II. UN DISPOSITIF DE PRÉVENTION REPOSANT SUR LA POLYVALENCE ET LA SUBSIDIARITÉ DE DIFFÉRENTS ACTEURS

De même que les autres déclinaisons de la politique nationale de sécurité civile, la prévention du risque de feux de forêts est assumée aussi bien par l'État que par d'autres intervenants , conformément à l'orientation fixée par la loi de modernisation de la sécurité civile de 2004 9 ( * ) : « La protection des populations compte parmi les missions essentielles des pouvoirs publics. L'exercice de cette responsabilité implique toutefois bien d'autres acteurs, dont la diversité est devenue une caractéristique de la sécurité civile . Cette diversité est nécessaire pour faire face à la pluralité des risques pesant sur la population d'une société moderne » tels que les feux de forêts . La prévention repose donc sur une politique interministérielle, mise en oeuvre par les préfectures, les collectivités territoriales, les propriétaires forestiers et les citoyens.

A. UNE SUBSIDIARITÉ NÉCESSAIRE ET EFFICACE DANS LA POLITIQUE DE PRÉVENTION, PRÉSENTANT NÉANMOINS QUELQUES LACUNES

1. Une obligation de débroussaillement insuffisamment appliquée par les propriétaires d'habitation dans les zones à risque

Les habitants des départements classés comme sensibles au risque d'incendies sont les premiers impliqués dans la stratégie de prévention, et sont ainsi soumis à l'obligation légale de débroussaillement (OLD), prévue par le code forestier . Ce débroussaillement protège à la fois les personnes, des habitations et des biens, peut empêcher les départs de feux et leur propagation dans les forêts voisines et facilite enfin l'intervention des sapeurs-pompiers.

Les retours d'expériences dans les zones où les débroussaillements sont bien assurés confirment le bien fondé et l'efficacité de cette obligation . Or malgré des efforts répétés de sensibilisation à l'importance des OLD, ces dernières restent peu appliquées. D'après le rapport de la mission interministérielle de 2016 précité, le taux d'application oscillerait entre 30 % et 50 %.

Cette absence élevée de débroussaillements s'explique notamment par l'ignorance ou une mauvaise compréhension de la portée de l'obligation du débroussaillage, causant parfois des conflits de voisinage. Le débroussaillement doit en effet se faire dans un rayon de 50 mètres de la propriété, ce qui oblige parfois le propriétaire à prendre en charge le débroussaillement chez le voisin.

L'obligation de débroussaillement chez le voisin

Source : Direction départementale des territoires et de la mer de l'Aude - Fiche n° 3 : « Qui doit débroussailler ? »

Le coût du débroussaillage est aussi dissuasif pour certains propriétaires. Mais ce coût s'avère évidemment incomparable avec la sauvegarde des vies humaines et des biens que le débroussaillement permet, et bien moindre que le montant de l'amende, qui peut en effet atteindre jusqu'à 30 euros par mètre carré à débroussailler . L'amende peut être prononcée après mise en demeure du propriétaire par le maire ou le préfet . Les maires sont en effet chargés de faire respecter obligation en vertu de leurs pouvoirs de police. Cependant, le contrôle s'avère très difficile, eu égard au grand nombre de terrains à inspecter. 10 ( * )

Peu de solutions se présentent pour les personnes en difficultés financières . Le ministère de l'intérieur a déjà rappelé que le débroussaillement est obligatoire afin d'assurer la propre sécurité du propriétaire, et qu'à ce titre, ce dernier ne peut bénéficier ni d'aide financière ni d'incitation fiscale pour sa réalisation. 11 ( * ) Le coût du débroussaillement peut néanmoins être allégé si plusieurs propriétaires s'entendent dans le cadre d'une association syndicale autorisée (ASA) , afin de passer une commande commune pour la réalisation des travaux.

La progression de l'exécution des OLD doit avant tout être le fruit d'une poursuite des efforts de sensibilisation réalisés par les communes . Les retours d'expérience réalisés dans les collectivités volontaristes montrent en effet que les OLD sont satisfaites à 80 % lorsque les propriétaires concernés ont reçu deux visites de sensibilisation.

