B. LA MISE EN PLACE D'UN ÉCOSYSTÈME COMMUNAUTARO-RELIGIEUX

Du point de vue politique, le communautarisme revient à refuser à la fois le principe de la souveraineté nationale et celui de la laïcité :

- le premier en considérant le peuple français par petits bouts et en s'adressant à une prétendue « communauté », ce qui est contraire à l'idée que la communauté nationale est indivisible. En ce sens, le communautarisme doit être envisagé comme un processus dangereux de fractionnement de la communauté nationale ;

- le second en exigeant que la République fasse droit à des revendications religieuses spécifiques (sur l'égalité entre les hommes et les femmes, sur les normes alimentaires, etc. ) remettant en cause l'idée même du vivre ensemble. En définissant une nouvelle échelle de valeurs structurantes, le communautarisme atomise la société.

L'inquiétude grandit parmi de nombreux élus locaux vis-à-vis de l'emprise prégnante d'un islam « impérialiste » qui se développerait sur toute une partie de notre territoire favorisant l'émergence d'une contre-société, vivant en marge et aspirant à vivre selon ses lois qui ne sont plus celles de la République. Tous les chercheurs auditionnés décrivent très clairement des phénomènes d'« d'emprise islamiste » au sein d'« enclaves radicales ». L'écosystème qui en résulte est de nature à fournir un terreau favorable à la coupure du reste de la société républicaine. Le constat est confirmé par des acteurs de terrain à l'image de Naëm Bestandji pour qui « depuis 20 ans, un gouffre s'est créé entre les quartiers populaires et le reste de la population par la création d'un environnement islamisé fonctionnant comme un écosystème. C'est une ghettoïsation ».

Lors de son déplacement à Bourtzwiller le 18 février dernier, le Président de la République lui-même a affiché sa détermination à combattre toute forme de « repli communautaire », affirmant que « dans la République, l'islam politique n'a pas sa place », et désignant « le séparatisme » comme « l'ennemi » à abattre. « Dans la République, on ne doit jamais accepter que les lois de la religion puissent être supérieures aux lois de la République » a-t-il alors affirmé. Il a été suivi, là encore, par le ministre de l'intérieur : « Nous devons être intraitables avec les dérives communautaires et le séparatisme. »

Consciente de la crispation actuelle des débats autour de l'islam dans notre pays, la commission d'enquête a souhaité prendre le recul nécessaire afin de bien analyser les dynamiques à l'oeuvre dans la société française et échapper au double piège de la stigmatisation de nos concitoyens musulmans, d'une part, et de la minimisation du phénomène de repli communautaire et religieux, d'autre part.

1. Déconstruire le mythe d'une « communauté musulmane » unifiée et uniforme

La commission d'enquête constate que les Français de confession musulmane, sont souvent pris en otage entre la frange islamiste qui veut leur imposer ses normes salafistes et la société française qui les regarde parfois avec suspicion.

À la question de savoir s'il existe une « communauté musulmane », la réponse ne peut être que négative, car le terme laisse supposer que les musulmans formeraient un bloc homogène, un groupe uni et indivisible. La réalité témoigne du contraire. L'islam est pluriel et complexe et les musulmans sont éclatés entre les réalités nationales des pays d'origine, des appartenances ethniques et des pratiques religieuses très disparates.

Néanmoins, au-delà de la grande diversité des situations, l'analyse trouve des caractéristiques communes. Les travaux réalisés en 2016 par l'Institut Montaigne dans son rapport « Un islam français est possible » permettent de mieux comprendre les dynamiques relatives à la supposée « communauté musulmane ». Selon son auteur, Hakim El Karoui, auditionné par la commission d'enquête, « la population musulmane est beaucoup plus jeune que le reste de la population française, avec une très forte concentration géographique qui correspond à la géographie de la reconstruction de la France et de l'immigration ».

La diversité des situations l'emporte pourtant sur ces traits communs. Ainsi, à côté d'une « classe moyenne de confession musulmane, invisible et silencieuse », « 30 % de musulmans (sont) en échec d'intégration » car « hors de l'emploi et des institutions ». Par ailleurs, 15 % des personnes qui ont des parents musulmans ne se disent pas musulmans et sont en voie de séparation à l'égard de la religion.

Contrairement à une idée reçue, la société française a donc une capacité d'assimilation très forte. C'est ce que souligne Hakim El Karoui : « En France, après cinquante ans de vie commune en métropole, on est à 25 % ! » de mariages mixtes.

La majorité des musulmans est d'ailleurs attachée au modèle républicain. Aspirant à l'anonymat, elle est aujourd'hui prisonnière d'une minorité qui revendique une pratique rigoriste, radicalisée et visible.

Un quart des musulmans, composé en majorité d'étrangers, c'est-à-dire d'immigrés de première génération, « importe les us et coutumes de leur pays d'origine, mais ne revendique pas ». Surtout, le groupe « le plus problématique » est pour sa part tenté par une logique sécessionniste. « On (y) trouve énormément de jeunes qui utilisent la religion pour manifester une forme de rébellion (...) ce qui ne veut pas dire nécessairement de la violence, mais en tout cas une inversion de la hiérarchie des normes et une vision autoritaire de la religion, en premier lieu à l'égard de leurs coreligionnaires. ». Une analyse corroborée par un haut responsable chargé de la sécurité nationale lors de son audition à huis clos : « Dans de nombreux territoires on observe la même dynamique : l'islam consulaire des vieilles générations, pratiqué en lien avec les pays d'origine, est dépassé par l'islam des jeunes, davantage sous l'emprise des courants radicaux. »

Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), condamne officiellement cet islam radical : « Cette forme de pratique religieuse, relevant d'un ensemble d'attitudes, d'actes ou de paroles, souvent marginale dans la société, suscite à juste titre l'inquiétude et le rejet de l'immense majorité des musulmans de France et de nos concitoyens (...). Nous ne devons pas rester dans le déni, mais regarder cette réalité en face. »

La porosité entre le communautarisme et la radicalisation est de plus en plus invoquée, mais elle est pourtant loin d'être une évidence. Le communautarisme n'entraîne pas forcément la radicalisation au sens de la rupture avec la société et cette radicalisation n'est pas automatiquement génératrice d'une violence ou de terrorisme.

Si la Nation française est une et indivisible, le peuple est pourtant d'une grande diversité et les « communautés » coexistent. Dans L'Archipel français (2019), le politologue, Jérôme Fourquet décrit lui aussi un « archipel d'îles s'ignorant les unes les autres » qui dessine une France fragmentée et où le corps social, loin de former une catégorie unifiée, repose sur des groupes et des « communautés » très nombreuses, qu'elles soient ethniques, religieuses, culturelles, sociales, politiques.

François Héran rappelle que l'idée du séparatisme, ou de faire société à part est ancienne : « La hantise de "l'archipel", de la communauté, de la création de groupes allogènes difficiles à maîtriser, s'observe depuis très longtemps : il était reproché aux juifs en Alsace, à Bayonne, dans le Comtat Venaissin, de vivre entre eux. »

La concentration de populations immigrées dans certains territoires est également une autre tendance ancienne, vérifiée sociologiquement dans de nombreux pays : « Dans le premier temps de l'accueil, les nouveaux venus ont une tendance très marquée à s'établir auprès de la diaspora déjà présente. La diaspora contribue à alléger le coût de l'insertion et notamment celui de l'obtention de l'information - sur le logement, l'emploi. » En France, cette dynamique est aujourd'hui accentuée par la politique du logement social qui « contribue à créer des concentrations géographiques dommageables à l'intégration » selon les mots du professeur.

Reste que le défi particulier que pose le « séparatisme islamiste » à la société française est qu'il tente de régir tous les aspects de la vie sociale. En revendiquant une globalité, il emprunte aux traits du totalitarisme.

2. Échapper au piège de la minimisation du phénomène de repli communautaire et religieux pouvant mener à la radicalisation

Comprendre la dynamique de la « radicalisation islamiste » était l'objectif premier de la commission d'enquête.

