TABLEAU DE SYNTHÈSE DES ÎLES

TABLE RONDE « ÎLES MÉTROPOLITAINES »
DU JEUDI 9 JUILLET 2020

M. Jean-Marie Bockel, président. - Mes chers collègues, nous avons travaillé depuis le début de l'année sur la décentralisation. Nous avons d'ailleurs présenté un point d'étape sur nos travaux la semaine dernière. Dans ce cadre, les îles métropolitaines ont souvent le sentiment que leurs problématiques propres sont oubliées. Avant le confinement, le président du Sénat a eu l'occasion de recevoir les représentants des îles du Ponant et il a immédiatement souhaité que nous puissions nous intéresser à leur situation en matière d'habitat, de travail et d'emploi, de gestion des ressources, et de maintien des services essentiels à la population. Nous pourrons ainsi annexer ces travaux à notre réflexion plus générale sur l'approfondissement de la décentralisation et de la déconcentration.

Pour évoquer ces questions, nous échangerons ce matin en visioconférence avec MM. Denis Palluel, président de l'association Les îles du Ponant, maire de l'île d'Ouessant, Philippe Le Bérigot, vice-président de l'association Les îles du Ponant, maire de l'île aux Moines, Bruno Noury, vice-président de l'association Les îles du Ponant, maire de l'île d'Yeu, et Denis Bredin, directeur de l'association Les îles du Ponant.

Par ailleurs, pour parler des îles françaises de la Méditerranée, nous avons convié Maxime Prodromidès, co-fondateur et président de l'ONG Small Islands Organisation (Smilo). Je vous signale enfin que le maire d'Hyères nous a fait parvenir une contribution écrite relative à la situation de l'archipel éponyme.

Je vais donner la parole à chacun d'entre vous pour un propos liminaire, puis nous engagerons un débat sur les problématiques que vous aurez soulevées.

M. Denis Palluel, président de l'association Les îles du Ponant, maire de l'île d'Ouessant. - Je vous remercie de bien vouloir nous consulter dans le cadre de la préparation du projet de loi dit « 3D », pour décentralisation, différenciation, déconcentration.

Je me suis réjoui de l'invitation du président Larcher au mois de novembre, même si une certaine appréhension a pu poindre à la suite de nos échanges. Qu'en restera-t-il ? Ce sentiment s'est vite dissipé, puisque j'ai pu constater que le président Larcher, dans la lettre de mission qu'il vous a envoyée, a tenu sa promesse de nous associer à votre réflexion collective.

Vous avez l'habitude de recevoir beaucoup d'élus locaux qui ont de la terre sous leurs semelles. Nous, on a aussi les pieds sur terre, mais c'est la mer qui nous porte, et cela change beaucoup de choses.

Pendant longtemps, les 15 îles du Ponant ont été un angle mort des politiques publiques françaises. Nous n'étions ni la métropole ni l'outre-mer. C'est vrai qu'avec 16 000 habitants et quelques communes éparpillées, nous ne sommes pas grand-chose démographiquement. C'est difficile de se faire entendre, mais je compte sur un dialogue constructif pour faire avancer notre cause.

Pour être honnête, nous ne partons pas de rien. Il y a d'abord eu la modification des critères de charges dans la dotation globale de fonctionnement sur la voirie, un peu à l'image de ce qui se fait pour les communes de montagne. Surtout, vous le savez, nous avons obtenu la dotation de solidarité insulaire, qui a été une avancée majeure. Au-delà de l'aspect financier, j'insiste, ce fut véritablement la reconnaissance de notre spécificité insulaire au niveau national.

Je pense aussi à la loi Pélissard, qui a exempté les îles monocommunales de l'obligation de s'inscrire dans une intercommunalité. C'est un choix qui leur est laissé. C'est à mon sens un très bon exemple du pragmatisme qui devrait toujours guider le législateur. Il faut sortir de la verticalité du pouvoir pour aller vers plus d'horizontalité. Faisons fi de la doctrine au profit d'une adaptation intelligente.

