B. UN PROJET « AMBITION BIO 2022 » DONT LE PRINCIPAL OBJECTIF NE SERA PAS ATTEINT SANS LA RÉUNION DE CONDITIONS « HÉROÏQUES »

Le projet « Ambition bio 2022 » consécutif aux « États généraux de l'alimentation », et qui succède au programme « Ambition bio 2017 », fixe un objectif de mobilisation en mode de production biologique de 15 % de la surface agricole utile à l'horizon 2022.

Ce type d'objectif, qui devient récurrent dans les lois portant sur différentes formes de transition d'un modèle vers un autre (ainsi de la transition énergétique), n'est pas une innovation du programme cité.

L'agriculture biologique a fait l'objet de plans de développement qui se sont succédé depuis 1998, plans qui partageaient une démarche identique (la fixation d'objectifs quantitatifs à terme et la définition de variables instrumentales d'action globalement invariantes).

Ces plans n'ont connu que des succès très relatifs ou, si l'on préfère, ont essuyé des échecs répétés 20 ( * ) .

Au-delà de cet historique pour le moins mitigé, l'état le plus récent de la dynamique du passage à l'agriculture biologique rapproché des objectifs fixés par le plan Ambition bio 2022 conduit à mettre en évidence la dépendance du succès de ce programme à une accélération de la transition vers le bio, condition plus ou moins « héroïque » selon les orientations agricoles.

Le Grenelle 1 et le plan « Agriculture biologique : Horizon 2012 »,
retour sur un précurseur

Dans le domaine de l'agriculture biologique, l'engagement 121 du Grenelle de l'environnement (adopté en 2008) visait à faire passer en agriculture biologique 6 % de la surface agricole utile en 2012 avec un objectif de 20 % en 2020. En outre, un objectif de mise à disposition de 20 % de produits issus de l'agriculture biologique dans la restauration collective à compter de 2012 figurait dans l'engagement 120 du même Grenelle, objectif circonscrit à la seule restauration collective sous gestion de l'État.

À cet effet, un programme d'action « Agriculture biologique : Horizon 2012 » a été mis en oeuvre autour de six axes : la conversion et la pérennité des exploitations ; la structuration des filières ; la restauration collective ; la formation ; la recherche et l'enseignement ; l'adaptation de la règlementation.

Ce plan a fait l'objet d'une évaluation conjointe de la part du CGAAER, de l'IGF et du CGEEDD publiée en février 2013 21 ( * ) , qui à sa suite a formulé 29 recommandations (voir l'annexe n° 2), évaluation complétée par un examen de la Cour des comptes 22 ( * ) .

Résultats du plan « Agriculture biologique : Horizon 2012 »

Sous cet angle, l'objectif principal du projet « Ambition bio 2022 » ne devrait pas déroger à la règle : l'atteinte de l'objectif supposerait une accélération du rythme de conversion biologique qui apparaît, à ce jour, irréaliste.

1. L'objectif du programme « Ambition bio 2022 » est-il pertinent ?
a) L'objectif de mobilisation des sols en bio, un signal donné par un État qui ne dispose pas des instruments adéquats, et peut exercer des effets pervers

La fixation d'un objectif de conversion au bio se référant à un critère surfacique, pour ne pas manquer, sur le papier, de justifications au vu des avantages attendus de l'agriculture biologique, suscite, malgré tout, de très fortes réserves. La référence à un critère surfacique peut se recommander du constat que les externalités positives attendues du bio relèvent au moins autant de préoccupations environnementales que de préoccupations d'ordre strictement alimentaire (voir ci-dessus).

La proportion de la surface agricole utile convertie au bio , pourtant au coeur de la communication gouvernementale relative à la transition agro-écologique, ne présente, à tous égards, qu'un médiocre intérêt et peut même exercer des effets pervers, particulièrement dommageables pour le projet de développement de l'agriculture biologique.

Les objectifs ultimes d'un développement de l'agriculture biologique sont d'assurer une offre alimentaire biologique en quantité suffisante et accessible aux consommateurs et d'assurer une production optimale de biens publics environnementaux.

Dans ces conditions, un objectif de mobilisation d'un facteur de production donné (ici la terre) indiscriminé n'est pas de nature à satisfaire ces objectifs.

