C. DES DÉBATS SUR DES SUJETS EN APPARENCE PLUS CONNEXES MAIS ÉTROITEMENT LIÉS À DES ENJEUX ESSENTIELS POUR LES DROITS HUMAINS

Les droits humains sous les angles économique et culturel sont incontestablement des champs d'investigation en plein essor de l'APCE. Les préoccupations auxquelles ils renvoient ne sont pourtant pas nouvelles car elles étaient déjà sous-jacentes au sortir de la Seconde guerre mondiale, comme l'illustrèrent le Préambule de la Constitution de la IV ème République, en 1946, ainsi que les premiers articles du Statut du Conseil de l'Europe, en 1949.

Il est néanmoins admis que, du fait de la mondialisation et des nouvelles technologies, les mutations accélérées de l'économie et l'avènement d'une société de l'information où l'instantané prend le pas sur la mémoire appellent des garde-fous nouveaux et aussi une vigilance redoublée. À cet égard, la session d'automne s'est pleinement inscrite dans cette perspective à travers, d'une part, la tenue d'un débat soulignant l'importance d'une vision plus inclusive de l'économie moderne et de ses instruments et, d'autre part, celle d'un débat sur la préservation du patrimoine culturel juif.

1. Promouvoir une vision plus inclusive de l'économie et de ses instruments : le bilan d'activité de la Banque de développement du Conseil de l'Europe

Mercredi 2 octobre 2019, l'Assemblée parlementaire a adopté, sur le rapport de Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en Marche), présidente de la délégation française, au nom de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, une résolution sur la Banque de développement du Conseil de l'Europe, établissement contribuant à la construction d'une société plus inclusive.

En ouverture de son propos, la rapporteure a indiqué que quarante-et-un pays sont membres de la CEB, institution discrète liée au Conseil de l'Europe par un accord partiel datant de 1956. L'APCE suit de près les travaux de cette banque depuis le début des années 1990, lorsque l'établissement a intégré de nouveaux membres issus de l'Europe centrale et orientale. Ce dernier rapport passe en revue ses actions au cours des cinq dernières années, examine les suites données aux recommandations antérieures de l'APCE et fait des propositions visant à renforcer encore l'utilité, la visibilité et la force de cette banque particulière pour les États membres.

La CEB cofinance des projets sociaux avec ses États membres en mettant à disposition ses ressources propres et des fonds levés sur les marchés financiers dans des conditions reflétant la qualité de sa notation (de AA+ à AAA selon les agences de notation). À titre d'illustration, en 2018, elle a levé 5 milliards d'euros sur les marchés, contre 3 milliards en 2017. De même, il arrive qu'elle accorde des prêts aux institutions financières et aux collectivités locales de ses États membres pour des projets de développement social et durable.

Le nombre de pays qui empruntent activement à la CEB est passé de vingt, en 2014, à trente-deux, en 2018. Les grands pays, qui contribuent de manière importante au capital de la banque, sont également de grands utilisateurs de ses prêts, à l'instar de la Pologne, l'Espagne, la Turquie et la France, suivis de l'Allemagne, la République tchèque, la Slovaquie ainsi que des Pays-Bas. D'autres pays sont contributeurs nets au capital de la banque, tels le Danemark, l'Estonie, le Liechtenstein, le Luxembourg, la Norvège, Saint-Marin et la Suisse, notamment. Dans le même temps, huit États membres du Conseil de l'Europe - à savoir Andorre, l'Arménie, l'Autriche, l'Azerbaïdjan, Monaco, la Fédération de Russie, l'Ukraine et le Royaume-Uni - restent en marge de l'accord partiel sur la CEB, ne contribuant donc pas à cet outil d'investissement social et de solidarité, mais surtout n'en bénéficiant pas.

