II. UN RISQUE D'ÉCLATEMENT DU ROYAUME-UNI

A. DE PUISSANTES FORCES CENTRIFUGES : L'EXEMPLE DE L'ÉCOSSE

L'Écosse a voté clairement pour rester dans l'Union (62 %), de même que l'Irlande du Nord (56 %). Aussitôt après le vote, l'Écosse, par la voix de son gouvernement, a fait savoir qu'elle revendiquait une solution différenciée pour elle-même, solution qui lui garantirait un statut spécial lui permettant de rester dans le Marché unique.

Une délégation de votre groupe de suivi s'est déplacée à Londres et à Édimbourg, les 8 et 10 mai 2019. Elle y a rencontré des responsables politiques, économiques ainsi que des universitaires 15 ( * ) . Ce déplacement a mis en évidence que la question de l'indépendance de l'Ecosse risque de se reposer à brève échéance.

1. L'invocation de la Convention Sewel et la crainte d'une recentralisation

Depuis toujours, et plus encore depuis 1998 (loi de décentralisation), l'Écosse considère le Royaume comme une sorte de confédération (« a partnership of equal nations » ). Pourtant, tout indique, dans l'organisation constitutionnelle britannique, que les régions décentralisées comme l'Écosse ne disposent que de compétences déléguées par un État unitaire.

Le Parlement écossais a rejeté la loi de retrait de l'Union européenne votée par le Parlement britannique, considérant qu'en fonction de la Convention Sewel 16 ( * ) , cette loi mettait en cause les prérogatives octroyées à l'Écosse par la loi de décentralisation de 1998 ( Scotland Act ). L'article 11 de la loi de retrait prévoit que les institutions décentralisées (Écosse, Pays de Galles et Irlande du Nord) ne disposeront d'aucune compétence pour l'application du droit européen qui viendrait à être maintenu en droit interne après la sortie de l'Union européenne. Ainsi les politiques publiques relatives à la pêche, à l'agriculture et à l'industrie ressortiraient à l'avenir de la compétence exclusive du gouvernement britannique.

Le but du gouvernement britannique était d'éviter les divergences et d'assurer l'égalité de traitement sur l'ensemble du territoire du Royaume lors du retrait. Cet impératif présenté comme de sécurité juridique a fait craindre en Écosse une forme de recentralisation. Cette dernière a souhaité que son Parlement conserve un droit de véto dans ce domaine. Cependant, l'Écosse n'a obtenu que l'obligation pour Londres de consulter les Parlements régionaux. Ainsi, le vote négatif de l'Écosse sur la loi de retrait n'a aucune conséquence juridique à ce stade. Néanmoins, la suspicion apparaît comme le sentiment qui décrit le mieux l'état actuel des relations entre Londres et Édimbourg.

Quant à la Convention Sewel régulièrement invoquée par Edimbourg, la question reste pendante de savoir si elle a force légale ou si elle invite simplement le gouvernement central à ne pas légiférer dans le domaine des compétences décentralisées sans l'accord des Parlements régionaux. Pour certains, c'est un code de bonne conduite, un arrangement entre gentlemen et nullement une règle de droit. D'autres lui donnent valeur de règle de droit. Pour l'instant, les juges (cf. décision Miller de 2017) considèrent que le consentement des parlements régionaux n'est pas nécessaire.

2. La ligne politique du SNP entre permanence et inflexion

Le Scottish National Party (SNP) qui dispose de nombreux représentants au parlement de Westminster, reste fidèle à sa ligne pro-européenne et souhaite peser de tout son poids (en particulier à Westminster par la voix du président du groupe SNP Ian Blackford) dans le débat et aussi dans les négociations.

Le SNP utilise le Brexit comme un moyen d'accéder à l'indépendance refusée par 55,3 % de l'électorat écossais lors du référendum de 2014. Partant du principe que l'Ecosse a voté majoritairement en faveur du maintien dans l'Union européenne, le SNP entend tout faire pour empêcher la sortie du Royaume-Uni de l'Union.