On doit, dans ces conditions, redouter un manque de sélectivité des projets , l'envoi aux exploitants d'un signal général de soutien créant les conditions d'un développement sous-optimal de l'agriculture biologique au risque de se solder par des gaspillages macroéconomiques de moyens et des échecs microéconomiques, d'autant plus sévères que les projets individuels ne bénéficient pas des accompagnements qui s'imposent, tant au regard des transferts financiers que du point de vue de la sécurisation de la réputation des produits de l'agriculture biologique.

Il faut ajouter que l'État peut bien afficher un objectif surfacique, il ne dispose pas des instruments de son atteinte dans la mesure où les régions bénéficient d'une large autonomie pour définir au niveau territorial les objectifs de leur politique de développement rural (voir infra ).

Ainsi qu'on le montre plus loin, la capacité d'orientation du programme national de développement rural n'est pas telle que ce dernier puisse déterminer les choix régionaux, surtout lorsque l'État n'assure pas la sécurisation financière des objectifs qu'il promeut, comme c'est le cas dans le domaine de l'agriculture biologique.

Il serait au demeurant sans doute éclairant de confronter l'objectif de 15 % de la surface agricole utile en mode de production biologique, tel que la communication gouvernementale en fait la promotion et la réalité des objectifs implicitement consacrés par les programmes de développement rural régionaux. Vos rapporteurs spéciaux souhaitent la réalisation rapide d'une telle analyse.

Une étude de ces programmes a été publiée récemment 23 ( * ) , mais de façon notable, sans analyse autre que sommaire du volet correspondant à l'agriculture biologique.

En l'état, la « définition », très « communicationnelle », de l'objectif national conduit à se référer à un élément, qui, même s'il ne lui est pas associé de valeur prescriptive, peut conduire à privilégier une approche grossièrement quantitative, insuffisamment adaptée aux enjeux qui appellent des analyses, globales et ponctuelles, fines et complexes.

Vos rapporteurs spéciaux ne peuvent que faire le constat d'un déficit d'accompagnement des opérateurs confrontés à des choix de spécialisation qui peuvent être lourds de conséquences.

Sans qu'il paraisse opportun de se référer à la procédure suivie dans le cadre de l'installation des jeunes agriculteurs, qui implique une réelle lourdeur dès lors que l'installation recourt au soutien public , il conviendrait de systématiser les prestations de conseil sans lesquelles la conversion biologique peut apparaître insuffisamment informée.

Il s'agit d'une responsabilité éminente des pouvoirs publics qui est mal intégrée à ce jour au dispositif (voir infra , les développements relatifs à l'agence bio).

Les risques résultant de la polarisation sur un objectif aussi grossier que celui qui structure la politique de développement de l'agriculture biologique sont aggravés par le constat selon lequel, en tant qu'indicateur de l'essor du bio, la part de la surface agricole utile en bio, conduit à un pilotage fonctionnel et financier construit sur des diagnostics imparfaits sur les dynamiques en cours, ainsi que l'illustre la situation actuelle (voir infra ).

La politique de développement de l'agriculture biologique appelle ainsi une modification préalable de sa fonction d'objectif, évolution sans laquelle l'ambition biologique de la France encourt tous les risques exposés ci-dessus.

b) Une planification quantitative portant sur un facteur de production sans précisions sur le potentiel de production associé et la demande prévisible

Une observation complémentaire conduit à s'interroger sur les conditions dans lesquelles le choix de l'objectif de 15 % de la surface agricole convertie en bio a pu être effectué.

Ce type d'objectif est apparenté aux objectifs de production quantitative de la plus pure tradition planificatrice des débuts du XX ème siècle.

Vos rapporteurs spéciaux s'interrogent fondamentalement sur les scenarios de demande sur lesquels cet objectif a été construit.

Malgré son dynamisme, la demande en produits bio peut rencontrer, dans les conditions actuelles, de développement de l'offre de bio, des limites (voir infra ), qui appellent l'attention sur les enjeux d'une consolidation de la demande de produits bio.

Sans doute faut-il considérer en partie sous cet angle l'intervention de l'article 24 de la loi n° 2018- 938 du 30 octobre 2018 dite Egalim, qui a complété le programme « Ambition bio 2022 » en fixant une règle d'approvisionnement en denrées alimentaires des restaurants publics et privés en charge d'une mission de service public, celui-ci devant être composé d'au moins 50 % de produits durables et de qualité 24 ( * ) dont au moins 20 % de produits issus de l'agriculture biologique à l'horizon 2022.

