B. S'APPUYER SUR LE FINANCEMENT PRIVÉ GRÂCE AUX FONDATIONS DÉDIÉES ET EXPLORER DE NOUVEAUX OUTILS DE FINANCEMENT

Malgré la multiplicité des sources de financements publics, les coûts inhérents à la protection, l'entretien et la restauration du patrimoine ne cessent de croître.

Les collectivités territoriales, en particulier les communes, ne peuvent naturellement dédier l'ensemble de leurs dépenses culturelles au seul entretien de leur patrimoine. Ainsi, ce domaine représente 6 % de leurs dépenses en 2017, loin des 19 % de leur budget destiné aux bibliothèques et médiathèques, par exemple.

Répartition sectorielle des dépenses des collectivités territoriales en 2017 ( en % du total des dépenses culturelles )

Communes

Intercom-
munalités

Départements

Régions

Conservation et diffusion des patrimoines

37

29

50

21

Bibliothèques
et médiathèques

19

21

10

n.d.

Musées

10

6

13

n.d.

Archives

1

0

9

n.d.

Entretien du patrimoine culturel

6

2

19

n.d.

Expression artistique et autres activités culturelles

53

59

50

79

Expression lyrique
et chorégraphique

17

33

n.d.

n.d.

Théâtres

7

8

n.d.

n.d.

Cinémas et autres salles de spectacles

6

7

n.d.

n.d.

Arts plastiques et autres activités artistiques

3

3

n.d.

n.d.

Action culturelle

20

8

n.d

n.d

Autres

11

12

0

0

Total

100

100

100

100

Source : DEPS, ministère de la Culture, 2019

Si le budget de l'État consacré à l'entretien du patrimoine local est en hausse, il demeure toutefois une aporie entre ces subventions et un désengagement de l'État et de ses services déconcentrés. Certes les collectivités se retrouvent avec des crédits mais sans disposer des capacités d'ingénierie indispensables pour les gérer.

Philippe Toussaint, président de l'association Vieilles maisons françaises et maire délégué de Villebadin, souligne : « La bonne gestion des crédits dépend de l'organisation de la maîtrise d'ouvrage et de la maîtrise d'oeuvre. Dans le territoire rural, il y a peu d'organisation. L'État s'est déchargé de sa compétence mais ce n'est pas pour autant que cela a rendu les collectivités compétentes pour l'exercer. Les architectes du patrimoine eux-mêmes ne sont pas tous au même niveau de compétence, il y a du pique et du carreau. » La recherche d'autres sources de financements est donc inéluctable.

Or, le drame de l'incendie de Notre-Dame a permis de faire prendre conscience à nos concitoyens de l'importance de soutenir le patrimoine. On peut se féliciter que dans notre pays de très nombreux acteurs privés s'engagent financièrement en vue de cet objectif. Les élus ne doivent pas hésiter à mobiliser ces canaux de subventionnement pour restaurer et valoriser leur patrimoine.

Olivier Lenoir, délégué général du réseau Rempart, souligne d'ailleurs l'avantage du recours à ces associations : « Nous pouvons accompagner les élus locaux au-delà du temps du mandat en offrant une continuité et une inscription dans un temps long » . En France, les nombreuses associations et fondations forment ainsi un véritable tissu de la protection du patrimoine.

1. De nombreuses fondations et associations accompagnent financièrement les communes pour entretenir ou restaurer leur patrimoine

Il existe aujourd'hui une très forte présence territoriale des associations de protection du patrimoine. Un véritable réseau vit sur les territoires, animé par des associations qui travaillent en coopération et en complémentarité, avec parfois des domaines d'intervention propres. Fortes de milliers d'adhérents, onze d'entre elles sont d'ailleurs reconnues d'utilité publique et entretiennent des relations constantes avec les élus locaux.

La Fondation du patrimoine est le premier interlocuteur des élus locaux en matière de financement privé des projets de restauration du patrimoine communal. Elle intervient tant pour le patrimoine protégé que non protégé grâce au mécanisme de la souscription, qui s'apparente à un financement participatif dont la Fondation est l'interface. La souscription permet d'attirer des donateurs pour financer les travaux de restauration du patrimoine des communes.

Cette technique de financement s'accompagne d'une contribution additionnelle directe de la Fondation du patrimoine, déterminée en fonction de critères territoriaux. Guy Sallavuard, son directeur des relations institutionnelles, souligne : « Notre coeur de métier est le financement de la rénovation du patrimoine. Nous aidons au financement de projet sur le terrain ». En outre, 80 % des projets pour lesquels la Fondation accompagne les communes concernent des communes de moins de 2 000 habitants 32 ( * ) .