Recommandation n° 1 : afin d'assurer un débroussaillement plus large à moyen terme, encourager les collectivités territoriales dans leurs efforts de communication et de sensibilisation sur l'obligation légale de débroussaillement et les moyens de la mettre en oeuvre.

2. Le rôle des propriétaires forestiers dans l'aménagement des équipements de défense des forêts contre les incendies
a) Une implication variable des propriétaires privés

Les forêts françaises appartiennent pour les trois quarts d'entre elles à un propriétaire privé . Les forêts privées se concentrent dans l'Ouest de la France, dans les régions Nouvelle-Aquitaine, Pays de la Loire et Bretagne, où elles représentent plus de 90 % de l'ensemble des forêts. Cette concentration de la forêt privée dans ces territoires s'explique par la rentabilité plus élevée des essences présentes, ce qui a par ailleurs incité les propriétaires à s'équiper eux-mêmes dans la prévention des feux de forêts.

Les propriétaires forestiers privés s'impliquent dans la prévention des feux dans le cadre d'ASA , tel qu'en Aquitaine où 212 ASA se sont réunies au sein de l'Association régionale de défense des forêts contre l'incendie. L'action des ASA consiste alors en l'aménagement et l'entretien d'équipements (pistes, points d'eau, tours de guet...) et la sensibilisation du public quant aux risques d'incendies.

Cependant, la situation varie d'une forêt à l'autre, et certaines forêts privées , faute de moyens ou de rentabilité des espèces, font l'objet d'un entretien moins rigoureux, compromettant l'accès aux points d'eau ou favorisant le développement de végétations plus combustibles.

Fransylva, la fédération des forestiers privés de France, milite ainsi pour une revalorisation de ces forêts peu entretenues, visant à implanter des essences moins combustibles ou plus rentables , en particulier dans les départements sensibles de la zone méditerranéenne. Ce projet se heurte cependant à la difficulté d'intéresser les propriétaires forestiers à investir dans une telle revalorisation, le boisement de nouvelles espèces ne générant pas de rentabilité immédiate pour le propriétaire actuel mais pour la génération suivante.

b) Dans les forêts publiques, une prévention assurée par l'Office national des forêts

Conformément à l'article L. 221-2 du code forestier, l'Office national des forêts (ONF) gère les forêts publiques, lesquelles sont la propriété de l'État d'une part , avec 1,5 million d'hectares de forêts domaniales, et les collectivités d'autre part , avec 2,7 millions d'hectares de forêts (essentiellement communales). La forêt publique représente ainsi un quart de la forêt métropolitaine.

Parmi les trois missions d'intérêt général de gestion des risques naturels confiées par l'État à l'ONF figure la mission de défense des forêts contre les incendies (DFCI), financée par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation à hauteur de 11,5 millions d'euros .

Tout au long de l'année, plus de 190 forestiers spécialisés concourent ainsi à la mission de DFCI, qui se décline en quatre étapes :

- En amont de la crise, hors saison estivale : les forestiers mettent en place ou assurent l'entretien des équipements et des ouvrages nécessaires (pistes, zones débroussaillées, points d'eau). Ils effectuent également un travail de cartographie et de documentation de terrain pendant cette période.

- Peu avant la crise, au cours de l'été : l'ONF déploie 300 personnes et 150 véhicules en moyenne par jour. 60 patrouilles sont déployées juste avant l'été pour contrôler le bon débroussaillement, surtout dans les zones les plus dangereuses.

- Pendant la crise, quand il y a un ou plusieurs feux : les forestiers de l'ONF assistent les postes de commandement afin de rapporter leurs connaissances du terrain, guider les colonnes de renfort, gérer le compteur de feux, suivre dans le temps le développement des feux et communiquer les informations relatives à l'évolution des feux.

