C. DES ENJEUX SECTORIELS MAJEURS

1. L'agriculture et la pêche

L'agriculture et la pêche seraient d'autant plus affectées par un retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne que ces deux secteurs économiques font l'objet des deux seules politiques entièrement intégrées : la Politique agricole commune (PAC) et la Politique commune de la pêche (PCP).

En outre, les liens économiques d'interdépendance noués depuis le 1 er janvier 1973 n'ont fait que s'accroître au cours des quarante-six dernières années, au point de se substituer pour une bonne partie aux flux commerciaux historiques avec les pays du Commonwealth.

a) Brexit : la crainte d'un « séisme » pour la pêche française

La perspective du Brexit inquiète très fortement les professionnels de la pêche en France et en Europe. En effet, dans l'hypothèse de l'absence d'un accord pour régler les modalités de cette « sortie », le Royaume-Uni n'aurait plus à appliquer les accords européens et pourrait interdire aux chalutiers de ses voisins l'accès à ses eaux.

Les craintes d'une déstabilisation de la pêche française portent, dans un premier temps, sur l'issue incertaine des négociations relatives aux relations futures entre le Royaume-Uni et le reste de l'Union, notamment quant à l'avenir de l'accès aux zones de pêche : l'hypothèse d'un « divorce conflictuel » fragilise d'autant plus ce secteur d'activité, que la relation de dépendance asymétrique apparaît manifeste. Au demeurant seront concernés par ce dossier non seulement les pêcheurs, mais également les transformateurs, les distributeurs, les mareyeurs, voire même, indirectement, les poissonniers.

Dans un second temps, la sortie du Royaume-Uni de la PCP entraînerait inévitablement la remise à plat des quotas de pêche, aujourd'hui favorables à notre pays, car fixés sur des bases historiques - remontant aux années 1980 - qui n'ont pas été revues depuis lors. Or, cet enjeu semble au moins aussi important que celui du Brexit stricto sensu .

(1) Un effet direct potentiellement dévastateur

Lors de son audition du 4 avril 2017 par la commission des Affaires européennes, M. Hubert Carré, directeur général du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM) avait souligné la très forte dépendance des pêcheurs continentaux à l'égard des eaux britanniques :

« Le Royaume-Uni représente 23,6 % du tonnage global européen, soit 613.000 tonnes pour un total de 2,6 millions de tonnes. Il pêche à 80 % dans ses eaux, c'est-à-dire qu'il est quasi indépendant des autres États membres, sauf pour la plie, les pêcheurs britanniques ayant l'habitude de s'approvisionner sur les côtes françaises, belges et hollandaises. Le reste de la flotte européenne dépend des eaux britanniques à hauteur de 33 % en volume et de 25,4 % en valeur. La flotte des 27 États membres capture environ 676 000 tonnes de poissons dans les eaux du Royaume-Uni pour une valeur de 604 millions d'euros.  »

La capacité de production de la France dépend du Royaume-Uni à hauteur de 24 % - cette dépendance est de 39 % pour le Danemark, 40 % pour les Pays-Bas, 37 % pour l'Irlande, 45 % pour la Belgique et 30 % pour l'Allemagne. »

Si la pêche française dans son ensemble dépend pour un quart de ses prises de l'accès aux eaux britanniques, cette dépendance atteint, dans certains ports des régions littorales des Hauts-de-France, de Normandie 20 ( * ) et de Bretagne, des niveaux bien supérieurs, de l'ordre de 40% à 50%.

La pêche représente dans notre pays, au total, 48 000 emplois, dont 18 000 emplois directs. L'activité de transformation du poisson apparaît tout aussi dépendante des prises effectuées dans ces mêmes eaux : à titre d'illustration, 43 % des prises débarquées à Boulogne-sur-Mer ont été effectuées dans les eaux britanniques, faisant très largement vivre l'activité de transformation du port.

Inversement, les produits de la mer pêchés par les professionnels britanniques sont essentiellement destinés à l'exportation. Et la France représente pour ces derniers leur premier marché extérieur. Plus précisément, alors que les exportations de produits aquatiques de la France vers le Royaume-Uni totalisent 69 millions d'euros (huiles de poisson, thon, saumon), les exportations du Royaume-Uni vers la France représentent 445  millions d'euros (saumon, coquille Saint-Jacques, langoustines, cabillaud), soit 23 % du total des exportations britanniques de produits aquatiques vers l'Union européenne.

(2) Vers une négociation en position de faiblesse ?

Bon nombre de pêcheurs britanniques entretiennent manifestement l'espoir qu'en sortant de l'Union et dans l'hypothèse de l'absence d'accord réglant les modalités de cette sortie, le Royaume-Uni n'aurait plus à appliquer les accords européens et pourrait interdire aux chalutiers de ses voisins l'accès à ses eaux.

Une éventuelle « renationalisation » de la zone économique exclusive (ZEE) britannique de 200 milles nautiques remettrait en cause le délicat équilibre obtenu grâce à la PCP et contesté par les pêcheurs britanniques, depuis l'adhésion de leur pays en 1973. Les navires français disposent, en effet, de nombreux droits d'accès historiques à certaines eaux comprises entre 6 et 12 miles des côtes britanniques, qui sont des eaux littorales très poissonneuses. Or, la réciproque n'est pas vraie. Dans le volet pêche du Brexit, les pêcheurs continentaux se trouvent d'ores et déjà en position de faiblesse.

