C. UN COÛT D'OPPORTUNITÉ : UNE ÉNERGIE DÉVORÉE PAR LES INCERTITUDES DU BREXIT

1. Le poison lent du Brexit pour le Royaume-Uni

Plus de trois ans après le référendum du 23 juin 2016, le contenu même du concept politique de Brexit fait toujours l'objet de débats, au demeurant plus passionnés que jamais. L'idée de renoncer au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne a été défendue par de nombreux intervenants dans le débat public, parfois même dès la publication des résultats du référendum. À titre d'illustration et pour ne prendre qu'un seul exemple, Gina Miller, présidente de l'association Best for Britain auditionnée le 17 janvier 2019 par votre groupe de suivi, s'exprimait en ce sens et en des termes dépourvus de toute ambiguïté : « Je continue de croire que le Brexit ne se fera pas. Personne ne sait en fait ce que le Brexit veut dire. »

a) Une incapacité britannique à choisir son destin

Depuis la présentation du « plan de Chequers » de l'ancien Premier ministre Theresa May, le 12 juillet 2018, et, surtout, du projet d'accord de retrait et de déclaration politique agréés par les 27 autres États membres le 25 novembre 2018, la crise politique intérieure n'a fait que s'aggraver.

La Chambre des communes a tout d'abord rejeté à trois reprises ce projet d'accord, les 15 janvier, 12 et 29 mars 2019, désavouant l'ancien Premier ministre Theresa May et réduisant son crédit politique à néant, jusqu'à la contraindre à annoncer sa démission le 24 mai 2019.

La Chambre des communes a ensuite accumulé une série de majorités négatives sur toutes les options envisageables, tout en reprenant le contrôle du processus de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne.

Boris Johnson s'est trouvé confronté à une impasse similaire, dès les premières semaines de sa prise de fonction. L'élément déclencheur de la dernière phase (en date) de la crise a résidé, le 28 août 2019, dans l'initiative du Premier ministre prenant la forme d'un conseil à la souveraine pour lui demander de suspendre le Parlement britannique durant cinq semaines, dans le but manifeste de rendre irréversible le Brexit, avec ou sans accord, à la date du 31 octobre 2019.

Après avoir symboliquement perdu sa majorité le 3 septembre 2019, le nouveau Premier ministre a aussi perdu un scrutin crucial le lendemain, lorsque la Chambre des communes a adopté un projet de loi déposé à l'initiative du député travailliste Hilary Benn, afin d'empêcher une sortie sans accord de l'Union européenne le 31 octobre 2019. Ce texte, adopté ensuite par la Chambre des lords, tend à obliger le Gouvernement britannique à solliciter de ses partenaires de l'Union européenne un nouveau report du Brexit, cette fois jusqu'au 31 janvier 2020. Il s'agit surtout de l'hypothèse où aucun accord ne serait trouvé avec l'Union européenne et approuvé par le Parlement de Westminster d'ici au 19 octobre 2019 (c'est à dire au lendemain du sommet européen prévu les 17 et 18 octobre 2019).

Dans la foulée, la confusion n'a fait que s'accroître, lorsque les 21 députés « rebelles » de la majorité qui avaient joint leur suffrage à ceux de l'opposition furent exclus du parti conservateur et, davantage encore, lorsque la Chambre des communes refusa d'accéder à la demande d'élection anticipée, souhaitée par le Premier ministre.

Enfin, le 24 septembre 2019, la Cour suprême du Royaume-Uni a jugé « illégale, nulle et non advenue » la décision de suspendre le Parlement pendant cinq semaines, du 9 septembre au 14 octobre 2019. Ce jugement acquis à l'unanimité des onze juges, fera date : il marque indiscutablement un revers juridique majeur pour le Premier ministre Boris Johnson, tout en consacrant de façon inédite le rôle de la Cour suprême dans le plus ancien régime parlementaire au monde.

Aujourd'hui, rien ne dit que les nouvelles propositions du Premier ministre britannique seraient acceptées par le Parlement de Westminster.

b) Les fondements de la démocratie britannique remis en cause

Nul ne saurait nier la profondeur de la crise politique du Brexit, tant celle-ci a dégénéré au point de saper sur bien des points les fondements de la démocratie britannique, voire même l'unité du pays.

En effet, les référendums revêtent au Royaume-Uni un caractère exceptionnel, car ils demeurent fondamentalement étrangers à la culture politique de la plus ancienne démocratie représentative au monde. Par ailleurs, au-delà du vote négatif, nullement anticipé par le gouvernement de David Cameron à l'origine de la consultation, les modalités concrètes et le degré de faisabilité d'un éventuel retrait de l'Union européenne ne furent pas véritablement débattus durant la campagne référendaire. Les questions, cruciales, des répercussions sur l'Irlande du nord ou l'Ecosse ne furent même pas abordées.