- Après la crise, la gestion post-incendie : l'ONF participe aux retours d'expériences et aux enquêtes sur les causes des incendies avec les autorités de police ou la gendarmerie, pouvant éventuellement déboucher sur des poursuites judiciaires. L'ONF peut également être mobilisé par le préfet pour éviter le sur-accident, chutes de pierre, érosions, déstabilisations du terrain.

3. Le rôle de l'État, entre prévision, aménagement du territoire et surveillance

Mise en oeuvre par les préfectures, la politique de prévention de l'État est définie par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, en liaison avec le ministère de l'intérieur et le ministère de la transition écologique et solidaire.

Cette prévention inclut d'abord une phase de prévision , s'appuyant sur les réseaux d'observation et de prévision mis en place par Météo-France. Ce dernier produit des relevés quotidiens de l'Indice Forêt Météo (IFM) . Composé de cinq sous-indices, l'IFM caractérise, pour une végétation standardisée, un niveau de danger d'éclosion et de propagation du feu , estimé à partir des données de pluviométrie, d'hygrométrie, de température et de vent.

La politique de prévention comprend également l'aménagement et l'entretien des forêts ainsi que la réalisation d'équipements dits de DFCI (pistes, points d'eau, zones pare-feu) par les directions départementales des territoires (DDT), sous la responsabilité préfet. Pour cela, ce dernier élabore un plan de protection des forêts contre les incendies (PPFCI), obligatoire dans les départements à risque , comme le prévoit l'article 133-2 du code forestier. Les PPFCI peuvent être établis à l'échelle départementale ou interdépartementale et définissent les actions de l'État et des collectivités territoriales en matière de prévention. Ils ont pour objectifs, d'une part, la diminution du nombre de départs de feux de forêts et des surfaces brûlées, d'autre part, la prévention et la limitation des conséquences de ces incendies sur les personnes, les biens, les activités économiques et sociales et les milieux naturels.

Enfin, la prévention implique une surveillance régulière des forêts afin de détecter les départs de feux au plus vite. En période de risque élevé, les plans de surveillance comprennent un guet terrestre fixe (tours de guet), ou mobile (patrouilles), complété par un dispositif aérien, détaillé infra .

À cet égard, la surveillance pourraient être renforcée en mobilisant les pilotes adhérents des aéroclubs , comme cela a été proposé par les personnes entendues. La détection est en effet meilleure à partir du ciel, mais ce projet suppose une formation préalable dispensée auprès des adhérents volontaires. À cet effet, un dialogue entre la direction générale de la sécurité civile et de gestion des crises (DGSCGC) et la Fédération française aéronautique (FFA) pourrait être engagé afin de définir les conditions et les perspectives de réalisation de ce projet.

Recommandation n°2 : en vue d'améliorer la détection des feux naissants et l'alerte, encadrer le développement des actions de sensibilisation et de formation auprès des pilotes d'aviation de loisir dans les départements concernés.

4. L'action facultative des collectivités territoriales

Les actions de prévention contre les feux de forêt ne relèvent d'aucune compétence obligatoire des collectivités territoriales . Néanmoins, les départements et les communes se sont progressivement investis dans la prévention des feux de forêts, notamment en lien avec les préfectures dans le cadre des plans de protection des forêts contre les incendies.

a) Une compétence mise en oeuvre dans les départements du Sud

Dans les territoires les plus exposés, les départements se sont progressivement impliqués dans la prévention contre les incendies, sur le fondement de la clause générale de compétence.

Cette clause ayant été supprimée pour les départements (et les régions) depuis la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République , le législateur a toutefois veillé à ce que le département puisse conserver cette compétence en adoptant une proposition de loi d'origine sénatoriale 12 ( * ) , à l'initiative de notre collègue Pierre-Yves Collombat .

Cette loi prévoit que « les départements peuvent financer ou mettre en oeuvre des actions d'aménagement, d'équipement et de surveillance des forêts [...]» tout en précisant que ces actions s'inscrivent le cas échéant dans un PPFCI.