Le meilleur exemple est pour moi le collège des îles du Ponant. Il s'agit d'un établissement rattaché à Brest, avec des antennes sur les îles bretonnes du Finistère et du Morbihan. C'est déjà une incongruité pour l'Éducation nationale, puisqu'il est à cheval sur deux départements. Par ailleurs, il y a des classes qui comptent deux ou trois élèves. Cela peut être vu comme une hérésie, mais c'est indispensable pour maintenir des familles sur place. Cet exemple, qui date d'une cinquantaine d'années, illustre ce pragmatisme intelligent que nous souhaitons voir appliquer à d'autres sujets.

Nous ne voulons pas d'une décentralisation venue d'en haut et qui soit la même pour tout le monde. Il faut faire confiance au local. Nous ne voulons pas non plus d'une forme de recentralisation autour des métropoles. Nous sommes dans le rural profond, c'est-à-dire que nous sommes déconnectés des grands ensembles urbains, mais les îles sont des centralités à elles seules : elles ont une vie propre. Une île n'est pas un territoire avec un lotissement qui accueille des gens qui y dorment et puis vont travailler sur le continent. Les îles sont des bassins de vie avec de l'emploi, du logement et des services. C'est essentiel à comprendre.

La question que nous nous posons est la suivante : est-ce qu'il y aura toujours des habitants permanents sur les îles dans quelques années ?

Sur le plan démographique, la situation est moyenne. Certaines îles gagnent des habitants quand d'autres en perdent. La pyramide des âges est très rétrécie à la base et le nombre d'enfants au collège est en baisse. C'est donc globalement une logique de déclin.

Pour l'enrayer, au-delà des évolutions législatives ou administratives, nous avons besoin que l'État et la région nous aident encore plus à maintenir les services de base à travers une contractualisation renforcée. La dotation de solidarité insulaire est importante, mais il faut aller plus loin. Faisons attention, car il y a un risque sérieux de disparition des habitants à l'année dans certaines îles. C'est déjà le cas à Chausey, donc ce n'est pas une vue de l'esprit.

La deuxième question, c'est la possession du territoire et, au-delà, de l'identité. Aujourd'hui, il n'y a plus de transmission familiale. Certains néo-habitants viennent s'installer à l'année mais, il faut le dire, la puissance de l'argent fait exploser le prix du foncier. Dans certaines îles, plus de 70 % des habitations sont des résidences secondaires, et ce sont des gens qui, souvent, choisissent d'y voter après deux années de propriété. Cela me pose un problème que l'on puisse devenir citoyen électeur par démarche capitalistique.

Évidemment, nous sommes bien contents d'avoir ces résidences secondaires, mais nous devons prendre garde à une forme de déstabilisation sociale qui peut se produire quand elles deviennent majoritaires. Par ailleurs, se pose un problème fiscal dans le cadre de la réforme de la taxe d'habitation. Si elle est maintenue pour les résidences secondaires, nous ne pourrons pas y toucher pendant deux ans, et, ensuite, nous devrons la rattacher au foncier bâti, ce qui n'est pas très satisfaisant.

Enfin, je termine par les règles d'urbanisme, qui ne sont pas adaptées à la situation insulaire. Les projets agricoles sont très difficiles à mener, notamment à cause de la pression des propriétaires de résidences secondaires, et la notion d'espacement du rivage est une aberration pour nos petites îles.

Pour conclure, il est bon de rappeler que les îles doivent continuer à exister en tant que pôles centraux, et non pas comme des périphéries. Il faut leur conserver un pouvoir décisionnaire à l'heure de la métropolisation à outrance, même si elles doivent coopérer entre elles et avec le continent. Saint-Pierre-et-Miquelon est pour nous un exemple éclairant : 5 000 habitants et un sénateur. Il y a là des pistes à creuser.