Aujourd'hui, on dénombre 194 projets en cours qui bénéficient de fonds de la CEB, et il n'y a pas eu le moindre défaut ou retard de paiement sur les prêts correspondants. Mi-2015, fidèle à sa vocation, la CEB a mis en place le fonds pour les migrants et les réfugiés, afin de soutenir les efforts nationaux pour garantir les droits humains fondamentaux, principalement par le financement de centres d'accueil et de transit. Fin 2018, les 28 millions d'euros affectés à ce fonds ont ainsi permis à la banque de soutenir vingt-quatre projets dans quatorze pays ; la moitié de ces projets sont encore en cours et devraient être achevés d'ici avril 2021.

Pour illustrer la valeur ajoutée des actions de la CEB, Mme Nicole Trisse a plus particulièrement insisté sur trois exemples de projets cofinancés qui portent sur des domaines à la fois représentatifs des valeurs promues par le Conseil de l'Europe et des attentes des populations.

La première de ces réalisations concrètes, dénommée « CYCLHAD », concerne le développement de traitements novateurs contre le cancer en France. En effet, le centre Archade de Caen, en Normandie, pilote la recherche amont sur les ions carbone, sur la base de financements communs de l'entreprise CYCLHAD et de la CEB. La Banque de développement du Conseil de l'Europe a ainsi octroyé deux prêts, d'un montant total de 92 millions d'euros, à ce projet s'inscrivant dans le plan de lutte contre le cancer lancé en France en 2002. L'hadronthérapie est une méthode innovante et capable de détruire les cellules cancéreuses radiorésistantes et inopérables en les irradiant avec un faisceau de protons ou d'ions carbone. Il s'agit d'une vraie solution d'avenir, particulièrement utile pour le traitement des très jeunes patients. Fin 2018, la première étape de CYCLHAD s'est achevée avec l'inauguration du centre de recherche et le début du traitement des premiers patients par protonthérapie. Grâce au concours de la CEB, un prototype de traitement sera déployé et exploité dans la troisième phase, à partir de 2023.

La deuxième réalisation concrète obtenue grâce à la CEB concerne l'amélioration de la qualité de vie et des services de santé dans la région des Basses-Carpates, en Pologne. En 2018, la banque a accordé une facilité de financement public aux infrastructures en faveur de cette région polonaise sous forme d'un prêt de 43 millions d'euros. Le but était d'améliorer l'accessibilité des transports et la connectivité avec les régions et pays voisins, de réaliser des investissements dans le patrimoine culturel et de soutenir la capacité des communes à assurer des services publics. Ce soutien devrait à terme contribuer à améliorer la qualité de vie des 2 millions d'habitants de la région et produire des effets positifs sur le développement durable.

Dernier exemple, enfin, de réalisation concrète imputable à la Banque de développement du Conseil de l'Europe, la CEB appuie les efforts de la Bosnie-Herzégovine aux très petites et petites entreprises appartenant à des femmes, qui n'ont généralement pas de revenus stables et n'ont pas accès au crédit, par l'intermédiaire de la Microcredit Foundation , affiliée au réseau Women's World Banking. Le financement de l'établissement dans le cadre de ce projet restera limité à 5 100 euros par prêt, ce qui permettra quand même à au moins 800 ménages et très petites entreprises d'en bénéficier. Bien que modeste en valeur, cette aide doit contribuer à l'émancipation économique et à l'inclusion des femmes, permettant par la même occasion d'améliorer leurs conditions de vie.

Par-delà ces succès, la rapporteure a souligné que la CEB devrait atteindre prochainement le plafond de financements qu'elle peut offrir à ses États membres. Elle dispose actuellement d'une autorisation d'emprunt à long terme de 5 milliards d'euros pour l'année 2019. Pour accroître son activité de prêt, les États présents à son capital devront donc envisager une augmentation de celui-ci, la dernière étant intervenue en 2011.

