement envisage de tripler la production, ce qui amènera l'entreprise à employer une centaine de personnes. On compte également la société Métal Déployé, qui fabrique pour sa part des caillebotis en tôle torsadée, s'est orientée vers la construction des nouveaux bâtiments, auxquels elle fournit des pare-soleils, avec une cinquantaine d'employés ; Métal Déployé Résistor qui fabrique des résistances pour les motrices de TGV avec environ 150 personnes ; enfin, la société Cablofil, qui appartient au groupe Legrand réalise des supports de câbles pour le bâtiment. On y retrouve une centaines de personnes.

Globalement, l'ensemble représente près de 1 500 emplois sur le bassin, pour environ 500 millions d'euros de chiffre d'affaires.

La principale activité de l''association est de développer l'attractivité du territoire. Nous sommes en effet dans un milieu rural problématique pour trouver les qualifications adaptées à nos besoins. C'est la raison pour laquelle nous nous battons pour conserver la gare TGV, qui nous permet de faire venir des personnes de Paris ou de Dijon.

Mme Valérie Létard , présidente. - Les salariés viennent-ils de loin ?

M. Jackie Couderc. - Un certain nombre d'entre eux viennent de Dijon.

Mme Valérie Létard , présidente. - À combien s'élève le temps de trajet moyen ?

M. Jackie Couderc. - En train, il faut compter 35 minutes pour rejoindre Dijon, contre une heure en voiture. Nous comptons peu de Parisiens. La liaison ferroviaire avec Paris prend environ une heure. Il est important pour nous d'attirer du personnel et de le conserver.

Mme Valérie Létard , présidente. - C'est aussi une question de qualité de vie.

M. André Calisti. - Il est vrai qu'il existe des problèmes de recrutement. Il est aujourd'hui assez difficile de trouver une infrastructure hôtelière décente. Certains établissements ne sont plus aux normes, et leur standing remonte aux années 1970 ! On voit bien que le temps s'y est arrêté. Pour les managers et les cadres de Paris ou de Dijon, c'est un vrai souci. On a tendance à penser que les provinciaux mettent seulement 5 minutes en voiture pour aller travailler. C'est une considération très parisianiste. Beaucoup de salariés effectuent entre 45 minutes et une heure 15 de trajet sur de petites routes. Il ne faut donc pas sous-estimer le rôle des infrastructures.

M. Jackie Couderc. - Le rôle de l'association est d'étudier la meilleure façon d'attirer les salariés, qu'il s'agisse de l'arrêt TGV ou du développement de la formation. Nous développons, en partenariat avec le lycée technique de Montbard, une filière complémentaire de contrôle non destructif (CND), dans laquelle nous avons beaucoup investi. Plus de 50 % du budget de notre association est consacré à ce projet. Cela fait trois ans que nous investissons dans ce domaine. Nous devrions aboutir. Il s'agit d'un projet en lien avec Territoires d'industrie, que nous portons avec la commune et la communauté de communes, un peu moins avec la région, ce qu'on peut regretter. Il s'agit pourtant d'une filière d'avenir, assez unique en France. Un seul établissement est pour l'instant capable de dispenser cette formation certifiée COFREND, qui permet aux personnes qui la détiennent de travailler n'importe où. C'est pourquoi nous souhaitons que ce lycée obtienne cette certification.

Nous travaillons également sur la mobilité à travers deux actions. Nous avons financé une voiture école que nous avons offerte à une association d'accompagnement de personnes en difficulté qui n'ont pas accès au permis en milieu rural, afin de leur permettre de trouver un emploi.

En outre, dans le cadre de la transition énergétique, nos huit sociétés essayent de créer une plateforme de covoiturage, beaucoup de gens habitant le même village et travaillant au même endroit. La région s'y implique pour le coup énormément.

Quelques métiers demeurent néanmoins sous tension, comme les métiers de maintenance ou d'usineur. Ce n'est pas nouveau, et nous essayons de travailler avec le GRETA et les syndicats de la métallurgie pour mettre en place des formations et attirer les jeunes. Il faut en quelque sorte essayer de « redorer le blason » des métiers de la métallurgie.

