III. L'ASSURANCE, UN LEVIER DU FINANCEMENT RAPIDE DE LA REPRISE ENCORE INSUFFISANT OUTRE-MER

A. L'ASSURANCE, UNE COUVERTURE INSUFFISANTE MAIS POURTANT DÉTERMINANTE POUR LA RECONSTRUCTION

1. Une nécessité pour engager les travaux ou maintenir une activité
a) L'assurance, une première étape pour engager la reconstruction

Que ce soit pour des réparations ou des reconstructions plus larges, d'habitations individuelles ou d'activités économiques, les indemnités d'assurance sont souvent nécessaires afin de réaliser les travaux. Qu'elles couvrent ou non l'intégralité des réparations et reconstructions, les indemnités et leurs avances permettent de les enclencher rapidement et de sortir au plus vite de la crise .

Pour ce qui est des entreprises, l'assurance couvrant les pertes d'exploitation permet aussi de maintenir, durant la reconstruction au moins partielle, la situation des salariés et de préparer la reprise sans placer l'entreprise dans une situation financière extrêmement délicate.

b) Dans des conditions parfois précaires, un nécessaire déploiement rapide des assureurs outre-mer post-catastrophe

Afin de permettre l'indemnisation rapide des assurés, la constatation et l'évaluation des dommages est un préalable. Or, dans des territoires insulaires et sinistrés, l'accessibilité n'est pas garantie et le processus peut être retardé.

Comme le rappelait Philippe Gustin, préfet de la Guadeloupe 20 ( * ) , au sujet du cas d'Irma, « les assureurs ont eu du mal à accéder aux territoires très impactés dans lesquels ils ne pouvaient ni venir, ni s'installer . En métropole, une journée suffit pour que les experts aboutissent dans leurs travaux. Cela a pris ici trois semaines. Je rappelle qu'Irma a été la deuxième plus grosse catastrophe naturelle de ces trente dernières années. Le démarrage lent des procédures assurantielles a été dû notamment aux difficultés à faire venir les assureurs ; Generali a ainsi dû faire venir un catamaran » .

Cependant, au-delà même de la capacité à se déplacer sur place pour constater les dégâts, le préfet soulignait la complexité de la démarche dans son ensemble : « l'ensemble de la chaîne a été compliqué. Nombre de documents nécessaires ont été détruits et le patriotisme économique a complexifié les démarches. Les entreprises de Saint-Martin n'étaient pas en situation de répondre aux demandes et les devis ont été largement négligés » .

Gorette Plana, directrice outre-mer d'Allianz 21 ( * ) indiquait que le groupe avait par exemple « missionné 6 700 expertises et a mobilisé près de 100 personnes. Ces chiffres montrent l'ampleur de l'événement et le défi logistique que nous avons dû relever. Depuis le 6 septembre, notre priorité a consisté à nous mobiliser et à nous adapter à la situation, afin de pouvoir soutenir au plus vite nos assurés et nos intermédiaires.

En outre, la direction technique a dû adapter nos règles et processus d'indemnisation aux urgences et aux réalités du terrain, ce qui nous a notamment amenés à accepter des déclarations tardives et de mettre en place plus facilement des acomptes pour accompagner nos clients » .

2. Une couverture assurantielle des territoires ultramarins cependant trop lacunaire et à l'avenir incertain

L'un des problèmes importants relevé par les rapporteurs est le faible taux de recours aux assurances dans les territoires ultramarins . Ce constat est surtout le fait des habitations individuelles ou collectives, moins, a priori , des entreprises et activités économiques.

Stéphane Pénet 22 ( * ) , directeur du pôle assurances de dommages et de responsabilité, Fédération française de l'assurance (FFA), a présenté un aperçu général de la situation outre-mer : « en outre-mer, l'assurance (hors assurance vie) représente un chiffre d'affaires d'environ 1,3 milliard d'euros en 2017, c'est-à-dire environ 1,7 % du chiffre d'affaires global de l'assurance en dommages et responsabilité pour la France entière. Or l'outre-mer représente 4 % de la population française et 2,2 % du PIB. Ces chiffres montrent donc une légère sous assurance des populations et des biens par rapport au niveau de la métropole. Le poids de l'assurance par rapport au PIB est de 3,34 % en France métropolitaine et de 2,2 % en outre-mer. En effet, des personnes dans ces territoires ne s'assurent pas ». Stéphane Pénet insistait sur la non-assurance outre-mer qui, pour ce qui est du risque habitation, varie selon les territoires « de 20 % à La Réunion à 50 % à Saint-Martin, contre 2 % en métropole. Des taux de sous-assurances sont aussi observés, c'est-à-dire que les montants garantis sont généralement moindres en outre-mer qu'en métropole ».