Après plusieurs mois d'enquête, la commission d'enquête estime plus que jamais nécessaire de ne pas mélanger les phénomènes. Le débat politique et journalistique, par simplisme ou méconnaissance des réalités, tend à agréger sous un même terme des notions entremêlées que sont le communautarisme, l'islam politique, le séparatisme et la radicalisation.

La commission ne peut cependant que constater que de nombreuses personnalités auditionnées ont fait état d'un continuum, qu'elle n'a pas jugé systématiquement vérifié, partant du repli communautaire, se poursuivant par le séparatisme islamiste, puis finissant par la radicalisation violente ou le terrorisme, qui constituerait ainsi la dernière étape du processus.

Plus fructueuse que les débats sur l'idéologie des composantes du radicalisme islamiste est l'approche territoriale d'Hugo Micheron, qui a particulièrement intéressé la commission d'enquête. Ses travaux ont en effet permis la mise à jour de l'existence d'« enclaves salafo-djihadistes » en France. L'État semble, enfin, avoir pris conscience du phénomène en identifiant des « quartiers de reconquête républicaine » que l'ancien préfet Michel Aubouin, auteur de « 40 ans dans les cités » n'hésite pas à qualifier d'« enclaves de la République de plus en plus impénétrables ».

Le 27 novembre 2019, le ministre de l'intérieur a en effet publié une circulaire faisant de « la lutte contre l'islamisme et le repli communautaire » un nouvel axe prioritaire de l'action des préfets.

Des signaux inquiétants d'enfermement communautaire, ethnique et religieux parcourent aujourd'hui la société française. Le constat a été fait par le Président de la République. S'exprimant le 23 janvier dernier sur les tensions identitaires qui traversent la société française. Il affirmait : « Il y a, dans notre République aujourd'hui, ce que j'appellerais un séparatisme » lié à un « phénomène mondial, d'un islam radical qui se tend, et d'une transformation de l'islam, qu'il faut regarder en face (...) Ça s'est greffé sur des fractures mémorielles, des échecs que nous-mêmes on a eu sur le plan économique et social. »

Devant la commission d'enquête, Céline Pina, auteur en 2016 de « Silence coupable », n'a pas hésité à dénoncer « le déni de la classe politique face à la progression du salafisme » et le comportement de certains élus qu'elle accuse de « pactiser avec les islamistes au mépris de la laïcité ».

a) L'instrumentalisation des appartenances ethniques et religieuses

Pour sa part Annie Sugier, présidente de la Ligue du droit international des femmes a dénoncé lors de son audition par la rapporteure un « relativisme culturel qui conduit certains à penser que les droits des femmes peuvent varier selon les cultures et les sociétés » et la remise en cause de l'universalisme que sous-tend cette approche.

La logique différentialiste a déjà commencé à produire ses effets. Depuis quelques années, les propagateurs du concept d'islamophobie par exemple ont été rejoints par les militants décoloniaux qui multiplient les initiatives réservées exclusivement aux personnes victimes selon eux du « racisme d'État ».

(1) Islamophobie, dé-colonialisme et victimisation

La commission d'enquête s'inquiète des menaces qui pèsent toujours sur la liberté d'expression qui autorise l'irrévérence, y compris à l'égard des religions. Or si le délit de blasphème a été supprimé par la Révolution française, il est réapparu subrepticement en tant qu'offense aux croyants, en particulier aux musulmans.

Une partie de la jeunesse estime désormais que les remises en causes d'une culture ou d'une religion relèvent du racisme.

Au début de l'année, l'affaire autour du « blasphème » de la jeune Mila et les menaces qu'elle a subies a révélé l'état de tension autour de cette problématique et nous rappelle que la société française n'a pas tiré les leçons du procès historique intenté en 2007 contre Charlie Hebdo pour la publication des caricatures de Mahomet. Pour l'une des personnes entendues à huis clos : « Tous les accommodements de nos démocraties sont interprétés par les islamistes comme des signes de faiblesse de notre part. L'affaire Mila l'a démontré. Pendant des semaines il n'a pas été possible de la re-scolariser dans son département. Cela montre que le phénomène dépasse désormais les quelques enclaves longtemps qualifiées de territoires perdus de la République. »

Très critique, elle s'interroge : « Comment accepter la légitimité de la parole publique de M. Abdallah Zekri, délégué général du CFCM, lorsqu'il a dit, à propos de Mila : "elle l'a bien cherché". » Elle poursuit : « Si nous ne protégeons pas ceux qui s'élèveront contre la norme islamique dans ces territoires, nous n'arrivons pas à combattre cette idéologie ». Selon elle, « critiquer une religion n'est pas du racisme car la religion est un choix au même titre que les opinions politiques ».

Les remises en cause des critiques de la religion vont au-delà du cadre juridique défini par la loi Pleven du 1 er juillet 1972 sanctionnant l'incitation à la haine raciale et envers les religions. Elles sont particulièrement fortes chez les musulmans, ce qui s'expliquerait, selon l'essayiste Zineb El Razhaoui, par le fait que « l'islam n'a pas connu la laïcité, la démocratie, l'émancipation ni même l'individu, lequel est inexistant dans la foi islamique ». Pour elle, les islamistes « testent notre capacité de résistance » c'est pourquoi les pouvoirs publics devraient « faire primer nos valeurs sur les velléités communautaires » et « protéger la singularité laïque de la société française ».

Pour l'essayiste Djemila Benhabib, la singularité de la République « est la possibilité de se soustraire à ses origines ». Selon elle, « nous avons en face de nous un monstre à plusieurs têtes, qui met en jeu la survie de la République. La France, à travers son modèle républicain, a un rôle prééminent à jouer dans ce combat ».

Les violences dites « intercommunautaires » témoignent d'un affaiblissement de l'État républicain. Elles font écho à l'avertissement de l'ancien ministre Gérard Collomb au moment de son départ du ministère de l'intérieur : « Je crains que, demain, on vive face à face. »

Céline Pina analyse ces phénomènes sous l'angle de l'assignation à résidence identitaire qu'elle juge pernicieuse car elle peut conduire à une perte de liberté individuelle pour une partie des musulmans eux-mêmes ou ceux qui sont perçus comme tel : « Il est très coûteux de lutter contre l'islamisme car il faut beaucoup de courage pour s'émanciper, notamment pour les femmes. »

Selon un responsable auditionné à huis clos, « la République doit réaffirmer sa présence dans les quartiers dits "perdus" ». Elle n'a pas « déserté » mais « doit être plus ferme pour protéger leurs habitants d'une idéologie mortifère qu'on voudrait leur imposer ». Le problème, c'est que dans ces quartiers le pouvoir religieux a pu devenir une autorité régulatrice, seule capable d'assurer une forme d'ordre.

Le but des islamistes est de créer une « fusion ethno-religieuse » entre des populations ayant en commun l'islam, c'est-à-dire les populations d'origine arabe et d'Afrique noire, en s'opposant aux « blancs ». Dans ce combat contre la République, la construction de représentations dénonçant la domination coloniale et l'islamophobie apparaissent comme de précieux alliés. Le collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) s'en est d'ailleurs fait une spécialité et agit comme un véritable instrument d'intimidation juridique. La moindre parole critique expose les élus à des procédures judiciaires lancées par cette organisation.

La « manifestation du 10 novembre 2019 contre l'islamophobie », a ainsi eu recours à plusieurs références au génocide perpétré par les nazis : port de l'étoile jaune, responsables qui « saluent le rôle des justes » au micro. Pour Bernard Rougier, « la logique de rupture est encouragée par la stratégie de victimisation » et les discours dirigés contre une « France réputée islamophobe ». La laïcité serait devenue liberticide et témoignerait d'un « racisme d'État » institutionnalisé contre les musulmans.

Une stratégie assez proche de celle des prédicateurs islamistes qui choisissent de décrire la France en des termes réprobateurs pour créer une logique catastrophique du « eux » et du « nous ». Leur but est de légitimer leur « contre-société ». À cet égard, il ne faut pas sous-estimer le rôle central de la socialisation, notamment les récits et les construits autour de la guerre d'Algérie qui nourrissent la haine à l'égard de la France. C'est dans la critique partagée de l'État que s'opère la jonction entre les milieux anticoloniaux et antiracistes d'un côté et les islamistes de l'autre qui se retrouvent pour critiquer l'État.