Tout en considérant que les axes d'action de la CEB, à savoir la croissance durable et inclusive, l'intégration des réfugiés et des migrants et l'action en faveur du climat, conservent toute leur validité pour les années à venir, Mme Nicole Trisse a jugé qu'il pourrait être utile de les lier plus explicitement aux Objectifs de développement durable des Nations Unies (ODD). Elle a également considéré, s'agissant des organes de gouvernance, que malgré les recommandations de l'APCE, peu de progrès avaient été accomplis vers une simplification des structures décisionnaires et du système de vote au Conseil de direction. Elle a enfin appelé les huit États membres du Conseil de l'Europe qui ne font pas encore partie de la CEB à sérieusement reconsidérer leur position : les montants à mobiliser pour adhérer à la CEB peuvent être perçus comme importants en valeur absolue mais, en réalité, ils ne représentent cependant qu'un investissement de départ qui permet ensuite d'emprunter des montants beaucoup plus élevés à des conditions très avantageuses ; dans le cas de la Pologne, par exemple, si la part du pays au capital était d'environ 14 millions d'euros et sa contribution aux réserves trois à quatre fois plus élevée en 2018, le total des fonds mis à sa disposition par la banque s'élevait quant à lui à 2,8 milliards d'euros. De fait, l'adhésion à la CEB a un effet multiplicateur considérable sur la capacité de ses actionnaires à réaliser des projets pertinents sur le plan social.

En conclusion, la rapporteure a souligné que la CEB a cumulé un savoir-faire et une vaste expérience de la gestion de projets dans des pays aux niveaux de développement et aux besoins sociaux très différents. Elle a plaidé pour que cet établissement, dans le cadre de ses priorités futures, intègre davantage la promotion du développement durable et la réalisation des ODD, la lutte contre les causes et les effets des inégalités croissantes, le développement des services publics en milieu rural et urbain, notamment en s'appuyant davantage sur les collectivités locales et régionales. Elle lui a aussi suggéré de consolider ses partenariats avec l'Union européenne. Quant aux États membres non parties à l'Accord partiel, elle les a appelés à revoir leur position et indiqué, dans cette optique, qu'elle communiquerait son rapport et la résolution à leurs représentants au Comité des Ministres pour qu'ils en saisissent leurs autorités nationales.

Invité à prendre la parole après la rapporteure, M. Rolf Wenzel, gouverneur de la Banque de développement du Conseil de l'Europe, s'est félicité de la tenue d'un débat en plénière sur cette institution, ainsi que sur le climat constructif ayant entouré les discussions préparatoires avec la rapporteure. Si les rapports sur les activités financières de la CEB ne manquent pas, celui de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable fournit une vision extérieure utile, de même qu'il informe les États membres et non-membres sur ses activités récentes. Ses conclusions et son contenu n'appellent pas d'objection de la part de la banque elle-même.

Développant la vision stratégique et la planification de la CEB pour les années à venir, M. Rolf Wenzel a estimé que le plan de développement pour la période 2020-2022, en cours de finalisation, permettra de maintenir l'activité de prêts, mais également de solides performances dans un environnement économique et social en constante évolution. Une place accrue sera également accordée à l'activité opérationnelle avec les autorités locales et aux objectifs de développement durable. Ce plan s'articule autour de trois lignes d'action prioritaires.

Tout d'abord, la croissance inclusive, qui couvre toutes les activités visant à garantir l'accès à l'égalité des chances, afin d'offrir des opportunités et un avenir prospère pour tous. Avec la crise, les inégalités sociales et économiques ont augmenté, constituant une grave menace pour le tissu social et pouvant conduire à la radicalisation voire l'extrémisme. Pour maximiser l'effet de son action, la CEB a intensifié sa coopération avec les communautés locales, car c'est à ce niveau que les services sociaux sont fournis.