La Première ministre écossaise Nicola Sturgeon se rend régulièrement à Bruxelles pour rencontrer Jean-Claude Junker et Michel Barnier, dans l'espoir d'obtenir, avant même l'indépendance, un statut spécifique relatif à l'accès au Marché unique et à la protection des droits et des libertés des citoyens. Enfin, le SNP n'a pas abandonné l'espoir de bénéficier à terme du maintien des compétences exercées par les autorités décentralisées en application du droit de l'Union européenne et un approfondissement de la décentralisation par l'attribution de nouvelles prérogatives et de nouvelles compétences.

3. Vers un nouveau référendum sur l'indépendance ?

S'appuyant sur la sortie imminente du Royaume-Uni de l'Union européenne, le SNP sollicite la tenue d'un nouveau référendum sur l'indépendance de l'Écosse. Il justifie cette position en rappelant que cette promesse est conforme au mandat donné au SNP par les Ecossais lors de sa victoire aux élections du Parlement écossais en 2016.

Le Brexit pourrait précipiter une nouvelle consultation référendaire des Ecossais sur leur appartenance au Royaume-Uni. Quelle serait alors la possibilité pour le gouvernement britannique de s'y opposer ? S'il est bien prévu que le Parlement écossais adopte le texte qui sera soumis à référendum, il a toujours été convenu que Londres intervienne en amont pour habiliter le Parlement de Holyrood à consulter le peuple sur une question constitutionnelle fondamentale qui entraînerait la disparition du Royaume-Uni dans sa forme actuelle. Cette habilitation doit se faire par une ordonnance du gouvernement britannique qui permette au gouvernement écossais de saisir le Parlement écossais d'un projet de loi référendaire. La procédure peut prendre plusieurs années même si personne ne pense que le gouvernement central de Londres puisse s'y opposer.

Il est possible en effet que le gouvernement britannique, souhaitant éviter l'éclatement du Royaume, veuille se donner le temps de progresser vers un État fédéral. Certains pensent que c'est là la seule solution pour mettre un terme à ces tendances centrifuges.

Le SNP reproche à Theresa May de ne pas avoir suffisamment consulté Édimbourg sur le Brexit en général et sur la loi de retrait en particulier, et la querelle reste pendante pour Boris Johnson.

Theresa May a en outre écarté l'idée d'un statut spécial de l'Écosse à l'égard de l'Union européenne. En octobre 2016, Nicola Sturgeon a lancé une consultation en vue de déposer un projet de loi sur l'indépendance de l'Écosse devant le Parlement écossais.

4. L'avenir de l'Écosse est incertain

Trois scénarios de profilent : le maintien dans le Royaume-Uni avec une autonomie de plus en plus grande, voire un statut spécial à l'égard de l'Union européenne ; l'indépendance et le retour dans l'Union européenne ; ou enfin l'indépendance sans réintégration dans l'Union européenne. La probabilité de ces scénarios dépend du type de Brexit qui s'imposera et de la qualité des négociations de l'accord de sortie comme de la nouvelle relation commerciale entre le Royaume-Uni et l'Union européenne.

Si l'on considère que l'Ecosse se trouve sur une trajectoire indépendantiste qui ne peut pas être infléchie, alors il n'est pas inutile d'envisager le moment où une Ecosse indépendante voudrait rejoindre l'Union Européenne.

Or, les conditions d'adhésion d'un État à l'Union européenne n'ont pas cessé de se durcir au cours du temps. La Croatie a pu le mesurer pour son cas personnel, et si l'Écosse, devenue indépendante, venait à demander son adhésion, le parcours serait au moins aussi long, d'autant qu'il faudrait prendre en compte la relation séculaire et particulière qui existe sur de nombreux sujets entre l'Écosse et le Royaume-Uni, relation que son indépendance retrouvée ne saurait totalement abolir.