L'essayiste Djemila Benhabib va dans le même sens et met en lumière un paradoxe : « Sous couvert d'actions culturelles, une galaxie d'associations islamistes reçoivent des subsides de la part de l'État français, ainsi que d'États étrangers », et « propagent un discours victimaire et de culpabilisation des sociétés d'accueil visant à créer un clash entre le "eux" et le "nous" » alors qu'en face « les forces laïques reçoivent peu ou pas de subventions ».

La stratégie de la victimisation ainsi que « l'inversion des valeurs » et « la perversion des symboles » sont également dénoncées par Emmanuel Razavi. Les mouvances islamistes ont bien compris, par exemple, l'intérêt d'utiliser les femmes pour faire progresser leur cause : revendication du port du burkini au nom de la laïcité, et même au nom du féminisme.

Pour Emmanuel Razavi, ces groupes déploient un « protocole de victimisation » et une « prise d'otage intellectuelle au nom de l'islamophobie ». La lutte antiraciste contre l'islamophobie permet ainsi une certaine « complaisance envers les Frères musulmans ». Sous couvert de droit à la différence, ils noyautent la société laïque, en jouant de la culpabilisation ou, pire, de la lâcheté de celle-ci. Djemila Benhabib développe une analyse similaire : « La rhétorique de l'islam politique est la même quel que soit le pays, c'est une rhétorique victimaire et culpabilisatrice à l'égard du pays d'accueil qui serait coupable. » Naëm Bestandji, fondateur du Collectif « Ni putes, ni soumises » de Grenoble décrit lui aussi cette stratégie : « Partout où ils sont minoritaires, ils se présentent en victimes, c'est la stratégie du CCIF . », évoquant à l'appui des exemples locaux, comme le cas d'une entraîneure de football voilée à Échirolles ou encore le port du burkini dans des piscines de Grenoble.

La commission d'enquête avait souhaité permettre aux représentants du CCIF de venir s'exprimer. Celui-ci a envoyé des « intervenants pour le CCIF », non membres du collectif et qui ont eux-mêmes souligné qu'ils ne parlaient pas au nom du CCIF. Elle juge qu'il s'agit là d'une malhonnêteté intellectuelle révélatrice d'un refus d'échanges sur le sujet de l'islamisme 19 ( * ) .

Hamza Esmili, doctorant en sociologie, l'une des deux personnes envoyées par le CCIF, a, lors de son audition, récusé les thèses de Bernard Rougier, d'Hugo Micheron et de Gilles Kepel qu'il considère comme des « nouveaux faussaires », et a contesté la notion même de « radicalisation » au nom de son « impossible définition ». « L'islamisme », est selon lui un construit occidental permettant la « fabrique » et la dénonciation d'un « ennemi perpétuel » tantôt intérieur, tantôt extérieur, qui justifierait la « politique guerrière » à l'égard des « musulmans présents en France ». Le « séparatisme », est même à ses yeux une « notion qui ne veut rien dire » et qui permet d'alimenter les thèses « du complot ». Il affirme que « La quête de l'ennemi islamiste qui se dissimule parmi nous régresse au lourd legs du racisme colonial et biologique, dont une dernière mouture est alors le récit du grand remplacement. » Les signes d'une hystérisation vis-à-vis de l'islam seraient selon lui visibles : « Toute apparition d'une jeune femme voilée dans le débat public, telle syndicaliste étudiante par exemple, était ainsi une preuve d'entrisme, et l'on procédait ainsi depuis la matrice intellectuelle directement héritée de l'antisémitisme moderne. » Il donne en revanche une définition très précise de « l'islamophobie », entendue comme « le racisme envers les musulmans ».

Si la commission d'enquête juge intolérable le racisme envers les personnes de confession musulmane et condamne toutes les discriminations envers une religion en particulier, elle trouve néanmoins ce raisonnement révélateur d'une construction victimaire de la pensée, propre aux thèses du CCIF 20 ( * ) .

L'impossibilité de dénoncer l'action des islamistes est tellement prégnante qu'à la question écrite « Les personnes de confession musulmane en France ont-elles à subir des pressions de la part de groupes se réclamant de l'islam ? ». Le CCIF répond : « Nous n'avons pas d'éléments pour répondre à cette question ».

L'autre personne présente à cette audition Me Adélaïde Jacquin juge, quant à elle, la « radicalisation » comme une « notion floue » qui « n'est pas définie par le juge pénal », alors même qu'elle permet de « caractériser des infractions en lien avec une entreprise terroriste ». Un paradoxe qui pourrait conduire, selon elle, à une mise en accusation des musulmans en tant que tels, comme le prouveraient, après 2015 « les perquisitions jugées illégales qui ont visé quasi exclusivement des membres de la communauté musulmane ».

Zineb El Rhazaoui affirme au contraire que « la radicalisation n'est pas le fruit de l'islamophobie de la société française, mais le résultat de l'islamisation, phénomène international et global ». Il faut, selon elle, combattre cette notion qui « amalgame islam et racisme ». Si toute critique envers l'islam est assimilée à de l'islamophobie, alors « c'est, d'une certaine manière, un délit de blasphème qui ne dit pas son nom ».

Pour Hugo Micheron, le discours de victimisation sert à « discréditer le contrat social français et son modèle d'intégration républicaine [...] Le but n'est pas d'atteindre d'emblée le coeur de la société française mais de persuader d'abord les musulmans de se "désavouer d'avec" la démocratie et ses valeurs. Pour fragiliser l'édifice, tout est bon, y compris la réécriture de la guerre d'Algérie et l'utilisation des études postcoloniales valorisées par des mouvements comme les Indigènes de la République. » Selon eux, la France infligerait une « colonisation idéologique » aux musulmans et l'État français serait « islamophobe » par nature.

Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM) reconnaît lui-même la puissance des campagnes de radicalisation véhiculées auprès des jeunes, souvent « recrutés via internet et les réseaux sociaux ». Elles font « appel à des méthodes d'endoctrinement et d'embrigadement alliant des arguments théologiques fallacieux, justifiant la haine de l'autre, et une mise en perspective des récits historiques et des représentations des différents conflits internationaux, et notamment au Proche et Moyen-Orient. Elles laissent ainsi s'installer l'idée que les musulmans sont victimes de persécutions et d'humiliations ».

(2) Complicité, silence coupable et renoncements face aux pressions communautaristes et aux logiques séparatistes dans les « quartiers »

Depuis longtemps, la République, dans de trop nombreuses situations, a toléré des accommodements avec les revendications religieuses tendant au séparatisme ou du moins à l'altération du vivre ensemble.

Plusieurs personnalités auditionnées par la commission d'enquête ont voulu dénoncer ces renoncements ou ces arrangements. Annie Sugier, présidente de la Ligue du droit international des femmes dénonce le « laxisme des autorités politiques face à la propagande politico-religieuse ». Pour elle, on a « abîmé le lien social en voulant acheter la paix sociale » et elle regrette la « faiblesse des pouvoirs publics face aux revendications des religieux ». Dans certains points du territoire se sont « insidieusement installés le communautarisme et les comportements sexistes devant lesquels les autorités publiques ont fermé les yeux pour ne pas être taxées de racisme, voire d'islamophobie ». Une idéologie misogyne et ségrégationniste s'est donc mise en place progressivement par renoncements successifs et répétés de l'ensemble des acteurs publics.

Pierre Vermeren dénonce une forme de « déni » lorsque la célébration de mariages religieux « sans mariage civil à la mairie » n'est pas sanctionnée, que la « tolérance administrative s'exerce vis-à-vis de la polygamie » dans une forme de « folklorisation de l'islam », ou encore lorsqu'on laisse penser que « la loi de l'islam est supérieure aux lois civiles ».

Naëm Bestandji s'indigne du laisser-faire de la République et dénonce directement la tenue du grand « rassemblement annuel des musulmans de France » au Bourget qu'il considère comme « le plus grand rassemblement d'islamistes de France ». Il rappelle que lors de cet événement, « les jouets qui y sont proposés sont tous à connotation religieuse » et regrette « le silence des féministes face aux islamistes ».