L'AMF souligne « la qualité de l'engagement mené par la Fondation du patrimoine » face à la problématique de l'entretien et de la restauration des monuments non classés ou non protégés, qui sont « moins soutenus par l'État », et sur laquelle « les maires sont relativement démunis ». Stéphane Bern salue lui aussi « le travail remarquable mené par la Fondation . C'est une armée de bénévoles, qui donne son temps, son énergie et ses moyens pour défendre et restaurer le patrimoine. Or que serait le patrimoine sans cette armée de bénévoles ? Nous devons y penser ! ». En particulier, s'agissant de la mission éponyme pilotée par la Fondation, l'animateur salue « une extraordinaire cheville ouvrière qui permet de reverser une manne financière considérable en faveur des monuments ».

Parmi leurs opérations, on peut saluer par exemple la campagne de sensibilisation à l'entretien des sites. Guy Sallavuard le souligne : « Il faut valoriser le réflexe de l'entretien chez les maires, car évidemment ça coûte moins cher ». En la matière, les nouvelles technologies (caméras thermiques, lasers, etc.) peuvent être d'une aide précieuse.

Après l'incendie de Notre-Dame, la Fondation du patrimoine a lancé une initiative baptisée « Plus jamais ça », un fonds d'urgence dédié finançant les besoins en équipements des collectivités et visant la mise en sécurité des sites de notre patrimoine les plus menacés. Elle estime à « plus de 2 milliards d'euros le besoin d'investissements dans le patrimoine français dit en péril ». Les sites en danger immédiat seront sélectionnés parmi les 2 800 projets soutenus actuellement par la Fondation du patrimoine, et les 3 000 qui lui ont été signalés. La Fondation précise que « le nombre de sites retenus dépendra du montant des fonds recueillis ».

On notera, par exemple, le dispositif innovant lancé en ce début d'année par le conseil départemental du Calvados, avec son Service départemental d'incendie et de secours (SDIS), qui a identifié 58 édifices remarquables - peu importe leurs propriétaires -, dans un plan de prévention des incendies. Ce dispositif fait l'objet d'un plan quinquennal basé à la fois sur des travaux de mises aux normes incendie et sur l'établissement de « fiches réflexes » afin d'améliorer l'alerte.

S'agissant en particulier de la mission Stéphane Bern, la Fondation du patrimoine a pu soutenir des restaurations patrimoniales à hauteur de 144 millions d'euros de travaux en 2018 et 78 millions d'euros en 2019 33 ( * ) . Stéphane Bern explique : « Grâce à cet argent, nous avons pu assurer la sauvegarde de quelque 150 monuments, restaurés ou en cours de restauration, et au premier chef les 18 monuments emblématiques, en quelques sorte les ambassadeurs de chaque région administrative du pays et de l'outre-mer ».

La mission confiée en 2017 par le Président de la République à cet amoureux du patrimoine le charge de « dresser un inventaire précis des urgences région par région et trouver des solutions innovantes de financement du patrimoine en péril ». C'est ainsi qu'est né le Loto du patrimoine, qui s'est révélé « un franc succès populaire » pour reprendre ses termes. « Je n'ai rien inventé » confie-t-il, « Je me suis inspiré du succès du National Trust anglais (...) et de la Loteria qui est née en Italie et que François I er a ramenée en France ».

Sur le terrain, ajoute-t-il, l'opération permet de « mobiliser les collectivités territoriales, les propriétaires privés, les associations et les citoyens qui peuvent directement nous alerter sur tel ou tel patrimoine de proximité qui se dégrade » « 3 000 monuments ont été identifiés en 2017, 2000 en 2018, et environ 1 000 en 2019, soit un total de 6 000 monuments au bout de la troisième année » . Les monuments ont été identifiés « selon trois critères » explique-t-il : « le péril ou l'urgence des travaux à réaliser ; l'importance ou l'enjeu pour le territoire, en termes de tourisme ou d'emploi par exemple ; l'engagement financier des autres partenaires comme la région, le département ou encore l'Union européenne » pour ne pas que l'aide de la Mission reste « une goutte d'eau ».

S'agissant précisément des financements, l'opération a rapporté en 2019 près de 24 millions d'euros, soit 2 millions de plus que l'année précédente. Stéphane Bern précise également que « tous les tickets ont été vendus ». Le Loto du patrimoine connaît un succès croissant et, malgré la crise qui se profile, l'opération va se poursuivre en 2020. « Le combat continue », selon Stéphane Bern, qui espère « pouvoir dévoiler avant la fin du mois de juin la liste des 103 monuments du maillage territorial retenus pour bénéficier du loto 2020. Nous travaillons à cela avec la Française des jeux ».