M. Philippe Le Bérigot, vice-président de l'association Les îles du Ponant, maire de l'île aux Moines. - Le président de notre association a fait une très bonne présentation de nos problématiques. Je m'attarderai pour ma part sur le logement. Pour fixer les populations, il faut qu'elles aient un logement. Or, vous l'aurez compris, c'est très compliqué à cause de la pression sur les prix du foncier.

Notre politique a été de créer du logement social mais on s'est rendu compte que les biens, à la revente, repassaient dans le public, parfois au bénéfice de non-résidents. Il faut que les collectivités investissent davantage dans le logement social et qu'elles fassent en sorte d'assurer la pérennité de ce parc.

Le problème, c'est que les critères d'accession au logement social sont les mêmes que sur le continent, alors que le coût de la vie y est 30 % plus important. Aussi, s'agissant de l'accession au parc social, il serait plus pertinent de nous appliquer une réglementation plus proche de celle de l'Île-de-France.

Enfin, je le confirme, en matière d'urbanisme, la notion d'espace proche du rivage est complètement aberrante sur l'île aux Moines, compte tenu de sa superficie. Il faut que la loi puisse intégrer nos spécificités, sinon nous serons dans une impasse pour le foncier. Aidez-nous au travers de la future loi 3 D !

M. Bruno Noury, vice-président de l'association Les îles du Ponant, maire de l'île d'Yeu. - Quand un bailleur social veut faire du locatif, il est contraint par des règles financières nationales assez strictes, notamment en matière de fonds propres. En ce qui nous concerne, ces règles empêchent les investissements, compte tenu des coûts fonciers que nous avons à supporter.

Je veux m'attarder sur les zones de revitalisation rurale (ZRR), dispositif censé favoriser le développement économique des territoires. Deux critères conditionnent son application. Tout d'abord, la densité de population, qui ne doit pas être supérieure à 50 habitants au kilomètre carré. Or, sur nos îles, malgré le peu d'habitants, la densité peut être forte en raison de l'exiguïté. Résultat : on ne peut pas être classé en ZRR, alors qu'il y a peu d'habitants et qu'ils sont isolés.

Le second critère est le salaire médian. Là encore, ce critère n'est pas fait pour nous, puisqu'il ne reflète pas le véritable pouvoir d'achat des habitants des îles, confrontés à des surcoûts en matière de logement, d'alimentation et de santé.

Ces règles ne sont pas opérantes en ce qui nous concerne. Ainsi, l'île de Sein, commune la plus pauvre de Bretagne, ne peut pas être classée en ZRR. C'est un frein économique pour tous nos territoires. Nous souhaitons donc être alignés sur les règles qui prévalent dans les outre-mer.

M. Jean-Marie Bockel, président. - C'est intéressant, car nous voyons que vous avez besoin d'adaptations législatives. Il serait bien que vous puissiez les hiérarchiser.

M. Denis Bredin, directeur de l'association Les îles du Ponant. - Je prendrai deux exemples où des adaptations législatives ou réglementaires pourraient être rapidement envisagées.

Dans le domaine de l'eau, tout d'abord. Plus de la moitié des îles du Ponant sont en insularité hydrique, c'est-à-dire qu'elles ne sont reliées à aucun réseau. Elles doivent donc se débrouiller avec leurs ressources locales, notamment les bassins et les citernes de récupération d'eau de pluie, mais il faut savoir qu'il est juridiquement impossible d'alimenter des établissements recevant du public (ERP) avec de tels systèmes. Voilà concrètement une évolution facile à envisager.

Ensuite, dans le domaine de l'énergie, 5 îles ne sont pas raccordées au continent. Elles doivent donc produire et revendre de l'énergie au prix du tarif d'achat continental. Ce n'est pas viable économiquement en raison des surcoûts liés à l'insularité, sauf à bénéficier de subventions publiques, qui sont interdites par l'Union européenne. Jusqu'à présent, il existait des systèmes reconnus par la commission de régulation de l'énergie, avec des tarifications spéciales pour les entreprises produisant de l'énergie dans les îles lointaines, mais rien pour les îles proches du continent. Néanmoins, les choses sont en train de changer.