Même si l'Écosse était dispensée de signer au préalable un accord d'association précédant son dépôt de candidature, il conviendrait de prévoir une période d'au moins un an entre le dépôt de la candidature et l'obtention du statut de candidat. Si un accord préalable d'association s'avérait nécessaire ou était imposé à la demande de certains États membres, quatre années deviendraient nécessaires.

Après l'obtention du statut de candidat, les négociations ne s'ouvriraient pas immédiatement : l'Union laisse un temps de latence d'un an minimum avant l'ouverture officielle.

Quant aux négociations elles-mêmes, l'Écosse ayant une économie de marché éprouvée, présentant une situation politique stable et ayant parfaitement intégré l'acquis communautaire, les négociations pourraient ne durer que 3 ou 4 ans.

Enfin, la dernière étape, celle de la ratification du traité d'adhésion, serait la plus délicate, car certains États unitaires craignant les forces centrifuges de leurs propres régions indépendantistes ne souhaiteraient pas précipiter la ratification et pourraient même s'y opposer. En supposant toutefois qu'une volonté politique unanime existât au sein de l'Union pour accueillir l'Écosse comme nouvel État membre, il faudrait donc compter un minimum de 6 ans et un maximum de 10 ans entre la demande d'adhésion et la ratification. Enfin, l'adhésion définitive pourrait encore prendre deux ans.

À côté des difficultés de ce calendrier, l'Écosse devrait aussi surmonter plusieurs défis pratiques comme l'établissement d'une frontière physique (et on verra renaître sous une forme différente la question d'un « backstop » , car cette frontière nouvelle sera celle entre le Royaume-Uni et l'Union européenne) remettant en cause la libre circulation des Écossais dans le Royaume-Uni, ce qui semble impensable.

Se poserait ensuite la question de l'adoption de l'euro qui est une obligation pour les nouveaux entrants. Or on sait que l'actuelle équipe au pouvoir (SNP) avait déjà émis le souhait de conserver la livre sterling.

Il conviendrait aussi que les nouvelles relations entre l'Écosse et le Royaume-Uni soient parfaitement normalisées et que l'accord les définissant soit appliqué sans embûche et ne vienne pas interférer avec les obligations liées à la future appartenance de l'Écosse à l'Union européenne. On rappellera ainsi que les diverses contributions de Londres au budget écossais (qui, par tête, sont plus importantes en Écosse qu'en Angleterre) auraient alors cessé et qu'Édimbourg attendrait beaucoup de l'Union européenne sur le plan financier.

Enfin, très naturellement, l'Écosse devenue indépendante serait contrainte de renégocier tous les accords auxquels elle était partie à travers le Royaume-Uni. Cette entreprise titanesque devrait avoir pris fin avant d'adhérer à l'Union européenne même si, pour les accords commerciaux, son appartenance à l'Union européenne simplifierait les données du problème..

Il s'agirait donc d'une entreprise longue et délicate sur laquelle on ne peut aujourd'hui avancer que des spéculations qui pourraient se trouver contredites par un soft Brexit ou un référendum sur l'indépendance négatif.


* 15 Voir annexe 3 au présent rapport.

* 16 La Convention Sewel est une convention constitutionnelle concernant l'articulation entre le Parlement national de Westminster d'une part, et les parlements décentralisés d'Ecosse, d'Irlande du Nord et du Pays de Galles de l'autre. La convention, dont le nom est dû au ministre écossais Lord Sewel, fut formulée en 1998 lors du grand mouvement de décentralisation qui suivit l'arrivée au pouvoir du Premier ministre Tony Blair. Elle stipule que le Parlement national ne peut pas légiférer dans un domaine qui est du ressort des parlements décentralisés ni dans le but d'altérer leurs pouvoirs, à moins que ces derniers n'y consentent expressément. Pour exprimer ce consentement, les parlements décentralisés approuvent une motion de consentement législative ( Sewel motion ).

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