Notre délégation regrette que les montants, certes encourageants, soient toutefois insuffisants compte tenu de l'ampleur des besoins. En 2018, le Loto du patrimoine avait généré 200 millions d'euros de recettes dont 22 millions à destination de la Fondation du patrimoine et 21 millions d'euros de taxes. Malgré la proposition du Sénat de supprimer ces taxes dans le projet de loi de finances pour 2020, l'Assemblée nationale les a rétablies. Le rétablissement de la taxation de l'État sur les jeux de loterie peut faire craindre des prévisions de recettes à la baisse à destination du patrimoine. Stéphane Bern déclare : « Par trois fois, le Sénat a voté l'abrogation des taxes sur le Loto du patrimoine, mesure aussitôt retoquée par les députés, suscitant ma colère et mon incompréhension ». Le Loto du patrimoine ne doit pas, en effet, être envisagé comme un simple jeu d'argent, car il a une vocation philanthropique. Il ajoute qu'une solution provisoire venait d'être trouvée avec le ministère de la Culture juste avant le confinement : « L'État s'est engagé à une compensation. Il compense les taxes qu'il prélève sur le Loto en nous les reversant ; ce qu'il prend d'un côté, il nous le redonne de l'autre ». L'animateur constate qu'en réalité « On dégèle des crédits qui avaient été congelés parce qu'ils n'avaient pas été consommés alors qu'ils avaient été votés dans les budgets » et pointe avec ironie « À force de dégeler des choses congelées on va finir par rompre la chaine du froid et cela sera impropre à la consommation ».

Notre délégation se félicite également que, chaque année, dans le cadre du Loto du patrimoine, la Fondation du patrimoine, ait veillé à un parfait équilibre entre les monuments classés ou inscrits et les monuments protégés, ainsi qu'entre le patrimoine appartenant à des collectivités territoriales, le patrimoine privé et celui appartenant à des associations de sauvegarde. Et ce, en étant attentive à ce que toutes les formes et typologies de patrimoine soient représentées (églises, châteaux, abbayes, patrimoine ouvrier ou industriel, aqueducs ferroviaires, lavoirs, fontaines, maisons d'illustres, etc.). Stéphane Bern fait valoir : « Je ne voulais pas être seulement le défenseur des châteaux et des églises, je voulais au contraire que l'on montre les typologies différentes du patrimoine ».

Il pointe également une incohérence de l'État : « Les sommes reversées par l'État dans le cadre de la compensation des taxes perçues sur le Loto du patrimoine sont fléchées sur le patrimoine inscrit ou classé, ce qui nous obligera nous-mêmes à orienter les recettes de la Fondation du patrimoine sur le patrimoine non protégé ». Il affirme que « de nombreux élus se sont émus auprès de moi de refus des DRAC d'aider au financement de monuments dans leurs communes au motif qu'elles recevaient de l'argent du Loto du patrimoine » . Il estime enfin que l'État doit clarifier sa position : « Soit le Loto est une aide complémentaire, soit on se substitue à l'État. Pour moi, aider le patrimoine ce n'est pas fromage ou dessert, c'est fromage et dessert ! ».

En définitive, notre délégation appelle à la pérennisation du dispositif du Loto du patrimoine et souscrit pleinement à l'analyse de son animateur : « Le Loto du patrimoine aura eu le mérite de provoquer une prise de conscience générale sur l'importance du patrimoine, de remettre cette question au coeur du débat national et de susciter un véritable élan collectif, redonnant de l'espoir à celles et ceux qui se donnent sans compter, dans l'ombre, pour la sauvegarde de nos monuments » .

Recommandation n° 32 : Pérenniser le dispositif du Loto du patrimoine en supprimant définitivement les taxes qui pèsent sur lui afin de se prémunir contre un risque de baisse des recettes dans les années à venir.

D'autres fondations ou associations sont particulièrement bien implantées et actives dans les territoires : l'association Vieilles maisons françaises, qui finance aussi directement une partie des travaux d'urgence par le biais de conventions de financement avec les propriétaires ; la Fondation pour la sauvegarde de l'art français, qui apporte sa contribution au financement des travaux de gros oeuvre sur les églises ou chapelles antérieures à 1800 et non classées au titre des monuments historiques 34 ( * ) ; la fondation Pays de France du Crédit agricole, qui propose des financements pour la préservation et la réhabilitation de monuments et de bâtiments remarquables 35 ( * ) ; l'association Patrimoine-Environnement, qui réalise un travail considérable, notamment en faveur du patrimoine rural non protégé.

