B. DONNER À CHAQUE ACTEUR SA PLACE AU SEIN DU NOUVEL ÉCOSYSTÈME D'INNOVATION DE DÉFENSE

La réforme mise en oeuvre pour soutenir l'innovation de défense ne pourra fonctionner que si tous les acteurs trouvent leur place au sein de l'écosystème, et notamment les militaires.

1. Les militaires au sein de l'innovation : des usagers innovateurs

Rattachée à la direction générale de l'armement (DGA), la mission pour l'innovation participative (MIP), créée en 1988, visait à soutenir les personnels de la défense (militaires en activité ou réservistes, et civils) et de la gendarmerie nationale qui développaient des projets d'innovation au service des forces et des organismes de la défense. L'innovation participative va de l'émission d'idées de la part du personnel du ministère, à leur validation par la réalisation de prototypes ou de démonstrateurs, puis à la diffusion et au déploiement opérationnel des innovations. Celles-ci peuvent concerner tant l'amélioration organisationnelle quotidienne des armées que le renforcement des capacités opérationnelles de la défense. Il peut s'agir de concevoir de nouveaux matériels adaptés à l'évolution des besoins, d'accroître les capacités des matériels existants, de perfectionner les méthodes de fonctionnement y compris administratives ou encore de mieux prendre en compte les grands enjeux tels que le développement durable, la sécurité, les conditions de travail, etc.

La MIP est désormais rattachée à AID et opérée par la cellule innovation participative (CIP) qui soutient 60 projets par an. Depuis sa création l'innovation participative a concerné 1600 projets. Vos rapporteurs, convaincus que le management de la technologie doit laisser place à un management de l'innovation centré sur les usagers , plus agile et plus réactif, estiment indispensable d'associer les usagers le plus en amont possible des processus d'innovation. Il faut pour cela casser les silos qui correspondent à une structure hiérarchique, une fonction, et un corps et partir de l'usager. Ainsi, le Nato Hub 56 ( * ) ou carrefour d'innovation de l'OTAN regroupe trois collectivités : tout d'abord les utilisateurs finaux, en l'occurrence, L'OTAN, les nations militaires et leurs partenaires opérationnels, qui expriment leurs besoins opérationnels, puis viennent les fournisseurs, experts du monde universitaire, de l'industrie, de la science et de la technologie qui apportent leurs solutions au processus de conception des capacités et enfin les concepteurs de capacité, c'est-à-dire le personnel de l'OTAN et des pays chargés de traduire les contributions des fournisseurs en solutions répondant aux besoins des utilisateurs finaux. Cette façon de concevoir l'innovation en partant de l'usager encore assez étrangère aux habitudes françaises alors qu'elles ont cours depuis longtemps à l'OTAN comme dans l'Union européenne. En effet, le FED vise un tel fonctionnement.

La communication efficace de l'AID sur ses différentes missions laisse peu de place à la promotion de l'innovation participative. Il conviendra de veiller à ce que cet outil souple et efficace ne disparaisse pas au profit des grandes opérations d'innovation telles que le forum pour l'innovation de novembre 2018. Il s'agit sans doute d'un effet de transition, à surveiller toutefois. En effet, ces innovations participatives permettent d'une part d'accélérer la boucle courte entre l'innovation et retour sur expérience des opérations et d'autre part d'entendre les usagers . Lorsqu'une innovation participative aboutit il conviendra d'ailleurs de veiller à ce que l'achat et la mise à disposition des forces puissent être rapides.

Dans ce contexte, vos rapporteurs estiment nécessaire de :

- former les militaires aux défis des technologies et des nouveaux services. La participation régulière de militaire aux sessions de l'Institut des Hautes Études pour l'innovation et l'entrepreneuriat (IHEIE) doit être encouragée. Il conviendrait de fixer des objectifs de formation sur 5 ans en pourcentage des effectifs, tout en tenant compte des impératifs opérationnels,

- libérer 20% du temps des officiers -notamment dans les corps d'ingénierie- pour leur permettre de proposer et développer des projets innovants, en lien avec les incubateurs et accélérateurs des corps ou partenaires. Il est important de leur donner accès aux centres d'excellence des armées, comme ce sera le cas du centre d'excellence des drones de Salon de Provence,

- donner plus de visibilité à l'innovation au sein des armées et des instituts interarmées. Sur ce point il serait intéressant de s'inspirer d'autres pays qui partagent à la télévision et sur les réseaux sociaux des innovations mises au point par leurs corps d'armées ce qui renforce d'ailleurs l'attractivité de ces carrières.