Le scénario d'un « divorce conflictuel » serait théoriquement amorti par un garde-fou, dans la mesure où le Royaume-Uni resterait de toute manière tenu de respecter les conventions internationales existantes sur la pêche et l'accès à sa Zone économique exclusive (ZEE). Pour autant, le droit international maritime peut donner lieu à certaines difficultés d'interprétation. Le risque de l'instauration de barrières douanières et de mesures de rétorsion ne saurait être mésestimé.

Au surplus, les pays de l'Union européenne n'ont pour la plupart d'entre eux - ceux qui se trouvent géographiquement éloignés du Royaume-Uni - qu'un intérêt marginal dans ce dossier. Seule une poignée d'États membres est fortement préoccupée par les enjeux de l'accès aux eaux britanniques. Outre la France, les principaux pays concernés seraient le Danemark, les Pays-Bas, l'Irlande, la Belgique et l'Allemagne. En revanche, les pêcheurs espagnols ont une activité très limitée dans les eaux britanniques.

Il conviendrait, par conséquent, d'éviter à tout prix de réserver un sort spécifique à cette question, qui prendrait la forme d'un Brexit sectoriel. De la même façon, nos partenaires britanniques pourraient être tentés d'entamer des négociations bilatérales pays par pays, ce qui fort heureusement apparaît impossible, en raison du caractère intégré de la PCP. Quoi qu'il arrive, il appartient à la seule Commission européenne de négocier avec le Royaume-Uni.

En revanche, la partie britannique se trouve dans une situation rigoureusement inversée pour le transport aérien : les compagnies britanniques ne peuvent en aucun cas se passer d'opérer dans l'Union européenne et se trouvent, à leur tour, en position de faiblesse.

(3) La crainte d'un effet indirect du Brexit : l'ouverture de la « boîte de Pandore » de la renégociation des quotas de pêche

Au-delà des questions du périmètre des zones de pêche et des conditions de l'exercice de la pêche, la clé de voûte même de la PCP - à savoir le dispositif des quotas - risque, sinon d'être remis en cause, du moins de faire l'objet d'un réexamen d'ensemble. Or, notre pays n'a rien à gagner et beaucoup à perdre à voir s'ouvrir de telles discussions.

La première étape de ce processus consisterait à redistribuer la quote-part du Royaume-Uni à l'intérieur de l'Union.

Outre les parts relatives attribuées aux pêcheurs de chaque pays, le système dans son ensemble serait remis à plat. Pour prendre une image simplifiée, c'est la « taille du gâteau » qui changerait et non pas seulement les « portions individuelles ». D'une façon générale, en effet, les droits de pêche sont répartis entre les pays de l'Union européenne sous la forme de quotas nationaux, en appliquant un pourcentage différent par stock et par pays, afin de garantir une stabilité relative des quantités pêchées. Ces quotas ont été établis à partir d'une répartition géographique des navires de chaque pays effectuée en 1983, mais qui n'a plus été réactualisée depuis lors. Aujourd'hui, la flottille espagnole est deux fois plus importante que la flottille française. Or, dans les années 1980, la France disposait en métropole de 10.000 bateaux, contre 4.537 aujourd'hui. Les quotas de pêche attribués à notre pays risquent donc d'être revus à la baisse.

Enfin, après le Brexit, dans le cadre des négociations à venir avec le Royaume-Uni sur le partage des stocks de poisson dans les eaux européennes, le gouvernement britannique pourrait lui aussi mettre en avant le caractère désavantageux des clés de répartition actuelles, pour demander une révision à la hausse des parts attribuées à ses pêcheurs.

Au total, le Brexit apparaît comme une bombe à retardement, aussi bien pour la pêche française, que pour la pêche européenne.

b) L'agriculture française confrontée à une « double peine »

À l'instar de la pêche, l'agriculture française pourrait faire doublement les frais du « Brexit », en raison, d'une part, des pertes prévisibles de débouchés, d'autre part, de la prochaine réforme de la Politique agricole commune 2021-2027 en cours de négociation 21 ( * ) .

(1) La crainte d'une perte rapide de débouchés

Dès le XIX° siècle, le Royaume-Uni a fait le choix du commerce international pour nourrir sa population. C'est toujours le cas. Nos voisins importent l'essentiel de leurs produits alimentaires, notamment en provenance de l'Union européenne, au point que le taux d'autosuffisance alimentaire du pays ne s'élève qu'à 62 % 22 ( * ) .

D'une façon générale, la France est, après les Pays-Bas, le second fournisseur agricole du Royaume-Uni . En moyenne, depuis le début des années 2010, les échanges agro-alimentaires entre la France et le Royaume-Uni représentent 5 Mds€ par an, dont 1,3 Mds€ pour les vins, 600 M€ pour les produits laitiers, 266 M€ pour les confiseries et produits assimilés et 160 M€ pour la boulangerie et les céréales. En retour, les importations françaises en provenance du Royaume-Uni portent sur les spiritueux, les produits de la mer et la viande ovine.

Au total, l'excédent commercial du secteur agroalimentaire français s'élève à 3 Mds € par an .

La France occupe, en particulier, la place de premier fournisseur viticole du Royaume-Uni en valeur (33 %), loin devant l'Italie (19 %) et l'Espagne (8 %) et la troisième place en volume, derrière l'Italie et l'Australie. Au total, notre excédent commercial bilatéral s'élève dans ce domaine à 1,3 Mds € en 2017 23 ( * ) .

L'inquiétude de voir nos exportations diminuer à la faveur du Brexit apparaît largement répandue. L'Assemblée permanente des chambres d'agricultures (APCA) a ainsi estimé 24 ( * ) qu'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne sans accord négocié « représenterait un coût de plus de 500 millions d'euros pour les exportations de nos filières agroalimentaires, sur une perte estimée au total à 3 milliards d'euros pour l'économie française » .