L'ensemble du patrimoine, et non uniquement le patrimoine historique, est couvert par ces associations et fondations. On peut relever les actions conduites par l'association Maisons paysannes de France, qui conseille les particuliers et les collectivités pour la sauvegarde du patrimoine rural bâti et paysager. Pour cela, elle développe des actions d'identification, de formation et de sauvegarde du patrimoine. Jean-Michel Gelly, l'un de ses administrateurs, expose : « Notre travail se concentre essentiellement sur le patrimoine rural et vernaculaire, c'est-à-dire du patrimoine non protégé mais qui fait aussi la vie de nos villages ». Il poursuit : « À Orléans, par exemple, nous avons réhabilité tout un quartier grâce à des actions de restauration bénéficiant du concours financier de la ville. Cette opération a incité les propriétaires privés à aller dans le même sens. C'est une démarche qui peut être dupliquée dans de nombreux villages ».

L'association Patrimoine-Environnement réalise pour sa part des actions de formation en organisant des ateliers en région qui permettent aux professionnels et aux élus locaux de se rencontrer. Elle est aussi très active pour la protection des églises, en particulier celles qui ne bénéficient pas d'un classement ou d'une inscription. Alain de la Bretesche, son président, rappelle à ce propos : « Les élus peuvent compter sur les chantiers de bénévoles et les chantiers d'insertion et de réinsertion à destination des plus jeunes et des personnes âgées » pour contribuer à la protection et à la valorisation du patrimoine. Ainsi, les collectivités territoriales ne doivent pas hésiter à conclure des partenariats avec les associations spécialisées en faveur de l'insertion par le travail sur les chantiers du patrimoine.

Recommandation n° 33 : S'appuyer sur l'aide des fondations et des associations de protection du patrimoine pour participer au financement des projets, organiser des formations, piloter des chantiers de bénévoles, ou conduire des actions de sensibilisation du public (en particulier auprès des jeunes), aux enjeux du patrimoine.

Enfin, ces fondations et associations peuvent, au-delà de la mobilisation d'une aide financière, s'avérer utiles pour proposer une ingénierie « clés en main ». C'est une opportunité que les petites communes peuvent évidemment saisir. Olivier Lenoir, délégué général de Rempart, rappelle : « Il est tout à fait possible à une commune de déléguer la maitrise d'ouvrage à association de protection du patrimoine sur un projet. C'est une faculté dont les maires peuvent se saisir lorsqu'ils ne trouvent pas forcément les compétences disponibles, en échange d'un bail emphytéotique pour gérer l'édifice patrimonial ».

L'AMF, par la voie de Jean-Philippe Allardi, estime que la diversité de l'aide apportée par la Fondation du patrimoine, par exemple, « n'est pas seulement une aide financière mais aussi une aide d'expertise et de conseil, allant de l'appréciation des édifices et des sites menacés à l'assistance technique au montage des projets, c'est un élément essentiel à la sauvegarde du patrimoine ». En milieu rural, surtout, les communes bien souvent ne disposent d'aucun service capable d'effectuer ce travail d'évaluation qualitative du patrimoine, et les services de l'État ne sont pas toujours en mesure de répondre aux sollicitations des maires.

On notera enfin, à l'intention des nouveaux élus municipaux, l'existence d'une offre, présente sur le territoire, d'assistance à maitrise d'ouvrage fournie par de nombreuses petites structures qui apportent une aide aux collectivités ou aux autres types de propriétaires pour la mise en valeur d'un patrimoine pas nécessairement « prestigieux », dans différents domaines : entretien, études de faisabilité, chiffrage des interventions possibles à court, moyen et long terme, etc.

Ronan Le Roscoët, ingénieur spécialisé dans le patrimoine bâti ancien 36 ( * ) , explique : « Notre métier, ainsi que l'assistance que nous pouvons fournir aux collectivités territoriales, méritent d'être mieux connus des élus. Nous intervenons dans la conduite d'opération de travaux, nous aidons les collectivités à mutualiser les services d'entretien de leur patrimoine, à réfléchir à l'ouverture et la valorisation des églises, à construire des relations partenariales avec les acteurs du patrimoine (ABF, conservateur, artisans, propriétaires) » .

Il souligne à juste titre que le « besoin d'accompagnement [...] se ressent de plus en plus car les réglementations se complexifient (classement Établissement recevant du public, ERP, accessibilité, incendie, thermique, etc.) et que la projection sur du long terme inhérente aux problématiques du bâti vient en contradiction avec la société actuelle, qui évolue de plus en plus vite ».