De son coté, Medhi Haïfa, président fondateur de l'« Amicale des jeunes du refuge », indique que l'homosexualité est vue par l'islam radical « comme une maladie venant des "blancs" ». Il rappelle que dans les pays arabes, « il existe un tabou fort autour de l'homosexualité », et que dans les pays du Maghreb « affirmer son homosexualité, c'est le risque de perdre sa famille et sa communauté. Quand on est issu d'une culture conservatrice, la pression familiale est beaucoup trop forte pour pouvoir assumer un "coming-out". Il y a des implications en termes socio-économiques, d'isolement et de marginalisation sociale . C'est pourquoi il est nécessaire de protéger les personnes lesbiennes et gays d'origine maghrébine ». Il regrette que la presse soit d'ailleurs très silencieuse s'agissant des « actes homophobes dans les banlieues ».

Il rappelle enfin que « la vie en cité est isolée. La communauté profite de cet isolement géographique, pour créer un isolement intellectuel ». C'est ce qui peut expliquer que des individus nés en France, qui étaient intégrés à la culture occidentale, en viennent à haïr ce pays et son mode de vie.

Nadia Remadna, présidente de la Brigade des mères, s'alarme : « La radicalisation empoisonne nos vies au quotidien » et désigne « le danger des encadrants de jeunes dans les quartiers » qui ont « des discours de rejet vis-à-vis des institutions de la République et qui sont porteurs d'un discours religieux radicalisé ». Elle s'indigne qu'ils appartiennent à « des associations pourtant conventionnées avec les mairies ».

La militante associative se montre elle aussi très critique vis-à-vis de certains élus : « J'ai vu, pendant un mois, des élus de la République venir participer à des Iftar réservés aux hommes et où les femmes étaient exclues, dans des chapiteaux déployés au pied des immeubles. » Pour elle, « ces élus locaux sont complices de la diffusion de normes coraniques dans les quartiers ». Elle dénonce des situations intolérables où les pouvoirs publics en viennent à orienter les demandes des habitants vers les imams : « Dans certains quartiers, les imams ont remplacé les travailleurs sociaux ! Ce ne sont plus des éducateurs ce sont des religieux qui font le travail ! »

Zineb El Rhazaoui, qui vit aujourd'hui sous protection policière, affirme elle aussi qu'« il faut s'interroger sur toutes les entorses successives que l'on a fait subir à la laïcité : le financement des écoles privées confessionnelles avec de l'argent public, le recul de la laïcité dans les services publics etc. ».

Elle souligne que « l'islam en France est structuré sous la forme associative, dont certaines de ses associations promeuvent une idéologie séparatiste » et dénonce « l'impunité d'élus qui attribuent des subventions à des associations antirépublicaines », associations qui promeuvent « le voilement des fillettes ou des horaires non mixtes dans les piscines ». Elle préconise donc de faire un « grand nettoyage des associations, notamment des subventions. Cela relève de la responsabilité des élus locaux qui détiennent les leviers de cette manne financière distribuée au champ associatif ».

Sur ce point, la commission d'enquête s'est vue confirmer des cas d'associations financées par des subventions publiques, qui étaient détournées et envoyées à des proches en Syrie , le cas d'associations dont les dirigeants étaient inscrits sur le fichier des personnes recherchées, voire fichées S, et où l'on a détecté des flux croisés avec des organisations islamistes, ou encore le cas d'un établissement de formation pour adultes dont les fonds étaient détournés au profit du chef d'un parti islamique nord-africain.

La commission d'enquête rappelle que le Sénat s'est déjà prononcé à plusieurs reprises en faveur d'un resserrement des contrôles des associations et de leur financement. Car si les associations qui reçoivent des fonds publics au-delà d'un certain seuil sont contrôlées, certaines créent des cascades de sociétés immobilières ou d'associations afin d'échapper aux contrôles.

Cette exigence est particulièrement nécessaire lorsque ces associations reçoivent des financements de l'étranger. Les services de l'État eux-mêmes reconnaissent que « les dossiers de financement du terrorisme ou d'ingérence étrangère concernent souvent des quartiers identifiés comme étant en reconquête républicaine ».

Ils indiquent que ces financements, qui dépassent le financement d'édifices religieux, « sont destinés à segmenter des quartiers entiers, bien souvent en rénovation urbaine », par le biais de cabinets paramédicaux, d'établissements d'alimentation communautaires, d'établissements sportifs, « bref de tous les lieux de socialisation qui participent à la vie quotidienne de ces quartiers ». Ce phénomène est selon eux « structurel » et « bien enraciné sur tout le territoire ».

Ce sont également dans ces quartiers que les cas de financement d'activités illégales ont été repérés à travers, par exemple : « Des établissements de restauration rapide halal » qui se livraient à du « blanchiment de revenus non déclarés » ; « des établissements de médecine prophétique, souvent tenus par des personnes fichées S, avec des transferts de fonds vers des personnes en Afrique du Nord » ; ou encore le cas d'« une agence de voyages spécialisée dans les pèlerinages vers La Mecque et qui était suspectée de favoriser les départs vers la Syrie ».

Céline Pina estime elle aussi qu'il y a une responsabilité de la part de l'État, dont le positionnement est parfois peu clair sur ses principes : « Les islamistes profitent de la faiblesse de la République, incapable de fournir un discours fort. Les jeunes sont attirés par la force d'une idéologie qui les ancre et qui leur offre un discours construit. »

Selon elle, les pouvoirs publics refusent de voir la réalité en face, une pusillanimité de l'État qui s'illustre s'agissant par exemple de la fermeture de lieux de culte radicalisés : « On ne fait pas appliquer la loi ou alors on recule car on a peur des prières de rue. »

Les défauts du contrôle de légalité sont également mentionnés. Les préfectures ne contrôleraient pas suffisamment les associations dans les territoires, notamment celles créées sous le statut de la loi de 1901 qui, en réalité, ne s'occupent pas d'activités « culturelles » mais bien « cultuelles », « et cela avec le silence complice des acteurs administratifs et politiques locaux » selon l'essayiste.

Elle préconise un positionnement clair de la part des pouvoirs publics : « L'État ne doit pas flancher, ne doit rien céder aux revendications communautaires. Il faut sortir du temps du compromis et du dialogue quand il s'agit de respecter la loi. »

Sur la question du positionnement des élus locaux, Céline Pina a tenu en particulier à dénoncer le « clientélisme » à l'oeuvre dans certains territoires : « Les habitants des quartiers votent peu, mais lorsqu'ils votent, c'est avec des scores à 90 %. » C'est ce qui leur permet ensuite d'avoir des revendications religieuses : mosquées, (« la demande de baux emphytéotiques est vue comme étant de droit »), salles de prière, salles de sport communautaires.

Selon elle, l'islamisme « n'est pas coûteux mais offre beaucoup d'avantages au niveau local : obtenir du pouvoir et de l'influence, notamment auprès des politiques. Les religieux sont reconnus, respectés et suscitent l'admiration de leurs paires ».

La commission d'enquête a pris connaissance de cas d'entorses avérées, en période électorale, à l'article 26 de la loi de 1905 en vertu duquel « il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l'exercice d'un culte ».

La commission d'enquête s'interroge sur des cas concrets qui lui ont été signalés comme celui d'une commune où le maire de la ville en personne s'est exprimé lors de la prière du vendredi dans une mosquée, devant les fidèles musulmans, pour évoquer l'acquisition et la rénovation d'un parking par la municipalité.

b) La diffusion dans l'ensemble de la société de normes islamisées

L'islamisme peut également compter sur l'offensive de la « norme islamique », qui se manifeste aujourd'hui à différents niveaux, par exemple par la volonté de groupes religieux d'imposer la visibilité de certaines pratiques (prières de rue, salles de prière, halal généralisé) ou de tenues réputées islamiques (affichage par le vêtement, le voile, le burkini, ou la barbe) dans la société.