L'avenir des relations commerciales avec le Royaume-Uni, à l'issue du Brexit, conduirait à une situation tout à fait inédite pour l'Union européenne, qui « n'a jamais conclu d'accord de libre-échange englobant l'ensemble des produits agricoles », comme l'observait fort justement sur son blog 25 ( * ) Alan Matthews, professeur au Trinity College de Dublin.

(2) À ce saut dans l'inconnu s'ajoute une possible réorientation préjudiciable des flux commerciaux

Jusqu'à son adhésion à la Communauté économique européenne, le Royaume-Uni entretenait des liens commerciaux étroits , tout particulièrement dans le domaine agricole, avec les pays du Commonwealth . Ces liens commerciaux se sont distendus depuis 1973. Ils pourraient être en quelque sorte « réactivés », à la faveur de la conclusion de futurs accords commerciaux de libre-échange , en particulier avec l'Australie, le Canada et la Nouvelle-Zélande. De la même façon, l'enjeu agricole figurera au coeur des relations commerciales futures entre le Royaume-Uni et les États-Unis .

À la perte directe de débouchés traditionnels pour la France pourrait s'ajouter un effet dit de « second tour » prenant la forme d'une concurrence accrue des producteurs britanniques au détriment des exportateurs français sur des marchés tiers, en raison de la réorientation géographique des flux commerciaux des autres partenaires commerciaux du Royaume-Uni. Trois secteurs, en particulier, pourraient donner lieu à de telles inquiétudes : les exportations de lait, de viande , mais également, dans une moindre mesure, de céréales .

Les positions commerciales françaises, aujourd'hui solides dans le domaine agroalimentaire, apparaissent menacées à plus d'un titre par la perspective d'un Brexit. Mais, les effets déstabilisateurs se manifestent d'ores et déjà en ce qui concerne la future réforme de la PAC.

(3) Vers une réforme drastique de la PAC ?

Aux yeux des agriculteurs français, après la question des échanges commerciaux, celle de l'avenir de la PAC (et de son financement) apparaît comme l'autre inconnue majeure du Brexit. De fait, le Royaume-Uni est un contributeur net de la Politique agricole commune difficilement remplaçable : il en va pour environ 2,7 milliards à 3,9 milliards d'euros par an, suivant les hypothèses de calcul 26 ( * ) .

En cas de retrait britannique de l'Union européenne, il appartiendrait alors aux 27 États membres de compenser tout ou partie de ce besoin de financement. Au demeurant, les agriculteurs britanniques auraient eux aussi matière à s'inquiéter, dans la mesure où lesdites aides européennes, qu'ils seraient amenés à perdre, représentent la majorité de leurs revenus. L'ancien gouvernement de Theresa May s'était engagé à compenser la perte de ces montants jusqu'en 2020. Qu'en est-il pour le nouveau gouvernement ? Qu'en serait-il après 2020 ?

C'est sur ces bases qu'a été élaboré le projet de Cadre financier pluriannuel (CFP) pour la période 2021-2027, présenté le 2 mai 2018. Il en résulterait une réduction « annoncée » de 5 % en euros courants de la PAC, par rapport à l'enveloppe du Cadre financier pluriannuel 2014-2020.

L'ampleur réelle, en euros constants, de ces « coupes » a été contestée par de nombreux États membres, ainsi que par le Parlement européen : exprimée en euros constants, elle atteindrait plutôt 11% pour le « premier pilier » de la Politique agricole commune et 28% pour le « second », soit 15% au total, entre 2021 et 2027, en comparaison du précédent Cadre financier pluriannuel.

Dans ces conditions, la question de la réduction du budget conditionne largement les négociations sur la future réforme de la PAC, ce qui ne manque pas de susciter de vives inquiétudes.

Ces inquiétudes ont été relayées par le groupe de suivi constitué par la commission des affaires économiques et par la commission des affaires européennes du Sénat pour suivre la réforme de la PAC. Le récent rapport d'information de nos collègues, intitulé PAC : arrêter l'engrenage conduisant à sa déconstruction d'ici 2027 , y consacre de larges développements 27 ( * ) . Ce travail de fond a également débouché sur l'adoption d'une résolution européenne par le Sénat, le 7 mai 2019. 28 ( * )

2. Le secteur financier
a) Les craintes de la City qui se dit encore mal préparée au Brexit

Dans le cas d'une sortie sans accord, les flux entre le Royaume-Uni et l'Union Européenne seraient gravement affectés. Dans ce contexte incertain, l'industrie des services financiers s'est préparée à tous les scénarios. Pour toutes les mesures préparatoires qui lui incombaient et qu'elle pouvait prendre de manière unilatérale, l'industrie financière britannique dit avoir achevé son ouvrage. Cependant, elle tient à bien signaler qu'il reste un grand nombre de mesures que le Royaume-Uni et l'Union doivent prendre de manière concertée afin d'éviter un impact fâcheux pour les clients de ces services et pour l'économie en général.

b) Les mesures qui restent à prendre

La City demande au gouvernement britannique d'achever l'intégration dans le droit britannique de l'acquis communautaire dans le domaine financier et de renforcer les équipes du régulateur chargées d'accompagner les entreprises financières au lendemain du 31 octobre 2019.

Selon la City, le gouvernement doit continuer à manifester sa confiance dans l'économie britannique et à encourager les dépenses des particuliers et l'investissement, tout en réaffirmant que la place de Londres doit garder son statut de centre financier mondial.