Par ailleurs, en matière de taxes, la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN) va plus que doubler dans les années à venir. Or nous sommes de gros consommateurs de gaz ou d'électricité. Ceci risque de mettre en cause notre compétitivité, sans parler de la concurrence déloyale que nous livrent les autres continents. C'est notre problématique du moment, qu'il s'agisse du pétrole ou du nucléaire.

Mme Valérie Létard , présidente. - À quelle hauteur le coût de l'énergie impacte-t-il votre secteur d'activité ?

M. André Calisti. - Les matières premières, l'énergie et les frais de personnel constituent un enjeu capital. C'est pour les directeurs généraux un sujet majeur. L'instabilité des prix et notre faible capacité de négociations vis-à-vis des prestataires peuvent hypothéquer durablement notre compétitivité.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Monsieur Calisti, d'une manière générale qu'est-ce qui a motivé votre investissement ?

Monsieur Couderc, il est intéressant de souligner la dynamique de cette association composée d'entreprises, qui a permis une appropriation du territoire et des problématiques périphériques à l'entreprise, essentiels en termes de recrutement et de mobilité.

Au-delà, avez-vous des débats entre entreprises sur la vision d'avenir que portent vos secteurs d'activité dans ce contexte rural, plus difficile que les autres ? Comment vous projetez-vous par rapport aux marchés futurs et aux problématiques plus globales du secteur de la métallurgie, ainsi qu'en termes d'investissement et d'emplois ?

M. André Calisti. - Les difficultés industrielles sont inhérentes au métier de Mutares. Pourquoi cet investissement ? La dominante des entreprises que Mutares a acquises est industrielle. L'industrie parle à l'industrie et va vers l'industrie. Mutares est composée de personnes qui ont une polarité industrielle très forte : c'est l'industrie qui les intéresse.

En outre, ces entreprises sont complémentaires. Le métier de Mutares est d'acheter une entreprise, puis parfois une seconde, qui va devenir complémentaire de la première. Par ailleurs, après l'acquisition de TrefilUnion, on peut mettre à la disposition d'autres entreprises, en Italie, en Allemagne, en Slovénie, le savoir-faire ou les produits de TrefilUnion pour renforcer la dynamique industrielle.

L'investissement et la modernisation vont souvent ensemble. Mutares n'a pas de dogme en matière d'investissement. Nous sommes pragmatiques et essayons de savoir si l'investissement va véritablement apporter quelque chose. Si c'est le cas, Mutares ira dans ce sens, mais il n'existe pas de philosophie définitive à ce sujet.

Nous nous soucions en permanence des relations avec les élus et de l'emploi. Bien évidemment Mutares veille aussi à sa réputation : il n'est jamais bon d'être associé à des plans de restructurations ou des fermetures d'usines. Je ne dis pas que ce n'est jamais arrivé - et peut-être cela arriva-t-il encore -, mais en France, nous respectons les consultations, les explications, les procédures et le code du travail. L'engagement de TrefilUnion est d'atteindre la rentabilité sans que les employés et les équipes en payent l'addition.

M. Jackie Couderc. - Il m'est assez difficile pour moi de vous répondre en matière d'avenir et d'investissement, chaque société faisant ce qu'elle veut chez elle. L'association n'a pas pour but de s'immiscer dans leur gestion. Certaines sociétés sont en train de se développer, comme Vallourec Umbilicals. Pour les autres, il s'agit d'entretenir les moyens de production. Je n'ai pas eu vent de projet particulier d'investissement important à venir. Dans le nucléaire, la question est plutôt de savoir comment adapter l'outil au marché. C'est une problématique depuis Fukushima : comment adapter la filière afin qu'elles soient forte et compétitive demain ?

Pour ce qui est des effectifs, on assiste à u phénomène de vases communicants : quand l'un va moins bien, l'autre va parfois mieux. On dispose d'un volant d'intérimaires qui passent d'une société à une autre - même si ce volant a plutôt diminué aujourd'hui. Quelques intérimaires sont également recrutés en CDI. Ces personnes peuvent intervenir dans différentes entités, où elles ont été formées, et sont supportées par les sociétés d'intérim. Il s'agit d'opérations à la marge, mais cela se développe. L'effectif est plutôt stable sur l'ensemble des sociétés.