Ce constat est fait par de nombreux acteurs de terrain à l'image de l'ancien préfet, Michel Aubouin qui a passé 40 ans de sa carrière dans les quartiers : « Le combat des tenants de l'islam politique est d'introduire la distinction entre le "haram" et le "halal" dans la société. Or, comme la notion de "haram" est extensive, le risque peut s'accroître dans des proportions importantes. Je pense aux institutions publiques dans lesquelles on ne sert d'ores et déjà plus de viande de porc. C'est le cas dans les centres de rétention administrative ou dans certaines cantines scolaires. »

Ces phénomènes sont à mettre en perspective avec l'enquête IFOP 2019 réalisée pour Le Point et la Fondation Jean-Jaurès intitulée « Les musulmans en France, 30 ans après l'affaire des foulards de Creil ». Selon Jérôme Fourquet, qui a conduit l'enquête, « l'évolution générale ne va pas dans le sens de la sécularisation mais d'une réaffirmation identitaire et religieuse, se manifestant notamment dans les comportements quotidiens ».

D'après les informations communiquées à la commission d'enquête certains travailleurs sociaux observent une banalisation de la norme islamique au niveau du langage, notamment auprès de la jeunesse, pas seulement d'origine maghrébine, qui emploie désormais tout un vocabulaire empreint de religiosité liée à l'islam : c'est « haram » pour désigner l'interdit ou littéralement le « péché », c'est la « hchouma » pour désigner la « honte » ou la « pudeur ».

Pour certaines personnes auditionnées cette « normalisation du langage » se double désormais d'une « normalisation des comportements » : demande de dispenses de piscine scolaire pour des jeunes filles refusant de se montrer en maillot de bain, obligation de prendre sa douche en sous-vêtements dans les vestiaires collectifs des clubs de football pour les garçons, etc.

Isabelle Ullern, doyenne de la faculté libre d'études politiques (FLEPES) évoque une jeunesse « issue d'un milieu où la norme morale, familiale, n'est pas sécularisée et ne promeut pas l'émancipation. La seule voie est l'excellence dans la voie de l'islam ». Elle explique que cela est producteur d'une « double norme » ou d'une « double obédience » pour des jeunes qui subissent alors, de plein fouet, un conflit de normes : ils sont partagés entre les normes occidentales et libérales de la société française et les normes islamiques. Elle évoque même « un véritable état de guerre mentale ».

Cette dualité de normes constitue évidemment un terrain favorable à une véritable schizophrénie identitaire. Elle a d'ailleurs souvent été analysée par les spécialistes du terrorisme comme un des traits caractéristiques des profils de jeunes ayant basculé dans la radicalisation.

(1) Le renforcement de l'empreinte religieuse sur la vie quotidienne, notamment auprès des jeunes générations et des primo-arrivants

Comme la commission d'enquête l'a déjà souligné, cela doit être mis en perspective avec « le réveil identitaire et religieux observé dans tout le monde musulman depuis les années 2000 » pour reprendre les mots de Jérôme Fourquet.

De sorte que la norme sociale est beaucoup plus religieuse aujourd'hui qu'il y a 30 ans. L'enquête de l'IFOP pour Le Point et la Fondation Jean Jaures, publiée en septembre 2019, relève un doublement de la proportion de personnes déclarant participer à la prière du vendredi à la mosquée : de 16 % en 1989 à 38 % aujourd'hui. Elle confirme également une baisse de la consommation d'alcool et une plus forte consommation du halal dans la vie quotidienne, suscitant des tensions dans la sphère scolaire par exemple.

De façon symétrique, le rapport à la laïcité s'est tendu et « les demandes de desserrement du cadre laïc et républicain progressent » : 37 % des musulmans estiment que « c'est à la laïcité française de s'adapter à la pratique de l'islam » (progression de 8 points par rapport à 2011).

On observe également une forte progression de l'opposition à la loi de 2010 interdisant le port du voile intégral dans la rue (de 33 % en 2011 à 59 % aujourd'hui). 82 % estiment « qu'on devrait pouvoir manger du halal dans les cantines scolaires » et 68 % estiment qu'une jeune fille « devrait avoir la possibilité de porter le voile à l'école ». 54 % déclarent qu'on devrait « avoir la possibilité d'affirmer son identité religieuse au travail ». 27 % des personnes interrogées sont d'accord avec l'idée que « la charia devrait s'imposer par rapport aux lois de la République » (un résultat conforme avec celui de l'étude réalisée par l'institut Montaigne en 2016) et parmi eux un différentiel important entre les Français de naissance (18 %), ceux qui sont Français par acquisition (26 %), et les étrangers (41 %).

La revendication d'une suprématie de la charia est donc d'abord portée par les nouveaux arrivants. La commission d'enquête s'inquiète de cette évolution et estime absolument indispensable de faire face de façon sereine à cet enjeu.

(2) L'exemple du halal : un outil au service de la diffusion d'une norme islamique globalisée

En quelques années, le halal est devenu une norme encourageant une forme de « rupture communautariste ». Pour Florence Bergeaud-Blackler, anthropologue, chargée de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), « le halal dépasse complètement la viande et touche aujourd'hui tous les produits, correspondant ainsi à une démarche globale de réislamisation de la société ».

Elle a analysé, devant la commission d'enquête, le marché du halal et son « influence normative ». L'économie du halal fait la jonction entre le néolibéralisme et le fondamentalisme islamiste. Elle participerait d'une « banalisation » d'une norme par le marché, sur le même modèle que l'« habituation » de normes sexuées et islamistes dans la société (hijâb fashion pour les vêtements de ville, Burkini pour les vêtements de plage, hijab de sport pour les vêtements sportifs, à l'image de ce qui était proposé par Nike).

Pire, cette norme créerait un « écosystème halal » qui exercerait une pression communautariste sur les populations qui y sont exposées (dans les quartiers, sur les réseaux sociaux, etc. ). Elle serait ainsi devenue une norme qui permet de distinguer le musulman du non musulman.

Le halal est en tous cas un marché très rentable, en extension et qui se mondialise, pesant 2 000 milliards de dollars par an. Il représente 6 milliards d'euros en France mais n'est pas contrôlé par des institutions religieuses à la différence de la filière casher par exemple.

Le marketing islamique est aujourd'hui enseigné dans les plus illustres universités du monde. De nombreux secteurs économiques sont désormais concernés par cette norme (séjours touristiques, hôtels, cosmétiques, applications pour smartphones).

De la même façon, « l'entreprise islamique » est devenue une réalité au niveau mondial, et tout comme la finance islamique, l'entreprise islamique (« l'islam corporate ») a réussi à imposer ses normes (horaires, prières, etc. ).

Selon l'anthropologue, « à terme, le but est la création d'un marché global islamique », qui intégrerait les Pays du Golfe, la Malaisie, l'Indonésie, ou encore les diasporas musulmanes en Europe.

Les entrepreneurs de ce marché ne sont pas forcément des musulmans et ne maîtrisent pas toujours la certification qui. Celle-ci est « contrôlée par les dogmatiques » qui ont le pouvoir de définir la norme du halal. D'ailleurs, selon cette chercheuse, « le marché de la certification halal est très opaque ».

Pour Florence Bergeaud-Blackler, « ces entrepreneurs ont compris la double puissance normative et financière du halal », c'est-à-dire la pression qui peut être exercée par les consommateurs musulmans, d'où l'importance du « marketing islamique » dans cette machine industrielle halal. Après le champ social, le champ éducatif, le champ sportif, il s'agit d'investir le champ économique, une priorité née dans les années 2000 selon elle.

C'est là une stratégie d'entrisme. Les femmes en particulier sont un public cible : les « mamans entrepreneurs » qui vont diffuser la norme islamique lors de véritables « réunions Tupperware ».

La commission d'enquête estime qu'il convient de sensibiliser les acteurs économiques au fait que la norme halal n'est pas une norme neutre et qu'elle peut avoir des conséquences en termes de logique communautariste.

Cela se vérifie par exemple s'agissant de la norme alimentaire qui est, à l'heure actuelle, la plus significative dans le champ du halal. De nombreux élus locaux observent en effet que la situation s'est aggravée depuis les années 1990 aboutissant à une séparation des enfants au cours des repas dans les cantines scolaires.