Mais, à son tour, ce facteur de soutien repose sur une série d'ambiguïtés inquiétante, à ce jour non dissipées (voir infra ).

2. Un objectif hors d'atteinte sans conditions « héroïques »

Le projet « Ambition bio 2022 » a fixé un objectif de 15 % de la surface agricole utile impliqués par l'agriculture biologique soit le double de la surface en bio en 2018.

Cet objectif est considéré comme indispensable à la satisfaction d'un second objectif du projet « Ambition Bio 2022 », qui est de servir 20 % des repas de la restauration collective hors domicile en bio.

a) Une progression des surfaces impliquées en bio mais des incertitudes sur les décomptes exposés par l'Agence Bio

Ces toutes dernières années, l'expansion de la surface agricole exploitée en bio s'est poursuivie sur un rythme soutenu.

En 2018, la part de la surface agricole concernée par le bio a atteint de l'ordre de 7,5 % de la surface agricole utile.

C'est du moins ce qu'indique l'Agence Bio, sur des bases qui ont pu être identifiées comme fragiles dans le passé par les audits effectués sur ce thème et qui demeurent insuffisamment transparentes.

L'évaluation du quantum de la surface agricole utile en bio est entourée d'incertitudes qu'il convient de lever pour assurer la sincérité des statistiques de l'agriculture biologique

Le suivi des surfaces agricoles en bio est assuré sur des bases qui suscitent une certaine perplexité. Il semble que le décompte soit réalisé sur la base de déclarations produites dans le cadre des notifications à l'Agence BIO. Il existe sans doute des recoupements avec les organismes certificateurs, mais sur des bases qui restent à exposer de façon transparente. La question est particulièrement aigüe en ce qui concerne les surfaces en conversion, pour lesquelles le processus de certification n'est pas encore abouti.

Par ailleurs, on relève que les dossiers d'aides publiques sont fréquemment rejetés, ce qui invite à supposer qu'il existe une discordance entre surfaces notifiées et surfaces effectivement éligibles en bio. Il convient d'ajouter la considération d'un contexte marqué, par ailleurs, dans le passé, par le déficit de précision des décomptes des surfaces agricoles, déficit qui a atteint un degré particulièrement élevé pour les surfaces à caractéristiques spéciales parmi lesquelles on imagine que les surfaces en bio figurent particulièrement. On rappelle que le défaut de rigueur dans la tenue du registre parcellaire graphique a valu à la France de très lourdes corrections financières de la part de l'Union européenne.

Dans ces conditions, un doute raisonnable existe sur la robustesse des données de suivi surfacique du bio.

Vos rapporteurs spéciaux recommandent que les données de suivi des surfaces impliquées par le mode d'agriculture biologique soient totalement fiabilisées, le soupçon d'une « politique de l'indice » devant être impérativement conjuré.

La course de relais entre conversion et certification

Les surfaces en conversion sont approximativement prédictives des surfaces certifiées 25 ( * ) . Les résultats relatifs aux surfaces certifiées en bio sont, en effet, tributaires de la dynamique des entrées en conversion (on a exposé supra comment le passage à l'agriculture biologique suppose de suivre un cursus où une phase de conversion précède l'accession à la certification), qui impacte , moyennant les délais nécessaires l'accomplissement du cursus vers la certification, et quelque approximation, les dynamiques des surfaces certifiées .

Ces dernières années, les dynamiques respectives des surfaces certifiées et des surfaces engagées dans la conversion à l'agriculture biologique ont été marquées par une progression relative plus forte des surfaces en conversion.

Jusqu'en 2014, la proportion des surfaces certifiées en bio est restée située au-delà de 80 % des surfaces relevant d'une démarche de passage à l'agriculture biologique même si, au cours de cette période, pour la plupart des années considérées, la progression des surfaces certifiées en bio est restée assez étale, avec un accroissement de 117 200 hectares en trois ans, entre 2013 et 2016 (soit environ 40 000 hectares par an).

La très forte amplification de l'accroissement des surfaces certifiées intervenue à partir de 2016 - le gain a atteint 178 600 hectares en 2017, et encore 268 100 hectares en 2018 26 ( * ) - n'a pas empêché la part des surfaces certifiées en bio dans le total des surfaces concernées par le bio de reculer légèrement à partir de 2015, sous l'effet de la progression des surfaces mises en conversion 27 ( * ) .