Mme Angèle Préville . - Quelles sont vos difficultés sur le marché par rapport à la concurrence étrangère ? La ressentez-vous fortement ?

Les métaux s'avérant plus vertueux que d'autres matériaux : pensez-vous que de nouveaux objets domestiques pourraient être réalisés en métal ? On va en effet connaître un gros problème avec le plastique, alors qu'on peut recycler les métaux à l'infini. Or quand on fait de la tréfilerie, on peut être concerné par la fabrication d'objets plus petits...

M. André Calisti. - J'ai en permanence sur moi un carnet où je reporte le coût des métaux. Certes, la concurrence mondiale est importante, mais elle l'est tout autant au niveau national. Je ne puis vous apporter de réponse au sujet des développements que vous évoquez, mais je note votre suggestion de recherche et développement.

Mme Angèle Préville . - Les gourdes en inox vont par exemple beaucoup se développer, car elle reste un matériau excellent pour ce genre d'utilisation.

M. Jackie Couderc. - S'agissant de la concurrence étrangère, le marché nucléaire est à 50 % chinois. Or pour avoir accès au marché en Chine, il faut être Chinois, sans quoi on n'est même pas consulté ! Nous avons une usine en Chine : malgré cela, nous ne sommes pas considérés comme Chinois. On ne le ressentait pas jusqu'à présent, mais la situation se durcit.

Mme Valérie Létard , présidente. - Quelle forme cela prend-il ?

M. Jackie Couderc. - Ils agissent par le biais des qualifications. En outre, les concurrents locaux font souvent partie du comité de qualification. Il faut le prendre en compte : tout le monde entre chez nous, mais on ne peut aller partout !

Mme Valérie Létard , présidente. - Ce sont des questions que l'on aborde régulièrement avec nos interlocueurs - mesures anti-dumping, taxe carbone aux frontières, visibilité du coût de l'énergie, difficultés de la filière aluminium, impacter des prochains budgets sur l'évolution du prix de l'électricité. Êtes-vous associés à la réflexion sur les contrats stratégiques de filière et sur ce qui est piloté par le Conseil national de l'industrie ? Avez-vous le moyen de faire remonter vos difficultés ?

M. André Calisti. - Nous avons été sollicités pour l'opération Territoires d'industrie, à l'initiative du Premier ministre. Nous allons y participer.

Concernant les contrats de filière, nous ne sommes pas consultés ou n'avons pas été identifiés.

J'ajoute que le fait de conserver le personnel, fidéliser nos clients, en acquérir d'autres, suppose que l'on fasse dès que possible entendre notre voix, reconnaître notre marque, et établir notre réputation industrielle.

J'insiste sur le fait que notre objectif, tout comme celui des salariés, est de saturer le carnet de commandes. On préfère avoir des problèmes de riches que des problèmes de pauvres. Un carnet rempli règle une partie des problèmes.

Nous sommes donc totalement disponibles pour faire remonter les problèmes et faire redescendre des contacts commerciaux qui permettraient de maintenir cette activité de tréfilerie.

M. Jackie Couderc. - Il existe un syndicat du tube, le SIFTA, par lequel nous faisons remonter ces éléments.

M. Jean-Pierre Vial . - En tant que société de retournement, combien de temps conserver-vous une entreprise ?

Par ailleurs, la démarche de votre association, monsieur Couderc, est extrêmement sympathique pour nous, élus. J'ai personnellement été émerveillé par l'expérience des pôles de compétitivité et de voir des industriels se mettre à travailler ensemble, découvrir leurs complémentarités, alors qu'ils les ignorent très souvent.

Vous avez par ailleurs beaucoup parlé d'emplois et de formation. Êtes-vous allés jusqu'à créer des coopératives d'emplois partagés, notamment dans le cadre des plans régionaux ?

Mme Valérie Létard , présidente. - J'ai compris que, concernant Territoires d'industrie, il s'agissait d'une contractualisation entre une collectivité locale ou intercommunale, les acteurs économiques du territoire et l'État, et non forcément immédiatement avec les régions. Vous avez dit tout à l'heure que la région n'était pas forcément partie prenante. Pouvez-vous préciser ?