Or, comme l'explique Florence Bergeaud-Blackler, « dans la réalité, les musulmans ne savent pas ce qui se passe dans les abattoirs et se soucient très peu de la licéité vis-à-vis de l'islam mais se conforment davantage à une pression communautaire ».

En définitive, comme l'explique Haoues Seniguer, directeur adjoint de l'Institut d'études de l'islam et des sociétés du monde musulman, l'islamisme est désormais à l'aise avec le néolibéralisme, l'islam étant conçu comme une alternative mondiale, globale et totale, à l'image du marché capitaliste. Pour lui, « les acteurs de l'islam politique ont pris le train en marche de l'économie de marché ». Ils « sont très libéraux du point de vue économique, puisqu'ils sont des capitalistes ». Le burkini et le hijab ne relèvent donc plus seulement de l'islamisme, mais d'une « machinerie imaginative capitaliste » qui a transformé l'islam en marchandise.

Et, in fine , comme le souligne le chercheur en sciences politiques Patrick Haenni, cet « islam de marché » permettrait aujourd'hui aux musulmans, « post-islamistes » et plus individualistes, de prendre leur revanche après l'échec de la construction d'un État et d'un califat islamiques.

(3) Le voile : du vêtement religieux à l'instrument de revendication politique

Plusieurs personnes auditionnées par la commission d'enquête ont souhaité attirer l'attention de celle-ci sur le voile en particulier car il serait devenu un marqueur politique à part entière. « À la suite de la révolution de l'ayatollah Khomeiny en Iran, un des premiers gestes du pouvoir fut de mettre les femmes sous abaya », rappelle Anne Sugier, présidente de la Ligue du droit international des femmes.

Haoues Seniguer, directeur adjoint de l'Institut d'études de l'islam et des sociétés du monde musulman, rappelle que « le voile ou le foulard correspond à un signe religieux qui a été revendiqué et encouragé aux origines de l'islamisme. Ce phénomène a été porté par ces acteurs du début des années 1980 ».

Aujourd'hui encore, dans certains quartiers populaires de France, le voile, qui peut être perçu comme une atteinte à la liberté des femmes, traduit le même objectif politique, et concerne d'ailleurs des petites filles voilées de plus en plus tôt. Mais sur le terrain, les situations sont complexes car, comme l'explique Haoues Seniguer : « Beaucoup de femmes portent cependant le hijab indépendamment des injonctions des islamistes. Ces femmes sont par ailleurs minoritaires, mais elles sont les plus visibles. »

Pire, c'est au nom de l'antiracisme et de la lutte contre une domination postcoloniale que le voile est aujourd'hui revendiqué par certaines femmes. Une vision dénoncée par Naëm Bestandji, fondateur du Collectif « Ni putes, ni soumises » de Grenoble : « Certaines féministes défendent même le voile au nom du libre choix ! Or, en réalité, au nom de la liberté religieuse, on accepte des atteintes à l'égalité des sexes et on favorise le maintien d'un patriarcat sexiste en renonçant à l'universalisme au profit du particularisme. »

Hakim El Karoui, président de l'AMIF admet qu'il « peut être perçu par certains comme insupportable dans notre modèle assimilationniste ». Il constate que, pour certains, « le voile est un déni de liberté (...) quoi qu'en disent certaines femmes voilées. C'est aussi un déni d'égalité (...) entre les hommes et les femmes. C'est, enfin, un déni de fraternité, parce c'est une séparation entre le corps musulman et le reste de la société, perçue comme non-musulmane. En somme, le voile peut être perçu comme une question posée à l'idée d'universel ».

Il ne s'agit pas, bien sûr, de remettre en cause ici la liberté religieuse, mais le voile traduit l'idée que si les femmes veulent être dans l'espace public elles doivent cacher leurs corps et leurs cheveux. Symboliquement cela est parfois justifié par le fait que les femmes susciteraient, sans le voile, le désir des hommes. Cette idéologie de la pudeur se sert aujourd'hui de ce symbole pour progresser dans la société. Djemila Benhabib, essayiste, dénonce « la construction d'un discours de détestation et de haine des femmes » de la part des islamistes.

Razika Adnani, philosophe et spécialiste des questions liées à l'islam n'hésite pas à affirmer que les femmes subissent même en terre d'islam « un confinement islamiste ancestral ». Elle explique que « le confinement nous a fait réaliser à quel point notre vie peut être différente, notre santé morale affectée et notre sociabilité chamboulée lorsque nous sommes obligés de ne vivre qu'à l'intérieur de nos maisons ». Elle observe que « le confinement n'est cependant pas aussi inédit qu'on le pense. Dans les sociétés musulmanes, c'est une habitude sociale ancestrale, imposée par l'homme, non pas momentanée mais à vie ».

Il est vrai que le système de claustration ne concerne pas les hommes mais uniquement les femmes, ceux-ci se réservant le monopole des espaces extérieurs ou de loisirs. Dans plusieurs quartiers, des phénomènes de pression à l'égard des femmes souhaitant se rendre dans les cafés ont été observés ces dernières années. Une montée en puissance qui inquiète la commission d'enquête. La rue, l'espace public, deviennent ainsi des lieux où « la présence des femmes sans motif valable est vue comme une exhibition qui mérite la réprimande sauf quand un homme les accompagne » note Razika Adnani.

Elle estime à cet égard que « le voile intégral, c'est la claustration des femmes qui se poursuit dans l'espace public ». Selon elle, « il a été inventé pour permettre aux femmes, en cas de nécessité, d'utiliser l'espace public tout en restant inexistantes dans le regard de l'autre, de l'homme précisément ».

D'autres chercheurs ne souscrivent pas à cette analyse. Pour Haoues Seniguer, par exemple, « sur la question des femmes voilées, vous pouvez, à titre individuel, considérer que le voile consiste en un asservissement de la femme. Vous ne pouvez néanmoins mécaniquement considérer qu'une femme, parce qu'elle porte le foulard, serait le cheval de Troie de l'islamisme ». Selon lui il serait donc possible « d'être rigoriste moralement et pratiquement tout en étant opposé au courant islamiste ». Il rappelle d'ailleurs que « de nombreuses femmes musulmanes qui portent le hijab respectent la laïcité, par exemple en le retirant sur leur lieu de travail ou au lycée ».

La commission d'enquête estime que si de nombreuses femmes musulmanes respectent bien évidemment la laïcité, le voile est devenu en quelques années, pour des militantes de l'islam politique, un signe de ralliement et un outil de communication politique, comme l'a montré l'image saisissante et provocatrice d'une femme intégralement voilée face au Président de la République lors de son déplacement à Mulhouse en février dernier.

(4) La radicalisation islamiste dans les services publics : un phénomène désormais avéré

C'est un fait avéré : la radicalisation islamiste touche aujourd'hui de nombreux services publics. C'est un sujet d'inquiétude pour la commission d'enquête, confirmé par le drame de l'attentat contre la préfecture de police de Paris en octobre 2019.

C'est ce qu'ont démontré nos collègues de l'Assemblée nationale Éric Diard et Éric Poulliat, auteurs du rapport d'information « Radicalisation dans les services publics : prévenir, détecter, sanctionner » (2019).

Lors d'un entretien avec les membres de la commission, ils ont rappelé qu'à l'issue d'un long travail d'investigation, ils avaient « passé au crible tous les services publics », ce qui leur avait permis de mettre en évidence « différents niveaux de radicalisation ».

Ils distinguent :

- des services publics qu'ils jugent « plutôt étanches » comme l'armée, la gendarmerie, la police, les sapeurs-pompiers, qui sont « les mieux adaptés à la riposte contre la radicalisation », en particulier l'armée et la police pour laquelle la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme autorise le rétro criblage des fichiers ;

- des services publics « en cours d'amélioration » comme l'éducation nationale, où les députés ont constaté « des atteintes à la laïcité et des cas d'apologie du terrorisme après les attentats de Charlie hebdo », notant que le ministère s'était doté d'un référent radicalisation par académie.