Les maires doivent être mieux informés des possibilités de s'appuyer sur cette ingénierie présente sur le terrain pour les accompagner et les aider à la décision, en faisant le lien entre les différents acteurs (ABF, porteurs de projet, artisans, services instructeurs, etc.).

Recommandation n° 34 : Sensibiliser les maires à la faculté de faire appel à des structures associatives ou des cabinets privés pour leur fournir une assistance à maitrise d'ouvrage et des prestations de conseil sur des projets de protection, restauration ou valorisation du patrimoine.

2. Recourir au mécénat et au financement participatif pour abonder les projets d'entretien et de restauration du patrimoine

Guy Sallavuard, directeur des relations institutionnelles de la Fondation du patrimoine, estime qu'» au niveau local, de nombreux citoyens sont volontaires pour donner du temps et de l'argent ». La sauvegarde du patrimoine national est d'ailleurs au coeur des missions de la Fondation qui, chaque année, organise près de 3 000 collectes de dons et de mécénats en faveur de projets de restauration. En 2018, 14,6 millions d'euros ont ainsi été collectés auprès de 44 000 donateurs, dont 41 000 particuliers 37 ( * ) , pour un total de 726 projets achevés 38 ( * ) .

La Fondation du patrimoine et l'association Vieilles maisons françaises insistent sur l'importance du mécénat d'entreprises ou de particuliers comme mode de financement des travaux sur le patrimoine des communes ou des propriétés privées. Comme la souscription, le mécénat permet, par l'interface des fondations, de faire se rencontrer un projet local de restauration et des financeurs privés. La Fondation pour la sauvegarde de l'art français propose également un accompagnement des porteurs de projet de restauration dans la recherche de mécènes privés par le biais d'une souscription.

De nombreux édifices sont susceptibles de faire l'objet d'une campagne de collecte de dons : agricoles (moulins, pigeonniers, fermes, lavoirs), industriels (fabriques, usines, ateliers), religieux. Ces édifices peuvent être de typologies très diverses et se situer en milieu rural ou urbain.

Sans passer par l'intermédiaire des fondations, les élus locaux peuvent aussi faire directement appel aux entreprises mécènes pour financer des travaux de restauration. Banques, sociétés de crédit, compagnies d'assurance, mutuelles, entreprises d'énergie, nombreuses sont les entreprises privées en France qui soutiennent directement, par l'intermédiaire de leurs propres fondations, ou indirectement, par le biais des fondations spécialisées, des actions menées en faveur de la conservation du patrimoine.

À cet égard, notre délégation ne peut que regretter que le Gouvernement ait décidé d'abaisser de 60 % à 40 % le seuil de déduction fiscale applicable au mécénat d'entreprise, au moment où la prise de conscience des grandes entreprises en faveur du patrimoine de proximité ne faisait que commencer. Stéphane Bern s'en indigne et estime que : « la défiscalisation c'est un moyen important pour soutenir le patrimoine. Cette décision a été prise parce qu'on a surtout eu peur des grandes entreprises. C'est ce que j'appellerais "l'amendement Bernard Arnault" ; il a donné 200 millions d'euros pour la restauration de Notre-Dame de Paris, la première chose à faire aurait été de lui dire merci avant de l'attaquer. Il faut, selon lui « remercier tous les Français pour leur générosité et leur philanthropie » , regrettant tout de même que cette générosité « s'oriente surtout vers des monuments emblématiques, pendant que les petites églises de nos campagnes sont en péril ». C'est pourquoi, affirme-t-il : « Il faut préserver le mécénat » .

Sur le terrain, la recherche de mécènes peut s'avérer coûteuse pour les petites communes dont les moyens sont souvent limités, et l'action des fondations s'avère alors indispensable si le choix est fait d'un financement privé complémentaire. Recourir à ces fondations dédiées présente d'ailleurs de multiples avantages : une sécurité dans la gestion des fonds car elles disposent d'une ingénierie financière, un contrôle de la qualité architecturale, des réductions d'impôts pour les donateurs et des frais de gestion faible pour les porteurs de projets.

Enfin, les perspectives offertes par le financement participatif méritent toute l'attention des élus locaux. Les plates-formes de « crowdfunding » peuvent s'avérer particulièrement efficaces pour mobiliser des moyens en un minimum de temps auprès des citoyens. Grâce à Internet et aux réseaux sociaux, ces collectes peuvent compléter ou se substituer aux collectes traditionnelles réalisées dans le cadre des souscriptions. On peut à ce titre saluer l'initiative du département de l'Eure, par exemple, qui a mis en place une plateforme de « crowdfunding » pour la restauration de son petit patrimoine.