Selon le ministère de l'économie et des finances, le taux d'assurance est de l'ordre de 50 % en outre-mer 23 ( * ) contre 96 % dans l'hexagone . En matière d'assurance dommage, environ la moitié des biens ne sont pas assurés en outre-mer et le nombre de particuliers ayant souscrit une assurance responsabilité civile seule est considéré par le ministère comme négligeable.

Le taux de pénétration serait de l'ordre de 40 % à Mayotte, Saint-Martin et en Guyane, 50 % en Guadeloupe et en Martinique, 60 % à La Réunion et Saint-Barthélemy, selon la Fédération française de l'assurance et des échantillonnages faits par la mission d'évaluation des dommages liés à Irma. Interrogée sur ce point, la préfecture de Mayotte, sans pouvoir disposer de données chiffrées, indique que selon les acteurs locaux seulement 10 % des biens immobiliers seraient assurés 24 ( * ) . Des études réalisées par l'INSEE en 2011 montreraient selon le ministère que le taux d'assurance augmente sensiblement pour les locataires et surtout les ménages accédant à la propriété, les propriétaires et les établissements de crédit imposant généralement cette condition aux occupants.

Il convient cependant de s'interroger sur les raisons du faible recours aux assurances. Au-delà d' aspects culturels et d'une moindre tradition de souscription à des contrats d'assurance , la situation des biens immobiliers elle-même est une des causes. En effet, nombre d'habitations ne respectent pas les normes de construction ou sont construites sans droit ni titre et ne peuvent, en conséquence, être assurées. Ainsi, la préfecture de Mayotte soulignait que 37 % du parc de logement est considéré comme des habitations « de fortune ».

Concernant le nombre d'assureurs présents outre-mer, le ministère estime que seule une quinzaine d'entreprises du secteur de l'assurance sont présentes en outre-mer.

Si la situation assurantielle outre-mer est loin des standards hexagonaux, l'inscription de certains territoires dans le droit commun et le rattachement à l'édifice public de réassurance sont sans doute des gages de développement de la couverture assurantielle. Le ministère des finances estime ainsi qu'« en l'absence du régime catnat la situation serait probablement encore plus négative ». Les acteurs assurantiels rencontrés lors du déplacement ont tous souligné combien le mécanisme français de réassurance, appuyé sur l'acteur public qu'est la Caisse centrale de réassurance (CCR), leur avait permis de réaliser leur mission post-Irma.

3. Le bilan assurantiel d'Irma dans les Îles du Nord
a) Un bilan hors normes

Le bilan transmis par la préfecture des Îles du Nord indique que l'ouragan Irma est à l'origine de 25 830 sinistres enregistrés auprès de la Fédération française de l'assurance (FAA), pour un montant d'indemnisation global estimé à plus d'1,9 milliard d'euros . Ce chiffre devra être consolidé en 2020 à l'issue du délai de prescription des indemnités. Si ces montants et le nombre de dossiers indemnisés sont importants, ils ne couvrent que les dommages sur des biens assurés . Une part non négligeable de dégâts n'entre donc pas dans ce bilan assurantiel.

Selon la préfecture, 80 % des sinistres ont nécessité une expertise . En juin 2019, 97 % de celles-ci étaient réalisées et 98 % des dossiers réglés, soit 25 200 sinistres. Concernant Irma, le ministère des outre-mer a souligné une particularité qu'est la prévalence très importante (80 % des dossiers selon la FFA, contre environ 15 % en moyenne dans l'hexagone) d'experts d'assurés souvent « auto-déclarés ». Le ministère considère que la présence d'experts d'assurés disponibles, identifiables et compétents, lors de prochaines crises climatiques, représente un défi spécifique à l'outre-mer.

