E. DU POINT DE VUE DES REDEVABLES, L'IFI CONSTITUE UNE FORME D'IMPOSITION PLUS COMPLEXE ENCORE QUE L'ISF

Au-delà des effets budgétaires et économiques de la réforme, les rapporteurs se sont également attachés à évaluer l'impact de la mise en place de l'IFI sur l'intelligibilité, la prévisibilité et l'accessibilité de la loi fiscale pour les redevables.

Ce questionnement pourrait, en première analyse, sembler superfétatoire, dès lors que de nombreuses règles régissant l'IFI (barème, exonérations, etc .) constituent une simple reprise de celles qui prévalaient du temps de l'ISF.

Néanmoins, comme l'ont souligné certains commentateurs, il apparaît que l'IFI est en réalité assorti de « dispositifs souvent complexes obéissant à des logiques parfois sensiblement éloignées de celles qui régissaient l'ISF », ce qui conduit à « relativiser la présentation souvent retenue suivant laquelle l'IFI constituerait un nouvel ISF dont l'assiette aurait été réduite aux seuls actifs immobiliers » 182 ( * ) - au point de « voir entre ces impôts un cousinage plutôt qu'une filiation directe » 183 ( * ) .

À cet égard, les professionnels entendus par les rapporteurs semblent s'accorder sur le fait que l'IFI constitue une forme d'imposition plus complexe encore que l'ISF pour les redevables et leurs conseils.

Cette difficulté tient avant tout à l'assiette du nouvel impôt . Ainsi que le résumait Luc Jaillais, co-président de la commission « fiscalité du patrimoine » de l'Institut des avocats conseils fiscaux (IACF), lors de son audition devant la commission des finances du Sénat : « L'IFI est un impôt plus complexe à comprendre que l'ISF, malgré une assiette moins large - ou peut-être à cause » 184 ( * ) .

En effet, contrairement à une réforme qui aurait consisté à maintenir un impôt allégé sur l'ensemble du patrimoine, la définition de l'assiette immobilière taxable à l'IFI impose un délicat exercice de définition des actifs inclus et des passifs déductibles .

À cette fin, l'IFI comporte de nombreuses règles et mécanismes « anti-abus » , au premier rang desquels figurent :

- l'inclusion dans l'assiette de l'IFI de la composante immobilière des participations et des contrats d'assurance vie du redevable ;

- la définition de modalités particulières d'imposition pour certains droits susceptibles de permettre au redevable de diminuer artificiellement l'assiette taxable à l'IFI (ex : crédit-bail, contrat de location-accession, etc .) ;

- la non-déductibilité de certaines dettes, assortie d'une « clause de sauvegarde » imposant au redevable de justifier, selon les cas, que le prêt n'a pas été contracté dans un objectif « principalement fiscal » ou présente un caractère « normal » ;

- le plafonnement de l'endettement personnel pour les plus hauts patrimoines immobiliers.

Si ces dispositions visent légitimement à faire échec aux stratégies de contournement du nouvel impôt, elles constituent indéniablement un facteur de complexité et d'incertitude pour les redevables - et ce d'autant plus qu'elles comportent parfois une dimension subjective imposant à l'administration fiscale de « sonder les reins et les coeurs » 185 ( * ) afin de rechercher le caractère « principalement fiscal » des motivations des contribuables.

Au-delà des redevables, elles peuvent également poser des difficultés aux entreprises .

D'une part, ces dernières sont tenues de fournir au redevable les informations nécessaires pour lui permettre de déterminer la valeur de ses parts ou actions ainsi que le « coefficient immobilier » correspondant à la fraction imposable de ces dernières 186 ( * ) , ce qui peut représenter une charge administrative importante, en particulier lorsque les participations sont détenues à travers une chaîne de participation comportant plusieurs niveaux d'interposition.

D'autre part, les régimes d'exclusion de l'IFI ne sont pas neutres au regard de l'organisation de la fonction immobilière au sein des groupes , ce qui peut contraindre à de difficiles réorganisations pour des motifs fiscaux 187 ( * ) .