Enfin, de nouveaux opérateurs privés ont investi les possibilités offertes par le « crowdfunding » en mettant leurs plateformes dédiées à disposition des porteurs de projets. C'est le cas de Dartagnans, une entreprise française de financement participatif exclusivement dédiée au patrimoine à l'art et à la culture. Sorte de Airbnb du patrimoine, ses deux cofondateurs, Romain Delaume et Bastien Goullard, font valoir : « En quatre ans, nous avons accompagné 450 porteurs de projets en mobilisant la participation de 160 000 utilisateurs, originaires de 157 pays, pour un montant de 8 millions d'euros collectés au service de la sauvegarde et de la protection du patrimoine ». Ces entrepreneurs le reconnaissent : « Le volume des dons a augmenté grâce aux plates-formes de financement participatif ».

Une telle force de frappe mérite toute l'attention des élus locaux.

Recommandation n° 35 : Encourager les maires à recourir aux différents outils de collectes de dons (mécénat, souscriptions), notamment les plus innovants (plates-formes de financement participatif etc.) pour mobiliser des fonds privés en faveur de la préservation du patrimoine architectural et monumental local.

3. S'appuyer sur les solutions innovantes offertes par des opérateurs publics et privés pour gérer les monuments historiques

Depuis plusieurs années, des acteurs publics mais surtout privés ont investi le marché de la gestion des monuments historiques, qu'ils soient d'ailleurs propriété de personnes publiques ou privées. Le patrimoine est de plus en plus considéré comme un bien à valoriser, capable de générer des revenus. Sur le marché, plusieurs solutions s'offrent aux communes qui souhaiteraient transférer les charges de gestion, d'entretien et de rénovation d'un édifice patrimonial.

Elles peuvent d'abord opter pour un partenariat avec l'établissement public du Centre des monuments nationaux (CMN) pour gérer ces monuments.

Les collectivités locales peuvent être associées, même lorsque les monuments sont la propriété de l'État, souligne Philippe Bélaval, président du CMN : « même si les monuments qu'il gère appartiennent pour l'essentiel à l'État, le Centre des monuments nationaux conduit cette gestion en partenariat avec les collectivités territoriales dès lors que les monuments contribuent fortement à l'identité des territoires, à leur attractivité économique et à leur qualité de vie ». Dans la plupart des cas, ce partenariat se concrétise par la conclusion de « conventions qui définissent les prestations réciproques des uns et des autres », qui concernent aussi bien des communes que des groupements de communes, des départements et des régions.

Ensuite, le CMN peut être amené à gérer pour le compte de collectivités territoriales des monuments leur appartenant. Cette possibilité, trop peu utilisée, a par exemple été expérimentée à Cluny, en Saône-et-Loire, avec la prise en gestion du musée municipal Ochier. « D'autres projets sont actuellement en cours d'étude » déclare le CMN.

En revanche, comme le rappelle Philippe Bélaval, « le CMN n'est pas en capacité juridique d'accorder des concours financiers aux collectivités territoriales pour la sauvegarde, l'entretien ou la valorisation de leur patrimoine ». Ces concours financiers restent du ressort de l'État et plus particulièrement des DRAC.

Aujourd'hui, rien n'interdit au CMN de fournir aux collectivités territoriales des prestations d'ingénierie, dans le respect des règles de la commande publique. Toutefois, selon son Président, « Le caractère limité de ses moyens, au regard du développement récent de ses missions et de son réseau, ne l'a pas conduit à développer cette activité qui n'a connu ces dernières années que de très rares cas d'application ».

Les communes peuvent également opter pour une gestion déléguée de monuments historiques ou de musées à un opérateur privé cette fois, lorsque cela apparait financièrement plus rentable.

Ces opérateurs privés, à l'instar de Culturespaces, peuvent assurer, pour le compte des collectivités territoriales et dans le cadre d'une délégation de service public, la gestion de monuments historiques ou de musées. Cette solution présente un avantage certain pour les collectivités territoriales qui ne souhaiteraient pas assumer les coûts de gestion assortis à la propriété d'un édifice culturel. Il s'agit d'une gestion « aux risques et périls » de l'opérateur, qui ne reçoit aucune subvention de fonctionnement mais qui, en contrepartie, est totalement autonome dans le choix de la programmation et des événements.

Pour Bruno Monnier, président de Culturespaces, « L'avantage c'est que si l'opérateur supporte les risques seul, il garde la main sur la communication, les orientations, les expositions, ou encore la politique tarifaire ». Lorsque l'opérateur récupère la gestion du lieu, il demande à être chef d'établissement pour pouvoir organiser librement la programmation des événements. Le conservateur du musée devient « juste un conseiller technique, sous l'autorité du chef d'établissement » . L'avantage de cette organisation réside dans la capacité de l'opérateur à pratiquer « des politiques innovantes et parfois moins conservatrices », juge Bruno Monnier.