M. Jackie Couderc. - J'ai dit que je regrettais que la région ne soit pas plus impliquée dans un dossier ponctuel, celui du lycée. Elle est toutefois impliquée dans tout ce qui est mobilité ou Territoires d'industrie, et tout passe par elle.

Mme Anne-Catherine Loisier . - La prise de conscience quant à la nécessité de soutenir les entreprises est peut-être insuffisante. La délégation aux entreprises a effectué il y a quelques mois une visite dans le lycée que vous évoquez. Le proviseur est quelqu'un hors du commun, qui a su répondre aux besoins des industries et organiser tous ces schémas. Il s'agit de formations très adaptées et très ciblées. Cela donne aux jeunes une image de modernité et d'innovation du bassin d'emplois et jette un éclairage positif sur cette filière et sur ses métiers. Les organismes de formation sont des maillons essentiels dans ce domaine.

M. Jackie Couderc. - Malheureusement, ce proviseur s'en va ! On a rencontré son successeur. J'espère qu'il va poursuivre en ce sens. Le dialogue entre les entreprises et le lycée a aussi contribué à sauver l'établissement.

J'aurais dû aujourd'hui faire partie d'une délégation qui reçoit les représentants de Framatome, venus se faire une idée de la filière. Cela constitue pour la région un attrait important. Les industriels qui s'intéressent à cette formation viennent de très loin.

S'agissant des questions de M. Vial, les huit sociétés se sont mises d'accord avec les sociétés d'intérim pour créer des CDI intérimaires (CDII). C'est la société d'intérim qui embauche des intérimaires en CDI afin que ceux-ci passent d'une entreprise à l'autre.

M. Jean-Pierre Vial . - Combien de personnes cela représente-t-il ?

M. Jackie Couderc. - Aujourd'hui, on en compte une dizaine. Ce n'est pas toujours facile qu'ils acceptent de passer du statut d'intérimaires à celui de CDI.

M. Jean-Pierre Vial . - C'est très original ! C'est la société d'intérim qui devient donc employeur...

M. Jackie Couderc. - C'est cela. Nous nous engageons à les employer pendant deux ans. On ne peut pas s'engager au-delà.

M. Bernard Buis . - Sur quel périmètre ces entreprises tournent-elles ?

M. Jackie Couderc. - Elles interviennent dans un rayon de 20 à 30 kilomètres. On est en train de faire quelque chose du même ordre sur Dijon avec le syndicat de la métallurgie.

Mme Valérie Létard , présidente. - Comment cela fonctionne-t-il ?

M. Jackie Couderc. - De la même façon. C'est le syndicat qui est employeur.

Mme Valérie Létard , présidente. - Pourriez-vous nous communiquer des éléments à ce sujet ?

M. Jackie Couderc. - Bien sûr. Ils l'ont également fait pour des usineurs et des chaudronniers, ainsi qu'en matière de sécurité. Il faut adhérer au système.

M. André Calisti. - Nous sommes bien une société de retournement. Pendant combien de temps conservons-nous ces entreprises ? Il n'y a pas de religion en la matière. Il nous arrive d'en conserver certaines trois ans, quatre ans, cinq ans. Notre métier consiste également à revendre les entreprises. L'objectif est d'être capable de retourner cette entreprise et de la rendre profitable.

Par exemple, Cenpa, papetier de Schweighouse, à côté de Strasbourg, a un résultat 2018 de 3,7 millions d'euros. Quand on a acquis cette société, elle était proche de la fermeture. On n'a pas toujours des destins aussi glorieux, mais nous n'avons pas de religion en matière. Je le disais : nous sommes cotés en bourse, nous avons une réputation, nous connaissons M. Floris. On ne se permet pas n'importe quoi. On essaye de mener ces entreprises vers un retournement. Plus nous en ferons de manière positive, plus nous serons sollicités. C'est un cercle vertueux qu'on essaye de maintenir.

Mme Valérie Létard , présidente. - Y a-t-il un accompagnement de l'action publique, des services de l'État, tant financier que technique, pour organiser ces reprises ?