2. L'enseignement supérieur et la recherche : un acteur enrichissant de l'écosystème d'innovation de défense

Aux termes de leurs auditions, vos rapporteurs sont convaincus de la nécessité de soutenir une porosité accrue entre le monde de la D&S et la société civile, impliquant notamment de démultiplier les contrats de recherche thématique avec les universités et les instituts nationaux civils (type INRIA) sur des cycles court à moyen termes (2-5 ans), et de favoriser le recours aux contractuels pour améliorer la porosité entre talents civils et talents militaires.

La convention signée entre la DRM 57 ( * ) et le CNRS, en mai 2018, est le signe de cette ouverture à des collaborations fructueuses entre les mondes universitaire et militaire. Le ministère des armées pourrait favoriser le dynamisme de sa recherche en décloisonnant ses lab. et autres centres de recherche. La mixité que permettrait l'emploi d'universitaires, acculturés aux enjeux de défense, serait globalement favorable à la R&D en France, civile, duale et militaire.

L'innovation de défense ne fonctionne pas en vase clos. Elle doit être ouverte sur l'extérieur . Pour preuve, on peut citer quelques exemples d'innovations de défense portées par des structures à vocation civile telles que les IRT ou les instituts Carnot.

Les Instituts de recherche technologique (IRT) contribuent en effet au développement de technologies duales. Des thématiques, telles que l'intelligence artificielle, la simulation, la réalité augmentée, la sureté de fonctionnement, les systèmes collaboratifs ou la cyber sécurité, sont propices aux développements de briques technologiques pour des applications civiles et militaires. Par exemple, l'IRT SystemX, basé sur le plateau de Saclay, travaille avec Naval Group sur la sécurisation des infrastructures portuaires dans un cadre dual qui pourra s'appliquer à des cas d'usage orientés Défense.

De même, créé en 2006, le label Carnot a vocation à développer la recherche partenariale, c'est-à-dire la conduite de travaux de recherche menés par des laboratoires publics en partenariat avec des acteurs socio-économiques, principalement des entreprises (de la PME aux grands groupes), en réponse à leurs besoins. La participation des instituts Carnot à l'innovation de défense ne doit pas être négligée.

Enfin, vos rapporteurs se sont rendus à l'école de l'air (EA) à Salon de Provence. Le statut dont s'est doté le 1 er janvier 2019 l'école de l'armée de l'air, devenue établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP) de type grand établissement, est une illustration très intéressante de la capacité des armées d'innover pour se mettre en synergie avec les acteurs universitaires.

Vos rapporteurs recommandent :

- de soutenir une porosité accrue entre le monde de la D&S et la société civile, sur le modèle par exemple de la convention signée entre la DRM et le CNRS,

- de favoriser les échanges entre les armées et les acteurs académiques et les entrepreneurs afin leur permettre de travailler ensemble sur des projets en cours de développement. C'est un excellent moyen pour nos armées de « faire savoir » et « faire faire ». Il conviendrait de mettre au point d'un cadre d'accueil standardisé au sein des armées des personnalités extérieures de l'écosystème de l'innovation,

- de veiller à mutualiser chaque fois que c'est possible les compétences afin de maximiser les effets des actions d'innovation. Dans le domaine des drones notamment, si la doctrine d'emploi doit rester propre à chaque armée, la mise en place d'un tronc commun de recherche et d'innovation permettrait de décupler l'efficacité des innovations et d'éviter les doublons et les redondances.


* 56 Le centre d'innovation est un lieu où des experts collaborent et conçoivent des solutions répondant aux défis de l'OTAN. En réunissant des personnes ayant des antécédents ou des perspectives différentes, ce carrefour d'innovation permet de mieux comprendre les enjeux et favorise l'innovation.

* 57 Cette convention comprend trois volets. Elle donne un cadre légal d'accès à certaines données sensibles, permettant de développer la coopération dans le domaine de la recherche, ouvrant peut-être la voie à l'avenir à un appel à projet commun entre le CNRS et la DRM cofinancé par les deux parties. Pour son projet « Intelligence Campus », la DRM a implanté sur la base aérienne de Creil des spécialistes du renseignement, des chercheurs, des start-up et des industriels. Le rôle du CNRS dans ce campus sera d'apporter son expertise scientifique à la DRM pour l'aider à apprécier les offres des industriels dans des domaines de pointe, en identifiant notamment ce qui peut être -ou non- une réelle innovation (ou rupture) technologique. Enfin, la DRM développe son expertise dans le domaine des sciences humaines et sociales par la mise en place de petits ateliers entre les analystes de la DRM affectés à la surveillance de tel ou tel territoire et les chercheurs des Unités mixtes de recherche CNRS spécialistes de ces régions lors de séminaires-discussions.

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