Toutefois, les lieux qui peuvent bénéficier d'un tel type de gestion sans déficit sont très peu nombreux : ce sont des lieux pouvant accueillir au moins 150 000 à 200 000 visiteurs par an. En pratique, Culturespaces gère surtout des monuments ou des sites recevant de 300 000 à 400 000 visiteurs par an, car comme le reconnaît son président « il y a des lieux très coûteux à entretenir » . Cette solution peut s'avérer pertinente pour des sites dont les collectivités territoriales sont propriétaires et qui sont mal exploités.

Sur le terrain, peu de lieux appartenant à des collectivités territoriales sont en capacité de drainer autant de visiteurs. On en compte environ 500 en France, parmi lesquels le musée Jacquemart André ou l'Atelier des lumières, à Paris. « Nous faisons du repérage chez des propriétaires privés ou publics. Nous avons par exemple acquis un hôtel particulier à Aix-en-Provence à partir d'une annonce publiée par le conservatoire public de la ville qui cherchait à le vendre pour payer le nouveau conservatoire », dit Bruno Monnier.

Ainsi, le potentiel de fréquentation d'un édifice importe davantage que sa localisation. À Rodez, le musée Soulages illustre bien qu'un potentiel peut exister sans influence de la localisation, et donc concerner aussi des communes moyennes. Bruno Monnier déclare « Souvent, le potentiel peut être développé grâce à l'intervention d'un architecte de renommée internationale qui viendra donner de la visibilité à l'édifice ». Cette question de la visibilité de l'édifice est fondamentale, comme le prouve la gestion totalement privée de sites tels que le château de Cheverny, celui de Vaux-le-Vicomte ou encore celui de Chenonceau, capables de générer plusieurs centaines de milliers de visiteurs par an et des chiffres d'affaires de plusieurs millions d'euros.

Fréquentation des 10 premiers monuments nationaux
en termes de visites (en 2018)

Ville

Lieu

2015

2016

2017

2018

Paris

Arc de triomphe

1 765 350

1 342 360

1 596 610

1 698 140

Mont-Saint-Michel

Abbaye

1 265 990

1 174 120

1 245 390

1 396 530

Paris

Sainte-Chapelle

903 050

910 890

1 060 340

1 270 490

Chambord

Château

783 350

728 130

916 890

886 090

Paris

Panthéon

667 830

597 760

726 620

859 800

Carcassonne

Château et remparts

538 870

550 720

549 020

597 210

Paris

Tour de la cathédrale

475 060

407 780

436 210

476 320

Paris

Conciergerie

420 340

355 730

390 880

440 490

Azay-le-Rideau

Château

214 550

219 770

280 840

307 290

Angers

Château

201 160

201 780

211 580

219 500

Total top 10

7 235 550

6 489 040

7 414 380

8 151 860

Total monuments nationaux

9 993 790

9 100 340

10 286 640

11 056 700

Source : CMN / DPP-Direction générale des Patrimoines / DEPS, Ministère de la Culture, 2019

Pour les lieux qui n'ont pas forcément de potentiel, il faut favoriser les initiatives privées (conversion d'un édifice en hôtel ou en restaurant, etc.) et encourager les propriétaires à investir. Bruno Monnier juge qu'il est nécessaire de « faire confiance aux initiatives privées, qui sont plus réactives et passionnées, afin d'apporter davantage d'agilité et de souplesse dans les projets menés. Je pense par exemple à une vente sur projet d'un hôtel particulier à Aix-en-Provence réalisée avec succès et qui a permis de préserver le patrimoine local » . Les avantages fiscaux issus du dispositif Malraux 39 ( * ) doivent donc être préservés, afin de susciter des vocations pour investir et restaurer le patrimoine local.

Recommandation n° 36 : Sensibiliser les maires à la possibilité d'opter pour une gestion déléguée d'un site patrimonial remarquable lorsque cela est financièrement plus rentable, au profit d'un opérateur public comme le Centre des monuments nationaux, ou un opérateur privé spécialisé qui assumera seuls les coûts de gestion.

Les communes peuvent ensuite recourir à des sociétés spécialisées dans la gestion de billetterie. L'entreprise française Dartagnans, précédemment citée, propose par exemple aux propriétaires de monuments historiques, publics ou privés, un accompagnement sur mesure pour financer leurs projets de restauration et de valorisation. Au-delà du financement participatif évoqué, deux prestations innovantes sont proposées : la gestion de la billetterie et l'achat collectif de monuments historiques.