Le deuxième axe prioritaire du plan de développement est le soutien aux groupes vulnérables, via le logement, la santé, l'éducation et l'emploi. Les groupes concernés sont des minorités et les couches de population victimes de discriminations ou confrontées à de graves difficultés pour accéder aux services, à savoir les migrants et les réfugiés ou les personnes d'origine étrangère, les personnes handicapées, les personnes âgées, les sans-abri, les chômeurs, les parents célibataires, les jeunes et les membres de groupes ethniques. Véritable raison d'être de la CEB, cet axe de travail a connu un nouvel élan suite à la récente crise des réfugiés, qui a entraîné la création du fonds des migrants et des réfugiés, en 2015. De même, par ses actions ciblées dans le cadre du plan pour les migrants et les réfugiés (MRF), qui repose sur des subventions, la CEB a prouvé sa capacité à faire face à la situation d'urgence en fournissant des produits de première nécessité aux migrants et réfugiés arrivés récemment sur le sol européen.

Enfin, la troisième priorité de la planification stratégique de la CEB à moyen terme est la durabilité de l'environnement, question qui figure en bonne place dans l'agenda politique. Les plus vulnérables sont les plus exposés aux effets du changement climatique. Banque de développement multilatérale, la CEB doit continuer à apporter sa contribution par le financement de projets d'infrastructures, d'actions en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou de la résilience au changement climatique, en cohérence avec l'Accord de Paris sur le climat.

Le gouverneur de la CEB a ensuite salué la coopération de son établissement avec le Conseil de l'Europe. La CEB entretient d'excellentes relations avec le secrétariat de l'Accord partiel et avec les différents services de l'Organisation, notamment les directions de la démocratie et des ressources humaines ou du budget. Le gouverneur participe lui-même régulièrement aux réunions du Comité des Ministres pour informer les États membres sur ses activités, ainsi qu'aux réunions de la Commission de Venise. La banque apporte elle-même un appui financier et technique aux pays pour la réhabilitation de leurs services publics judiciaires et de leurs centres de détention ; elle les aide à mettre en oeuvre les règles pénitentiaires européennes en lien avec le CPT à cet égard. Il reste que l'impact de l'action de la CEB dépend pour une large part de la volonté et des sollicitations des États membres.

En conclusion, le gouverneur de la CEB a insisté sur le fait que son établissement est la seule institution financière internationale à vocation exclusivement sociale totalement autofinancée. Il a estimé qu'il s'agissait d'un argument important en direction des pays qui n'en sont pas encore membres.

Prenant la parole au nom du groupe ADLE au cours de la discussion générale qui s'en est suivie, Mme Yolaine de Courson (Côte d'Or - La République en Marche) , a relevé que la CEB, qui soutient les investissements sociaux dans quarante-et-un des États membres du Conseil de l'Europe, gère avec succès les risques de catastrophes naturelles, soutient des projets à caractère à forte valeur ajoutée et défend une croissance inclusive et durable, ainsi que l'intégration des réfugiés et des migrants. Il s'agit donc d'une banque d'aujourd'hui.

Le plan de développement de la CEB pour 2020-2022 est l'occasion de mettre en avant son rôle dans la réalisation des ODD, en mettant notamment l'accent sur les besoins des populations et des territoires les plus défavorisés, aussi bien en milieu urbain que rural. Une attention particulière doit être portée sur le milieu rural car c'est là qu'il y a le plus le sentiment d'injustice, de relégation, d'abandon institutionnel, d'assèchement des services publics, de fermeture d'écoles ou de centres de soins. À cet égard, l'exemple concernant l'amélioration de la qualité de vie et des services de santé en milieu urbain et rural dans la région des Basses-Carpates est vraiment emblématique du travail de la CEB.

Le groupe ADLE soutient le travail de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable car la CEB est un prolongement concret de l'action du Conseil de l'Europe et de son Assemblée parlementaire. De nouveaux outils ont été mis à disposition, comme les prêts multisectoriels pour les collectivités territoriales, qui peuvent financer des secteurs et des thèmes très différents pour une même collectivité. Un fonds d'urgence pour les migrations a aussi été mis en place. Les faits ne trompent pas : les pays qui font appel à la banque sont passés de vingt en 2014 à trente-deux en 2018, encourageant les États qui ne sont pas encore contributeurs à le devenir. Ces derniers ont vraiment tout à y gagner.