Évolution des composantes de la surface agricole en bio (2012-2018)

Source : commission des finances du Sénat d'après les données de l'Agence Bio

La période considérée a été marquée par une forte accélération du rythme des surfaces en conversion. Cette accélération a conduit à élever la part des surfaces placées en conversion dans le total des surfaces agricoles concernées par l'agriculture biologique alors même que les surfaces certifiées connaissaient l'essor qu'on a exposé.

À ce stade, sous les réserves relevées ci-dessus , l'on est conduit à estimer qu'en 2018, la moitié de l'objectif d'extension des surfaces en mode de production biologique fixé par le programme « Ambition Bio 2022 » à cette échéance avait été atteint, le pourcentage des surfaces certifiées n'étant toutefois que de 5,6 % des surfaces agricoles.

Évolution de l'empreinte du BIO sur l'agriculture française

(2003-2018)

Source : Agence BIO, 2019

Ainsi, selon qu'on donne à l'objectif du programme « Ambition Bio 2022 » une acception large (l'engagement dans la démarche bio) ou plus rigoureuse (la certification des surfaces), on peut dire que la moitié du chemin a été parcourue ou que seul 37 % de l'effort a été réalisé 28 ( * ) .

b) Même à supposer l'augmentation des surfaces en bio structurelle, le projet « Ambition bio 2022 » devrait être rebaptisé « Ambition bio (au mieux) 2026 »

Dans ces conditions, l'objectif surfacique du projet « Ambition bio 2022 » paraît, d'ores et déjà, hors d'atteinte.

Il faut ajouter, qu'à supposer même qu'il soit atteint, les équilibres sur lesquels repose l'agriculture biologique subiraient alors sans doute des évolutions susceptibles d'altérer la soutenabilité même du projet.

(1) Un raccourcissement de l'accès à la certification qui mérite d'être pleinement justifié par le Gouvernement

Une projection des surfaces correspondant à l'objectif du programme a été réalisée et communiquée à vos rapporteurs spéciaux.

Elle comporte des écarts très importants par rapport à la situation décrite pour 2018 par l'Agence bio, écarts qui portent moins sur le dénombrement global des surfaces impliquées par le bio que sur leur répartition entre surfaces en conversion et surfaces en phase de maintien, ce qui complique l'analyse et témoigne d'une assez forte approximation des éléments sur lesquels a pu reposer la construction du projet « Ambition bio 2022 ».

Le point de départ de la programmation a été globalement à peu près atteint avec cependant un déficit, dès 2018, des surfaces en conversion compensé par un excédent de surfaces certifiées par rapport à celles anticipées. Les surfaces en conversion projetées sont supérieures de 612 797 hectares par rapport à la situation observée. En contrepartie, celle-ci offre le panorama d'un surplus de 563 987 hectares par rapport à la base de la projection.

Au-delà de ce constat, il apparaît nécessaire que soient exposées les raisons de ces écarts. L'analyse des évolutions annuelles montre que l'élasticité des surfaces considérées comme certifiées au contingent des surfaces en conversion a connu au fil du temps une forte variabilité tout en suivant une tendance à l'augmentation.

Il semble ainsi que les durées de conversion aient été nettement raccourcies, évolution qui mérite une analyse fine de ses déterminants.

Il est possible que les caractéristiques des surfaces mises en conversion justifient cette évolution. Mais, l'on ne pourrait se départir du soupçon d'une politique opportuniste aux motivations composites 29 ( * ) que si un audit venait à conforter le rôle du premier facteur évoqué.

(2) Un objectif qui repose sur des « conditions héroïques »
(a) Les entrées en conversion doivent augmenter très fortement...

Selon la projection du projet « Ambition bio 2022 », les surfaces en bio devraient atteindre 4 032 907 hectares en 2022 contre 2 083 834 hectares en 2018 (contre un réalisé de 2 035 024 hectares).

En 2022, selon les termes de la projection communiquée à vos rapporteurs spéciaux 30 ( * ) , les surfaces certifiées seraient de 1 487 881 hectares et les surfaces en conversion de 2 545 026 hectares, les premières gagnant 58,5 % par rapport à l'année 2018, les secondes devant être plus que doublées par rapport au point de départ.

Projections des surfaces agricoles en conversion et en maintien associées à l'objectif du programme ambition Bio 2022

Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Pour le reste, la projection table sur l'augmentation des surfaces certifiées en bio à hauteur de 549 296 hectares (+ 58,5 % en quatre ans) et sur l'augmentation des surfaces en conversion à hauteur de 1 399 777 hectares (+ 122 % en quatre ans) pour un total de 1 949 073 hectares.