L'Union européenne et le Royaume-Uni doivent compléter les accords de coopération et les protocoles d'accord de leurs régulateurs respectifs dans le domaine financier. De même, la City demande au Royaume-Uni et à l'Union de s'entendre sur la reconnaissance d'équivalence des plateformes de négociation pour un temps suffisamment long.

Demeurent également les questions des équivalences pour le marché des dérivés, de la libre circulation des données personnelles et de la continuité des contrats.

c) Le précédent suisse

Les interlocuteurs du groupe de suivi craignent que l'épisode qui se joue actuellement entre la Suisse et l'Union européenne, avec le récent refus européen de renouveler le régime d'équivalence accordé à la Suisse, ne serve de précédent : la Bourse de Zürich se trouve privée des flux venant des investisseurs européens depuis le 1er juillet 2019.

Le Conseil fédéral suisse a jugé, par 37 voix contre 5, que le projet d'accord-cadre régissant les futures relations avec l'Union européenne contrevenait à la Constitution fédérale. Il a été rappelé qu'aucun accord entre la Suisse et l'Union européenne ne pouvait prévoir de reprise automatique du droit européen. Chaque intégration d'un pan de droit européen dans le droit suisse nécessite une décision indépendante de la Suisse et parfois même un référendum.

Nos interlocuteurs de la City ont vu dans ce différend une préfiguration peu encourageante du climat des relations qui pourraient prévaloir, entre l'Union européenne et le Royaume-Uni après le Brexit.

3. Les coopérations en matière de sécurité et de défense

L'Union européenne est généralement considérée comme un multiplicateur de puissance, amplifiant les vecteurs d'influence de ses États membres, et émergeant elle-même comme une voix forte et entendue dans le monde. À l'inverse, le Brexit est un facteur de division, qui affaiblit l'Europe dans son dialogue avec les « États continents » qui l'entourent et amoindrit les efforts de construction d'une défense européenne.

Quel que soit son statut par rapport à l'UE, le Royaume-Uni restera dans la sphère d'intérêts et de valeurs de l'Union, ce qui implique une réflexion sur de nouveaux modes d'association.

a) Une coûteuse dispersion de puissance

Le coût du Brexit, en termes diplomatiques et de défense est potentiellement considérable, que ce soit pour l'Union européenne ou pour le Royaume-Uni.

Le contexte international se prête d'autant moins au Brexit que le déclin économique relatif des pays européens s'accentue au fil du temps, dans un contexte de rattrapage au bénéfice des pays émergents. Comme l'illustre le tableau ci-dessous établi par la Commission européenne, seule l'Union européenne dans son ensemble permettrait à ses 27 États membres de conserver une (modeste) quatrième place dans la hiérarchie des puissances économiques internationales. Considérés individuellement, les pays européens n'occuperaient plus qu'une place marginale : seule l'Allemagne figurerait encore au septième rang en termes de PNB.

Source : Commission européenne - Michel Barnier

(1) Une perte de puissance pour l'UE

Du côté de l'Union européenne, on a pu croire, dans un premier temps, que le Brexit permettrait de relancer la politique étrangère de sécurité et de défense, voire de refonder l'UE pour aller de l'avant de façon plus cohérente et solidaire, le Royaume-Uni étant depuis longtemps un partenaire difficile, partagé entre son appartenance à l'Union et sa « relation spéciale » avec les États-Unis. Il est vrai qu'après avoir contribué, avec la France, à lancer la PSDC lors du sommet de Saint-Malo en 1998, le Royaume-Uni en a freiné les avancées après la guerre d'Irak, marquée par de fortes divisions internes à l'UE. Récemment, en 2017, le départ annoncé du Royaume-Uni a probablement facilité, par exemple, la mise en place d'une capacité militaire de planification et de conduite de l'UE, alors que les Britanniques y avaient précédemment mis un veto.

Mais la perspective d'une relance de la PSDC sans le Royaume-Uni, sous le mandat d'un nouveau Haut Représentant, reste très incertaine.

D'une part, le Brexit continue de capter une énergie considérable et rien n'est possible tant que des perspectives de long terme ne sont pas établies.

D'autre part, le Royaume-Uni n'est pas le seul pays rétif aux avancées de la PSDC. En son absence, d'autres États membres de tendance atlantiste, attachés à la prééminence du cadre OTAN, et plus dépendants des États-Unis pour leur sécurité que ne l'est le Royaume-Uni, risquent de monter au créneau, ce qui demeurera bloquant dans la mesure où les décisions en matière de PSDC sont prises à l'unanimité. Le Royaume-Uni a joué par le passé un rôle de médiateur entre l'OTAN, les États-Unis, et les États membres de l'UE. Personne ne pourra exercer ce rôle à sa place.

Le départ du Royaume-Uni, l'une des trois principales puissances de l'Union, entraîne un bouleversement des équilibres. Avec la France, les Britanniques sont les seuls capables de se projeter au niveau mondial, de faire usage de la dissuasion nucléaire et de réagir sur le plan non seulement diplomatique mais aussi militaire aux grandes crises internationales. Le Royaume Uni et la France sont les seuls États membres à maîtriser tout le spectre des capacités militaires. En outre, Londres est également un partenaire important dans le domaine du renseignement et de la coopération policière et judiciaire. C'est un enjeu particulièrement important pour la lutte anti-terroriste.

L'UE perd avec le Brexit l'un de ses deux sièges permanents au sein du Conseil de sécurité de l'ONU. Elle est également privée de l'État membre disposant du plus gros budget de défense. Le budget de défense britannique s'élève en effet à 45,5 milliards d'euros, soit un quart des dépenses de défense de l'UE à 28 (205 milliards d'euros en 2017), devant la France (41 milliards d'euros) et l'Allemagne (34,5 milliards d'euros) 29 ( * ) .