M. André Calisti. - Non, nous n'avons pas eu d'accompagnement public. Nous avons suscité a contrario une marque d'intérêt très forte chez les élus locaux et les sénateurs.

Mme Valérie Létard , présidente. - Avez-vous obtenu des soutiens financiers des collectivités ?

M. André Calisti. - Non, ce qui ne veut pas dire que nous les demanderons pas, mais nous ne voulons pas en faire un préalable, même si une partie de l'activité peut bien sûr être accompagnée, en matière de formation, par exemple. Cela peut en tout état de cause constituer une action postérieure.

M. Martial Bourquin . - L'achat de l'entreprise se fait-il en fonction d'un projet industriel ou en fonction du retournement ?

M. André Calisti. - Mutares compte deux équipes, l'une qui se charge de la fusion-acquisition, et une autre qui s'occupe du retournement. C'est la fusion-acquisition qui détermine si le projet industriel, l'absence de dettes, l'orfèvrerie que l'on peut trouver dans ces métiers permettent d'accompagner un projet. Le retournement est toujours incertain.

M. Martial Bourquin . - Étudiez-vous les zones de non-productivité ?

M. André Calisti. - Bien sûr, cela fait partie du retournement. Entre le moment où vous considérez les choses comme possibles, plausibles, viables, et celui où vous entrez dans l'entreprise pour rencontrer les chefs d'équipe, les employés, que vous voyez les machines tourner, il arrive qu'il y ait un hiatus qu'on ne peut voir en consultant simplement un tableau Excel. On ne peut se rendre compte de la réalité d'une entreprise que sur le terrain.

M. Martial Bourquin . - Lorsque vous revendez cette entreprise, avez-vous la volonté de chercher une filière ou la vendez-vous au plus offrant ?

M. André Calisti. - C'est un peu connoté...

M. Martial Bourquin . - Il y a des fonds de pension qui viennent « essorer » les entreprises et qui partent avec le meilleur !

M. André Calisti. - Nous ne sommes ni un fonds d'investissement ni un fonds de pension. Les mots ont une importance. Nous sommes une holding industrielle. Par ailleurs, le projet industriel n'est pas celui que vous décrivez. Je sais toutefois que vous avez raison, parce que ces opérateurs existent. Mais pour notre part, nous n'« essorons » pas les entreprises pour disparaître ensuite. Je ne juge pas mes concurrents, mais ce n'est pas notre pratique. Cela ne l'a jamais été.

M. Martial Bourquin . - Il y a des choses intéressantes dans ce que vous faites.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Un industriel peut voir un intérêt à investir dans un secteur en difficulté. Qu'est-ce qui a motivé cet investissement ? Où sont les potentiels de ces entreprises ? Comment de telles entreprises, situées dans des secteurs ruraux, avec des outils anciens, ont-elles attiré votre attention ? Sur quoi repose votre ambition ?

M. André Calisti. - Je l'ai dit : nous essayons d'être cohérents avec les acquisitions que nous avons pu réaliser par le passé et les entreprises dont nous avons actuellement la gestion. Le deuxième élément important, c'est le caractère d'orfèvrerie que l'on retrouve dans ces sociétés. C'est pour nous un élément majeur. Enfin, bien souvent, ces entreprises, malgré leurs caractéristiques, malgré leurs techniques, leurs expériences, un peu comme les territoires qui les hébergent, ont été abandonnées. Il n'est pas contradictoire d'acheter des sociétés qui ont commencé à péricliter alors qu'elles comptent en leur sein des personnes qui ont un savoir-faire exceptionnel, à la fois qualitatif et quantitatif.

François Mitterrand disait : « Le plus mauvais des professionnels de la politique sera toujours meilleur que le meilleur des amateurs ». C'est un peu la même chose dans l'économie : quand vous avez 35 ans d'entreprise, vous « connaissez la musique ». Cependant, sans management, si on ne regarde pas les coûts, si on ne renégocie pas les contrats, si on ne met pas les choses sous pression, on continue comme par le passé, selon des modalités négatives.

Mme Valérie Létard , présidente. - Il s'agit en fait d'allier savoir-faire et modernisation du management. Merci. Les conclusions de notre rapport devraient être examinées le 9 juillet prochain. Vous en serez également les destinataires.

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