N° 49

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 octobre 2019

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom du Groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne (1) sur le retrait du Royaume-Uni de l' Union européenne ,

Par MM. Jean BIZET et Christian CAMBON,

Sénateurs

(1) Ce groupe est composé de : MM. Christian Cambon et Jean Bizet, présidents ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Gilbert-Luc Devinaz, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Jean-Noël Guérini, Benoît Huré, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Pierre Laurent, Ronan Le Gleut, Didier Marie, Pierre Médevielle, Mme Colette Mélot, MM. Ladislas Poniatowski, Simon Sutour, Jean-Marc Todeschini, Richard Yung.

SYNTHÈSE

LE DÉSASTRE DU BREXIT EN SEPT POINTS

A quelques jours de la date fixée pour la sortie du Royaume-Uni de l'UE, le 31 octobre 2019, et alors qu'un Conseil européen crucial se réunira les 17 et 18 octobre, la plus grande confusion continue de régner. Toutes les options restent ouvertes : celle d'un accord, celle d'une sortie sans accord et celle d'un nouveau report.

Au fil de 3 ans de travail et de 6 rapports d'information, le groupe de suivi du Sénat fait le constat d'un Brexit destructeur de richesse, décision britannique subie par l'UE, au coût partagé, et dans lequel, côté britannique, des prises de positions politiques, d'ordre presque identitaire, ont pris l'ascendant sur les arguments rationnels. Le rapport dresse le constat sans appel du « désastre » du Brexit, au bilan perdant-perdant, et alerte sur les conséquences d'une sortie sans accord.

S'il est très difficile d'évaluer l'ampleur de ce désastre, tant que ses modalités exactes demeurent inconnues, le rapport dresse plusieurs constats :

1. « Backstop » , le noeud gordien : encore un effort ! Si les propositions du gouvernement britannique en date du 2 octobre 2019 ont fait bouger les lignes dans le bon sens, le groupe de suivi estime qu'il faut probablement aller plus loin en examinant l'hypothèse d'une zone commune non seulement réglementaire mais aussi douanière entre l'Union européenne et l'Irlande du nord. Cela revient à se pencher sur la première formule de « backstop » proposé par l'UE dès 2017. Cette solution n'exclut pas une réflexion sur des solutions « créatives et imaginatives », à affiner au fil du temps et en fonction des progrès technologiques, pour les contrôles qui devront être réalisés en mer d'Irlande.

2. Un risque de « dumping fiscal et social » à ne pas sous-estimer : La perspective d'une divergence réglementaire entre le Royaume-Uni et l'UE - dans le cas d'un hard Brexit , ou dans le cadre des dernières propositions britanniques - entraîne un risque majeur : celui de l'apparition d'un « dumping » fiscal, social et réglementaire aux portes de l'Europe. Dans son discours sur ses priorités économiques du 27 juillet 2019, Boris Johnson a qualifié le Brexit d' « énorme opportunité économique ». Pour certains « Brexiters », c'est l'objet même du Brexit que de permettre de sortir des contraintes imposées par Bruxelles pour renforcer l'attractivité du Royaume-Uni. C'est un risque qui doit être mesuré et pris en compte dans la négociation.

3. 4,5 millions de citoyens pris en otage : Le Brexit est d'abord un profond traumatisme pour les citoyens européens. L'accord de retrait de novembre 2018 apportait des garanties qui restent aujourd'hui incertaines. Près de 4,5 millions de citoyens s'interrogent sur leur avenir dans leur pays de résidence : plus de trois millions de citoyens de l'UE 27 au Royaume-Uni (chiffre qui est l'objet d'estimations variables) et 1,2 million de Britanniques résidant dans un autre État membre. Le groupe de suivi demande que la situation des personnes précaires fasse l'objet d'une attention particulière.

4. Un choc économique encore à venir : Le Brexit sera un choc économique sans précédent. La croissance britannique a été systématiquement inférieure à celle de l'UE depuis 2016. Les dernières prévisions de l'OCDE tablent sur une poursuite de cette tendance en 2019 (1,2 % au Royaume-Uni contre 1,4 % dans l'UE) puis en 2020 (1 % contre 1,4 %).

Tôt ou tard, l'économie britannique risque d'être « rattrapée » par les conséquences du référendum de 2016 : des prévisions très négatives ont été présentées par le Trésor public britannique et par la Banque d'Angleterre fin novembre 2018, en cas de Brexit sans accord : le premier prévoyait un PIB inférieur de 8 % à l'horizon 2024, la seconde de 10 % sur un horizon à quinze ans, par rapport à ce qu'il aurait été avec le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne. Un Brexit sans accord serait deux fois plus dommageable en termes économiques qu'une sortie ordonnée.

5. Un impact sévère pour la France : Au sein de l'UE, la France est l'un des pays qui a le plus à perdre du fait du Brexit, avec l'Irlande. En cas d'absence d'accord, la perte de richesse économique pour la France a été évaluée à 7,7 milliards d'euros par an. Ce coût atteindrait globalement 40 milliards d'euros par an pour l'UE. Certains secteurs risquent de subir un effet dévastateur. Ainsi, la pêche française dépend pour un quart de sa production du Royaume-Uni. Dans certaines régions (Hauts-de-France, Normandie, Bretagne), ce sont 40 à 50 % des prises de pêche qui dépendent de l'accès aux eaux britanniques. Quant à l'agriculture française, elle pourrait subir la double peine d'une perte rapide de débouchés au Royaume-Uni - dont la France est le second fournisseur agricole - et d'une réorientation des flux commerciaux, entraînant aussi une perte de débouchés sur des marchés tiers.

6. Un risque d'éclatement du Royaume-Uni ? Le Royaume-Uni, profondément divisé, est traversé par de puissantes forces centrifuges qui risquent de s'amplifier au cours des prochains mois. L'Ecosse, comme l'Irlande du nord, ont voté pour rester dans l'Union. Le casse-tête irlandais, au coeur des négociations, pourrait raviver les tensions communautaires. Au-delà, la question de l'indépendance de l'Ecosse pourrait être reposée, avec un risque d'éclatement du Royaume-Uni, aux multiples conséquences, dont une importante dimension stratégique, puisque l'Ecosse abrite la force de dissuasion nucléaire du Royaume-Uni. Dans un contexte d'accumulation des menaces et de retour des États puissance, la diffraction de l'Union européenne est un non-sens géostratégique.

7. Une relance européenne empêchée : Un nouveau report aurait un coût non négligeable pour l'UE en prolongeant encore un peu plus une incertitude dont le coût humain, politique et économique est considérable. Ce report impliquerait la nomination d'un commissaire britannique et le maintien au Parlement européen des députés élus au Royaume-Uni, véritable contresens politique alors même que la nouvelle Commission a une tâche immense à accomplir dans les prochains mois pour relancer l'élan européen.

L'appel à une relance de la construction européenne, lancé en particulier par le groupe de suivi du Sénat, dans la foulée du choc suscité par le référendum britannique aurait-il été sans lendemain ? Le sommet européen de Sibiu de mai 2019 a malheureusement été un non-événement. Il est urgent de franchir le cap du Brexit, mais pas à n'importe quel prix, et de sortir de ce que l'on peut qualifier de « torpeur européenne ».

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