M. Maxime Prodromidès, co-fondateur et président de l'ONG Small Islands Organisation (Smilo). - Nous abordons les problématiques des petites îles méditerranéennes. Smilo est une association de type loi de 1901, créée en 2016 sur l'initiative de la délégation « Europe et international » du Conservatoire du littoral. Nous regroupons à ce jour 50 îles dans le monde. Nous délivrons le label « Île durable », sur la base de 5 critères : biodiversité, paysages, traitement de l'eau, de l'énergie et des déchets. Ce label permet d'obtenir des financements que nous proposons avec le Fonds français pour l'environnement mondial, qui est notre principal bailleur.

Toutes les petites îles françaises de la Méditerranée, à l'exception de l'île des Embiez - c'est une île privée -, sont adhérentes à Smilo : les îles du Frioul, en face de Marseille ; les îles d'Hyères, c'est-à-dire Porquerolles, Port-Cros et l'île du Levant ; les îles de Lérins, Sainte-Marguerite et Saint-Honorat.

Je partage ce qui vient d'être exposé sur les services publics - nous l'avons bien vu lors du confinement en matière de santé -, l'école ou les emplois. Sur la différence de situation entre résidences principales et résidences secondaires, la limite est peut-être un peu plus floue qu'en Bretagne. À Porquerolles, nous nous sommes battus pendant trente ans, car la population manque cruellement d'eau en été du fait de la sécheresse ; nous sommes approvisionnés par une barge qui coûte 500 000 euros par an à la municipalité. Le maire d'Hyères, Jean-Pierre Giran, a décidé de faire un sealine ; nous l'attendions depuis trente ans.

Contrairement, me semble-t-il, à la majorité des îles du Ponant, aucune île française de la Méditerranée n'est une commune autonome. Les îles d'Hyères sont rattachées à la commune éponyme et, désormais, à la métropole Toulon Provence Méditerranée, qui est compétente depuis un an et demi dans plusieurs domaines intéressant notre association, comme l'eau, l'énergie et les déchets. Je ne vous le cache pas, les insulaires ont parfois du mal à s'y retrouver entre les compétences respectives de la mairie et de la métropole.

Pour chaque île qui concourt au label « Île durable », nous créons un comité insulaire pour favoriser une bonne gouvernance, sans nous substituer aux élus en place et à leurs services. Il s'agit simplement d'instituer un cadre dans lequel tout le monde peut se retrouver et partager des objectifs en matière de développement durable.

L'année dernière, à Porquerolles notamment, Smilo a invité la métropole Toulon Provence Méditerranée, la mairie et les services de l'État à établir un diagnostic, un plan stratégique, et à proposer des pistes d'action. Cela a été assez positif. Par le passé, il y a eu des velléités d'ériger les îles d'Hyères en communes autonomes. J'ai pu y être favorable, mais ce n'est plus le cas. Mais, en cas de problème, il faut souvent voir avec la métropole. Or, Toulon, c'est plus loin...

Porquerolles, Port-Cros et l'île du Levant font partie du parc national de Port-Cros, dont j'ai présidé le conseil économique, social et culturel entre 2013 et 2019. Nous avons fait la charte du parc national avec la direction, les services de l'État, les communes, la métropole et la région. C'est un vrai projet de territoire, avec une impulsion forte en matière de développement durable. C'est le maire d'Hyères, Jean-Pierre Giran, qui, en tant que parlementaire, a été à l'origine de la loi sur les parcs nationaux en 2006.