La France s'éloigne ainsi de son partenaire de défense le plus naturel, disposant de la culture stratégique la plus proche de la sienne, du point de vue capacitaire et opérationnel. Cette situation donne à la France une responsabilité particulière à l'intérieur de l'UE, qu'elle sera désormais seule à représenter en tant que membre permanent au sein du Conseil de sécurité de l'ONU (CSNU).

Des pressions ont déjà commencé à s'exercer puisque plusieurs voix se sont élevées en Europe, et notamment en Allemagne, au cours des derniers mois, en faveur d'une « européanisation » du siège permanent de la France au CSNU. Mme Annegret Kramp-Karrenbauer, présidente de la CDU, M. Wolfgang Schäuble, président du Bundestag, se sont notamment exprimés en ce sens. C'est une illustration de ce que la dispersion de puissance liée au Brexit peut engendrer. Une européanisation du siège permanent serait en effet absurde : l'UE dispose à l'heure actuelle de cinq sièges au CSNU (2 permanents dont le Royaume-Uni et 3 non permanents 30 ( * ) ). Échanger ces cinq sièges contre un seul ne serait ni dans l'intérêt de l'UE ni dans celui de ses États membres. C'est pourquoi la France soutient plutôt l'idée d'une entrée de l'Allemagne dans le cercle des membres permanents du CSNU.

(2) Le risque d'un déclin inexorable pour le Royaume-Uni ?

Pour le Royaume-Uni, les risques sont encore plus patents. Selon certains commentateurs, le Brexit est le plus grand coup porté à la posture britannique dans le monde depuis la crise de Suez en 1956, qui avait consacré l'affaiblissement des puissances européennes historiques au profit des deux grands adversaires de la guerre froide, les États-Unis et l'URSS.

Un rapport 31 ( * ) de M. Pierre-Alain Coffinier, ancien Consul général de France à Edimbourg, a détaillé les conséquences possibles du Brexit pour la puissance britannique, en fonction de différents scénarios. Le gouvernement britannique espère avoir, après le Brexit, une diplomatie plus souple, plus réactive, moins engluée dans la bureaucratie bruxelloise. Mais il est probable qu'au contraire, la perte du multiplicateur de puissance et d'influence que constitue l'Union européenne ne soit pour le Royaume-Uni lourde de conséquences. Ce constat se décline à plusieurs niveaux.

En premier lieu, la perte d'influence du Royaume-Uni dans l'Union européenne est un risque évident, notamment vis-à-vis des pays de l'est et des Balkans, où les Britanniques ont récemment capitalisé sur leur attachement à l'OTAN et sur leur soutien à l'élargissement pour développer leur influence.

En deuxième lieu, la perte d'influence du Royaume-Uni dans le monde est également très probable, y compris à l'égard des États-Unis ou des pays émergents, pour qui l'appartenance à l'ensemble européen et au marché unique était l'un des facteurs d'attractivité du Royaume-Uni.

Que pèsera Londres, à l'avenir, dans le dialogue avec la Russie et avec la Chine ? Pour réagir à l'évolution de la situation à Hong Kong, ou encore sur la question du développement des infrastructures de la 5G, le Royaume-Uni n'est-il pas déjà quelque peu entravé par la nécessité de maintenir de bonnes relations avec la Chine, dans le contexte du Brexit ?

La réaction coordonnée de l'UE à la suite de l'attaque de Salisbury en mars 2018 a illustré l'intérêt d'une solidarité européenne et l'effet multiplicateur de puissance de l'Union. Le Conseil européen a alors entièrement souscrit à l'analyse du gouvernement britannique, selon laquelle il était « hautement probable que la Fédération de Russie soit responsable » de l'attaque et qu'il n'existait « pas d'autre explication plausible ». Le Conseil européen a exprimé « une solidarité sans faille avec le Royaume-Uni face à cette grave remise en cause de notre sécurité commune ». Des sanctions ont, par la suite, été imposées par l'UE à plusieurs personnes et entités, en application d'un nouveau régime de mesures restrictives adoptées en octobre 2018 pour lutter contre l'utilisation et la prolifération des armes chimiques. Le Royaume-Uni a ainsi pu compter sur la solidarité européenne, au moment même où il négociait le Brexit. A l'avenir, il ne pourra plus être que spectateur et non bénéficiaire ou acteur direct d'une telle solidarité.

Sur le plan commercial, ensuite, les tentatives de rapprochement du Royaume-Uni avec d'autres grands partenaires (États-Unis, Chine, Inde) lui ouvrent des perspectives incertaines. Comment un marché de 66 millions d'habitants pourrait-il peser autant dans des négociations qu'un marché de 513 millions de consommateurs ? L'Union européenne applique aujourd'hui 35 accords de libre-échange avec 62 pays partenaires. Elle est en cours de négociations avec 7 autres pays ou groupes de pays. Ces négociations sont longues et difficiles. Elles ont par exemple commencé en 2009 pour le CETA, dont le projet de loi de ratification a été récemment déposé au Sénat. Le Royaume-Uni partagera-t-il les contingents déjà négociés par l'UE, ou négociera-t-il de nouveaux contingents, ce qui pourrait lui prendre plusieurs années, voire plusieurs décennies ?

Dans le domaine de la défense, enfin, le Brexit arrive dans un contexte déjà difficile pour les forces armées britanniques. Un rapport parlementaire récent 32 ( * ) a montré que le ministère de la défense britannique ne disposait pas d'un budget suffisant pour financer l'achat et le soutien des équipements planifiés. L'écart entre le budget disponible et les besoins est estimé entre 7 Md£ et 14,8 Md£ sur 10 ans. Le Brexit est une épée de Damoclès supplémentaire sur les finances publiques et donc sur le budget de défense britannique.

