B. UNE MESURE DIFFICILE À METTRE EN oeUVRE DANS LES PRINCIPALES MÉTROPOLES FRANÇAISES

Si des études très complètes avaient été menées sur le sujet de l'éventuelle mise en place de la gratuité totale des transports collectifs en région parisienne, ce n'était pas le cas pour les autres grandes villes françaises avant que la mission engage ses travaux.

Elle a donc fait parvenir aux différentes métropoles françaises un questionnaire destiné à connaître leur point de vue sur la question de la gratuité totale des transports publics . Ont notamment répondu à ce questionnaire les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) de Lyon 109 ( * ) , Toulouse, Bordeaux, Grenoble, Rennes, Clermont-Ferrand, Le Havre et Besançon.

1. Des réseaux de transports en commun très développés, disposant de modes lourds et d'une fréquentation importante

L'un des principaux point commun de ces différentes métropoles est qu'elles possèdent toutes au moins un mode de transport lourd , en général un tramway , parfois également un métro comme à Lyon, à Rennes et à Toulouse.

En outre, leurs réseaux de transports collectifs sont très développés , afin de fournir une offre étoffée aux usagers . Toulouse compte ainsi 2 lignes de métro (une troisième est en cours de construction), 2 lignes de tramway, 7 lignes de bus à haut niveau de service Lineo, 132 lignes de bus régulières, 22 lignes scolaires, 1 navette aéroport et 1 navette centre-ville. À Bordeaux, l'offre proposée comprend notamment 3 lignes de tramway, 77 lignes de bus régulières et 3 navettes fluviales.

Contrairement à ceux des villes qui ont mis en place la gratuité, les réseaux de ces métropoles sont très utilisés , avec toutefois des variations importantes d'une ville à l'autre.

Le réseau de la métropole de Lyon , géré par le Sytral, est ainsi de loin le plus fréquenté de tous les réseaux hors Île-de-France , avec 320 voyages par an et par habitant . À Bordeaux, 168 millions de voyages sont réalisés sur l'ensemble du réseau, soit 220 voyages par an et par habitant . La fréquentation du réseau rennais est également très significative, puisque 193 voyages sont réalisés par an et par habitant. Ce chiffre atteint 201 voyages par habitant et par an sur le territoire de la ville de Besançon. À Toulouse, 131,9 millions de déplacements ont été enregistrés en 2018.

Ces différents réseaux sont tous confrontés à une forte hausse de la demande qui leur est adressée par les usagers . Le trafic des transports en commun lyonnais a ainsi augmenté de + 30 % entre 2009 et 2016 . Celui des transports en commun bordelais a crû de + 75 % entre 2009 et 2017 (+ 10,5 % entre 2017 et 2018).

La part modale des transports en commun de ces différentes métropoles est élevée, puisqu'elle représente 14 % de l'ensemble des déplacements à Rennes et 17 % à Grenoble . En conséquence, les responsables des transports en commun grenoblois notent que « les principales lignes de tramway et bus sont proches de la saturation ». Le constat est similaire à Clermont-Ferrand ou à Bordeaux.

En lien direct avec cette forte demande, tous ces réseaux investissent pour accroître l'offre proposée aux usagers . À Rennes, le réseau est ainsi en cours d'extension avec la construction d'une deuxième ligne de métro qui sera mise en service au dernier trimestre 2020 et un redéploiement de l'offre de bus. À Bordeaux, une nouvelle ligne de tramway devrait être mise en service à la fin de l'année 2019 puis être étendue à l'horizon 2024.

Comme l'ont souligné Marylise Bessone et Émilie Lacroix, directrices associées du cabinet de conseil MBC MBO lors de leur audition, « la gratuité peut être un déclencheur 110 ( * ) dans les réseaux de petite taille ou taille moyenne où l'offre ne se développe pas et où les citoyens se détournent des modes durables de déplacements au profit de la voiture particulière. [...] La gratuité en revanche n'est pas une bonne idée dans des réseaux où l'offre est déjà développée 111 ( * ) . [...] La gratuité ne ferait qu'amplifier le phénomène de saturation en heures de pointe notamment et le report vers la voiture particulière et subtiliserait des ressources importantes pour le développement de l'offre de mobilités durables ».

2. Des recettes de billettique difficiles à compenser

Corollaire de la taille des réseaux de transports en commun mis en place par les métropoles françaises, les coûts d'exploitation atteignent des montants élevés .

À Bordeaux, les coûts d'exploitation ont ainsi atteint 306,2 millions d'euros en 2018 et près de 243,9 millions d'euros à Toulouse.

Contrairement aux villes qui ont mis en place la gratuité, les recettes tarifaires des réseaux de ces métropoles fournies par les usagers représentent des sommes très conséquentes et une part significative de la couverture des dépenses de fonctionnement 112 ( * ) .