Le Parlement britannique s'est jusqu'à présent montré incapable de définir les conditions de mise en oeuvre d'un Brexit aux contours certes indéfinis, mais décidé avec une majorité claire de 51,89% et un taux de participation élevé (72,21%) supérieur à celui des élections législatives de 2017 (68,7%) et de 2015 (66,1%). Cette question, que d'aucuns jugent quasiment insoluble, a débouché sur une crise constitutionnelle et politique sans précédent depuis la Seconde guerre mondiale.

A l'heure où ces lignes sont écrites, la confusion apparaît totale. Le Parlement semble avoir bloqué la voie conduisant à un Brexit le 31 octobre 2019, mais sans pour autant entraîner la chute du Premier ministre par le vote d'une motion de censure, ni accepter l'organisation de nouvelles élections générales. Le Gouvernement de Boris Johnson, quant à lui, demeure en fonction, alors même qu'il est désormais privé de majorité et d'une bonne partie de son crédit politique, à la suite du jugement de la Cour suprême. En dépit de ce dernier et des dispositions de la « loi Benn », le Premier ministre Boris Johnson a maintenu qu'il ne sollicitera pas de nouveau report et que le Royaume-Uni quittera l'Union européenne le 31 octobre 2019, quoi qu'il arrive.

Le fonctionnement quotidien de la Chambre des communes et des commissions parlementaires est paralysé. Les deux grands partis traditionnels apparaissent profondément divisés, voire au bord de la scission. L'esprit de modération qui présidait traditionnellement au débat politique semble disparaître, tandis que l'impartialité du Speaker de la Chambre des communes John Bercow a été contestée. Les usages les plus anciens, dans ce pays à la constitution non écrite, ont été bouleversés. Enfin, la reine Elizabeth elle-même s'est trouvée indirectement et involontairement mêlée à cette crise constitutionnelle, à la suite du jugement déclarant illégale sa décision de suspension du Parlement.

Tôt ou tard seront organisées de nouvelles élections générales. Or, compte tenu du mode de scrutin majoritaire à un tour, leur issue est totalement imprévisible. Déjà, lors des élections du 23 mai 2019, finalement organisées pour désigner les représentants britanniques au Parlement européen, le parti travailliste et le parti conservateur n'avaient obtenu que 14,1% et 9,1% des suffrages, arrivant respectivement en troisième et cinquième position, loin derrière le nouveau parti du Brexit animé par Nigel Farage, grand vainqueur de ce scrutin (31,6%). Il s'était alors agi, par là même, d'une nouvelle réplique du référendum de 2016, sous la forme d'un affaiblissement spectaculaire du traditionnel bipartisme de la vie politique britannique.

Depuis le XIX° siècle et à l'exception l'entre-deux-guerres, les deux principaux partis ont toujours gagné l'essentiel des sièges aux Communes. Aujourd'hui, la grande dispersion des suffrages et les divisions internes aux conservateurs et aux travaillistes pourraient remettre en cause cette caractéristique fondamentale du parlementarisme britannique lors du prochain scrutin.

En définitive, le Brexit agit comme un poison lent, hautement toxique, aussi bien pour la démocratie britannique que pour la cohésion du Royaume, tandis que prévaut dans l'opinion publique un sentiment de lassitude générale et d'exaspération.

c) La société britannique plus divisée que jamais

Le résultat du référendum a révélé de forts clivages 9 ( * ) entre, d'une part, les jeunes générations qui, pour la fraction de celles-ci qui est allée voter, se sont prononcées en faveur du maintien dans l'Union européenne (à 66% pour les 18/24 ans et à 52% pour les 25/49 ans) et les plus anciens, d'autre part, qui ont choisi l'option inverse (58% des 50/64 ans et 62% des plus de 65 ans), avec un taux de participation plus élevé que celui de leurs puînés.

À ces tendances structurelles se sont ajoutées et superposées des fractures géographiques tout aussi nettes : tandis que le sud prospère de l'Angleterre, Londres et certaines grandes villes choisissaient de rester dans l'Union, les zones rurales et les Midlands votaient en faveur du Brexit.

L'unité des différentes composantes du Royaume-Uni est ressortie grandement fragilisée à l'issue du référendum.