Les départements assurent ainsi l'aménagement et la surveillance du terrain à travers l'intervention d'agents spécifiques, issus du corps de forestiers-sapeurs (FORSAP) . Leur recrutement dans les services départementaux était autrefois subventionné par l'État, ce sont désormais les départements seuls qui ont la gestion de ces unités de 24 agents. Jusqu'en 2017, une subvention globale annuelle de 100 000 euros du programme 161 « Sécurité civile » était versée aux départements de l'Ardèche, des Bouches-du-Rhône, de Haute-Corse, de Corse-du-Sud, de l'Hérault.

D'autres départements se sont associés dans le cadre d'un établissement public local afin de mener différentes actions dans la protection des forêts contre les incendies, tel que l'Entente pour la forêt méditerranéenne . Cette dernière effectuant des actions de formation et de recherche pour le compte de l'État, elle reçoit une subvention du ministère de l'agriculture et de l'alimentation et du ministère de l'intérieur (imputée sur le programme 161), correspondant à 8 % de son budget. Si cette subvention globale est en diminution ces dernières années, le ministère de l'intérieur maintient sa part à un niveau quasi constant depuis 2011, soit 140 000 euros .

Les missions de l'Entente pour la forêt méditerranéenne

Fondée en 1963, à l'initiative du sous-préfet Francis Arrighi, par plusieurs départements de la région méditerranéenne , l'Entente pour la forêt méditerranéenne a vu son existence consacrée par la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile qui en a fait un établissement public local. Aujourd'hui installée à Gardanne dans les Bouches-du-Rhône, l'Entente regroupe 31 collectivités dont 15 départements et 15 services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) : Hautes-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence, Alpes-Maritimes, Ardèche, Aude, Bouches-du-Rhône, Corse-du-Sud, Haute-Corse, Gard, Hérault, Lozère, Pyrénées-Orientales, Var, Vaucluse, la Réunion ainsi que la collectivité de Corse et les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Occitanie.

Près de 55 % de l'activité de l'Entente concerne la prévention des feux de forêts. Dans ce cadre, elle propose ses services à ses membres dans quatre grands domaines :

- Information et prévention contre les feux de forêts : plusieurs produits de communication sont ainsi diffusés dans le cadre des campagnes « feux de forêts », à destination des collectivités et des commerces.

- Formation aux spécialités de la Sécurité civile : l'Entente accueille en son sein l'École d'application de Sécurité civile qui forme les sapeurs-pompiers aux spécialités de la sécurité civile, dont la lutte contre les feux de forêts.

- Essais et recherche au service des opérationnels : le Centre d'essais et de recherche de l'Entente élabore des programmes de recherche à la demande de l'État, de l'UE ou des SDIS. Ce centre a notamment testé les premiers produits retardants utilisés contre les feux.

- Nouvelles technologies et géomatique : le pôle Nouvelles technologies de l'Entente s'est ainsi doté de drones spécifiques et d'un scanner laser 3D permettant l'acquisition d'images de haute précision, en temps réel et géolocalisées.

b) L'action préventive des communes

Outre leurs pouvoirs de police et de contrôle de l'exécution des OLD sur leur commune, les maires peuvent créer des comités communaux « feux de forêts » (CCFF) , rassemblant des bénévoles qui concourent à l'information, à la sensibilisation du public et à la surveillance des forêts. Environ 10 000 bénévoles sont aujourd'hui engagés auprès d'un CCFF.

Depuis 2004, ces CCFF peuvent être intégrés dans les réserves communales de sécurité civile 13 ( * ) , que les maires peuvent mobiliser dans la prévention des incendies. Selon le recensement réalisé chaque année par la DGSCGC, ces réserves sont au nombre de 561.


* 9 Annexe de la loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile.

* 10 D'après un recensement de l'ONF, 1,5 million de constructions seraient concernées par cette obligation.

* 11 Réponse à la question écrite n° 06414 de M. Henri Cabanel (Hérault - SOCR) https://www.senat.fr/questions/base/2018/qSEQ180806414.html

* 12 Loi n° 2016-340 du 22 mars 2016 relative à la protection des forêts contre l'incendie.

* 13 Loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile.

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