II. SOBRIÉTÉ ET VÉGÉTALISATION : DEUX AXES POUR GUIDER LA TRANSITION ALIMENTAIRE DU XXIE SIÈCLE

Pour restaurer la soutenabilité de notre système alimentaire sur la plan de la santé, de l'environnement et de l'autonomie protéique, les transformations à lui apporter s'organisent selon deux axes principaux : sobriété et végétalisation.

A. LA NÉCESSITÉ D'UNE ALIMENTATION PLUS SOBRE

Aller vers plus de sobriété dans l'alimentation, cela signifie deux choses : ingérer moins de nourriture, mais aussi réduire les gaspillages et les pertes alimentaires.

1. Manger moins

Ramener ses apports alimentaires, aujourd'hui excessifs, aux niveaux recommandés selon l'âge, le sexe ou l'activité physique aurait un effet bénéfique sur le taux d'obésité et de surpoids et, par suite, sur le niveau de santé moyen de la population. Une plus grande sobriété aurait aussi un effet positif sur l'environnement, notamment du fait de la réduction des émissions de GES. À cet égard, il est important de souligner que la sobriété est bien la condition première de toute amélioration de l'empreinte écologique du système alimentaire. La question de la composition des assiettes, c'est-à-dire de la part relative que devraient y occuper les différents aliments, est importante, nous y reviendrons, mais elle est secondaire par rapport à celle de la quantité de nourriture et de l'apport énergétique global de notre régime alimentaire. Les études qui ont évalué l'impact environnemental des changements d'alimentation 77 ( * ) , notamment pour ce qui concerne le niveau des émissions de GES, convergent sur la conclusion que l'empreinte carbone de l'alimentation ne baisse que faiblement (voire même augmente) si on se contente de modifier le poids relatif des différents aliments en conservant un apport énergétique total inchangé . Il n'est possible d'atteindre des réductions d'émissions significatives, de l'ordre de 20 ou 30 %, qu'à la condition première de moins manger 78 ( * ) . Les changements de composition des assiettes sont seulement un paramètre qui amplifie ou au contraire atténue les effets d'une plus grande sobriété. Cela s'explique assez simplement par le fait qu'il existe une forte corrélation positive entre quantités de nourriture ingérées, apports énergétiques totaux et émissions de GES.

L'évolution vers plus de sobriété alimentaire est une hypothèse-clé dans tous les scénarios prospectifs sur l'alimentation. Cette hypothèse se retrouve par exemple dans le scénario « Land use for food quality and healthy nutrition » de la prospective Agrimonde-Terra, déjà évoquée. Ce scénario « sain », qui repose sur l'hypothèse d'un rééquilibrage de tous les régimes alimentaires vers une cible de 2 750 à 3 000 kcal/jour par habitant, est le seul qui soit soutenable parmi les cinq explorés par la prospective. Concrètement, il implique, pour les pays développés et une partie des pays émergents, où la disponibilité calorique est excessive, de consommer moins de calories.

Cette hypothèse de sobriété est également centrale dans la prospective nationale AfTerres 79 ( * ) , dont le scénario fait l'hypothèse d'une réduction des quantités ingérées de 10 % entre 2010 et 2050, ainsi que dans la prospective européenne TYFA 80 ( * ) réalisée par l'Iddri, dont le scénario comporte l'hypothèse d'une baisse de la prise calorique de 2 606 à 2 445 kcal par jour (-6,2 %).

2. Moins gaspiller

C'est le second axe d'une alimentation plus sobre. Selon la FAO, au niveau mondial, les pertes alimentaires cumulées tout le long de la chaîne de valeur représentent en effet 25 à 30 % des quantités produites. Dans le cas particulier de la France, selon l'Ademe, ces pertes équivalent à 10 millions de tonnes de produits par an. Toutes les étapes de la chaîne alimentaire nationale y contribuent 81 ( * ) . Rien qu'au stade de la consommation, ces pertes représentent 30 kg d'aliments par personne et par an, dont 7 kg de déchets alimentaires non consommés encore emballés - ce qui, au prix des aliments à ce stade de la chaîne de valeur représente 108 € par an et par personne.

Les enjeux environnementaux de la maîtrise de ces pertes alimentaires sont significatifs. Au niveau mondial, on estime qu'elles contribuent par exemple pour 8 à 10 % des émissions anthropiques de GES 82 ( * ) . Pour la France, l'Ademe estime que les pertes sont responsables d'émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 15,3 millions de tonnes équivalent CO 2 . Par ailleurs, outre cet effet sur l'atténuation des émissions de GES, moins gaspiller permettrait aussi de réduire la pression sur les terres agricoles.


* 77 Pour une synthèse très accessible de ces travaux scientifiques cf. : Nicole Darmon, « Quelle compatibilité entre qualités nutritionnelle et environnementale de l'alimentation en France ? Apports du profilage nutritionnel des aliments, de l'épidémiologie nutritionnelle et de la modélisation de rations », Cholé-Doc, numéro 154, janv.-fév. 2017

* 78 Vieux F, Darmon N, Touazi D, Soler LG. Greenhouse gas emissions of self-selected individual diets in France: Changing the diet structure or consuming less ? Ecol Econ, 2012; 75, 91-101.

* 79 Solagro, Le scénario Afterres 2050, 2016. Les quantités consommées passeraient de 1598 g par adulte et par jour en moyenne à 1439 g/adulte/j.

* 80 TYFA : Ten Years For Agroecology . Cf : Xavier Poux, Pierre-Marie Aubert, Une Europe agroécologique en 2050: une agriculture multifonctionnelle pour une alimentation saine, Iddri, N°09/18 Septembre 2018

* 81 32 % des pertes ont lieu en phase de production ; 21 % en phase de transformation ; 14 % en phase de distribution et 33 % en phase de consommation.

* 82 Audition de M. Jean-François Soussana, vice-président de l'Inrae, sur les perspectives de l'alimentation en 2050, Délégation à la prospective du Sénat, 17 octobre 2019.

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