C. LA JUDICIARISATION DES MANQUEMENTS AUX OBLIGATIONS DÉONTOLOGIQUES

Si les manquements constatés sont constitutifs d'un crime ou d'un délit, les services peuvent décider d'ester en justice sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale, et dans le respect du secret de la défense nationale. Si les autorités judiciaires sont déjà saisies, les services peuvent décider de leur apporter leur concours 135 ( * ) et se porter partie civile.

En cas de saisine des juridictions pénales, les documents portés au dossier peuvent être déclassifiés conformément aux dispositions des articles L. 2311-1 à L. 2312-8 du code de la défense nationale et 413-9 du code pénal ; seul le ministre de tutelle a compétence pour ordonner leur déclassification au profit des autorités judiciaires, après avis de la commission consultative du secret de la défense nationale (CSDN) 136 ( * ) . Cette procédure est censée éviter la divulgation d'informations classifiées à des personnes non habilitées ou que leur publication ne porte préjudice au service. Dans une décision du 10 novembre 2011, le Conseil constitutionnel a estimé que l'existence, le statut et la mission de la CSDN permettait une conciliation non déséquilibrée entre les objectifs constitutionnels de protection des intérêts fondamentaux de la Nation et d'exercices des missions fondamentales de la justice.

Malgré l'existence de cette procédure, certains services déplorent quedes documents soient très souvent rendus publics à l'occasion de procédures judicaires 137 ( * ) ; ce risque peut les conduire à ne pas judiciariser certaines affaires. En outre, le caractère contradictoire de la procédure oblige la communication de documents classifiés à la partie adverse. D'une manière générale, la judiciarisation de certaines affaires, et la déclassification de documents qu'elle suppose, peut porter atteinte à l'image du service.

Les sanctions administratives peuvent faire l'objet d'un recours devant le juge administratif et nécessiter de déclassifier des documents. Dans le cas des militaires, le recours administratif préalable obligatoire a pour effet de limiter considérablement le volume des recours exercés devant la juridiction administrative.

À la DGSE, quatre avis ont été initiés par le service en application de l'article 40 du code de procédure pénale depuis septembre 2016. L'un de ces dossiers a abouti à un rappel à la loi ; les trois autres sont en cours.

Ces trois dernières années, plusieurs agents de la DRPP ont comparu devant le tribunal de grande instance de Paris ou de Créteil pour violences avec armes ou accident mortel de la circulation commis en service. Ils ont été condamnés à des peines d'emprisonnement avec sursis, d'interdiction temporaire de port d'arme ou d'annulation de permis de conduire, et au versement de dommages et intérêts. Le conseil de discipline ou l'IGPN ont été saisis de ces deux dossiers. En outre, un agent a consulté indûment des fichiers dans le cadre d'un litige personnel et a fait l'objet d'une plainte. Son habilitation lui a immédiatement été retirée et il a été remis à la disposition de la direction des ressources humaines de la préfecture de police. Là aussi, l'IGPN a été saisie du dossier, dont la DRPP ignore les suites judiciaires et administratives.

Enfin, en 2013, un agent de Tracfin a publié des éléments à charge sur le blog de Mediapart . Son directeur de service a alors déposé une plainte auprès du procureur de la République pour violation du secret professionnel. Une enquête de police a été ouverte et a permis d'identifier l'auteur des faits, renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris. Le parquet a communiqué son identité à Tracfin qui l'a suspendu de ses fonctions. L'intéressé a réintégré son administration d'origine et a été condamné en 2014 à 2 mois d'emprisonnement avec sursis 138 ( * ) .


* 135 En cas de compromission (méconnaissance de règles relatives à la protection du secret), la DGSI est tenue de saisir l'autorité judiciaire, seule compétente pour apprécier l'opportunité des poursuites. Le cas échéant, elle assure la gestion du volet judiciaire du dossier.

* 136 Cette commission rend un avis (favorable, défavorable ou favorable à une déclassification partielle) dans un délai de 2 mois. Cet avis, publié au Journal officiel , est généralement suivi par l'autorité administrative.

* 137 Violation du secret de l'information régie par l'article 11 du code de procédure pénale et les articles 226-13 et 226-14 du code pénal.

* 138 L'absence d'inscription au casier judiciaire lui a permis de conserver son emploi.

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