En négligeant à ce stade la répartition entre surfaces en conversion et surfaces certifiées, il faudrait qu'en moyenne, sur les quatre ans du projet, les surfaces en bio s'étendent de 487 268 hectares.

Ceci suppose des entrées en conversion à due proportion chaque année soit un surcroît considérable par rapport au score atteint ces dernières années.

Même si l'on se réfère à l'année 2018, année particulièrement dynamique avec + 268 022 hectares (la moyenne entre 2015 et 2018 a été de 238 848 hectares ; entre 2012 et 2018, elle a été de 205 596 hectares, voir ci-dessous), il faudrait qu'en moyenne les entrées en conversion bio dépassent de 81 % ce record.

Cette performance suppose que, sur la base inhabituellement élevée des conversions décomptées en 2018, le rythme d'augmentation des entrées en conversion soit régulièrement de l'ordre de 20 % par an. C'est certes moins qu'en 2018 (+ 31 %) mais, cette année devant à tous égards être considérée comme atypique, c'est nettement plus que le rythme de progression des entrées en conversion moyen relevé ces dernières années, qui, en lui-même, n'offre guère que des informations comptables, et semble très difficilement reproductible.

En tout cas, les entrées en conversion ont concerné ces dernières années environ 220 000 hectares par an.

Sur une plus longue période, entre 2012 et 2018 (soit sur une période de sept ans), le volume des surfaces placées en première année de conversion a atteint 1 153 542 hectares, soit 205 596 hectares.

Évolution des surfaces placées en conversion (première année)
entre 2012 et 2018

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

Total

Nombre

62 426

57 500

78 224

216 211

266 684

204 475

268 022

1 153 542

Évolution d'une année à l'autre

- 4 926

20 724

137 987

50 473

- 62 209

63 547

205 596

Évolution d'une année à l'autre en %

- 7,9

36

276

23,3

- 23,3

31,1

NS

Source : commission des finances du Sénat d'après les données de l'Agence Bio

Ces performances ne sont évidemment pas négligeables. Toutefois, elles ne sont pas compatibles avec les objectifs du projet « Ambition Bio 2022 ».

Si les entrées en conversion observées depuis 2015 (avec une moyenne annuelle de 240 000 hectares), déjà caractérisées par un fort dynamisme auquel la conjoncture agricole n'a sans doute pas été étrangère, devaient se prolonger, il faudrait près de huit ans pour atteindre l'objectif de 15 % des surfaces cultivées en bio impliquées par le bio.

Si elles étaient stabilisées au niveau élevé de 2018, il faudrait plus sept ans, de sorte que le projet « Ambition Bio 2022 » semble, d'ores et déjà, devoir être rebaptisé projet « Ambition Bio 2026 » (au mieux).

(b) ...alors que le plus « facile » a sans doute été fait

Il faut ajouter des considérations plus qualitatives.

Selon la programmation transmise à vos rapporteurs spéciaux, la progression des surfaces mobilisées en bio devrait être concentrée sur les surfaces fourragères associées à l'élevage (+ 1 034 083 hectares, soit un doublement), ainsi que sur les grandes cultures (+ 576 000 hectares, soit également un doublement).

La dynamique attendue repose ainsi sur un scenario qui présente de fortes incertitudes.

Il table sur la progression du passage au bio de surfaces déjà largement engagées en bio (les surfaces fourragères en bio représentant plus de 10 % desdites surfaces en 2018) pour lesquelles l'année 2018 a été marquée par une baisse des surfaces en conversion (- 18 %) et, en même temps, sur des surfaces encore relativement peu impliquées par le bio (les grandes cultures) pour lesquelles la dynamique récente a reposé sur la conversion d'exploitations disposant de surfaces agricoles comparativement élevées par rapport à la surface moyenne d'une exploitation en bio 31 ( * ) mais relativement faibles par rapport aux surfaces céréalières.

Surfaces en bio en 2016 et évolution par rapport à 2015
pour les différentes productions végétales

Source : Agence Bio ; PPAM= plantes à parfum aromatiques et médicinales

Or, le potentiel de conversion de ces exploitations suscite certains doutes (voir infra ) quant à la pérennisation du rythme de passage au bio de ces exploitations, que les évolutions observées en 2018 sont du reste venues légitimer.