En pratique, ces dispositions « s'avèrent particulièrement contraignantes et restrictives lorsqu'un groupe de sociétés est chapeauté par une société holding non animatrice de son groupe », ainsi que certains commentateurs n'ont pas manqué de le souligner 188 ( * ) .

Signe de l'ampleur des difficultés d'application de ces nouvelles règles, la parution trop tardive des commentaires administratifs a contraint au printemps 2018 la direction générale des finances publiques (DGFiP) à reporter la date limite de dépôt des déclarations.

Malheureusement, ces commentaires administratifs ont eu pour effet de renforcer encore la complexité du nouvel impôt , en retenant parfois des interprétations restrictives qui paraissent bien éloignées de l'intention du législateur - ce qui avait d'ailleurs conduit le Sénat à adopter divers aménagements à l'initiative de la commission des finances dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2019, non retenus par l'Assemblée nationale 189 ( * ) .

S'agissant enfin des modalités de déclaration , la mise en place du nouvel impôt se traduit paradoxalement par un durcissement des obligations pesant sur les contribuables qui relevaient de la première tranche de l'ISF et sont redevables de l'IFI . En effet, ces derniers bénéficiaient, depuis la réforme des modalités de déclaration intervenue en 2012, d'une dérogation à l'obligation de déclaration détaillée des éléments de leur patrimoine taxable : ils étaient uniquement tenus de reporter le montant global du patrimoine taxable (brut et net) dans le cadre de leur déclaration de revenus. Avec l'IFI, ces redevables doivent désormais mentionner la valeur brute et la valeur nette taxable de l'ensemble de leurs biens et droits immobiliers, détenus directement ou indirectement. Ils doivent aussi joindre à leur déclaration des annexes détaillant les éléments de ces mêmes actifs ainsi que du passif qui leur est rattachable (article 982 du code général des impôts).

Tant du point de vue des règles de fond que des modalités de déclaration, la transformation de l'ISF en IFI s'est donc traduit pour le redevable par un surcroît de complexité, qui apparaît une fois encore indissociable du choix de ne taxer que la seule « richesse immobilière » .


* 182 François Fruleux et Jean-François Desbuquois, « IFI et immobilier sociétaire : quel régime d'exclusion ou d'exonération ? », Revue de droit fiscal, n° 29, 19 juillet 2018, p. 1.

* 183 Ibid., p. 2.

* 184 Compte rendu de l'audition commune de la commission des finances du Sénat sur la transformation de l'ISF en IFI et la création du PFU du mercredi 10 avril 2019.

* 185 Jérôme Turot, « Demain, serons-nous tous des Al Capone ? - À propos d'une éventuelle prohibition des actes à but principalement fiscal », Revue de droit fiscal n° 36, 5 septembre 2013.

* 186 Cf. article 313 BQ quater de l'annexe III au CG. Des dispositions analogues sont prévues pour les organismes de placement collectif et les organismes d'assurance.

* 187 À titre d'exemple, lorsque le contribuable détient une participation dans une holding passive, les immeubles détenus par la holding et affectés à l'activité opérationnelle des filiales qu'elle contrôle ainsi que les immeubles détenus par une filiale et affectés à l'activité opérationnelle d'une autre filiale ne peuvent être exonérés. Ces derniers auraient pourtant pu l'être s'ils avaient été détenus directement par la filiale exerçant l'activité opérationnelle à laquelle ils sont affectés.

* 188 François Fruleux et Jean-François Desbuquois, « IFI et immobilier sociétaire : quel régime d'exclusion ou d'exonération ? », Revue de droit fiscal, n° 29, 19 juillet 2018, p. 8.

* 189 Pour un examen détaillé de ces enjeux, le lecteur est invité à se reporter au commentaire de l'article 16 octies figurant aux pages 402 à 413 du rapport général n° 147 (2018-2019) d'Albéric de Montgolfier relatif au projet de loi de finances pour 2019 (tome II), fait au nom de la commission des finances et déposé le 22 novembre 2018.

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