À Toulouse, la part des usagers représente ainsi 97,3 millions d'euros , soit 38 % des dépenses de fonctionnement du réseau . À Bordeaux, les recettes tarifaires représentent 86,2 millions d'euros et permettent de couvrir 36 % des dépenses du réseau . Pour le Sytral à Lyon, la part des usagers représente 245 millions d'euros , soit 25 % des recettes du réseau . À Grenoble, la part des usagers est de 37,4 millions d'euros , soit 21,8 % des recettes de l'autorité organisatrice . À Rennes, la part des usagers s'établit à 39,8 millions d'euros , soit 18,4 % des recettes du réseau .

L'importance de ces recettes issues de la billettique et la volonté de continuer à développer l'offre proposée aux usagers sont les principales raisons mises en avant par ces différentes métropoles pour justifier leurs réticences à mettre en place la gratuité totale des transports collectifs.

Bordeaux Métropole explique ainsi dans sa réponse au questionnaire de la mission qu'« en dehors du basculement vers la tarification solidaire qui offrira un dispositif plus équitable, Bordeaux métropole n'envisage pas d'étendre la gratuité à un spectre plus large . Ceci pour permettre de continuer à financer la qualité du service et le fort développement nécessaire du réseau au travers de recettes - 81 millions d'euros - qui viennent en complément du versement transport ».

Les craintes sont similaires à Rennes, puisque la réponse au questionnaire explique qu'« adopter la gratuité pour tous les voyageurs reviendrait à faire supporter l'intégralité des coûts de production du service sur les seuls contribuables , donc à augmenter les impôts d'environ 39 millions d'euros ».

Par ailleurs, « la gratuité pourrait engendrer des effets néfastes pour le développement du réseau . Une fréquentation supplémentaire trop importante poserait des problèmes de capacité des bus, donc d'investissements supplémentaires à réaliser. Avec quels moyens ? ».

Ces différentes raisons conduisent les métropoles qui ont répondu au questionnaire de la mission à écarter , du moins pour l'instant, la gratuité totale au profit de tarifs sociaux et solidaires parfois très développés .

3. De nombreux tarifs sociaux et solidaires

Toutes les métropoles de province proposent une tarification sociale et solidaire des transports .

À Bordeaux, les transports collectifs sont ainsi gratuits pour les demandeurs d'emploi, pour les titulaires de contrats aidés, pour les jeunes qui effectuent leur service civique, pour les demandeurs d'asile, pour les anciens combattants et pour les personnes âgées ou handicapées, sous conditions de ressources.

En outre, peuvent bénéficier de tarifs réduits les personnes âgées ou handicapées, sous conditions de ressources, les bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU), les familles nombreuses, les étudiants et les scolaires.

De nouveaux modes de tarification solidaires sont en train d'émerger .

À Rennes, une tarification solidaire est en place depuis le 1 er janvier 2017 en remplacement du dispositif précédent de gratuité sociale des transports, qui était en vigueur depuis une trentaine d'années.

Les deux critères pris en compte pour le bénéfice de cette tarification sont le niveau de revenus pondéré par la composition du foyer et la domiciliation sur le territoire de la métropole. Une personne bénéficie de la gratuité si ses revenus sont inférieurs à 901 euros, d'une réduction de 85 % sur le montant de son abonnement mensuel s'ils sont compris entre 901 euros et 1 050 euros et de 50 % de réduction s'ils sont compris entre 1 051 euros et 1 200 euros.

Ainsi, à Bordeaux, la métropole a également pour objectif de faire passer à l'été 2020 la tarification sociale en vigueur, basée sur les statuts des bénéficiaires, à une tarification solidaire basée sur les revenus et valable pour l'ensemble des foyers. Les réductions envisagées, applicables sur les abonnements mensuels, pourraient être de 50 %, 65 % et 100 % et dépendraient du quotient familial du foyer.

Au total, le cas des grandes métropoles et, a fortiori , de cette « métropole mondiale » que constitue l'Ile-de-France, illustre l'impossibilité, toutes choses égales par ailleurs, d'augmenter la fréquentation dès lors que l'offre de transports est correctement proportionnée voire déjà insuffisante. Si elle ne condamne nullement la gratuité totale en soi, cette constatation confirme une donnée essentielle : l'offre précède la gratuité, qu'elle soit totale ou partielle.

Recommandation : sortir de l'opposition entre gratuité et développement de l'offre de transports


* 109 La mission a également procédé à l'audition de Mme Fouziya BOUZERDA, Présidente du Sytral.

* 110 Souligné par les auteures.

* 111 Id.

* 112 Pour mémoire, la part de la billettique représentait 10 % du total des recettes à Dunkerque, Niort et Aubagne et 14 % à Châteauroux.

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