Le rythme de croissance des exploitations impliquées en bio a décru (14 % contre 17 %) tandis que l'effet multiplicateur sur les surfaces en bio de l'augmentation des exploitations s'est amenuisé.

Les surfaces en conversion n'ont plus progressé que de 35 % contre les 54 % observés en 2017.

(c) ...et que l'expansion des surfaces en bio pourrait altérer les conditions économiques particulières sur lesquelles elle a reposé

Il faut enfin ajouter que la progression des surfaces exploitées en bio jusqu'au seuil fixé par le projet « Ambition Bio 2022 » serait susceptible de peser sur les prix du bio à demande constante et se trouve de toutes façons suspendue à une contrainte de compétitivité-prix si l'on veut que les productions subséquentes trouvent leurs consommateurs dans un segment de demande très riche en importations (voir ci-dessous).

Si la perspective de servir 20 % de produits bio dans la restauration collective hors domicile peut assurer des débouchés qui, autrement, seraient incertains il faut bien reconnaître que l'enchaînement sous-jacent n'est guère satisfaisant dès lors qu'il s'agit non pas seulement d'écouler des volumes de production mais encore de maintenir les surprix des produits bio.

En toute hypothèse, il est essentiel de rappeler que l'objectif de passage à 15% de la surface agricole en bio étant hors d'atteinte à l'horizon de 2022, le second objectif de fourniture de 20 % des repas en bio dans la restauration hors domicile ne sera pas davantage atteint, sauf à exercer sur les consommateurs individuels un effet d'éviction, qui minerait durablement le développement du bio en France, et à recourir massivement à des importations pour alimenter les cantines.


* 20 Il est très regrettable ainsi que l'ont relevé vos rapporteurs spéciaux que les objectifs politiques censés mobiliser l'action publique et réunir les Français soient ainsi régulièrement déjoués.

* 21 « Rapport sur le bilan du plan de développement de l'agriculture biologique 2008-2012 ».

* 22 « Les aides en faveur de l'agriculture biologique, programme 2007-2013 », Observations définitives, Cour des comptes, juillet 2015.

* 23 « État des lieux de la mobilisation des programmes de développement rural régionaux en faveur de la politique agro-écologique », Oréade-Brèche, 24 avril 2018.

* 24 Il s'agit de produits disposant d'une garantie d'origine (AOC, IGP) de qualité supérieure ou de mentions valorisantes (Label rouge) et de garantie de préservation de l'environnement (certification « haute valeur environnementale de niveaux 2 ou 3).

* 25 Il n'existe pas de certitude absolue que les surfaces en conversion passent à la certification.

* 26 La quantité des surfaces certifiées en bio se trouvait en 2018 proche de deux fois le niveau atteint en 2012, une accélération du rythme de progression de ces surfaces ayant marqué les dernières années, les surfaces certifiées gagnant près de 50 % entre 2016 et 2018.

* 27 Il convient de garder à l'esprit ces données notamment pour apprécier les termes essentiels de l'accompagnement du développement du bio par l'action publique que sont les soutiens financiers accordés à ce type de production et la gestion des contrôles destinés à s'assurer de l'intégrité de la certification en agriculture biologique.

* 28 L'objectif du projet porte sur un quantum de surfaces agricoles en bio sans considération du degré de maturité des projets si bien que les surfaces en conversion et les surfaces certifiées sont agrégées, les deux catégories concourant pour l'atteinte de l'objectif, caractéristique d'autant moins opportune que les soutiens publics ayant, depuis l'énoncé de l'objectif, été nettement diversifiés -avec l'annonce de la fin de l'attribution d'aides au maintien par le ministère de l'agriculture-, désormais les probabilités de maintien des exploitations en conversion sont affaiblies.

* 29 Parmi les motivations envisageables on peut évoquer, pour l'État, le différentiel de coût des soutiens en conversion et en maintien ainsi qu'une volonté d'affichage, pour les opérateur, l'opportunité d'accéder à des prix supérieurs une fois la certification obtenue et, pour les organismes certificateurs, une gestion du chiffre d'affaires.

* 30 Termes apparemment obsolètes mais qui peuvent servir pour illustrer les conditions d'atteinte de l'objectif du projet « Ambition bio 2022 ».

* 31 Ainsi, l'augmentation de 17 % des exploitations céréalières engagées dans l'agriculture biologique entre 2015 et 2016 s'est alors traduite par une augmentation de 54 % des surfaces en conversion (voir le tableau ci-dessous).

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