S'agissant des collectivités territoriales et leurs agents, les députés relèvent qu'il y a « désormais une prise de conscience ». Elle note qu'en application de la circulaire de 2018, les collectivités territoriales sont « mieux associées à la détection », même si dans certains territoires la situation est perfectible, notamment « en matière de formation à la radicalisation des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux ».

Sur ce point le ministère de l'intérieur juge la place des élus locaux « indispensable » pour lutter contre la radicalisation. À cet égard tous les dispositifs facilitant l'information réciproque entre les maires et les préfets vont dans le bon sens. La commission d'enquête estime cependant que certains progrès concrets peuvent encore être faits, notamment en assurant un suivi des signalements faits par les élus en matière de radicalisation et un retour auprès d'eux des suites données.

Les ambassades « où sont réalisés des criblages systématiques » et les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) « où une attention particulière s'est développée » font également partie des services publics en cours d'amélioration.

Il reste des services publics « où la situation est difficile » comme les transports. Les députés, auteurs du rapport précité, indiquent que « chez ADP, parmi les 80 000 personnels, 80 sont suivis pour radicalisation », alors que ces personnels interviennent dans un domaine sensible nécessitant parfois de disposer d'un badge rouge autorisant l'accès au tarmac de l'aéroport par exemple.

La commission d'enquête a souhaité auditionner des représentants de la RATP afin de faire un état des lieux dans cette entreprise de transport en commun, et pour connaître la réponse apportée par la direction aux problématiques évoquées ci-dessus. Après les attentats de 2015, l'entreprise avait dû affronter « une campagne de presse très virulente (...) la RATP ayant été décrite comme un repaire de djihadistes » selon les mots de Nathalie Gondard, chargée de mission à la délégation générale de l'éthique, une délégation créée dans la foulée de ces attentats. Celle-ci reconnaît que malgré « la mention en 2005 d'une clause de laïcité dans les contrats de travail » et « la distribution en 2013 d'un guide pratique sur le fait religieux aux managers », ces questions « n'étaient peut-être pas suffisamment prises en compte ».

Le plan global diffusé dès février 2016 intitulé « Travailler ensemble » touche ainsi au recrutement, à la formation, à l'encadrement et à l'évaluation de tous les personnels. « Laïcité, neutralité et non-discrimination envers les femmes » sont réaffirmés avec « un volet de sanctions ».

Sur ce point Jérôme Harnois, directeur chargé de la maîtrise des risques, de la sûreté et des relations institutionnelles, souligne la gradation des sanctions en cas de non-respect de la laïcité : « de l'entretien de recadrage, à des mises à pied de quelques jours et jusqu'au licenciement ». Nathalie Gondard indique de son côté que « les sanctions ont été nombreuses en 2016 et en 2017, avec cinq ou six licenciements dans l'année, puis elles ont diminué : deux licenciements en 2018 et un seul en 2019 ». Selon elle, « nous avons montré que nous pouvions sanctionner pour ces raisons, et cela s'est su. Maintenant, les managers appliquent la consigne de la direction générale d'intervenir très tôt, dès qu'ils décèlent un comportement ou un événement anormal. Ils rappellent immédiatement à l'agent concerné les principes de laïcité et lui demandent de changer de comportement ».

Nathalie Gondard considère que « l'islamisation de la RATP », relèverait davantage de « fantasmes » ou d'« idées reçues », et « si un phénomène de radicalisation se produit, il est identifié, remarqué et signalé ». Mais elle reconnaît qu'« avant 2015, un manager qui reprenait quelqu'un sur cette base était critiqué, accusé d'islamophobie, voire de racisme ». Face aux critiques, Jérôme Harnois va jusqu'à affirmer qu'« il n'existe pas, dans notre entreprise, de pression communautariste organisée par je ne sais quelle communauté qui ferait sa loi. Je veux être clair : ce n'est pas le cas ». Il souligne qu'« il n'y a pas de revendications confessionnelles dans l'entreprise, concernant la cantine ou la prière, par exemple » et juge qu'« il ne faut pas confondre non plus ce qui relève du communautarisme religieux et ce qui relève de la sociologie ».

Un sentiment qui peut parfois trancher avec les échanges sur le terrain ou les remontées d'usagers des transports à travers des signalements sur lesquels Jérôme Harnois avoue « ne pas disposer de statistiques » sur ce type de remontées concernant ces sujets », mais reconnaît qu'« elles sont assez rares, il y en a quelques-unes par an ».

Il indique que si « des problèmes ont pu se poser dans notre entreprise à ce sujet par le passé », ceux-ci « nous ont conduits à réagir ». Jérôme Harnois estime ainsi que les dispositions de la loi du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs « ont permis de mettre en oeuvre un plan d'action ». Il s'agit notamment de la possibilité de saisir le Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS) du ministère de l'intérieur « pour obtenir des avis sur les recrutements ou les mobilités internes vers des postes sensibles au regard du risque de radicalisation des postulants ».

Selon lui, la RATP saisit systématiquement ce service, ce qui implique que « tout recrutement ou toute mobilité interne vers un poste sensible ne se fait qu'après avis du SNEAS ». Selon les données transmises, depuis octobre 2017, il y a eu 6 542 saisines pour des recrutements suscitant 177 avis négatifs, soit 2,8 %. S'agissant des mobilités, 3 609 saisines ont donné lieu à 6 avis négatifs, soit 0,19 %.

Reste que, dans ce cas, la loi prévoit une obligation de reclassement interne du salarié sur une autre position, une disposition qui mériterait d'évoluer selon lui, la RATP privilégiant le licenciement en dépit des risques contentieux subséquents. La commission d'enquête a minima que le souhait de la RATP et de l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP) de faire évoluer la loi en ce sens doit être entendu.

Elle estime également nécessaire de faire droit à la demande, exprimée par Jérôme Harnois d'« élargir le spectre des métiers sensibles aux métiers liés aux systèmes d'information, à la conception des systèmes de contrôle et de commande des installations ferroviaires ou guidées, ou encore aux aiguilleurs ». Certains métiers n'avaient en effet pas été pris en compte initialement en raison d'une crainte du ministère de l'Intérieur sur ses capacités à traiter les demandes. La RATP réclame en outre l'« élargissement de la possibilité de criblage aux intérimaires et aux sous-traitants » que la loi ne permet pas aujourd'hui.

S'agissant du monde de la santé, les députés Éric Diard et Éric Poulliat relèvent que le fait communautaire s'est également développé ces dernières années parmi le personnel de santé. Mais comme les signalements auprès des référents radicalisation se font au niveau de l'Agence régionale de santé (ARS), « la détection est donc particulièrement difficile », sans compter « les habitudes du secret médical et la logique de régler les sujets en interne et non pas par l'intermédiaire de la hiérarchie ». Une situation qui fait que les hôpitaux sont « livrés à eux-mêmes » selon les auteurs du rapport.

S'agissant des prisons, la France compte aujourd'hui 500 détenus pour terrorisme et entre 1 000 et 1 500 détenus de droit commun qui se sont radicalisés dans leurs enceintes. Nos collègues décrivent « un développement galopant » et « une administration pénitentiaire qui a pris un retard terrible ». Fort heureusement, depuis mars 2019, l'administration pénitentiaire « crible systématiquement les lauréats surveillants de prison ». Reste que « des personnes en poste sont inscrites au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) ».

La commission d'enquête n'a pas étendu sa mission aux lieux privatifs de liberté, qui font l'objet de nombreuses études et de nombreux rapports. Ce sujet important a néanmoins été abordé très succinctement durant les auditions.

Dans les universités, malgré le travail mené depuis un an avec la nomination d'un référent radicalisation dans chaque université, « il y a encore une frilosité de la part des conseils d'administration à aller à l'encontre d'une tradition culturelle forte selon laquelle l'université doit demeurer un grand espace de liberté ».

Enfin, s'agissant du sport, nos collègues de l'Assemblée nationale arrivent aux mêmes conclusions que la commission d'enquête, à savoir qu'il faut certes « distinguer le communautarisme et la radicalisation », mais que de plus en plus de clubs sportifs associatifs (football, basketball, boxe, boxe thaïlandaise, lutte) « deviennent des clubs religieux » qui promeuvent des comportements salafisés en « indiquant par exemple dans leurs règlements intérieurs des prescriptions à caractère religieux ».