Mme Marie-Christine Dalloz (Jura - Les Républicains) s'est félicitée de ce débat sur un organe du Conseil de l'Europe assez méconnu.

Elle a observé que la proportion des prêts décaissés en 2018, affectés aux « pays cibles », représente moins de la moitié des prêts. Au titre de la solidarité entre ses États membres, la CEB dispense un appui plus marqué à vingt-deux pays d'Europe centrale, orientale et du Sud-Est sur quarante-et-un États membres, de sorte qu'il serait intéressant de savoir à quels pays non ciblés vont en priorité les 56 % restants. Il est en outre intéressant de noter que la CEB finance en France des traitements novateurs contre le cancer, ou plutôt aide des collectivités locales à le faire. Ce partenariat public-privé, et organisation européenne, est assez original.

Une deuxième interrogation porte sur le contrôle de l'utilisation de ces prêts. Ainsi, la Macédoine du Nord a reçu 6,35 millions d'euros au titre de l'aide d'urgence aux migrants. Or de nombreux pays connaissent des difficultés structurelles, sans parler des problèmes ou des risques de corruption. La question du contrôle de ces fonds est donc essentielle. Quelle est la nature du contrôle ? S'agit-il d'un auditeur externe ? Pourrait-on imaginer que la Cour des comptes française, par exemple, puisse intervenir dans le contrôle ? De par sa vocation, la CEB s'adresse la plupart du temps à des projets touchant des publics fragiles. De ce fait, il paraît indispensable de s'assurer que ce sont bien ces personnes vulnérables qui sont destinataires des fonds.

Enfin, au regard des sommes prêtées, il est essentiel que les fonds soient fléchés. D'une part cela permettrait à chacun de connaître le rôle de cette institution largement méconnue ; en cela, la CEB est une opportunité pour le Conseil de l'Europe de montrer à ses détracteurs tout son sens, toute son utilité dans une Europe fragile. D'autre part, cela mettrait en avant cette vocation d'accompagnement de la CEB auprès des acteurs locaux, des associations, de toutes ses initiatives en faveur des publics les plus fragiles.

Cette banque est née, comme le Conseil de l'Europe, sur les ruines de la Seconde guerre mondiale. Elle a montré son efficacité, souvent dans l'ombre. Il est plus que temps de mettre son excellent travail en pleine lumière.

Mme Martine Wonner (Bas-Rhin - La République en Marche) s'est réjouie de l'éclairage apporté sur le rôle de la CEB en faveur d'une société plus inclusive. Ses lignes d'action correspondent à des combats politiques importants.

Pour autant, un déséquilibre existe entre les trois lignes d'action, au regard de la liste des projets approuvés. La croissance durable et inclusive se trouve favorisée au mépris des deux autres questions, migratoire et climatique. Néanmoins, la CEB incarne une institution de politique solidaire, et suscite le soutien dans la mesure où son panel de projets financés contribue à la lutte pour une croissance durable, équitable et solidaire.

L'APCE doit appuyer la CEB, établissement distinct et autonome du Conseil de l'Europe, dans ses prises de décisions et ses orientations. Les parlementaires doivent incarner un rôle de conseiller en soumettant à la banque leurs projets, qui ne peuvent voir le jour sans un financement nécessaire. À cet égard, l'accent devrait plus particulièrement être porté sur l'aide aux infrastructures démocratiques dans les domaines de l'éducation, du logement et des services judiciaires pour les pays qui ont du mal à exercer leurs compétences du fait de leur manque de moyens, d'autant plus que les pays les plus riches peuvent déjà compter sur l'aide de l'Union européenne.