Certes, les partisans de la sortie du Royaume-Uni l'ont emporté assez nettement en Angleterre (53,4%) et au Pays-de-Galles (52,5%). Mais, les électeurs se sont prononcés plus fortement encore en faveur du maintien dans l'Union européenne, tant en Irlande du Nord (55,8%) qu'en Ecosse (62,0%). Et dans les deux cas, la cohésion du pays apparaît remise en question, dans la mesure où l'enjeu porte respectivement sur la préservation de la paix civile en Ulster et sur le maintien de l'Ecosse dans le Royaume.

2. Trois années perdues pour la relance de l'Union européenne
a) Le choc du Brexit n'a pas débouché sur une relance de l'Union, comme espéré initialement

Le résultat négatif du référendum britannique du 23 juin 2016 avait initialement suscité un choc émotionnel conjuguant, tout à la fois, surprise, sidération et volonté de tirer les enseignements du vote du peuple britannique. Cet effort de réflexion et d'introspection a inspiré nombre de responsables politiques européens et nationaux, parmi lesquels figurent les membres du groupe de suivi du Sénat sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne. Les titres de nos deux précédents rapports en témoignent : le premier, publié le 22 février 2017 10 ( * ) , portait sur la relance de l'Europe en retrouvant l'esprit du Traité de Rome, le second, adopté le 20  juin  2018 11 ( * ) mettait l'accent sur le temps écoulé et l'urgence de sortir du statu quo .

De fait, plus de trois ans après le référendum, force est de constater que la prise de conscience collective de la nécessité d'un sursaut pour l'Union européenne semble avoir succombé au mode traditionnel de gestion des dossiers. Pour dire les choses simplement, la pente naturelle du « business as usual » l'aurait emporté sous l'effet, en particulier, de l'impasse dans lequel se trouve le Brexit et de la crise politique britannique.

Plusieurs autres raisons se conjuguent pour expliquer cette situation. Parmi celles-ci figurent les pesanteurs institutionnelles d'un processus de négociation à 27 pays aux intérêts divergents, la préférence implicite de l'Allemagne en faveur du maintien d'un statu quo dont elle est la grande bénéficiaire, la difficulté de la France à faire « bouger les lignes » alors même que le contexte économique et social intérieur français a entraîné un nouveau report dans le temps de l'objectif de retour à l'équilibre budgétaire. S'y ajoutent les réticences des dirigeants irlandais, néerlandais, danois, baltes et suédois, c'est-à-dire des pays du Nord de l'Europe que la presse désigne parfois sous les termes de « nouvelle ligue hanséatique », ainsi que les divisions apparues entre les anciens et les nouveaux États membres, au sujet de la politique migratoire et des principes de l'État de droit.

Dès lors, on peut légitimement se demander si l'appel à une relance de la construction européenne, dans la foulée du choc suscité par le référendum du 23 juin 2016, restera sans lendemain. Certains observateurs ont ainsi formulé un constat bien pessimiste, à l'instar de Thierry de Montbrial estimant, dans un entretien accordé au quotidien La tribune de Genève , le 24 mai 2019, que « la construction européenne pourrait s'étendre sur deux siècles ». De la même façon, l'ancien ambassadeur de France aux États-Unis, Gérard Araud, faisait-il valoir dans l'édition du 21 mai 2019 du quotidien L'Opinion que « on peut se demander si l'Europe des Vingt-Huit ou des Vingt-Sept n'a pas atteint le maximum de son développement, si elle ne va pas rester fondamentalement un marché unique, ce qui est déjà important. Je ne vois pas nos partenaires aller plus loin dans la voie de l'intégration. »

Le groupe de suivi ne saurait se résigner à pareils constats. Ils regrettent également que le sommet tenu à Sibiu en mai 2019 par les chefs d'État et de gouvernement européens n'ait permis aucune percée décisive pour sortir de l'actuelle « torpeur européenne ».

b) Le sommet informel de Sibiu : un non évènement

L'ambition assignée au sommet de Sibiu était, à l'origine, d'impulser une relance de la construction européenne à 27, juste avant les élections au Parlement européen des 23-26 mai 2019 et juste après la date présumée du Brexit.

Il n'en est finalement résulté qu'un échange de vues approfondi entre les chefs d'État et de gouvernement sur les priorités de l'Union européenne d'ici à 2025. Ces échanges de vues ont simplement alimenté la réflexion du Président du Conseil européen, Donald Tusk et pris la forme d'un projet d'agenda stratégique 2019-2024.