La gestion de la billetterie est prise en charge par sa filiale Dartngo, spécialisée dans le tourisme culturel. Il s'agit d'une plateforme de réservation d'expériences culturelles en ligne dédiée au patrimoine (visite guidée, nuit dans un château, dîner gastronomique, chasse au trésor, etc.). Selon Romain Delaume, un des fondateurs : « Il faut sortir de l'idée que le patrimoine est gratuit. Au contraire, il faut lui donner de la valeur et, pour le protéger, un des moyens est de faire payer son accès par la billetterie ». L'entreprise se rémunère en percevant 12,5 % hors taxes du produit de la billetterie. Ce type de prestation présente l'avantage d'être accompagnée d'un marketing et d'une campagne de communication dynamique sur les réseaux sociaux, en vue de valoriser l'édifice au maximum en touchant des publics nouveaux plus jeunes et urbains.

Le 19 octobre 2019, l'entreprise a réussi à fédérer 100 châteaux dans 66 départements, autour de l'organisation d'un évènement baptisé « La Nuit des Châteaux ». Pour Bastien Goullard : « Partout en France, et pour la première fois, des centaines de châteaux ont ouvert leurs portes en même temps pour une expérience nocturne. On a compté 11 000 visiteurs pour un chiffre d'affaires de 250 000 euros » .

Cette start-up propose enfin un outil très innovant, qui ne concerne pour l'instant que des édifices dont les propriétaires sont privés : l'achat collectif de monuments historiques 40 ( * ) . Romain Delaume explique : « Nous permettons à des milliers de personnes de devenir châtelains avec seulement un investissement de 50 euros. Ainsi, en devenant copropriétaires, ils peuvent sauver des châteaux en péril et leur donner une seconde vie ». Concrètement, l'entreprise conserve 20 % du capital de la société par actions simplifiées, spécialement créée à cet effet, qui achète le château. Les 80 % restant du capital est constitué par les actionnaires de la société. Bastien Goullard se félicite : « Nos actionnaires sont des actionnaires classiques, qui peuvent donc venir à l'assemblée générale annuelle de la société. Nombre d'entre eux participent d'ailleurs à des chantiers de bénévoles et s'investissent donc personnellement dans la protection de leur bien. Ils bénéficient aussi d'une entrée gratuite à vie, pour eux et leur famille, dans le monument dont ils sont devenus copropriétaires ».

Les communes propriétaires de monuments historiques doivent pleinement s'approprier ces nouveaux outils, complémentaires de ceux déjà déployés par les acteurs associatifs, en particulier la Fondation du patrimoine. Mais c'est surtout les propriétaires privés, s'ils ne sont plus en capacité d'assumer les charges de la gestion d'un monument, qui doivent être sensibilisés à ces nouvelles offres.

Recommandation n° 37 : Sensibiliser les maires et les propriétaires privés de monuments non-inscrits ou classés aux outils innovants (gestion de billetterie, achat collectif de monuments historiques) qui peuvent être utilisés pour financer leurs projets de restauration et de valorisation de leur patrimoine.


* 32 Source : Rapport d'activité 2018 de la Fondation du patrimoine.

* 33 Les sommes récoltées tiennent compte, outre les recettes issues du Loto du patrimoine, des collectes participatives en faveur de chaque monument, ou encore le mécénat d'entreprises.

* 34 La demande d'aide au financement se fait en ligne sur le site Internet de la Fondation.

* 35 S'adressant notamment aux collectivités territoriales et aux établissements publics, le soutien demandé ne doit toutefois pas dépasser 30 % du montant total du projet. En outre, le site concerné par le projet doit être ouvert à la visite ou visible du grand public.

* 36 Fondateur du cabinet Pierre de Liens, qui réalise des missions d'assistance à maîtrise d'ouvrage pour les collectivités territoriales.

* 37 Le montant du don moyen des particuliers était de 244 € en 2018.

* 38 Source : Rapport d'activité 2018 de la Fondation du patrimoine.

* 39 La Loi Malraux s'adresse aux contribuables français investissant dans la rénovation d'immeubles à caractère historique ou esthétique, destinés à la location. Contrôlés et suivis par un ABF, les travaux doivent prendre en charge la restauration de l'intégralité de l'immeuble. Depuis le 1 er janvier 2013, la réduction d'impôt en loi Malraux ne rentre plus dans le plafonnement des niches fiscales.

* 40 Pour l'instant, l'achat du château de La Mothe Chandeniers, dans la Vienne, et celui d'Ebaupinay, dans les Deux-Sèvres, ont été entièrement financés par ce biais.

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