Un travail étroit avec la CEB offre l'opportunité de faire avancer la construction d'une société plus durable et inclusive dans les années à venir. Elle est également un moyen d'apporter des solutions à la problématique migratoire au sein de l'Union européenne et de soutenir le combat contre le réchauffement climatique, dont l'urgence s'aggrave de jour en jour. Dès lors, les pays non encore contributifs doivent être encouragés à le devenir.

2. Conserver le patrimoine culturel juif : un devoir de mémoire capital

Le 4 octobre 2019, l'APCE a adopté, sur le rapport de M. Raphaël Comte (Suisse - ADLE), au nom de la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias, une résolution et une recommandation sur la conservation du patrimoine culturel juif.

En ouverture de la discussion générale, le rapporteur a observé que rares sont les peuples, dans l'histoire de l'humanité, à avoir été aussi souvent persécutés que les juifs, le comble de l'horreur ayant été atteint lors de l'Holocauste. En effet, toutes nos convictions, tout ce qui fait l'humanité a été remis en cause par l'extermination planifiée de la population juive lors de la Seconde guerre mondiale. Malheureusement, l'antisémitisme reste bien vivace. Aujourd'hui encore, de nombreux actes antisémites sont perpétrés et l'histoire a une terrible tendance à se répéter, comme si l'être humain n'était pas capable d'apprendre du passé. La haine de l'autre, l'intolérance ne s'effacent pas si facilement.

Pour combattre les préjugés, l'éducation et la culture sont des instruments puissants. Certes, ils ne sont efficaces que sur le long terme, ce qui est frustrant pour des responsables politiques aspirant à des solutions immédiates. Cette lutte implique néanmoins d'agir dès maintenant en admettant que les effets ne se produiront pleinement que demain ou après-demain.

Combattre l'antisémitisme par l'éducation et la culture suppose d'accorder une attention particulière au patrimoine culturel juif. Il est un excellent support pour faire connaître l'histoire du judaïsme en Europe et faire comprendre que le judaïsme fait partie intégrante de l'histoire de l'Europe. Or, il y a urgence : par rapport à 1939, plus de 80 % des synagogues existantes ont disparu et sur les 3 237 historiques restantes, près du quart est en péril. Il faut les sauver, sans attendre.

M. Raphaël Comte a jugé indispensable l'action concertée de plusieurs acteurs, à savoir les collectivités locales, la société civile, la communauté juive et les organisations de préservation du patrimoine. Très souvent, le patrimoine culturel juif est un patrimoine orphelin : au XIX ème siècle, neuf juifs sur dix vivaient en Europe ; aujourd'hui, il n'en reste qu'un sur dix. Sans communauté juive locale, il revient à l'ensemble de la collectivité de se saisir de la question de la préservation du patrimoine culturel juif et de se l'approprier. Chaque ville ou village doit comprendre qu'une synagogue, même si elle n'est plus affectée au culte, est un élément de son histoire. Laisser une synagogue disparaître, c'est accepter d'oublier notre histoire et commettre une nouvelle injustice.

Tous ces lieux abandonnés méritent mieux que le silence. Il faut leur redonner un souffle de vie et une vocation, comme lieux de mémoire ou de rencontre. Les collectivités publiques ont la responsabilité d'assurer la préservation du patrimoine culturel juif. Il faut une volonté politique forte, aux niveaux national comme régional ou local. Dans chaque pays, des plans d'action devraient être conçus afin de garantir que ce patrimoine bénéficie d'une protection appropriée et d'un entretien, ainsi que de moyens financiers pour les rénovations urgentes.

La protection du patrimoine culturel juif dépasse le cadre purement patrimonial ; elle a également une vocation éducative et pédagogique, en particulier vis-à-vis de la jeunesse. Elle constitue un excellent moyen de se questionner sur notre histoire et de réfléchir aux relations entre les différentes religions.