Londres pourrait également perdre en influence au sein de l'OTAN. L'attribution à un Britannique du poste d'adjoint au commandant suprême des forces alliées en Europe ( Deputy SACEUR ) pourrait être remise en cause au profit d'un État membre de l'Union européenne. Un rapport récent de votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées propose, à tout le moins, la création d'un nouveau poste de Deputy SACEUR , réservé à un représentant d'un État membre.

Enfin, la question de l'Ecosse a une dimension stratégique, puisque la force de dissuasion nucléaire du Royaume-Uni y est implantée, sur la base navale HMNB Clyde près de Glasgow, qui comporte plusieurs sites. Le site de Faslane accueille la flotte des 4 sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) de classe Vanguard , ainsi d'ailleurs que la nouvelle génération de sous-marins nucléaires d'attaque (SNA). Le site de Coulport, à quelques kilomètres du premier, est l'installation de stockage et de chargement des têtes nucléaires du programme Trident .

Lors du référendum sur l'indépendance de l'Ecosse (2014), le Scottish National Party (SNP) s'était déclaré défavorable, en cas de victoire du « oui », à un accord qui permettrait le maintien de la flotte de SNLE et des têtes nucléaires en Ecosse. D'après des sondages, les Ecossais y seraient également réticents. Le coût d'une relocalisation de la flotte de sous-marins nucléaires britanniques a fait l'objet d'évaluations diverses : de 3 à 4 Md£ 33 ( * ) , voire bien davantage (jusqu'à 50 Md£, selon certains analystes). Cette relocalisation pourrait par exemple être envisagée au moment du renouvellement de la flotte de SNLE à partir de 2028, au terme d'une période transitoire négociée entre l'Ecosse et ce qui resterait du Royaume-Uni.

Le coût et les difficultés d'acceptation par la population d'une telle relocalisation, s'agissant notamment des têtes nucléaires, risqueraient de relancer le débat, outre-Manche, sur l'intérêt de maintenir une dissuasion nucléaire. Le risque existe, à terme, que soit ainsi remis en cause un autre pilier de la puissance britannique.

Les bases de Faslane et Coulport en Ecosse

HMNB : Her Majesty's Naval Base

SSBN : Sub-Surface Ballistic Nuclear (SNLE)

RNAD : Royal Naval Armaments Depot

Source : Rapport précité du Royal United services Institute (RUSI)

b) De nouveaux modes d'association à imaginer

Pour limiter les effets de la dispersion de puissance induite par le Brexit, il est indispensable d'imaginer de nouveaux modes d'association susceptibles d'arrimer le Royaume-Uni au continent.

Encore faut-il que cet objectif soit partagé par Londres, alors que des déclarations récentes du Premier ministre britannique suscitent des incertitudes.

(1) Les ambiguïtés britanniques

Le gouvernement de Theresa May avait fait de premières propositions ambitieuses, en suggérant que la relation future avec l'UE comporte un traité de défense et de sécurité qui en aurait été le deuxième pilier, à côté du partenariat économique. C'est ce qui ressort du Livre blanc sur la relation future avec l'UE publié en juillet 2018 34 ( * ) .

Il s'agissait de construire un « partenariat spécial et approfondi » (« a deep and special relationship ») avec l'Union européenne, permettant notamment au Royaume-Uni de participer :

- aux missions de la PSDC, éventuellement grâce à la conclusion d'un accord-cadre tel que ceux existants déjà entre l'UE et plusieurs pays tiers (Norvège, Canada, Turquie, États-Unis) ;

- à l'imposition de régimes de sanctions ;

- aux efforts de construction d'une défense européenne, notamment au travers de l'Agence européenne de défense (AED), de la Coopération structurée permanente (CSP) et du Fonds européen de défense (FEDef), auxquels le gouvernement britannique se déclarait prêt à participer ;

- au maintien d'une étroite coopération policière et judiciaire, indispensable à la sécurité du continent.

Le Royaume-Uni a regretté que l'Union européenne ne lui permette pas de participer aux futurs appels d'offre concernant la partie cryptée, à usage militaire, du programme Galileo, ce qui l'a conduit à annoncer l'an dernier son retrait du volet militaire de ce programme et à envisager le développement d'un autre système de navigation par satellites.

A l'heure où l'Europe devrait unir ses forces, la perspective de développer deux systèmes GNSS 35 ( * ) concurrents est une absurdité supplémentaire, conséquence du Brexit. L'Union a pourtant proposé au Royaume-Uni, comme d'ailleurs aux États-Unis, un accord pour l'accès au signal crypté (PRS 36 ( * ) ) mais elle refuse que des infrastructures essentielles à la production de ce signal soient construites et contrôlées par une entité d'un État tiers.

Le gouvernement de Theresa May a par ailleurs choisi d'adhérer à l'Initiative européenne d'intervention (IEI) lancée en juin 2018 par la France. L'IEI vise à favoriser l'émergence d'une culture stratégique européenne commune et à créer des conditions favorables à de futurs engagements coordonnés, que les pays participants soient parties prenantes ou non à la PSDC (le Danemark est membre de l'IEI mais ne participe pas à la PSDC) et membres ou non de l'OTAN (la Finlande, non membre de l'OTAN, participe à l'IEI). L'adhésion à l'IEI de l'Italie, de la Norvège (non membre de l'UE) et de la Suède (non membre de l'OTAN) est aujourd'hui envisagée. Le Brexit rend ce nouveau cadre, caractérisé par sa légèreté et sa flexibilité, particulièrement opportun.