Rencontré lors du déplacement 25 ( * ) , le directeur de la société d'assurances Nagico indiquait que les 2 540 sinistres enregistrés six mois après le cyclone représentaient presqu'autant que cinq années habituelles, tous contrats confondus. L'assureur estime que deux tiers de ses assurés ont été sinistrés par le cyclone Irma.

b) Des coûts majoritairement liés aux habitations mais un coût moyen important des sinistres des professionnels

L'île de Saint-Barthélemy concentre 34 % des dossiers (8 720 sinistres) et 39 % du coût total, pour un montant de 734 millions d'euros. En juin 2019, 8 460 sinistres étaient réglés pour un montant de 607 millions d'euros. À cette date, 83 % des indemnités étaient versées. L'île de Saint-Martin représente 66 % des dossiers (17 110 sinistres) et 61 % du coût total, soit 1 130 millions d'euros. 16 740 sinistres étaient réglés fin juin 2019 pour un montant de 926 millions d'euros et 82 % des indemnités étaient versées.

Le ministère des finances 26 ( * ) souligne que le sinistre moyen diffère considérablement entre les deux îles de Saint-Martin, avec 77 000 euros de sinistre moyen pour les habitations, 255 000 euros pour les professionnels - dont 1,7 million d'euros pour les hôtels -, et Saint-Barthélemy avec une moyenne de 118 000 euros pour les habitations, 325 000 euros pour les professionnels - dont 6,4 millions d'euros pour les hôtels. Aucun chiffre définitif sur les dégâts aux exploitations agricoles n'existe à ce jour.

Coûts des dommages sur les biens assurés

Catégorie de biens

Nombre total de sinistres

Coût estimatif des dommages
(en millions d'euros)

Sinistre moyen (en euros)

Ensemble

25 630

1 876

Dont habitations

1 000

1 025

92 300

Dont automobiles et plaisance

11 740

82

6 919

Dont biens professionnels

2 790
(48 hôtels)

772

276 600

Source : Ministère des outre-mer d'après la Fédération française de l'assurance

Le ministère des outre-mer souligne que les coûts moyens de sinistres ont été en moyenne extrêmement élevés, en particulier pour les particuliers. À titre de comparaison, il est précisé que le sinistre moyen est supérieur à 92 000 euros contre 6 000 euros suite aux inondations de la Seine en 2016.

La ventilation par type de sinistres appelle également à être notée. Ainsi, si les habitations représentent environ 43 % des dossiers, elles recouvrent une majorité des montants (55 %). Surtout, alors que les biens professionnels représentent à peine 11 % des sinistres, ils concentrent plus de 40 % des montants. La situation des hôtels interpelle particulièrement, le coût moyen du sinistre est extrêmement élevé pour les hôtels - autour de 4 millions d'euros -, encore davantage à Saint-Barthélemy - 6,4 millions d'euros par hôtel - ; les hôtels ont subi 10 % des dégâts estimés.

Aussi, si, comme le ministère des finances le précise, « les biens des collectivités assurés sont inclus dans les moyennes des dommages pour les professionnels », les biens de l'État, « non assurés et plus difficiles à estimer » n'intègrent pas ces montants et ont fait l'objet de financements divers.

c) Un recours majeur à la réassurance auprès de la CCR

Soulignant la nature exceptionnelle de l'événement, le ministère des finances 27 ( * ) précisait en outre l'impact sur le compte de résultat de la Caisse centrale de réassurance de l'ouragan Irma, évalué à - 1,5 milliard d'euros , « le " stop-loss ", seuil de sinistralité annuel par assureur à partir duquel les sinistres sont supportés financièrement par le réassureur public, a été allègrement franchi ». 80 % du coût aurait ainsi été supporté par la CCR via ce mécanisme.


* 20 Audition de Philippe Gustin, préfet de la Guadeloupe, délégué interministériel à la reconstruction des îles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin, le 14 novembre 2018.

* 21 Table ronde sur la problématique assurantielle, le 15 mai 2019.

* 22 Table ronde sur la problématique assurantielle, le 15 mai 2019.

* 23 Ce chiffre ne couvre que les territoires où s'applique le code national des assurances, les territoires du Pacifique ne sont pas intégrés à cette moyenne.

* 24 Réponses de la préfecture de Mayotte au questionnaire des rapporteurs.

* 25 Déplacement à Saint-Barthélemy et Saint-Martin du 23 au 27 avril 2019.

* 26 Réponses du ministère de l'économie et des finances au questionnaire des rapporteurs.

* 27 Réponses du ministère de l'économie et des finances au questionnaire des rapporteurs.

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