L'État nous a donné vocation à devenir des territoires pilotes en matière de développement durable. Mais nous sommes parfois confrontés à des attitudes contradictoires de la part de ses services. Ainsi, sur le port de Porquerolles, lorsque les propriétaires de toitures en amiante qui étaient à refaire ont voulu installer du photovoltaïque, l'architecte des Bâtiments de France et la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) ont refusé ; et lorsque le parc national, un peu dépité, a proposé à la place des éoliennes à axe vertical, c'est le ministère de la Transition écologique qui s'y est opposé. Nous partageons souvent les objectifs du parc national, mais d'autres services de l'État ont parfois un discours différent, sans forcément faire de contre-propositions.

Je me réjouis que vous vous atteliez à un travail législatif sur le sujet. N'étant pas élu, je suis sûrement moins informé que vous, mais j'ai vu ce qui se passait dans d'autres aires géographiques, comme les îles croates ou les Baléares. Je pense qu'il y a un manque en France et en Europe. Je ne sais pas s'il faut créer un statut d'îlien, mais il y a une spécificité des îles, notamment sur le réchauffement climatique ou les questions de biodiversité et de développement durable. Nous le voyons dans notre association, les îles de la Méditerranée et de Bretagne partagent énormément de préoccupations. Une loi française qui s'inscrirait dans un cadre européen serait à mes yeux la bienvenue.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Je vous remercie pour cette présentation très intéressante. Nous travaillons beaucoup sur l'amélioration de la déconcentration ; la verticalité freine les adaptations à la réalité du terrain.

Vous avez raison de souligner qu'il faut non pas craindre l'Europe, mais chercher à s'appuyer sur elle, par exemple en nouant des alliances avec les territoires concernés par la même dimension insulaire de proximité.

J'ai reçu un courrier détaillé du maire d'Hyères, dont vous avez rappelé l'action en tant que parlementaire. Nous allons relancer le maire de Cannes, car il serait intéressant de connaître son point de vue s'agissant des îles de Lérins.

M. Christian Manable. - Comment gérez-vous la scolarité des jeunes, tant en primaire qu'en secondaire ? Quelles améliorations pourraient y être apportées dans le cadre de la décentralisation et de la différenciation, qui devraient d'ailleurs concerner tout particulièrement les îles ? L'existence d'écoles et la présence de jeunes sont des facteurs de fixation de la population.

M. Rémy Pointereau. - Le dispositif des ZRR correspond à des critères spécifiques de densité de population et de revenu moyen par territoire. Il devait prendre fin au 30 juin 2020 ; nous avons réussi à repousser l'échéance au 31 décembre 2020. L'isolement insulaire pourrait être un critère pour intégrer toutes les îles dans le dispositif. J'ignore quelles seront les nouvelles modalités des ZRR. Quand un système fonctionne, il faut non pas le supprimer, mais chercher à le rendre encore plus efficace.

Comment voyez-vous les choses s'agissant du numérique et de la téléphonie mobile ? Est-ce aux intercommunalités ou à des structures plus fortes, comme le département ou la région, de mettre en place le très haut débit par la fibre ? À mon sens, le rôle de l'État doit se limiter à la mise à disposition des moyens financiers.

M. Alain Richard. - Je suis toujours un peu sur mes gardes quand j'entends des discours très généraux sur la différenciation. Je préfère que l'on parle de choses concrètes et précises. Je perçois tout à fait la difficulté que représente l'application des dispositions du code de l'urbanisme dans le cas spécifique d'îles de faible superficie.

Mais quelle est votre demande concrète ? Renoncer au gel de la zone des 100 mètres inconstructibles ? Ou aménager les dispositions du code s'agissant de ce qui est en retrait de la zone des 100 mètres ? Là, cela me paraît surmontable : les deux enjeux en présence, la protection du littoral et le maintien de la vitalité des territoires, peuvent s'équilibrer. Encore faut-il fixer exactement l'étendue de la dérogation.

M. Éric Kerrouche. - Un consensus se dégage au Sénat pour sanctuariser la clause de compétence générale des communes en l'inscrivant dans la Constitution.

