C. LA LIBERTÉ DES UNIVERSITÉS À L'AUNE DU PROSÉLYTISME ET DU SÉPARATISME COMMUNAUTAIRE

1. Un secteur touché par le séparatisme religieux ?

La commission d'enquête a été alertée sur la problématique des revendications islamistes dans les universités, et de manière générale sur les formes de radicalité qui, en invoquant la liberté d'expression pour des groupes qu'elles représentent, la refusent à d'autres groupes.

Interrogé sur l'existence d'un problème spécifique dans les universités, M. Gilles Roussel, président de la conférence des présidents d'université (CPU) estime qu'il n'y a pas de particularité des universités à cet égard : « Certes, il n'y a pas de raisons pour que celles-ci soient épargnées, mais, de notre point de vue, elles ne sont pas des lieux spécifiques de radicalisation et de séparatisme communautaire. [...] Nous sommes dans la société, donc nous sommes touchés, mais, je le répète, sans spécificité ». Cette déclaration est toutefois en contradiction avec le retour d'expérience de M. Youssef Chieb : « En tant qu'universitaire à Paris 13, où j'enseigne, tous les vendredis je ne sais pas si je suis dans une université ou dans une mosquée. Les jeunes filles portent de manière ostentatoire non seulement le voile islamique, mais carrément le hijab et le niqab. Et personne ne peut changer cette réalité alors qu'elle devient de plus en plus visible. »

Certes, l'université bénéficie d'une liberté d'expression constitutionnellement garantie. Toutefois, la commission d'enquête constate que sous couvert de celle-ci, des groupes aux discours islamistes, indigénistes, racialistes ou communautaristes en profitent pour remettre en cause les valeurs de la République, et nier une réalité pourtant bien ancrée dans certains territoires. Les propos tenus par M. Hamza Esmili, envoyé par le collectif contre l'islamophobie en France, sociologue, ne peuvent que conforter la commission d'enquête dans son analyse. En effet, c'est en tant qu'universitaire 63 ( * ) - et sociologue - qu'il affirme que « le séparatisme ne signifie rien », et que « privé de matérialité, le séparatisme ressortit à la théorie du complot ». Sortant de sa compétence de sociologue, il s'est même permis de diagnostiquer un véritable « délire », au sens psychiatrique, de la puissance publique : « Menée à son terme, la quête de l'ennemi islamiste qui se dissimule parmi nous régresse au lourd legs du racisme colonial et biologique dont une dernière mouture est le récit du grand remplacement. Nous nous accordons tous et toutes sur le caractère proprement scandaleux de cette thèse. Pourtant, elle figure l'air du temps. Ainsi a-t-on tôt fait de décréter la reconquête républicaine, cette catégorie nouvelle de l'action publique destinée aux quartiers populaires. » - et de conclure son propos liminaire : « L'unique manière de sortir de ce cycle de violence est de refuser la guerre sans cesse reconduite par la rationalité étatiste et nationaliste, et de nous défaire ainsi collectivement des noms qu'elle génère. Alors seulement la si cruciale interlocution sera possible. »

Lors de son audition, M. Jean-Michel Blanquer a tenu des propos très fort contre l'instrumentalisation de la liberté d'expression à l'université : « Je suis attentif au phénomène de la perméabilité du monde de l'université à des théories aux antipodes de la laïcité. Les théories indigénistes, qui essaient de saper les principes républicains, sont même beaucoup plus diffusées dans des sphères intellectuelles que non intellectuelles. On les a laissées croître pendant une dizaine d'années, touchant des générations entières d'étudiants : il y a des personnes qui ont consacré leur vie professionnelle entière à ces idéologies antirépublicaines. C'est ainsi qu'on voit des jeunes se mobiliser de façon tout à fait légitime contre le racisme, mais qui pourraient malheureusement être récupérés par le racialisme ». Cette problématique est particulièrement cruciale dans le cadre de la formation des futurs professeurs, qui sont les étudiants actuels : selon le ministre, « nous devons donc nous assurer que ce ne sont pas les valeurs du communautarisme qui sont enseignées dans les Inspé (institut national supérieur du professorat et de l'éducation), mais bien celles de la République. »

2. La nécessité de réaffirmer les principes dans lequel la liberté d'expression religieuse peut s'exprimer à l'université

Traditionnellement, la liberté d'expression s'exprime à l'université dans un cadre beaucoup plus souple que dans l'éducation nationale . Il en est de même pour la liberté d'expression religieuse. Ainsi, l'interdiction du port de signes ou tenues religieux ostensibles n'est pas interdite dans l'enseignement supérieur - à la différence du premier et second degré. De même, rien n'interdit à des étudiants de créer des associations religieuses liées à une croyance religieuse particulière. Toutefois, comme l'ont rappelé à la commission d'enquête tant le président de la conférence des présidents d'université que le secrétariat général de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, les locaux des universités ne peuvent servir pour l'organisation de pratiques religieuses 64 ( * ) .