En définitive, d'une phase de négociation à la suivante, d'échanges informels en échanges informels, de sommet européen en sommet européen, de refus en refus du Parlement britannique, les dirigeants Britanniques ainsi que ceux des autres États membres en étaient venus, au printemps 2019, à promouvoir la solution dite de « flextension » consistant à aller au-delà du délai de 2 ans prévu par l'article 50 du Traité sur l'Union européenne.

Cette issue, improvisée dans l'urgence, a finalement conduit l'Union européenne à « importer » en son sein davantage encore le dilemme du Brexit. Vos rapporteurs se borneront ici à observer le caractère singulier et « baroque » de pareille situation, dictée par les circonstances et par le souci d'éviter, début avril 2019, ce qu'il aurait été permis de qualifier de « Brexit accidentel ». L'approche de la nouvelle date fatidique, le 31 octobre 2019, conduit inévitablement à s'interroger sur la perspective d'un autre report.

3. La résolution des innombrables difficultés pratiques prime sur les considérations à long terme
a) Les mesures d'urgence prises en France

Les pouvoirs publics français ont déjà pris des mesures d'urgence, destinées à faire face, si nécessaire, à une situation de crise en cas de « Brexit sans accord ». Pour autant, au-delà de la sphère publique et des grandes entreprises, se pose la question du niveau d'impréparation des Petites et moyennes entreprises 12 ( * ) .

Point sur les mesures d'urgences destinées à réduire l'impact du Brexit

La loi n° 2019-30 du 19 janvier 2019 habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne visait à parer au plus pressé, face à la perspective d'un Brexit - avec ou sans accord - dans un proche avenir.

Les quatre articles de ce texte permettent aux autorités françaises, dans le champ de compétence des États membres et dans celui relevant du domaine de la loi, de réagir à toutes les éventualités.

L'article 1 de la loi précitée aborde les conséquences d'un retrait sans accord du Royaume-Uni pour les personnes physiques et morales britanniques soumises au droit français, ainsi que les contrôles sur les marchandises et les passagers à destination et en provenance du territoire britannique. Son article 2 vise à sécuriser les intérêts des ressortissants français en cas d'absence d'accord de retrait, tout en prévoyant des dispositions spécifiques pour le transport ferroviaire (en cas de défaut de validité des licences et autorisations de sécurité délivrées par le Royaume-Uni aux opérateurs de transport). L'article 3 concerne l'adaptation en urgence des ports, des installations routières, ferroviaires et aéroportuaires, pour y établir les aménagements indispensables à la frontière française. Il s'agit ici de la réalisation de voiries, de parkings, de bâtiments et d'aires de contrôle en vue de mener à bien ces contrôles sans trop ralentir la fluidité du trafic.

Six ordonnances ont en conséquence été publiées en moins d'un mois. Sous réserve naturellement du dépôt ultérieur d'un projet de loi de ratification dans un délai de six mois (cf. article 4 de la loi précitée), ces dispositions auront pour effet de résoudre un large champ de difficultés prévisibles, à l'approche du Brexit.

La première ordonnance n° 2019-36 du 23 janvier 2019 porte sur les adaptations et les dérogations temporaires nécessaires à la réalisation en urgence des travaux requis par le rétablissement des contrôles à la frontière avec le Royaume-Uni. En résumé, dans la mesure où le temps presse, les contraintes des règles d'urbanisme ne doivent pas gêner ces travaux hautement prioritaires.

La seconde ordonnance n° 2019-48 du 30 janvier 2019 traite de la question spécifique des fournitures à destination du Royaume-Uni de produits liés à la défense, ainsi que des matériels spatiaux.

La troisième ordonnance n° 2019-75 du 6 février 2019 comprend plusieurs ensembles de mesures en matière de services financiers. Il s'agit, en particulier, des règles applicables aux systèmes de règlement interbancaire, aux contrats d'assurance, aux contrats-cadres de produits dérivés, au contrôle prudentiel, ou à la gestion de placements collectifs.

La quatrième ordonnance n° 2019-76 du 6 février 2019 porte sur de nombreuses mesures relatives à l'entrée, au séjour, aux droits sociaux et à l'activité professionnelle des personnes physiques, applicables en cas d'absence d'accord sur le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne. Cette ordonnance tend à aménager un régime spécifique pour les ressortissants britanniques vivant en France à la date du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne. Ces mesures dérogatoires au droit commun pourront toutefois être suspendues, si le Royaume-Uni n'accordait pas un traitement équivalent aux ressortissants français résidant sur son sol.

La cinquième ordonnance n° 2019-78 du 6 février 2019 concerne une autre question de première importance : le transport routier de personnes et de marchandises, ainsi que la sûreté dans le tunnel sous la Manche. S'y ajoute la sixième ordonnance n°2019-96 du 13 février 2019 traitant du sujet spécifique de l'Établissement public de sécurité ferroviaire pour la concession du tunnel située en territoire français.