Vous semblerait-il pertinent que des expérimentations menées dans certains territoires en raison de leurs spécificités ne soient pas forcément généralisées partout ailleurs, comme c'est le cas actuellement ?

M. Denis Palluel. - Étant moi-même enseignant, je commencerai par aborder la question de la scolarité. Nous avons un système classique pour l'enseignement primaire, mais les ouvertures et fermetures de classes restent au bon vouloir de l'inspection académique, qui s'appuie essentiellement sur des critères démographiques et ne prend pas toujours en compte la situation des îles.

Ouessant se situant à 1 heure 15 de bateau de Brest, il est impossible pour une famille d'y scolariser un écolier ou un collégien sans déménager. Nous souhaitons donc que les écoles soient maintenues sur les îles, même si elles ne comptent plus que deux ou trois élèves. Il est facile de fermer une école, beaucoup plus difficile de la rouvrir, et la question de la scolarité reste l'une des premières posées par les jeunes actifs qui veulent s'installer sur l'île.

Le collège des îles du Ponant, à cheval sur plusieurs départements, bénéficie d'un statut particulier et d'une gestion originale des effectifs. Ses spécificités doivent être sanctuarisées, voire renforcées.

L'enseignement fonctionne, mais c'est un combat permanent, et l'on aimerait sans doute une reconnaissance plus officielle de nos particularités. Si le système tient, c'est aussi grâce aux communes, qui déploient d'importants moyens pour loger, parfois gratuitement, les enseignants.

Je souhaite également soulever un autre problème : la commune d'Ouessant se situe en ZRR, ce qui permet en théorie d'exonérer de fiscalité certaines catégories d'entreprises, notamment les hébergeurs touristiques. Toutefois, contrairement à d'autres zones comme la Corse ou la Guyane, ces exonérations sont très peu compensées par l'État, ce qui pose des difficultés.

M. Jean-Marie Bockel, président. - En vous écoutant, je me dis qu'il serait intéressant d'établir à la suite de ces auditions un petit récapitulatif des réalités géographiques et humaines de ces îles.

M. Philippe Le Bérigot. - Nos îles connaissent des situations différentes, mais elles se caractérisent toutes par une rupture de la continuité territoriale. Celle-ci est toutefois moindre s'agissant de l'île aux Moines, située à une encablure du continent. Nous disposons d'une école sur l'île, et l'accès au collège et au lycée se fait facilement.

Monsieur Richard, nous ne voulons surtout pas bétonner nos îles. Aucun insulaire ne revendique l'abolition de la bande des 100 mètres. La notion d'espaces proches du rivage nous pose davantage de difficultés, car les mêmes critères s'appliquent pour les communes continentales et insulaires. La loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi Élan, reconnaît comme village un hameau de vingt maisons. Or nous avons beaucoup de hameaux plus petits qui, rapportés à la surface du territoire, forment pourtant des bassins de vie. Ce sont ces éléments d'adaptation qui permettraient de mieux prendre en compte nos spécificités.

M. Bruno Noury. - En matière d'éducation, nous rencontrons parfois des difficultés d'adaptation des directives nationales. Ainsi, on ne peut pas appliquer le savoir-nager sur nos îles, car il faudrait pour cela aller dans la piscine située sur le continent.

Nous avons sur l'île d'Yeu l'un des plus petits collèges publics de France, et il n'y a pas assez d'heures pour maintenir des titulaires dans chaque discipline. Le risque, à terme, est de n'avoir que des contractuels, ce qui pose un problème d'égalité d'éducation pour les insulaires. Ne pourrait-on pas prévoir des adaptations, permettant par exemple à des titulaires de s'occuper de façon plus personnalisée des élèves en situation de handicap ? Pour l'instant, nous n'avons pas de classe « Unités localisées pour l'inclusion scolaire » (ULIS) sur l'île.