En outre, la liberté d'expression des étudiants ne doit pas dépasser les cadres dans lesquelles elle peut s'exercer . En effet, en application de l'article L. 811-1 du code de l'éducation, si les usagers du service public de l'enseignement supérieur disposent « de la liberté d'information et d'expression à l'égard des problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels », ils doivent exercer « cette liberté à titre individuel et collectif, dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux activités d'enseignement et de recherche et qui ne troublent pas l'ordre public ». Comme l'a rappelé un arrêt n°170106 B du 26 juillet 1996 du Conseil d'État, « la liberté d'expression reconnue aux étudiants comporte pour eux le droit d'exprimer leurs convictions religieuses à l'intérieur des universités mais cette liberté ne saurait leur permettre d'exercer des pressions sur les autres membres de la communauté universitaire, d'avoir un comportement ostentatoire, prosélyte ou de propagande, ni de perturber les activités d'enseignement et de recherche ou de troubler le bon fonctionnement du service public ».

Du fait de l'autonomie des universités, prévue à l'article L. 711-1 du code de l'éducation, il appartient aux présidents ou directeurs d'établissement de mettre en oeuvre les moyens juridiques, disciplinaires notamment, permettant de poursuivre les usagers du service public de l'enseignement supérieur qui se livreraient à des actes portant atteinte aux activités d'enseignement et de recherche ou contraires à l'ordre public.

La commission d'enquête appelle à une application stricte des règlements intérieurs et à un rappel de ces derniers aux étudiants et enseignants, chaque fois qu'une atteinte au principe de laïcité ou un dévoiement de la liberté d'expression a lieu, et ceci quelle qu'en soit la cause : revendication religieuse, mais aussi contestation politique entraînant des troubles à l'ordre public et empêchant la tenue d'enseignements ou d'événements prévus au sein de l'université.

Le guide de la laïcité dans l'enseignement supérieur, publié par la conférence des présidents d'université en septembre 2015, est un outil précieux, puisqu'il précise le cadre dans lequel la liberté d'expression religieuse peut s'y exprimer. Parmi les sujets traités, la commission relève notamment les thèmes suivants : remise en cause de la mixité de certains enseignements, ou de la possibilité de prendre part aux exercices pratiques prévues par la formation, revendication d'aménagement de l'emploi du temps pour ne pas avoir cours certains jours de la semaine pour raison religieuse, « négociation » sur le jour et l'heure de l'examen, pratique consistant à se munir d'un livre « saint » le jour de l'épreuve, contestation du choix de l'examinateur pour motif religieux, vie étudiante...

La commission d'enquête ne peut qu'encourager les établissements de l'enseignement supérieur à suivre les recommandations de ce guide. Ainsi, en matière de mise à disposition de locaux à des associations, celui-ci préconise notamment de recourir à des autorisations temporaires d'occupation, ou à des conventions dans lesquelles les associations et leurs adhérents s'engagent à respecter les principes et règles énumérées dans le texte de la convention. En cas de méconnaissance de la convention, l'établissement pourra la dénoncer et ne plus mettre à disposition le local prêté. Comme le souligne ce guide de la laïcité, « la stratégie de ceux que le principe de laïcité gène dans la poursuite de leurs objectifs consiste rarement à s'afficher dans une association se revendiquant uniquement à finalité religieuse ou cultuelle. Ils préfèrent généralement utiliser ce que l'on pourrait appeler des associations de couverture, plus précisément des associations à but humanitaire, à but caritatif ou encore à but social. Il s'agit ainsi de ne pas éveiller le moindre soupçon ou à défaut de limiter la suspicion religieuse pouvant éventuellement entourer leur association. Une fois un local obtenu, l'association se signale sous son vrai visage et n'hésite pas à utiliser ledit local à des fins de prosélytisme religieux et de culte, disposant désormais d'un bastion pour son oeuvre de propagande, d'agitation et de provocation ».

Sur ce sujet, la commission d'enquête tient à rappeler que les établissements n'ont aucune obligation d'attribuer des locaux aux associations. Toutefois, s'ils décident de le faire, un refus de mise à disposition doit être justifié, et toutes les associations traitées de la même manière.

La liberté d'expression religieuse
du personnel de l'enseignement supérieur

Certes, la liberté d'expression est reconnue aux enseignants du supérieur. Toutefois, en tant que fonctionnaires participant au service public de l'enseignement supérieur, ils sont tenus au respect du principe de neutralité du service public. À ce titre, ils ne peuvent porter de signes ou tenues manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse. De même la liberté d'expression ne permet pas de faire du prosélytisme.

Cette obligation s'applique également à tous intervenants extérieurs ou vacataires chargés d'enseignement ou de travaux dirigés. En revanche, elle ne s'applique pas à un intervenant ponctuel qui participerait à une conférence.


* 63 Hamza Esmili a précisé devant la commission d'enquête que, s'il a contribué au rapport annuel du CCIF et est en lien régulier avec ses membres sans en être un, c'est par l'université qu'il est rémunéré.

* 64 Les locaux universitaires font partie du domaine public et sont exclusivement affectés au service public de l'enseignement ; ils ne peuvent être le siège d'activités religieuses. Ne peuvent déroger à cette règle que les institutions dites d'« enfermement » (prisons, armée, établissements scolaires avec internat) qui doivent, en vertu de la loi de 1905, garantir le libre exercice des cultes et, par conséquent, disposer le cas échéant d'aumôneries.

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