La déclaration politique adoptée en novembre 2018, qui accompagne l'accord de retrait négocié entre l'UE et le gouvernement britannique, mentionne la nécessité d'un partenariat futur « ambitieux, étroit et durable » dans le domaine de la politique étrangère, ainsi qu'une « coopération souple et modulable ». « Les relations futures devraient (...) permettre au Royaume-Uni de participer au cas par cas à des missions et opérations PSDC au moyen d'un accord-cadre de participation ». Une participation du Royaume-Uni à des programmes et agences de l'UE est évoquée, ainsi que des arrangements dans le domaine spatial.

Dès le départ, toutefois, les propositions encourageantes du gouvernement de Theresa May n'étaient pas dénuées d'ambiguïtés. Dans un discours de janvier 2017 37 ( * ) , la Première ministre a lancé l'idée de « global Britain », c'est-à-dire le projet d'un Royaume-Uni à vocation mondiale, qui quitterait l'UE pour mieux se tourner vers le reste du monde. Theresa May adoptait ainsi un langage rappelant les propos de Winston Churchill (« Chaque fois qu'il nous faudra choisir entre l'Europe et le grand large, nous serons toujours pour le grand large » ) et jouant sur la nostalgie de l'Empire britannique, probablement présente chez certains partisans du Brexit.

D'après la presse 38 ( * ) , le gouvernement de l'actuel Premier ministre Boris Johnson aurait récemment indiqué à Bruxelles qu'il souhaitait revenir sur l'engagement du gouvernement précédent en faveur d'une coopération étroite avec l'UE dans le domaine de la défense. Le gouvernement britannique insisterait sur le fait que tout accord futur devrait comporter des mécanismes permettant de maintenir le contrôle souverain du Royaume-Uni sur l'utilisation de ses moyens de défense. Certains commentateurs jugent que le volet « défense » serait ainsi instrumentalisé dans la négociation du « backstop ».

Plus généralement, il faut veiller à ce que la dernière ligne droite de la négociation n'attise pas un certain ressentiment des Britanniques vis-à-vis de l'UE, ressentiment qui est déjà perceptible sur la question de Galileo et qui pourrait nuire à la relation future entre le Royaume-Uni et l'Union européenne.

Ce phénomène pourrait aussi être préjudiciable à la coopération bilatérale de défense franco-britannique, la France étant parfois perçue outre-Manche comme particulièrement exigeante dans les négociations.

La coopération bilatérale franco-britannique ne repose pourtant pas sur des mécanismes communautaires. Elle s'inscrit dans le cadre des accords de Lancaster House du 2 novembre 2010. Ces accords établissent une coopération étroite sur le plan opérationnel et industriel, avec notamment la création d'une force expéditionnaire conjointe (CJEF 39 ( * ) ), qui devrait être déclarée pleinement opérationnelle en 2020, et le lancement de plusieurs projets industriels majeurs.

Les accords de Lancaster House ont été confirmés par Theresa May lors du sommet franco-britannique de Sandhurst en janvier 2018.

Le Royaume-Uni a toutefois décidé de ne pas poursuivre le projet de système de combat aérien futur (SCAF), essentiellement pour des raisons budgétaires.

Les budgets de défense de la France et du Royaume-Uni représentent près de la moitié des dépenses de défense au sein de l'UE. La coopération entre ces deux pays est donc structurante pour la défense européenne. Elle doit se poursuivre. Si la coopération franco-allemande est indispensable, elle ne saurait être exclusive, particulièrement dans le contexte actuel, alors qu'elle est marquée par de nombreuses incertitudes s'agissant de la conduite des deux projets industriels majeurs que sont les systèmes de combat aérien (SCAF) et terrestre (MGCS 40 ( * ) ) futurs et de la possibilité d'un accord sur les exportations d'armement.

Le bon sens veut que la France ne concentre pas tous ses efforts sur son partenariat de défense franco-allemand, même si celui-ci est incontournable et qu'il est évident que l'Allemagne devra jouer, à l'avenir, un rôle important dans la construction d'une défense européenne.

(2) Trouver les modalités d'un partenariat étroit avec le Royaume-Uni

Des solutions « créatives » (selon la terminologie souvent employée par les Britanniques) doivent être trouvées pour associer le Royaume Uni tant aux missions de la PSDC qu'à l'Agence européenne de défense (AED), à la Coopération structurée permanente (CSP) et au Fonds européen de défense (FEDef).

La participation des Britanniques aux efforts de coopération dans le domaine capacitaire est, en particulier, souhaitable, étant donné les compétences industrielles de ce pays et les liens de coopération et d'intégration existant déjà au sein de l'industrie de défense européenne.

La base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) est une composante essentielle de l'autonomie stratégique de l'UE. Comment imaginer la développer et lui permettre de résister à une concurrence croissante au niveau mondial, sans mettre en commun nos efforts ? Une place particulière devra être réservée au Royaume-Uni dans ces dispositifs, ce qui est dans l'intérêt-même de l'Union.

La proposition de règlement sur le FEDef laisse une porte ouverte à la participation d'États tiers.

Les critères d'éligibilité au FEDef

Aux termes de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le Fonds européen de la défense 41 ( * ) :

- d'une part, « les demandeurs et leurs sous-traitants sont éligibles à un financement à condition qu'ils soient établis dans l'Union ou dans un pays associé, qu'ils aient leurs structures de direction dans l'Union ou dans un pays associé et qu'ils ne soient pas contrôlés par un pays tiers non associé ou par une entité de pays tiers non associé » 42 ( * ) .