La commission d'enquête prend en particulier bonne note des mesures intervenues au début de l'année destinées à renforcer la sécurité interne des services de renseignement.

En effet, depuis le 15 janvier 2020, les cas de radicalisation au sein des forces de sécurité intérieure et des services de renseignement font désormais l'objet d'un suivi centralisé. En matière de recrutement, l'instauration du principe d'habilitation préalable au secret-défense à toute prise de fonction au sein d'un service de renseignement va aussi dans le bon sens.

(5) Le rôle des prêcheurs de haine contre les valeurs de la République

Le professeur Bernard Rougier, qui a pu étudier pendant quatre ans, avec l'aide de jeunes chercheurs, les prédications et les cours donnés dans les mosquées de plusieurs départements d'Île-de-France, a livré à la commission d'enquête ses conclusions. Les messages de certains prédicateurs sont clairs : « Il ne faut pas serrer la main d'une femme, il ne faut pas s'asseoir sur une chaise sur laquelle une femme s'est assise, il ne faut pas avoir des amis juifs ou chrétiens, il ne faut faire allégeance qu'aux musulmans, etc. » Il s'agit « d'extrapolations dérivées des hadiths ».

Pour Céline Pina, il faut d'urgence « expulser les imams prêcheurs de haine ». La nécessité de mesures déterminées contre ceux qui appellent à la haine est également évoquée par Youssef Chiheb, professeur associé à l'université Paris 13, directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement. Selon lui, « 60 prédicateurs jouissent d'une totale liberté alors qu'ils déversent de l'acide et des matières corrosives sur la France ».

Sur la base de son expérience de milliers d'heures d'écoute pour traduire ces prêches de l'arabe vers le français, Youssef Chiheb rappelle qu'ils usent d'un « langage polysémique, métaphorique, très complexe, bien sûr, lissé et policé lorsqu'il est en français, mais extrêmement corrosif dans sa version originale arabe ».

Pour lui, les imams, envoyés par les États tiers sont « imbibés de doctrine salafiste, des Frères musulmans ou du wahhabisme » et il recommande de mieux encadrer le culte musulman au niveau scientifique en introduisant par exemple l'islamologie comme discipline universitaire pour soustraire l'islam à l'emprise des prédicateurs.

Il regrette aussi « la lourdeur et les entraves faites aux procédures d'expulsion des imams qui prêchent la haine dans les mosquées ». La lutte contre les prédicateurs de haine n'est cependant pas aisée, ceux-ci étant souvent hébergés hors du territoire national à l'image de Youssef Al-Qaradâwî, un théologien né en 1926 en Égypte qui vit aujourd'hui à Doha, « un des grands idéologues des Frères musulmans » pour Alexandre del Valle.

Dans « Le Licite et l'Illicite en Islam », ouvrage qui n'a jamais été interdit par le ministre de l'intérieur en France, Youssef Al-Qaradâwî préconise le djihad comme devoir sacré pour chaque musulman, et appelle à l'antisémitisme et au meurtre des homosexuels.

Proposition n° 2 : Afin de lutter contre l'influence des Frères musulmans, examen par le ministre de l'intérieur de la possibilité de prononcer une interdiction administrative de territoire à l'encontre de Youssef al-Qaradâwî et des idéologues de ce mouvement.

Emmanuel Razavi confirme : « Nous avons entendu des cadres importants des Frères musulmans, dans le delta du Nil, nous dire en 2007 que si la France ne cédait pas sur le voile, il ne se passerait pas dix ans avant que Paris ne soit mis à feu et à sang. »

Il convient évidemment, sur le territoire national, d'appliquer avec force la loi en interdisant les ouvrages qui propagent la haine, en l'espèce contre les athées, les chrétiens, les juifs et les non musulmans.

Mais la commission d'enquête s'inquiète de voir prospérer dans l'angle mort de la législation applicable, les innombrables sites islamistes qui versent dans l'apologie du terrorisme et déconstruisent les valeurs de la République, et sur lesquels il est très difficile d'avoir une action efficace.

De nombreuses personnalités auditionnées l'ont pourtant alerté sur l'existence d'un continuum entre ces discours de haine et le passage à l'acte terroriste. Emmanuel Razavi a interpellé ainsi la commission d'enquête : « Je ne suis pas législateur, mais il faut commencer par fermer les 600 associations loi 1901 liées aux Frères musulmans en France, qui forment l'autre bout de la chaîne terroriste. »

Pour Zineb El Rhazaoui également la radicalisation terroriste n'est que la dernière étape de l'islamisme : « Le terrorisme n'est pas une finalité en soi mais un moyen parmi d'autres : l'entrisme politique, le prosélytisme, la charité, pour islamiser la société en profondeur. » Elle affirme d'ailleurs que la dé-radicalisation est « une arnaque, devenue un marché juteux ». Pour elle, le seul moyen de lutter contre l'islamisme c'est la liberté de parole, notamment la parole critique vis-à-vis de l'islam, une ambition qu'elle résume avec la formule : « Il est urgent de rétablir le droit au blasphème, à l'irrévérence et à la critique de l'islam. »

La commission d'enquête a été alertée sur le rôle d'accélérateur et d'amplificateur des discours de haine que joue internet, notamment pour l'islam radical. Hugo Micheron a ainsi déclaré : « Quand on pense au rôle que jouent les réseaux sociaux, avec un enfermement algorithmique réel, je vous invite à envisager la possibilité d'un impôt radicalisation dans les débats sur la fiscalité que peut avoir le Parlement. Il en va des réseaux sociaux comme de Google. Cela pose la question de l'accessibilité des contenus. Internet est la bibliothèque interdite des salafistes. Que leur compte soit bloqué leur pose vraiment problème, car ils sont alors empêchés d'avoir accès au grand monde. Il faut, sur ce plan, engager une réflexion sur le long terme. »

(6) L'école et le sport : la nécessité de protéger la jeunesse

La commission d'enquête a accordé une attention particulière aux structures destinées à accueillir et à former les jeunes, sur lesquels l'islam radical cherche à établir son emprise : l'éducation, la vie associative et le sport.


* 19 Dans les réponses aux questions écrites envoyées par la commission d'enquête postérieurement à cette audition M. Jawad Bachare estime : « À la lecture des questions que vous posez dans votre courrier, nous comprenons que vous étiez sans doute moins intéressés par les analyses et l'expérience du CCIF que par son existence même, que vous soupçonnez d'emblée liée à ce que vous appelez l'islamisme ou l'islam politique ( cf. votre question sur les Frères musulmans) ».

Cette interprétation paraît en elle-même victimaire à la commission d'enquête. Voici la liste des questions posées :

- Qu'est-ce pour vous que l'islamophobie et quels sont les éléments statistiques dont vous disposez pour en établir l'existence ?

- La notion de séparatisme est-elle islamophobe ou décrit-elle une réalité ?

- Les personnes de confession musulmane en France ont-elles à subir des pressions de la part de groupes se réclamant de l'islam ?

- Quels sont les liens entre les membres du bureau du CCIF et la confrérie des Frères musulmans ?

* 20 Dans sa réponse écrite à la question « La notion de séparatisme est-elle islamophobe ou décrit-elle une réalité ? », le CCIF, conclut : « Tant que les autorités refuseront de voir qu'il n'existe en France aucun groupe qui souhaite s'auto-exclure, et que les processus de repli communautaire sont les effets des politiques discriminatoires et racistes, la lutte contre le séparatisme telle qu'elle est annoncée ne fera que nourrir davantage de séparation, comme celle-ci est d'ailleurs mise à l'oeuvre par le ministre de l'intérieur, qui se félicite du nombre de lieux de cultes et d'écoles privées qu'il est parvenu à faire fermer, par tous les moyens possibles (en invoquant une nouvelle notion lors de son audition : « l'entrave systématique »). Ces méthodes, héritières de l'état d'urgence, n'ont rien d'une lutte contre le séparatisme, au contraire. Et au lieu de s'attaquer aux sources du problème, on ne fera qu'alimenter un cercle vicieux qui risque de nourrir les extrémismes ».

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