En conclusion, le rapporteur a insisté sur le fait que la lutte contre l'antisémitisme est un combat permanent contre l'ignorance et la haine aveugle. La préservation du patrimoine culturel juif est essentielle pour donner aux futures générations les outils qui leur permettront de favoriser le dialogue entre les communautés religieuses et de ne pas oublier les tragédies du XX ème siècle. Les textes soumis au vote de l'APCE constituent à cet égard un signal fort pour lutter contre les préjugés et l'intolérance.

S'exprimant au nom du groupe ADLE, M. Sylvain Waserman (Bas-Rhin - Mouvement démocrate et apparentés) a jugé que ce rapport sur la préservation du patrimoine culturel juif illustrait parfaitement, concomitamment à la célébration des 70 ans Conseil de l'Europe, le rôle d'aiguillon et de sensibilisation de l'opinion publique que joue l'APCE. Il a rejoint l'analyse du rapporteur au sujet du patrimoine orphelin et de son appropriation par les sociétés environnantes et souhaité insister plus particulièrement sur deux aspects complémentaires importants :

- d'abord, Strasbourg est une ville très interculturelle dans une région dotée d'un patrimoine culturel juif très significatif, une ville de transmission et il n'y a certainement pas de meilleur endroit pour aborder cette question ;

- ensuite, le sujet touche aux droits fondamentaux et à la lutte contre l'antisémitisme parce que le patrimoine culturel juif cristallise contre lui les haines les plus basses et dangereuses. Récemment le cimetière juif du village de Quatzenheim a été profané : son ancien maire, aujourd'hui membre de l'APCE, n'a pu qu'être choqué de constater que ce lieu avait été souillé par 94 croix gammées bleues sur les tombes et, par la même occasion, réaliser toute la violence et l'atteinte à l'attachement aux droits humains qui sous-tendaient ces actes inacceptables.

Pour toutes ces raisons, les sujets et les enjeux d'un tel débat au sein de l'Assemblée parlementaire sont de la plus haute importance et le groupe ADLE se réjouit du travail accompli sur cette question majeure.

Orateur au nom du groupe PPE/DC, M. André Reichardt (Bas-Rhin - Les Républicains) s'est associé à toutes les congratulations adressées au rapporteur pour la qualité de son travail. Après avoir estimé qu'on devrait plutôt parler de patrimoine cultuel et culturel, il a noté que cette question concerne tout le monde, le patrimoine culturel juif faisant partie intégrante du patrimoine de chaque État membre et aussi du patrimoine commun de l'Europe.

Ce patrimoine est en danger. Cette situation est la conséquence de déplacements de populations, liés aux persécutions dont a été victime le peuple juif au cours du XX ème siècle : les persécutions communistes envers les religions, les massacres antisémites du nazisme ont fait qu'aujourd'hui seul un juif sur dix vit encore en Europe. Depuis lors, c'est un ensemble de synagogues mais aussi d'écoles, de monuments, de cimetières qui se trouve abandonné.

Les communautés encore sur place n'ont généralement pas les moyens d'entretenir et de restaurer ce patrimoine. Pour le sauver, il convient d'abord de régler la question de sa propriété pour déterminer comment une aide financière peut être apportée pour sa conversation ; ensuite, il faut pouvoir débloquer des fonds - la France disposant à cet effet d'une fondation particulièrement active - et faire des recherches préalables ; enfin, la restauration doit se faire dans le respect des techniques utilisées lors de la construction.

M. André Reichardt a considéré que la conservation du patrimoine juif présente deux avantages principaux : l'un, culturel et pédagogique, pour faire savoir aux jeunes générations que la culture juive est profondément européenne et ainsi lutter contre l'antisémitisme, qui malheureusement reste une réalité sur notre continent ; l'autre, économique, en ce que cette conservation favorise le tourisme et le développement des collectivités concernées, à l'instar de l'Alsace. Il a conclu sur le soutien sans réserve du groupe PPE/DC à l'adoption des résolution et recommandation en débat.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page