- d'autre part, « par dérogation (...), un demandeur établi dans l'Union ou dans un pays associé et contrôlé par un pays tiers non associé ou une entité de pays tiers non associé peut être éligible à un financement si cela est nécessaire pour réaliser les objectifs de l'action et à condition que sa participation ne compromette pas les intérêts de l'Union et de ses États membres en matière de sécurité ».

Il conviendra toutefois aussi d'assurer une protection effective des intérêts européens vis-à-vis des États-Unis.

Or les pressions sont fortes, comme on a pu l'observer lors de l'épisode de la lettre en date du 1er mai 2019, adressée par des responsables américains à Mme Federica Mogherini, Haute Représentante, dénonçant les conditions d'éligibilité aux financements des projets européens. En réponse, la Haute Représentante a rappelé qu'environ 81% des contrats internationaux dans le domaine de la défense à l'intérieur de l'UE étaient aujourd'hui attribués à des firmes américaines.

Le marché européen de la défense reste bien plus ouvert aux entreprises américaines que le marché américain ne l'est aux entreprises européennes et ni le FEDef, ni la CSP ne modifient les règles existantes en matière de marchés européens de défense. La critique américaine n'est donc pas justifiée. Les États-Unis sont de fait partagés entre d'une part, leurs intérêts industriels, et, d'autre part, leur volonté de mieux « partager le fardeau » avec leurs partenaires européens au sein de l'OTAN, qui devrait les conduire à soutenir la construction d'une défense européenne autonome.

Votre groupe de suivi appelle à une coopération aussi étroite que possible avec le Royaume-Uni dans le domaine de la PSDC, afin de minimiser les conséquences potentielles du Brexit en termes de diffraction de la puissance européenne.

Cette coopération pourrait se traduire par un traité de sécurité et de défense entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, qui serait l'un des piliers d'une relation future mutuellement bénéfique. Ce traité définirait les modalités d'association du Royaume-Uni aux dispositifs de la PSDC et au Fonds européen de défense.

L'Initiative européenne d'intervention, ou encore la proposition de création d'un « Conseil de sécurité européen » peuvent également contribuer à ce rapprochement avec le Royaume-Uni post-Brexit. Ces dispositifs flexibles constituent un contrepoids appréciable à la règle de l'unanimité. Ils permettront d'avancer avec un petit nombre de pays volontaires.

Encore faudra-t-il préserver, au cours des prochaines semaines, les conditions d'une confiance réciproque avec le Royaume-Uni, et inscrire ces initiatives dans un cadre inclusif afin de ne pas donner le sentiment de vouloir créer une Europe « à plusieurs vitesses ».


* 20 Au surplus, les accords dits « de la Baie de Granville » du 4 juillet 2000, visant à établir des relations de bon voisinage avec la France pour pêcheries locales à l'approche des îles anglo-normandes, pourraient devenir une autre « victime collatérale » du Brexit.

* 21 Cf. pages 10 et 11 du rapport d'information n° 317 (2018-2019), PAC : arrêter l'engrenage conduisant à sa déconstruction d'ici 2027 », de Daniel Gremillet, Pascale Gruny, Claude Haut et Franck Montaugé.

* 22 Audition du 18 avril 2018 de M. Michel Nalet, président de la Commission Export et international de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA).

* 23 Source : Fédération des Exportateurs de vins et spiritueux (FEVS)

* 24 Communiqué de presse publié le 18 janvier 2019 par l'APCA « Le "hard Brexit" menace nos filières ! »

* 25 http://capreform.eu - “Brexit and its consequences for the CAP” - Alan Matthews.

* 26 Chiffre avancé en décembre 2018 par M. Michel Dantin, ancien député au Parlement européen et membre de la commission de l'agriculture et du développement rural de ce dernier (2009-2019).

* 27 Rapport d'information n° 317 (2018-2019) déjà cité supra .

* 28 Résolution européenne n° 96 (2018-2019) du Sénat du 7 mai 2019 sur la réforme de la Politique agricole commune.

* 29 Chiffres Eurostat pour 2017.

* 30 L'Allemagne, la Belgique et la Pologne sont actuellement membres non permanents du CSNU.

* 31 Brexit : quelles conséquences pour la puissance britannique , rapport 16 (Avril 2018) de M. Pierre-Alain Coffinier, avec la collaboration de M. Jordi Lafon, Institut Thomas More.

* 32 House of Commons Committee of Public Accounts, « Defence Equipment Plan 2018-28 », 23 janvier 2019.

* 33 « Relocation, relocation, relocation : could the UK's nuclear force be moved after Scottish Independance », rapport de MM. Hugh Chalmers et Malcolm Chalmers, Royal United Services Institute (RUSI).

* 34 « The future relationship between the United Kingdom and the European Union », rapport du gouvernement britannique au Parlement (juillet 2018).

* 35 Global Navigation Satellite System.

* 36 Public Regulated Service (PRS).

* 37 « Le Brexit et la défense européenne », Federico Santopinto, rapport du Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité (GRIP) 2018/5.

* 38 « Boris Johnson seeking to rewrite EU defence pledges », The Guardian, 5 septembre 2019.

* 39 Common joint expeditionary force (CJEF).

* 40 Main Ground Combat System (MGCS).

* 41 COM(2018) 476 final.

* 42 Le Fonds est accessible aux membres de l'Association européenne de libre-échange (AELE) qui sont membres de l'Espace économique européen (EEE), conformément aux conditions énoncées dans l'accord EEE.

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