En définitive, les dispositions à prendre dans le cadre de l'habilitation donnée par la loi n° 2019-30 du 19 janvier 2019 sont d'ores et déjà pour l'essentiel entrées en vigueur. Pour autant, cette démarche d'ampleur n'épuise pas - loin de là - le champ des mesures de préparation au retrait britannique : nombre d'entre elles relèvent, en effet, de l'Union européenne (pêche, secteur aérien, etc.) et d'autres du niveau réglementaire national. À ce titre, le secteur routier, en particulier, a dû faire l'objet du décret n°2019-220 du 22 mars 2019, ainsi que des décrets n°2019-244, n°2019-245 et n°2019-246 du 27 mars 2019, pour ajouter aux ordonnances les autres dispositions techniques nécessaires.

b) Le défi du rétablissement des frontières

Lors de la table ronde du 15 mai 2019 sur l'impact régional du Brexit, Hervé Morin, président du conseil régional Normandie, n'a pas caché son inquiétude au sujet de l'insuffisante anticipation des difficultés susceptibles d'advenir à brève échéance :

« J'ai rencontré, moi aussi, divers acteurs politiques et économiques d'outre-Manche, notamment les responsables des ports britanniques. Mon sentiment est que l'État français n'a pas pris toute la mesure de la situation. Le niveau d'impréparation, notamment au ministère de l'agriculture, est considérable. Or, dans la perspective d'un Royaume-Uni devenu un pays tiers, il s'agissait d'anticiper, de prévoir des contrôles phytosanitaires et vétérinaires, de créer des postes. Dans le secteur des douanes, l'anticipation a été meilleure.

« Il m'est également apparu que les Britanniques n'avaient absolument pas préparé le Brexit. Ils se refusent ainsi à embaucher des fonctionnaires chargés de contrôler, au motif qu'à l'heure actuelle, le Royaume-Uni ne contrôle pas les produits qu'il importe. »

La principale difficulté à résoudre concernera le domaine de la logistique et des transports, car la fluidité des échanges doit être préservée à tout prix.

D'une façon générale, 60 % des échanges en tonnage entre le Royaume-Uni et l'Union européenne passent par des installations françaises 13 ( * ) . Ce pourcentage atteint même près de 80 % pour les produits sanitaires et phytosanitaires, car le tunnel et la proximité du port de Calais réduisent le temps de la traversée à 30 minutes environ.

À l'avenir, notre pays devra complètement changer le modèle de fonctionnement de ses ports, en prévoyant des parkings tampons, des installations préfabriquées ou des abris de filtrage. Il faudra même probablement envisager une réorganisation de grande ampleur pour demeurer compétitif, ainsi que le faisait valoir Patrice Vergriete, maire de Dunkerque 14 ( * ) .

« Si le temps de transport se rallonge, il coûtera plus cher entre Dunkerque et le Royaume-Uni qu'entre Hambourg et le Royaume-Uni, car le port allemand bénéficie de ce transport non accompagné. Par conséquent, le grand port de Dunkerque envisage de développer le transport sans chauffeur. L'évolution du marché montre déjà une légère perte de nos ports due à ce type de concurrence. »

À Calais uniquement, près de 6 000 camions débarquent chaque jour, auxquels il faut ajouter entre 2 000 et 4 000 camions en provenance du tunnel. Tout ralentissement du système pourrait causer le stationnement erratique de camions et de gigantesques embouteillages sur la voie publique.


* 9 Sondage YouGov à la sortie des urnes, le 23 juin 2016.

* 10 Rapport d'information n°434 (2016-2017) « Relancer l'Europe : retrouver l'esprit de Rome » fait au nom du groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne par MM. Jean-Pierre Raffarin et Jean Bizet, publié le 22 février 2017.

* 11 Rapport d'information n°592 (2017-2018), La relance de l'Europe : le temps presse , fait au nom du groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne par MM. Jean Bizet et Christian Cambon, publié le 20 juin 2018.

* 12 Voir l'étude publiée par le cabinet d'avocat Oliver Wyman and Clifford Chance « Les entreprises françaises face au Brexit » (2018).

* 13 Audition de M. Vincent Pourquery de Boisserin, coordinateur national pour la préparation à la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, le 13 février 2019.

* 14 Intervention du Maire de Dunkerque lors de la table ronde du 15 mai 2019 sur l'impact du régional du Brexit organisée au Sénat.

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