Chaque fois que l'on demande des adaptations de la loi Littoral, on crie au retour des bétonneurs. Ce n'est pas la réalité. Nous ne voulons pas remettre en cause la bande des 100 mètres, mais celle-ci ne concerne que les zones naturelles, pas les zones urbaines. Concrètement, c'est la préfecture qui tranche, carte en mains. De même, la notion d'espace proche du rivage pose un problème de définition. Il est parfois difficile d'obtenir des adaptations intelligentes des lois votées. En 1986, le législateur avait prévu les dessertes des îles en eau et en électricité, mais il avait oublié les câbles optiques.

L'île d'Yeu fut l'une des premières communes de France, dans les années 2000, à demander un droit à l'expérimentation pour créer une taxe sur les véhicules entrants permettant de financer son réseau de transport en commun. Mais le dossier s'est perdu dans les bureaux des ministères... Depuis, les lois ont évolué, on peut désormais imposer des taxes dans les îles reliées au continent par un pont, mais toujours pas dans celles qui sont reliées par bateau.

Enfin, on vient de lancer la première expérimentation d'autoconsommation collective à l'échelle d'un quartier en France. La loi de 2017 réservait cette possibilité à un seul transformateur. Le périmètre a été temporairement étendu, dans un rayon d'un kilomètre, mais nous aimerions pouvoir le faire à l'échelle de l'île.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Vos exemples nous renvoient au travail que nous avons mené, au sein de la délégation, sur l'application concrète du concept de différenciation, sans verser pour autant dans l'excès. L'équilibre est toujours un peu complexe à trouver. Trop d'adaptation, c'est se mettre en danger, mais il est bon aussi de conserver une capacité d'adaptation locale de textes souvent complexes, surtout pour des îles présentant de fortes spécificités.

M. Maxime Prodromidès. - Je partage ce qui a été dit au sujet de la loi Littoral. Je me souviens que Lucien Chabason estimait qu'il s'agissait aussi d'une loi de développement durable. Je lui avais fait remarquer que cette notion n'existait pas en 1986...

Il faudrait peut-être l'adapter par certains aspects. En Vendée, par exemple, des ostréiculteurs ont été sommés par la Commission européenne de mettre leurs fermes aux normes, mais la loi Littoral les en empêchait. Elle devrait aussi évoluer pour mieux intégrer les principes du développement durable, notamment en matière énergétique.

Porquerolles se situe à 15 minutes du continent mais conserve une école primaire, qui ne compte plus que 19 élèves, contre 45 cinq ans auparavant... Lorsque les jeunes deviennent pensionnaires, on observe souvent une sorte de rupture d'identité et il leur est ensuite difficile de revenir s'installer sur l'île après leurs études.

Lors de l'élaboration de la charte du parc national, nous avons beaucoup débattu du droit à l'expérimentation appliqué aux îles, toujours dans l'idée d'impulser le développement durable pour protéger la biodiversité.

Il faudrait peut-être promouvoir la différence pour se préserver. Ne devrait-on pas tenir compte de la spécificité des îles pour impulser des formations différentes, en lien avec le développement durable, la biodiversité, voire les nouvelles technologies, par exemple les biotechnologies marines?

M. Jean-Marie Bockel, président. - Merci. Vous avez effectué un travail concerté de préparation de cette table ronde et proposé des pistes concrètes à approfondir.

Nous publierons un rapport d'information qui pourra être un point de départ. Nous soumettrons ce travail au président Larcher, qui suit de près ces travaux. N'hésitez pas à nous transmettre quelques éléments prioritaires. Ce rapport pourra donner lieu à une proposition de loi ou nourrira les travaux du Gouvernement. On ne lâchera pas l'affaire ! Les îles ne rassemblent pas d'énormes populations ni de vastes territoires, mais c'est aussi la France. Moi qui suis Alsacien, j'en suis aussi très fier. Elles font partie de nous. Le combat continue.

La délégation autorise la publication du rapport.

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